Mercredi 25 septembre 2019
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 09 h 45.
Contrôle budgétaire - Lutte contre les feux de forêts - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Nous débutons notre réunion de commission par une présentation des résultats du contrôle budgétaire réalisé par notre collègue Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sur la lutte contre les feux de forêts et les moyens financiers qui y sont consacrés.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Avant de vous présenter les conclusions de mon contrôle, j'aimerais rendre hommage à l'ensemble des acteurs mobilisés la lutte contre les feux de forêts, et plus particulièrement à nos sapeurs-pompiers et nos pilotes de l'aviation de la sécurité civile. Cet été, l'un de ces pilotes a perdu la vie en luttant contre les flammes. Cet accident tragique nous rappelle l'immense sacrifice que sont prêts à payer nos soldats du feu, contre un risque qui ne faiblit pas.
Les feux de forêts représentent en effet une menace d'envergure, particulièrement en France, quatrième pays le plus boisé de l'Union européenne. Un tiers de nos forêts sont ainsi classées sensibles au risque d'incendie. Bien entendu, ce risque va au-delà de la forêt même puisqu'au travers d'elle, ce sont des vies humaines, des infrastructures, et l'ensemble de l'écosystème forestier qui sont menacés.
Certes, la surface des forêts brûlées en France a significativement diminué, de 46 000 hectares en moyenne annuelle ces quarante dernières années à 11 800 hectares au cours de la dernière décennie, ce qui reste tout de même supérieur à la surface de Paris.
Certes, la France semble s'en tirer mieux que ses voisins européens, si l'on compare sa situation à celle de la Grèce, de l'Italie ou du Portugal, où les incendies peuvent dépasser les 100 000 hectares.
Pour autant, l'acuité du risque d'incendie en France ne doit pas être relativisée. Le bilan de cet été, avec 17 000 hectares brûlés, est ainsi nettement supérieur à la moyenne des dix dernières années.
Face à ce risque, le coût de notre système de prévention et de lutte s'élève à plus de 500 millions d'euros, d'après les rapports des dernières missions interministérielles. Ce montant doit cependant être considéré avec beaucoup de précautions, car il s'agit d'estimations très indicatives, faute d'agrégation fine des dépenses engagées par les multiples acteurs impliqués et du développement de la comptabilité analytique, notamment au niveau local. De même, la connaissance des coûts des dommages causés par les feux de forêt est loin d'être acquise, alors qu'elle permettrait d'améliorer la mesure de la performance de notre dispositif.
Un travail sur l'amélioration de l'information financière doit donc être engagé, au travers de l'élaboration d'outils et de méthodes d'évaluation associées à une remontée des données au niveau interministériel.
L'évaluation des moyens consacrés à la lutte contre les feux de forêt ne pouvait faire l'économie d'observations sur le dispositif de prévention. En effet, de la prévision réalisée par Météo France à l'intervention d'un avion bombardier d'eau sur une zone incendiée, la protection de nos forêts contre les incendies s'exerce dans un continuum cohérent d'opérations, assurées par de multiples acteurs.
Dans le cadre d'une subsidiarité bien encadrée, l'État, les collectivités territoriales, les propriétaires forestiers et les citoyens eux-mêmes concourent ainsi à la prévention, au travers de la prévision du risque, de la surveillance régulière des forêts et de l'aménagement du territoire. À ce titre, la réalisation d'équipements de défense des forêts contre les incendies (DFCI) se montre particulièrement efficace, de même que le débroussaillement. Pour les propriétaires de constructions dans les zones à risque, le débroussaillement est même une obligation légale, dont le respect est hélas encore insuffisant, avec un taux d'application allant de 30 à 50 % en 2016. Il faut donc encourager les maires, chargés de contrôler l'application de cette obligation, dans leurs efforts de sensibilisation à l'importance du débroussaillement dans leur commune.
J'en viens à présent aux moyens de lutte qui sont, pour l'essentiel, sous la responsabilité des intervenants de la sécurité civile. Ceux-ci s'appuient sur une doctrine d'intervention visant à concentrer les moyens terrestres et aériens sur l'attaque rapide des feux naissants. L'efficacité de cette doctrine a été unanimement rappelée par les différentes personnes entendues.
La lutte terrestre est organisée au premier chef par les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Pour ces derniers, si cette lutte ne représente qu'entre 2 % et 5 % de leur activité globale, elle s'avère extrêmement mobilisante : une heure d'intervention nécessite ainsi une moyenne de 21 sapeurs-pompiers, tandis que les autres incendies ou les secours à victime mobilisent respectivement 13,5 et 2,9 sapeurs-pompiers par heure.
Lorsque l'ampleur des incendies dépasse les capacités d'intervention d'un département, la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur prend en charge l'intervention de renforts terrestres. Le préfet de zone de défense et de sécurité fait alors appel aux SDIS des autres départements, aux sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile, voire à certains détachements du ministère des armées.
Surtout, la DGSCGC est responsable de la flotte de la sécurité civile, laquelle concentre l'essentiel des crédits affectés à la lutte contre les feux de forêt, avec un montant moyen de 86 millions d'euros ces deux dernières années. Si ce montant peut sembler très élevé, il a peu varié depuis dix ans. L'évolution des dépenses aéronautiques semble dès lors maîtrisée, alors que le secteur est concerné par de fortes variations des coûts, notamment ceux du maintien en condition opérationnelle (MCO).
L'acquisition de six avions, de type Dash, à l'horizon 2023 rend compte de cet effort d'optimisation des moyens de la sécurité civile. Les Dash sont des avions multi-rôles qui remplaceront les Tracker, dont le vieillissement génère des surcoûts de maintenance. Par ailleurs, les Dash pourront participer à d'autres missions hors saison des feux, notamment en matière de transport d'urgence.
Surtout, ces avions multi-rôles vont renforcer la stratégie de lutte aérienne propre à notre pays : le guet aérien armé (GAAr).
Associant simultanément la prévention à l'intervention, le GAAr permet une action rapide, avec le survol des zones vulnérables par des avions chargés de produits retardant ou d'eau. La mise en oeuvre continuelle de cette stratégie depuis la fin des années 1980 n'est pas étrangère à la résorption des surfaces brûlées au cours des dernières décennies.
Si elle me semble avérée, la performance de ce GAAr doit être garantie à court terme. D'une part, le réseau de stations de ravitaillement, appelées les « pélicandromes », doit être adapté à la plus grande couverture du territoire permise par les Dash. D'autre part, le maintien de pilotes qualifiés au sein de la sécurité civile s'avère indispensable. Cependant, l'attractivité et la fidélisation du personnel du groupement d'avions tendent à décliner, notamment face à la concurrence du secteur commercial. Cette difficulté doit faire l'objet d'une réflexion particulière au sein de la DGSCGC.
À moyen terme, j'estime que notre dispositif de lutte doit être renforcé pour faire face à une aggravation du risque de feux de forêts.
Cette aggravation s'explique d'abord par un phénomène de déprise agricole, qui se réalise au profit d'une augmentation non contrôlée des espaces boisés, lesquels deviennent de véritables viviers de départs de feux. Notre territoire devient aussi plus vulnérable sous l'effet d'une urbanisation croissante dans le milieu forestier, particulièrement dans la zone méditerranéenne.
En outre, il est admis que le réchauffement climatique provoquera en France une extension géographique et chronologique du risque d'incendie, tout en favorisant l'émergence de feux de plus en plus intenses. Selon les prévisions, plus de la moitié de nos forêts seront classées à risque d'ici à 2060, contre un tiers aujourd'hui. La multiplication des départs de feux dans des départements de la moitié nord du pays confirme hélas cette tendance.
Si l'acquisition des Dash est une réponse satisfaisante face à cette aggravation du risque, une attention toute particulière doit être portée aux moyens terrestres, et notamment ceux des SDIS hors des zones habituellement touchées par les feux de forêt. Ces derniers risquent de ne pas être suffisamment équipés alors que les dépenses d'investissement ont nettement diminué ces dernières années pour l'ensemble des SDIS. Je propose donc qu'un accompagnement de l'État soit envisagé au travers de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS, afin de favoriser leurs projets d'investissement en matière de lutte contre les feux de forêt.
Deux inquiétudes planent également sur la flotte, indépendamment du réchauffement climatique. En premier lieu, la livraison progressive des nouveaux Dash me paraît trop tardive, au regard de la surutilisation actuelle de nos avions et de la perte d'un Tracker cette année. Une accélération de la livraison des nouveaux avions serait bienvenue afin de se prémunir de tout risque de rupture capacitaire dans les prochaines années.
Par ailleurs, le vieillissement de nos Canadair entraîne de lourdes conséquences sur leur disponibilité et leurs coûts de maintenance. Alors qu'un retrait des Canadair les plus âgés est prévu à partir de 2025-2030, deux options sont envisagées à ce jour pour garantir l'avenir de la flotte : la première consiste à moderniser la flotte actuelle, la seconde à la remplacer par de nouveaux avions amphibies.
La première option nécessite la réalisation d'un bilan coût-avantages précis sur l'opportunité de prolonger l'utilisation des Canadair, puisqu'en cas de surcoûts manifestes, la seconde option d'une commande de nouveaux avions sera considérée. Cependant, le projet d'une telle commande s'avère compliqué, le marché d'avions bombardiers d'eau étant caractérisé par une offre et une demande très réduites.
Un industriel canadien envisage de relancer la production de nouveaux Canadair, mais requiert pour cela la commande d'une vingtaine d'aéronefs, un seuil qui excède largement nos besoins. Un projet d'appel d'offres européen est donc à l'étude depuis 2016 afin d'atteindre ce seuil. Il me semble urgent que ce projet se concrétise : les négociations avec les autres pays européens doivent s'accélérer.
Cette commande commune pourrait enfin aboutir au projet d'une flotte européenne, envisagée dans le cadre du mécanisme européen de protection civile. La France joue déjà un rôle moteur dans ce mécanisme ; elle en est même le premier contributeur devant l'Allemagne. Ses moyens et son expertise dans la lutte contre les feux sont très souvent sollicités, comme le prouve notre engagement en Suède l'an dernier et en Bolivie cette année.
Notre pays pourrait tirer profit de cette position dans le mécanisme européen de protection civile. Ce dernier vient justement d'être réformé dans un sens qui nous est sans doute plus favorable. En effet, au travers de la mise en place d'une réserve européenne de protection civile, la Commission européenne pourra financer jusqu'à 90 % l'acquisition d'avions pour le compte de la France, avec la contrepartie que ces avions puissent être déployés dans un autre pays à sa demande.
Si l'intérêt financier de ce projet de flotte européenne est réel, il faudra évidemment veiller à ce qu'il ne se fasse pas au détriment des besoins nationaux.
En définitive, mes chers collègues, face à l'aggravation évidente du risque de feux de forêt, il me paraît indispensable de garantir l'avenir des moyens de lutte dont nous disposons. Si leurs coûts peuvent sembler élevés, malgré leur optimisation, n'oublions pas de les mettre en perspective avec la protection des vies humaines, des constructions et de l'écosystème assurée par le dispositif de lutte. La mise en place d'un indicateur valorisant les résultats obtenus par ce dispositif, en termes d'espaces forestiers préservés ou d'habitations sauvées par exemple, est d'ailleurs à l'étude. Je ne peux qu'encourager une telle démarche qui complèterait utilement les indicateurs actuels de performance.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'ai été frappé cet été par l'apparition de feux de forêts dans des zones jusqu'à présent totalement épargnées, notamment dans le nord de la France. Ce risque peut devenir récurrent et majeur avec le changement climatique.
La solution vient de la mutualisation des moyens à l'échelle européenne. Des alternatives aux avions Canadair existent-elles ?
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Le Canadair est le modèle le plus adapté à notre mode d'intervention. Il s'agit d'un avion amphibie, qui permet donc un écopage direct, contrairement aux autres avions de notre flotte qui nécessitent un ravitaillement par les pélicandromes. D'autres modèles d'avions amphibies existent mais ne correspondent pas aux exigences de notre flotte.
M. Dominique de Legge. - Je remercie le rapporteur spécial de son intervention.
L'acquisition des six Dash à horizon 2023 correspond-elle à une commande ferme ? Quid de la commande de Canadair ?
Puisque le risque remonte vers le Nord, qu'en est-il du positionnement des moyens, aujourd'hui plutôt concentrés dans le sud ?
M. Bernard Delcros. - Actuellement, un tiers de la superficie des forêts est à risque. En raison du réchauffement climatique, ce taux risque de passer à 50 %. Vous proposez que l'État accompagne la mise à niveau des équipements des SDIS. Le coût d'une telle mesure a-t-il été chiffré ?
M. Jean-François Rapin. - Je remercie le rapporteur spécial pour la présentation de ce sujet, qui nous alerte tout autant que la montée des eaux et l'acidification des océans.
Quel serait le coût de la mise en place d'un plan d'action préventif en matière de feux de forêts ?
Cet été en Corse, j'ai été impressionné par le déploiement de moyens d'alerte et de présence des pompiers et des SDIS, alors même qu'il n'y avait pas d'incendie, à des endroits dits « stratégiques ». Un camion est positionné tous les 5-6 kilomètres. Le coût, qui doit être très élevé, de ce dispositif peut-il être estimé ?
M. Antoine Lefèvre. - Je confirme les propos du rapporteur spécial : des feux de forêts surviennent maintenant dans le nord de la France. Il faut prévoir une organisation territoriale adaptée et améliorer les matériels, en liaison avec les SDIS.
Disposons-nous d'un calendrier pour la mise en place de la réserve européenne et les commandes groupées qui ont été évoquées ? Pour l'instant, nous avons l'impression d'intervenir de façon sporadique au gré des demandes des États concernés, forcément dans l'urgence.
M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. Comment se passe la coordination entre les unités de la sécurité civile, qui mobilisent des moyens aériens, et les unités au sol, qui dépendant des SDIS ?
La mutualisation des moyens à l'échelle européenne a été évoquée. Il faut pouvoir intervenir rapidement dans les pays voisins si cela est nécessaire.
Des hélicoptères sont-ils également mobilisés pour lutter contre le feu ?
Lorsque nous avons évalué les moyens dédiés au sauvetage en mer, nous avons constaté que les appareils utilisés étaient extrêmement anciens, ce qui pose des problèmes d'entretien - les pièces de remplacement faisant défaut. Les mêmes problèmes sont-ils observés pour les moyens aériens dédiés aux feux de forêts ?
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur spécial. Il faut parvenir à mutualiser les moyens. S'agissant de l'appel d'offres européen, trois années se sont écoulées depuis 2016... Il faut assurer la sécurité des personnes et des biens, ainsi que celle des sapeurs-pompiers et des pilotes. Vous avez évoqué le nombre, important, de vingt appareils à commander, mais d'autres pays sont également concernés.
À l'échelon national, nous avons aussi besoin de matériels pour l'armée. Il est étonnant que l'on ne parvienne pas à trouver des solutions techniques, peut-être des avions de capacité moins importante ? Le temps passe, et les feux de forêts ne diminuent pas.
M. Philippe Adnot. - Je veux évoquer les réserves d'eau, car les feux sont la conséquence de la sécheresse. Les Verts sont opposés à ces réserves, mais elles permettraient d'apporter des solutions tant pour l'agriculture que pour la forêt.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Le rapporteur général a relevé à juste titre l'émergence de feux de forêts dans des zones jusque-là épargnées.
En réponse à Dominique De Legge, la commande des six Dash est ferme. Le premier a été livré en juillet dernier, deux devront l'être en 2020 - nous aimerions qu'il y en ait trois -, puis un chaque année jusqu'en 2023. Ces nouveaux avions vont plus vite et plus loin. En conséquence, il faudrait repositionner les pélicandromes, c'est-à-dire les lieux de ravitaillement, pour qu'il y en ait un par zone de défense et de sécurité.
Bernard Delcros, je fais souvent la comparaison avec la médecine de ville, pour laquelle rien n'a été fait il y a trente ans car tout allait bien... Aujourd'hui, la lutte contre les feux de forêts est efficace, mais si nous n'anticipons pas les nouveaux risques, nous risquons d'être confrontés à des méga-feux que nous ne réussirons pas à éteindre. Il n'existe pas d'estimation précise des coûts de la mise à niveau face à cette aggravation du risque. Selon les prévisions, une augmentation de 30 % des surfaces concernées dans les cinquante prochaines années provoquerait une hausse de 20 % du coût de la lutte et de la prévention.
Dans notre pays, la lutte contre les feux de forêts se fonde déjà largement sur la prévention, appuyée par le guet aérien armé et la présence d'hommes et de matériels dans les zones à risque. Cette présence est sollicitée après examen de plusieurs critères sur le degré de risque : mesure hygrométrique, vitesse du vent... Ce pré-positionnement est indispensable pour intervenir dans les dix minutes qui suivent le départ du feu, afin de le maîtriser, voire l'éteindre. Le chiffrage du coût de ces pré-positionnements est toujours délicat à obtenir en l'absence de comptabilité analytique. Mais il faudrait en outre le mettre en rapport avec les économies engendrées par le sauvetage des biens et des personnes.
Pour Antoine Lefèvre, la mise en place d'une flotte européenne est un projet dont le calendrier est encore incertain. La France participe aux négociations sur le lancement d'appel d'offres commun et devrait formuler son expression des besoins au plus tard en 2022.
En réponse à Michel Canévet, la coordination entre les forces au sol et les forces aériennes est très satisfaisante, aucun dysfonctionnement n'a été constaté. Dans les territoires à risque, le préfet de zone assure cette coordination. En matière de moyens mis en place pour lutter contre les feux de forêt, la France est exemplaire !
Effectivement, il arrive que des hélicoptères soient utilisés par certains SDIS. Des études sont menées sur l'emploi de drones pour évaluer l'avancée des feux.
S'agissant de la MCO, j'ai visité le site de la base de Nîmes, dans lequel la maintenance est effectuée dans des conditions sérieuses. Néanmoins, la flotte est vieillissante et des incidents peuvent survenir en cours d'intervention. Tous les appareils ne peuvent être disponibles en même temps : peut-être faudrait-il davantage d'avions puisque le risque de feux de forêts s'accroît et qu'il pourra survenir sur des surfaces plus importantes.
Marc Laménie, vous avez évoqué les possibilités de mutualisation entre les armées et le ministère de l'intérieur : les besoins de matériels ne sont pas toujours les mêmes et les calendriers diffèrent, mais les forces militaires peuvent être mises à disposition pendant la période estivale.
En ce qui concerne les réserves d'eau, leur identification est bien assurée, notamment lors de l'élaboration des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques. Cette question ne me semble pas présenter de difficulté particulière.
La commission autorise la publication de la communication de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Mobilisation des financements régionaux en faveur de la recherche - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Nous entendons maintenant une communication de notre rapporteur spécial sur les crédits de la recherche, Jean-François Rapin, suite au travail qu'il a effectué sur les financements des régions en faveur de la recherche.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Le Gouvernement travaille actuellement, en lien avec les acteurs du monde de la recherche, à l'élaboration d'une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui nous sera présentée au premier semestre 2020.
J'appelle cet effort de programmation de mes voeux depuis deux ans ; il est en effet grand temps de doter le monde de la recherche d'une plus grande visibilité quant aux moyens qui lui seront dédiés. Il me semble par ailleurs indispensable de mener à bien une véritable réflexion quant à l'articulation des différentes sources de financement de la recherche ; en effet, vous ne l'ignorez pas, le financement de cette politique publique obéit à des règles complexes, faisant intervenir une multitude d'acteurs, d'opérateurs, de structures.
Je me félicite donc que nous prenions le temps de nous interroger : comment mieux dépenser en faveur de la recherche ? Que faire pour que nos investissements soient plus efficaces et cohérents entre eux ? Si ces objectifs sont ambitieux et louables, ils ne sauraient être atteints sans tenir compte d'un des grands acteurs du financement de la recherche, relativement peu évoqué dans le débat public, en dépit de son importance croissante : je veux parler des régions.
Au travers de mon contrôle budgétaire, je me suis donc efforcé de répondre aux questions suivantes : de quelle manière les régions contribuent-elles au pilotage et au financement de la recherche en France ? Les financements en provenance des régions constituent-ils des doublons avec les crédits alloués par l'État, conduisant à une perte de lisibilité de l'action publique dans le secteur de la recherche, ou permettent-ils au contraire de combler des angles morts ? Comment s'organise la coopération entre l'État et les régions dans le secteur de la recherche ? Comment pourrait-elle être améliorée ?
J'ai décidé de mener un travail de terrain, en allant directement à la rencontre des exécutifs régionaux et des chercheurs ; cette démarche m'a conduit à mener plusieurs auditions et à effectuer trois déplacements, en Nouvelle-Aquitaine, en Auvergne-Rhône-Alpes et en Île-de-France.
En parallèle, j'ai soumis à l'ensemble des conseils régionaux un questionnaire détaillé, afin d'appréhender au mieux leur stratégie et les modalités de leur intervention dans le secteur de la recherche. L'étude de ces questionnaires s'est révélée être une véritable mine d'informations : je tiens donc à remercier les conseils régionaux qui m'ont répondu pour la qualité et la précision des éléments communiqués.
Je tire trois conclusions majeures de mon contrôle budgétaire.
Premièrement, les régions sont devenues un acteur clé du pilotage et du financement de la recherche en France.
Deuxièmement, l'intervention des régions est très complémentaire de celle de l'État, ce qui démontre la pertinence d'une action régionale dans le domaine de la recherche.
Enfin, l'État et les régions doivent davantage collaborer en matière de recherche, pour renforcer la cohérence de leurs actions.
J'avais l'intuition, en initiant ce contrôle budgétaire, que les régions jouaient un rôle croissant dans le secteur de la recherche ; mon expérience d'élu de terrain me portait, en tout état de cause, à le penser. Lors de mes travaux, j'ai pu réaliser que les régions étaient, de fait, devenues un interlocuteur incontournable des acteurs du monde de la recherche, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, il convient de souligner que les régions ont commencé à se positionner sur le champ de la recherche dans le cadre de la régionalisation de l'action économique ; chefs de file du développement économique, elles ont cherché à développer la compétitivité et l'attractivité de leur territoire et, pour ce faire, se sont appuyées sur les activités de recherche.
Les régions ont été progressivement dotées de compétences de programmation et d'encadrement dans le secteur de la recherche ; j'ai pu constater qu'elles s'étaient pleinement saisies des outils à leur disposition pour coordonner et harmoniser les initiatives locales, au service des besoins de leur territoire.
En parallèle, les conseils régionaux sont devenus un relais local vers et auprès de l'Union européenne. Le rôle des régions est double : elles aident les chercheurs à obtenir des fonds européens, tout en s'efforçant d'influencer les orientations stratégiques des programmes européens pour qu'ils correspondent davantage aux besoins locaux.
En effet, le transfert de la gestion des fonds européens aux exécutifs régionaux a fait de ces derniers des interlocuteurs centraux, capables de mobiliser plusieurs types de financements pour favoriser un effet de levier vers des financements provenant des appels à projets européens. Lors de mes déplacements sur le terrain, j'ai pu mesurer à quel point l'aide des régions dans ce domaine était appréciée.
Cette montée en puissance dans le secteur de la recherche s'est accompagnée d'une progression significative de l'intervention financière des régions : les dépenses de recherche des conseils régionaux ont augmenté de 75 % entre 2004 et 2017, passant de 385 millions d'euros à 674 millions d'euros par an. Après un pic de 850 millions d'euros en 2014, l'effort financier des régions a connu une relative stagnation ces dernières années, principalement sous l'effet des réorganisations institutionnelles.
Il me semble donc important de souligner que les régions constituent désormais une source de financement comparable aux appels à projets européens Horizon 2020.
Certes, cet effort est encore inégalement réparti sur le territoire, puisque les cinq régions investissant le plus dans le domaine de la recherche représentent 60 % de l'effort financier régional dans ce secteur. Pour donner un chiffre encore plus éloquent, le budget par habitant de la recherche varie de 21,3 euros pour les Pays de la Loire à 1,6 euro à Mayotte, la moyenne se situant à 11 euros.
En pratique, les dépenses de recherche en France métropolitaine représentent entre 1,6 % et 5,8 % du budget primitif des régions, quand il demeure inférieur à 0,5 % dans les territoires ultramarins.
Cependant, pour regrettables qu'elles soient, ces disparités auraient tendance à se résorber, notamment dans le cadre des fusions de régions intervenues en 2016.
J'en viens à mon second point. J'ai souhaité étudier, sur le terrain, la nature des interventions régionales, afin de déterminer si la diversité des sources de financement n'engendrait pas d'effets de doublons et ne nuisait pas, in fine, à la lisibilité des interventions publiques sur le territoire.
Bien au contraire, il m'est apparu que les régions et l'État intervenaient de manière tantôt commune et concertée, tantôt distincte et autonome, mais dans la plupart des cas complémentaire et cohérente.
Dans le premier cas, les cofinancements État-régions permettent de décliner la politique nationale sur le territoire régional. Ainsi, les contrats de plan État-régions (CPER), les appels à projets régionalisés, et les crédits dédiés aux pôles de compétitivité font l'objet d'une démarche commune entre l'État et les régions, ce qui garantit la cohérence des interventions financières. Sur le terrain, les CPER sont un outil particulièrement apprécié, parce qu'il constitue un véritable « lieu » de concertation entre l'État et les régions sur les investissements à venir. Cependant, comme plusieurs interlocuteurs me l'ont signalé, ces interventions conjointes demeurent limitées dans leur nature et relativement rigides dans leur mise en oeuvre.
C'est ce qui a poussé de nombreuses régions à développer des outils financiers propres, leur permettant de soutenir de manière plus souple et rapide les acteurs locaux. Ainsi, au cours de mes échanges avec les chercheurs, j'ai pu constater que les régions proposaient souvent des compléments de financement indispensables, car déterminants dans la décision de poursuivre ou non un projet.
Il m'est par ailleurs apparu que, par ce biais, les régions finançaient principalement les activités de valorisation et de transfert de technologie, afin de renforcer la compétitivité et l'attractivité de leur territoire. L'intervention des régions se distingue ainsi de celle de l'État, qui proportionnellement soutient davantage la recherche fondamentale.
Sans aller jusqu'à répertorier toutes les initiatives des régions, je me suis donc efforcé d'en dresser une typologie, afin de donner un aperçu de la diversité des leviers d'intervention développés par les exécutifs régionaux.
Ainsi, la plupart des régions organisent des appels à projets thématiques pour répondre à certains besoins identifiés sur leur territoire. Ces appels à projets régionaux se sont inscrits de manière durable dans les écosystèmes locaux, dans la mesure où ils permettent de coupler des aides régionales aux financements nationaux et européens, tout en mobilisant des fonds privés.
En parallèle, certaines régions octroient des subventions ou investissent de manière ponctuelle afin de structurer des filières sur le territoire régional, comme l'a fait le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine avec la filière photonique. Ces investissements peuvent notamment être destinés à faciliter l'implantation d'équipements emblématiques - je pense notamment aux conseils régionaux d'Île-de-France et du Centre-Val-de-Loire, qui ont financé en grande partie la construction du synchrotron SOLEIL, situé sur le plateau de Saclay.
La plupart des conseils régionaux financent également de manière récurrente les écosystèmes d'innovation via les structures labellisées, ce qui favorise l'instauration d'une relation tripartite avec l'État.
Enfin, de nombreux exécutifs concluent des conventions avec des organismes de recherche pour renforcer l'attractivité de leur territoire ; c'est notamment le cas du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes avec le CEA Tech, pour soutenir le développement de la filière microélectronique à Grenoble.
Je retiens donc de mes travaux que les régions ont su mettre à profit leur proximité avec les acteurs régionaux pour agir de manière complémentaire à l'État, en développant des modalités d'intervention souples et variées.
J'en viens à mon dernier point : malgré leur implication, les régions ont souvent le sentiment de ne pas être pleinement associées à la politique de recherche de l'État.
Cette situation nuit, à mes yeux, à la cohérence des interventions nationales et régionales et donc finalement à l'efficacité de notre politique de recherche ; étant donné les enjeux actuels et la forte concurrence internationale à laquelle nous sommes soumis, il me semble primordial de renforcer la coopération entre l'État et les régions.
J'ai donc relevé trois axes d'amélioration.
En premier lieu, il me paraît indispensable de développer l'information disponible quant aux financements en provenance des régions ; la mise en place d'un suivi plus précis de cette source de financement constitue, de toute évidence, un préalable indispensable à une plus grande association des régions au pilotage de la politique de recherche.
Dans un second temps, il ressort de mon enquête que la concertation entre les instances de pilotage régionales et nationales pourrait être grandement améliorée, afin de favoriser les synergies en termes de financement. J'ai notamment relevé, avec surprise, qu'il n'existait pas, à l'heure actuelle, d'instance unique de dialogue entre l'État et les régions au sujet de l'enseignement supérieur et de la recherche en région ; cette situation n'est à mon sens pas tenable.
Enfin, j'estime qu'il devient capital de développer les démarches conjointes État-régions sur le plan européen. Vous n'êtes pas sans connaître les résultats relativement décevants de la France dans les appels à projets européens ; cet état de fait doit nous conduire à repenser l'accompagnement des chercheurs, domaine dans lequel nos régions font preuve d'une grande créativité. Je conclus donc de mes travaux que le renforcement de la participation française aux appels à projets européens passe par un plus grand rôle donné aux régions en la matière.
M. Roger Karoutchi. - Je partage les conclusions du rapporteur spécial, mais il n'a pas été suffisamment critique à l'égard de l'État ! La région Île-de-France, qui rassemble 30 % des étudiants et des élèves dans les grandes écoles, a largement financé les pôles de compétitivité et des laboratoires de recherche fondamentale. Or, dans le même temps, l'État refuse toute discussion sur un éventuel transfert de la compétence à la région ! Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a une attitude jacobine, alors même qu'il ne dispose plus de moyens de financement suffisants.
Payer et ne pas avoir son mot à dire, cela commence à bien faire... Il faut que l'État accepte une nouvelle étape de décentralisation, et transfère éventuellement aux régions la compétence en matière de recherche.
M. Philippe Dallier. - On s'interroge sur les économies que pourrait faire l'État. En matière de politique de logement, on pourrait « couper le cordon » et transférer cette compétence. S'agissant de la recherche, le rapporteur spécial pourrait peut-être nous indiquer où placer la frontière. On n'imagine pas que l'État cesse complètement d'intervenir dans ce domaine, notamment pour des projets à caractère stratégique.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je remercie le rapporteur spécial pour son exposé passionnant. Les dépenses de recherche des régions ont augmenté de 75 % entre 2004 et 2017. En France métropolitaine, ces dépenses représentent entre 1,6 et 5,8 % du budget primitif des régions. Les régions s'administrent librement, certes, mais comment expliquer de telles différences ? Est-ce dû à un défaut de synergie entre certaines régions et l'État ? À des choix politiques ? À un manque de projets ?
M. Bernard Delcros. - Je partage les propositions du rapporteur spécial sur la nécessité d'une meilleure coordination entre l'action de l'État et celle des régions. L'État doit garder des compétences en matière de recherche.
Je reviens sur les écarts d'investissement des régions. Sont-ils liés à des différences de stratégie des politiques régionales, ou d'activités sur les territoires ?
M. Éric Bocquet. - Le rapport pointe une montée en charge globale des financements consacrés à la recherche entre 2004 et 2017, avec une relative stagnation ces dernières années. Cela s'explique-t-il en partie par la fusion des régions ?
Je m'étonne moi aussi des écarts énormes entre les régions. Existe-t-il des coopérations interrégionales en matière de recherche ?
M. Thierry Carcenac. - Je félicite le rapporteur spécial pour son travail.
Je viens de recevoir un courrier du préfet de mon département, me demandant de lui transmettre mes observations, d'ici au 30 septembre prochain, sur le prochain contrat de plan État-région. Disposez-vous des orientations de ce prochain contrat de plan, qui couvrira la période 2021-2027 ?
Vous avez souligné le rôle des régions en matière de transfert de technologie : les centres régionaux d'innovation et de transfert de technologie (Critt) sont très importants dans ce cadre.
En matière immobilière, l'État n'intervient pas : ce sont les collectivités territoriales qui le font. Disposez-vous de chiffres s'agissant de l'immobilier d'entreprise ?
M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur spécial pour sa présentation très claire. Je partage les observations de Philippe Dallier et Roger Karoutchi sur l'intérêt d'une décentralisation accrue de la compétence en matière de recherche. Néanmoins, il faut relativiser : le montant dédié à la recherche par les régions est de 750 millions d'euros, alors que l'effort public de recherche s'élève dans notre pays à près de 15 milliards d'euros. Il faut réfléchir à la dimension que l'on souhaite donner à l'éventuel élan de décentralisation : jusqu'à quel niveau et pour quelles compétences ?
Comment se passe la coordination entre les services de l'État - les délégations régionales à la recherche et à la technologie -, et les conseils régionaux ? Existe-t-il une instance de concertation au niveau national ?
M. Marc Laménie. - Je remercie également le rapporteur spécial. Je veux insister sur la complexité du dispositif. La mission Enseignement supérieur et recherche représente environ 30 milliards d'euros. Les départements veulent tous faire de la recherche - dans le mien, les Ardennes, nous venons d'inaugurer un campus. Mais nous avons du mal à nous y retrouver : les intervenants sont multiples - recteurs, présidents d'université, conseils régionaux, préfets de région, opérateurs de l'État -, tout comme les financements - contrats de plan, financements des départements et des intercommunalités... Il faudrait simplifier les choses !
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Pour Roger Karoutchi et Philippe Dallier, je sais que la région Île-de-France se plaint de la réduction de l'intervention de l'État. Mais elle est considérée comme une région très riche !
M. Philippe Dallier. - On nous le répète tous les jours !
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - La région a vu ses crédits diminuer : elle a en effet reçu moins d'aides de l'État et de l'Europe en raison de sa puissance financière. C'est certainement un argument d'équité, mais est-ce pour autant un argument valable s'agissant du développement de la recherche ? Je ne le crois pas.
Roger Karoutchi a évoqué tant l'enseignement supérieur que la recherche. Pour ma part, je pense au volet appliqué de la recherche. La recherche fondamentale, plus proche de l'enseignement supérieur, serait plutôt dévolue à l'État. Si je devais proposer une vision décentralisée de la matière, je confierais donc la recherche appliquée aux régions, et la recherche fondamentale et stratégique à l'État. Je suis prêt à travailler sur cette question avec Philippe Adnot.
Sur les différences entre régions, elles s'expliquent non seulement par le PIB des régions, mais aussi par les choix des exécutifs. Nous avons davantage de facilités à faire de la recherche en Île-de-France, car nous disposons de grands équipements et d'une attractivité forte. D'autres régions sont en pointe. Ainsi, 90 % des appareils téléphoniques d'une célèbre marque de smartphones utilisent une technologie (le SOI) qui a été conçue au Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à Grenoble.
Sur les contrats de plan État-régions, je n'ai aucune information.
Bernard Delcros, vous estimez que l'État doit garder des compétences en matière de recherche. Bien sûr !
Éric Bocquet, la fusion des régions a certainement freiné les régions dans leur volonté d'aller plus loin. Le pic de 2009 s'explique peut-être par le grand emprunt qui a suivi la crise financière.
S'agissant de l'instance de concertation, question soulevée par Michel Canevet, je m'étonne dans le rapport de l'absence d'une telle structure. Des initiatives sont prises par les régions ; pour l'instant, ces réunions sont ponctuelles. Espérons que la loi de programmation organise et encadre cette coordination. L'État ne peut pas se passer d'une concertation avec les régions.
Le problème soulevé par Marc Laménie est l'une des raisons pour laquelle nous avons engagé ce contrôle budgétaire. Nous ne savons plus qui fait quoi, qui finance quoi... Là encore, j'espère que la loi de programmation nous permettra d'avoir une meilleure visibilité.
La commission donne acte de la communication de M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Inspection du travail - Communication
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur général, Chers collègues, notre contrôle porte sur l'inspection du travail. Nous avons fait l'effort de présenter ce contrôle à deux voix, avec Sophie Taillé-Polian, mais avec des propositions communes, ce qui a impliqué la recherche d'un consensus.
L'inspection du travail a été créée à la fin du XIXème siècle. Elle connaît depuis plus de dix ans une série de réformes qui ont affecté tour à tour son champ d'intervention, ses moyens de sanction, ses structures et son recrutement. La dernière en date, lancée en juin 2019 par le gouvernement actuel, vise désormais son organisation territoriale.
Ces réformes interviennent dans un contexte marqué par l'émergence de nouvelles formes d'activité, à l'image du travail détaché, du développement de l'auto-entreprenariat ou de l'apparition des travailleurs de plateforme. Elles s'inscrivent également dans le cadre d'une révision régulière du code du travail.
Je rappellerai, tout d'abord, quelques généralités.
Rattachée au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, l'inspection du travail est assurée par 3 535 agents dont 2 347 agents de contrôle proprement dits : inspecteurs et contrôleurs du travail. Le service de l'inspection du travail représente donc 35 % des effectifs de la mission « Travail et emploi », dont les dépenses de personnel s'élevaient à 611,1 millions d'euros en 2018.
Créée par décret en 2006, la direction générale du travail (DGT) constitue « l'autorité centrale » du système d'inspection du travail.
La compétence de l'inspection du travail s'étend à l'ensemble des entreprises du secteur privé. Elle inspecte également les anciens établissements publics, régies ou sociétés nationales (Pôle emploi, La Poste, SNCF, RFF, RATP). L'inspection du travail couvre, dans ces conditions, l'activité de 18,65 millions de salariés, dont 73 % relèvent du secteur tertiaire.
Les pouvoirs de l'inspection ont été renforcés ces dernières années, avec l'introduction de sanctions administratives financières dans certains domaines et l'extension des arrêts de travaux sur certains risques graves. Le panel de sanction est, de fait, assez large, de la simple lettre d'observation adressée à une entreprise à la suspension du contrat de travail, la saisine du juge ou l'amende. Le montant total des amendes dressées hors secteur du BTP s'est élevé à 4,6 millions d'euros en 2018.
279 600 interventions ont été menées en 2018, 216 420 suites étant données à celles-ci.
Le mode de fonctionnement de l'inspection du travail est encadré par l'Organisation internationale du travail. La France est en effet partie à la convention n° 81 de l'OIT, ratifiée en 1950. Elle est tenue de respecter, dans ces conditions, plusieurs principes : les agents de contrôle doivent bénéficier d'un certain nombre de garanties, en matière de stabilité d'emploi et d'indépendance et leur nombre doit être suffisant pour permettre l'exercice efficace des missions.
Parallèlement, le Conseil national de l'inspection du Travail (CNIT), créé par décret en 2007, a pour rôle de veiller à ce que les missions des agents de contrôle soient exercées dans les conditions définies par les conventions de l'Organisation internationale du travail.
Abordons maintenant les réformes engagées depuis 2006.
Un premier plan de modernisation de l'inspection du travail (PMDIT) a été déployé entre 2006 et 2010. Il a abouti notamment à la création de la direction générale du travail et la mise en place de sections regroupant plusieurs inspecteurs du travail (« sections renforts »). Il a été complété en 2009 par la création des DIRECCTE et la mise en place des pôles « travail ».
Engagée en 2012, la réforme « Ministère fort » a, quant à elle, débouché sur une nouvelle organisation territoriale du système d'inspection du travail. Elle est effective depuis janvier 2015 sur l'ensemble du territoire.
La réforme permet la mise en place d'unités de contrôle (UC) (226 en 2018), regroupant 8 à 12 agents de contrôle sur un territoire donné, placés sous l'autorité d'un responsable d'unité de contrôle (RUC). Chaque agent de contrôle est, au sein des UC, affecté à une section, qui correspond à une portion de territoire ou à un secteur (agriculture ou transports). Les UC sont rattachées au pôle travail (pôle T) de la DIRECCTE. Les UC sont coordonnées au niveau départemental au sein des unités départementales des DIRECCTE, au nombre de 101.
Les UC peuvent disposer d'une compétence infra-départementale (53 départements métropolitains disposent de plusieurs UC), départementale (44 départements disposent d'une seule UC) ou interdépartementale (par exemple l'UC des aéroports de Roissy et Orly et l'UC interdépartementale « couloir de la chimie » qui couvre les départements de l'Isère et du Rhône).
Les unités de contrôle peuvent également être de dimension régionale ou interrégionale. Il existe ainsi 18 unités régionales d'appui et de contrôle, principalement dédiées à la lutte contre le travail illégal (URACTI) et des réseaux régionaux sur les risques particuliers (BTP et amiante en Nouvelle Aquitaine, les transports en Bourgogne-Franche-Comté, le projet « Grands chantiers » en Ile de France).
La dernière réforme est en cours. La circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019 prévoit que les services départementaux de la DIRECCTE soient placés sous l'autorité directe du préfet de département, en étant intégrés dans de nouvelles structures relevant des directions départementales de l'intérieur. Les services économiques seraient ainsi rassemblés avec les services dédiés à l'inclusion sociale afin d'éviter les effets de cloisonnement et de renforcer la complémentarité des actions menées à l'échelle du département.
La question de l'incidence de la disparition des unités départementales des DIRECCTE sur les unités de contrôle départementales ou infra-départementales de l'inspection du travail qui leur étaient rattachées se pose donc. La circulaire prévoit que la ligne hiérarchique actuelle soit néanmoins respectée en ce qui concerne l'inspection du travail, sans plus de précision. Aux termes de la convention n° 81 de l'OIT, les inspecteurs du travail bénéficient d'une indépendance statutaire. Ils ne peuvent, en principe, être placés sous l'autorité des préfets dans le cadre de l'exercice de leur mission de contrôle.
À cette réforme de l'organisation, s'est ajoutée une réforme en profondeur des emplois. Les inspections du travail dédiées au secteur agricole, au travail maritime et aux transports ont fusionné en 2008 avec l'inspection du travail proprement dite.
La réforme « Ministère fort » s'est, quant à elle, principalement traduite par la suppression progressive du corps des contrôleurs du travail et par leur fusion avec celle des inspecteurs du travail. Les contrôleurs et inspecteurs exerçaient dans les faits les mêmes tâches mais à une échelle différente : les inspecteurs contrôlant les entreprises de plus de 50 salariés, les contrôleurs intervenant en dessous de ce seuil. La fusion des corps de contrôleurs et d'inspecteurs est opérée par le biais d'une requalification des contrôleurs, invités à passer un concours interne.
Le ministère du travail avait indiqué que cette réforme n'aurait pas pour effet de réduire les effectifs de contrôle de l'inspection du travail. Les données de la direction générale du travail tendent à relativiser cette analyse : on constate en effet une diminution de près de 5 % du nombre d'agents de contrôle entre 2016 et 2018, qui passe de 2 459 à 2 347. Cette baisse reste très relative puisque les effectifs augmentent par rapport à 2013 avec 2 224 agents de contrôle et à 2012 avec 2 211 agents de contrôle. Elle a néanmoins pour conséquence un relèvement du nombre de salariés par agent de contrôle. Celui-ci atteignait 9 070 salariés par agent de contrôle en 2017. Le ministère du travail fixe désormais un objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle à l'horizon 2022.
Ce taux placerait la France au-delà de la moyenne constatée en Europe. L'OIT ne fixe pas, cependant, de norme en la matière. Insistons d'ailleurs sur un point : il n'existe pas aujourd'hui de réclamation ou de plainte à l'OIT concernant l'inspection du travail française. L'OIT n'a, par ailleurs, jamais relevé, à ce jour, de « non-conformité » à la convention. À l'inverse, l'inspection du travail française constitue, même aux yeux de l'OIT, une référence pour le modèle d'inspection du travail dite « généraliste ».
Je n'ai pour ma part pas d'inquiétude sur la baisse du nombre d'agents de contrôle. Ce d'autant plus que l'ensemble de ces réformes vise à permettre à l'inspection du travail d'être plus efficace et de répondre à de nouveaux enjeux en matière de protection des salariés. Il s'agit ainsi de mieux répondre à l'évolution même de l'organisation des entreprises. L'éloignement du centre de décision du lieu où s'effectue la prestation de travail induit une nouvelle approche de l'action de l'inspection du travail, qui doit désormais mieux fonctionner en réseau et faciliter la coordination des sections.
Des priorités sont, par ailleurs, assignées à l'inspection du travail. Elles sont au nombre de quatre en 2019 : la lutte contre la fraude au détachement de travailleurs, le combat contre le travail illégal, l'action en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et la promotion de la sécurité et de la santé au travail.
C'est dans ce contexte que notre rapport formule une série de recommandations s'articulant autour de trois axes : adapter l'organisation de l'inspection du travail, afin, notamment, de tenir compte des disparités régionales, développer une véritable gestion des ressources humaines et mettre en oeuvre une véritable méthode de travail afin de rendre efficientes ces réformes.
Mais je vais désormais laisser la parole à Sophie Taillé-Polian pour vous détailler nos observations.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Nous avons mené je crois un travail approfondi pour comprendre la réalité du travail des inspecteurs au regard des réformes de ces dernières années. Nos avis divergent sur l'orientation qui doit être prise en termes de nombre de postes. L'objectif assumé du ministère du travail est de les baisser mais je ne le partage pas, car je considère que la protection des salariés au regard des conditions de travail nécessite une présence de l'inspection du travail plus forte sur certains territoires.
Nous avons cependant développé seize recommandations communes autour de ces trois axes.
Le premier axe de travail concerne l'organisation de l'inspection du travail.
Sans remettre en cause le bien-fondé de la revalorisation des tâches opérée, nous sommes d'accord pour constater que la requalification des contrôleurs du travail en inspecteurs du travail a pu contribuer à une certaine désorganisation des services d'inspection durant les périodes de formation des futurs inspecteurs.
C'est particulièrement le cas dans les services de renseignements. Avant la réforme « Ministère fort », le service des renseignements était principalement assumé par des contrôleurs du travail, ayant bénéficié d'une formation initiale importante en droit du travail. La requalification a conduit à privilégier le recrutement de secrétaires administratifs (catégorie B de la fonction publique) pour assurer le service public de renseignement, sans pour autant qu'ils ne soient réellement formés. La fonction de filtre du service de renseignement n'est aujourd'hui plus aussi optimale et peut conduire à alourdir la charge des inspecteurs du travail. Rappelons que 842 000 demandes de renseignement en droit du travail ont été traitées en 2018, dont les deux tiers par téléphone.
Nous relevons par ailleurs, que le nombre de chargés de renseignements est en baisse constante depuis 2009. Or, l'expérience du service de renseignements doit abonder le projet de code du travail numérique porté par le ministère du travail en cernant les attentes des salariés et les questions récurrentes. Nous avons d'ailleurs, au cours de certaines auditions, pu remarquer qu'il arrivait, à certains endroits ou à certains moments, que le service de renseignements ne soit pas assuré. Nous souhaitons donc que soient renforcés les services de renseignements en développant la formation des agents qui y sont affectés.
Nous nous interrogeons également sur les vacances de poste constatées au sein de l'inspection du travail.
Il existe aujourd'hui 215 postes non pourvus au sein du corps de l'inspection du travail, dont 136 en section d'inspection. Le cas de la DIRECCTE Île-de-France est éloquent. La région dispose de 423 sections d'inspection. Pour occuper celles-ci, la DIRECCTE ne peut s'appuyer que sur 358 agents de contrôle, soit un taux d'occupation de moins de 85 %. Il convient de relever que sont comptabilisés parmi les 358 agents de contrôle, les inspecteurs du travail actuellement en formation. Compte-tenu des vacances de poste, la région Île-de-France dépasse largement l'objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle défendu par le ministère. Elle atteint, en effet, 11 347 salariés par agent de contrôle. Dans ces conditions, nous souhaitons que soit repensée l'organisation territoriale de l'inspection du travail afin d'équilibrer la charge pesant sur les sections. L'objectif national de 10 000 salariés par agent de contrôle doit tenir compte des disparités territoriales et les lauréats du concours doivent être, en priorité, affectés dans les sections vacantes. D'ailleurs ces disparités peuvent recouvrer deux types de situations. Il y a la France des métropoles où il existe un tissu économique très dense et donc beaucoup de sièges sociaux, ce qui implique pour les inspecteurs du travail des tâches administratives supplémentaires. Mais aussi, les territoires ruraux, où l'on constate parfois que des sections entières sont vacantes.
S'agissant des missions de l'inspection du travail, nous souhaitons que l'accent mis sur les priorités nationales soit accompagné de moyens tant matériels que juridiques. La Cour des comptes a relevé en février dernier que les corps de contrôle ne disposaient pas encore totalement des outils leur permettant de cibler leurs recherches et de partager les fichiers pertinents. Elle note, par ailleurs, que les sanctions prononcées au niveau pénal sont peu nombreuses et peu dissuasives.
Nous partageons ce constat. L'absence de suites juridiques fragilise clairement la qualité des contrôles, leur efficacité et donc l'implication des agents de contrôle. Par-delà, elle remet en cause les intentions des promoteurs des réformes entreprises depuis près de dix ans. Elle peut également éclairer le malaise social constaté au sein du service de l'inspection du travail. Un rapprochement du service de l'inspection du travail avec les parquets afin de garantir un suivi de son action nous paraît donc indispensable.
S'agissant des moyens, nous serons particulièrement vigilants quant à l'application de la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale. Celle-ci ne saurait déboucher sur une mutualisation des moyens au sein des nouvelles unités départementales au détriment de l'action des inspecteurs du travail.
Le cas du parc automobile de l'inspection du travail est notamment crucial. Il ne saurait être mis en commun avec celui des autres services économiques et sociaux rassemblés sous l'autorité du préfet de département, sous peine de brider la capacité d'intervention des agents de contrôle. Le ministère du travail nous a assuré que des mesures seraient prises en ce sens et nous y serons attentifs. Il nous semblerait d'ailleurs opportun d'associer les agents de contrôle à la mise en place de cette nouvelle organisation territoriale
Dans un deuxième temps, nous avons souhaité insister sur la mise en place d'une véritable gestion des ressources humaines. La réforme « Ministère fort », en fusionnant les corps d'inspecteurs et de contrôleurs du travail n'a pas réglé, loin s'en faut, la question du déroulement des carrières. Rappelons que 2019 correspond à la dernière année du plan de requalification. Or, la question des contrôleurs ne souhaitant pas devenir inspecteur du travail ou ne réussissant pas l'examen est désormais posée. 400 contrôleurs seraient encore dans les effectifs en 2022 sur la base des départs prévisibles. Une négociation sur l'avenir des contrôleurs a été engagée par la direction des ressources humaines sans qu'aucune des pistes envisagées qu'il s'agisse de la promotion du reliquat, de la poursuite du plan de transformation de l'emploi ou de l'évolution vers la carrière administrative n'aboutisse réellement.
Il existe un risque de susciter une forme de démotivation chez les agents concernés et, par conséquent, un affaiblissement de l'activité de contrôle. Nous souhaitons donc que soient rapidement trouvées des solutions pragmatiques pour maintenir l'implication des contrôleurs du travail au sein du service de l'inspection du travail et mettre en place un plan d'accompagnement de l'extinction de cette catégorie d'emploi.
Le plan de requalification n'a, par ailleurs, réglé en rien la question de la crise des vocations au sein de l'inspection du travail. La DGT nous a confirmé la baisse d'attractivité du concours d'inspecteur. Cette crise des vocations s'inscrit, par ailleurs, dans un contexte marqué par l'extinction progressive du corps des contrôleurs du travail, qui représentaient jusqu'alors un vivier important de recrutement. 934 personnes étaient ainsi inscrites au concours externe 2019 d'inspecteur du travail pour 39 postes ouverts contre 2 129 en 2013 là encore pour 39 postes ouverts. Nous ne voudrions pas assister à un affaiblissement des qualifications des futurs inspecteurs, d'où l'importance de retravailler sur l'attractivité de ce métier. Nous notons, en outre, que 20 % environ des inspecteurs du travail sont affectés en dehors du pôle travail des DIRECCTE, essentiellement au sein du pôle Entreprises, Emploi et Économie (pôle 3E), sur des fonctions « emploi » et « formation professionnelle ». De son côté, l'IGAS avait relevé en 2016 la faiblesse des fonctions « ressources humaines » au sein des DIRECCTE, ce qui fragilise notamment la détection des potentiels.
Nous souhaitons que soit rapidement mise en place une véritable réponse à cette crise des vocations, en valorisant la carrière, en ouvrant son recrutement et en dotant l'Institut national du travail de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), en charge de cette formation, de moyens suffisants pour la formation continue des agents.
Un audit interne est actuellement en cours, nous souhaitons qu'il débouche rapidement sur des solutions. La valorisation de la carrière ne doit pas, dans le même temps, occulter la nécessité de combler des postes, dans les départements ruraux notamment. Il apparaît indispensable que les lauréats du concours de l'inspection du travail soient affectés prioritairement dans les territoires où sont constatées des vacances de postes.
Enfin, nous avons été très marqués au cours de nos auditions par le climat de défiance entre le ministère du travail et l'inspection du travail. Il existe un malaise social évident, qui se retrouve dans le refus de certains inspecteurs et contrôleurs d'utiliser les outils informatiques pour renseigner leur activité, afin de protester contre des réformes menées, d'après eux, sans concertation.
Ces difficultés s'inscrivent de surcroît dans un contexte marqué par une série de suicides et tentatives de suicides qui ont affecté l'inspection du travail. Depuis 2017, cinq suicides et 10 tentatives sont à déplorer. Nous estimons que toute nouvelle réforme doit nécessairement être accompagnée d'un effort d'association des agents de contrôle de la part de la direction générale du travail afin de restaurer un dialogue social constructif. Il s'agit également de rassurer des agents de contrôle qui peuvent sembler pris dans des injonctions paradoxales entre la nécessaire atteinte des objectifs nationaux et la réduction constatée des effectifs. Nous avons relevé les grandes difficultés des inspecteurs du travail pour exercer leurs missions sur le territoire et dans les entreprises, parfois même d'ordre physique. Le ministère doit davantage les entendre.
Venons-en à notre troisième axe de réflexion. Les auditions que nous avons pu mener et la participation à une mission de contrôle ont enfin permis de mettre en lumière des problèmes de méthode, qui obèrent directement la pertinence des réformes menées.
Deux problèmes ont été soulignés lors de nos entretiens. Le premier concerne l'absence de méthodologie s'agissant de la mise en oeuvre de la réforme « Ministère fort », censée déboucher sur un renforcement des contrôles en équipe et la mise en place de plans d'actions au niveau local.
Plus problématique encore, la fixation d'objectifs chiffrés n'est pas sans susciter des interrogations. Celle-ci ne doit pas déboucher sur une vision quantitative de l'activité de l'inspection du travail. Nous avons ainsi pris connaissance d'une note de la direction générale du travail assimilant une visite d'inspection sans acte de contrôle à une intervention, quand bien même celle-ci ne débouche pas sur le constat d'une quelconque infraction.
Il ne faudrait pas, par ailleurs, que ces indicateurs empêchent les inspecteurs du travail d'exercer leur droit et leur devoir d'initiative.
La remontée de ces chiffres passe, en outre, par l'utilisation d'un logiciel, Wiki'T, qui peine à trouver sa vitesse de croisière. Un rapport remis au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du ministère du travail en septembre 2015, soit un mois avant sa mise en service, faisait déjà état d'importants problèmes d'ergonomie. Cet outil est considéré comme complexe et peu intuitif par une large partie des agents de contrôle.
Son déploiement n'aurait, par ailleurs, pas été accompagné d'une formation adaptée. En dépit d'une amélioration du logiciel en 2017, il persiste ainsi une sous-utilisation estimée à 40 %. De nouveaux développements de l'application devraient intervenir dans les prochains mois d'après la direction générale du travail, le dispositif devant être pleinement opérationnel à l'horizon 2022.
Au regard de ces éléments, nous nous interrogeons sur l'efficacité de la dépense publique. La mise en place du logiciel avait déjà été marquée par d'importants retards. Le projet est ainsi passé d'une durée prévisionnelle de réalisation de 36 mois à 60 mois pour un coût de 12,4 millions d'euros.
Nous souhaitons aujourd'hui que ces évolutions permettent une utilisation plus aisée du logiciel afin que celui-ci éclaire au mieux la réalité de l'activité de l'inspection du travail. Un véritable mode d'emploi du logiciel doit par ailleurs être proposé afin qu'il reflète le plus fidèlement possible la réalité de l'activité de contrôle.
Plus largement, nous nous interrogeons sur les changements réguliers d'indicateurs de performance concernant l'inspection du travail dans les documents budgétaires transmis au Parlement. Ces indicateurs ne sont d'ailleurs pas renseignés dans le rapport annuel de performances pour 2018. Dans ces conditions, nous préconisons leur suppression. Ils ne sont pas suffisants pour mesurer la performance de l'inspection du travail.
Nous rappelons ainsi que l'exploitation statistique des interventions ne doit pas se faire au détriment d'un travail de prévention, forcément moins visible. Il s'agit aussi de valoriser l'activité de conseil de l'inspection du travail auprès des entreprises.
Pour conclure, je rappellerai, comme l'a indiqué Emmanuel Capus, que l'OIT considère l'inspection du travail française comme un modèle à suivre et, j'ajoute, à conserver. Nos recommandations visent à permettre à ce corps de garder cette image tout en facilitant son adaptation aux nouveaux enjeux du droit du travail et de la protection des salariés
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Vous parlez d'outils informatiques peu ergonomiques... Est-ce qu'un inspecteur du travail qui se rend sur un chantier, où les personnels sont assez mouvants, a les moyens de savoir si les salariés sont déclarés, par exemple via une application ? Parfois les outils paraissent désuets.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Ils ont des moyens de contrôle auprès des entreprises, et la possibilité de demander aux personnes sur place de décliner leur identité avec demande de documents à l'appui. Nous avons assisté à des contrôles de ce type, lorsque nous avons accompagné une équipe d'inspecteurs à l'occasion d'une mission de contrôle sur le site d'un festival de musique en région parisienne.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Mais un salarié n'aura pas forcément ces documents sur lui...
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Il y a pour cela la carte BTP... On a même vu une entreprise ayant donné à chacun de ses salariés un bordereau attestant du caractère déclaré de leur travail.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cela paraît un peu désuet... Ma question portait sur le point de savoir si les inspecteurs ne disposaient pas d'une application informatique pour procéder à ces vérifications. En France, nous sommes souvent très en retard sur ces sujets.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Non les inspecteurs du travail n'ont pas les moyens de vérifier l'authenticité de ces documents in situ.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Quoique les inspecteurs n'aient pas toujours les moyens de procéder aux vérifications nécessaires, on constate d'expérience qu'en face de l'autorité de la figure de l'inspecteur du travail, les personnes interrogées font preuve de bonne foi.
M. Éric Bocquet. - Concernant les travailleurs détachés, la législation a évolué. Il y a des avancées réelles, notamment sur la responsabilité des donneurs d'ordres. Les effectifs de l'inspection du travail sont certes revenus à leur niveau de 2012, mais dans le même temps on est passé de trois cent mille à cinq cent mille détachement déclarés, auxquels s'ajoutent tous ceux non déclarés. Ces avancées posent toutefois la question des moyens, notamment pour le contrôle des détachements de courte durée, la durée moyenne étant je crois de quarante-sept jours en France.
M. Philippe Dallier. - Ma question porte également sur les moyens. Dispose-t-on d'un tableau avec la répartition des agents par région ou par département ? Il semble qu'il y ait de fortes disparités territoriales. En outre, a-t-on des points de comparaisons européens en termes d'effectifs par rapport au seuil de 10 000 salariés par agent ?
Mme Sylvie Vermeillet. - J'aimerais savoir quelle est l'évolution de la charge de travail des inspecteurs. S'alourdit-t-elle ? Peut-on également caractériser la nature des demandes et des plaintes ? Ont-elles pour effet de transformer la nature du métier d'inspecteur du travail ?
M. Patrice Joly. - Merci pour cette présentation très intéressante. Dans la continuité de la précédente question, avez-vous connaissance de l'évolution du nombre des infractions, de leur nature, ainsi que de la part du travail illégal parmi celles-ci ? Peut-on par ailleurs constater un lien entre les effectifs sur un territoire donné et l'activité relevée ? Enfin, qu'en est-il de l'analyse des données ? Y a-t-il un travail des données numériques s'appuyant sur des process d'intelligence artificielle, ou bien des pistes de réflexion en ce sens ?
M. Marc Laménie. - Merci à nos deux collègues d'avoir abordé ce sujet, que l'on connaît mal. J'aurais quelques interrogations sur le domaine d'intervention des inspecteurs du travail. Interviennent-ils dans nos trois fonctions publiques ?
Avec certains collègues, notamment Alain Milon, nous avons pu travailler il y a quelques années sur la question du mal-être au travail. Ce sujet semble déterminant pour expliquer la perte d'attractivité du métier d'inspecteurs du travail, leurs missions étant difficiles à tout point de vue.
M. Jean-Claude Requier. - Merci pour ce très bon rapport, nous connaissons en effet mal l'inspection du travail. Nous faisons face à des visions très positives ou à l'inverse, très négatives sur celle-ci, la vérité se trouvant sans doute entre les deux. C'est vrai que la mission des inspecteurs est très difficile.
La transformation des postes de contrôleurs en postes d'inspecteurs avait été initiée par Michel Sapin, et reprise par François Rebsamen. Comment expliquez-vous la transformation du poste de contrôleur en inspecteur ? Cela vise-t-il à améliorer les carrières internes ?
M. Michel Canévet. - Je félicite les rapporteurs spéciaux pour leur travail. Les chefs d'entreprises ont en effet une appréhension controversée du travail des inspecteurs du travail. Ils appellent à un meilleur contrôle du travail détaché mais ont parfois le sentiment d'être « harcelés » par les inspecteurs.
Je suis intéressé également par la question de la répartition territoriale. Certaines régions sont-elles particulièrement en tension ? En outre, quels sont les principaux secteurs faisant l'objet d'observations particulières, hormis le BTP ?
Les inspecteurs du travail ont-ils accès à la base des déclarations sociales nominatives ? Il semble en effet difficile de travailler sans être doté d'un minimum d'outil d'aide à la décision. On ne voit pas pourquoi le ministère du travail serait en retard sur ce sujet...
M. Thierry Carcenac. - Merci pour ce rapport. Dans un autre secteur, celui des contrôles fiscaux, nous avons constaté de fortes disparités territoriales quant aux moyens consacrés. La difficulté est donc de parvenir à une meilleure répartition.
J'aimerais aborder deux autres sujets.
D'abord, quelles sont les relations de coordination de l'inspection du travail avec l'administration des douanes ou avec la DGCCRF ?
Ensuite, vous avez évoqué la circulaire de juin 2019 sur la restructuration de l'organisation au niveau départemental. Quelle seront les incidences de cette évolution pour ce qui concerne l'indépendance vis-à-vis du préfet ? Cela n'aura-t-il pas en outre pour effet de supprimer des agents ?
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Sur la question de Philippe Dallier, nous avons un tableau de répartition par région en page 20 de notre rapport. Une zone comme celle de Paris, qui compte de nombreux sièges sociaux et donc de nombreux salariés, est par exemple en déficit d'inspecteurs du travail. Dans certains territoires ruraux, la difficulté consiste à trouver suffisamment d'inspecteurs acceptant d'y travailler.
Concernant les moyens européens, les informations figurent à la page 32 de notre rapport. En dépassant les 10 000 salariés, nous serions au-dessus de la moyenne européenne. Des pays comme la Bulgarie, la Finlande, le Luxembourg, la Pologne, la Roumanie comptent entre 7 000 et 8 000 salariés par inspecteur. La France est jusqu'à maintenant au niveau de l'Espagne, de la Grèce et de la Slovénie, entre 8 500 et 9 500, tandis que le Portugal et la Belgique atteignent 11 900 à 19 000 salariés par inspecteur.
Cela répond aussi à la question de Michel Canévet.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Pour compléter, il faut, au-delà des indicateurs, se montrer attentif à la réalité des territoires. La présence de nombreux sièges sociaux en Île-de-France, impliquant des tâches d'autorité administratives s'avérant particulièrement chronophages. Se pose également la question, dans les territoires ruraux, du nombre de kilomètres que les inspecteurs doivent parcourir pour effectuer leur travail. Ainsi, si ratio il doit y avoir, celui-ci ne saurait constituer une ligne de conduite ferme.
En tout état de cause, on assiste en France à une diminution de ce ratio, alors même que le droit du travail se complexifie, que les questions de santé au travail et de prévention sont de plus en plus prégnantes, et que l'inspection du travail se voit confier de nouvelles missions, concernant par exemple l'égalité femmes-hommes.
Les comparaisons européennes sont en outre délicates dans la mesure où le périmètre des missions peut différer d'un pays à l'autre. Les inspecteurs du travail français se voient confier un nombre relativement important de missions.
J'enchaîne sur la question du nombre d'infractions constatées. À cause de ce logiciel qui n'est techniquement pas à la hauteur et est en outre souvent mal renseigné, nous avons du mal à obtenir des statistiques fiables et donc à suivre l'évolution du nombre des infractions. La nature des problèmes, depuis plusieurs années, est la même, la problématique spécifique du travail détaché mise à part.
S'agissant des objectifs du ministère, vous trouverez des éléments chiffrés page 25 de notre rapport. Se pose cependant la question de la capacité à répondre aux injonctions du ministère sur ces priorités.
En ce qui concerne la circulaire du 12 juin 2019, les inspecteurs du travail ne relèvent que de l'autorité du ministère du travail au niveau national et non des préfets ou de pouvoirs locaux, ce qui pourrait en théorie induire des biais dans la conduite de leur travail et affecter leur indépendance.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Pour compléter sur la répartition territoriale des types d'infractions, il existe des indicateurs mais ceux-ci sont mal renseignés. On observe au sein l'inspection du travail une forme de culture « anti-hiérarchie » : le fait pour les inspecteurs de devoir remplir des indicateurs est parfois vécu comme une perte d'indépendance. Nous disposons tout de même de données. Celles-ci indiquent que le nombre de procès-verbaux ont concerné le travail détaché s'est élevé à 163 en 2016 et à 166 en 2017 et en 2018, soit une certaine stabilité sur les dernières années.
Sur l'évolution des tâches menées par les inspecteurs, une bonne partie, estimée entre 35 % et 50 % varie selon les priorités du moment. Aujourd'hui, les priorités sont la lutte contre les inégalités hommes-femmes, la lutte contre le travail détaché et le travail illégal et la promotion de la santé et de la sécurité au travail, notamment concernant les risques de chutes en hauteur.
Je partage le constat selon lequel la profession d'inspecteur du travail est difficile. Dans le cadre du contrôle mené dans le secteur de l'évènementiel auquel nous avons pu assister, nous avons pu constater que les salariés, par ailleurs soumis à une pression énorme, recevaient très mal les inspecteurs du travail. Ce climat peut contribuer à expliquer les suicides à déplorer parmi les inspecteurs du travail.
Malgré ces difficultés, on peut néanmoins saluer un vrai professionnalisme des inspecteurs du travail. Leurs profils sont en outre extrêmement variés : nous avons par exemple rencontré, lors de cette mission de contrôle, un ancien sous-marinier, un ancien délégué syndical...
Le corps des contrôleurs a été supprimé car ces derniers sont venus à accomplir quasiment les mêmes missions que les inspecteurs selon la taille des entreprises contrôlées, ce qui constituait une spécificité française. Cette réforme a eu un coût puisque les contrôleurs étaient des fonctionnaires de catégorie B tandis que les inspecteurs sont des agents de catégorie A. L'inconvénient de cette mesure réside dans le fait que les contrôleurs remplissaient la tâche de renseignement juridique auprès des entreprises ou des salariés. Aujourd'hui, cette tâche incombe aux secrétaires administratifs, qui ne sont pas spécialistes du droit du travail, ce qui pose d'autant plus problème que celui-ci s'est complexifié ces dernières années.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Concernant la coordination, nous avons appris qu'un travail conjoint était par exemple mené avec l'administration des douanes sur les aéroports.
Je voudrais ajouter que la conclusion de la Cour des comptes était effectivement qu'une meilleure interconnexion entre les bases de données était nécessaire.
Sur la suppression des contrôleurs du travail, j'ajoute que celle-ci visait également à créer des collectifs de travail pour insuffler un esprit d'équipe au sein des services de l'inspection du travail. Cela est louable, mais entraîne des risques de déstabilisation si cela provoque des suppressions de postes et une hausse de la quantité de travail des agents.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - S'agissant de la circulaire du 12 juin 2019, on nous a expliqué que la ligne hiérarchique actuelle ne changerait pas. L'inspection du travail conserverait ainsi son indépendance vis-à-vis du préfet.
M. Marc Laménie. - Et sur le champ d'action de l'inspection du travail ? Nos fonctions publiques sont-elles concernées ?
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Oui, mais s'agissant des trois fonctions publiques, l'inspection du travail est uniquement compétente concernant les conditions de travail.
La commission autorise la publication de la communication de M. Emmanuel Capus et de Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteurs spéciaux, sous la forme d'un rapport d'information.
Désignation d'un rapporteur
M. Jean Pierre Vogel est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 710 (2018-2019) visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle, présentée par MM. Patrick Kanner, Thierry Carcenac, Claude Raynal, Vincent Éblé et plusieurs de leurs collègues.
La réunion est close à 12 heures.