Vendredi 17 juillet 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
M. Laurent Lafon, président. - Nous achevons nos auditions plénières par l'audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, accompagné de M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, que nous avons auditionné la semaine dernière.
Votre audition, monsieur le ministre, est l'occasion de mieux comprendre l'approche de votre ministère dans la prévention et la gestion des risques sanitaires consécutifs à une pollution industrielle ou minière des sols.
L'exposition à des polluants, par la contamination des sols agricoles, des ressources en eau potable ou encore des jardins, préoccupe de plus en plus nos concitoyens. En particulier, l'exposition d'enfants et de femmes enceintes à l'arsenic, au plomb ou au cadmium inquiète légitimement les riverains d'anciens sites miniers, d'autant que ce type de pollution peut se rappeler au souvenir des populations à l'occasion d'événements climatiques tels que des inondations ou des vents forts.
Les populations, mais également les élus locaux s'interrogent sur le système de surveillance sanitaire et épidémiologique mis en place par les autorités face à de tels risques, notamment par les agences régionales de santé (ARS), Santé publique France et ses cellules d'intervention en région. En outre, l'évaluation des risques sanitaires sur la base de valeurs de toxicité de référence menée par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Geoderis et l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) est parfois critiquée par ses biais : il semble que le suivi sanitaire ne soit déclenché que lorsque les études de sols révèlent des teneurs supérieures à ces valeurs et uniquement pour des polluants dont on connaît les effets sur la santé.
Les associations de riverains et les responsables locaux réclament donc un suivi sanitaire plus réactif et la mise en place d'une procédure uniforme pour le déclenchement de ce suivi. Quels sont les efforts de votre ministère pour assurer un traitement homogène de ces situations sur l'ensemble du territoire ? Peut-on rendre les mécanismes de saisine ou d'alerte des agences sanitaires plus accessibles aux élus locaux et aux associations de riverains pour le déclenchement d'un suivi sanitaire ou épidémiologique ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite, chacun, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Véran et Jérôme Salomon prêtent serment.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. - La question des sites et des sols pollués, et leurs conséquences pour la santé des populations, est une question d'une très grande sensibilité tant elle touche au quotidien de bon nombre de nos concitoyens.
L'exposition à de multiples polluants de notre environnement est un enjeu de santé environnementale de plus en plus prégnant. Classiquement, les populations peuvent être exposées à trois types de polluants : les métaux, les solvants volatils ou encore les produits phytopharmaceutiques, je pense en particulier à la chlordécone dans les Antilles.
La politique du Gouvernement repose sur la notion d'« exposome » qui consiste à prendre en compte l'effet sur la santé d'un individu de la totalité de ses expositions à des facteurs environnementaux, tout au long de sa vie. Ce concept a été inscrit pour la première fois au coeur de la stratégie nationale de santé 2018-2022, qui structure l'agenda du ministère des solidarités et de la santé en matière de prévention.
Ces expositions multiples proviennent en particulier d'anciens sites industriels ou de sols pollués. C'est d'autant plus vrai qu'il existe une pression, notamment démographique, à occuper et construire sur tous les terrains disponibles, y compris à proximité de zones polluées ou à risque : anciens sites miniers et industriels, épandages d'eaux usées non ou peu traitées, épandages de produits phytopharmaceutiques ou encore la présence de phénomènes naturels ou météorologiques susceptibles de générer de telles expositions. Le plus souvent, l'exposition est multiple, à plusieurs polluants, généralement à faible niveau de concentration, et à effet chronique ou différé dans le temps.
En la matière, les connaissances scientifiques doivent être encore renforcées, notamment en ce qui concerne les doses nocives, les effets à long terme, les effets cocktails ou encore la biodisponibilité des polluants.
Des actions interministérielles sont à l'oeuvre, notamment au travers des plans nationaux santé-environnement (PNSE). Le PNSE 3, toujours en cours, prend en compte la prévention des risques liés à l'exposition aux métaux lourds - comme le plomb ou le mercure - et la réduction de l'exposition liée aux contaminations environnementales des sols. Ces actions seront reconduites dans le quatrième plan à venir, intitulé « Mon Environnement, Ma Santé ».
La politique de gestion des sites et sols pollués concernant les anciens sites industriels ou les anciennes mines est portée par le ministère de la transition écologique et solidaire. Aussi les actions de mon ministère s'inscrivent-elles dans le cadre de la méthodologie nationale de gestion de ces sites, ce qui implique un travail étroit et permanent avec les services du ministère chargé de l'écologie. La dimension interministérielle fait intervenir le ministère de l'agriculture, pour ce qui concerne la contamination des denrées végétales et animales, et celui de l'éducation nationale en raison d'établissements scolaires construits sur d'anciens sites industriels. Ce travail interministériel conduit à des saisines communes des agences sanitaires et au financement d'études en commun.
Nous mobilisons les agences et autorités sanitaires en fonction des besoins et de leurs champs de compétences : l'ANSéS pour une approche « milieu » avec la production de valeurs toxicologiques de référence (VTR) utiles à la réalisation des certaines études comme l'interprétation de l'état des milieux (IEM) ou l'évaluation quantitative des risques sanitaires (les EQRS) ; Santé publique France avec une approche « populationnelle » afin de mener des études en santé auprès de certaines populations locales, pour estimer les conséquences sanitaires éventuelles d'une pollution ; la Haute Autorité de santé (HAS) dans une approche « médicale » pour établir les protocoles de prise en charge sanitaire en lien avec une exposition environnementale ; enfin, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) dans une approche d'appui à la gestion, et que nous avons beaucoup mobilisé ces derniers mois.
La direction générale de la santé a organisé en 2017 deux comités d'animation du système d'agences (CASA) thématiques sur les sites et sols pollués, à l'issue desquels une feuille de route a été validée et dont l'avancement conduit à des saisines coordonnées des différentes agences.
Le ministère des solidarités et de la santé, en liaison avec le ministère de l'écologie, finance le programme national de biosurveillance pour évaluer la valeur moyenne d'imprégnation de la population française à certains polluants. C'est ce qui nous permet de disposer d'une échelle de comparaison avec les résultats des dosages biologiques qui peuvent être effectués localement autour de sites et sols pollués, sous le pilotage des ARS.
Les ARS ont un rôle primordial dans la prévention des risques pour la santé en lien avec l'exposition aux contaminants identifiés sur les sites et sols pollués. Les ARS sont également en première ligne pour répondre aux inquiétudes de la population et prendre en charge les cas éventuels de surexposition à certains polluants.
La question des sites et sols pollués est un sujet sensible et complexe, dont les enjeux de santé publique ne font aucun doute, bien qu'il reste à en évaluer concrètement les impacts sur la santé.
La gestion des sites et sols pollués, bien que n'étant pas du ressort direct du ministère dont j'ai la charge, s'inscrit de toute évidence dans l'ensemble des problématiques prioritaires de santé publique, et de santé-environnement.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Votre propos confirme le bien-fondé de notre commission d'enquête : vous égrenez la chaîne des organismes qui exercent chacun leurs responsabilités au mieux, mais qui, ensemble, ne parviennent pas suffisamment à rassurer les populations, ni à prévenir des situations tout à fait alarmantes. Je pense bien entendu aux riverains de la vallée de l'Orbiel, qui ont été exposés à l'arsenic à la suite des inondations survenues en 2018, événement climatique qui a provoqué la mort d'onze personnes, dont sept sur ma commune de résidence. On nous disait que la pollution sur ces anciens sites miniers était contenue, que les aménagements effectués dureraient au moins trente ans : ils n'ont pas tenu dix ans, et la vallée a connu une pollution dramatique. Lors de ces événements, j'ai très vite demandé une intervention interministérielle, mais il m'a fallu attendre huit mois pour obtenir une réponse.
Cette commission d'enquête est donc l'occasion de voir précisément ce qui nous manque pour mieux identifier les situations risquées, et, surtout, réagir beaucoup plus rapidement en cas de difficulté et mettre en place un véritable suivi sanitaire.
Quelles sont les mesures mises en oeuvre par l'État pour assurer le suivi sanitaire des riverains de la vallée de l'Orbiel ? Votre ministère a-t-il renforcé son monitoring de la situation sanitaire dans cette région ? Un registre des maladies susceptibles d'être liées à l'exposition à des polluants y a-t-il été mis en place ? Si ce n'est pas encore le cas, un tel registre est-il envisagé ?
Je m'interroge également sur les conditions de remboursement des analyses sanguines conduites sur des personnes potentiellement exposées : il nous a été rapporté que des riverains du Gard, dont le premier dépistage avait mis en évidence une surexposition, n'ont pas ensuite bénéficié d'une prise en charge par l'assurance maladie des examens sanguins complémentaires qui s'imposaient pour leur suivi médical. Comment expliquez-vous cette situation ?
Les associations militent pour la mise en place d'un centre de suivi médical gratuit à l'hôpital de Carcassonne pour la population exposée à l'arsenic, de façon à prendre en charge sur le long terme des personnes dépistées et positives. Votre ministère s'engagera-t-il pour la mise en place d'un tel centre de suivi médical centralisé et gratuit ?
Par une instruction du 27 avril 2017, votre ministère prévoit la création systématique, dans les départements comportant des sites pollués, de comités de coordination associant les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et les ARS : où en est-on ? Ces comités et leurs groupes de travail techniques élaborent-ils des mesures de gestion sanitaire ? Ces recommandations sont-elles suivies d'effet ?
Les risques sanitaires liés à une pollution industrielle ou minière ne sont pas des cas isolés, mais se manifestent en plusieurs points de notre territoire. Comptez-vous élaborer une méthodologie pour orienter l'action des agences sanitaires et des ARS dans la prise en charge des populations exposées à ces pollutions ?
Nous manquons d'une telle méthodologie, parce que, au-delà des responsabilités territoriales, il y a une dimension nationale à considérer, qui justifie une coordination entre les différents intervenants. Il faut de l'interministériel et de la méthodologie, pour que, depuis les territoires, on identifie bien l'interlocuteur et qu'on sache comment faire face à un événement soudain, inattendu, qui laisse souvent les élus et les populations dans le désarroi.
M. Olivier Véran, ministre. - Je partage plusieurs de vos remarques, d'autant que j'ai eu, comme député de l'Isère, une expérience qui m'a démontré toutes les difficultés des élus - et des populations - face au risque sanitaire. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Grenoble avait remarqué un apparent surnombre de patients atteints par la maladie de Charcot, dans une commune du département ; cette maladie neurologique étant grave, incurable, et sans cause identifiée, ce surnombre apparent a été pris très au sérieux. La presse locale en a été alertée, mais avant que les statistiques n'aient été consolidées : il s'est produit aussitôt un mouvement de panique dans la population. Neurologue à l'hôpital public et député, je me suis évidemment mobilisé - et c'est là que j'ai constaté toute la difficulté non seulement à obtenir de l'information claire, fiable, mais aussi à ce que l'information diffusée soit toujours sérieuse. La science exige - et on lui demande - une rigueur qui prend du temps, c'est un défi dans l'action. Nous avons identifié des causes possibles, en particulier la neige artificielle utilisée dans une station de ski située en amont de notre bassin versant, une neige dont la composition chimique pouvait perturber le développement neurologique. J'ai mobilisé tout ce que je pouvais pour obtenir de l'information, les réseaux locaux, l'ARS, et jusqu'à la directrice générale adjointe de la santé, sans rien obtenir de concluant. Puis les statisticiens du ministère ont pu consolider les chiffres, démontrant que nous n'étions pas en surnombre de cas. Cet épisode m'a donc démontré quelles difficultés concrètes les élus et la population peuvent rencontrer, et le décalage de temporalité entre l'urgence et le temps de la science : les spécialistes prennent mille précautions, alors qu'on aimerait qu'un médecin nous dise si, oui ou non, il y a un danger pour la santé.
J'entends d'autant mieux vos remarques que, parmi mes propositions de campagne législative, j'avais inscrit la création d'un centre régional de santé environnementale, pluridisciplinaire et qui aille de l'expertise des événements à l'évaluation des risques, en passant par l'action elle-même. Nous avons besoin de « préventologues », dans un nombre de plus en plus important de domaines, par exemple l'usage des pesticides, la qualité de l'air, mais aussi l'alimentation elle-même.
Vous mentionnez le besoin de coordination entre grands opérateurs à l'échelon national, je crois qu'elle fonctionne à cet échelon - mais c'est à l'échelon territorial qu'il y a des progrès à faire, ce qui milite pour le renforcement de l'échelon départemental des ARS et des structures qui existent. C'est une remarque qui m'a souvent été faite par les élus quand ils se plaignent d'un accès trop difficile au directeur général de l'ARS : ils soulignent que même le préfet est plus accessible - mais le préfet n'a qu'un département à gérer, quand l'ARS est compétente pour la région tout entière, c'est bien le signe qu'il faut renforcer l'échelon départemental des ARS, pour plus de congruence et d'information réciproques.
Il y a aussi un enjeu en termes de moyens. Il faut que chaque ARS dispose d'une cartographie des risques, et que les citoyens accèdent en open data aux sites industriels et à cette cartographie. Il ne sert à rien de dissimuler l'information disponible, bien au contraire, car le secret entretient les fantasmes, alors que nous avons besoin de l'implication des uns et des autres face au risque, en particulier des maires et des associations de riverains.
Le remboursement des analyses sanguines conduites sur des personnes potentiellement exposées relève de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), la règle étant qu'il y a remboursement dès lors qu'il y a prescription de dépistage.
Tout événement sanitaire peut être déclaré et il entre alors dans la base de données Géodes, de Santé publique France, avec un suivi départemental. Il y a aussi des registres sur les malformations et les cancers, je m'étais beaucoup impliqué, comme député, pour le registre des enfants nés sans bras dans le département de l'Ain. Il existe également un suivi par les centres antipoison et les centres régionaux des pathologies professionnelles et environnementales.
La coordination des Dreal et de l'ARS est placée sous la responsabilité des préfets, elle ne dépend pas des ARS. Je crois profondément aux ARS, la crise sanitaire a renforcé ma conviction : sans elles, notre situation aurait été bien plus difficile encore - et ce sont elles qui, aujourd'hui, organisent le dépistage dans les aéroports, mobilisent les pompiers... Et je vous rappelle qu'avant leur création, la coordination de l'action sanitaire relevait des préfets.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Message reçu ! Cependant, ce que nous avons constaté sur le terrain, c'est surtout un manque de réactivité sur le volet santé. Il a fallu que les parents aillent d'eux-mêmes à l'hôpital de Carcassonne une fois la pollution constatée, qu'ils mobilisent la presse, pour que le préfet et l'ARS entreprennent quelque chose. Pourquoi les signaux ne sont-ils pas remontés plus rapidement, compte tenu des risques qui étaient connus ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'autosaisine ? Vous l'avez bien constaté comme député : ce qui inquiète les populations, c'est que les institutions manquent de réactivité, c'est qu'il faut les presser pour qu'elles bougent. Le problème est national : pourquoi n'y a-t-il pas un système d'alerte plus en amont ?
M. Olivier Véran, ministre. - Une alerte lancée par les citoyens n'est pas nécessairement synonyme d'un système défaillant. Il y a des registres, mais il ne peut y en exister un par risque et par site industriel enfoui. Ce qui me choquerait, c'est que l'alarme ne soit pas entendue...
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il a quand même fallu y aller au forceps !
M. Olivier Véran, ministre. - Je vous crois sur parole.
Quand je parlais d'un système intégré, qui aille de l'expertise des pollutions à l'évaluation des risques, en passant par l'action dans les territoires, je parlais d'une sorte de guichet unique, qui serait mobilisable par tous, et réactif.
La pollution des sols concerne encore d'autres enjeux, comme la pression notamment de la construction, ou encore la mémoire du passé industriel des sites. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) va inclure un volet de recherche sur la santé environnementale.
On peut toujours faire mieux, le curseur de l'exigence de nos compatriotes évolue, donc celui de notre réponse doit évoluer aussi. C'est pourquoi nous devons être capables de faire des propositions - c'est tout l'intérêt, également, de votre commission d'enquête et de vos réflexions, nous en espérons aussi des propositions.
M. Xavier Iacovelli. - Je souhaiterais attirer votre attention sur un problème qui m'est cher, celui de la rénovation des sols des établissements scolaires.
En 2010, le ministère de la transition écologique avait lancé une campagne de recensement de tous les bâtiments scolaires concernés. Ce sont plus de 760 écoles qui avaient été identifiées comme présentant des risques, 658 établissements classés en catégorie B - les aménagements en place permettant de protéger les élèves -, mais 104 établissements avaient été classé en catégorie C, c'est-à-dire nécessitant la mise en place de mesures sanitaires pour protéger nos enfants.
Rien que dans mon département des Hauts-de-Seine, sept bâtiments sont à risque et 36 requièrent une vigilance. Dans ma commune de Suresnes, ce sont les élèves d'une maternelle et d'un lycée professionnel qui étudient dans des bâtiments dont la concentration de plomb est supérieure à la normale. Ces pollutions engendrent des conséquences significatives sur la santé de nos enfants, pouvant, par exemple, causer un retard dans leur développement pulmonaire et les rendre plus sensibles à la pollution à l'âge adulte. Dix ans après, pouvez-vous nous indiquer ce qui a été entrepris par votre ministère, mais aussi par les équipes précédentes, pour dépolluer ces sites et ainsi protéger nos enfants ?
Pouvez-vous également nous éclairer sur la feuille de route et sur les actions qui sont mises en place en lien avec les collectivités territoriales et les ministères concernés ?
M. Laurent Lafon, président. - Ce sujet intéresse beaucoup de territoires.
Cette enquête, entamée dans les années 2010, s'est achevée en 2016. Or tout le territoire national n'a pas été couvert, notamment de grands sites urbains comme Paris et la région Rhône-Alpes. Nous avons interrogé à plusieurs reprises le ministère de l'environnement en particulier, sans recevoir de réponse claire sur le sujet. Ces enquêtes vont-elles être poursuivies sur tout le territoire national afin que soient prises des décisions ? Le ministère de l'environnement, qui est, comme vous l'avez dit, pilote en la matière, renvoie-t-il la balle aux collectivités locales ? Il y a un certain flou, qui mériterait d'être levé.
M. Olivier Véran, ministre. - Je suis absolument navré, cette question relève vraiment des compétences du ministère de la transition écologique et solidaire. Je sais que 1 400 diagnostics ont été financés depuis 2010, pour un montant de 33 millions d'euros sur 133 sites nécessitant des mesures de gestion. De plus, 25 gestionnaires ont notifié avoir réalisé les travaux nécessaires et le suivi relève de la politique du ministère de la transition écologique.
Comme vous l'avez dit, le ministère avait estimé qu'il appartenait désormais aux collectivités territoriales de s'approprier cette évaluation en l'articulant avec les obligations de mesure de la qualité de l'air intérieur. C'est Ségolène Royal qui avait décidé, mi-2016, d'arrêter de financer cette démarche au niveau national - je reste prudent, telles sont les informations qui me sont remontées.
En ce qui concerne les collectivités de taille significative disposant d'assez de moyens pour terminer les diagnostics, les services déconcentrés du ministère de la transition écologique se tiennent à leur disposition pour les accompagner dans la mise en oeuvre de la méthodologie adéquate. En ce qui concerne les plus petites collectivités, le ministère de la transition écologique est prêt à les accompagner financièrement pour réaliser des diagnostics qui avaient été initialement envisagés.
Je sais que cette réponse n'est pas satisfaisante pour répondre à l'inquiétude des familles et des élus quant au fait qu'il puisse y avoir des écoles ayant un risque d'exposition supérieure à la norme - en l'espèce, ce n'est plus le député ni le ministre qui vous parle, mais le père de famille. Je m'en entretiendrai avec ma collègue du ministère de la transition écologique pour savoir ce qu'il est prévu de faire. Je crois que 1 700 établissements restent à diagnostiquer, pour un coût compris entre 30 et 33 millions d'euros. L'évaluation, lorsqu'elle est problématique, doit donner lieu à des modifications, sinon elle risque de ne pas servir à grand-chose. Mais si l'évaluation est suivie de relevés de décision, il faut s'y atteler de manière déterminée.
M. Alain Duran. - Je voudrais revenir sur la surveillance des populations et le traitement homogène dont parlait le président dans ses propos introductifs.
La rapportrice nous expliquait à l'instant que la prise en charge des analyses et leur remboursement, dans l'Aude, par exemple, se sont faits sous la pression médiatique. Je pense que ce n'est pas la meilleure démarche qui soit dans une démocratie digne de ce nom. Les associations dans les Cévennes que nous avons auditionnées ont déploré une non-prise en charge. Or l'analyse peut coûter jusqu'à 80 euros par citoyen. Seules les femmes enceintes peuvent bénéficier de trois analyses durant leur grossesse.
Vos propos ne m'ont pas convaincu, monsieur le ministre. Lorsque la pollution est identifiée, que le risque est avéré, qu'un suivi des populations est nécessaire, quels sont les critères retenus pour bénéficier d'une prise en charge ? Il faut entendre la colère de ces territoires qui subissent la double peine : habiter des sites pollués et engager des démarches en ayant recours à la pression médiatique pour obtenir gain de cause. Ce n'est pas normal, monsieur le ministre. J'aimerais avoir des éclaircissements sur cette question.
M. Laurent Lafon, président. - Pour prolonger la question dont la philosophie est de renforcer les cellules au niveau local, seriez-vous prêt, monsieur le ministre, à permettre des saisines directes des agences de santé par les élus locaux et les associations de riverains ?
M. Olivier Véran, ministre. - Il y a là deux cadres : la prescription et le remboursement.
Il y a le cadre qu'on connaît bien maintenant avec la covid : d'un côté, une urgence, un risque majeur avéré, étayé, argumenté pour lequel tout est pris en charge à 100 % et, de l'autre, les risques supposés, suggérés, évoqués, pour lesquels on a du mal, scientifiquement, à tirer des conséquences sanitaires éventuelles. Ce n'est pas le ministre qui le décide ; c'est la Haute Autorité de santé qui en est saisie et doit émettre des recommandations, favorables ou non. Elle s'appuie, la plupart du temps, sur des sociétés savantes en toxicologie, en santé publique... Ensuite, la recommandation donne lieu à un remboursement des prélèvements et des soins éventuels par l'assurance maladie. Ces deux cadres sont distincts.
Concernant la notion d'exposome, étant le premier pays à l'avoir introduit dans le droit, on sait mieux la caractériser, mais il convient de définir plus précisément ses implications.
Quant à la question des saisines des agences sanitaires par les élus locaux, elle a été soulevée à l'occasion de la catastrophe industrielle de Lubrizol. Il faut veiller à une bonne articulation entre le programme national des agences et les saisines non programmées. Ce sujet est en cours d'instruction en vue de permettre une bonne articulation entre l'intérêt local et la nécessité de conduire les travaux relevant du programme national. Enfin, il faut également veiller à l'articulation des travaux entre les agences sanitaires entre elles, c'est-à-dire Santé publique France, l'ANSéS, le HCSP et parfois la HAS.
M. Joël Bigot. - Merci pour votre intervention claire et précise qui témoigne de votre vécu de médecin et de parlementaire. Vous avez évoqué la nécessité d'avoir des connaissances scientifiques renforcées. À l'heure actuelle, beaucoup de constats sont faits, notamment dans l'agriculture où l'utilisation du glyphosate ainsi que d'autres produits tout aussi insidieux - des pesticides pour les cultures maraîchères sous tunnel, par exemple -engendrent de nombreux problèmes de santé. Je pense également aux contestations d'usagers à propos des compteurs Linky et de la 5G.
Vous avez parlé tout à l'heure des agénésies, qui sont effectivement assez surprenantes dans certains villages, du Morbihan par exemple, que l'on n'explique pas. Il importe de renforcer les études scientifiques sur ces sujets.
Je sais bien qu'un certain nombre de décisions relèvent du ministère de la transition écologique, mais comment comptez-vous intensifier la recherche scientifique pour contrer une forme d'irrationnel et apporter des réponses scientifiques aux questions que se posent légitimement beaucoup de nos concitoyens ? Aménager un territoire signifie aussi faire accepter un certain nombre de projets à nos concitoyens, ce qui nécessite de s'appuyer sur des connaissances solides. Avez-vous des pistes de travail en la matière pour aider les élus à aménager le territoire et surtout à répondre aux inquiétudes des Français ?
M. Olivier Véran, ministre. - Je vous l'ai dit tout à l'heure, nous allons renforcer la recherche en santé environnementale à travers la LPPR, qui sera bientôt présentée au Parlement.
Autant je vous ai dit que j'étais très interventionniste - il faut aller de l'avant en matière de risques environnementaux -, autant je constate, comme nombre de nos concitoyens, que dans notre société, qu'on soit humain ou produit, on est de plus en plus souvent condamné avant d'être jugé, ce qui pose d'ailleurs un grand nombre de problèmes sociétaux. Certes, cette question déborde largement du cadre de votre commission d'enquête, mais cela doit quand même nous alerter.
On différencie, en matière de santé, la peur de la phobie. La peur est liée à une situation qui peut être objectivement effrayante pour la personne, tandis que la phobie est une peur détachée du substrat, presque immatérielle. Il ne faut pas virer à la phobie environnementaliste. Il s'agit d'être capable de faire la part des choses entre deux catégories : ce qui doit objectivement nous inquiéter et nous faire agir et ce qui, basé sur des données observationnelles et scientifiques publiées, ne représente pas une menace en l'état actuel des données de la science. On peut se poser nombre de questions sur la 5G comme sur beaucoup de produits.
Il faut éduquer et sensibiliser tout au long de la vie, former davantage les professionnels de santé, développer la recherche française, européenne, mondiale, sur ces sujets. Il faut aussi tenir compte du fait que toute décision de politique publique peut avoir des externalités négatives. Je ne vais certainement pas rouvrir le débat aujourd'hui sur le glyphosate, mais si vous le remplacez d'un seul coup par d'autres biocides, qui, paradoxalement, n'auront pas bénéficié des mêmes analyses et durées d'expertise pour savoir s'ils sont ou non dangereux, il se peut que le remède soit pire que le mal.
Je l'ai dit plusieurs fois durant la crise de la covid, le temps scientifique n'est pas le temps politique ; il faut bien dissocier les deux. Sur l'affaire des bébés sans bras, je n'ai eu aucune difficulté à dire dans la presse que se posait vraisemblablement un risque exogène ; parmi les facteurs extrinsèques figurent les risques environnementaux. L'agénésie des membres supérieurs est très rarement unilatérale lorsqu'elle est d'origine génétique pour des raisons assez évidentes. Vous ne m'avez jamais entendu pointer tel ou tel facteur pour expliquer la cause de tel problème, car cela relèverait du domaine de la croyance. Or la croyance tue la science.
Il faut donc suivre une ligne très rigoureuse en matière scientifique, très avant-gardiste en matière d'organisation, très interventionniste pour expliquer et rassurer quand il y a lieu. Enfin, gardons à l'esprit le principe de précaution que nous avons adapté, depuis la conférence de Rio, dans le domaine de la santé - la France est l'un des seuls pays à l'avoir fait. Nous devons progresser, mais sans faire le procès de telle ou telle substance par avance, car nous risquerions de passer à côté de la vraie cause. La recherche est donc indispensable, mais sera toujours beaucoup plus lente que les attentes que vous et moi formulerons.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - J'ai noté, monsieur le ministre, votre idée de mettre en place des centres régionaux de santé en lien avec l'environnement.
Vous avez en outre pointé du doigt le renforcement de la coordination entre les ARS et le préfet. Vous avez parlé d'une cartographie des pollutions, que ce soit en matière de santé ou en matière environnementale. Car à ce jour, nous sommes dans l'incertitude la plus absolue. De nombreuses bases de données recensent des sites potentiellement pollués ou non, mais rien n'est réellement coordonné.
Permettez-moi de reprendre l'exemple des enfants de la vallée de l'Orbiel dans les urines desquels on a décelé des seuils élevés en arsenic, autant de risques de cancers. Le problème se pose aussi dans le Val-de-Marne. Je souhaiterais que soient ouverts, à l'échelle nationale, des registres de suivi de santé pour toutes les personnes habitant à proximité de sites pollués.
Enfin, concernant la maîtrise donnée aux préfets au détriment des ARS en matière sanitaire, la situation semble varier d'un territoire à l'autre, et les plans d'intervention ne sont pas les mêmes. On gagnerait, je crois, en efficacité si le plan d'action était homogène quel que soit le département pour coordonner l'action des préfets, des ARS et des Dreal.
M. Olivier Véran, ministre. - Il existe différentes manières de procéder, avec ou sans registre. Ce que l'on veut, c'est colliger de l'information et être capable de faire le lien entre cause et conséquence en cas de survenue d'un problème sanitaire. Il existe deux moyens de le faire. On peut effectuer un suivi de registres en population générale, ce qui implique de suivre indistinctement tout un tas d'individus quel que soit leur âge, ou par tranches d'âge, dans un territoire donné, et regarder s'il survient des événements particuliers. Toutefois, il est peut-être plus intéressant, lorsque l'on veut travailler à partir d'une cause potentielle - par exemple, l'exposition à l'arsenic, dont on me dit que les seuils sont certes élevés, mais restent en dessous du niveau moyen de toxicité - de noter dans le dossier médical de tous les enfants concernés qu'ils étaient présents sur site, afin de pouvoir, si un ou plusieurs d'entre eux présentent des problèmes sanitaires, faire un lien statistique de rapprochement entre cette exposition et la survenue de l'événement sanitaire.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - La HAS n'a pas eu la même lecture !
M. Olivier Véran, ministre. - Cela revient pourtant absolument au même, l'option que je vous propose ayant le mérite de la simplicité. Il s'agit donc de donner instruction d'inscrire cette notion dans le dossier médical des enfants, de manière à pouvoir les suivre dans la durée. C'est un équivalent registre, sans être vraiment un registre. Comme disait l'autre, cela a la couleur, l'odeur et le goût d'un registre, mais c'est plus utile et sans doute plus efficace !
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - C'est comme le vrai-faux passeport !
M. Olivier Véran, ministre. - Que chaque citoyen puisse connaître son exposome naturel ou professionnel est également une idée. Il faudra toutefois définir d'abord ce qu'est un exposome. Nous avons défini un principe général, qu'il reste à remplir. Nous sommes exposés à plein de produits, individuellement ou de manière « cocktail », pendant toute notre vie de citoyen et notre vie professionnelle. Les connaissances évoluent. Nous en sommes encore aux balbutiements pré-embryonnaires en matière de compréhension des mécanismes de santé environnementale. Cependant, se poser la question, c'est déjà se donner les moyens d'agir et de chercher. Nous avons vu que la recherche avait une place importante en la matière.
J'espère avoir apporté des réponses complémentaires. Je lirai les conclusions de votre rapport avec la plus grande attention et le plus grand sérieux.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le ministre, pour le temps que vous nous avez accordé et les réponses que vous nous avez apportées. Nous remettrons notre rapport dans la première quinzaine de septembre.
La réunion est close à 15 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.