- Jeudi 14 novembre 2019
- Compte rendu, par Mme Élisabeth Lamure, du déplacement de la délégation à Citéco, la Cité de l'économie à Paris, le 16 octobre 2019
- Compte rendu, par Mme Pascale Gruny, du déplacement de la délégation dans l'Aisne, le 24 octobre 2019
- Communication de Mme Élisabeth Lamure sur le cycle d'auditions conjointes de la délégation aux entreprises et du groupe d'étude sur le numérique sur le thème : « Comment garantir l'accès des PME à des réseaux et services numériques efficients ? » et adoption du rapport publiant les comptes rendus de ces auditions
- Communication de Mme Élisabeth Lamure sur les principales dispositions du projet de loi de finances pour 2020 intéressant les entreprises et examen éventuel d'amendements à ce texte
- Questions diverses
Jeudi 14 novembre 2019
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la Délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 8 heures 30.
Compte rendu, par Mme Élisabeth Lamure, du déplacement de la délégation à Citéco, la Cité de l'économie à Paris, le 16 octobre 2019
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, mercredi 16 octobre dernier, 14 membres de notre Délégation se sont rendus à « Citéco », la Cité de l'Économie, fraîchement inauguré en juin dernier, a été installé dans le 17ème arrondissement, dans un lieu chargé d'histoire : l'ancien hôtel Gaillard. Construit à la fin du 19ème siècle par un banquier dans un style néo-Renaissance, cet hôtel particulier a ensuite été acquis par la Banque de France pour abriter sa succursale de Paris-Malesherbes, comme en témoigne l'imposante salle des coffres située au bout d'un couloir rétractable, entouré de douves, et qui abrite aujourd'hui la salle des trésors numismatiques.
Après sa fermeture en 2006, un projet de réhabilitation a été mené par la Banque de France afin de donner une nouvelle vie à ce lieu. Après 6 ans de travaux de rénovation et d'installation, est née la Cité de l'Économie. Il s'agit du premier et unique musée européen consacré à l'économie, avec une approche à la fois pédagogique, interactive et ludique.
Citéco concrétise la stratégie d'innovation menée par la Banque de France et le ministère de l'Économie et des Finances, à la suite d'une demande de l'OCDE. Selon cette dernière, les Français présenteraient des lacunes dans le domaine la connaissance de l'économie. Or, une sensibilisation de la population à ce sujet entraînerait une plus grande stabilité et une meilleure compréhension des enjeux économiques.
Selon les termes même de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et Président de Citéco : ce musée est destiné « à réconcilier les Français avec l'économie et les aider à mieux appréhender leur quotidien. En comprenant les mécanismes de l'économie, nous devenons de meilleurs acteurs de notre propre développement et nous pouvons mieux agir en citoyens éclairés dans nos choix ». Je crois que nous en sommes tous convaincus ! C'est pourquoi nous pouvons nous réjouir de ce projet culturel, qui a vocation à accueillir des personnes de tous les âges et de tous les horizons, même si les jeunes sont sans doute sa cible privilégiée. Le musée a déjà accueilli plus de 20 000 visiteurs depuis son ouverture. Ce sont principalement des jeunes, du niveau lycée au niveau BAC+3. La Cité de l'Économie est ouverte plus de 350 jours par an et dispose d'un partenariat avec l'Éducation Nationale qui lui permettra d'accueillir plus de 1 000 groupes scolaires par an. Pour compléter la visite, son site internet propose des outils permettant d'approfondir les connaissances acquises. Cet établissement utilise le jeu et le numérique pour faire acquérir les fondamentaux de l'économie à tous les publics. La découverte du monde de l'économie et la compréhension de son fonctionnement sont en effet facilités par des jeux de simulations innovants, des vidéos explicatives et des outils interactifs particulièrement ludiques.
La Cité de l'Économie s'articule en 6 secteurs qui reprennent les thèmes majeurs des sciences économiques et permettent un enseignement complet, synthétique et ludique de la matière. Ces thèmes concernent : les échanges, le commerce mondial, les acteurs de l'économie, les marchés, les instabilités et la régulation. À chacun de ces thèmes correspondent des salles thématiques, auxquelles s'ajoute une salle dédiée aux trésors numismatiques.
Ce musée s'inscrit également dans une démarche d'objectivité scientifique car, nous la savons tous, l'unanimité est rarement atteinte entre économistes. Citéco a ainsi un Conseil scientifique chargé de vérifier la rigueur économique des explications proposées par le musée. Les retours à ce sujet sont pour l'heure majoritairement positifs, avec uniquement deux articles de presse critiques sur les 300 dont Citéco a fait l'objet.
Nous nous sommes prêtés au jeu et avons donc pu revoir nos fondamentaux en science économique lors de cette visite. Dans la première salle, dédiée aux échanges, nous avons pu revenir entre autres sur la nécessité économique des échanges, illustrée par le « test du grille-pain », qui démontre combien il est difficile et coûteux de réaliser soi-même toutes les étapes nécessaires à la fabrication d'un objet du quotidien aussi simple quand il est possible, par le jeu des échanges, de l'acheter pour une somme modique, puis sur le paradoxe de la valeur mis en avant par Adam Smith (la valeur d'un verre d'eau dans le désert comparée à celle d'un diamant) ou encore sur les origines de la monnaie. Dans la salle suivante, dédiée au commerce mondial, nous avons pu observer un artefact de scanner qui déconstruit la provenance des matériaux dont sont composés des objets du quotidien, comme un yaourt, un airbus ou un jean. Il s'agit d'illustrer que les étapes de conception, fabrication, assemblage, production et distribution de ces objets font appel à des chaînes de valeur au niveau mondial. Dans la salle dédiée aux acteurs de l'économie, le visiteur du musée peut se mettre à la place d'un ménage, d'une banque, d'une entreprise ou de l'État de manière ludique et instructive. Puis on peut découvrir les logiques de l'offre, de la demande et de la concurrence dans la salle dédiée à l'économie de marché. Les salles sur l'instabilité et la régulation reviennent, quant à elles, sur l'histoire et les conséquences des crises économiques, ainsi que sur différents types de régulation économique (régulation nationale, partage de compétences au niveau de l'Union européenne, maîtrise de l'inflation et des taux directeurs, etc.).
Nous n'avons malheureusement pas eu le temps de découvrir l'exposition temporaire, intitulée « Écosystèmes », qui fait le lien entre économie et écologie, un thème vraiment d'actualité, et correspondant en partie à nos travaux sur les entreprises responsables et engagées. On peut affirmer sans se tromper que nous avons été unanimement ravis de cette passionnante visite, qui nous a permis de découvrir ce lieu superbe !
Je ne peux que vous encourager à parler de cette découverte autour de vous, en particulier aux établissements de vos départements, pour pouvoir faire découvrir au plus grand nombre ce lieu si instructif. C'est aussi un lieu d'échanges, où sont organisés des conférences, débats et évènements. Et nous réfléchissons à l'élaboration d'un partenariat entre Citéco et le Sénat.
Mme Pascale Gruny, sénateur. - C'est un lieu qui donne envie d'y retourner. Je précise que les enseignants peuvent avoir accès au site internet pour enseigner l'économie avec des outils pédagogiques innovants. C'est une excellente initiative car le musée, étant situé à Paris, peut être difficile d'accès pour les établissements situés en région.
M. Daniel Laurent, sénateur. - Citéco a-t-il vocation à accueillir des entreprises ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le musée s'adresse à tout public et principalement aux lycéens en raison de sa démarche pédagogique. Cependant, il organise également des évènements et des conférences auxquelles les entreprises peuvent participer. Il est par ailleurs possible de privatiser des espaces.
M. Gilbert Bouchet, sénateur. - Comment sont financés les frais de fonctionnement de ce musée, qui doivent être élevés ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Citéco ne devrait pas connaître trop de problèmes à ce sujet. C'est une valorisation magnifique par la Banque de France d'un bâtiment superbe, une démarche pédagogique inédite qui a rencontré un succès immédiat avec plus de 20 000 visiteurs pour les trois premiers mois, que ce soit le grand public ou les scolaires.
M. Guy-Dominique Kennel, sénateur. - Je connais bien le directeur de Citéco, qui a travaillé dans une institution culturelle du département du Bas-Rhin. Il bénéficie désormais de moyens financiers importants, disposant de sept ans pour atteindre l'équilibre de fonctionnement. Entretemps, Citéco est financé par la Banque de France, qui ne manque pas de ressources. Si sa pédagogie est orientée vers les lycéens, ses salles et ateliers interactifs et ludiques s'adressent également aux adultes et proposent beaucoup de fond.
Compte rendu, par Mme Pascale Gruny, du déplacement de la délégation dans l'Aisne, le 24 octobre 2019
Mme Pascale Gruny, sénateur. - Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse que la Délégation aux entreprises ait accepté mon invitation dans le département de l'Aisne pour découvrir son dynamisme économique souvent méconnu puisqu'il fait partie des cinq départements les plus pauvres de France. Cependant, les entrepreneurs du département débordent d'idées et font preuve d'une grande vitalité. Je remercie particulièrement notre présidente, Élisabeth Lamure, ainsi que nos collègues qui nous ont accompagnées : Guillaume Arnell, Michel Canevet, Catherine Fournier, Jacques Le Nay et Jackie Pierre.
Nous avions un programme dense pour ce déplacement : trois visites d'entreprises - le Groupe Drekan dans sa nouvelle usine de Beautor, la société Clarilog et la société Côte SAS - ainsi qu'une table ronde avec des entrepreneurs du département à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Aisne.
Nous avons donc débuté par le site de Beautor, dans l'ancienne usine du groupe sidérurgique NLMK, groupe Russe, récemment rachetée par le Groupe Drekan. Cette entreprise, employant 90 salariés et créée il y a près de 10 ans, est spécialisée dans les métiers de la machine tournante pour la conception, l'installation et la maintenance opérationnelle d'installations électromécaniques. Elle possède une dizaine de sites en France pour couvrir les besoins de l'ensemble du territoire national. Drekan a récemment effectué une levée de fonds de 4 millions d'euros afin d'accélérer son activité dans la maintenance et le reconditionnement d'éoliennes. Elle travaille également pour le nucléaire et l'hydraulique sur d'autres sites. Son charismatique dirigeant, M. Thibaut George, nous a fait part des difficultés rencontrées pour mener à bien cette acquisition. Il aura fallu à l'entreprise 3 années de recherche pour trouver le site idéal. L'usine de Beautor présente en effet de nombreux avantages. Au niveau géographique, elle occupe une place privilégiée pour accéder à des éoliennes en fin de vie situées au Nord de la France, en Allemagne et au Benelux. Le site dispose également d'accès directs aux réseaux ferroviaires et fluviaux. De plus, l'usine appartenait auparavant à une entreprise industrielle, et dispose donc de la superficie requise et d'une partie du matériel nécessaire pour mener à bien les activités du groupe.
L'objectif de Drekan est de rendre le site de Beautor opérationnel d'ici début 2020 et d'en faire, in fine, son nouveau siège social. Au total, les travaux de rénovation auront duré un peu plus de six mois, alors que trois années entières auraient été nécessaires pour construire intégralement une telle usine. L'entreprise pourra, à terme, fabriquer une centaine de machines par an, en étant un acteur important des marchés du neuf et de l'occasion.
M. George a regretté son isolement sur le marché des machines tournantes en France. Notre pays dispose pourtant du savoir-faire industriel pour être un acteur majeur dans ce secteur, qui est aujourd'hui inexploité, car il manque l'outil industriel pour mener les activités d'assemblage. Cette situation est d'autant plus regrettable que la France a longtemps été une puissance dans le secteur de l'énergie et que le marché des machines tournantes est vital pour l'ensemble de l'économie. En effet, sans elles, il n'y a pas de production électrique. Même si Drekan bénéficie d'un nombre de subventions essentielles à sa survie, son président dénonce une mauvaise répartition des aides, qui ne profitent pas assez à l'industrie française. Il ne peut pas se tourner vers des sous-traitants français car ceux-ci sont, tout simplement, inexistants. En quelques années d'existence, le groupe est devenu le leader français dans son secteur d'activité, ce qui témoigne bien de l'absence d'acteurs majeurs.
Le groupe Drekan est positionné sur le marché des éoliennes reconditionnées. Ses avantages sont nombreux : le prix est plus faible et le reconditionnement permet d'éviter de détruire des machines encore utilisables et de créer des emplois, cette activité nécessitant 4 000 heures de travail par machine. Enfin, ce processus inscrit Drekan dans une démarche d'économie circulaire, lui permettant d'agir en tant qu'entreprise socialement responsable.
L'exemple de la Côte d'Or illustre malheureusement l'absence des Français sur ce marché : en effet, il s'agit du premier parc éolien français et il est exclusivement composé d'éoliennes chinoises. L'entrepreneur a exprimé son avis sur le sujet, en déclarant « c'est une honte », et je pense que nous pouvons partager ce regret.
Par ailleurs, un point de droit nous a interpelés : il existerait aujourd'hui une interdiction européenne de percevoir des subventions sur des machines reconditionnées, ce qui empêcherait l'entreprise de se positionner sur le marché des éoliennes en France et l'obligerait à exporter sa production. L'étonnement du dirigeant était d'autant plus grand qu'un projet de loi concernant l'économie circulaire nous a récemment été soumis, à nous, parlementaires. Nous avons déjà commencé à examiner ce sujet afin de tenter d'y remédier le cas échéant. L'incohérence d'une telle règle, fragilisant nos entreprises sur un secteur déjà en tension, nous paraîtrait effectivement incompréhensible et nocive tant du point de vue environnemental qu'économique.
Enfin, Drekan est confronté aux mêmes difficultés de recrutement, mises en avant lors de la quasi-totalité de nos déplacements, que je mentionnerai rapidement. Le secteur industriel dispose d'une faible attractivité, liée notamment à une image erronée des métiers auprès des jeunes générations, alors qu'en réalité un nouveau modèle de l'entreprise se développe dans le monde de l'industrie. Les jeunes sont de plus en plus réticents au travail physique et à se conformer à des horaires particuliers. Enfin, la qualité de la formation dans l'électrotechnique se dégrade fortement et l'Éducation nationale continue de faire disparaître des BTS dans ces secteurs, alors qu'il existe une forte demande de main d'oeuvre de la part d'entreprises dynamiques. Ainsi, M. George nous a indiqué qu'il n'existait quasiment plus de formation en bobinage alors qu'il existe des emplois non pourvus dans ce métier.
Nous avons été impressionnés par le dynamisme et la détermination de ce chef d'entreprise, qui se bat chaque jour pour développer son entreprise dans un secteur difficile.
Après cette rencontre instructive, nous avons repris notre route en direction de Saint-Quentin, afin de prendre part à une table ronde avec une dizaine d'entrepreneurs de la région. Je vais énoncer brièvement l'ensemble des problématiques qui ont été évoquées. La complexité des démarches administratives continue de s'accroître chaque année. Ce problème est d'autant plus important pour les PME/TPE qui ont l'obligation de se diversifier pour demeurer compétitives. Cette diversification implique de nouvelles obligations administratives, souvent ingérables pour des entrepreneurs qui n'ont pas nécessairement la connaissance des textes de loi, ce qui les force à consacrer une part trop importante de leur temps de travail à des tâches très éloignées de leur coeur de métier.
Nous avons eu l'occasion de rencontrer un grand nombre d'entrepreneurs travaillant dans le secteur du numérique. La ville de Saint-Quentin, qui ne dispose pas de faculté de droit ou de médecine, a décidé de développer sa formation dans le numérique avec notamment l'INSSET, l'Institut supérieur des sciences et techniques, rattaché à l'université Jules Verne d'Amiens. C'est un institut universitaire consacré principalement aux métiers du numérique et à la logistique. De nombreux entrepreneurs ont signifié que c'est la présence même de cet établissement, et plus généralement de celle d'un pôle universitaire autour du numérique, qui les a motivés à s'installer à Saint-Quentin. Cependant, la relation entre les entreprises et les « centres de ressources » n'est pas assez systématique et manque de souplesse.
Au cours de la table ronde, nous avons également ressenti de la colère de la part de ces entrepreneurs, qui décrivent une sorte de fossé entre le monde des entreprises et celui de l'État, dont les représentants et l'Administration semblent trop éloignés de la réalité du terrain. La demande répétée du Gouvernement aux entreprises de « prendre leurs responsabilités » passe mal quand, dans la réalité, des entrepreneurs sacrifient tout pour sauver leurs entreprises, au point que certains finissent par se rendre malades ou jeter l'éponge. En réalité, le droit à l'erreur n'est souvent pas appliqué : un entrepreneur a évoqué un contrôle de l'URSSAF, ayant mobilisé un comptable pendant 6 semaines complètes pour vérifier l'ensemble des factures de restaurant de l'entreprise sur 5 ans, et débouchant finalement sur un redressement de 1 500 euros. Cette procédure a constitué une perte de temps considérable et inutile pour la société concernée : un « gâchis collectif » de l'avis du dirigeant concerné pour un gain ridicule pour les caisses de l'État.
Un autre entrepreneur nous a confié que, faisant face à de grandes difficultés avec son entreprise, il ne s'est pas attribué de salaire pendant 6 ans, afin de la sauver. Ainsi, près de 6 années de travail acharné ne seront pas prises en compte pour sa retraite. De manière plus globale, cet entrepreneur souhaiterait que l'État valorise davantage l'échec ; créer son entreprise n'est pas simple et le risque d'échouer est important. Ainsi, il suggère que Pôle Emploi valorise davantage le profil d'une personne ayant pris des risques pour sortir d'une situation de chômage, face aux personnes qui jouent la simplicité et se reposent sur la logique d'aide de notre système.
D'autres thèmes ont été mentionnés, comme les délais de paiement des services publics qui ont été qualifiés de « scandaleux », alors que pourtant nous avons déjà pointé ce sujet dans nos précédents travaux, ou les difficultés de transmission pour plus de 10 000 PME qui ne trouvent pas de repreneurs.
Les difficultés de recrutement continuent d'être rapportées par l'ensemble des entrepreneurs, mais l'on a pu noter des appréciations divergentes de l'action de Pôle Emploi. Face à la critique de certains, d'autres ont au contraire salué son action dans les Hauts-de-France, comme par exemple avec l'action de formation préalable au recrutement (AFPR).
Madame le Maire de Saint-Quentin, Frédérique Macarez, nous a rejoints pour nos visites de l'après-midi. La ville a décidé de s'engager pour redynamiser l'économie locale ayant souffert de la désindustrialisation, notamment dans le secteur du textile. La création d'un centre de formation spécialisé dans le numérique, avec un enseignement de qualité, est ainsi apparue comme l'un des axes de cette mobilisation de la mairie avec les autres collectivités territoriales. Cette décision a permis d'éviter la fuite de talents, l'apport d'une main d'oeuvre de qualité dans une zone en tension et, surtout, de faire revenir les entreprises. 90 % des jeunes finissant leur master ont déjà trouvé un CDI, et il existe une véritable synergie entre les collectivités territoriales et les entreprises, dont nous nous sommes réjouis.
Cette synergie a d'ailleurs été mise en évidence lors de la deuxième visite de la journée, dans les locaux de Clarilog. C'est est une entreprise en pleine croissance, qui développe des logiciels et assure la gestion du parc informatique d'entreprises et du Help Desk de plus de 1 000 clients, pour la plupart des entreprises de taille intermédiaire, françaises, belges, suisses ou canadiennes. Clarilog travaille également avec le secteur public. Nous avons rencontré son nouveau président, un entrepreneur dynamique et motivé. Son profil témoigne du succès des politiques de reconversion et d'accompagnement des PME. En effet, après avoir travaillé plusieurs années pour les principaux éditeurs de logiciels français, il a suivi la formation à la reprise d'entreprise du réseau CRA (cédants et repreneurs d'affaires). Il y a 3 ans, il est devenu président de Clarilog qu'il dirige désormais avec succès, en appliquant à cette PME les méthodes d'un grand groupe industriel et en axant son développement sur l'international. Il vante les bienfaits du crédit d'impôt innovation (CII) qui permet de donner une « bouffée d'oxygène » lors du lancement de l'activité, ainsi que le soutien de Bpifrance, qui donne une garantie indispensable pour obtenir des prêts de la part des banques.
Enfin, notre journée s'est terminée par la visite de l'entreprise Côte SAS, PME française de 300 employés basée initialement dans le Rhône, et disposant d'une antenne à Saint-Quentin où travaillent 30 collaborateurs. Côte est spécialisée dans la conception, le déploiement et le suivi technique de solutions d'installations électriques. Le directeur de l'agence de Saint-Quentin, qui nous a accueillis, s'est donné comme objectif de développer l'entreprise dans une région initialement peu propice à la prospérité économique, et de montrer qu'il existe un vrai potentiel dans le secteur de l'électronique à Saint-Quentin.
Le principal problème mis en avant par ce dirigeant tient, comme souvent, aux difficultés de recrutement, puisque 10 postes sont à pourvoir en 2020. En outre, la dégradation de la formation pour les électriciens constitue un vrai problème. En effet, on constate l'absence de plus en plus fréquente de formation pratique, jugée trop risquée par l'Éducation nationale. Or le risque est plus grand de ne pas former les techniciens à la pratique, car sur les chantiers, effectuer une opération de manière inadéquate constitue un danger encore plus grand. Cela représente un frein à la croissance économique de cette entreprise qui doit, pour compenser une formation lacunaire, former les jeunes pendant deux ou trois ans avant de les rendre opérationnels. Son dirigeant l'a exprimé clairement : « si aujourd'hui nous recrutons 100 personnes compétentes de plus, nous ferons demain 10 millions d'euros de chiffre d'affaire supplémentaire ».
L'entreprise a donc décidé de mener des politiques de recrutement innovantes. Sur les 300 employés de Côte, 30 sont en apprentissage. L'entreprise n'hésite pas à favoriser la féminisation des métiers dans un secteur demeurant très masculin et privilégie l'emploi des seniors, valorisant ainsi l'expérience. L'entrepreneur met l'accent sur le contact humain avec ses employés et tend à recruter des jeunes disposant davantage de motivation que de compétences, en compensant ce déficit par la formation interne.
Voilà, mes chers collègues, le résumé de notre déplacement. Deux sentiments contradictoires peuvent s'en dégager : d'un côté la découverte d'un territoire dynamique malgré un handicap économique de longue date ; de l'autre, l'impression d'un éternel gâchis lorsqu'on entend encore et toujours les mêmes témoignages des dirigeants qui rencontrent quotidiennement des obstacles dressés par une Administration insuffisamment encline à adopter une logique de conseil et de service aux entreprises, notamment aux plus petites.
Il nous faut absolument passer d'une Administration de défiance à une Administration de confiance et d'accompagnement ! Retenons, pour conclure sur une note positive, que l'Aisne peut s'enorgueillir d'être riche d'entrepreneurs formidables qui se battent pour créer de la valeur et de l'emploi, malgré les difficultés rencontrées. Je vous remercie.
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - L'Aisne est un exemple intéressant de reconversion d'un département qui a été très industriel. L'engagement très fort des collectivités locales à l'appui de cette reconversion a été souligné par les entreprises que nous avons visitées. Nous constatons chez les dirigeants les mêmes réactions face aux difficultés que dans les autres départements, mais accentuées. Certains chefs d'entreprises sont au bord du découragement. Il ne faut pas sous-estimer leur désarroi. Les taux de suicide chez les chefs d'entreprises seraient comparables à ceux enregistrés chez les agriculteurs. Ils sont en tension en permanence, avec une lourde charge administrative et des contrôles souvent aberrants, comme parfois ceux de l'URSSAF.
Ainsi, l'entreprise Côte a cité un contrôle URSSAF qui avait jugé que faire le plein d'essence, un vendredi, des véhicules utilisés le lundi par les salariés de l'entreprise qui ont besoin de se déplacer sur d'autres sites, emportait une présomption d'utilisation le week-end des véhicules de la société à des fins personnelles. Ils effectuent donc désormais leur plein le jeudi...
Chez Drekan, ce qui m'a frappée est la dénonciation de l'absence d'accompagnement des banques. Lorsqu'une entreprise n'est pas une start-up, elle semble « blacklistée », empêchée d'accéder au crédit. Ce phénomène semble encore plus évident dans le secteur industriel. Il nous faudrait creuser ce point. J'ai interpellé hier M. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, sur la question des délais de paiement, citant le cas d'une entreprise qui a repeint les locaux d'une sous-préfecture : si elle ne présente pas sa facture avant septembre, celle-ci ne sera pas prise en compte dans les budgets et sera alors réglée l'année suivante. Cette situation est indécente !
M. Michel Canevet, sénateur. - L'État impose aux entreprises privées des délais de paiement drastiques qu'il est incapable de respecter lui-même. Cette situation est particulièrement frustrante pour les entrepreneurs, et source d'incompréhension.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - De plus, la solution des intérêts moratoires, souvent proposée, n'intéresse personne. Le paiement des intérêts de retard représente un coût pour le budget de l'État et les retards de paiement affaiblissent la trésorerie des entreprises...
Mme Pascale Gruny. - ... d'autant plus que l'entreprise doit provisionner dans son bilan les intérêts de retard !
M. Daniel Laurent, sénateur. - L'entreprise qui reconditionne les éoliennes n'a-t-elle que cette activité dans son carnet de commande ? Est-ce un secteur d'activité viable ?
Mme Pascale Gruny. - C'est l'unique entreprise en France sur ce marché, mais elle intervient également dans la maintenance des machines tournantes, ce qui complète son plan de charge. Il existe un vrai besoin du fait du développement rapide du marché éolien en France et à l'étranger. Les atouts du nouveau site de l'entreprise sont nombreux : l'étendue de son site, installé dans une ancienne usine sidérurgique, la proximité d'un carrefour routier important et sa situation, au centre de l'Europe. Cependant le chef d'entreprise est choqué par la lourdeur des portes à ouvrir.
Les chefs d'entreprise sont très isolés. C'est un sujet que j'ai abordé dans le rapport sur la santé au travail en France que je viens de rendre public, le 3 octobre dernier, avec notre collègue Stéphane Artano. La question de la santé des dirigeants d'entreprise est ignorée de la médecine du travail. Les recours aux procédures des tribunaux de commerce sont peu utilisés. Surtout, cette question n'est jamais évoquée au sein de l'entreprise et avec les salariés puisqu'elle fragiliserait le dirigeant, ce qui le place dans une situation d'isolement, souvent difficile à vivre.
Un de nos collègues a cité l'accompagnement des collectivités locales. Il est vraiment exemplaire. Je tiens à saluer l'action de notre ancien collègue Pierre André, qui a dirigé la CCI de l'Aisne. À ses côtés, Xavier Bertrand président de la région des Hauts-de-France et Frédérique Macarez, aujourd'hui maire de Saint-Quentin et à l'époque, stagiaire en tant qu'étudiante à Sciences Po, ont réfléchi à la question : « Comment redynamiser la région ? », en particulier après la fermeture d'usines de textile. Réalisant que de nombreuses grandes universités se situaient dans un périmètre d'une centaine de kilomètres et qu'il serait difficile de les concurrencer, ils ont décidé de construire un pôle de formation autour du numérique. ELISA, école d'ingénieur aéronautique, s'est également installée à Saint-Quentin. Sa directrice envisageait un temps un déménagement, mais la détermination des élus l'ont convaincue de rester.
S'agissant des contrôles de l'URSSAF, ils sont en effet particulièrement rigides. J'ai été rapporteur sur le texte relatif au droit à l'erreur. Il n'est pas possible de négocier et ils appliquent le règlement à la lettre, contrairement aux contrôles fiscaux. La proximité entre les services fiscaux et les entreprises est essentielle pour bien connaître les contraintes des TPE-PME. Je me suis battue pour que le service fiscal aux entreprises ne soit pas supprimé. Des conseillers fiscaux accompagnent ces entreprises bien que leur hiérarchie ne soit pas toujours favorable à ce rôle de conseil.
Enfin, il faudrait interroger la profession bancaire sur sa réticence à s'engager en faveur de l'industrie, et de trois secteurs en particulier : l'automobile, l'agriculture et, plus surprenant, le secteur pharmaceutique.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je suggère que vous présentiez prochainement à la Délégation aux entreprises votre rapport sur la santé au travail.
Communication de Mme Élisabeth Lamure sur le cycle d'auditions conjointes de la délégation aux entreprises et du groupe d'étude sur le numérique sur le thème : « Comment garantir l'accès des PME à des réseaux et services numériques efficients ? » et adoption du rapport publiant les comptes rendus de ces auditions
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, le 4 juillet dernier, notre Délégation a adopté le rapport présenté par Mme Pascale Gruny « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? ». Notre collègue, après avoir rappelé l'enjeu vital de la numérisation pour les petites et moyennes entreprises, y a mis en évidence les différentes difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées, qu'elles soient structurelles ou conjoncturelles. Au rang de ces obstacles figurent l'insuffisante couverture du territoire et son corollaire : la fracture numérique, ainsi que les conséquences, pour un accès efficient à la fibre, des « stratégies nocives » de grands opérateurs de télécommunication.
Nous avons, à cette occasion, évoqué la fibre FTTH (Fiber to the home), initialement prévue pour le marché résidentiel, comme étant une réponse aux attentes des PME et TPE. En effet, la FTTH permet de tirer profit du déploiement des boucles locales pour les particuliers afin de mutualiser les coûts et d'offrir un niveau de prix abordable pour les entreprises les plus petites. Toutefois, les opérateurs intégrés historiques, Orange et SFR, n'ont pas joué le jeu jusqu'à l'arrivée d'un nouvel opérateur neutre sur le marché de gros des entreprises, la société Kosc. Cette société est née à la suite de la décision de l'Autorité de la concurrence, en 2014, d'autoriser le rachat de SFR par le groupe ALTICE à la condition que SFR cède son réseau DSL de Completel. Ainsi encouragée par les autorités publiques décidées à oeuvrer pour garantir « une concurrence effective », Kosc est née avec l'engagement de SFR de céder son réseau au 31 mars 2017, sur la base d'un pacte d'actionnaires réunissant principalement le fondateur, Yann de Prince, et ses associés (qui détiennent 30 % du capital), le groupe OVH (devenu depuis OVH Cloud), qui en contrepartie d'un apport de 2 millions d'euros mais surtout de l'engagement d'être client de Kosc, a reçu 40 % du capital, et enfin Bpifrance, 3ème actionnaire avec 15 % du capital, lequel était donc bien structuré. Une filiale appelée « Kosc infrastructures » a ensuite été créée, ayant notamment pour actionnaire la Banque des Territoires à hauteur de 24 %.
Après bien des difficultés liées à l'effectivité du transfert du réseau Completel pendant plus d'un an, Kosc a pu enfin démarrer son activité, ce qui a été extrêmement bien perçu par les sociétés de services numériques servant d'intermédiaires avec les PME. « Une véritable opportunité », « une aubaine sans précédent » comparée à l'avancée liée à la création des réseaux d'initiative publique (RIP) : c'est ainsi que la société Kosc a été perçue par ses clients, en comparaison avec les opérateurs historiques. Les acteurs du numérique qui fournissent des services aux PME saluent sa réactivité, sa compréhension des enjeux des entreprises et surtout des tarifs enfin raisonnables qui ont révolutionné les possibilités d'offres aux PME.
Toutefois deux décisions récentes, quasi-concomitantes, nous ont interpelés au début du mois de septembre car elles ont placé la société Kosc dans une situation délicate et nous y avons perçu un risque de retour en arrière pour la numérisation des PME dans les territoires. En effet, d'une part, l'Autorité de la concurrence a clôturé son auto-saisine, estimant qu'aucun élément n'était de nature à prouver que SFR n'avait pas respecté ses engagements. D'autre part, alors qu'un nouveau tour de table des actionnaires était prévu pour accompagner le développement de Kosc dans une augmentation de capital, la Banque des Territoires a pris la décision de ne pas renouveler son investissement. Ces décisions sont intervenues dans un contexte très particulier de contentieux entre SFR et Kosc devant le Tribunal de commerce, dans lequel le groupe historique réclamait 20 millions d'euros à Kosc pour le transfert du réseau que le second ne cessait de réclamer, le jugeant inopérant pendant près de 18 mois, et refusant logiquement de payer pour un service non rendu.
C'est la raison pour laquelle, non pour être les avocats de la société Kosc mais compte tenu du risque afférent pour la numérisation des PME, nous avons décidé de nous saisir du sujet en organisant des auditions conjointes avec le groupe d'étude sur le numérique, présidé par notre collègue Patrick Chaize. Notre objectif a été de mieux comprendre la situation et de réagir pour que la sortie de crise de ne fasse pas au détriment des PME, bien trop souvent oubliées par les acteurs « classiques » des télécoms. Puisque l'hypothèse d'une disparition de Kosc n'était pas écartée -et ne l'est toujours pas - il nous est apparu de notre devoir de nous préoccuper de la situation pour les PME qui bénéficient aujourd'hui, indirectement, des offres de cet opérateur neutre.
Au cours de ces auditions, auxquelles certains d'entre vous ont assisté, nous avons entendu, outre les représentants de la société Kosc : la présidente de l'Autorité de la concurrence ; le président de l'ARCEP, autorité de régulation du secteur des télécommunications ; des dirigeants de sociétés appartenant à l'écosystème des services numériques aux entreprises ; la Banque des Territoires ; Bpifrance ; OVH Cloud ; les mandataires de contrôle agréé auprès de l'Autorité de la Concurrence et de SFR ; sans oublier le Directeur général des entreprises, qui a bien voulu répondre à nos questions, à défaut d'avoir pu obtenir une audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, qui nous a fait savoir que l'audition du Directeur général des entreprises suffisait...
Nous vous proposons ce matin d'autoriser la publication de tous les comptes rendus de ces auditions sous forme de rapport, assorti d'un avant-propos, afin de contribuer utilement à la réflexion qui doit absolument accompagner le constat de la situation que je viens de vous décrire.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Patrick Chaize pour mener ces auditions qui nous ont frappés à plusieurs titres.
Tout d'abord, nous avons été marqués par le manque de dialogue entre les actionnaires publics et privés de Kosc ayant pourtant fait initialement le pari d'une meilleure concurrence au service de l'accompagnement de la digitalisation des PME. Les arguments et analyses avancés par les uns sont contestés par les autres, comme si chacun n'avait pas vécu la même histoire. Incompréhension de la réaction des positions des uns et des autres, lectures différentes de la situation... un tel dialogue de sourd ne peut être que préjudiciable à une société surtout lorsqu'il s'agit de gérer un risque, en l'occurrence le contentieux avec SFR. L'un des exemples que vous pourrez constater en lisant les comptes rendus est la question du changement de stratégie du groupe OVH, que ce dernier nie totalement comme s'il s'agissait d'une incongruité. Un tel manque de dialogue ne peut que déboucher sur des dysfonctionnements préjudiciables en termes de gouvernance.
Le deuxième élément marquant que nous avons relevé est relatif au rôle des autorités de régulation. L'Autorité de la concurrence a fait le choix délibéré de ne pas avoir recours à l'Arcep dans le cadre de son auto-saisine alors qu'elle en avait le pouvoir. Cette décision nous est apparue bien étrange compte tenu à la fois du caractère très technique du dossier et de l'enjeu pour le marché de gros à destination des entreprises. l'ADLC a préféré se limiter à une analyse purement juridique de la question du respect des engagements de transfert de SFR, ne tenant pas compte de l'effectivité ou non du transfert et de l'activation du réseau, des conséquences économiques ni de l'impact en termes de concurrence, compte tenu de ses règles de fonctionnement. Elle aurait pourtant pu confier à l'Arcep une mission de surveillance de l'obligation de transfert. En outre, dans le cadre de son auto-saisine, elle avait le pouvoir de saisir l'Arcep pour avis, mais ne l'a pas fait. Nous estimons avec Patrick Chaize qu'une meilleure articulation entre le droit à la concurrence et la régulation sectorielle est absolument nécessaire et nous pensons, pour le secteur des télécoms, présenter une proposition de loi pour obliger les autorités à se coordonner dès que cela est utile au traitement du dossier. Il semble que cela manque au plan législatif ...
Mme Pascale Gruny, sénateur. - Cela paraît tellement évident !
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Troisièmement, nous avons constaté, avec tous les témoignages entendus, et en suivant de près ce dossier, que la neutralité de l'opérateur Kosc a fait son succès auprès de ses clients et a été l'élément fondamental permettant de proposer une nouvelle offre face aux opérateurs intégrés. La neutralité implique de ne pas être présent à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail : les opérateurs intégrés, présents sur les deux, auront évidemment naturellement tendance à privilégier leurs propres intérêts sur le marché de détail et à faire des offres peu intéressantes économiquement sur le marché de gros, in fine au détriment des PME. Je rappelle les propos des dirigeants de sociétés de services numériques auditionnés au sujet de la société Kosc : « parce qu'elle n'effectue pas de vente directe, mais uniquement de la vente de gros, et par sa neutralité, elle nous permet de trouver un espace économique viable ». C'est d'ailleurs pour cette raison que l'OCDE, dans un très récent rapport, a vanté les mérites du modèle Wholesale-Only, c'est-à-dire de l'opérateur neutre, citant même Kosc dans les exemples à suivre.
Avec Patrick Chaize, nous suivrons attentivement la suite des événements pour la société Kosc, pour deux raisons. Tout d'abord, il serait inconcevable que les PME bénéficiant actuellement de son offre se retrouvent sans connexion du jour au lendemain, ce qui serait dramatique. Tous les acteurs auditionnés nous expliquent que cela n'arrivera pas mais nous préférons rester vigilants sur ce point. La deuxième raison est que, en cas de disparition de Kosc et de reprise par un autre opérateur, la question de la neutralité sera à nouveau soulevée. Or si Kosc est repris par un opérateur intégré, il faudra imaginer de nouvelles règles permettant de garantir les acquis qu'offre depuis 2018 le modèle neutre de Kosc. Et, dans ce cas de figure, il nous semble que la seule façon d'y parvenir sera d'imposer aux grands opérateurs l'activation de tout le réseau, comme c'est le cas dans les réseaux d'initiative publique (les RIP). Il en va de l'intérêt général. D'ailleurs, comme le souligne le rapport de Pascale Gruny, certains dirigeants bénéficiant des services de Kosc ont comparé son arrivée, sur le marché de gros, à la création des zones RIP dans lesquelles le réseau est déployé par les collectivités territoriales et où les opérateurs ont l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès activé.
Enfin le quatrième point que je souhaitais évoquer ce matin pour accompagner ma proposition de publication, est la nécessité, pour les autorités publiques, d'envisager la régulation et les investissements publics dans le temps avec davantage de constance. La position de l'ADLC, défendue par son ancien président, n'a rien à voir avec la lecture strictement juridique de son actuelle présidente. La position de l'Arcep sur la nécessité de conserver un opérateur neutre semble également avoir évolué assez rapidement. Quant aux investisseurs publics, on note que l'incertitude qui pesait cet été 2019 sur Kosc a suffi à ébranler une vision pourtant affirmée haut et fort au printemps 2018 lorsque la Banque des Territoires a décidé de devenir actionnaire de Kosc infrastructures. Pourtant, entre temps, le Tribunal de Commerce a donné raison à Kosc dans le contentieux face à SFR sur les saisies provisoires. Par ailleurs, depuis plusieurs mois, Kosc a réussi à diversifier sa clientèle puisque, en flux, la part d'OVH au sein de cette dernière est passée de 90 à 20 %. Ne fallait-il pas prendre le temps de laisser s'installer la croissance ? En tout cas, quel que soit le scénario qui se déroulera finalement, nous souhaitons que les acteurs publics envisagent de façon plus pérenne les solutions qui sauront faire prévaloir l'intérêt général au bénéfice de la numérisation des PME. Nous envisageons de rappeler ces fondamentaux dans le cadre d'une proposition de résolution qui permettrait d'interpeler le Gouvernement à ce sujet.
Mme Pascale Gruny. - Le sujet est effectivement complexe. On peut également regretter le fait que certains acteurs ne nous disent pas tout, ce qui laisse certaines zones floues et nous empêche de comprendre pleinement le déroulement de ce sujet. J'ai été particulièrement surprise par l'attitude de la Présidente de l'Autorité de la concurrence. L'Autorité s'est contentée de regarder si le réseau avait été effectivement cédé, sans se soucier de son bon fonctionnement. Je me réjouis de la décision du Tribunal de commerce qui justifie mon sentiment. Les motivations de l'actionnaire OVH Cloud restent également floues dans ce dossier. Tous les acteurs ont une part de responsabilité dans la tournure regrettable des événements.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous restons particulièrement inquiets sur les conséquences que cette situation pourrait avoir sur l'accès des PME au réseau internet , qui est la raison pour laquelle nous nous sommes saisis du dossier. Ces PME sont souvent délaissées par les grands opérateurs ; c'est le pot de fer contre le pot de terre...
M. Guy-Dominique Kennel, sénateur. - En matière de connexion et de distribution numérique, le problème principal vient de la propriété des réseaux. Nous avions trouvé une solution en Alsace, avec les deux départements et le soutien de la région, qui est la mise en place d'un réseau sous la propriété de la collectivité, sur l'ensemble du territoire quel que soit le village. Nous sommes propriétaires de ce réseau fibre et l'ensemble de l'Alsace sera fibré à l'horizon 2020. Nous laissons ensuite les différents opérateurs faire leur travail et la concurrence se met en place naturellement. Chaque individu ou entreprise est alors libre de choisir son offre auprès de l'opérateur de son choix, en fonction de son besoin. Il y a actuellement 15 opérateurs. La collectivité reste maître du jeu et le système fonctionne très bien. Elle loue le passage sur les réseaux aux différents opérateurs. Les PME peuvent ainsi s'installer dans tout le territoire, car elles disposent du même débit partout. Le coût de l'installation de la fibre était de 420 millions d'euros. Il s'agit d'un choix politique, rendu possible grâce à une capacité d'investissement et un soutien de l'État à hauteur de 97 millions d'euros. Il serait souhaitable de généraliser ce dispositif à l'ensemble des régions.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - C'est un excellent exemple. Là où il y a des RIP, il n'y a pas de problèmes d'accès au réseau. C'est le problème que nous rencontrons ici. Il faudrait une disposition législative pour obliger le propriétaire de donner l'accès au réseau.
M. Daniel Laurent, sénateur. - Le département a-t-il fait réaliser les travaux ?
M. Guy-Dominique Kennel. - Tout à fait, via un marché remporté par Altice qui s'est chargé de l'installation.
M. Michel Canevet, sénateur. -J'ai assisté récemment à un colloque au Sénat traitant de la question du numérique. Deux problèmes majeurs étaient mis en avant. Tout d'abord, la multiplicité des décisions qui ont été prises, comme l'exemple de l'Alsace. Les fabricants de fibre disent qu'ils sont en surproduction, alors que l'on pourrait penser le contraire. Il parait que l'on importe beaucoup de fibre de Chine, plutôt que d'en acheter en France. Mon second point concerne la conformité réelle des réseaux s'agissant de leur pérennité. Il semblerait, d'après les experts, que la demande est tellement forte que certaines entreprises installent le réseau de manière inadéquate et que cela pourrait entraîner à terme des grosses difficultés de fonctionnement. En Bretagne, nous avons étudié le projet d'un réseau public sur les zones qui n'étaient pas desservies et ouvertes à la concurrence. Le coût serait de 2 milliards d'euros, alors que l'État ne finance désormais plus ce type d'investissement et qu'il n'y a pas de fonds européen. L'apport financier est considérable, bien que cette question soit un enjeu d'avenir.
M. Guy-Dominique Kennel. - Les intercommunalités, à travers le cofinancement public, contribuent à hauteur de 35 euros par prise. La commune contribue au financement, proportionnellement à ses besoins, et la région centralise l'ensemble. Nous avons créé une société d'économie mixte qui gère l'ensemble du réseau. L'individu ou l'entreprise ne paie que l'opérateur, en fonction du service sélectionné, pas le raccordement.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je constate votre accord pour la publication des comptes rendus des auditions, avec un avant-propos explicatif.
Communication de Mme Élisabeth Lamure sur les principales dispositions du projet de loi de finances pour 2020 intéressant les entreprises et examen éventuel d'amendements à ce texte
Mme Élisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, comme les années précédentes, je vous propose que notre Délégation se penche sur les dispositions concernant les entreprises et contenues dans le projet de loi de finances pour 2020, dont le Sénat se saisira à partir du 21 novembre prochain. Il ne s'agit pas, bien entendu, de doublonner le rôle de la commission des Finances, notamment dans l'examen des dispositions fiscales, mais d'évoquer certaines dispositions qui vont impacter les entreprises et principalement les PME.
En première partie, l'article 15 prévoit de réduire la taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie et d'en rationaliser les taux.
Outre cette baisse progressive de l'ordre de 400 M€ sur quatre ans, sur laquelle je vais revenir, l'article 15 prévoit que l'établissement CCI France devienne le seul affectataire de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie (TCCI), laquelle se décompose en une taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TA-CFE) et une taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE). Le but est de permettre à cet organisme d'exercer une réelle fonction de coordination et de pilotage du réseau des CCI et d'assurer une meilleure répartition du produit de la taxe entre les CCI de région, au plus près des besoins des territoires et des entreprises, en tenant compte des particularités locales. Ces nouvelles dispositions constituent une mesure de simplification structurante, se traduisant par la suppression d'un dispositif complexe et peu lisible de répartition de la TCCI, et par un allègement des prélèvements sur les entreprises. En effet, le Gouvernement a décidé de diminuer les ressources affectées au réseau des CCI non seulement pour contribuer à transformer leur modèle et rationnaliser leurs moyens mais également de diminuer les prélèvements obligatoires sur les entreprises. Dans cet objectif, le Gouvernement propose, pour 2020, de diminuer le taux de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TA-CFE) plutôt que celui de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE) car, du fait de l'abattement de 500 000 euros pour être assujetti à la CVAE, de nombreuses entreprises n'auraient en réalité pas bénéficié d'une baisse de taux de cette dernière taxe. La baisse programmée des taux de la TA-CFE entre 2020 et 2023, vers un taux national de 0,8 %, aurait deux effets : d'une part, la diminution des ressources du réseau des CCI ; d'autre part, la baisse des prélèvements obligatoires évaluée à environ 100 millions d'euros par an, pour les deux millions d'entreprises actuellement redevables de la taxe.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Rapporteur général de la commission des Finances visant à instaurer un dispositif renforcé de péréquation à destination des CCI territoriales dont la circonscription comporte au moins 80 % de communes classées en zones de revitalisation rurale.
En deuxième partie, plusieurs dispositions impactent les entreprises.
Les articles 47 et 48 portent les préoccupations exprimées par le Sénat, à l'initiative de notre Délégation et de la D élégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour soutenir le commerce de proximité en zone rurale et dans les centres villes des villes moyennes.
Traduisant ces propositions, la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018 a créé pour les élus locaux des centres villes un contrat intégrateur unique - l'opération de revitalisation de territoire (ORT) - permettant de répondre aux différents enjeux en matière de revitalisation des centres des villes moyennes. Ce dispositif est notamment destiné à adapter et à moderniser le parc de logements et de commerces ainsi que le tissu urbain existant.
Le projet de loi de finances pour 2020 donne la possibilité aux collectivités territoriales d'instaurer une exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE), de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au profit des petites activités commerciales (entreprises de moins de 11 salariés et de moins de 2 millions de chiffre d'affaires annuel). Cela vise les territoires ruraux (petites communes ayant moins de dix commerces et non intégrées à une aire urbaine) et les zones d'intervention des communes ayant signé une convention ORT et dont le revenu médian par unité de consommation est inférieur à la médiane nationale.
Il faut noter que si le texte initial ne prévoyait aucune compensation pour les collectivités locales qui instaureraient une telle exonération, le Premier ministre a annoncé le 20 septembre dernier devant le Congrès national de l'Association des maires ruraux de France que l'Etat les compenserait à hauteur de 33 %. On peut toutefois s'interroger sur la portée de cette mesure qui fait encore porter aux collectivités locales l'essentiel de l'effort fiscal d'une politique publique qui est pourtant d'intérêt national. C'est un peu désolant !
L'article 49 diminue le taux utilisé pour le calcul des frais de fonctionnement rentrant dans la base du crédit d'impôt recherche (et du crédit impôt innovation), actuellement estimés, de façon forfaitaire, à 50 % des frais de personnel de recherche auxquels s'ajoutent 75 % des dotations aux amortissements. Ce taux de 50 % serait baissé à 43 %, comme l'a préconisé la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2013, au plus près des charges de fonctionnement réellement supportées par les entreprises. La part des frais de fonctionnement basée sur les amortissements resterait inchangée, ce qui permettrait la prise en compte de la situation des secteurs industriels qui connaissent, par rapport aux secteurs des services, des frais de fonctionnement plus significatifs liés à l'importance de leurs installations scientifiques.
L'État compte ainsi économiser environ 230 M€ à compter de 2021. Hier, durant son audition, le ministre de l'Économie, M. Bruno Le Maire, a rappelé que cette réforme avait été préconisée par la Cour des comptes et s'est engagé à simplifier le montage des dossiers du CIR. En effet, le seuil de « l'assujettissement à l'obligation documentaire », c'est-à-dire le niveau de dépenses de R&D à partir duquel une entreprise doit fournir des informations à l'administration, avait été, par un amendement parlementaire dans la loi de finances pour 2019, drastiquement abaissé de 100 millions d'euros à 2 millions. Or, une instruction fiscale contenue dans le BOFIP (bulletin officiel des finances publiques) est allée à l'encontre de cette disposition pourtant votée par le Parlement. Un an après, le Gouvernement propose de rétablir ce seuil d'obligation documentaire à son niveau antérieur de 100 millions. Il ne concernerait à nouveau qu'une vingtaine de très grandes entreprises, ne permettant plus de savoir comment les PME utilisent le CIR. Le rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale a donc proposé un seuil de 10 millions. Pour ma part, afin d'interpeller le Gouvernement sur cette double instabilité fiscale, concernant à la fois l'assiette du CIR et les obligations déclaratives des entreprises, je vous proposerai un amendement de suppression.
L'article 50 réforme à nouveau le régime fiscal du mécénat des entreprises. Déjà, dans la loi de finances pour 2019, l'État avait encouragé les TPE-PME à pratiquer le mécénat en créant, dans cette intention, une franchise de 10 000 euros de versement ouvrant droit à une réduction d'impôt. C'était une bonne mesure car il n'y a pas de petit mécénat et toutes les entreprises sont concernées. Pourtant, après cet encouragement, vient, de façon incohérente, le découragement.
Depuis la loi Aillagon de 2003, 77 000 entreprises ont utilisé ce dispositif en 2018, contre seulement 6 500 en 2005. La France comptait 2 364 fondations en 2017, contre seulement 1 109 en 2001, et compte désormais près de 2 500 fonds de dotation alors qu'il n'en existait aucun il y a quinze ans. La dépense fiscale, certes élevée est stable et diminue même depuis 3 ans, passant de 930 millions en 2016 à 817 millions en 2018. Par ailleurs, le régime fiscal actuel est neutre selon les montants des dons avec une simple limitation globale de la réduction d'impôt à 0,5 pour mille du chiffre d'affaires ou à 10 000 euros, qui est suffisante pour éviter toute dérive budgétaire. Le régime fiscal actuel est également neutre selon les différentes causes financées : la seule exigence est que les entreprises financent des causes d'intérêt général.
Le Gouvernement entend différencier l'avantage fiscal en fonction des montants des dons et en fonction des causes aidées. Or, diminuer de moitié le taux de la réduction d'impôt pour les dons au-dessus d'un « plafond » de 2 millions d'euros reviendrait à dissuader les entreprises mécènes de consacrer un effort plus important au mécénat. L'État oublie que le mécénat d'entreprise n'est pas qu'une dépense fiscale mais qu'il permet de modérer ses crédits budgétaires en apportant une ressource extra-budgétaire à des partenaires de l'État qui reçoivent de moins en moins de ressources financières publiques.
Je note qu'une trentaine de députés de la majorité ont proposé la suppression de cette disposition, considérant, je cite : « qu'adopter l'article en l'état servira seulement à déstabiliser les entreprises qui s'engagent auprès de nos associations dans une période où notre pays a besoin de solidarité et de lien social ». Je ne peux que souscrire à cette appréciation et vous proposerai donc de cosigner un amendement de suppression de cette disposition.
Sur un autre sujet, tout aussi conflictuel avec les entreprises, l'article 51 créé un système de bonus-malus pour lutter contre les contrats courts pour les entreprises de plus de 11 salariés. Cette mesure est censée contribuer à désendetter l'Unedic, mais je note que le produit attendu ne s'élève, selon la commission des finances de l'Assemblée nationale, qu'à 50 millions d'euros, ce qui n'est pas grand-chose pour une usine à gaz. Vous vous en souvenez, en janvier 2019, le Medef et la CPME avaient annoncé leur retrait des négociations sur l'assurance-chômage pour protester contre le projet d'instaurer un bonus-malus sur les contrats courts. Le Gouvernement persiste. Là encore, un débat va s'instaurer.
Plus le nombre de salariés qui s'inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est important par rapport à son effectif, plus elle paiera de cotisations employeur à l'assurance chômage ; plus ce nombre est faible, moins elle paiera de cotisations. Les CDD d'usage (CDDU) se voient appliquer une taxe forfaitaire de 10 euros pour limiter l'usage de contrats très courts. À noter que le dossier de presse du budget évoquait « 7 secteurs, dans un premier temps », tout comme Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, mais que le texte du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 ne reprend pas cette disposition et s'applique à tous les contrats d'usage excepté trois secteurs : les intermittents du spectacle, les dockers occasionnels et le travail d'insertion par l'activité économique. Nous attendons donc des éclairages.
Cette taxation est d'autant plus incohérente qu'une quinzaine de secteurs sont considérés comme éligibles au CDDU à la suite d'accords entre les partenaires sociaux. De deux choses l'une, soit il faut interdire aux conventions collectives d'y recourir, mais ils répondent à un besoin économique, soit il faut maintenir statu quo. Le rapporteur général de l'Assemblée nationale proposera en séance, aujourd'hui ou demain, un amendement exonérant de cette taxe forfaitaire les secteurs qui ont déjà prévu par accord de limiter le recours abusif à ce type de contrat, en encadrant leur utilisation par l'instauration d'une durée minimale de contrat et par l'obligation de transformation des CDDU en CDI au terme d'une durée de travail effectif en CDDU déterminé par l'accord. Je vous propose pour ma part une mesure plus radicale avec un amendement de suppression de cet article 51. Dès le début, la majorité du Sénat s'est opposée à tout système de taxation des contrats courts. On pénalise des filières entières qui ne peuvent faire autrement que d'y recourir au prétexte qu'il existerait quelques contrats de deux heures. Où est la simplification ?
Enfin, j'attire votre attention sur l'article 80. Le succès croissant du statut de la micro-entreprise amène le Gouvernement à proposer de recentrer le dispositif d'exonérations de cotisations et contributions sociales des créateurs et repreneurs d'entreprises sur le public initialement visé, c'est-à-dire les créateurs et repreneurs d'entreprise développant une activité économique nouvelle. Cette disposition vise à rétablir une égalité fiscale avec les travailleurs indépendants, fortement demandée par les artisans. Par ailleurs, le bénéficie de l'aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise (ACRE) serait étendu au conjoint collaborateur afin que la déclaration de l'activité du conjoint ne soit pas un frein à la création d'activité du fait du coût des cotisations sociales à acquitter.
Pour l'essentiel, ces dispositions, qui se situent en seconde partie du PLF, sont en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Je vous propose, en fonction de l'évolution du texte, de vous informer directement, en dehors des réunions de la Délégation, et de vous proposer, le cas échéant, de réagir rapidement en cosignant certains amendements.
En outre, avec Michel Vaspart et Claude Nougein, nous envisageons de redéposer certains des amendements relatifs au « Pacte Dutreil » relatif à la transmission d'entreprise, puisque nos propositions qui avaient été adoptées au Sénat n'ont pas toutes été reprises par l'Assemblée. Je pense notamment à la possibilité de prévoir une transmission interne à des salariés, en supprimant l'obligation de filiation.
M. Michel Canevet, sénateur. - La discussion budgétaire donne une nouvelle fois l'occasion de constater une grande instabilité fiscale.
Mme Pascale Gruny, sénateur. - L'évolution de la fiscalité relative au financement des CCI divise les communes et les TPE. Par ailleurs, je suis opposée à la taxation des contrats courts qui sont une nécessité dans certains secteurs, comme la restauration et tout particulièrement l'activité de traiteur.
Questions diverses
Mme Pascale Gruny, sénateur. - Je souhaite évoquer trois sujets qui ont été portés à la connaissance de la Délégation aux entreprises lors de son déplacement dans l'Aisne.
Le premier est relatif aux modalités de la cession-bail ou « leaseback », transaction financière au cours de laquelle une entité vend un actif et le récupère en location pour une longue durée. Ainsi, l'entité continue d'utiliser l'actif mais n'en est plus le propriétaire. L'administration fiscale semble vouloir réintégrer dans l'imposition du loyer la plus-value. Une telle pratique ne rend plus la cession-bail intéressante pour une entreprise.
Le deuxième est relatif aux entreprises qui n'utilisent plus certains bâtiments industriels mais qui demeurent dans l'assiette de leur taxe foncière. Pour obtenir un dégrèvement, il faudrait détruire ce bâtiment. Mais si les besoins de l'entreprise évoluent, elle devra reconstruire un nouveau bâtiment. Ne pourrait-on le sortir de l'assiette de l'impôt en le rendant inaccessible, mais de manière réversible (en murant les ouvertures par exemple) ?
Le troisième est relatif aux éoliennes. Les installations d'éoliennes totalement reconditionnées sont exclues des dispositifs d'aide d'État, malgré les ambitions européennes en matière d'énergies vertes et d'économie circulaire. Une installation neuve mais équipée d'une éolienne reconditionnée revendue « comme neuve » à l'opérateur, comme celles que produira l'entreprise Drekan, à Chauny, ne sont donc pas éligibles aux dispositifs de contrats d'achat ou de compléments de rémunération prévus dans le code de l'énergie. S'agissant des rénovations utilisant des pièces recyclées, il apparait nécessaire de clarifier l'interprétation de la dérogation prévue par le code de l'énergie, qui concerne les installations réalisant des investissements de rénovation. Je prépare une question écrite au ministère de la Transition écologique et solidaire afin de clarifier l'application de la dérogation et pour savoir si elle peut englober le reconditionnement complet des éoliennes. Ce serait paradoxal que des éoliennes importées de Chine puissent bénéficier d'aides d'État et pas des éoliennes fabriquées en Europe sous prétexte qu'elles sont reconditionnées, alors que nous avons adopté récemment un projet de loi sur l'économie circulaire ! Un peu de cohérence ne nuirait pas....
La réunion est close à 10 heures.