Mardi 16 juin 2020
- Présidence de M. Éric Jeansannetas, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence
M. Éric Jeansannetas, président. - Nous reprenons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence, qui a notamment participé à l'élaboration de l'avis de l'Autorité sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires de 2014, sollicité par la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Monsieur le rapporteur général, après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute le vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Umberto Berkani prête serment.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous souhaitons vous interroger sur l'avis que l'Autorité de la concurrence a rendu en 2014. Cet avis, assez conséquent, s'est principalement intéressé aux sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) dites « historiques », qui gèrent le linéaire de réseau le plus important. Il été discuté sur un certain nombre de points par les SCA, notamment s'agissant de l'analyse de leur rentabilité.
L'avis a-t-il été rédigé de manière contradictoire, ou du moins les éléments qu'il contient ont-ils fait l'objet d'échanges avec les SCA ? En règle générale avez-vous recours à une telle procédure lorsque vous rendez des avis ?
Que pensez-vous des réserves émises par les SCA sur certaines conclusions du rapport, notamment s'agissant de l'appréciation de leur rentabilité ? Le fait de raisonner en prenant en compte l'EBITDA plutôt que le taux de rentabilité interne (TRI) est-il un choix délibéré ?
M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence. - L'Autorité de la concurrence a plusieurs fonctions : une fonction contentieuse - sanctionner les ententes et les abus de position dominante -, une fonction de contrôle des concentrations et une fonction consultative qu'elle exerce à l'occasion de saisines obligatoires ou facultatives. En l'espèce, l'Autorité avait été saisie par la commission des finances de l'Assemblée nationale pour répondre à une série de questions précises.
Pour savoir si l'Autorité de la concurrence a utilisé le bon indicateur dans sa réponse, il ne faut pas oublier quelles étaient les questions de départ. Celles-ci étaient centrées autour de l'activité des SCA, de la tarification de cette activité et des moyens de régulation disponibles. L'Autorité s'est donc intéressée à l'activité des sociétés d'autoroutes et non à leurs actionnaires. Elle n'avait pas pour mission de revenir sur les conditions de la privatisation des sociétés autoroutières, ni de faire une analyse de l'ensemble du secteur autoroutier.
Les éléments contenus dans son rapport permettaient de répondre à la question de savoir si l'évolution des tarifs autoroutiers respectait bien les règles tarifaires et si elle était proportionnée aux risques encourus par les sociétés d'autoroutes, risques mis en avant par les SCA.
Le contradictoire est utilisé dans le cadre des procédures contentieuses : après la notification des griefs, des réponses peuvent être apportées. Tel n'est pas le cas lorsque l'Autorité de la concurrence est saisie pour avis, puisque sa mission est alors de répondre aux questions posées. En l'espèce, l'Autorité a disposé de six mois environ pour instruire la demande - la saisine date de décembre 2013, la présentation de l'avis en séance a eu lieu en juillet 2014 et l'avis a été rendu en septembre 2014. Au cours de cette instruction, elle a questionné à plusieurs reprises les SCA sur un certain nombre d'éléments factuels et d'éléments d'appréciation, ainsi que sur l'indicateur à retenir pour juger de leur activité.
Je le répète, nous avons retenu le bon indicateur pour répondre à la question qui nous était posée et qui était centrée sur l'activité des SCA, les risques qui lui sont liées ainsi que les modalités de tarification et de régulation des tarifs et des marchés passés par les SCA.
Nous avons considéré que nous n'avions pas à nous intéresser à la question de la rentabilité des SCA, car ce n'était pas ce que l'on nous demandait. Je ne suis pas sûr au demeurant qu'une Autorité de la concurrence soit la mieux placée pour se prononcer sur de tels éléments financiers.
Notre mission était de regarder si les règles tarifaires étaient connectées à la réalité des coûts rencontrés et si le dispositif de régulation était satisfaisant, et de faire, le cas échéant, des propositions. Sur ces deux sujets, l'Autorité a apporté plusieurs réponses. S'agissant des règles de tarification, elle a proposé plusieurs modifications, assorties d'une série de caveat, étant donné qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier les marges de manoeuvre juridiques permettant ou non de modifier les règles tarifaires en cours de contrat ou à l'occasion d'un contrat de plan. L'Autorité a recommandé que le Gouvernement saisisse le Conseil d'État pour l'éclairer sur les marges de manoeuvres qui étaient les siennes.
S'agissant de la régulation, l'Autorité a considéré que le cadre existant n'était pas assez robuste et qu'il y avait une asymétrie d'information et de moyens entre l'État et les concessionnaires à toutes les étapes des négociations. Si l'État était bien armé sur le plan technique - personne ne remettait en cause la qualité des ouvrages et leur robustesse - ses capacités étaient moindres sur le plan financier.
L'Autorité a considéré qu'il y avait besoin d'un régulateur indépendant pour corriger ces asymétries d'information et de moyens. Elle a été suivie sur ce point, et le travail que réalise aujourd'hui l'Autorité de régulation des transports (ART) confirme qu'il s'agissait d'une bonne idée. Ainsi, il existait des doutes sur la manière dont la compensation des nouveaux investissements était calculée dans le cadre des contrats de plan - or l'équilibre défini ne pouvait ensuite que difficilement être remis en cause par des analyses ex post. L'intervention de l'ART permet aujourd'hui de pointer du doigt certaines incertitudes en cours de négociations, par exemple sur le caractère utile ou nouveau des investissements prévus et sur la justesse des estimations retenues, ce qui rend le processus plus robuste.
S'agissant des marchés passés par les SCA, l'Autorité de la concurrence avait fait des propositions pour optimiser le système de régulation existant. Le législateur a considéré qu'il était plus efficace de confier cette mission au nouveau régulateur, ce qui était une bonne idée. L'ART est désormais en capacité de construire une base de connaissances sur le long terme, ce qui permettra à l'État d'avoir une vision plus fine et plus complète de la situation et de prendre des décisions davantage éclairées, en discutant avec les SCA sur la base d'informations objectivées.
La question de la dette des SCA a été prise en compte par l'Autorité de la concurrence à travers le prisme du risque et de son impact sur l'évolution des tarifs. L'avis de l'Autorité de la concurrence n'est pas l'alpha et l'oméga de l'appréciation de la situation des concessions autoroutières : ce n'était pas son objectif et ce n'est pas l'utilisation que l'on peut en faire.
S'agissant de la régulation, nous avons fait trois propositions dans son domaine de compétence : mieux réguler les contrats passés par les SCA, mieux armer l'État pour discuter des éléments financiers avec celles-ci, interroger le Conseil d'État sur les marges de manoeuvre existantes en vue de modifier les règles de tarification. Ces propositions ont été suivies.
Nous avons également proposé de modifier les règles d'évolution des tarifs afin qu'elles prennent en compte l'évolution du trafic, et pas seulement l'inflation, et qu'elles soient mieux connectées à la réalité des coûts - d'autant que le risque trafic était le principal risque mis en avant par les SCA pour justifier l'augmentation des péages. Nous avons en outre émis plusieurs hypothèses à explorer sur des formules de partage ou de réinvestissement des bénéfices. Ces recommandations n'étaient pas applicables directement mais avaient vocation à être expertisées.
Je le répète, l'avis de l'Autorité n'a jamais eu pour objectif de traiter l'ensemble des sujets liés aux concessions autoroutières. Pour cela, il faut un régulateur qui dispose d'un ensemble de données financières et de données relatives aux marchés passés, aux investissements réalisés et aux coûts rencontrés, et qui puisse les mettre en perspective. C'est ce que l'ART fera dans son premier rapport quinquennal sur l'équilibre économique et financier des concessions. Plus le temps passera, plus la vision sera complète et, à la fin des concessions, nous disposerons d'un historique de données et d'un régulateur qui sera monté en puissance.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je comprends que l'Autorité de la concurrence ait souhaité répondre aux questions posées, même si celles-ci n'embrassaient pas la totalité du sujet.
Les TRI ne sont, à mon sens, pas suffisamment évoqués dans l'avis de l'Autorité de la concurrence, au regard de l'analyse des résultats des SCA et de leur rentabilité. Était-ce lié au fait que cela ne figurait pas dans la saisine initiale, ou était-ce un choix volontaire de ne pas trop rentrer dans la technique financière ?
Le rapport de l'Autorité de la concurrence a été un des éléments ayant permis que des changements soient opérés, à travers notamment l'octroi de la compétence de régulation des concessions autoroutières à l'ex-Arafer devenue aujourd'hui ART. Depuis cet avis, l'Autorité de la concurrence s'est-elle de nouveau intéressée à ce sujet ?
La plupart de vos recommandations ont été suivies ou ont été intégrées à la réflexion générale. Avez-vous de nouvelles recommandations à formuler ? Pensez-vous notamment que la prolongation des concessions sans mise en concurrence est normale ?
M. Umberto Berkani. - S'agissant des TRI, l'Autorité de la concurrence a estimé que la mission qui lui était confiée ne nécessitait pas de s'intéresser à cet indicateur - sauf à vouloir se prononcer sur la privatisation, ce qui ne relevait pas de son mandat. Au demeurant, je ne suis pas certain que l'Autorité aurait été légitime à le faire, car elle ne possède pas les compétences financières nécessaires. Avoir un régulateur qui embrasse à la fois les questions concurrentielles et les questions financières est, de ce point de vue, indispensable.
L'Autorité estimait qu'apprécier l'activité des SCA ne nécessitait pas de saisir de ce sujet. Si nous avions anticipé que cette question serait autant discutée par la suite, nous aurions davantage clarifié notre position dans l'avis.
En tout état de cause, on ne pourra avoir une vision définitive de la rentabilité des concessions à travers les TRI qu'à l'issue des contrats.
Depuis cet avis, l'Autorité de la concurrence n'a pas eu à connaître de ce secteur - elle ne suit pas l'ensemble des secteurs au jour le jour, cela dépend des saisines ou de l'actualité. En 2005, elle avait déjà rendu un avis lors de la privatisation, qui était centré sur la question des marchés et sur les risques théoriques ou réels qui existaient en matière de concurrence. Depuis la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019, l'Autorité de la concurrence doit rendre un avis en cas d'exclusion de certains marchés de fournitures ou de services du contrôle de l'ART.
Il m'est difficile de répondre à la question de la prolongation de la durée des concessions, car l'Autorité de la concurrence ne s'est pas prononcée sur le sujet. Il existe des contraintes juridiques qui limitent les possibilités pour la puissance publique de renégocier l'équilibre des contrats. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé d'interroger le Conseil d'État sur les marges de manoeuvre juridiques. Il est normal que les SCA aspirent à ce que les contrats soient respectés et qu'ils leurs soient le plus bénéfique possible.
Plus tôt les contrats arriveront à expiration, plus tôt on pourra rediscuter sur une base nouvelle et plus équilibrée. Cela nécessiterait de ne pas prolonger la durée des concessions dans le cadre de contrats de plan. Mais il pourra y avoir de nouveaux besoins d'investissements nécessitant des contrats de plan, et on peut imaginer qu'il sera difficile d'augmenter le prix des péages. Un équilibre doit donc être trouvé, qui relève d'un arbitrage politique. Prolonger la durée des concessions nous éloigne du moment où l'on pourra reprendre la main et rediscuter des contrats.
M. Éric Bocquet. - Je voudrais vous interroger sur l'Autorité de la concurrence. Ce n'est pas une juridiction, c'est une autorité administrative indépendante qui a des fonctions d'analyse et de contrôle pour veiller au respect des règles de concurrence. J'ai vu que vous pouviez infliger des sanctions. Dans le cadre de vos travaux sur les concessions autoroutières, vous avez travaillé sur des documents comptables et juridiques, vous avez échangé avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Y a-t-il eu une bonne coopération ? La transmission des documents lors de la rédaction du rapport a-t-elle été bonne, et les échanges avec les concessionnaires constructifs ? Si ce n'est pas le cas, que pouvez-vous faire ? Disposez-vous d'un pouvoir de contrainte ?
M. Umberto Berkani. - Nous avons bien un pouvoir de sanction dans des hypothèses très précises, en cas d'entente et d'abus de position dominante même si la rédaction des articles L. 401-1 et L. 401-2 du code de commerce est assez large. Dans ce cadre-là, nous avons des pouvoirs d'enquête simple et d'enquête lourde qui permettent des opérations de visite et de saisie, c'est-à-dire que nous pouvons nous rendre dans les entreprises pour prendre des documents.
M. Éric Bocquet. - Pouvez-vous mener ces procédures sans passer par la justice ?
M. Umberto Berkani. - Les pouvoirs d'enquête simple sont déclenchés de notre propre initiative. Pour les pouvoirs d'enquête lourde, c'est-à-dire les opérations de visite et de saisie, il nous faut l'autorisation d'un juge, l'esprit de ces opérations se rapprochant d'une perquisition. En cas de procédure d'avis, comme dans le cas qui nous occupe, nous disposons des pouvoirs généraux d'enquête, sans opération de visite et de saisie qui n'est justifiée qu'en cas de suspicions de pratiques anticoncurrentielles. Nous avons néanmoins des pouvoirs de communication de pièces et d'utilisation de certains éléments de sanction pour nous permettre de renforcer notre pouvoir, mais, à ma connaissance, nous ne les utilisons jamais. Pour être tout à fait transparent, et nous l'avons indiqué à la fin de l'avis, les sociétés concessionnaires ont totalement collaboré et ont fourni les informations que nous leur demandions. Quant à savoir si cela a continué depuis, la dernière fois que nous avons collaboré avec les sociétés d'autoroutes, c'était en 2014. Au cours des six mois d'instruction, nous leur avons posé un assez grand nombre de questions, et nous leur avons demandé beaucoup de documents. Nous avons utilisé pour la rédaction de l'avis des éléments publics et comptables, mais nous n'aurions pas pu atteindre ce niveau de finesse sans leur collaboration. Je ne sais pas si cette communication a perduré.
Après la publication de l'avis, la discussion n'a pas été totalement fluide. Les sociétés d'autoroutes vous diront que c'était lié au fait que notre procédure n'était pas suffisamment contradictoire et que nous ne les avions pas assez écoutées. Nous répondrons que lorsqu'un point avait été mis en avant lors de nos discussions, nous n'avions aucune raison de ne pas le traiter.
Globalement, les sociétés d'autoroutes ont joué le jeu et ont répondu à nos interrogations. Elles savaient que ce n'est pas en refusant de nous donner des informations qu'elles auraient fait avancer notre avis ou leur cause. Si elles devaient obtenir gain de cause face à nous, c'était en nous fournissant les documents et en nous convaincant que tel ou tel point était réglé. Si elles ne l'avaient pas fait, je ne sais pas si nous aurions pu utiliser des moyens coercitifs. C'est possible, mais je ne le crois pas. Je pense que dans toute procédure, chacun choisit ce qu'il fait : soit on se tient sur le reculoir jusqu'à être obligé de fournir des documents, soit on collabore clairement. Jusqu'à la sortie de l'avis, il n'y avait rien à signaler sur ce point de notre côté. Depuis, vous savez ce qui a suivi, par les discussions annoncées dans la presse. Quant à savoir ce que l'on nous avait dit ou non au cours de la procédure, je ne suis pas capable de le déterminer. Cela m'est assez souvent arrivé d'avoir des entreprises en opposition pendant une instruction, mais ce n'était pas le cas des sociétés d'autoroutes.
M. Olivier Jacquin. - Je trouve votre exposé aussi clair et pertinent que l'est l'avis de 2014. C'est un compliment. Ma question portera sur la dimension prospective de cette commission d'enquête. Le rapporteur nous a proposé une alternative entre le « tout régie » et le « tout concession ». Le système actuel des concessions vous semble-t-il adapté à l'objet concédé ? Ne faut-il pas revoir les conditions de durée de ces concessions, d'autant qu'il n'y aura plus de création d'infrastructures après le renouvellement des concessions ? Quant au contenu de l'objet concédé, le risque trafic doit-il faire l'objet de la concession ? La sphère publique ne doit-elle pas prendre plus de risques en cas de concessions ? En rédigeant cet avis, avez-vous imaginé, à titre prospectif, le dispositif juridique qui permettrait une relation plus équilibrée entre concédant et concessionnaire ?
M. Umberto Berkani. - Merci pour cette question qui n'est pas simple, et à laquelle je ne suis pas certain de pouvoir répondre complètement. Lorsqu'on pose une question à l'Autorité de la concurrence, elle rend un avis. Ensuite, je me contente d'exposer cet avis, sur lequel on est ou non d'accord car l'intérêt de nos avis publics est de créer du débat démocratique. Les sujets qui ne figurent pas dans mon avis sont ceux sur lesquels je ne veux pas me prononcer. Je ne suis pas sûr d'être légitime pour trancher sur ces questions juridiques, sur un terrain qui est plus celui du Conseil d'État que de l'Autorité de la concurrence.
Il y a cinq ans, à l'époque où nous rendions cet, avis, la perspective temporelle de la fin des concessions était encore très lointaine. Depuis, la fin de la concession s'est rapprochée et interviendra dans une dizaine d'années. Ce que j'anticipais comme futur régime, c'était un régime transitoire, qui nous amenait à une situation dans laquelle on pouvait à la fin des concessions être en mesure de discuter en connaissance de cause et de manière équilibrée entre la puissance publique et les concessionnaires actuels ou candidats à d'autres concessions. C'est peut-être étriqué comme conception, mais en rédigeant l'arrêt nous cherchions ce point de bascule vers une relation équilibrée. Nous avons maintenant cette bascule. Nous étions occupés par le premier niveau d'analyse mais nous n'avons pas anticipé au-delà.
Lorsqu'on propose de changer la régulation, c'est qu'on constate un dysfonctionnement. Le dysfonctionnement en l'espèce s'expliquait de manière très logique. Il fallait créer un régulateur, qu'il ait tous les pouvoirs nécessaires et que son positionnement soit le bon. Une fois créé ce régulateur, la tendance actuelle me paraît être une bonne tendance. Nous serons à la fin des concessions mieux équipés pour objectiver un certain nombre de sujets, si ce n'est à armes égales avec les sociétés d'autoroutes. C'est là le point auquel on voulait arriver.
Qu'appelez-vous prendre plus de risques pour la puissance publique ?
Par ailleurs, je suis intuitivement d'accord avec vous sur le fait que même s'il y aura toujours des nouveaux travaux et de nouveaux frais et donc des risques découlant de ces frais, il me semble que la situation des nouvelles concessions ne sera pas exactement la même qu'auparavant. Ce changement devra être pris en compte. Je ne sais pas si cela aura un impact sur la durée des concessions. L'une des particularités de ces contrats est que les durées sont longues, car on veut pouvoir laisser le temps de faire des investissements, de les rentabiliser, de les améliorer, etc. Des concessions de deux ans ne seraient pas intéressantes, y compris pour la puissance publique. Mais est-ce que cela aura un impact sur la durée ? Très vraisemblablement.
Est-ce que la question du risque sera très différente ? Elle le sera, car au fur et à mesure de l'avancée des concessions, on en apprend plus, on peut tester. Le reproche qu'on a fait à l'Autorité de la concurrence est d'avoir mal estimé le risque trafic et de n'être que dans la contemplation du passé en observant le risque historique. Nous n'en avions pas l'impression. Nous considérons que nous avions bien pris en compte le temps nécessaire pour revenir à des flux classiques après la crise de 2009 ainsi que les conséquences de la crise sur les finances des sociétés d'autoroutes. Mais les années aidant, nous aurons une vision plus fine, nous verrons ce qui aura fait ou non varier les flux. Cela devra être pris en compte et pourrait amener à d'autres situations en termes de durée des contrats. Je ne sais pas ce que cela doit signifier en termes de risques pour la puissance publique.
M. Olivier Jacquin. - Vous m'avez bien répondu sur la durée de la concession : selon vous, s'il y a des travaux, elle ne peut pas être courte. S'il n'y a plus que de l'entretien à réaliser, je pense qu'on peut voir les choses autrement. Sur le contenu de l'objet concédé, est-ce que le risque trafic ne pourrait pas être assumé par la puissance publique plutôt que par le privé qui nous le fait payer très cher ? Si nous ne concédions que l'exploitation et la capacité à innover, les concessionnaires d'autoroutes ont de nombreuses qualités : les autoroutes sont en bon état.
L'Autorité de la concurrence a-t-elle analysé les premières sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP) ?
M. Umberto Berkani. - Nous ne sommes pas des experts et je ne suis donc pas compétent sur ce point. Dans la logique de la concession, il y a bien la question de savoir qui subit des risques et qui n'en subit pas. C'est dans la logique du système qu'une entreprise privée supporte les risques. Effectivement, cela a un coût. Toute la question est celle de déterminer comment on garantit l'équilibre au départ et tout au long de la durée de vie de la concession.
Dans nos développements sur les méthodes de tarification, nous avons bien essayé de distinguer ce qui était dans la loi et ce qui était dans les différents décrets d'application qui ont évolué dans le temps, pour intégrer des coûts et des risques dans la méthode d'évaluation des évolution des trafics. Quitte à être compliquée, une méthode idéale de tarification devrait réintégrer à la fois au point de départ et au cours de son évolution tout une série des éléments de trafic. Il faut s'assurer que ces éléments pouvant faire varier la tarification sont bien intégrés dans la formule de calcul initiale et dans les formules d'évolution de ces calculs qui ont évolués avec le temps et avec les contrats de plan. Nous avons essayé de définir dans l'avis les moments où les coûts s'étaient écartés de ceux listés dans certains textes législatifs. C'est là-dessus qu'il faudra travailler mais on ne pourra le faire qu'à la fin des contrats actuels. Il faudra alors remettre à plat la formule tarifaire et s'assurer que le contrat soit équilibré pour la puissance publique et pour les éventuels nouveaux concessionnaires.
M. Olivier Jacquin. - Pour préciser ce que serait le risque trafic porté par la puissance publique, imaginons qu'on concède une autoroute, que les péages soient encaissés par la puissance publique, et que le contrat de concession ne concerne que l'exploitation de la bande de bitume.
M. Umberto Berkani. - Comment rémunérez-vous le concessionnaire ?
M. Olivier Jacquin. - Comme dans une concession, cela peut être par une somme à l'année, au kilomètre...
M. Umberto Berkani. - Je ne peux pas vous répondre à la fois sur les questions juridiques et sur ce que cela signifierait pour la charge de risque de chacun. Le Conseil d'État serait mieux à même de vous répondre.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous avons compris que l'Autorité de la concurrence répondait à des questions et se tenait à la réponse à ces questions. Avec le recul, y aurait-il sur ces avis des choses que vous auriez faites différemment, ou des aspects que vous auriez approfondis à la suite du débat qui a suivi ?
M. Éric Jeansannetas, président. - Des regrets peut-être ?
M. Umberto Berkani. - S'il y a autant d'institutions qui se penchent sur la question des concessions autoroutières, c'est qu'il s'agit d'un sujet global, technique, politique et économique. J'ai du mal à voir ce que l'Autorité de la concurrence aurait pu faire de plus, tout en restant dans le rôle qui est le sien. L'Autorité de la concurrence n'est pas une instance de contrôle politique, ce n'est pas le Conseil d'État ni la Cour des comptes, ce n'est pas non plus l'inspection générale des finances. Il y a des chevauchements entre tout ce que ces institutions peuvent faire, et il y a des points communs entre toutes, mais les champs de compétences sont tout de même différents. Je me souviens très bien de ce qui était pour nous une ligne rouge. Nous n'étions pas mandatés - et même si nous l'avions été nous aurions sans doute dû décliner - pour arbitrer sur le futur des concessions. Nous avions le sentiment que tout autre type de réponse que celles que nous avons faites nous aurait amené à répondre à cette question qui n'était pas légitime. Institutionnellement, une des missions essentielles de l'Autorité de la concurrence est de répondre aux questions qu'on lui soumet. Nous avons certes la possibilité de nous autosaisir : l'Autorité de la concurrence s'était autosaisie de la question des autocars et avait creusé la question. Mais prendre prétexte d'un avis pour faire autre chose est un positionnement compliqué, d'autant plus que nous aurions un doute sur notre compétence sur le sujet. Dans notre domaine contentieux, par exemple sur les abus de position dominante, nous savons ce que nous faisons. C'est la même chose pour le contrôle des concentrations : nous avons un domaine de compétence. Dans un avis, nous ne traitons pas les questions de concurrence pure : nous nous demandons donc toujours où arrêter notre analyse. Sur un marché ou sur une problématique économique, on pourrait considérer que la concurrence est partout. Mais nous n'avons pas les ressources pour élargir le sujet dès qu'on nous pose une question, vu le nombre de questions dont est saisie l'Autorité de la concurrence. Si nous le faisions, nous aurions moins de légitimité pour réclamer des moyens pour exercer notre coeur de métier. C'est une vision de l'institution qui est très personnelle. Cela confirme ce que je vous indiquais : si on veut que je réponde à une question, il faut me la poser, puis que j'explique si je suis ou non capable d'y répondre en termes de compétences, de ressources et de légitimité.
M. Éric Jeansannetas, président. - Merci à nos collègues présents au Sénat et en visioconférence.
La réunion est close à 15 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.