Jeudi 28 mai 2020
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Présentation du rapport annuel pour l'année 2019 de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France, par M. Bernard Doroszczuk, président de l'ASN
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Pour cette séance un peu particulière de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, nous sommes en situation mixte puisqu'une partie de nos collègues sont présents. Je les en félicite. Je remercie également ceux qui ont accepté de participer en visioconférence à cette réunion, pour permettre sa tenue.
À l'ordre du jour, figure la question majeure du rapport annuel pour 2019 présenté par le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) Bernard Doroszczuk et son directeur général Olivier Gupta, que je remercie. Je salue Cédric Villani, vice-président de l'OPECST ainsi que l'ensemble de l'assemblée présente ou connectée. Je souhaite dire aux membres du collège de l'Autorité de sûreté nucléaire qui ne peuvent participer, mais qui suivent à distance cette réunion, toute la sympathie et l'estime que leur travail suscite chez mes collègues parlementaires. Je salue Mme Cadet-Mercier et Mme Evrard, ainsi que MM. Chaumet-Riffaud et Lachaume.
C'est la deuxième fois, cher président, que nous vous entendons. Cette audition est liée à la loi du 13 juin 2006, que Bruno Sido et moi-même connaissons bien, qui a en partie réglé les problèmes de sécurité en matière nucléaire ainsi que la transparence et la réactualisation de la loi de décembre 1991 sur la gestion des déchets nucléaires. Cette loi du 13 juin 2006 prévoit la présentation du rapport annuel de l'ASN devant notre Office, tant il est vrai que celui-ci a une histoire extrêmement liée à la volonté de mieux faire connaître à nos compatriotes le travail de la filière électronucléaire en général, et celui réalisé en matière de sécurité nucléaire en particulier.
Vous étiez venu le 16 mai 2019, et aviez avec beaucoup de sérénité mais de détermination, sonné l'alarme sur la nécessité d'un ressaisissement de la filière nucléaire pour le maintien des compétences industrielles indispensables à la qualité des réalisations et à la sûreté des installations. C'est à l'occasion de cette séance, que vous aviez soulevé avec une grande clarté la question toujours pendante - mais qui évolue favorablement - des soudures de l'EPR de Flamanville sur le circuit principal secondaire.
Nous avons, dans le sillage de cette réunion du 16 mai, organisé le 17 juillet une table ronde publique assez vivante à l'occasion de laquelle les gens se sont dit les choses avec beaucoup de rigueur intellectuelle et de politesse. Vous étiez présent ainsi que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), des représentants d'associations impliquées dans le suivi de la sécurité nucléaire, ainsi qu'EDF et ORANO.
Aujourd'hui, je crois qu'une évolution est engagée. Je suis convaincu que la condition essentielle du nucléaire est la transparence. Tout ce qui y contribue est par conséquent bienvenu, même si l'on peut à certains moments déranger des certitudes qui ne seraient pas suffisamment consolidées.
Vous allez nous dire, j'en suis persuadé, dans votre intervention, ce qui s'est passé depuis. L'année 2019 est extrêmement riche puisque vous avez commencé le réexamen des réacteurs 900 mégawatts. Vous avez suivi l'avancement - Mme Émilie Cariou n'est pas avec nous ce matin mais elle le suit pour l'Office - l'avancement du célèbre Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), pour lequel vous avez joué un rôle essentiel. Je suis certain que vous insisterez sur l'engagement des procédures de démantèlement et la réflexion sur Fessenheim. Les travaux n'ont pas commencé mais sont d'ores et déjà programmés.
Je laisse la parole à Cédric Villani, dont l'intervention comme parlementaire et scientifique, intéresse l'ensemble des membres de l'Office.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Monsieur le président, Monsieur le directeur général, bienvenue dans cette salle. Ce sera la treizième fois aujourd'hui que nous entendons les représentants de l'ASN à l'occasion de la présentation de leur rapport annuel sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, conformément à la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière de nucléaire. Le président Longuet évoquait il y a quelques instants l'importance capitale de la transparence sur ce sujet si sensible qu'est le nucléaire, qui a d'ailleurs été à l'origine de la naissance de l'OPECST dans les années 1980, même si l'Office s'est par la suite beaucoup diversifié dans ses intérêts.
Cet exercice de transparence devant la représentation nationale, dont nous avons vu à plusieurs reprises l'importance, intervient pour la bonne cause. Lors de la séance de l'an dernier à laquelle faisait référence le président Longuet, réunissant EDF et ORANO et à laquelle vous participiez, la dialectique était assez vive sur les questions de sûreté. Ces sujets qui intéressent à la fois la souveraineté en matière d'énergie et l'information de la nation, nous les abordons aussi souvent que nécessaire, dans un souci de transparence et de responsabilité.
Je remercie de leur participation le collège des commissaires de l'ASN, c'est-à-dire Sylvie Cadet-Mercier, Lydie Evrard, Philippe Chaumet-Riffaud, Jean-Luc Lachaume et le président Bernard Doroszczuk, ainsi que le directeur général Olivier Gupta.
Les messages que je retiendrai de votre dernière intervention devant l'Office sont majeurs. L'un concernait la question de l'anticipation des mesures de sécurité et de radioprotection, dans un domaine où le temps long est clé. C'est même un temps incroyablement long puisque les dossiers couvrent des décennies, sinon des siècles. S'il s'agit d'évoquer la décroissance de l'activité des déchets nucléaires, l'ordre de grandeur est encore bien plus grand. Ce domaine défie l'imagination et a trait aussi bien à la science qu'à l'éthique.
Nous avions un deuxième message majeur sur la question du maintien des marges pour la sûreté, dans un contexte où nous avons trop souvent l'inclinaison d'aller au plus efficace.
Le troisième message concernait le renforcement des compétences au sein de la filière. Au cours des dernières auditions, nous avons vu systématiquement s'inviter des problèmes qui n'étaient pas scientifiques ou technologiques, mais des difficultés d'ingénierie et de mise en oeuvre, d'industrialisation et de savoir-faire. À coup sûr, ces questions vont se réinviter dans le débat.
Monsieur le président, nous comptons sur vous pour un exposé clair, précis et sans fard de la situation de la sûreté et de la radioprotection au cours de l'année écoulée. Nous serions notamment intéressés de connaître l'avancement du chantier du réacteur EPR de Flamanville.
Nous serons aussi attentifs à vos propos concernant les répercussions de la crise sanitaire sur votre fonctionnement, et à toutes les réflexions que cette crise vous a inspirées. Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet lors d'une audition récente de l'IRSN consacrée aux incendies dans la région de Tchernobyl. Nous avions constaté toute la fierté de l'IRSN d'avoir réussi à maintenir sa qualité de service pendant la crise. Il est important que les institutions parviennent à faire face en toutes circonstances, dans des matières aussi cruciales que le nucléaire.
M. Bernard Doroszczuk, président de l'ASN. - Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les parlementaires, merci de m'accueillir aujourd'hui avec Olivier Gupta pour vous présenter le rapport annuel de l'ASN au titre de l'année 2019. Ma présentation s'articulera autour d'un constat général, d'une appréciation des résultats obtenus par les exploitants dans différents domaines d'activité, et du rappel de quelques faits marquants. Compte tenu du contexte, si vous le permettez je terminerai mon intervention par quelques éléments liés à la gestion de la situation pandémique Covid-19.
L'ASN estime que le niveau de sûreté et de radioprotection dans les installations et les activités nucléaires a été acceptable en 2019, avec des points positifs que je soulignerai, mais aussi des points qui nécessitent des améliorations.
Plusieurs points positifs peuvent appuyer ce constat général. Tout d'abord dans le domaine nucléaire, aucun incident majeur n'a affecté les installations en service, et aucun rejet significatif dans l'environnement n'a été constaté.
L'année 2019 a été marquée par une plus grande prise de conscience, par les exploitants nucléaires, des défis auxquels ils sont confrontés collectivement, notamment en termes de renforcement des compétences et de la qualité des réalisations.
Cette prise de conscience s'est appuyée sur les positions répétées de l'ASN mais aussi sur les conclusions du rapport Folz, et sur les réflexions collectives engagées par la filière au sein du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN). Les mesures engagées par les exploitants suite à la découverte de fraudes ont permis de progresser. Les analyses des exploitants et les investigations menées par l'ASN sur les quelques cas avérés n'ont pas mis en évidence de risques pour la sûreté.
La sûreté des transports de substances radioactives s'est maintenue à un niveau satisfaisant au regard du nombre d'opérations effectuées. Les résultats obtenus en matière de radioprotection dans le domaine industriel sont acceptables, même si une vigilance encore plus forte doit être portée aux activités de gammagraphie réalisées sur les chantiers.
Enfin, dans le domaine médical, le nombre d'évènements significatifs de radioprotection déclarés par les professionnels de santé est demeuré très faible en 2019, au regard du nombre d'actes réalisés sur les patients et de la complexité de certains de ces actes.
Derrière ces constats généraux qui vont dans le bon sens, il faut souligner des nuances entre exploitants nucléaires et entre disciplines médicales, et des points à améliorer.
Chez EDF tout d'abord, malgré des résultats de sûreté globalement satisfaisants, deux points de vigilance sont apparus en 2019 : la saturation des capacités d'ingénierie et le recul de la rigueur d'exploitation. Ces dernières années, EDF a engagé des modifications ambitieuses de ses installations dans le cadre des réexamens périodiques des réacteurs.
En 2019, EDF a réalisé dans des conditions satisfaisantes, la première visite décennale d'un de ses réacteurs de 900 mégawatts sur le site de Tricastin. Pour réussir cette opération, EDF a mobilisé des moyens importants d'ingénierie, tant au niveau central qu'au niveau du site, pour concevoir ces améliorations et accompagner leur première mise en oeuvre sur le terrain, ce qui était indispensable. Mais l'ASN constate de plus en plus une saturation des capacités d'ingénierie d'EDF, et s'interroge sur sa capacité à mobiliser de tels moyens à l'avenir sur les autres réacteurs, donc à assurer avec succès, dans des plannings réalistes, les réexamens de sûreté.
Par ailleurs, au vu des constats qu'elle a effectués, l'ASN considère que la rigueur d'exploitation des centrales d'EDF est en recul en 2019. Trois constats peuvent illustrer cette appréciation. Tout d'abord, trois évènements significatifs ont été classés en niveau 2 sur le parc nucléaire d'EDF, contre zéro en 2018. Deux d'entre eux mettent en évidence des gestes et des décisions inadaptés des intervenants, et le franchissement de lignes de défense en matière de sûreté, par exemple sur les sites de Golfech et de Penly.
Par ailleurs chaque année, l'ASN réalise des mises en situation des équipes d'EDF lors de ses inspections. En 2019, la mise en situation a par exemple consisté en la simulation d'un départ de feu, d'une inondation interne ou du rejet d'un liquide dangereux. À cette occasion, il a été démontré que la documentation opérationnelle d'EDF n'était pas toujours adaptée à la réalité du terrain et qu'elle contenait des erreurs, voire des instructions impossibles à exécuter compte tenu de la configuration des installations.
Enfin, si EDF a davantage privilégié la remise en conformité rapide de son installation après détection d'un écart, l'année 2019 a encore été marquée par la détection de non-conformités résultant de la mise en oeuvre de modifications, y compris récemment, et d'une maintenance insuffisante.
Par conséquent, malgré des progrès indéniables, EDF doit fournir un effort pour renforcer la rigueur d'exploitation, qui fait appel à la compétence et à la conscience professionnelle des intervenants.
Chez ORANO Cycle, l'ASN estime que le niveau de sûreté des installations est demeuré à un niveau satisfaisant en 2019. Le groupe ORANO a mis en place une nouvelle organisation plus centralisée, mais s'appuyant sur des structures dédiées sur site, ce qui a permis d'améliorer la qualité des réexamens périodiques et de mieux maîtriser les risques de vieillissement des installations.
ORANO Cycle a achevé en 2019 la construction de la quasi-totalité des moyens complémentaires de sûreté issus des évaluations réalisées après l'accident de Fukushima. ORANO Cycle est en avance sur ce point par rapport aux autres exploitants nucléaires. Par exemple, l'ensemble des nouveaux moyens destinés à faire face à des situations extrêmes, tels que de nouveaux bâtiments de crise robustes ou des moyens d'appoint d'eau complémentaires, ont été mis en place.
Deux points de vigilance peuvent encore être relevés de la part d'ORANO : la surveillance des prestataires, notamment ceux chargés des contrôles et des essais périodiques, et la maîtrise des projets liés à la reprise des déchets anciens et au démantèlement, qui connaissent des reports d'échéances de parfois des dizaines d'années.
En 2019, l'ASN a engagé avec ORANO une démarche de contrôle de gestion des projets avec l'appui de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui sera poursuivie en 2020 puis étendue progressivement aux autres exploitants dans la même situation.
Enfin en ce qui concerne le CEA, l'ASN considère que la sûreté des exploitations est restée globalement satisfaisante en 2019, malgré un contexte budgétaire préoccupant et des retards significatifs dans la mise en oeuvre de certaines mesures post-Fukushima. L'évolution de l'organisation mise en oeuvre au second semestre 2019 sur le chantier du réacteur Jules Horowitz à Cadarache est globalement satisfaisante.
Les enjeux principaux pour le CEA portent sur la poursuite du fonctionnement d'installations conçues selon des standards de sûreté anciens, aujourd'hui largement dépassés, ainsi que sur le démantèlement des installations et la gestion des déchets historiques. Près de quarante installations du domaine civil ou militaire du CEA sont définitivement arrêtées ou en démantèlement.
En 2019, l'ASN et l'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND) ont examiné la nouvelle stratégie de démantèlement élaborée par le CEA. L'ASN et l'ASND ont constaté la pertinence générale, à moyens constants alloués par l'État, de cette stratégie et de la priorisation réalisée, notamment sur les sites de Marcoule et de Saclay, même si la réduction des risques présentés par ces anciennes installations ne sera pas effective avant au mieux une dizaine d'années.
L'ASN et l'ASND ont attiré l'attention du Premier ministre sur le fait qu'un effort d'investissement spécifique et le renforcement des équipes de sûreté dédiées à ces projets leur paraissaient nécessaires.
Telles sont les constatations concernant les principaux exploitants nucléaires, hors installations de stockage des déchets, dont le niveau de sûreté est resté satisfaisant.
En radiothérapie, les fondamentaux de la sécurité sont en place et les démarches qualité progressent.
En curiethérapie, la sécurité des soins, la radioprotection des professionnels et la gestion des sources scellées de haute activité sont globalement satisfaisantes.
En revanche dans le domaine des pratiques interventionnelles radioguidées, l'ASN estime que les mesures qu'elle préconise depuis plusieurs années ne sont toujours pas suffisamment prises en compte pour améliorer la radioprotection des patients et des professionnels, notamment pour les actes de chirurgie réalisés dans les blocs opératoires. Des écarts règlementaires sont fréquemment relevés en inspection, et des évènements sont régulièrement déclarés à l'ASN en raison du dépassement des limites de doses délivrées chez les praticiens interventionnels.
L'état de la radioprotection est nettement meilleur dans les services qui utilisent ces techniques depuis longtemps, par exemple dans les services d'imagerie où sont réalisées des activités de cardiologie ou de neurologie interventionnelle. Des progrès sont donc possibles. Pour l'ASN, la formation continue des professionnels et l'intervention de physiciens médicaux constituent probablement les deux points clés pour garantir la maîtrise des doses délivrées lors des actes interventionnels.
Je terminerai ma présentation en soulignant trois faits marquants de l'année écoulée.
En premier lieu en 2019, l'ASN a été amenée à prendre la décision lourde d'imposer la réparation des soudures défectueuses sur les traversées d'enceinte du circuit secondaire de l'EPR de Flamanville. L'ASN a considéré que la nature et le nombre particulièrement important d'écarts lors de la conception et de la fabrication du circuit, constituaient un obstacle majeur au maintien en l'état de ces soudures. Trois scénarios de réparation des soudures ont été étudiés par EDF, sur lesquels l'ASN a fait part de son analyse préliminaire des risques et des points sensibles.
En octobre 2019, EDF a retenu en priorité un scénario de réparation par l'intérieur des traversées ; ce qui nécessite le développement de moyens particuliers d'intervention, lequel est en cours. La qualification des procédés est en cours, avec une fin des travaux de réparation envisagée à ce stade par EDF au second semestre 2021. L'ASN est en contact régulier avec EDF pour suivre l'élaboration de ces qualifications.
Par ailleurs, au vu des investigations supplémentaires menées par EDF à la demande de l'ASN sur l'ensemble des lignes vapeur et du circuit d'alimentation en eau, une centaine de soudures devront être réparées avant la mise en service de l'EPR, plus accessibles que les soudures de traversée d'enceinte.
Un autre fait marquant de 2019 concerne la protection des centrales nucléaires face aux risques naturels. L'année 2019 a été marquée par plusieurs épisodes caniculaires et par le séisme du Teil, survenu le 11 novembre.
En période de canicule et de sécheresse, les exploitants doivent veiller au bon fonctionnement des systèmes de sûreté, à la capacité de refroidissement du réacteur et à la maîtrise des rejets qui peuvent être affectés par les températures élevées de l'air ou de l'eau, ainsi que par les débits trop faibles dans les cours d'eau.
Lors des épisodes caniculaires de 2019, EDF a été amené à arrêter plusieurs réacteurs et à réduire la puissance de certains autres. L'ASN n'a pas relevé d'écart par rapport aux consignes à respecter. Néanmoins, face à la répétition de ces évènements, l'ASN a demandé à EDF de définir un nouveau référentiel « grands chauds » à prendre en compte lors des réexamens de sûreté de tous les réacteurs, pour anticiper les effets du réchauffement climatique.
Un autre évènement en 2019 est lié au risque naturel de séisme. Le niveau de séisme pris en compte dans la démonstration de sûreté découle d'un séisme historique relevé dans la zone géographique dans laquelle se trouvent les centrales nucléaires. Pour autant, ce niveau de séisme doit être réévalué par EDF périodiquement lors des réexamens ou d'un évènement nouveau qui se produit dans l'intervalle. C'est ce qui est survenu en 2019 avec le séisme du Teil, dont le niveau atteint est apparu très proche du niveau historique pris en compte dans la démonstration de sûreté. L'ASN a demandé à EDF de déterminer si cet évènement devait conduire à réévaluer le niveau de séisme auquel les centrales nucléaires de Tricastin et de Cruas doivent faire face. Cette analyse est en cours, et l'ASN prendra position sur le sujet en 2020.
Le dernier fait marquant que je souhaite évoquer, concerne l'élaboration du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). La préparation du prochain plan a en effet fait l'objet, pour la première fois, d'un débat public préalable organisé en 2019 par la Commission nationale du débat public, du 17 avril au 25 septembre. La Commission nationale et la commission particulière du débat public ont présenté les conclusions tirées de ce débat le 25 novembre. Le ministre de la transition écologique et l'ASN ont communiqué le 21 février 2020 les suites qu'ils envisagent de donner au débat. Je me limiterai à en citer quelques-unes pour illustrer les thèmes prioritaires ayant émergé.
Tout d'abord, une meilleure articulation sera recherchée entre politique énergétique et politique de gestion des déchets. La gouvernance du plan sera renforcée. Par exemple, la périodicité d'élaboration du PNGMDR sera mise en cohérence avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). L'articulation du plan avec les stratégies d'arrêt définitif et de démantèlement des industriels sera mieux explicitée. Pour répondre aux attentes en matière de gouvernance, le fonctionnement de l'instance d'élaboration et de suivi du plan sera clarifié. Cette instance sera élargie à des représentants des parlementaires, de la société civile et des collectivités locales. Pour répondre aux besoins désormais urgents, le PNGMDR prévoira la mise en oeuvre de nouvelles capacités d'entreposage des combustibles usés, en tenant compte de l'avis rendu en 2019 par l'ASN sur les options de sûreté du projet de piscine d'entreposage centralisé, présenté par EDF. Le plan prévoira en complément l'étude des conditions et situations dans lesquelles un entreposage à sec des combustibles usés pourrait être utile.
Le Gouvernement fera évoluer le cadre règlementaire applicable à la gestion des déchets de très faible activité, afin d'introduire une nouvelle possibilité de dérogation ciblée, permettant une valorisation au cas par cas des déchets radioactifs métalliques de très faible activité, après fusion et décontamination. Le PNGMDR formulera des recommandations quant aux modalités de mise en oeuvre de telles dérogations, en prenant en considération les travaux menés à la demande de l'OPECST par le Haut comité de la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
Enfin, le plan précisera les conditions de mise en oeuvre de la réversibilité du stockage des déchets à haute activité, en particulier en matière de récupérabilité, et poursuivra la définition des modalités d'association du public aux étapes structurantes du projet de PNGMDR.
La rédaction du cinquième plan, son évaluation environnementale stratégique et la consultation du public auront lieu au début 2021. Le projet de plan sera ensuite rendu public et transmis à l'OPECST.
Voici Monsieur le président et Monsieur le premier vice-président, les points du rapport annuel que je souhaitais souligner.
Pour finir, je complèterai brièvement mon propos par quelques éléments liés à la gestion de la crise sanitaire actuelle.
Avec la crise Covid-19, l'industrie de la filière nucléaire est confrontée, pour la première fois de son histoire, à une crise dont l'origine n'a aucun lien avec son activité. Durant la période de confinement, seules les centrales nucléaires d'EDF et les activités nécessaires au fonctionnement de celles-ci, en termes d'approvisionnement de combustibles et d'équilibre du cycle du combustible, ont été maintenues en service. Les enjeux de sûreté ont donc concerné, pendant la période de mi-mars à mi-avril, un nombre limité d'installations et un nombre très réduit d'exploitants.
Le contrôle des installations nucléaires en exploitation s'est poursuivi sous des formes adaptées, et ce de façon similaire dans tous les pays nucléarisés. Pour faire face à cette épidémie, tant les exploitants que l'ASN ont actionné leur plan de continuité d'activité applicable en cas de pandémie grippale. L'application de ces plans n'a pas posé de difficulté particulière. La réduction du nombre de personnels et de prestataires spécialisés présents sur les sites a conduit à la réduction importante des activités chez l'ensemble des exploitants. EDF a été contraint de prolonger et décaler les arrêts de tranches. Ces décalages ont entraîné des incidences sur le respect de certaines échéances règlementaires, et ont conduit l'ASN à instruire des demandes ponctuelles de dérogation, qui n'ont pour l'instant pas soulevé de difficulté.
Depuis le 11 mai, les activités nucléaires reprennent progressivement. Dans les prochains mois, les reports cumulés des arrêts de tranches chez EDF et le rythme encore réduit des travaux réalisés, vont imposer une reprogrammation substantielle des arrêts. Par effet domino, cette reprogrammation va largement déborder sur 2021 et 2022, voire au-delà. Cette situation conjuguera des effets de sûreté et de sécurité d'alimentation électrique. La stratégie envisagée par EDF à ce stade consiste principalement à décaler l'arrêt de certains réacteurs pour lisser les effets sur la disponibilité du parc, ou à envisager un saut d'arrêt pour les réacteurs disposant encore de suffisamment de combustible pour fonctionner pendant l'hiver prochain. Contrairement à d'autres pays, notamment aux États-Unis, EDF n'a pas prévu de réduire de manière significative son volume de travaux de maintenance et de modifications pendant les arrêts réacteurs. Cette stratégie est favorable à la sûreté.
A ce stade, l'ASN estime que l'analyse réalisée par EDF a suivi des hypothèses réalistes du point de vue industriel et prudentes du point de vue de la sûreté. Les écarts constatés du point de vue des échéances règlementaires de sûreté peuvent être traités dans le cadre de processus connus et déjà mis en oeuvre par le passé. Ces décalages de quelques semaines, ou de quelques mois dans un nombre limité de cas, ont conduit à identifier une dizaine de situations qui nécessiteront des autorisations de l'ASN d'ici la fin de l'année 2020 ou au début de l'année 2021. Maintenue à ce niveau, la démarche d'EDF est acceptable.
Néanmoins, un point de vigilance particulier devra être porté par EDF concernant les visites décennales des réacteurs, qui sont des arrêts à plus fort enjeu. Ce point fera l'objet d'un examen approfondi entre l'ASN et EDF.
Je passe la parole à OIivier Gupta pour vous présenter la manière dont nous avons exercé notre contrôle dans un contexte inédit en 2019 et depuis le début de cette année 2020.
M. Olivier Gupta, directeur général de l'ASN. - Monsieur le président, Monsieur le vice-président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, ce rendez-vous annuel est l'occasion de vous rendre compte de la manière dont nous exerçons nos missions. Une question a pu se faire jour depuis que nous avons nous-mêmes alerté sur la situation difficile de la filière nucléaire : que faisons-nous, ASN, face à cette situation ? Ces dernières semaines s'est ajoutée une autre question : comment réagit l'ASN face à la crise sanitaire que nous traversons ? Les interrogations concernent en particulier la quantité des contrôles.
Avant même de parler de quantité, il importe de bien focaliser les contrôles sur les sujets importants. Notre premier travail est de porter un diagnostic de la situation et d'en apprécier tous les enjeux. Nous le faisons sur la base de nos inspections, de l'analyse des incidents, du dialogue soutenu que nous avons avec les parties prenantes et les industriels. Ce diagnostic est le plus impartial possible. Le statut que vous nous avez donné par la loi est clairement un atout pour cela. Une fois ce diagnostic posé, notre action vise à faire en sorte que les industriels focalisent leurs moyens sur les sujets où nous estimons qu'ils doivent progresser. J'évoque les industriels, car ils ont les premiers leviers entre les mains. Ce sont les premiers responsables de la sûreté et du redressement de la filière. Quand nous contrôlons, nous contribuons à focaliser leurs moyens sur les sujets que nous estimons importants.
Pour la qualité des réalisations, il est nécessaire que les intervenants soient formés. Nous le vérifions à deux niveaux. Au niveau stratégique, nous analysons les politiques de formation, la gestion des compétences chez les différents exploitants, en particulier EDF. Ces dernières années, nous avons constaté de forts renouvellements de compétences. Sur le terrain, nous accentuons la pression de contrôle sur ce point, en vérifiant les qualifications des intervenants, les conditions d'intervention et tout ce qui concourt à la maîtrise des gestes techniques.
De la même manière, lorsque nous plaçons un site nucléaire sous surveillance renforcée - comme en 2019 pour Flamanville 1 et 2 - l'objectif est d'abord de vérifier que l'exploitant a porté un bon diagnostic de la situation et s'est doté d'un plan d'action répondant aux difficultés identifiées.
Pour la crise sanitaire Covid-19, nous avons commencé par identifier les enjeux spécifiques de cette crise, qui était évidemment nouvelle pour l'ensemble des acteurs, pour vérifier que les exploitants avaient bien identifié les points de fragilité et pris les bonnes orientations en matière de sûreté. Ces dernières semaines, nous avons focalisé notre contrôle sur ces potentiels points de fragilité : est-ce que les opérations de maintenance importante continuent d'être réalisées ? Le sont-elles dans de bonnes conditions de sûreté ? La surveillance des prestataires est-elle bien réalisée ? En termes d'inspection du travail, est-ce que les plans de prévention des entreprises intervenantes tiennent compte de la situation sanitaire, en appliquant notamment les gestes barrières sur les chantiers ?
Au total face à la situation que traverse la filière nucléaire, nous ne nous inscrivons pas dans une démarche quantitative - plus de contrôles - mais qualitative, d'adaptation des contrôles sur les sujets en jeu pour faire progresser les industriels. La méthode vaut aussi bien dans le domaine du nucléaire de proximité que du nucléaire médical.
Tout cela nécessite que nos inspecteurs disposent de compétences adaptées, de sorte que nous avons mené plusieurs actions de gestion interne pour développer l'expérience cumulée et la durée totale de postes au sein de l'ASN.
J'ajoute et je terminerai là-dessus, que nos modalités de contrôle sont calibrées avec celles de nos principaux homologues étrangers, en particulier européens, tout en tenant compte des spécificités du parc français qui est très standardisé. Nous souhaitons aussi, naturellement, nous inscrire dans les meilleures pratiques internationales et contribuer à les définir.
Je pourrai vous en parler plus longuement si vous avez des questions.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions pour votre intervention et votre travail, ainsi que pour votre engagement à prolonger et maintenir la mission de contrôle de l'ASN dans la situation actuelle.
Sur le contexte spécifique du Covid-19, dont vous avez évoqué qu'il s'agissait d'une crise extérieure au monde nucléaire, comment avez-vous géré vos effectifs en interne et les modes d'intervention de vos inspecteurs ? Avez-vous été confrontés à une diminution de moyens ?
M. Olivier Gupta. - Dès l'annonce du confinement, nous avons placé la quasi-totalité de nos personnels en travail à distance. Pour l'essentiel, le travail d'instruction et d'analyse de dossiers, qui se réalise sur documents, s'est poursuivi de manière quasi nominale. Néanmoins, une déperdition a malgré tout été constatée lorsque nos personnels devant gérer les gardes d'enfants, se montraient moins disponibles.
En tout état de cause, pour le sujet extrêmement important de la préparation de notre position de fin d'année sur la poursuite d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts, nous avons tenu plusieurs séances du collège des commissaires, avec un travail préparatoire au rythme habituel. Par conséquent, notre activité a pu se poursuivre à un rythme soutenu.
L'adaptation la plus importante a concerné les inspections sur site, qui ont été suspendues au moment du confinement, pour deux raisons. En premier lieu, l'activité sur certains sites ayant beaucoup diminué, un grand nombre d'installations ont fermé. Même celles qui ont poursuivi ont vu leur activité baisser. De plus, les interventions de prestataires pour la maintenance ont été étalées sur un temps plus long. Il n'était donc pas illégitime d'effectuer des visites plus espacées. En temps normal, nous effectuons des visites tous les quinze jours, alors que pendant le confinement le délai a été prolongé à un mois et demi. Nous sommes revenus sur site dès que les matériels de protection : gel et masques, ont été disponibles pour nos personnels, mais nous avons également mis en place un contrôle à distance qui nous a permis de suivre efficacement la situation des installations. Nous avons notamment organisé des visioconférences après avoir étudié les documents qui nous avaient été communiqués. À partir de la mi-avril, nous sommes revenus sur les sites afin de voir les points qui ne pouvaient l'être qu'en présentiel. Pour être précis entre le 15 mars et le 15 mai, 18 inspections ont été réalisée sur site, dont 12 au titre de la sûreté et 6 au titre de l'inspection du travail. Ces visites nous ont permis de confirmer que nos constats à distance correspondaient bien à la réalité des choses.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je poursuis l'interrogation sur cette expérience, peut-être positive, de réorganisation contrainte du travail d'inspection et de télétravail. Cela vous a-t-il conduit à une réflexion pour faire les choses différemment à l'avenir ?
M. Bernard Doroszczuk. - Tout à fait. Nous avons pu mettre l'ensemble des personnels en travail à distance car nous disposions des équipements et de l'infrastructure informatiques qui le permettaient, ce qui n'était peut-être pas le cas dans tous les services de l'État. Nous avons en outre échangé constamment avec nos homologues étrangers, afin de tirer les leçons des pratiques de contrôle à distance.
À notre retour sur site, nous avons vu tout l'apport positif du travail à distance, en développant des méthodes qui n'existaient pas précédemment. Grâce aux liaisons numériques directes avec les exploitants, nous avons ainsi pu contrôler quasiment en temps réel un certain nombre de paramètres d'exploitation, que nous ne pouvions pas voir en situation d'inspection une fois tous les quinze jours.
À travers cette pratique de contrôle à distance, nous avons constaté un grand nombre de bénéfices. À l'avenir, nous entendons donc organiser nos contrôles pour marier les deux approches, à distance et sur site.
Par ailleurs sur les centrales nucléaires, nous sommes à la fois inspecteurs de la sûreté et de la radioprotection, et inspecteurs du travail. Par conséquent, nous avons pu à travers les méthodes de contrôle et d'inspection à distance, puis de vérification sur site, contrôler à la fois la sûreté et les conditions de travail.
Nous avons donc tiré une série de retours d'expérience sur l'organisation pendant le confinement, à la fois en termes d'outils d'inspection et de contrôle, et d'approche intégrée de contrôle.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Pour EDF, y a-t-il des retards significatifs inévitables, ayant des conséquences sur les rendez-vous programmés ? Par exemple sur les contrôles des réacteurs de 900 mégawatts qui pourraient être reportés, ce qui causerait des problèmes.
Est-ce que le fonctionnement des centrales nucléaires lié à la diminution de la consommation électrique et à la part plus importante proportionnellement du renouvelable, conduisant à une plus grande flexibilité des centrales nucléaires, aboutit à un vieillissement des centrales ?
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Sur l'EPR de Flamanville, vous avez évoqué la réparation nécessaire d'une centaine de soudures plus facilement accessibles. Seront-elles réparées simultanément, ou à l'issue d'un plan devant être retardé ?
De plus, vous avez mentionné un référentiel « grands chauds » pour les centrales nucléaires. Comment se situer par rapport aux limites sur les débits des rivières qui servent au refroidissement ?
Enfin, vous avez mentionné trois évènements de niveau 2 en 2019 contre 0 en 2018. À quoi les attribuez-vous ? Vous avez parlé de gestes inadaptés. Pouvez-vous nous donner quelques détails ?
M. Bernard Doroszczuk. - Sur le réexamen de sûreté des réacteurs de 900 mégawatts, à ce stade nous n'envisageons pas de report sur la prise de décision générique prévue à la fin de l'année 2020 pour l'ensemble des réacteurs. Par conséquent, les études réalisées à distance et l'ensemble des discussions menées avec les commissaires de l'ASN nous ont permis d'avancer normalement. Nous envisageons une prise de position sur l'aspect générique à la fin de cette année. Cette prise de position est indépendante des mesures menées sur les sites, qui sont à la main d'EDF en fonction des capacités de mobilisation de ses équipes et des prestataires pour réaliser les opérations de modifications prévues au moment des arrêts. À ce stade, au vu des discussions avec EDF, nous n'entrevoyons pas de difficulté majeure quant au respect du calendrier des visites décennales. Néanmoins s'agissant de visites plus lourdes en termes d'enjeux, notamment pour les réacteurs de 900 mégawatts, il est important que le calendrier soit respecté d'autant que la limite de dix ans est fixée par la loi et dépend d'une directive européenne. Par conséquent, ce sujet des visites décennales nécessite une grande vigilance car nous n'avons pas la même facilité que pour les autres visites pour déplacer les opérations de contrôle.
Sur les conséquences de la flexibilité du mix énergétique, notre principal souci dans le contexte actuel est de marier les objectifs de sûreté nucléaire avec ceux de sécurité d'alimentation électrique. La crise du Covid-19 aura inévitablement pour conséquence une baisse de la production électrique au moins pour l'hiver 2020-2021. Nous entendons donc attirer l'attention sur la nécessité de gérer cette période de telle manière que des marges pour la sûreté restent disponibles. En effet, si nous étions tenus de prendre une décision ponctuelle d'arrêt d'un réacteur parce qu'un défaut aurait été détecté, des marges sont nécessaires pour la production d'électricité. Cela étant, les réacteurs fonctionneront plutôt à un niveau supérieur à celui auquel ils fonctionneraient si la totalité des capacités d'énergie renouvelable était disponible. Ces réacteurs seront en effet moins nombreux connectés au réseau, du fait de la prolongation des arrêts et du nombre de travaux à réaliser.
Pour ce qui concerne l'EPR de Flamanville depuis la découverte d'un certain nombre d'anomalies sur le réacteur, il a été demandé à EDF d'étendre les investigations sur plusieurs circuits. C'est le résultat de ces investigations complémentaires qui a conduit à détecter l'absence de conformité d'un certain nombre de soudures. Ces soudures sont beaucoup plus accessibles. EDF s'est engagé dès à présent dans les opérations de qualification et de réparation de ces soudures. À ce stade, nous n'avons pas identifié de difficultés de planification par rapport au calendrier affiché par EDF.
En ce qui concerne le référentiel « grands chauds », lorsqu'en situation d'étiage sévère le cours d'eau est faible, la problématique qui se pose à l'exploitant nucléaire est celle du rejet, dont la dilution ne peut pas être assurée dans les mêmes conditions que la normale. Les sites nucléaires disposent à ce jour de capacités d'entreposage des rejets - notamment liquides - qui sont stockés en attendant que la situation évolue. Si la période d'étiage est trop longue, le réacteur se met à l'arrêt pour ne pas produire d'effluents. Ces procédures existent pour les rejets dans le milieu naturel, ce qui ne pose pas de problème en termes de gestion. En revanche, nous constatons que les évènements caniculaires sont de plus en plus longs et répétés, rendant difficile le maintien des conditions de fonctionnement à l'intérieur des bâtiments. Cette situation suppose la mise en place de systèmes de refroidissement d'air supplémentaires pour conserver l'opérabilité des équipements de sûreté. Tout ceci repose sur la révision de l'aléa, c'est-à-dire une réflexion au vu du contexte historique et des projections, sur le niveau de température enveloppe à laquelle chaque réacteur doit être préparé à résister. Telle est la fonction du référentiel « grands chauds », sur lequel nous avons demandé à EDF de travailler.
S'agissant des évènements de niveau 2 que j'ai signalés comme étant signes de recul de la rigueur d'exploitation en 2019, le franchissement de certaines barrières de sûreté pourtant bien connues des opérateurs, a été marquant. Ceci pose la question de la culture de la sûreté. Je prendrai l'exemple du franchissement de la ligne de défense sur la centrale nucléaire de Penly. L'exemple est ponctuel mais significatif d'une perte de repères de la part des intervenants. Lorsque des opérations de maintenance sont effectuées sur les tableaux électriques redondants entre voie A et voie B, commandant des systèmes de sûreté, la règle classique est de ne pas intervenir en même temps sur la voie A et la voie B. Lors d'un arrêt sur la centrale de Penly, l'intervention prévue sur l'un des deux tableaux électriques n'a pas pu être réalisée. Dans ce contexte, l'équipe du site a décidé de reporter cette intervention à l'arrêt suivant, à l'occasion duquel elle est intervenue sur les deux voies en même temps. Malheureusement, un certain nombre de composants installés sur les tableaux électriques se sont avérés défectueux. Les conséquences directes pour la sûreté ont été nulles, mais il y avait un risque que les deux tableaux électriques soient défaillants.
Finalement, le fait d'avoir volontairement franchi une barrière de sûreté connue, pose problème. C'est une question de culture de la sûreté et de compétence des intervenants, sur laquelle nous avons attiré l'attention.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Lorsque vous évoquez la saturation des capacités d'ingénierie, pensez-vous aussi à une question d'effectifs ?
M. Bernard Doroszczuk. - C'est clairement un sujet de charge de travail. EDF a un programme très ambitieux - ce qui est louable - et ses ressources d'ingénierie sont très sollicitées. Ce programme, notamment le Grand Carénage, nécessite un travail d'ingénierie conséquent, alors que les ressources sont limitées. Nous le constatons bien lorsque nous discutons avec EDF pour planifier une modification. Il y a donc une saturation de ses capacités de travail. Ce qui a été fait sur le site de Tricastin est assez remarquable. Nous avons nous-mêmes constaté que le réexamen du premier réacteur s'était bien passé, parce que les services d'ingénierie centraux conçoivent une modification à adapter au contexte local. Pour pouvoir adapter la modification conçue au niveau central, il faut que les équipes d'ingénierie locales connaissent bien l'installation, et sachent précisément quels points modifier. En l'espèce, des équipes spécialisées d'ingénierie ont été déployées sur le site de Tricastin, ce qui est très bien, mais nous nous posons la question de savoir s'il sera possible à l'avenir de réitérer l'opération pour l'ensemble des réacteurs. Certaines années, quatre ou cinq visites décennales devront être réalisées en même temps.
M. Bruno Sido, sénateur. - Avec la crise sanitaire Covid-19, les préoccupations actuelles des Français se focalisent sur les moyens en termes de santé. Les futurs arbitrages budgétaires pourraient donc accorder une priorité particulière à ce sujet. Pensez-vous que ces nouveaux arbitrages pourraient avoir des conséquences sur les choix budgétaires relatifs à la sûreté nucléaire, et entraîner par exemple des reports ?
Pensez-vous que la culture du risque est à un niveau suffisant dans notre pays. Je pense en particulier aux pastilles d'iode à retirer en pharmacie, dont trop peu de Français connaissent la disponibilité.
M. Bernard Doroszczuk. - Les choix budgétaires ne me sont pas connus, mais une grande partie des mesures post-Fukushima ont déjà été mises en place. Pour le dixième anniversaire de l'accident l'an prochain, la France sera regardée avec attention pour examiner les mesures qu'elle aura prises. Les quelques retards constatés sont explicables et se combleront dans les mois à venir. Je ne pense pas que les choix budgétaires influenceront la mise en place des mesures post-Fukushima.
En revanche, le volet de la reprise du conditionnement des déchets anciens et le démantèlement des installations dépendent totalement du budget de l'État. Un opérateur tel que le CEA n'a pour seules ressources que celles allouées par l'État, ce qui n'est pas le cas d'EDF. C'est pourquoi nous avons, dans le cadre de notre étude avec l'ASND, attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que les ressources allouées à ces opérations, budgétisées à hauteur de 740 millions d'euros jusqu'en 2022, devraient être maintenues, voire augmentées pour réaliser dans le planning prévu par le CEA, les opérations de démantèlement. Sur les sites de Marcoule et de Saclay, il y a encore quelques installations très anciennes comportant un terme source relativement élevé, et qu'il faudrait pouvoir évacuer assez rapidement. Nous avons insisté sur ce point auprès du Premier ministre, qui nous a répondu en avril dernier en nous assurant de son souci de doter le CEA des moyens suffisants pour mener les opérations de démantèlement et de reprise des déchets anciens dans le planning prévu. J'ose espérer que ce courrier ne sera pas remis en cause lors des choix budgétaires d'octobre prochain.
La deuxième question me paraît fondamentale. D'une certaine manière, c'est le retour d'expérience de mes dix-huit mois de mandat. Je pense qu'il existe un déficit de culture de précaution dans notre pays, qui s'applique également à la situation du nucléaire. Depuis de nombreuses années, l'ASN attire l'attention sur l'insuffisance des capacités d'entreposage des combustibles usés. Le PNGMDR insiste sur ce point, en faisant obligation à EDF de déposer une demande d'autorisation de création pour une installation d'ici la fin 2020. Cette échéance ne sera pas respectée alors que l'ensemble des exploitants nucléaires savent que cette capacité supplémentaire d'entreposage est nécessaire. Le niveau de saturation des piscines d'entreposage est déjà très élevé. En cas d'aléa, la totalité de la filière serait en difficulté. Or malgré ces alertes répétées, il n'y a pas eu de volonté suffisante pour trouver une solution.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - De qui émane cette absence de volonté ?
M. Bernard Doroszczuk. - Elle est le fait des exploitants en général. C'est tout à fait clair.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme à accueillir un site d'entreposage. J'en sais quelque chose.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Quels sont les ordres de grandeur des surfaces concernées ?
M. Bernard Doroszczuk. - Je pense que les ordres de grandeur sont ceux d'une piscine olympique. Ce n'est pas immense, mais il faut réfléchir où construire l'installation. Le problème est connu, sachant que la construction prend dix ans. C'est urgent. L'entreposage à sec existe et ORANO maîtrise totalement la technologie. Cependant, tout ne peut pas être entreposé à sec, car il faut une première phase de refroidissement sous l'eau.
Sur la campagne de distribution de pastilles d'iode, qui a fait l'objet d'une large communication des pouvoirs publics et de l'ASN sur le fait qu'il s'agissait d'une mesure de protection en cas d'accident nucléaire, seuls 25 % des Français dans les zones concernées sont allés retirer en pharmacie les comprimés d'iode. Il y a un défaut de culture du risque.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Comment cela se compare-t-il avec les autres pays ?
M. Bernard Doroszczuk. - Je n'ai pas d'exemple. Je me renseignerai.
Le troisième sujet que je citerai est celui du maintien des marges de production d'électricité pour faire face à l'arrêt d'un réacteur. Lorsque l'ASN a demandé l'arrêt de certains réacteurs pour vérifier l'état des générateurs de vapeur, cette opération s'est produite juste avant un pic hivernal. Il est par conséquent nécessaire de conserver des marges dans les stratégies publiques en termes de politique énergétique.
En définitive, il est nécessaire de ré-insister sur la culture de précaution à acquérir.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Sur la prolongation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, pouvez-vous rappeler les principaux éléments clés dans l'appréciation, ceux qui sont plus subtils que d'autres, et l'état de vos réflexions ?
En 2018, vous présentiez devant notre Office votre avis sur l'identification de sujets de recherche à approfondir en matière nucléaire et de radioprotection. Dans quelle mesure vos recommandations ont-elles été prises en compte ? Y a-t-il lieu d'insister à nouveau sur celles-ci ?
M. Bernard Doroszczuk. - En ce qui concerne l'EPR, nous avons évoqué les soudures mais ce n'est pas le seul sujet. Au cours de l'année 2019, une série d'essais à froid et à chaud ont été réalisés sur l'installation, démontrant qu'elle pouvait être mise en fonctionnement. Le résultat des tests s'est avéré satisfaisant.
C'est sur les équipements les plus lourds qu'il faudra être vigilant. Nous avons demandé à EDF, au-delà des soudures, d'étendre sa revue de conception et de fabrication à d'autres équipements essentiels à la sûreté, pour s'assurer de l'absence d'anomalies. Nous avons demandé un bilan de cette revue, qui est en cours, ce qui nous permettra d'avoir une vision globale sur la réalisation des essais et le contrôle de tous les équipements indispensables à la sûreté. À ce stade, les contacts que nous avons avec EDF ne nous conduisent pas à identifier de difficultés particulières dans le processus de qualification et de remise en état. Les opérations de soudage qui ont commencé sur le site pour les soudures accessibles, n'ont pas encore commencé pour les traversées d'enceinte car il faut d'abord vérifier les modes opératoires. C'est un prestataire américain qui interviendra. Les premières opérations de mise au point des procédés de réparation par la traversée sont en cours de réalisation aux États-Unis, ce qui prendra un certain temps. À notre connaissance, il n'y a pas de retard de planning.
Nous devons également cette année instruire une demande d'EDF pour l'approvisionnement en combustibles neufs, qui pourraient être acheminés vers la centrale nucléaire de Flamanville et entreposés dans les piscines. Sur le fond, cette demande ne pose pas de difficulté particulière. En revanche, l'autorisation a été différée car l'ordonnance du 25 mars dernier ne nous permettait pas de réaliser de consultation du public. Logiquement, le combustible neuf pourrait donc rejoindre la centrale de Flamanville dans le courant de cette année.
Globalement, le processus de remise en état et de contrôle de l'EPR semble se dérouler normalement, conformément au planning annoncé. Je ne peux préjuger de la suite.
En ce qui concerne la prolongation d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts, nous sommes en phase finale d'élaboration de l'avis générique, qui sera mis en consultation du public à la fin 2020. Il reste quelques points de discussion sensibles avec EDF, dont nous attendons les ultimes propositions avant de statuer. Ces points concernent par exemple l'épaississement du radier. Sur les cuves elles-mêmes, nous n'avons pas de sujet particulier.
L'IRSN a remis son avis de synthèse sur l'ensemble des études réalisées par EDF, rendu public au début avril 2020. Nous consulterons le groupe permanent d'experts de l'ASN en septembre sur le projet de décision.
Nous pensons aujourd'hui que vraisemblablement, l'ASN prescrira des modifications additionnelles par rapport à celles proposées par EDF, pour couvrir l'ensemble des champs identifiés dans le cadre du réexamen des réacteurs de 900 mégawatts. L'objectif est de se rapprocher le plus possible du niveau de sûreté des réacteurs de troisième génération. L'instruction lourde est arrivée quasiment à son terme, et quelques sujets restent en suspens.
Sur les sujets de recherche, nous réévaluons avec notre comité scientifique de manière régulière les thématiques à privilégier. Nous ne disposons pas de moyens financiers pour inciter les organismes de recherche à réaliser des actions dans les domaines que nous identifions. Nous sommes dans une situation quelque peu difficile. Nous tentons de porter la bonne parole auprès des organismes de recherche et du ministère, afin que les porteurs de projets intègrent nos thématiques. Il est très difficile d'avoir un pouvoir d'influence sans moyens financiers. C'est pourquoi nous travaillons le plus possible avec l'IRSN, qui dispose en revanche de moyens. Nos axes de recherche portent notamment sur le vieillissement, en lien avec la prolongation des centrales nucléaires, pas seulement sur les sujets classiques, comme les matériaux métalliques tels que la cuve, élément essentiel sur lequel beaucoup de recherches ont été menées, mais aussi sur des composants un peu différents, sortant du champ largement exploré par les organismes de recherche, par exemple les câbles, les polymères ou les bétons. Mais nous avons aussi des propositions de recherches dans le domaine médical. Il existe une nécessité d'avoir une meilleure connaissance des impacts des faibles doses, par exemple d'une exposition répétée des patients au scanner. Tout ceci demande des études de longue durée auxquelles nous essayons de sensibiliser les organismes de recherche.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous avons eu l'année écoulée d'importantes annonces d'arrêt de recherches. Peut-être sur le réacteur Jules Horowitz (RJH) ?
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Cela concernait les tests de fusion nucléaire, qui ont été abandonnés.
M. Bernard Doroszczuk. - Oui, en revanche, le projet RJH avance mieux depuis le début 2019 et va aboutir. Vous évoquez le report annoncé par le Gouvernement sur le réacteur Astrid.
M. Bruno Sido, sénateur. - Il est heureux que pendant cette période de confinement, aucun incident n'ait eu lieu et que la production électrique ait perduré. Je félicite tous les acteurs. Avant le confinement, nous avons visité dans le cadre du PNGMDR, avec Émilie Cariou, le site de Flamanville et celui d'ORANO. C'est absolument impressionnant. Il nous a été indiqué que les essais menés étaient satisfaisants. Le travail sur les soudures semble tout à fait considérable. Qui paiera ces travaux coûteux, entre les fournisseurs et EDF ?
Ma deuxième question portera sur le PNGMDR, sur lequel le président de l'OPECST nous a demandé un rapport. Il est cependant difficile de donner un avis tant que ce plan n'est pas sorti. Néanmoins, nous pouvons toujours anticiper. La possibilité de modifier la périodicité - actuellement tous les trois ans - de ce PNGMDR a été évoquée. Qu'en est-il ?
Enfin, la Haute-Marne dont je suis le sénateur est concernée par le site nucléaire de Saudron et par le contenu du stockage. Quelles solutions seront retenues concernant les déchets bitumineux ? L'ASN a-t-elle un avis sur la question ?
M. Bernard Doroszczuk. - Je ne me prononcerai pas sur le point de savoir qui va payer les travaux. Le sujet est complexe, car des erreurs ont été commises par certains acteurs sur l'information des prestataires et les périmètres concernés. Le sujet est contentieux et la responsabilité de plusieurs acteurs est engagée. Il n'y a pas de responsable évident et unique. Ce sont les clients d'EDF qui paieront, au bout du compte.
Le PNGMDR est publié actuellement tous les trois ans, et nous avons souhaité que cette périodicité soit portée à cinq ans. C'est raisonnable au vu des délais d'élaboration, qui sont encore rallongés par l'organisation d'un débat public préalable. C'est également cohérent avec les plans de politique énergétique, d'autant que les projets sont au long cours - au moins dix ans. Nous sommes face à un triptyque, dont font partie la politique énergétique, la politique industrielle de démantèlement propre à chaque exploitant, sans qu'existe de stratégie nationale à cet égard, et l'approche sur les catégories de déchets. Ces trois éléments doivent fonctionner ensemble, ce que permet la périodicité de cinq ans.
L'avis émis par l'ASN sur le projet Cigéo avait insisté sur le fait que pour les déchets bitumés, il était nécessaire de réaliser des opérations de caractérisation supplémentaires, notamment des risques de réaction exothermique des déchets bitumés. L'ASN avait pointé la nécessité d'envisager une opération de traitement pour réduire la quantité de ces déchets. Le ministère de l'environnement a confié une mission de réflexion à un groupe d'experts internationaux, qui a rendu ses conclusions dans le courant de l'année 2019. Le rapport a ouvert de nouveaux horizons, en concluant à la possibilité d'accepter au sein de Cigéo une quantité plus importante de déchets bitumés, sans qu'ils soient traités. Si ces hypothèses étaient avérées, le volume de déchets à traiter préalablement au stockage serait réduit. Compte tenu de cela, le groupe d'experts a envisagé une option de dissolution chimique, qui permettrait de traiter les déchets par des voies moins impactantes pour l'environnement.
L'ANDRA devra par conséquent travailler sur les conclusions de cette étude. Nous intègrerons dans le prochain plan l'ensemble des conclusions et propositions sur la manière de traiter les déchets bitumés.
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Vous êtes missionnés pour porter un regard critique sur la filière. Un regard critique implique d'avoir toujours des choses à mettre en exergue. D'ailleurs votre intervention s'apparente un peu à celle de la Cour des comptes. Néanmoins, il y a des points de satisfaction, comme vous l'avez souligné. L'an dernier, la crise était manifeste en raison des soudures à réparer. Aujourd'hui, nous pouvons collectivement nous féliciter de son règlement en cours.
J'ai pris note de votre collaboration étroite et fructueuse avec l'IRSN. Il y a un sujet sur le vieillissement de nos filières, pas seulement de nos cuves. Au sein de l'OPECST, nous étudierons prochainement l'arrêt du programme Astrid. J'ai été missionné, avec le député Thomas Gassilloud, sur ce sujet.
J'aurai une question sur l'exposition des patients dans le domaine médical. Sur les actes chirurgicaux, vous avez considéré que les expositions étaient un peu trop élevées, et ce de manière récurrente. Je m'étonne que cette observation faite depuis plusieurs années, n'ait pas été suivie d'effet.
M. Bernard Doroszczuk. - Je demanderai à Philippe Chaumet-Riffaud, professeur hospitalier, d'apporter des précisions sur ce sujet. J'indique néanmoins que ma remarque concernait la pratique des imageries radioguidées, lors de laquelle le chirurgien était lui-même exposé à des rayonnements ionisants.
M. Philippe Chaumet-Riffaud, commissaire de l'ASN. - L'ASN est en charge de la radioprotection dans le domaine médical, pour trois spécialités : la radiologie, la médecine nucléaire et la radiothérapie Depuis quelques années, se sont développées des pratiques interventionnelles radioguidées. Il s'agit de l'utilisation de méthodes d'imagerie basées sur des radiations ionisantes pour réaliser des actes de type diagnostic, de type pose d'un dispositif médical ou des actes chirurgicaux. L'imagerie est ainsi utilisée pour vérifier le guidage et la qualité d'un résultat. Les trois premières spécialités que j'ai indiquées sont, dans leur cursus professionnel, très tôt formées à la radioprotection. Le développement des pratiques interventionnelles radioguidées a été effectué à la fois dans des services de radiologie interventionnelle et dans des services de chirurgie. Ces derniers professionnels sont moins sensibilisés à la radioprotection dans leur cursus, ce que nous avons indiqué dans nos constats. Nous avons également mentionné l'insuffisance de formation des radiophysiciens.
Par ailleurs, les pratiques radioguidées s'étant développées très rapidement, le risque pour les professionnels s'accroît avec le nombre d'actes réalisés. Par conséquent, nous préconisons de développer une culture de radioprotection plus poussée. Nous ne sommes pas satisfaits car nos préconisations ne sont pas prises en compte depuis plusieurs années. La situation est meilleure en radiologie interventionnelle qu'aux blocs opératoires.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Qu'en est-il du seuil de libération pour réutiliser des matériaux métalliques contaminés par leur proximité avec des systèmes nucléaires ? En France, nous achetons des voitures allemandes, ce qui est notre droit, en partie fabriquées avec de l'acier irradié recyclé alors que nous ne pouvons pas le faire en France. EDF exporte ses aciers irradiés en Suède.
M. Olivier Gupta. - Effectivement, la règlementation actuelle en France ne prévoit pas de seuil de libération pour ces matières, sauf dérogation. Cette situation résulte de l'histoire, à l'époque où un certain nombre de portiques de sécurité se déclenchaient dans les décharges, et où il était impossible d'identifier l'origine de cette radioactivité. À l'époque, un système mettant la priorité sur la traçabilité de la radioactivité a été mis en place, avec la définition de zones dans lesquelles de la radioactivité était susceptible d'être produite. Ce système a permis d'apporter une meilleure garantie de ne pas être entouré de matières radioactives d'origine inconnue. Il se substitue au dispositif des seuils de libération, en vigueur dans d'autres pays. La situation a évolué depuis lors. Le sujet fait partie du débat sur le Plan de gestion des matières et déchets radioactifs. L'ASN a indiqué qu'elle était ouverte à examiner des évolutions, mais pas à n'importe quelle condition.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je retiens des sujets de cette audition le point que vous évoquiez sur le manque d'une culture d'anticipation, notamment concernant cette question de l'entreposage, sur laquelle, malgré vos avertissements répétés, aucune décision de long terme n'est prise. Il me semble qu'il appartiendrait à l'Office d'émettre une recommandation sur ce sujet. Qui doit influer sur qui et de quelle façon ?
M. Bernard Doroszczuk. - Clairement, cette demande de travailler sur un projet nouveau et complémentaire d'entreposage des combustibles usés figure dans les décisions règlementaires prises par le Gouvernement dans le cadre du cinquième plan. Il y a une obligation faite à EDF de présenter un projet de piscine centralisée, d'obtenir de l'ASN un avis sur les options de sûreté - c'est ce que nous avons fait en 2019 - et de déposer un dossier de demande d'autorisation de création avant la fin 2020. Cette disposition prise par le Gouvernement n'est pas respectée.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous sommes donc bien dans le rôle de contrôle de l'exécutif par le Parlement.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Sur le radon, deux arrêtés publiés en février 2019 précisent que 12 millions de Français y seraient exposés. Pourriez-vous nous en dire davantage pour rassurer nos compatriotes et les informer ?
M. Bernard Doroszczuk. - Le radon est un gaz naturellement issu de l'évolution de l'uranium, lui-même présent dans les roches. Dans certaines zones géographiques en France, il existe un risque de cancer du poumon lié à l'exposition au radon. C'est le deuxième facteur de risque après le tabac, notamment lorsqu'on se situe dans des établissements en sous-sol insuffisamment aérés. La carte des zones géographiques les plus susceptibles aux émanations de radon a été réactualisée. Suite à cette réévaluation du risque, nous avons engagé, avec les pouvoirs publics, des dispositions de contrôle et de mesure, notamment dans les établissements recevant du public et en particulier des enfants. Il existe une obligation réglementaire de faire ces mesures qui prennent du temps, afin d'évaluer le taux de radon présent dans l'air. En fonction du résultat de la mesure, plusieurs types de traitement sont possibles : assurer plus fréquemment la ventilation, lorsque le taux de radon est peu élevé, ou faire des travaux plus lourds d'étanchéité ou de ventilation forcée, lorsque le taux est élevé. Cette campagne est réalisée de manière périodique, avec des échéances. Une première campagne a été menée et un certain nombre d'établissements ont été identifiés comme présentant des risques. Des mesures ont été prescrites par les préfets, en lien avec les agences régionales de santé (ARS).
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions de votre engagement, de la clarté de vos analyses, du courage et de l'indépendance dont vous faites preuve. Ce rendez-vous est majeur pour que les parlementaires répercutent eux-mêmes les informations que vous avez communiquées, et qui sont indispensables à la sécurité de nos compatriotes.
La réunion est close à 11 h 40.