Jeudi 2 avril 2020
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La téléconférence est ouverte à 15 heures.
Audition de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire (en téléconférence)
M. Hervé Maurey, président. - C'est la première fois qu'une commission du Sénat procède à une audition en plénière et en visioconférence. Nous sommes une cinquantaine à être connectés.
Cette audition traduit la volonté du Sénat de continuer à exercer sa mission de contrôle dans cette période difficile. Nous n'évoquerons pas la question des transports puisque nous auditionnerons la semaine prochaine le secrétaire d'État chargé des transports.
Nous vous interrogerons sur la gestion des déchets depuis le début de la crise sanitaire, sur les mesures de protection des personnels et sur la situation des entreprises relevant de certains secteurs d'activité, notamment les services de distribution de l'eau et de l'assainissement, sur la sécurité des sites industriels et nucléaires ainsi que sur les énergies renouvelables.
À ce sujet, je constate avec satisfaction que la consommation d'énergie diminue. Mais la baisse du prix des hydrocarbures et de la tonne de CO2 laisse à craindre des arbitrages défavorables aux énergies renouvelables.
Le Président de la République a dit qu'après cette crise sanitaire, rien ne serait plus comme avant. Pourtant, beaucoup craignent que le plan de relance qui sera mis en oeuvre ait des conséquences négatives pour l'écologie, le développement durable et la biodiversité. Pour notre part, nous espérons qu'elle sera l'occasion d'une prise de conscience salutaire de ces questions et du changement climatique. D'ailleurs, un certain nombre d'études tendent à démontrer que la déforestation, en particulier, ne serait pas étrangère à la crise que nous vivons actuellement.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. - Monsieur le président, je vous remercie d'avoir organisé ce temps d'échanges. Dans les secteurs dont j'ai la charge, il n'est pas rare de connaître des crises, mais cette crise-là est inédite à la fois dans sa dimension et ses modalités de sortie.
Derrière cette crise sanitaire se dessine une crise économique, financière et sociale sans précédent dont il faudra tirer les conséquences et vos retours du terrain me seront précieux.
S'agissant des secteurs dont j'ai la charge, les services essentiels sont aujourd'hui assurés : distribution de l'eau, de l'électricité, du gaz, collecte des déchets et des ordures ménagères, approvisionnement des magasins d'alimentation. Je veux rendre hommage aux salariés de ces secteurs, qui continuent à être sur le terrain.
Mon rôle, aux côtés de mes secrétaires d'État, est de veiller à la continuité de ces activités et de protéger les salariés. Dans chacun de ces secteurs, les employeurs ont à réfléchir aux organisations de travail à mettre en place pour assurer la continuité de leurs activités tout en veillant à la protection de leurs salariés. Nous veillons à ce que les équipements de protection individuelle soient disponibles. Le contexte particulier de l'épidémie peut exiger de recourir à des protections lorsque la distance minimale d'un mètre entre deux personnes ne peut pas être garantie, ce qui est le cas par exemple dans les centres de commande des centrales nucléaires.
Ces mesures de protection étaient prévues dans les plans de continuité d'activité (PCA) des opérateurs d'importance vitale et de services essentiels à la vie de la Nation.
Certains disent qu'il faudrait uniquement maintenir l'activité des secteurs essentiels. Or il faut tenir compte de l'interdépendance des différents secteurs. Par exemple, les rubans adhésifs sont indispensables pour fermer les cartons contenant les produits destinés aux hôpitaux ou autres magasins ! Autre exemple, récemment, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) soulignait les difficultés que cause la fermeture des cimenteries, qui se servent des farines animales comme combustible.
Nous avons donc besoin de la mobilisation de tous nos concitoyens dans le respect du confinement, de ceux qui peuvent télétravailler et de ceux qui peuvent être sur le terrain.
S'agissant des transports de voyageurs nous avons, en vue de réduire les déplacements de longue distance, réduit l'offre. Ainsi, seuls 6 % des TGV circulent aujourd'hui. Le transport aérien, quant à lui, est quasiment à l'arrêt ; seuls sont assurés les vols de rapatriement de nos compatriotes bloqués à l'étranger et les vols permettant d'approvisionner les personnels soignants en matériel.
Le transport de marchandises est mis à rude épreuve puisque toutes les chaînes logistiques ont dû être réorganisées. Je pense en particulier à l'approvisionnement des commerces alimentaires. De même, pour assurer des conditions de travail décentes aux salariés des entreprises de transport routier, nous avons fait rouvrir un certain nombre de stations-service. Ce secteur est d'ailleurs en train de mettre en place une charte de bonnes pratiques négociée entre les syndicats patronaux et de salariés. Nous avons pris un certain nombre de mesures relatives à l'hygiène dans ce domaine.
Dans le secteur de l'énergie, la production et l'approvisionnement se poursuivent normalement. Je suis attentive aux conséquences à très long terme de cette crise sur ce secteur. J'ai rencontré ou rencontrerai prochainement les représentants des filières de l'énergie nucléaire, du gaz, des énergies renouvelables et de la production de chaleur et de pétrole. Nous exerçons une vigilance particulière sur le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui est indispensable notamment à la maintenance des centrales nucléaires et des éoliennes.
Un travail est en cours avec les entreprises du secteur pour que les chantiers puissent être poursuivis, notamment ceux qui sont indispensables au maintien des services essentiels, évidemment dans le respect de la sécurité des salariés.
S'agissant du paiement des factures d'énergie, la loi d'urgence du 23 mars dernier a prolongé la trêve hivernale jusqu'au 31 mai, ce qui permet d'interdire les coupures pour tous les consommateurs et la limitation de puissance pour les consommateurs bénéficiant du chèque énergie. Des dispositions similaires ont été prises pour les entreprises qui sont éligibles au fonds de solidarité, avec interdiction des coupures et de la baisse de puissance. Il est également prévu d'étaler le paiement de leurs factures sur une période d'au moins six mois après la fin de l'état d'urgence.
S'agissant des projets d'énergies renouvelables, nous accordons des délais supplémentaires pour les travaux de raccordement, sans perdre de vue nos objectifs en matière de transition énergétique.
La production de déchets, quant à elle, est inférieure à ce qu'elle est en période normale, notamment en raison d'une moindre production de déchets issus des activités économiques : la production de déchets industriels a baissé de 50 % et celle des déchets de chantier de 80 %. Le Syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères d'Île-de-France (Syctom) indique que la collecte des ordures ménagères a diminué de 25 %. Celle-ci, en tout cas, est maintenue sur l'ensemble du territoire.
Pareillement, le volume des déchets d'activités de soins à risques infectieux (Dasri) a augmenté, en particulier dans les régions les plus touchées comme le Grand Est et l'Île-de-France, mais leur collecte et leur traitement sont assurés. Avec Brune Poirson, nous faisons un point régulièrement avec les acteurs de la filière pour les accompagner pendant cette période de crise, afin qu'ils puissent continuer à exercer cette activité essentielle pour la salubrité publique. Par exemple, nous avons communiqué sur les bons gestes à faire pour l'élimination des mouchoirs, gants et masques, qui ne doivent pas être jetés dans les bacs jaunes. C'est important pour les agents qui sont chargés de la collecte et du tri de ces déchets. Nous avons également indiqué que le dépôt de déchets en point d'apport volontaire faisait partie des sorties autorisées. Il faut maintenir la collecte du verre pour assurer la continuité des fours verriers.
À ce jour, 60 % des centres de tri sont en activité et il importe de maintenir leur activité pour l'alimentation des chaînes de production en papier, carton et plastique recyclés, eux-mêmes nécessaires pour le secteur agroalimentaire.
On n'enregistre pas de difficulté non plus dans la continuité des activités de traitement de l'eau. Avec Emmanuelle Wargon, nous sommes en contact avec les acteurs du secteur pour répondre à leurs préoccupations et nous assurer qu'ils anticipent bien les difficultés. Ils ont notamment demandé à bénéficier de facilités de paiement des redevances aux agences de l'eau. Nous sommes en train de répondre à cette demande. De plus, nous avons veillé à ce que la loi d'urgence permette de répondre à plusieurs de leurs inquiétudes, notamment l'adaptation de certains délais en matière d'autorisation environnementale, dans la transmission de données ou dans la conduite des marchés publics.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a rendu un avis sur l'épandage des boues de stations d'épuration : elle préconise de ne répandre que les boues hygiénisées. Des instructions ont été adressées aux préfets pour mettre en oeuvre cette recommandation.
Des facilités de paiement des factures d'eau potable pour les petites entreprises en difficulté ont été accordées, certaines d'entre elles ayant vu leur chiffre d'affaires baisser de façon significative.
Enfin, les collectivités locales sont des partenaires essentiels de l'État dans cette période de crise, et nous associons systématiquement leurs associations représentatives aux décisions. Elles sont en première ligne dans la fourniture de tous ces services essentiels (eau, gestion des déchets, mobilité). Il faut les aider à adapter leurs modes de fonctionnement en tenant compte des consignes de sécurité sanitaire. Par exemple, saisie par mon ministère, l'Anses a indiqué qu'il n'y avait pas d'exigence supplémentaire par rapport aux règles habituelles concernant les équipements de protection dans les stations d'épuration et d'assainissement.
Nous nous assurons également que les grands opérateurs, entreprises privées comme régies, aident les différents opérateurs à s'équiper en moyens indispensables de protection individuelle.
Enfin, les collectivités locales ont un rôle important, en tant que donneuses d'ordres, pour soutenir la vie économique et les entreprises locales. Nous avons élaboré un guide de bonnes pratiques destiné au secteur du BTP pour permettre de relancer les chantiers urgents, pour continuer à assurer la maintenance des réseaux, les mises en sécurité et réparations indispensables.
On peut donc saluer le professionnalisme et l'engagement de tous ces salariés grâce auxquels la vie économique de notre pays se poursuit, dans le respect de leur sécurité.
M. Didier Mandelli. - Je salue également l'engagement de tous les personnels, notamment ceux qui travaillent dans le secteur des déchets. Disposons-nous d'éléments sur les risques d'exposition particuliers de ces agents au Covid-19 ? Au-delà des gestes barrières recommandés à toute la population, des modalités spécifiques ont-elles été prévues pour eux ?
Ces personnels portent habituellement des masques. Existe-t-il des risques de rupture d'approvisionnement, au regard de la priorité donnée aux personnels de santé ?
Les consignes sur le tri des mouchoirs ont-elles été bien relayées, notamment par les intercommunalités chargées de la collecte et du tri ? Au-delà de la foire aux questions, d'autres moyens d'informations ont-ils été prévus ?
L'hygiénisation des boues des stations d'épuration et des composts est-elle suffisante ? Dispose-t-on d'un avis technique circonstancié sur le sujet ?
Enfin, au vu du contexte actuel, les conditions d'accès aux centres d'enfouissement et d'incinération seront-elles assouplies ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous avons sollicité de nombreux avis, notamment ceux de l'Anses et du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur ces questions pour répondre aux inquiétudes des salariés et employeurs du secteur.
Sur la gestion des déchets provenant du traitement de patients infectés par le Covid-19, le HCSP nous a indiqué que les précautions habituellement appliquées pour les Dasri devaient être maintenues. Il en va de même pour les salariés chargés de la collecte et du tri des déchets. Les employeurs ont réorganisé le travail pour respecter les gestes barrières. Alors qu'il y a habituellement trois personnes dans la cabine, un conducteur et deux ripeurs, des consignes ont été données pour que ce ne soit plus le cas.
Nous nous préoccupons, comme en temps normal, de l'approvisionnement des équipements de protection individuelle nécessaires dans ces secteurs. Pour éviter les risques de rupture d'approvisionnement après la réquisition des masques pour les personnels soignants, nous avons puisé dans les stocks stratégiques de Santé publique France. Les entreprises réalimenteront ces stocks lorsqu'elles le pourront.
S'agissant de l'élimination des mouchoirs, gants et masques, nous communiquons via le site du Gouvernement. Les professionnels et malades confinés à domicile doivent respecter des modalités particulières de traitement de ces déchets sur la base des recommandations de Santé publique France.
En ce qui concerne les composts, le HCSP a précisé, dans un avis rendu le 19 mars dernier, que les règles d'hygiénisation habituelles suffisent.
Le flux des déchets est en baisse de 50 %. Il n'est donc pas nécessaire d'assouplir les conditions d'accès aux centres d'enfouissement ou d'incinération. J'ai néanmoins donné instruction aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) d'accorder des dérogations pour élargir les zones de chalandise ou augmenter les capacités journalières des incinérateurs, notamment pour les Dasri, en cas de tensions locales.
M. Hervé Maurey, président. - L'information sur les modalités d'élimination particulières de certains déchets est loin d'être passée partout. Elle doit être relayée par les services de l'État dans les départements et par les collectivités.
M. Guillaume Chevrollier. - L'accès à l'eau potable est un besoin vital, notamment pour appliquer les gestes barrières comme le lavage des mains. De quelle façon le secteur s'est-il organisé face à la crise sanitaire ? Comment l'État est-il intervenu ?
L'année 2020 devait être celle de la biodiversité. Certains chercheurs estiment que les atteintes portées par l'homme à la biodiversité seraient l'une des causes de cette pandémie. A l'issue de cette crise, une action forte pour la préservation de la biodiversité sera nécessaire. Comment prendre en compte cet enjeu dans la politique de relance à laquelle réfléchit le Gouvernement ? Qu'en est-il des échanges avec nos partenaires européens sur cette question ?
Dans le domaine des transports, il est nécessaire d'encourager les travailleurs. Je veux relayer les attentes des professionnels qui portent sur l'accès aux aires de services des chauffeurs routiers, lesquels réclament également des masques pour le chargement des marchandises. Quelles actions menez-vous pour les soutenir ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les professionnels du secteur de l'eau sont très mobilisés. Le traitement et la potabilisation de l'eau suivent les processus habituels de destruction des germes - ils sont efficaces contre le Covid-19. Il a été nécessaire de procéder à une réorganisation des conditions de travail dans les usines de traitement de l'eau, afin d'éviter, par exemple, que les équipes se croisent. L'eau du robinet est d'excellente qualité.
En matière d'assainissement, les besoins d'équipement sont les mêmes qu'habituellement : 85 000 masques par semaine. Les entreprises du secteur risquaient d'être en rupture. Nous les avons, elles aussi, dépannées en prélevant sur le stock stratégique d'État. La filière doit recevoir des livraisons de masques à partir de lundi prochain. Le bon équipement des salariés continuera d'être assuré.
Sur la question de la protection de la biodiversité, nous pouvons partager les alertes des scientifiques. La déforestation est l'une des causes de certaines pandémies. On estime que 60 % des pandémies sont liées au passage de gènes pathogènes de la faune sauvage à l'homme, et 30 % seraient issues de la déforestation.
Il faudra aborder l'après-crise avec une grande humilité. On ne connaît ni la durée de la crise ni l'impact économique, social et financier qu'elle aura sur notre pays. Le Gouvernement est pour l'instant mobilisé à 100 % pour gérer cette crise.
Nous devrons prendre en compte la question de la biodiversité en menant une réflexion sur l'origine des pandémies et sur la façon de rendre la société plus résiliente.
La délocalisation des capacités de production nous fragilise. Il faudra à l'avenir veiller à se protéger des prochaines crises, y compris écologique et climatique. La crise écologique n'a pas disparu, car une crise ne chasse pas l'autre.
S'agissant des transporteurs routiers, nous suivons leur situation très attentivement avec mon collègue Jean-Baptiste Djebbari. Je leur rends hommage, car ils parcourent le pays au moment où nous appelons les Français à rester chez eux. Nous faisons tout pour leur simplifier la vie. Nous agissons auprès des sociétés d'autoroutes pour nous assurer que les aires de services fonctionnent bien, et avons mis en place un numéro vert pour signaler les difficultés. Nous avons aussi pris des dispositions pour que les chauffeurs routiers puissent se laver les mains sur les lieux de chargement et de déchargement des marchandises.
M. Hervé Maurey, président. - Vous nous avez indiqué que les personnels des secteurs de l'assainissement et des déchets allaient recevoir des masques de protection. Mais ce n'est pas encore le cas !
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Non, j'ai évoqué les équipements de protection individuelle dont les travailleurs ont besoin en temps normal et indiqué que leur consommation hebdomadaire est de 17 000 dans le secteur des déchets et 85 000 dans le secteur de l'eau.
Compte tenu des difficultés d'approvisionnement, nous avons été alertés par les professionnels : nous avons donc prélevé, au début de la semaine, des masques dans les stocks de Santé publique France pour nous assurer qu'il n'y ait pas de rupture d'approvisionnement.
M. Hervé Maurey, président. - Je crois pourtant que les masques manquent dans certains endroits.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous faisons le point quotidiennement avec la filière. Les grandes entreprises assurent la logistique pour que les masques soient bien livrés aux plus petites entreprises. Les structures qui ont besoin de ces masques, notamment les FFP2 et FFP3, en disposent.
Mme Nelly Tocqueville. - Le service des déchets de la métropole Rouen-Normandie, qui représente 500 000 habitants, m'a interpellée sur l'insuffisance d'équipements disponibles, pour les ripeurs en particulier.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je parle, pour ma part, des équipements exigés en temps normal, et qui continuent d'être mis à disposition des personnels concernés. Le HCSP, que nous avons interrogé, a estimé que, s'agissant des fonctions dans lesquelles des masques ne sont pas habituellement portés, les protections habituelles suffisaient. Les ripeurs n'ont pas de masque en temps normal.
Mme Nelly Tocqueville. - Ces personnels expriment leurs craintes et nous pouvons les comprendre vu les circonstances. J'en profite pour les remercier d'assurer la continuité de leur service.
Les primes annoncées par le Gouvernement concerneront-elles le secteur des déchets ?
Je veux également évoquer les risques naturels et les phénomènes climatiques. La période de déconfinement sera longue. Votre ministère a-t-il identifié des risques particuliers (tempêtes, inondations, sécheresse...) dont la gestion serait rendue plus compliquée du fait des mesures de confinement en vigueur ? Des dispositifs ont-ils été mis en place par anticipation ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'ai évoqué les équipements de protection individuelle nécessaires en toutes circonstances. C'est sur eux que porte l'avis du HCSP.
Au-delà de ces équipements nécessaires, certains salariés souhaitent des protections supplémentaires. Nous avons donc développé des filières de production de masques qui ne peuvent être utilisés par les soignants mais qui pourront être distribués pour compléter les gestes barrières. La production quotidienne de 500 000 masques en tissu, lavables et réutilisables, augmentera à un million d'unités courant avril.
L'ordonnance présentée hier en conseil des ministres permet aux entreprises d'octroyer une prime défiscalisée, désocialisée, de 1 000 euros, doublée en cas d'accord d'intéressement, aux salariés particulièrement mobilisés sur le terrain. Nous menons un dialogue avec les fonctions publiques pour leur appliquer cette disposition.
Enfin, sur la question des risques naturels, nous restons mobilisés et nous nous préparons notamment à une éventuelle canicule. La période actuelle ne doit pas nous dispenser de réfléchir à cette question. Les acteurs des travaux publics doivent, dans le cadre du guide de bonnes pratiques actuellement en discussion, réfléchir aux protections à mettre en place pour faire face à des épisodes de canicule. C'est aussi le cas dans le domaine du transport ferroviaire. Compte tenu de la période, les risques d'inondations ou de tempêtes paraissent moindres.
M. Pierre Médevielle. - Une ordonnance du 25 mars prévoit que, pour des procédures, actes et obligations applicables à certaines activités, le cours des délais administratifs prévus par les lois et règlements continue, pour des raisons de protection de la santé, de la sécurité ou de protection de l'environnement. Un décret doit préciser les catégories d'actes et d'installations concernés. Ce décret a-t-il été pris ?
Quel est le nombre d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et les opérations concernées pour lesquelles le cours des délais administratifs est suspendu ? Et le nombre de sites Seveso en particulier ? Quels sont les principaux risques industriels qui font l'objet d'une attention spécifique de votre ministère depuis le début de l'épidémie ? Enfin, quel est le taux de disponibilité et d'activité des personnels de l'inspection des ICPE ?
Par ailleurs, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a annoncé le 26 mars sa décision de suspendre ses inspections sur site sauf nécessité, en cas d'événement significatif, pour privilégier les contrôles à distance. Comment pouvez-vous garantir la sécurité des installations nucléaires dans ces conditions ? Quel est le taux de disponibilité et l'activité des inspecteurs ? La crise permet-elle d'entrevoir de nouvelles modalités de contrôle si les déplacements sur place ne sont pas indispensables ? Quelles sont les mesures prises pour assurer la sécurité nucléaire dans un contexte de baisse des plans de charge et de la consommation d'électricité ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le premier décret pris en application de l'article 9 de l'ordonnance que vous avez mentionnée a été publié au Journal officiel aujourd'hui. Il rétablit pour les installations classées la possibilité de mener l'ensemble des contrôles, analyses et mesures de surveillance ayant pour objet la sécurité et la préservation de l'environnement. Dans ce décret, ont également été revus les délais de préparation des plans en matière d'irrigation. D'autres décrets suivront, mais j'ai tenu à ce que soient rétablis au plus tôt les contrôles sur les ICPE, en particulier sur les sites Seveso, qui doivent parfois faire face à de l'absentéisme. Les inspections faisant suite à des incidents ou des signalements seront prioritaires. Je suis attentive à ce que nous maintenions des activités industrielles essentielles tout en assurant la sécurité et la protection de l'environnement. Parallèlement, je me suis assurée que les organismes de contrôle disposaient bien des ressources suffisantes pour assurer leurs missions.
S'agissant de la sûreté nucléaire, nous sommes bien entendu tout aussi vigilants.
Je rappelle que c'est l'exploitant qui est le premier responsable de la sûreté des installations. L'ASN a examiné l'organisation retenue par EDF dans le cadre de son plan de continuité d'activité (PCA) pour s'assurer de sa cohérence et de sa solidité. Elle n'a eu à formuler aucune observation. Vous l'avez dit, les contrôles de l'ASN se poursuivent à distance, avec, le cas échéant, des échanges oraux et des transmissions de documents de la part de l'exploitant. En tout cas, je puis vous assurer que les inspecteurs effectuent toujours le suivi des activités de maintenance réalisées pendant l'arrêt des réacteurs. Le contrôle est différent de celui mis en oeuvre en temps normal, mais l'ASN reste très vigilante et prête à intervenir sur site en cas de difficultés.
Tout le monde reste mobilisé pour la sécurité.
M. Patrick Chaize. - Votre ministère est en première ligne sur les secteurs stratégiques : transport, énergie, eau, déchets. Vous avez demandé aux salariés de ces secteurs stratégiques pour la vie de la Nation de maintenir l'activité dans les entreprises concernées, lesquelles sont censées mettre en oeuvre leurs PCA. EDF a mis en place un plan « pandémie », élaboré dès 2006. Avez-vous identifié des entreprises n'ayant pas activé leur PCA ? Sur quelle base légale reposent ces plans ?
J'en viens aux déchets. Beaucoup de collectivités nous demandent s'il ne serait pas possible de rouvrir les déchetteries pour éviter les dépôts sauvages, qui sont en augmentation, en garantissant, bien entendu, la protection des employés.
Enfin, madame la ministre, pouvez-vous nous parler du guide de bonnes pratiques dans le BTP, qui est, semble-t-il, difficile à mettre en oeuvre ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Tous les opérateurs d'importance vitale et tous les opérateurs de services essentiels, comme Enedis, doivent avoir un PCA. Ce sont des outils très précieux, qui ont été élaborés à froid, alors que le secteur du BTP doit actuellement réagir à chaud. Il faudra garder cela en mémoire. Tous les chantiers se sont arrêtés avec le confinement. Imaginez ce qui se serait passé si les services de distribution de gaz, d'électricité ou d'assainissement de l'eau avaient dû être stoppés.
Mon ministère, par exemple, a déclenché son PCA, et nous avons aujourd'hui 60 % des agents en télétravail et 7 % sur le terrain. Dès que nous sommes passés au stade 3 de l'épidémie, tous les opérateurs d'importance vitale et de services essentiels ont mis en oeuvre leur plan.
S'agissant des déchetteries, je suis très attentive au risque de recrudescence des dépôts sauvages. Aujourd'hui, seulement 3 % des déchetteries publiques restent ouvertes. Cette situation s'explique notamment par la réaffectation des personnels vers des services prioritaires, tels que la collecte et le traitement des ordures ménagères. Par ailleurs, la plupart des déchetteries privées, moins nombreuses, sont ouvertes mais elles constatent une forte baisse de leur activité.
Nous avons encouragé les collectivités locales à mettre en place un service minimum, notamment pour accueillir les déchets industriels. Nous travaillons avec elles pour voir comment assurer une couverture satisfaisante du territoire. Je précise que les particuliers peuvent continuer à apporter leurs déchets dans les points d'apport volontaire. Je partage votre préoccupation, mais il faut laisser le temps aux collectivités de se réorganiser.
J'en viens au guide de bonnes pratiques dans le secteur du BTP. À ce sujet, nous avons des échanges intenses, en particulier avec le ministère du travail, pour accompagner l'organisme de prévention du BTP dans l'élaboration de ce guide. Les partenaires sociaux ont transmis dans le courant de la semaine dernière leurs propositions, qui ont été analysées par la direction générale du travail et la direction générale de la santé. Nous leur avons renvoyé ce matin le projet de guide avec les observations de ces deux directions. Je sais que les organisations patronales et syndicales sont en train de discuter de cette version amendée. J'espère que nous allons aboutir au plus tôt, de sorte que des chantiers urgents puissent reprendre, notamment les opérations de maintenance des réseaux et de réparation des infrastructures, bien évidemment dans le respect de la santé des salariés.
M. Rémy Pointereau. - Je souhaite aborder la question de l'eau. Vous avez dit tout à l'heure que le service public de l'eau et de l'assainissement était assuré. Avez-vous connaissance en certains endroits de l'exercice, par les agents de ces services, de leur droit de retrait et de la mise en oeuvre de mesures de réquisition par des préfets ?
Par ailleurs, un certain nombre de maires et de présidents de syndicat des eaux et de l'assainissement se posent la question de leur responsabilité en cas de contamination d'agents au Covid-19. Que pouvez-vous nous en dire ?
Ensuite, j'ai une question qui concerne également Bercy et la DGFiP. Cette crise va occasionner nombre de défauts de paiement de factures à court et moyen termes. Pourriez-vous envisager des dérogations au droit commun pour permettre aux collectivités territoriales d'attribuer directement des subventions afin d'équilibrer les budgets de leurs services de l'eau et de l'assainissement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Je vous confirme que tous les acteurs du secteur ont activé leur PCA pour garantir la qualité de l'eau distribuée et la sûreté du rejet des eaux usées. Nous avons néanmoins allégé les obligations administratives de reporting.
Nous nous sommes assurés que l'ensemble des salariés disposaient bien des équipements de protection individuelle exigés, notamment les masques FFP2 et FFP3. Pour ma part, je n'ai pas eu connaissance de cas d'exercice du droit de retrait. Il s'agit bien entendu d'un droit individuel, mais le dialogue social au sein des sites doit permettre de rassurer les salariés.
J'entends bien votre préoccupation sur la responsabilité des employeurs. C'est une question qui nous est souvent posée. Je rappelle que l'employeur a une obligation de moyens, comme Muriel Pénicaud a eu l'occasion de le dire à maintes reprises. Il appartient à l'employeur d'adapter son organisation pour tenir compte des règles, recommandations et bonnes pratiques édictées par les autorités sanitaires ou les organisations professionnelles dont il dépend. Dès lors qu'il a fait le nécessaire, la responsabilité de l'employeur ne peut pas être recherchée en cas d'infection d'un salarié. Il serait très compliqué de savoir où le salarié a contracté le virus, ce peut être en faisant ses courses...
Sur la fragilisation financière des services de l'eau, nous aurons le temps de nous poser la question une fois la crise sanitaire passée. Je ne suis pas capable de vous dire aujourd'hui quelles seront précisément les conséquences des facilités de paiement accordées aux entreprises. Il sera peut-être nécessaire d'intervenir le moment venu si ce secteur se trouve fragilisé.
Mme Marta de Cidrac. - Madame la ministre, pourriez-vous nous confirmer que les collectivités territoriales n'auront pas à payer la taxe générale sur les activités polluantes majorée (TGAP majorée) sur les déchets valorisables qui seront enfouis ou incinérés pendant cette période ? Quid de l'éventuelle non-application du taux de TVA à 20 % sur les prestations de gestion des déchets recyclables envoyés en stockage ou en incinération ?
Par ailleurs, le financement des collectivités locales par les éco-organismes devrait diminuer : quelles compensations envisagez-vous pour combler ce manque à gagner ? Certaines associations d'élus demandent la mise en place d'un fonds de compensation pour chaque éco-organisme : un tel scénario vous semble-t-il réaliste ? Est-il à l'étude ?
La crise engendrée par le Covid-19 a un impact significatif sur l'activité de recyclage des déchets : quels dispositifs le Gouvernement pourrait-il mettre en oeuvre pour répondre aux inquiétudes des industriels du secteur ? Les entreprises pourront-elles avoir recours au chômage partiel ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - L'admission de déchets en décharge ou en centre d'incinération implique le paiement d'une TGAP. En revanche, l'admission de déchets dans une installation non autorisée engendre le paiement d'une TGAP majorée, également appelée TGAP « sanction ». C'est également le cas quand la quantité de déchets réceptionnés est supérieure au volume autorisé ou lorsque ces déchets ont été interdits par arrêté ministériel ou préfectoral.
La fermeture ponctuelle de centres de tri peut nécessiter que l'on envoie certains déchets recyclables en centre d'incinération ou en décharge, alors qu'une telle démarche est interdite en temps normal. Compte tenu du caractère exceptionnel des circonstances, le dépôt de déchets dans des installations de valorisation énergétique ou le dépôt de déchets qui ne peuvent être stockés en raison de la fermeture d'un centre de tri, ne donneront pas lieu au paiement d'une TGAP majorée. Ces mesures dérogatoires doivent évidemment être discutées au plan local avec les Dreal.
Plusieurs de vos questions portent sur les effets en chaîne provoqués par la crise, en particulier l'impact de la baisse des revenus des éco-organismes sur les ressources des collectivités locales. À ce stade, nous n'avons pas une vision d'ensemble de la situation. Il nous faut attendre d'y voir plus clair pour imaginer des dispositifs économiques adaptés.
Vous évoquez la fragilité des entreprises de recyclage des déchets. Le Gouvernement a déjà pris des mesures générales pour soutenir les entreprises en difficulté, notamment facilités de trésorerie et mesures de maintien - même partiel - de l'emploi. Il nous faudra davantage de temps pour envisager des dispositifs plus ciblés pour soutenir tel ou tel secteur.
M. Jérôme Bignon. - Disposez-vous d'estimations concernant la baisse des émissions de CO2 en France depuis le début du confinement ? Existe-t-il une étude française sur l'éventuelle propagation du virus via les particules fines présentes dans l'air ?
J'aimerais également aborder la question du retournement des prairies humides inondables : ce phénomène est hélas en plein essor depuis le début de la crise, et ce au détriment d'une agriculture plus traditionnelle. Quelles mesures envisagez-vous pour répondre aux inquiétudes du monde agricole et des défenseurs de la nature ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous ne disposons pas encore d'évaluations fiables en ce qui concerne la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui, je le précise, est purement conjoncturelle. D'après les premières estimations d'Airparif, cette baisse serait néanmoins de 30 %. En outre, on observe une forte diminution des émissions de polluants locaux, notamment le dioxyde d'azote (NO2), ce qui confirme le lien entre ce type de polluants et le trafic automobile. Dans le même temps, on n'observe pas de baisse significative des émissions de particules fines - le chauffage résidentiel et l'activité agricole sont en cause.
Nous n'avons aucune preuve scientifique que la propagation du coronavirus pourrait se faire via les particules fines. Nous ne disposons pas non plus de travaux prouvant le contraire. Aujourd'hui, les études scientifiques montrent que le virus se transmet à la suite d'un contact avec un malade, via ses gouttelettes ou une surface contaminée.
S'agissant, enfin, du retournement des prairies humides, il serait intéressant que vous me donniez plus de précisions sur ces inquiétudes. Ces retournements sont en principe contrôlés, réglementés, voire interdits.
M. Joël Bigot. - Le traitement et la collecte de déchets constituent une activité prioritaire pour garantir la santé et la salubrité publiques. Je salue la mobilisation des collectivités locales qui assurent la continuité du service. Toutefois, l'urgence réside aujourd'hui dans la protection de la santé des hommes et des femmes qui exercent cette nécessaire mission d'intérêt général.
Le 31 mars dernier, le HCSP a rendu un avis particulièrement clair : il faut veiller à la protection de ces salariés grâce à des équipements adaptés, notamment des masques, des lunettes et des gants de qualité et en nombre suffisant. Pourriez-vous nous indiquer quelles ont été les mesures prises par le Gouvernement en la matière ? Qu'en est-il de la mobilisation des stocks de l'État pour garantir l'approvisionnement régionalisé de ces équipements ?
Un certain nombre de centres de tri poursuivent leur activité malgré les craintes liées au tri des déchets, parmi lesquels on trouve des mouchoirs à usage unique. Afin de limiter les risques, je pense qu'il serait nécessaire de suspendre les consignes de tri pendant la période de confinement : cela permettrait de garantir la sécurité des salariés des centres de tri, et de renforcer les moyens de collecte des ordures ménagères dans un contexte de réduction des effectifs. Quelle est la position du Gouvernement sur cette question ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Le HCSP a confirmé qu'il n'est pas nécessaire, pour la collecte et le tri des déchets, de prévoir des dispositions supplémentaires, spécifiques à la période actuelle. Nous nous assurons que les salariés disposent des 17 000 masques FFP2 et FFP3 par semaine dont ils ont besoin. Par ailleurs, les employeurs doivent faire en sorte que leurs salariés appliquent scrupuleusement les gestes barrières : rester à plus d'un mètre les uns des autres et se laver régulièrement les mains. Mais j'entends les inquiétudes. Nous y sommes attentifs et travaillons avec la filière pour une éventuelle mise à disposition de masques en tissu réutilisables et lavables.
M. Jean-François Longeot. - En raison de la fermeture des déchetteries, nous observons une multiplication des dépôts sauvages, ce qui constitue un risque sanitaire majeur et nécessite la mobilisation d'agents municipaux, et ce dans le contexte actuel de confinement. Envisagez-vous de rouvrir des déchetteries ? Votre ministère dispose-t-il de données nationales sur la recrudescence des dépôts sauvages ? Avez-vous des contacts avec les exploitants de déchetteries pour vous aider à identifier les contrevenants et, le cas échéant, à sanctionner les infractions ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Aujourd'hui, la plupart des déchetteries sont fermées, les collectivités locales ayant dû parer au plus pressé et réaffecter les salariés à des tâches de collecte et de traitement des ordures ménagères.
Désormais, il est autorisé d'apporter ses déchets dans des points d'apport volontaire ; les professionnels peuvent apporter leurs déchets dans les déchetteries professionnelles ouvertes. Enfin, nous poursuivons les discussions avec les collectivités locales pour parvenir à rouvrir les déchetteries, en fixant des plages horaires d'ouverture, ou en donnant la possibilité aux particuliers de prendre rendez-vous.
Sur le principe, je suis favorable à la réouverture des déchetteries, mais il faut d'abord évaluer les effets d'une telle décision sur les autres maillons de la chaîne et, bien sûr, en déterminer les modalités avec les collectivités territoriales concernées.
M. Frédéric Marchand. - La chute de la demande d'électricité est effective depuis plusieurs semaines et pourrait se poursuivre si, malheureusement, la France entrait en récession. Cette baisse s'accompagnerait inévitablement d'une diminution des ressources des opérateurs et de problèmes de trésorerie. On peut donc s'attendre à un report des investissements et des dépenses de rénovation, notamment dans le secteur du nucléaire, mais aussi au report des dépenses d'investissement dans le secteur des énergies renouvelables.
De la même manière, on peut imaginer que la plongée du prix du pétrole renchérira considérablement le coût relatif des investissements dans les technologies bas carbone.
Dans les prochains mois, les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de réduction de la consommation énergétique risquent de passer au second plan pour de nombreux agents économiques, à commencer par les décideurs publics. Il est également probable que le processus de libéralisation du secteur de l'énergie sera freiné et que la réforme du marché de l'électricité sera reportée.
Face à cette situation, quelles solutions de sortie de crise le Gouvernement prévoit-il ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Actuellement, on assiste en effet à un certain nombre de dysfonctionnements sur le marché de l'énergie. Le prix du gaz, qui était déjà très bas, a encore baissé pour atteindre 7 ou 8 euros par mégawattheure (MWh). Le prix du baril de pétrole est lui aussi historiquement faible. Quant au prix de l'énergie sur les marchés européens, il s'est effondré : le prix du carbone atteint désormais 15 euros par mégawattheure (MWh). Ces dysfonctionnements nous amènent à réfléchir à la régulation du secteur.
La présidence croate de l'Union européenne propose un conseil informel de l'énergie le mois prochain, lors duquel nous pourrions nous pencher sur les mécanismes envisageables pour réguler le marché de l'énergie en Europe. La France plaide depuis un certain temps pour la définition d'un prix plancher du carbone, ce qui permettrait d'éviter les mouvements erratiques que nous constatons depuis quelques mois.
Nous aurons aussi à réfléchir aux risques auxquels sont exposés les producteurs d'énergie aujourd'hui, ainsi qu'aux conséquences pour les bénéficiaires de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh).
Il y a beaucoup de leçons à tirer de la crise actuelle et j'ai demandé à mes services de me faire des propositions.
Mme Pascale Bories. - Actuellement, l'essor des énergies renouvelables semble menacé par la crise. Ces dernières deviennent de moins en moins compétitives en raison de la diminution du prix des hydrocarbures et du carbone. Quelles sont les principales difficultés que vous identifiez pour ce secteur aujourd'hui ?
Le 31 mars dernier, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur le Pacte vert. Certains États considèrent que ce pacte n'est pas une priorité quand d'autres, au contraire, appellent à favoriser une relance verte. Dans le cadre du plan de relance que le Gouvernement prévoit pour l'après-crise, comptez-vous privilégier les entreprises vertueuses sur le plan des énergies propres ?
Enfin, vous avez annoncé le gel des tarifs d'achat pour certaines installations photovoltaïques et le décalage des prochaines périodes d'appels d'offres pour les porteurs de projets dans le domaine des énergies renouvelables. Les professionnels du secteur ont approuvé ces mesures, tout en faisant remonter un certain nombre de difficultés résultant de la première ordonnance : je souhaiterais savoir si vous avez prévu de prendre une nouvelle ordonnance très prochainement.
Mme Élisabeth Borne, ministre. - La production d'électricité renouvelable est actuellement importante. Avec la chute de la demande, elle a atteint dimanche dernier, en instantané, un niveau record de 45 % de la production totale. On peut s'en satisfaire, mais il faut aussi répondre aux difficultés du secteur.
Nous avons d'ores et déjà gelé la baisse de tarif qui était prévue, au 1er avril 2020, pour le photovoltaïque. Nous accorderons des délais supplémentaires, sans application de pénalités, à tous les porteurs de projet dans le domaine des énergies renouvelables. Ces derniers n'ayant actuellement pas l'esprit à répondre aux appels d'offres, nous allons décaler ceux-ci dans le temps.
Il faut que nous puissions rapidement relancer la dynamique de développement des énergies renouvelables, afin de tenir les objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous allons donc réfléchir à d'autres mesures permettant de donner du souffle à cette filière.
La crise actuelle montre aussi tout l'intérêt de relocaliser certaines productions en Europe, par exemple pour le secteur du photovoltaïque, qui est dépendant des productions asiatiques. Nous avions déjà entamé une réflexion sur ce point avec Bruno Le Maire dans la perspective du futur pacte productif ; la crise ne fait que renforcer nos préoccupations en la matière.
Face à la crise sanitaire actuelle, certains pays ont demandé la remise en cause du Green deal et de ses objectifs, notamment la neutralité carbone en 2050. Évidemment ça n'est pas la position de de la France. Il y a, j'en suis convaincue, des fondements communs entre la crise sanitaire que l'on vit et la crise écologique et climatique. Certes, il faudra faire repartir rapidement l'économie, mais aussi se prémunir contre la survenue d'autres crises - sanitaires, climatiques, etc. La notion de résilience doit nous guider. La France continuera en tout cas à soutenir le Green deal de la Commission européenne, et nous sommes un certain nombre d'États en Europe à considérer qu'il est plus que jamais nécessaire.
M. Hervé Gillé. - Dans le prolongement de la question de Rémy Pointereau, certains chantiers d'utilité publique connaissent des difficultés de mobilisation des différents corps de métier. Est-il possible d'exercer une autorité de coordination et d'exécution pour les mener à terme, en appui des maîtrises d'ouvrage et maîtrises d'oeuvre ? Les préfets peuvent-ils être mobilisés sur ce sujet ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Nous espérons tous que le guide de bonnes pratiques du secteur du BTP pourra être finalisé rapidement ; et les préfets accompagneront le redémarrage des chantiers. Je ne sais pas s'il sera nécessaire de prévoir spécifiquement des appuis en maîtrise d'ouvrage, mais l'arrêt des activités désorganise l'ensemble des fournisseurs et il faut donc relancer toutes les chaînes de production. C'est le sens de l'aide que nous demanderons aux préfets d'apporter.
M. Guillaume Gontard. - Une question plus générale, Madame la ministre, sur la sortie de crise et la résilience que vous venez tout juste d'évoquer.
Cette crise sanitaire sans précédent révèle les inégalités sociales. Elle bouleverse toutes nos perceptions, nous poussant à nous concentrer sur des besoins essentiels. Elle nous rappelle la nécessité d'agir contre le changement climatique et pour la préservation de la biodiversité. Et, donc, d'appliquer de manière effective le Pacte vert européen.
Mais les dernières annonces sont inquiétantes. La Pologne et la République Tchèque veulent déjà en sortir. Le Canada compte apporter des aides en priorité aux secteurs gazier et pétrolier. Les États-Unis veulent assouplir leurs règles en matière d'environnement. Les vieux réflexes refont vite surface !
Or, cette crise devrait être un signal et une opportunité pour changer en profondeur nos pratiques. Comment, dès aujourd'hui, construire une société de la sobriété, une société résiliente, une société de la coopération, de la solidarité et du partage ?
Le Gouvernement réfléchit à un plan de relance économique. Mais, au moment où Emmanuel Macron en appelle, lui aussi, à un grand changement, comment compte-t-il mettre en oeuvre un véritable plan de transformation, plan qui, en particulier, respecterait nos objectifs en matière d'écologie ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - J'entends l'impatience qui s'exprime - je l'entends dans mes échanges avec les ONG, les associations, les think tank, les parlementaires - mais, aujourd'hui, nous n'avons pas atteint le pic de l'épidémie. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous ne consacrions pas tous nos efforts à lutter contre l'épidémie, protéger nos soignants et garantir la continuité des secteurs fondamentaux. Le Gouvernement est mobilisé à 100 % sur la gestion de la crise.
Au-delà, nous pouvons bien évidemment réfléchir aux leçons à tirer. Les points de vue ne seront pas unanimes. Les Tchèques et les Polonais ont effectivement très vite demandé l'abandon du Green deal. D'autres acteurs se sont manifestés auprès de la Commission européenne pour que les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) soient repoussés. La France, elle, porte l'ambition que l'on poursuive la trajectoire fixée dans le cadre du Green deal. Il faudra, pour cela, approfondir certaines de nos analyses, par exemple sur la délocalisation des chaînes de valeur et la vulnérabilité qui en découle ou sur la résilience face à certains épisodes climatiques.
Ce débat aura lieu et il est pour moi important de s'entendre sur le fait qu'on ne pourra pas, au motif de répondre à la crise actuelle, se fragiliser face à de possibles autres crises. Mais, pour l'heure, l'urgence est à la gestion de l'épidémie.
Mme Angèle Préville. - Ma première question est très terre-à-terre. L'efficacité des désinfections de rues pratiquées dans certaines communes est-elle prouvée, sachant que cette désinfection se fait à l'eau de javel, avec des conséquences sur nos ressources en eau ? Ces pratiques sont-elles en train de se généraliser ? L'emploi d'eau savonneuse ne suffirait-il pas ? Faut-il améliorer la communication sur certains comportements - on m'a signalé qu'on trouvait de nombreux crachats sur les trottoirs de Paris ? Ces désinfections sont-elles uniquement destinées à rassurer la population ?
Je voudrais également revenir sur un point déjà évoqué : la place du « sauvage » dans notre société. Du fait de la perte de leur habitat, les animaux se rapprochent de plus en plus des habitations. La France ne pourrait-elle pas être force de proposition, dans les instances internationales, afin que l'on rende sa place à la faune sauvage, par des dispositifs de parcs et de réserves ? Une place dont nous avons besoin, l'humanité étant toujours menacée par la perte de biodiversité !
M. Jean-Michel Houllegatte. - J'ajouterai quelques remarques et questions aux nombreux points déjà évoqués, notamment sur la filière collecte, traitement et valorisation des déchets.
Certes, le port du masque ne semble pas indispensable pour les agents de collecte des ordures ménagères. Il existe néanmoins un risque de pénurie pour les agents affectés au lavage des bennes ou travaillant dans les usines d'incinération, qui, eux, doivent en porter. Par ailleurs, le message appelant à ne pas jeter les mouchoirs, masques et gants dans les déchets recyclables n'est pas passé dans la population. Comment corriger ce point ? Est-il prévu des dérogations au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pour les installations de stockage et unités de valorisation des déchets ?
M. Claude Bérit-Débat. - Dans vos propos liminaires, madame la ministre, vous avez rappelé le rôle essentiel des collectivités territoriales, notamment en tant que donneurs d'ordre. Malheureusement, les exécutifs des communes et EPCI ne sont pas en place du fait du confinement, ce qui entraîne des reports budgétaires. Envisagez-vous certaines mesures pour remédier à cela ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. - Les questions et sollicitations sont nombreuses s'agissant de l'opportunité des opérations de désinfection des espaces publics ou des établissements recevant du public au moment de leur réouverture. Le HCSP a été saisi du sujet, l'Anses le sera également, plus spécifiquement sur les modalités de ces opérations de désinfection, notamment les produits utilisés. Compte tenu de l'inquiétude que suscitent chez nos concitoyens les mesures sanitaires mises en oeuvre dans l'espace public, je crois important d'avoir ces deux avis, qui permettront d'agir, si c'est nécessaire, et de le faire en utilisant les bons produits.
Sur la place de la faune sauvage, il ne faut effectivement pas perdre de vue les enjeux en termes de biodiversité. Il faudra réfléchir, notamment, au développement d'activités humaines dans des zones où il n'y en avait pas jusqu'à présent et où l'on est susceptible de mettre à jour des virus n'ayant jamais été en contact avec l'homme. Ces activités pourraient être liées aux pandémies que nous connaissons depuis plusieurs années.
En matière de traitement des déchets, je peux vous assurer que nous suivons, avec les filières concernées, les besoins en équipements de protection individuelle et la disponibilité des stocks. Nous nous assurons, y compris en prélevant sur nos stocks stratégiques, que tous les salariés sont correctement équipés. Mais je comprends que certains d'entre eux aient besoin d'être rassurés. J'espère que la disponibilité des nouveaux masques permettra de leur proposer des équipements supplémentaires. Nous creuserons ces sujets, notamment dans le cadre de la réflexion sur les stratégies à mettre en oeuvre au moment du déconfinement.
J'entends la remarque portant sur les directives données pour se débarrasser des mouchoirs, masques ou gants usagés. Nous nous emploierons à nouveau à faire passer les messages.
À l'heure actuelle, la production de déchets est plutôt réduite, mais si des dérogations sont nécessaires pour des unités de stockage, les Dreal ont pour instruction de les donner.
La mobilisation des collectivités territoriales est indispensable. Des dispositions ont été prises pour permettre la poursuite de leurs activités, notamment dans l'attente de la mise en place des nouveaux exécutifs municipaux. L'ordonnance présentée hier par Jacqueline Gourault en conseil des ministres leur donne encore plus de souplesse, afin qu'elles puissent continuer à engager les dépenses indispensables, notamment pour la maintenance et l'entretien des réseaux.
M. Hervé Maurey, président. - Merci de nous avoir accordé plus de temps que prévu, madame la ministre, mais les questions étaient nombreuses. Je vous indique d'ailleurs que la quasi-totalité des sénateurs de la commission étaient connectés, ce qui démontre l'intérêt suscité par cette audition.
La téléconférence est close à 17 h 20.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'un captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.