- Mardi 4 février 2020
- Mercredi 5 février 2020
- Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2020-2022) - Audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
- Désignation de rapporteurs
- Proposition de loi relative à la sécurité sanitaire - Examen des amendements de séance
- Groupe de travail sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs - Examen du rapport d'information
Mardi 4 février 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève - Examen des amendements de séance
M. Alain Milon, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en en cas de grève.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je suis défavorable à la motion d'irrecevabilité n° 5, car la proposition de loi tient compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous aurons ce débat en séance publique.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 5 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à la proposition de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 36 vise à corriger une erreur de référence.
L'amendement n° 36 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - En cohérence avec le vote de la commission, je suis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 15 et 24.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 15 et 24.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Par cohérence, je suis également défavorable aux amendements identiques de suppression nos 16 et 25.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 16 et 25.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Il en est de même pour les amendements identiques de suppression nos 17 et 26.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 17 et 26.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Il me semble que le délai de carence de trois jours est nécessaire pour assurer la proportionnalité de la limite que nous posons à l'exercice du droit de grève et pour sécuriser juridiquement le texte. En conséquence, je suis défavorable aux amendements identiques nos 3 rectifié quater et 7, qui prévoient de supprimer ce délai.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 3 rectifié quater et 7.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Pour les mêmes raisons, je suis également défavorable à l'amendement n° 8.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Mon raisonnement est identique pour l'amendement n° 9.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 12 rectifié, qui concerne la réquisition des salariés par le préfet plutôt que par l'entreprise, revient sur la solution que nous avons adoptée en commission. Je vous propose donc un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12 rectifié.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 10, qui est relatif à l'information des organisateurs du mouvement de grève en cas d'engagement de la procédure de réquisition, est satisfait par le droit existant. J'y suis donc défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je suis également défavorable à l'amendement n° 11, qui limite la réquisition aux seuls salariés grévistes, car il reviendra aux entreprises de définir les salariés susceptibles d'être requis.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je suis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 18 et 27.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 18 et 27.
Article 6
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 19 et 28.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 13 rectifié est un amendement de coordination avec l'amendement n° 12 sur lequel nous avons donné un avis défavorable. En conséquence, je propose également un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13 rectifié.
Article additionnel après l'article 6
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 35 est satisfait : avis défavorable ou retrait.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 35.
Article 7
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 20 et 29.
Article 8
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 21 et 30.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Suivant le même raisonnement que pour les amendements analogues à l'article 3, je propose un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié quater, qui prévoit la suppression du délai de carence de trois jours dans le secteur aérien.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié quater.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Par cohérence avec ma position à l'article 3, mon avis est défavorable sur l'amendement n° 14 rectifié relatif à l'attribution du pouvoir de réquisition au préfet.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14 rectifié.
Article additionnel après l'article 8
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'amendement n° 6 rectifié quater reprend les termes d'une proposition de loi adoptée par la commission de l'aménagement du territoire en novembre 2018. Il étend aux contrôleurs aériens, qui sont des fonctionnaires des services de la navigation aérienne, l'obligation de déclarer individuellement leur intention de participer à une grève. Cela permettrait de réduire les perturbations pour les passagers. Mon avis est donc favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 6 rectifié quater.
Article 9
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 22 et 31.
Article 10
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 23 et 32.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 13 h 45.
Mercredi 5 février 2020
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (2020-2022) - Audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
M. Alain Milon, président. - Nous entendons ce matin M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé pour la présentation de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance (SPPE).
Nous vous avions reçu une première fois en mars 2019, Monsieur le ministre, peu de temps après votre nomination à la suite d'une émission de télévision dressant un tableau catastrophique de la protection de l'enfance dans notre pays.
Nous avions alors convenu que vous viendriez présenter devant notre commission la stratégie du Gouvernement pour la protection de l'enfance. Les défis sont considérables pour assurer la protection due aux plus fragiles ; en particulier quand l'ensemble de notre système, déjà sous tension, est confronté, sous l'effet des événements géopolitiques, à l'afflux de mineurs non accompagnés. Les émissions de télévision se succèdent ; les acteurs du secteur sont inquiets ; les départements craignent une recentralisation de la compétence.
Je ne doute pas que les questions seront nombreuses alors que l'actualité s'est enrichie d'un débat enflammé sur la durée des congés en cas de décès d'un enfant.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. - Je vous remercie pour l'organisation de cette audition et je suis ravi, près d'un an après avoir été auditionné à la suite de ma nomination comme secrétaire d'État auprès de la Ministre de la santé et des solidarités, de venir devant vous pour détailler les travaux qui ont été engagés et les mesures qui ont été prises. Je vous avais déjà décrit les chantiers structurants de mon action en 2019. J'avais évoqué le Pacte pour l'enfance avec ses trois piliers. Le volet prévention est essentiel, avec cette idée que protéger les enfants consiste parfois à mieux accompagner les parents : c'est le sens de la démarche sur les 1000 premiers jours de la vie de l'enfant. La commission de scientifiques présidée par Boris Cyrulnik, qui a été installée par le Président de la République en septembre dernier, rendra ses travaux au printemps. Nous pourrons ainsi présenter avant l'été la première véritable politique publique dans notre pays consacrée aux premiers jours de la vie de l'enfant, de la grossesse jusqu'à l'âge de deux ans.
Deuxième pilier, la lutte contre les violences faites aux enfants. L'actualité nous rappelle chaque jour qu'il reste beaucoup de chemin à faire, même si je pense que les choses progressent et que la parole se libère. Notre action s'inscrit dans la continuité du plan de Laurence Rossignol, que je salue, qui se concentrait sur les violences intrafamiliales. Nous avons élargi le champ. Le 20 novembre dernier, à l'occasion du 30e anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, nous avons présenté un plan de 22 mesures visant à protéger les enfants, partout et tout le temps, avec des mesures de prévention et de sensibilisation, des mesures permettant une meilleure prise en considération de la parole de l'enfant, ou des mesures de lutte contre la pornographie ou la pédocriminalité. Nous renforçons les peines de prison pour la consultation de sites pédocriminels et prévoyons l'inscription automatique au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), alors que ce n'était le cas, auparavant, que sur décision du juge, et que, dans 50 % des cas, les auteurs n'étaient pas inscrits - 500 personnes environ pouvaient donc postuler pour travailler auprès d'enfants dans une crèche, sans que leur passé judiciaire puisse être retracé ! Ce ne sera désormais plus possible. Nous lançons, par ailleurs, le 17 février, avec la garde des sceaux, une grande mobilisation pour nous assurer que l'ensemble des administrations, des établissements sous leur tutelle et des collectivités locales ont bien connaissance de la loi et de la nécessité de consulter le Fijaisv. Nous devons aussi garantir l'effectivité de cette consultation. Il faut parfois six mois pour obtenir une réponse. Ce n'est pas normal. Nous pourrions nous inspirer des ministères de l'éducation nationale et des sports qui ont revu leurs procédures parce qu'ils doivent contrôler chaque année de nombreuses personnes.
J'en viens à la stratégie de prévention et de protection de l'enfance. Celle-ci a été élaborée à l'issue d'une concertation de trois mois avec l'ensemble des acteurs : les départements, les associations d'anciens enfants placés, les ministères de la justice, de l'éducation nationale, de la santé, des sports, de la culture. Tous les services de l'État doivent être mobilisés et chacun doit assumer ses responsabilités, d'où l'importance de la dimension interministérielle.
Six groupes de travail ont été créés sur les assistants familiaux, la qualité de service, la sécurité des enfants, le handicap - sujet important puisque 30 % des enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sont concernés - ou la gouvernance. Ils nous ont remis leurs conclusions et, le 14 octobre dernier, nous avons dévoilé notre stratégie de prévention et de protection de l'enfance.
Je vous présenterai sa philosophie et son contenu au prisme de ma vision de l'État et de sa relation avec les collectivités territoriales, parce que l'État a des responsabilités à assumer. L'État doit d'abord être un pilote et un stratège qui fixe les grandes orientations des politiques publiques, tout en étant aussi le garant des droits fondamentaux. Les lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 constituent à cet égard des socles importants, mais elles doivent être approfondies : c'est pourquoi j'ai annoncé ma volonté de réformer d'ici à janvier 2021 la gouvernance nationale de la protection de l'enfance par un rapprochement des organismes existants sur ce champ pour mieux assurer le pilotage. Le Conseil national de la protection de l'enfance doit être renforcé dans ses missions et pourrait jouer un rôle de pilotage, plus important qu'aujourd'hui. Nous pourrions peut-être nous inspirer de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie dans le domaine du handicap. Nous proposons le rapprochement entre le Conseil national de protection de l'enfance (CNPE), le Groupement d'intérêt public enfance en danger (Giped), l'Agence française de l'adoption (AFA), tout en pensant l'articulation avec le Conseil national d'accès aux origines personnelles (Cnaop). Notre stratégie ne peut donc pas se résumer à la contractualisation.
Il faut aussi poser la question de la connaissance ; on possède très peu de données sur la protection de l'enfance : il faut mieux articuler la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), et les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). L'idée n'est pas de placer les ODPE sous la tutelle de l'ONPE, mais de mieux les articuler et de faciliter la remontée des données des territoires. On compte 80 ODPE, contre 50 lorsque je suis arrivé. L'objectif est que chaque département compte un ODPE.
Nous avons renforcé les moyens du 119 du Giped en lui allouant 400 000 euros supplémentaires, répartis à parts égales entre l'État et les départements : l'organisme a pu ainsi recruter cinq écoutants supplémentaires, rendre accessible le service aux sourds et aux malentendants, développer un forum et un site internet pour démultiplier les canaux de contacts.
Un mot sur les assistants familiaux. Cette profession est traversée de doutes, d'interrogations. Les profils des jeunes ont changé et sont plus complexes. Les assistants se sentent très seuls. La pyramide des âges est très défavorable, avec de nombreux départs à la retraite et les départements ont beaucoup de mal à recruter. Dans certains départements, ils sont très intégrés dans l'équipe chargée de la politique de l'enfance et bénéficient de formations ; dans d'autres, ils ne participent même pas à la rédaction du projet pour l'enfant. Le chantier est donc vaste et un groupe de travail de la concertation était consacré à ce sujet. Nous allons lancer, le 27 février, des négociations collectives sur les assistants familiaux, pour revoir les conditions d'exercice, les agréments, la formation, la revalorisation financière, statutaire et symbolique.
Vous avez aussi évoqué des reportages à la télévision. Ils soulignent certains problèmes, mais pas les plus structurants. L'ASE est sans doute le seul secteur dont les établissements ne sont soumis à aucune norme, contrairement à la toute petite enfance, qu'il s'agisse du taux d'encadrement, des qualifications et de la formation des professionnels, etc. J'ai saisi le CNPE pour qu'il me fasse des propositions de normes minimales d'encadrement dans les lieux et services d'accueil des enfants protégés. Là encore, l'État est dans son rôle d'impulsion et de pilote.
L'État assure aussi une fonction de contrôle pour garantir la mise en oeuvre concrète des dispositions. Ce sont les départements qui sont les premiers responsables de l'accueil et de la sécurité des enfants qui leur sont confiés, mais il ne faut pas oublier que l'État garde une compétence fondamentale de protection des personnes et dispose juridiquement de leviers de contrôle.
Le documentaire de M6 mettait en évidence certaines lacunes. Par ailleurs, dans les Hauts-de-Seine, au mois de décembre, un enfant hébergé dans un hôtel au titre de l'ASE a tué un autre enfant. Chacun, départements comme État, doit assumer ses responsabilités. J'ai demandé aux préfets de se rapprocher des présidents de départements et de me faire remonter, dans les trois mois, les procédures d'alerte en cas d'événements indésirables, mises en place par les présidents de département, car c'est une obligation légale, et de m'indiquer les plans de contrôle des départements sur leurs établissements. Nous pourrons ainsi apprécier si ces dispositifs sont de nature à assurer la sécurité des enfants. Si cela ne semble pas satisfaisant, nous établirons notre propre plan de contrôle ; c'est notre responsabilité.
J'ai aussi demandé à l'Inspection générale des affaires sociales de mener une mission sur la politique de l'enfance dans les Hauts-de-Seine et sur le meurtre que j'évoquais, pour savoir ce qu'il s'est passé, et une autre mission sur la question des enfants dans les hôtels. Ils n'abritent pas que des mineurs non accompagnés, on y trouve aussi des enfants dits « complexes », « terribles », ou « incasables ». Ces enfants finissent à l'hôtel car on ne sait pas comment les prendre en charge. Je voudrais donc savoir combien d'enfants sont concernés, quel est leur profil, etc. Nous ne pouvons plus laisser de côté ce sujet.
L'État ne peut cependant pas se contenter de ces deux fonctions. L'État se doit d'être aussi un partenaire, notamment pour les conseils départementaux. L'ASE est une compétence partagée. L'État a eu un petit peu trop tendance à se désengager depuis la décentralisation. Or, l'État doit assumer ses responsabilités. C'est pourquoi nous oeuvrons dans le champ de compétences étatiques pour améliorer la situation des enfants.
L'État ne peut renvoyer la responsabilité des difficultés qui traversent la protection de l'enfance aux conseils départementaux. Je prendrai l'exemple des dispositifs de prise en charge des enfants qui présentent des troubles de santé mentale. Depuis trente ans, la psychiatrie est délaissée dans notre pays et nous en payons les pots cassés. Mme Agnès Buzyn a présenté une feuille de route pour la santé mentale. Un délégué interministériel a été nommé. Une enveloppe de 100 millions d'euros a été débloquée, dont 20 millions d'euros ont été fléchés sur la pédopsychiatrie ; le 30 décembre, nous avons sélectionné 35 projets émanant des territoires et qui vont pouvoir se réaliser : création d'une équipe mobile, création d'un service d'éducation spécialisée et de soins à domicile, de places de places de jour, etc. Un fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie a été constitué, doté de 10 millions d'euros, qui a permis de financer 19 projets pour les enfants et les adolescents. Nous avons créé 20 postes de chef de clinique en pédopsychiatrie, avec l'objectif de disposer d'au moins un poste de praticien hospitalier par faculté de médecine. Nous essayons ainsi de reconstruire une filière.
En ce qui concerne plus spécifiquement l'aide sociale à l'enfance, nous avons instauré, fin 2019, un bilan de santé obligatoire à l'entrée dans l'aide sociale à l'enfance, sur la base d'une consultation complexe. Nous avons expérimenté des parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l'ASE dans trois départements et nous allons étendre cette initiative à sept nouveaux départements en 2020. Cette initiative représente un engagement de 10 millions d'euros supplémentaires pour l'assurance maladie.
J'en viens enfin au volet relatif à la contractualisation avec les départements. La stratégie participe du même esprit que la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Pour éviter le saupoudrage, nous avons fait le choix de concentrer les moyens dans 30 territoires, avant d'étendre la démarche en 2021 et de la généraliser en 2022. Pour être éligibles à la contractualisation, les départements devront respecter certaines conditions, comme par exemple disposer d'un ODPE. Les projets déposés par les départements doivent aussi comporter un volet sur la protection maternelle et infantile (PMI), très belle institution à laquelle on a demandé de plus en plus ces dernières années, sans forcément lui donner les moyens correspondants. En outre, les départements doivent aussi présenter des projets sur la prise en charge des enfants en situation de handicap. Dans le documentaire de M6, la jeune Francine, déficiente mentale, ne devrait pas être là ! Nous devons inventer une nouvelle forme d'accompagnement de ces enfants qui sont au croisement du social et du médico-social. Pour cela, il est indispensable de cesser de réfléchir en silos.
La stratégie de prévention et de protection de l'enfance comporte quatre chapitres et est dotée d'une enveloppe de 80 millions d'euros. Il appartient aux départements de nous soumettre des projets. J'ai écrit à l'ensemble des présidents de département en novembre dernier. En un mois, 62 d'entre eux m'ont proposé leur candidature sur la base de projets argumentés et répondant aux engagements de la stratégie nationale. Nous en avons retenu trente, sur la base de la qualité des projets présentés, de leur cohérence par rapport à l'analyse partagée des besoins des enfants dans les territoires. Nous avons souhaité valoriser des propositions intéressantes et innovantes, comme le développement d'une offre dédiée d'interventions renforcées à domicile pour les 0-6 ans dans la Meuse.
Nous avons été attentifs aux territoires touchés par des vulnérabilités sociales importantes, notamment en termes de taux de pauvreté et de précarité socio-économique, qu'ils soient plutôt urbanisés, comme le Nord, ou au contraire plus ruraux, comme la Creuse ou les Ardennes. Je souhaitais aussi que des territoires aux besoins spécifiques comme les outre-mer ne soient pas oubliés. Ainsi les départements de la Guyane ou de La Réunion ont été retenus, comme la Corse.
L'enjeu maintenant est de rédiger les contrats, adaptés à chaque territoire avant la fin juin. Nous voulons enchaîner très vite sur la prochaine contractualisation, afin qu'avant le 31 décembre les projets suivants aient été sélectionnés et les contrats rédigés.
Mme Catherine Deroche. - Vous avez évoqué le Fijaisv. Il n'est pas possible de croiser les fichiers relatifs aux agréments ou aux pertes d'agrément des départements ; or, les familles peuvent changer de département. Il ne devrait pas être possible non plus d'effacer les peines du Fijaisv: dans une commune de mon département, une personne déjà condamnée a pu continuer à exercer et ses agressions ont continué.
J'en viens à la question du congé après le décès d'un enfant. En juillet 2019, j'ai déposé, avec le président Milon et de nombreux membres du groupe Les Républicains, une proposition de loi pour accompagner les familles, avec quatre propositions : la prise en charge des frais d'obsèques sous condition de ressources ; la poursuite du versement des prestations familiales, et non plus seulement de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), jusqu'au troisième mois suivant le décès de l'enfant ; la transmission automatique par les services de l'état civil de l'information concernant le décès de l'enfant à la caisse nationale des allocations familiales, ce qui évite aux familles cette démarche ; et la gratuité de la renégociation des emprunts. J'espère, si un texte devait être examiné au Sénat sur ce sujet, que ces mesures pourront être reprises.
Mme Élisabeth Doineau. - Merci monsieur le ministre de nous avoir détaillé votre feuille de route. Je salue votre détermination. Le reportage de M6 a choqué. Il était à charge et laissait à penser que la situation qu'il décrivait était générale dans tous les départements. Ce reportage a été très modérément apprécié par les professionnels de l'ASE qui sont, au quotidien, soumis à une tension extrême, car ils doivent s'occuper de profils très divers, et notamment, de plus en plus, de jeunes délinquants. Il faudrait, à cet égard, renforcer l'appui de la PJJ, car ces enfants, à la limite du pénal, constituent de vrais dangers pour les autres enfants ; ils ne devraient pas être pris en charge par la protection de l'enfance. D'un autre côté, 25 % des enfants pris en charge sont atteints de handicap. Certains ont des troubles psychiatriques et devraient être suivis de façon médicale sur le long terme, mais, comme nous manquons de ressources en pédopsychiatrie, les professionnels de l'ASE doivent essayer de calmer les enfants comme ils peuvent. Enfin, les départements doivent aussi prendre en charge les mineurs non accompagnés. Tout cela fait beaucoup !
Je ne veux pas trouver des excuses aux départements parce qu'il n'y a pas d'excuses en ce qui concerne la protection de l'enfance, mais il faut aider les départements, leur donner les compétences qui leur manquent cruellement. Il faudrait travailler avec l'association des départements de France pour animer au plan national les politiques de protection de l'enfance.
Dans le dispositif des 1000 premiers jours, quel sera le rôle de la PMI ?
Un mot enfin sur le syndrome du bébé secoué, auquel nous avons tous été confrontés en tant qu'élus. Les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) ont permis de sensibiliser les professionnels de santé ou les parents, mais l'effort doit sans cesse être renouvelé. Ces recommandations ont été contestées et des affaires ont été portées devant la justice. Quel bilan tirez-vous des mesures mises en place ? Comment aller plus loin ?
M. Bernard Bonne. - Merci pour votre plan, mais avons quand même un peu l'impression d'une recentralisation ! Le reportage de M6 a montré les cas les plus horribles - c'est conforme à la logique journalistique - sans, malheureusement, montrer tout le travail réalisé par ailleurs. Les présidents de département ont répondu qu'ils allaient mettre en place des contrôles. J'aurais plutôt expliqué l'action de l'ASE et les difficultés à contrôler. En effet, les responsables de l'ASE sont le département et la justice, et l'État pour la pédopsychiatrie. Or, la justice n'a pas rempli le rôle que la loi de 2007 lui confiait. Elle prend souvent des décisions de placement et le président du département n'intervient plus que pour exécuter la décision et payer le placement de l'enfant, et non pour jouer un rôle auprès de l'enfant et suivre son devenir. Comment le président du département peut-il contrôler les établissements dans ce cadre, alors qu'il ne sait même pas où l'enfant est placé et que c'est le juge qui a la main sur les décisions ?
Vous proposez de renforcer les contrôles, qui doivent être, en effet, plus effectifs. Mais il faut donner au président du département la possibilité de suivre effectivement les enfants qui lui sont confiés. On manque d'une évaluation pour savoir si les dépenses sont efficaces. Or les sommes en jeu sont considérables. Votre plan prévoit une enveloppe de 80 millions, soit 2,3 millions pour les départements sélectionnés, mais, dans la Loire, le budget de l'ASE s'élève déjà à 100 millions d'euros.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Madame Deroche, la question des agréments sera étudiée dans le cadre de la négociation collective sur les assistants familiaux. Je ne sais pas si un fichier national est la solution, en tout cas nous voulons trouver une solution et revoir les conditions d'agrément.
Je prends bonne note de votre proposition de loi portant diverses mesures d'accompagnement des parents en cas de décès d'un enfant mineur. Je ne reviendrai pas sur ce qu'il s'est passé à l'Assemblée nationale. Nous voulons désormais nous projeter en avant et bâtir une réponse d'accompagnement global pour aider les familles. Certains députés ont fait des propositions sur les frais d'obsèques ou le capital décès. Avec Mme Muriel Pénicaud, nous avons reçu au ministère une dizaine d'associations qui accompagnent les familles en deuil ; les mesures que vous avancez recoupent plusieurs de leurs propositions. Nous recevrons aussi les partenaires sociaux pour déterminer les modalités de financement de l'allongement du congé. Il faut aussi veiller à l'accompagnement psychologique des familles. Nous voulons trouver des solutions rapidement. La proposition de loi Bricout a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat le 3 mars. Le Gouvernement déposera sans doute des amendements et nous aurons un débat à ce sujet.
Madame Doineau, vous avez raison : il faut être intransigeant avec les dérives montrées dans le reportage, mais il ne faut pas réduire l'ASE aux cas présentés. Celle-ci sauve des milliers d'enfants tous les ans grâce à l'engagement de milliers de professionnels. D'ailleurs certains anciens enfants protégés se sont exprimés pour le dire.
En ce qui concerne la protection judiciaire de la jeunesse, nous allons mettre en place des instances quadripartites sur tout le territoire, réunissant le parquet, le conseil départemental, la PJJ et le tribunal, pour assurer une meilleure coordination territoriale, réduire les délais d'application des mesures, éviter que des juges ne prononcent des mesures de placement sans savoir si des places sont disponibles, et, généralement, renforcer les échanges d'information.
La PMI aura un rôle important à jouer dans le cadre du plan sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. Beaucoup d'acteurs interviennent dans le domaine de la petite enfance : la PMI, les caisses d'allocations familiales, les médecins, les communes, les départements, etc. Notre idée est de créer un parcours et de s'appuyer sur les structures existantes plutôt que d'en créer de nouvelles. Il n'en demeure pas moins que la PMI constitue un sujet en soi. Michèle Peyron a dit qu'il fallait sauver la PMI. Des mesures ont déjà été prises. Le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale a ainsi donné une base légale pour déléguer compétences des médecins aux puéricultrices, car nous devons libérer du temps médical dans la mesure où 80 % des médecins de la PMI vont partir à la retraite dans les prochaines années. Il faut revaloriser ce métier. Le rapport Peyron prônait de transférer les agréments aux CAF, mais sans dire comment. Nous avons missionné l'IGAS pour nous faire des propositions sur ce sujet. L'État est aussi prêt à investir dans la PMI et incite les départements, qui n'investissent pas assez, à faire davantage.
Certaines recommandations de la HAS concernant le syndrome du bébé secoué ont été remises en cause. Les situations sont complexes, mais, pour ma part, je me fie à l'avis des scientifiques. Les professionnels disent que les campagnes d'information ont sensibilisé les parents sur le syndrome du bébé secoué, mais beaucoup de parents ignorent encore ce syndrome. Il faut donc continuer à répéter les recommandations de la HAS et poursuivre les efforts de prévention sur les risques liés à certains comportements.
Recentralisation de l'ASE ? Non. Simplement l'État doit assumer ses responsabilités et ses compétences, qu'il s'agisse de la justice, de la pédopsychiatrie, de la santé, de l'éducation nationale, etc. Beaucoup d'enfants de l'ASE sont déscolarisés. Nous devons trouver des solutions. Nous voulons mobiliser l'assistance pédagogique à domicile (APAD) pour assurer la continuité de la scolarisation. En ce qui concerne les contrôles, notre démarche n'a rien de révolutionnaire et n'est que de bon sens : les montants d'argent public investis sont considérables, il importe de s'assurer qu'ils sont bien employés et profitent aux enfants. Quant aux placements directs par les juges, ils ne représentent plus que 7 % des mesures. Il est vrai que l'on constate une judiciarisation de l'ASE, c'est une dérive, mais certains départements arrivent à contrecarrer cette tendance, grâce à plus de prévention et en privilégiant les mesures à domicile.
M. Bernard Bonne. - Cela dépend des juges !
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - L'essentiel est de créer une culture commune entre les juges, les travailleurs sociaux, les ARS, etc. Hier, j'ai ouvert à l'École nationale de la magistrature la leçon inaugurale d'une session de formation continue sur la protection de l'enfance. Il y avait des 30 personnes : 20 magistrats, 5 cadres de l'ASE des départements et des professionnels de la PJJ. L'instance quadripartite que nous voulons mettre en place contribuera à la diffusion de cette culture commune.
Les mesures à domicile ne sont pas assez utilisées. Elles représentent seulement 8 % des mesures. La conférence de consensus que nous avons réunie portait sur ce thème et vient de remettre son rapport. Il faut que les professionnels s'emparent de cet outil. La protection de l'enfance représente un budget de 8 milliards d'euros, hors dépenses de personnel, dont 6 pour le placement. Si l'on développe la prévention et les mesures à domicile, si l'on accompagne mieux les parents, si l'on change les habitudes professionnelles des juges et des travailleurs sociaux, alors on parviendra à déjudiciariser le système et les parents adhéreront davantage au projet. Dans certains départements, le taux de mesures judiciaires est ainsi passé de 80 % à 60 %.
M. Michel Forissier. - Ma question s'inscrira dans la continuité de la question de M. Bonne. Le département du Rhône est en train de revoir ses politiques publiques dans ce domaine. Je me suis occupé des centres pénitentiaires pour mineurs, des centres éducatifs fermés et même de l'adoption. Le traitement des mineurs délinquants ou semi-délinquants est d'une complexité considérable : le premier comité de pilotage que j'ai réuni comprenait 80 personnes pour le département du Rhône. On manque de pilote ! Mais on ne peut pas tout piloter de Paris non plus. Il faut vraiment confier aux départements le pilotage et les moyens. Vous avez brillamment expliqué votre stratégie, mais nous sommes dans l'incapacité de l'appliquer sur le terrain faute de financements et de moyens. Pourtant, le département du Rhône n'est pas parmi les plus mal lotis ! Les taux d'encadrement ne devraient plus être fixés par l'État : il faut laisser de la souplesse pour s'adapter aux besoins du groupe.
Ensuite, je vous suggère de parler moins de théorie et plus de financement !
Mme Michelle Meunier. - À vous entendre, celles et ceux qui réclamaient un ministère dédié à la protection de l'enfance avaient bien raison, car nous avons le sentiment que ce sujet est enfin pris en compte depuis un an avec cohérence et continuité.
Toutefois, je n'ai pas bien compris la réponse que vous avez faite à Catherine Deroche à propos de l'accès aux fichiers. Nous préconisons en effet que ceux qui emploient des adultes appelés à travailler auprès d'enfants puissent être assurés de leur absence d'antécédents d'agressions ou de violences sexuelles.
En outre, je souhaite attirer votre attention sur un phénomène dont j'ai pris connaissance à la suite d'une visite d'un centre maternel Saint-Luc : la maternité du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes adresse directement de jeunes femmes accouchées au centre maternel. Pouvez-vous également prendre en compte le sort des jeunes femmes enceintes qui sont à la rue parmi les mesures que vous déployez ? Le CHU les adresse au centre maternel par défaut, en raison du manque d'assistantes familiales spécialisées. Envisagez-vous de répondre à ce besoin, même si les assistantes maternelles ne sont pas enclines, en général, à accueillir de très petits bébés, en raison de la relation encore très forte à la mère, mais aussi parce que les appartements sont parfois trop petits pour cela ?
Enfin, vous évoquez des stratégies, des plans, les rapports, comme celui de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la protection maternelle et infantile, mais de quelle mesure d'évaluation globale disposez-vous ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Il convient de se réjouir de vos annonces et investir pour la protection de l'enfance. Il me reste toutefois une contrariété : les mineurs non accompagnés échappent à cette stratégie. Travaillez-vous de concert avec le ministère de l'intérieur sur ce sujet ? En effet, tant que les filières qui acheminent les mineurs non accompagnés ne seront pas démantelées, les moyens consacrés à la protection de l'enfance resteront insuffisants.
À ce sujet, avec d'autres associations, l'Unicef a pointé le manque de moyens dévolus à ce sujet. Avez-vous pu travailler de nouveau avec ces organisations ? Quelle est leur vision de la nouvelle stratégie que vous évoquez ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Monsieur Michel Forissier, vous avez raison, il faut laisser le pilotage local aux départements. Il est temps, à ce sujet, que les observatoires départementaux de la protection de l'enfance fonctionnent - leur création remonte tout de même à 2007 ! - et animent localement la politique de l'enfance. S'agissant des taux d'encadrement, c'est une matière humaine, donc complexe, et les évolutions sur ce point se feront avec les territoires et les professionnels, même s'il nous est possible de fixer un cadre en veillant à laisser la souplesse nécessaire.
La question des moyens est, certes, importante, mais j'ai du mal à aborder les problèmes par ce prisme, je préfère me concentrer sur le sens. En outre, nous devons nous interroger sur l'utilisation faite de l'argent déjà disponible. Enfin, sur cette question, nous pourrions présenter une somme plus importante en intégrant les moyens consacrés par le ministère de la justice aux tribunaux pour enfants : soixante-dix juges et cent greffiers. Nous essayons d'investir où il est nécessaire de le faire.
Mme Michelle Meunier, nous avons étendu la possibilité de consulter le Fijaisv au secteur privé, dans le cadre du recrutement d'assistantes maternelles, mais il reste à en définir le modus operandi. Toutes les autres structures en contact avec la petite enfance peuvent déjà le faire, il reste une difficulté d'opérabilité à aplanir, nous menons avec le ministère de la justice un audit à ce sujet.
La situation des femmes enceintes à la rue est un problème identifié auquel les personnels hospitaliers nous ont sensibilisés. En Île-de-France, nous avons mobilisé l'agence régionale de santé (ARS) avec l'idée de créer des unités-passerelles. Nous y travaillons avec Julien Denormandie. Nous n'avons jamais créé autant de places d'hébergement d'urgence, mais nous avons adopté une stratégie de logement d'abord, laquelle demande du temps pour produire ses effets, les dispositifs d'urgence sont donc saturés et nous courrons toujours après le nombre de places nécessaires. Nous travaillons également avec le ministère de l'intérieur sur la question des statuts, car un certain nombre de ces femmes se trouvent en situation irrégulière.
S'agissant de la stratégie, je voudrais rappeler que tout ce que nous faisons sur les mineurs concerne également ceux qui ne sont pas accompagnés, qui sont avant tout des mineurs, des enfants comme les autres.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Ce n'est pas la question !
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Nous travaillons en effet avec le ministère de l'intérieur sur les filières, ou plutôt, le ministère de l'intérieur y travaille, mais le Gouvernement se consacre également à aider les pays d'origine à construire un état civil fonctionnel.
S'agissant de l'immigration, nous renforçons également, avec le ministère de l'intérieur, l'accompagnement vers l'autonomie et la majorité, car les pratiques sont très hétérogènes entre les territoires. Certains préfets délivrent en effet des autorisations de maintien pour un ou trois ans, car les entreprises cherchent à embaucher des jeunes formés et motivés, alors que dans d'autres territoires, ces autorisations ne dépassent pas un ou deux mois. D'une manière générale, les départements où cela se passe bien sont ceux dans lesquels une convention a été passée, comme dans l'Oise, par exemple, qui permet d'anticiper la situation : dès qu'un jeune atteint l'âge de 17 ans, on réfléchit à la suite, en fonction de son avancement, de sa trajectoire d'intégration, afin d'éviter les ruptures susceptibles de se produire à 18 ans. Une circulaire va partir pour tous les préfets visant à harmoniser les pratiques d'anticipation entre les départements.
Mme Laurence Rossignol. - Vous pourriez renvoyer celle du 25 janvier 2016, mais la question est la suivante : pourquoi n'est-elle pas appliquée ?
Mme Marie-Pierre Richer. - Le département du Cher fait partie des trente départements sélectionnés. Avec Michel Autissier, son président, nous nous interrogeons sur le décloisonnement des champs sanitaire et médico-social, qui offrirait une réactivité en fin de soirée et la nuit, alors que ce n'est pas communément admis. Quel est votre avis sur la production d'un formulaire Cerfa par la caisse primaire d'assurance maladie afin de permettre le remboursement d'un psychologue de soin intervenant en cas d'urgence ?
Le recrutement des familles d'accueil est un vrai sujet, il y en a 230 alors qu'il en faudrait 270 dans le Cher. Une étude a-t-elle été conduite à l'échelle nationale pour connaître les causes de cette situation ? Vous avez évoqué une concertation qui commencera le 27 février, les départements y seront-ils bien associés ?
Pouvez-vous nous confirmer que, comme je l'ai lu dans le rapport, le budget supplémentaire attribué aux départements ne sera pas pris en compte dans les plafonds issus du pacte de Cahors ?
Enfin, confirmez-vous votre venue dans le Cher courant mars ? (Sourires.)
M. Michel Amiel. - Vous avez employé une expression-clé : milieu ouvert, qui me rappelle l'articulation entre l'ASE et la PJJ, c'est-à-dire entre des enfants en danger et des enfants dangereux. Nous avons le sentiment que la principale réponse apportée en matière de justice des mineurs est l'ouverture de centres éducatifs fermés. Si ceux-ci sont utiles, cela me semble réducteur, tant il me paraît souhaitable de développer une approche ouverte, certes plus compliquée à mettre en oeuvre.
Nous avons produit, avec Alain Milon, un rapport sur la pédopsychiatrie dont très peu de préconisations ont été suivies. C'est d'autant plus regrettable que ce milieu est toujours sinistré en France.
Sur l'adoption, envisagez-vous de lancer une véritable réforme qui permettrait à des enfants en danger confiés à l'ASE d'être adoptés ?
Quelle revalorisation envisagez-vous au bénéfice des assistantes familiales ? Des cinq années que j'ai passées à la protection de l'enfance dans mon département, je garde le souvenir d'un personnel toujours à flux tendu et en grande difficulté.
Mme Martine Berthet. - J'ai identifié deux points de préoccupations dans mon département de la Savoie : le maintien dans la scolarité des enfants confiés à l'ASE et leur besoin de soins. En effet, lorsqu'un enfant intègre l'ASE, les autres accompagnants se désengagent très souvent.
Je souhaite également revenir sur les croisements entre certains volets du plan pauvreté et la politique de protection de l'enfance. Il me semble ainsi nécessaire de coordonner les différentes politiques, les dispositifs et les plans concernés, qu'ils soient du ressort de l'éducation nationale, de la santé, de la justice ou de l'intérieur.
M. Philippe Mouiller. - Je voudrais insister sur l'angle financier, car tout dépend des moyens en matière de formation des professionnels, pour l'ASE - nous ne disposons pas des dispositifs pour mineurs non accompagnés (DMNA) -, pour surmonter les difficultés des centres de repérage en matière de handicap ou de pédopsychiatrie, pour laquelle les moyens supplémentaires annoncés couvrent à peine les déficits des structures. Nous nous trouvons globalement en grande difficulté. Au-delà du discours technique, au-delà des mobilisations et de la contractualisation, laquelle conduit à demander aux départements de la moitié des coûts, quels moyens supplémentaires entendez-vous dégager ?
M. Jean-Louis Tourenne. - J'avais sans doute placé trop d'espoirs dans cette audition, s'agissant de son effet sur la situation de pauvreté et de violence que connaît notre pays. Je reconnais vos efforts et vos ambitions, mais ce que vous proposez en regard me semble dérisoire : vos mesures se comptent par unités, unité de millions, unité d'enfants, unité de pédopsychiatres, alors même que dans quatorze départements, il n'y en a aucun. Ce que vous nous annoncez ne réglera pas le problème, alors même qu'il faut plus d'un an à un enfant en difficulté pour être accueilli en centre médico-psychologique (CMP). Le grand objectif, c'est de sortir la France du podium mondial du déterminisme social. Vous n'êtes pas responsable de cette situation, mais aujourd'hui, vous n'annoncez pas d'ambition, en conséquence, les violences, la révolte et les frustrations augmenteront en proportion importante.
Le mot partenariat est beau, il est porteur d'une promesse d'échanges sur un pied d'égalité. Or le plan pauvreté, que vous prenez comme modèle, représente un financement d'à peine 150 millions d'euros aux départements, qui est donc sans commune mesure avec l'enjeu. Vous embarquez les départements dans des dépenses considérables, et vous leur apportez 80 millions d'euros ! Vous évoquez des économies, des efforts pour bien dépenser l'argent, mais vous limitez depuis des années l'augmentation des dépenses des départements à 1,2 %, même si leur population augmente ; ceux-ci ont fait toutes les économies possibles et sont aujourd'hui à l'os, mais vous leur demandez de faire encore plus. Que leur apportez-vous ?
Les mineurs non accompagnés sont traités comme les autres, dites-vous, c'est bien le cas dans les départements, mais leur nombre augmente et la responsabilité de la gestion de l'immigration incombe à l'État et non aux départements. Or l'État se contente d'accorder cinq jours d'indemnisation.
M. Dominique Théophile. - Les disparités entre territoires laissent entrevoir le travail qu'il est nécessaire de mener dans les outre-mer. Vous avez évoqué le lien entre la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance avec la Trajectoire outre-mer 5.0 chère à Mme Annick Girardin, s'agissant, notamment, de l'objectif « zéro exclusion ». Comment envisagez-vous cette articulation ?
S'agissant de la contractualisation avec les départements, vous annoncez vouloir investir massivement dans les départements qui en ont le plus besoin et privilégier les projets les plus aboutis, quels critères de sélection avez-vous retenus ?
Mme Victoire Jasmin. - Il y a des difficultés relationnelles, en raison d'un manque d'information, entre l'État, les départements, les communes et particulièrement les centres communaux d'action sociale (CCAS), qui ne sont impliqués que dans les situations critiques, notamment quand des familles d'accueil ont du mal à s'occuper d'enfants difficiles.
En outre, votre politique se heurte à un problème d'efficacité, quand vous baissez les aides personnalisées au logement, par exemple, mettant en difficulté des familles hébergées en hôtel. Peut-être faudrait-il anticiper, de manière que ces familles ne se retrouvent pas dans ces centres ?
Enfin, pourriez-vous susciter, auprès des associations comme des communes, l'organisation de colonies de vacances pour ces enfants et les financer, car ceux-ci se retrouvent souvent seuls et livrés à eux-mêmes ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Mme Marie-Pierre Richer, s'agissant de l'intervention de psychologues, elle entre dans la logique de l'article 50, qui prévoit la mobilisation de professionnels libéraux et sa prise en charge par la sécurité sociale dans le parcours de soin des enfants. Son application est expérimentée dans trois départements, il y en aura sept de plus cette année, je lance donc ici un appel à candidatures.
Nous lançons le 27 février des négociations collectives pour les assistantes familiales, qui concerneront les conditions d'emplois, le soutien professionnel - avec des équipes mobiles, par exemple, pour trouver des solutions de répit et de relais -, les conditions matérielles et les garanties d'exercice. Nous aborderons également l'adoption, car un certain nombre de familles d'accueil aimerait pouvoir adopter.
Sur le pacte de Cahors, nous nous inscrivons dans la lignée du plan pauvreté : les dépenses de l'État seront comptabilisées en dehors du dispositif alors que les dépenses des départements seront, elles, prises en compte ; toutefois, nous pourrons considérer, au cas par cas, l'inclusion ou non de certaines d'entre elles. À mon sens, nous vivons la dernière année du dispositif « Cahors 1 », si un second volet devait s'avérer nécessaire, les discussions s'engageront cette année et vous pourrez faire part de vos retours d'expérience.
Mme Richer, je viendrai dans le Cher après les municipales !
S'agissant de l'adoption, le rapport de votre collègue Corinne Imbert et de la députée Monique Limon nous a été remis, et certaines mesures vont être mises en oeuvre comme celles qui visent à rendre effective l'adoption simple - que Mme Laurence Rossignol avait instaurée - afin que celle-ci puisse constituer une vraie solution dans le parcours de vie des enfants de l'ASE. Aujourd'hui, le taux d'enfants protégés adoptés est de 0,0005 % en France, alors qu'il atteint 5 % en Grande-Bretagne, par exemple. La loi de 2016 est difficile à appliquer, il faut accélérer la création de commissions de statut, par la contractualisation, et développer les formations croisées sur le statut de l'enfant. En outre, il y a encore quelques problèmes législatifs à régler.
Un autre sujet est lié à cette question : aujourd'hui, nous avons 2 500 pupilles, dont la moitié est adoptable, nous avons 14 000 familles agréées et seulement 680 adoptions internationales. Les courbes se croisent, les parents attendent et des enfants restent sur le carreau, notamment ceux qui ont des besoins spécifiques, qu'ils soient trop âgés ou qu'ils aient un handicap. Dans le Pas-de-Calais, le psychologue du service de l'aide sociale à l'enfance a décidé, il y a vingt ans, que le département allait se spécialiser dans l'adoption des enfants à besoins spécifiques. Il a développé un discours d'accompagnement pour faire cheminer les parents en amont puis après l'adoption. J'ai rencontré deux couples concernés, qui sont aujourd'hui les plus heureux des parents et j'aimerai que l'on y travaille. Un certain nombre de solutions relèvent ainsi des pratiques et non pas seulement de la loi.
Nous avons travaillé avec Annick Girardin sur la création d'un réseau en outre-mer pour la protection de l'enfance, son ministère a apporté 50 000 euros pour l'animer afin qu'il prenne en compte les problématiques spécifiques. Deux territoires ont déjà candidaté, Saint-Martin a présenté sa candidature pour la prochaine vague, en revanche ni la Guadeloupe ni la Martinique ne l'ont fait. Les critères de sélection s'appuient sur les besoins et la pertinence des projets au regard des problématiques identifiées sur les territoires.
Mme Laurence Rossignol. - il y a huit jours, à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement, je vous avais demandé l'organisation d'un long débat au Sénat, malgré la réponse courtoise que vous m'aviez faite, je n'ai pas encore reçu satisfaction. La qualité de nos échanges démontre toutefois que vous auriez intérêt à prendre le temps de ce débat plus long.
Je me réjouis que votre action s'inscrive dans la continuité des précédentes, parce qu'il s'agit de politiques à évolution lente, mais je regrette que cette continuité concerne également la rareté des moyens. La contractualisation, c'est bien, mais la protection de l'enfance se caractérise par l'injustice et l'inégalité territoriale, que ce processus risque d'aggraver.
Vous indiquez que l'État va prendre plus de place, mais il devrait commencer par assumer sa compétence : la justice, par exemple, est un désastre. Les placements à domicile se développent, c'est une bonne chose, mais cela s'explique surtout par leur coût moins élevé. Quelle qualité de suivi peut-on attendre, dès lors que les juges pour enfants convoquent à deux ans les enfants placés à domicile ?
Nous vous soutiendrons sur l'adoption, mais je vous souhaite bon courage pour tordre le bras de la Direction des affaires civiles et du Sceau. Sur ces sujets, quand j'étais à votre place, j'ai perdu les arbitrages.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Je n'avais pas fait le lien entre cette réunion et votre question de la semaine dernière, je suis à votre disposition.
M. Alain Milon, président. - Nous organiserons cette rencontre, je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation de rapporteurs
La commission désigne M. René-Paul Savary rapporteur du projet de loi (Assemblée nationale, XVe législature, n° 2623) instituant un système universel de retraite, sous réserve de sa transmission par l'Assemblée nationale.
La commission désigne M. Jean-Marie Vanlerenberghe rapporteur du projet de loi organique (Assemblée nationale, XVe législature, n° 2622) relatif au système universel de retraite, sous réserve de sa transmission par l'Assemblée nationale.
La commission désigne Mme Élisabeth Doineau rapporteure de la proposition de loi n° 288 (2019-2020) visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d'un enfant.
Proposition de loi relative à la sécurité sanitaire - Examen des amendements de séance
M. Alain Milon, président. - Nous examinons d'abord quatre amendements du rapporteur à la proposition de loi relative à la protection sanitaire déposée par notre collègue Michel Amiel.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Outre l'introduction de modifications rédactionnelles, l'amendement n° 25 prévoit de rehausser l'obligation d'information des maladies urgentes ou susceptibles de faire l'objet d'une veille sanitaire au niveau législatif.
L'amendement n° 25 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° 26 est adopté.
Article 6
L'amendement de correction n° 27 est adopté.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 28 répond à une préoccupation personnelle. Il vise à sécuriser les droits de la personne contact évincée, dont aucune disposition spécifique ne prévoit l'indemnisation ou le maintien de son contrat de travail au cours de la période d'éviction.
Le présenta amendement, limité par les règles entourant sa recevabilité financière, tend seulement à inclure la personne contact évincée dans les dispositions relatives à l'indemnité compensatrice versée par l'employeur et à la suspension du contrat de travail.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 28.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 10 rectifié vise à supprimer l'article 1er, j'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 9 rectifié est satisfait par les garanties constitutionnelles. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 15 rectifié vise à garantir le respect de la biodiversité dans la lutte anti-vectorielle.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 15 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les amendements identiques nos 3, 5 et 12 rectifié tendent à prévoir l'information des collectivités territoriales en matière de lutte anti-vectorielle. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable aux amendements nos 3, 5 et 12 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 11 rectifié vise à supprimer l'article 2, j'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Les amendements identiques nos 4 rectifié, 6 et 13 rectifié visent à préciser les zones de lutte anti-moustiques. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable aux amendements nos 4 rectifié, 6 et 13 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 7 est satisfait.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 ainsi qu'à l'amendement n° 14 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 19 rectifié vise à rendre le maire destinataire d'un constat de présence d'ambroisie. J'y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 19 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - En revanche, je suis défavorable à l'amendement n° 16 rectifié, qui prévoit la possibilité d'une intervention d'urgence contre une espèce végétale.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 16 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 22 rectifié vise à garantir le respect de la biodiversité. J'y suis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 22 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 20 rectifié tend à renoncer à une garantie constitutionnelle. J'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 20 rectifié.
Article additionnel après l'article 4
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 17 rectifié me semble irrecevable au titre de l'article 41 de la Constitution et je vous propose de le soumettre à l'examen du président du Sénat.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 17 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Compte tenu du contexte d'urgence dû à la crise à laquelle le coronavirus nous expose, le rétablissement de la notion de maintien à domicile dans la mesure d'éviction me semble bienvenu.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 24.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 23 vise à préciser le champ de décret en Conseil d'État. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 23.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement n° 8, qui tend à ajouter une contrainte à la distribution dérogatoire de certains produits.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
La commission émet un avis favorable à l'amendement de précision n° 21 rectifié.
M. Martin Lévrier, rapporteur. - L'amendement n° 2 vise à élargir le périmètre du plan particulier d'intervention. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.
TABLEAU DES AVIS
La réunion, suspendue à 11 h 00, est reprise à 11 h 15.
- Présidence commune de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et de M. Philippe Bas, président de la commission des lois -
Groupe de travail sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs - Examen du rapport d'information
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Nous accueillons maintenant nos collègues de la commission des lois pour une réunion commune pour la présentation du rapport d'information de Mmes Maryse Carrère, Catherine Deroche, Marie Mercier et Michelle Meunier sur l'obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Mes chers collègues, comme vous le savez, je me suis beaucoup investi, lorsque j'étais ministre, dans la loi de 2007 réformant la protection de l'enfance, et je suis particulièrement sensible aux questions liées à la maltraitance des enfants. Il était important que nos deux commissions mènent ce travail en commun.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je commencerai mon intervention, en vous rappelant en quelques mots le contexte dans lequel nous avons mené nos travaux. Le rapport d'information que nous allons vous présenter s'inscrit dans le prolongement de la mission commune d'information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions, que j'ai eu l'honneur de présider. La mission, qui a rendu ses conclusions le 29 mai 2019, avait estimé nécessaire d'approfondir la réflexion sur l'articulation entre secret professionnel et signalement des violences sur mineurs, faute notamment d'avoir entendu les représentants des professions concernées.
Nos commissions ont donc autorisé la constitution d'un groupe de travail qui s'est intéressé à trois catégories de professionnels : les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les ministres du culte. Nous avons procédé à une quinzaine d'auditions afin d'entendre des universitaires, les représentants des ordres professionnels, des syndicats et associations de médecins et de travailleurs sociaux, des directions d'administration centrale, ainsi que des représentants des cultes.
Avant d'examiner l'articulation entre procédures de signalement et secret professionnel, je crois utile de rappeler les contours du secret auxquels sont astreints ces professionnels.
Le secret trouve sa justification dans la nécessaire relation de confiance qui doit se nouer avec certains professionnels : on doit pouvoir communiquer à un médecin ou à un travailleur social des informations sur sa vie privée sans crainte qu'elles ne soient divulguées ; à défaut, il existe un risque évident que des informations soient dissimulées et que la qualité du travail réalisé s'en ressente. Au-delà des informations confiées, le secret professionnel concerne tous les faits et informations qui peuvent être compris ou constatés par le professionnel.
Il n'existe pas de liste énumérant les professions astreintes au secret. Comme le prévoit l'article 226-13 du code pénal, l'application du secret à un professionnel peut être rattachée directement à sa profession, lorsqu'une règle spécifique lui impose de le respecter, mais aussi à son état, à sa fonction ou à l'exercice d'une mission temporaire.
Les professionnels de santé sont tenus au secret en vertu de leurs codes de déontologie, qui sont repris dans la partie réglementaire du code de la santé publique. Le secret médical, assimilé à un secret professionnel par la loi, figure dans le serment d'Hippocrate que je cite : « Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers. » Il est reconnu comme un secret absolu par la jurisprudence de la Cour de cassation. Le code de déontologie des médecins précise que « le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ».
En ce qui concerne les travailleurs sociaux, les règles entourant le secret sont variables, selon leur métier et le poste occupé, et parfois complexes à appréhender.
Si les assistantes sociales sont astreintes au secret à raison de leur profession, ce n'est pas le cas des éducateurs spécialisés qui y sont parfois soumis au titre de la fonction qu'ils exercent. Des dispositions législatives spécifiques soumettent au secret les professionnels exerçant certaines fonctions au contact des mineurs, en particulier lorsqu'ils participent aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), du service départemental de protection maternelle et infantile (PMI) ou du service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger - le numéro d'appel 119. Une disposition d'ordre général du code de la santé publique prévoit enfin que toute personne prise en charge par un professionnel du secteur social ou médico-social ou par un établissement ou service social ou médico-social a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations le concernant.
Enfin, concernant les ministres du culte, la Cour de cassation admet depuis deux siècles qu'ils sont dépositaires d'un secret professionnel. La raison d'être de ce secret est de leur permettre de se prévaloir d'une véritable confidentialité afin que leurs fidèles s'expriment sans encourir le risque d'une divulgation. Cette reconnaissance du secret professionnel pour les ministres du culte a été formalisée par une circulaire du 11 août 2004.
Dans la religion catholique, une place particulière est réservée au secret de la confession. La jurisprudence inclut dans le périmètre du secret professionnel les informations recueillies pendant la confession, mais aussi plus largement celles communiquées aux ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère.
Je précise qu'en droit canon le secret de la confession est un secret absolu qui ne souffre pas d'exception : dans le cadre sacramentel, le pénitent ne s'adresse pas au prêtre, mais directement à Dieu. Comme nous l'a expliqué le président de la Conférence des évêques de France, le prêtre ne doit donc pas considérer que la confidence lui est personnellement adressée ni conserver la mémoire de ce qu'il a entendu, ce qui lui interdit en toute circonstance de la révéler.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je vais maintenant vous présenter les règles juridiques qui s'imposent aux professionnels dépositaires d'un secret en ce qui concerne le signalement des mauvais traitements ou des négligences dont peuvent être victimes les mineurs.
Ces règles, assez complexes, sont dispersées entre le code pénal, le code de l'action sociale et des familles et le code de la santé publique. Je vais vous les résumer, en insistant sur les grands principes.
En premier lieu, il convient de rappeler que les obligations de signalement prévues par le code pénal ne s'appliquent pas à ces professionnels. L'article 434-3 du code pénal punit d'une peine d'emprisonnement les personnes qui ne signalent pas aux autorités administratives ou judiciaires les privations, les mauvais traitements et les agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur dont elles ont connaissance. Mais cet article exclut expressément de son champ d'application les professionnels astreints au secret.
Si ces professionnels n'ont donc pas l'obligation de signaler, ils ont la faculté de le faire dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler une « option de conscience ». L'article 226-14 du code pénal les autorise à signaler les privations et sévices infligés aux mineurs, même s'ils doivent pour cela révéler une information normalement couverte par le secret. Il appartient à chaque professionnel de décider en conscience s'il convient, dans l'intérêt de la victime, de garder le silence ou de révéler les faits dont il a connaissance.
Le professionnel qui procède à un signalement qui se révèlerait finalement infondé n'encourt aucune sanction, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. Ce régime protecteur est issu de l'adoption en 2015 de la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli. L'objectif est d'encourager les professionnels à parler dès qu'ils ont un doute. Il appartiendra ensuite à l'autorité administrative ou judiciaire de mener les investigations qui permettront d'établir la réalité des faits.
Par autorité administrative, il faut entendre les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), dont chaque département s'est doté en application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, loi qui avait été portée par notre collègue Philippe Bas, lorsqu'il était ministre chargé de la famille. La CRIP évalue les situations de mineurs en danger afin d'engager des actions de protection de l'enfance.
Par autorité judiciaire, il faut entendre bien sûr le procureur de la République, qui peut être saisi 24 heures sur 24 et qui peut décider d'engager des poursuites et d'ouvrir une enquête au vu des éléments qui lui sont transmis. Je précise que l'évaluation de la CRIP peut déboucher, le cas échéant, sur un signalement au parquet.
En pratique, les professionnels que nous avons entendus ont indiqué qu'ils privilégiaient un signalement au parquet dans les affaires qui leur paraissent présenter un caractère d'urgence. Dans les affaires plus ambiguës, ils préfèrent adresser une information préoccupante à la CRIP afin qu'un travail d'évaluation soit mené par les travailleurs sociaux.
Les dispositions du code pénal que je viens de présenter sont cohérentes avec celles qui figurent dans le code de la santé publique. Son article R. 4217-44 prévoit que lorsqu'un mineur est victime de sévices, le médecin « alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ».
Dans certaines hypothèses toutefois, les professionnels tenus au secret ont l'obligation de signaler les faits de violence dont ils ont connaissance.
Ils ont d'abord, comme tout citoyen, l'obligation d'intervenir dans les situations qui relèvent de la non-assistance à personne en danger, c'est-à-dire en cas de danger grave et imminent pour l'enfant, ou lorsqu'ils ont la possibilité d'empêcher, sans courir de risque, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle de la personne. Dans ces hypothèses, le professionnel ne peut se retrancher derrière le secret professionnel pour justifier son inaction. Toutefois, son intervention ne prendra pas nécessairement la forme d'un signalement, si d'autres modalités compatibles avec la protection du mineur sont envisageables.
Ensuite, les professionnels qui ont le statut de fonctionnaire, je pense par exemple aux médecins hospitaliers ou aux médecins de PMI, sont soumis à l'article 40 du code de procédure pénale, qui leur impose de signaler au procureur les crimes et les délits dont ils ont connaissance. Cette obligation n'est cependant assortie d'aucune sanction, ce qui en limite la portée.
Enfin, le code de l'action sociale et des familles impose aux personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance, notamment à celles qui participent aux missions de l'aide sociale à l'enfance, de transmettre sans délai au président du conseil départemental les informations nécessaires pour déterminer les mesures dont les mineurs peuvent bénéficier.
Au total, les hypothèses dans lesquelles un professionnel tenu au secret est obligé de signaler sont assez nombreuses. La règle de principe n'en reste pas moins celle de l'option de conscience, qui place parfois les professionnels face à de véritables dilemmes éthiques.
Arrivée au terme de ma présentation, je vais céder la parole à notre collègue Michelle Meunier, qui va vous exposer les arguments qui peuvent être avancés en faveur de l'institution d'une obligation de signalement.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous nous sommes efforcées, à la lumière de nos auditions, de répertorier les arguments qui plaident en faveur de l'instauration d'une obligation de signalement qui s'imposerait à tous les professionnels dépositaires d'un secret.
Je vais vous les présenter et vous expliquer quelles conclusions j'en tire à titre personnel. Mes collègues ont accepté que notre rapport d'information fasse une place à cette position personnelle bien qu'elle diverge de la position majoritaire qu'elles vont vous présenter dans quelques minutes.
Pour commencer, j'aimerais rappeler que le débat autour de l'obligation de signalement n'est pas nouveau. En 2015, notre collègue Colette Giudicelli avait déposé une proposition de loi visant à obliger les médecins à signaler au procureur de la République les constatations qui leur permettaient de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychologiques avaient été infligées à un mineur. Puis en 2018, à l'occasion du débat sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le Sénat avait examiné plusieurs amendements instaurant une obligation de signalement à la charge des médecins.
Nous avons entendu au cours de nos travaux les docteurs Catherine Bonnet et Jean-Louis Chabernaud, qui militent depuis de longues années en faveur de l'obligation de signalement. Ils nous ont présenté avec conviction les raisons qui les conduisent à défendre cette position. Ils estiment que le fait de poser dans la loi une règle claire augmenterait le nombre de signalements, ce qui permettrait de mieux protéger les enfants victimes, en rendant possible une intervention plus précoce et plus systématique des services sociaux ou de l'autorité judiciaire.
Les professionnels sont souvent confrontés au doute : ils suspectent que l'enfant est victime de mauvais traitements ou de négligences, mais sans en avoir la certitude, ce qui peut légitimement les faire hésiter à signaler. Une obligation légale ferait pencher la balance du côté de la victime, en partant du principe qu'il vaut mieux procéder à un signalement, qui se révèlera finalement infondé après enquête, plutôt que de prendre le risque de ne pas porter secours à un enfant victime.
Les mineurs, particulièrement les jeunes enfants, ont rarement la possibilité de dénoncer par eux-mêmes les violences qu'ils subissent. C'est la raison pour laquelle il est essentiel que les adultes autour d'eux assument ce rôle protecteur et que la loi leur rappelle clairement leurs obligations en la matière.
J'ajoute que l'instauration d'une obligation de signalement simplifierait les règles en vigueur. Nos auditions ont montré que la distinction entre les situations qui relèvent de la non-assistance à personne en danger et celles qui relèvent de l'option de conscience n'est pas toujours facile à percevoir pour les professionnels. Poser le principe selon lequel toutes les situations de danger pour l'enfant devraient être portées à la connaissance des autorités administratives ou judiciaires épargnerait aux professionnels beaucoup d'interrogations et d'hésitations qui retardent la mise en place de mesures de protection.
Les partisans de l'obligation de signalement mettent en avant les résultats obtenus aux États-Unis, au Canada et en Australie depuis qu'une obligation de signalement y a été instaurée. Aux États-Unis, cette obligation est ancienne, puisqu'elle remonte aux années 1960, avec cependant une grande variété de règles applicables dans la mesure où elles sont définies au niveau de chaque État fédéré.
Tous les États américains, néanmoins, imposent le signalement, sous peine de sanction, aux professionnels au contact des mineurs : professionnels de santé, travailleurs sociaux, enseignants, policiers, etc. Certains étendent cette obligation aux ministres du culte. D'autres États sont allés plus loin, en édictant une obligation générale de signalement : les membres de la famille, les amis, les voisins sont alors tenus de signaler au même titre que les professionnels.
Le débat se poursuit aux États-Unis où cette politique ne fait pas l'unanimité. Toutefois, les données statistiques disponibles suggèrent que la mise en place d'une obligation entraîne effectivement une augmentation du nombre de signalements. Une étude réalisée en 2009 a indiqué que le nombre de signalements était quatre fois plus élevé aux États-Unis et au Canada qu'il ne l'était en Angleterre, où l'obligation de signalement est absente.
Bien sûr, le risque existe que certains de ces signalements se révèlent infondés et que leur multiplication encombre les services de protection de l'enfance au point de les empêcher de s'occuper correctement des mineurs qui ont véritablement besoin d'être aidés.
Les études réalisées en Amérique du Nord montrent cependant que les signalements infondés sont moins nombreux, lorsqu'ils émanent de professionnels que lorsqu'ils émanent de non-professionnels, ce qui n'est guère surprenant. Un médecin par exemple est mieux armé, du fait de sa formation, pour détecter des signes de maltraitance que ne l'est un citoyen dépourvu de connaissances médicales. J'estime par ailleurs qu'il est de la responsabilité des pouvoirs publics de doter les services de protection de l'enfance et les services judiciaires des moyens suffisants pour faire face dans des conditions satisfaisantes à l'afflux des signalements.
Ces arguments m'ont conduit à préconiser, à titre personnel, la mise en place d'une obligation de signalement à la charge des professionnels dépositaires d'un secret. Ils ne devraient plus, à mon sens, avoir la faculté de signaler, mais être tenus de le faire, sans pouvoir se retrancher derrière le secret professionnel.
La mise en place d'une telle obligation, à laquelle certains ordres professionnels ont déjà réfléchi, ne devrait pas être perçue comme une marque de défiance : la plupart des professionnels procèdent déjà à des signalements en l'absence de toute contrainte légale. L'objectif serait simplement de conforter leur position, en leur donnant un point d'appui législatif, de clarifier les attentes de la société à leur égard et de rappeler à tous les adultes qui maltraitent des mineurs la force de l'interdit. Cette mesure s'inscrirait dans le mouvement actuel de libération de la parole qui est l'une des clés d'une lutte efficace contre les violences.
Je vais maintenant céder la parole à notre collègue Marie Mercier, qui va vous présenter les raisons ayant cependant conduit la majorité de mes collègues rapporteures à ne pas retenir l'idée d'une obligation de signalement.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - La très grande majorité des représentants de professionnels que nous avons auditionnés nous ont fait part de leurs réserves quant à l'opportunité d'instituer une obligation de signalement, du fait des risques qui s'attacheraient à un affaiblissement de ce secret.
Le secret professionnel protège le patient. Il lui permet de se livrer, d'exposer sa vie privée, et il permet à la société d'avoir confiance en l'institution soumise à ce secret. Les dérogations au secret professionnel doivent donc être limitées et justifiées par un motif d'intérêt général suffisant pour ne pas affaiblir les institutions concernées et les professionnels qui y exercent. Si les individus n'ont plus la certitude que la confidentialité est respectée, ils risquent de ne plus se confier. Or il ne saurait y avoir de médecine sans confiance ou sans confidence ; et la confiance et la confidence impliquent le secret professionnel.
Dans le champ médical, la plupart des associations et des syndicats ont pointé le risque d'affaiblir l'alliance thérapeutique construite avec le patient et son entourage : dans certains cas, une obligation de signalement pourrait conduire les familles maltraitantes à ne plus emmener leur enfant chez le médecin, par crainte de faire l'objet d'un signalement. Selon une étude américaine réalisée en 1995 sur des patients suivis pour troubles mentaux, le fait d'effectuer un signalement entraîne une interruption du traitement dans environ 25 % des cas, ce qui n'est pas négligeable.
L'obligation de signalement ne ferait pas disparaître le dilemme éthique qui se pose au professionnel en pareil cas. Elle ne ferait que déplacer son questionnement : le professionnel n'examinerait plus l'opportunité de signaler, puisque la loi lui imposerait la conduite à tenir ; mais demeurerait pour lui la difficulté de poser un diagnostic. Compte tenu des bouleversements, et même des ravages, qu'un signalement peut entraîner dans la vie d'une famille, le professionnel continuera de se demander si les indices qu'il a repérés justifient ou non de signaler. C'est généralement la difficulté de poser le bon diagnostic qui fait hésiter les professionnels, et non les considérations juridiques.
Toutefois, la crainte d'être sanctionné pour défaut de signalement pourrait conduire certains professionnels à se montrer moins rigoureux dans leur processus d'évaluation. L'instauration d'une obligation pourrait inciter certains d'entre eux à précipiter et à systématiser leurs signalements afin de se mettre à l'abri de tout risque de condamnation, ce qui pourrait nuire à la qualité de l'information transmise aux autorités. C'est le principal effet indésirable qui pourrait résulter d'une obligation : une moindre qualité des signalements et une dilution des cas les plus graves dans un ensemble de situations à traiter par les autorités compétentes. Même si ce risque paraît limité, compte tenu de la responsabilité et de la rigueur des professionnels, cette crainte est évoquée par les personnes que nous avons rencontrées.
Le signalement doit résulter d'un processus rigoureux de détection et d'évaluation de la situation de l'enfant, qui peut exiger de garder le silence pendant un temps. La difficulté est bien là : lever le doute pour savoir s'il s'agit ou non d'une maltraitance.
Plusieurs associations de médecins ont estimé que ce processus devait être appréhendé comme un véritable diagnostic médical, nécessitant parfois de recueillir l'avis d'autres professionnels. Il est fréquent que le médecin de ville, suspectant que l'enfant est victime de violences intrafamiliales, demande une hospitalisation, éventuellement en prétextant du besoin d'examens complémentaires, afin de confirmer ses suspicions grâce à des équipes médicales mieux formées à la détection de la maltraitance.
Le cadre actuel, qui autorise la préservation du secret professionnel dans certains cas complexes, parfois jusqu'à pouvoir lever des doutes sur une situation, permet ainsi aux professionnels d'agir de la façon la plus adaptée à la santé et à la sécurité du mineur.
Une majorité d'entre nous - Catherine Deroche, Maryse Carrère et moi-même - considère donc que l'absence d'obligation ne constitue pas un obstacle au signalement. Dès lors, au regard des risques que je viens d'évoquer, nous privilégions le maintien du cadre législatif actuel, qui semble équilibré pour articuler le secret et les procédures de signalement.
Néanmoins, nous nous rejoignons toutes les quatre sur le fait que les règles de droit pénal, qu'elles posent une obligation de signaler ou non, ne sont pas suffisantes pour encourager les signalements. Différentes mesures pourraient être mises en oeuvre sans délai pour favoriser les signalements par les professionnels et, surtout, les accompagnements.
Tout d'abord, il est souhaitable d'approfondir notre connaissance des informations préoccupantes et des signalements transmis aux CRIP et aux parquets, en agrégeant les données disponibles au niveau national et en les précisant, sous la responsabilité de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE). Ce sujet a donné lieu à des travaux de recherche aux États-Unis ; mais il a été trop peu étudié en France, ce qui nous prive d'éléments d'appréciation objectifs.
Ensuite, la formation initiale et continue des professionnels au contact des mineurs, en particulier les professionnels de santé et les travailleurs sociaux, devrait être renforcée afin de comporter des modules plus complets dédiés aux violences sur mineurs d'une part et, de l'autre, les règles encadrant les procédures de signalement et le secret professionnel.
La sensibilisation tout au long de la carrière aux situations d'enfance en danger est elle aussi essentielle. Elle passe avant tout par un renforcement de la diffusion de bonnes pratiques, comme le fait la Haute Autorité de santé (HAS), grâce à des supports adaptés aux situations concrètes rencontrées par les professionnels.
Les échanges entre professionnels sont également à développer, à l'image des rencontres régulièrement organisées dans certains établissements hospitaliers parisiens entre professionnels de santé, de la protection de l'enfance et de la justice, afin d'échanger sur les pratiques et les procédures à suivre en faveur de l'enfance en danger. Ces échanges pluridisciplinaires sont à développer sur l'ensemble du territoire pour faciliter les signalements.
Enfin, pour ne pas laisser un professionnel seul face à ses doutes, il convient de mieux identifier sur le territoire les médecins spécialistes susceptibles d'aider les professionnels de santé, les travailleurs sociaux, et, plus largement, les professionnels confrontés à ces situations. Les coordonnées de ces personnes ressources, qui pourraient être les médecins référents en protection de l'enfance et les médecins hospitaliers spécialistes en pédiatrie, pédopsychiatrie et pédiatrie médico-légale, pourraient être communiquées par les ordres professionnels à l'échelle départementale : ainsi, les intéressés pourraient être facilement sollicités.
Nonobstant le maintien du cadre législatif actuel, que nous préconisons, nous proposons donc dès à présent un ensemble d'actions concrètes afin de favoriser, sur le terrain, les signalements destinés à mieux protéger les plus vulnérables d'entre nous, à savoir les enfants. C'est notre préoccupation à toutes quatre. Certes, il existe une obligation de secret ; mais il y a, avant tout, une obligation de secours.
M. Michel Forissier. - L'obligation de signalement ne relève pas, à mon sens, de mesures législatives ou réglementaires. Le cadre à privilégier est la formation professionnelle des intervenants, dans tous les domaines.
Tout d'abord, je pense à la formation initiale. Les professionnels doivent être au fait des règles de confidentialité s'appliquant au métier auquel ils se destinent ; je pense notamment aux assistantes maternelles, dont les relais emploient de plus en plus souvent des psychologues et assurent l'accompagnement nécessaire. Bien des situations posent des dilemmes : un signalement n'est pas sans conséquence. Il peut même marquer à vie la personne qui en a fait l'objet.
Ensuite, je pense aux plans de formation continue. À cet égard, il s'agit, pour l'employeur, d'un enjeu de ressources humaines.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Nos quatre rapporteures se sont penchées sur une question complexe concernant un grand nombre de professions ne disposant pas des mêmes informations. La tâche était d'autant plus difficile qu'il s'agit là de combiner des législations distinctes.
Quelle que soit sa profession, une personne rencontrant sur sa route un crime ou un délit doit en informer le ministère public ; en outre, quand un danger grave et imminent se présente, il ne peut pas le taire ; enfin, la question du doute est absolument essentielle. Le professionnel est alors renvoyé à sa propre responsabilité, qu'il lui est bien difficile d'exercer.
C'est pourquoi la loi de 2007 précise qu'en cas de doute il faut se tourner vers la CRIP, que tous les départements ont dû mettre en place. Cette instance composée de professionnels a pour mission de centraliser les informations en faisant appel à d'autres professionnels, eux aussi soumis au secret.
À cet égard, on est bien dans un espace interstitiel permettant à l'information de circuler. En définitive, soit l'on saisit la justice, dans les cas les plus graves, soit l'on provoque l'accompagnement par les services sociaux.
Au fond, le plus urgent semble de rendre ce dispositif efficace. Des différences de vues se font jour entre les rapporteures ; mais, même si l'on choisit de légiférer, il faudra bien tenir compte des dispositions existantes.
Mme Brigitte Lherbier. - J'ai déposé l'an dernier une proposition de loi portant sur ce sujet précis, qui m'intéresse particulièrement. Au cours de ma carrière, j'ai été confrontée plusieurs fois à des cas de violences ou de maltraitances non signalées, alors que, de toute évidence, des professionnels en avaient eu connaissance. De telles expériences vous meurtrissent forcément ; pour ma part, elles me poursuivront toute ma vie.
La CRIP me semble tout à fait adaptée pour recenser, dans le cadre du secret partagé, un certain nombre de doutes et de témoignages médicaux, sociaux, ou venant de l'éducation nationale.
Madame Mercier, pourquoi le médecin serait-il dispensé de se joindre à cette équipe départementale ? J'entends bien l'argument de la confiance : le médecin de famille peut se charger de trouver une solution. Mais les médecins de ville ne connaissent pas tous leurs patients : ils ne voient même certains d'entre eux qu'une seule fois. Tous les praticiens doivent avoir la CRIP comme interlocuteur.
Mme Michelle Gréaume. - J'ai travaillé plusieurs années dans un centre communal d'action sociale (CCAS), et j'y ai rencontré des enfants et des familles pour lesquels la communication avec les différents acteurs - médecins, éducateurs, tutelles, curatelles, écoles et CCAS eux-mêmes - était difficile.
Dans les centres de loisirs ou dans les garderies, les agents communaux peuvent se heurter à diverses situations, dont ils font part aux assistants sociaux du département. Mais, ensuite, ils n'ont pas forcément de retour, ce qui leur inspire de la frustration.
Il est donc nécessaire de prévoir des formations spécifiques et de dresser la liste exhaustive des acteurs susceptibles de se rencontrer pour partager les informations dont ils disposent.
M. Jean-Luc Fichet. - La position de Marie Mercier me paraît intéressante. Il est en effet très important de conserver le secret : cela permet de garder la confiance des patients et de les amener à se confier. La notion d'étanchéité est donc primordiale. Dans le même temps, autoriser le médecin à faire des signalements peut aussi être un argument pour inciter à consulter : le patient utilise en quelque sorte un tiers pour autoriser un signalement qu'il ne peut pas faire lui-même.
Dans la hiérarchie de la confidentialité des secrets, je ne sais quelle priorité il faut donner, mais autoriser les signalements permet de protéger les enfants et les personnes menacées.
M. Bernard Bonne. - Il est intéressant que ce rapport d'information propose les deux points de vue, le pour et le contre. Selon moi, il ne faut surtout pas légiférer. Le secret professionnel est très différent selon qu'il concerne un prêtre dans le cadre d'une confession ou un médecin. Le médecin est confronté à des parents qui amènent un enfant sans dire que celui-ci a subi des maltraitances : c'est donc au médecin de voir s'il y a un risque de cette nature.
En revanche, le médecin doit avoir une obligation de moyens, c'est-à-dire tout faire pour que soit éventuellement recherchée la responsabilité des parents ou d'autres adultes. C'est pourquoi l'obligation de faire examiner l'enfant par des spécialistes à l'hôpital ou de le conduire dans des milieux spécialisés est beaucoup plus importante que l'obligation faite au médecin de dénoncer un acte particulier. Celui-ci doit avoir les moyens de le faire, mais il ne faut pas l'obliger à le faire, car les conséquences peuvent être dramatiques pour lui-même, pour l'enfant et pour les parents.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je souligne à mon tour la qualité de ce rapport d'information. Sur tous les sujets, et encore plus lorsqu'ils sont sensibles, les représentants des outre-mer se demandent quelle place sera réservée aux outre-mer dans les préconisations et les mesures à prendre.
Récemment, une ancienne ministre a provoqué l'émoi en outre-mer en évoquant le sort qui aurait été réservé à une époque à d'anciens professeurs pédophiles, discrètement mutés dans les territoires ultramarins. Sans m'appesantir sur ces propos qui ont été démentis par le ministre actuel de l'éducation nationale, j'aurais manqué à mes devoirs en ne les mentionnant pas.
Dans le travail de la mission commune d'information, une attention particulière a-t-elle été accordée aux outre-mer ? Si ce n'est pas le cas, il n'est pas trop tard pour bien faire. L'éloignement n'est pas que géographique, malheureusement : ces territoires sont spécifiques.
Mme Laurence Rossignol. - Le travail qui a été accompli va nous être utile assez rapidement. La proposition de loi sur les violences intrafamiliales, qui sera prochainement examinée au Sénat, contient un article sur le secret médical pour les femmes victimes de violences. Après avoir annoncé qu'il allait créer une obligation pour les médecins de dénoncer les violences constatées dans leur cabinet, le Gouvernement a finalement rédigé un article levant l'infraction au secret médical, sans que le médecin doive obligatoirement recueillir le consentement de la victime. Nous aurons certainement un débat sur ce sujet.
Le raisonnement de Marie Mercier me semble imparable quand il s'agit de victimes majeures. Je suis plus perplexe quand il s'agit de victimes mineures. Je ne crois pas que les parents cesseraient d'emmener leur enfant chez le médecin, si la levée du secret médical était décidée. Il n'est qu'à voir le comportement des parents de la petite Marina : ils allaient beaucoup chez le médecin et conduisaient même l'enfant aux urgences, alors même que la capacité de signalement est plus grande à l'hôpital qu'en ville.
Je pense que les médecins ont peur de cette obligation, car son non-respect engagerait leur responsabilité. Reste que cette obligation de signalement serait très utile pour protéger les enfants. Je sais que la question est délicate, car, en France, on confond signalement et délation. Le poids de l'histoire, sans doute.
Je suis choquée que le secret de la confession protège la connaissance d'infractions criminelles. On pourrait sans doute dissocier la confession des auteurs de celle des victimes. L'Église catholique est ainsi faite que même les victimes se sentent coupables et confessent être victimes ; elles viennent d'ailleurs chercher l'absolution à ce titre. Le secret de la confession des victimes est totalement inacceptable : lorsqu'une victime, enfant ou une fois devenue adulte, se confesse et confie qu'elle a été victime, elle appelle au secours et elle s'adresse à quelqu'un qu'elle pense capable de l'aider. Il faut que cela se traduise en actes.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je commencerai par répondre à la question sur le secret de la confession. Si les auteurs de telles infractions viennent rarement se confesser, les victimes peuvent, elles, parler. Dès qu'il n'est plus question de secret sacramentel, les prêtres ne sont pas tenus au secret : le pape a d'ailleurs récemment levé le secret pontifical concernant les violences sexuelles sur mineurs. Le cadre est donc restreint à celui de la confession. Selon le président de la Conférence des évêques de France que nous avons auditionné, les ministres du culte incitent désormais les mineurs à appeler le 119 et à en parler en dehors du confessionnal. Le tribunal correctionnel de Caen a déjà levé cette notion de secret, qui avait été élargie au ministère dans toute sa globalité.
Sur le secret médical, j'étais au départ plutôt favorable à une obligation de signalement. Le rapport d'information montre que, dans de nombreuses situations, cette obligation existe même pour les professionnels astreints au secret. La loi Giudicelli protège d'ailleurs les professionnels de santé : ils ne peuvent plus être condamnés s'ils lèvent le secret et opèrent un signalement, même s'il arrive encore parfois qu'ils soient poursuivis.
La difficulté se pose lorsqu'il y a doute, notamment lorsqu'il s'agit de violences intrafamiliales, d'autant que les signes cliniques et objectifs disparaissent vite. Lorsque ces cas surviennent, les médecins se retrouvent seuls. Souvent, ils ne connaissent pas la loi Giudicelli, qui les protège. De ce point de vue, les fiches pratiques établies par la Haute Autorité de santé sont intéressantes et il est utile que les médecins puissent se tourner vers un médecin référent dans leur département, quand celui-ci existe, afin de partager ce doute et savoir quelle conduite tenir.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Ce sujet complexe fait suite à une mission commune d'information sur la pédocriminalité, qui a montré qu'il fallait poursuivre la réflexion sur le secret professionnel. On le voit bien, sur ces questions, les réponses ne sont pas binaires.
Pour ma part, j'ai choisi comme axe unique la protection de l'enfant, qui est le plus vulnérable et, surtout, la victime. On sait qu'une fois adultes ces victimes relatent souvent que le médecin qui les a vues n'a pas compris ou n'a pas vu, ce qui peut avoir des conséquences très graves.
Sur ce sujet, comme l'a souligné Catherine Deroche, on ne part pas de rien. Le Sénat a déjà voté des amendements visant à rendre possible l'obligation de signalement. Je ne crois pas qu'en légiférant on obligera et on les déresponsabilisera les professionnels, qui sont formés et qui ont encore besoin de formation et d'informations sur les violences de tous genres, qu'elles touchent les enfants ou les adultes. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Monsieur Mohamed Soilihi, dans le premier travail que nous avons accompli sur la pédocriminalité dans les institutions, l'éducation nationale a reconnu qu'elle avait déplacé les personnels. Les territoires ultramarins n'ont pas été explicitement nommés, mais, personnellement, je sais que cela a pu exister.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je réponds à notre collègue Thani Mohamed Soilihi : les règles sont identiques dans l'hexagone et outre-mer et nous n'avons eu aucun signalement spécifique à cet égard. Il est néanmoins vrai que les médecins y sont plus isolés, ce qui rend davantage nécessaire le recours à des médecins ressource et de mettre l'accent sur la formation en cours de carrière.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je veux dire un mot de la proposition de loi de notre collègue député Guillaume Gouffier-Cha, qui propose de s'affranchir de l'accord de la victime majeure. Au cours des auditions de leurs organisations syndicales, les médecins nous ont bien dit qu'ils procédaient aux signalements, étant entendu que seule la crainte de faire un mauvais diagnostic pouvait les arrêter. Une pédiatre me disait récemment qu'elle se sentait très seule lorsqu'elle faisait de tels signalements. C'est pourquoi il faut mettre l'accent sur l'accompagnement des médecins. D'autres personnes que nous avons auditionnées ont indiqué que l'obligation de signalement n'était peut-être pas la réponse unique et qu'il conviendrait sans doute de changer les mentalités.
Ce sujet ne sera pas clos aujourd'hui, et nous ne devons jamais perdre de vue notre obligation de secours.
Mme Florence Lassarade. - En Gironde, la cellule d'accueil d'urgences des victimes d'agressions (CAUVA) au sein du CHU de Bordeaux a permis de libérer la parole des médecins, des pédiatres et de les conforter dans leur volonté de signalement. La CAUVA est constituée d'une équipe pluridisciplinaire et est accessible très facilement à tout le monde.
La commission des lois et la commission des affaires sociales autorisent la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 25.