- Mardi 13 octobre 2020
- Mercredi 14 octobre 2020
- Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD)
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2021 - Audition du général François Lecointre, chef d'état-major des armées (en téléconférence)
Mardi 13 octobre 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de Mme Florence Parly, ministre des armées (en téléconférence)
M. Christian Cambon, président. - Madame la ministre, c'est un plaisir de vous accueillir devant notre commission renouvelée, même si nous ne sommes qu'un sur deux, pour respecter la distanciation sociale. Les sénateurs qui nous suivent en visioconférence pourront bien évidemment participer au débat.
Mes chers collègues, je vous suis reconnaissant de m'avoir reconduit à la présidence de cette commission, et je veux vous dire combien cette confiance m'oblige pour les trois ans qui viennent.
Avant d'aborder le budget pour 2021, je voudrais vous interroger sur les conditions de la libération de l'otage française au Mali, qui ne manquent pas de nous interpeller. La France déploie 5 100 hommes au Mali pour lutter contre le terrorisme, à la demande de cet État. Cinquante soldats français ont, hélas, laissé leur vie au Sahel, et près de 500 ont été lourdement blessés. Même s'il apparaît que nombre des prisonniers libérés ne sont pas des djihadistes, nous savons que certains d'entre eux ont participé à des attentats qui ont coûté la vie à des soldats français et maliens.
La France a-t-elle été consultée sur la liste des prisonniers libérés - si tel n'était pas le cas, ce serait très inquiétant ? Peut-on encore considérer la junte au pouvoir au Mali comme un partenaire de confiance dans la lutte contre le terrorisme ?
Nous imaginons aujourd'hui ce que ressentent les familles de nos soldats tués ou blessés par ces terroristes, et nous avons une pensée pour eux. Dans ces conditions, notre inquiétude est vive sur la situation de Barkhane.
S'agissant des questions budgétaires, je laisserai mes collègues vous interroger, me contentant de rappeler trois préoccupations fortes.
Premièrement, l'année 2021 sera l'année de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). Les dernières marches sont particulièrement hautes et elles seront difficiles à gravir, a fortiori dans ce contexte d'épidémie de covid. Dans notre esprit, la LPM ne doit pas faire les frais des récents engagements de dépenses. En outre, il ne fait aucun doute pour nous qu'une loi ne peut être actualisée que par une loi. Quel est votre point de vue sur la question ? Pouvez-vous d'ores et déjà nous indiquer un calendrier ?
Deuxièmement, pourquoi le plan de relance ne comporte-t-il pas un volet de soutien à l'industrie de défense ? L'effet sur l'emploi et sur la balance extérieure est vérifié et réel. Nous avons un peu le sentiment d'un rendez-vous manqué. Les investissements prévus par la LPM l'étaient avant la pandémie, il est un peu décevant de les « recycler » aujourd'hui comme une partie du plan de relance.
Enfin, troisièmement, nous attendons les arbitrages sur le porte-avion de nouvelle génération et sur l'avenir du sous-marin nucléaire d'attaque Perle. Quand interviendront-ils ? La commande des Rafale supplémentaires par la Grèce est une bonne nouvelle pour l'Europe de la défense, mais l'industriel peut-il réellement augmenter sa cadence de production pour limiter les impacts sur l'armée de l'air française ?
Mme Florence Parly, ministre des armées. - Je souhaite la bienvenue aux sénatrices et sénateurs qui rejoignent la commission des affaires étrangères et des forces armées et j'ai plaisir à retrouver celles et ceux qui y siégeaient déjà. Je vous réitère mes félicitations, monsieur le président, pour la confiance que vos collègues vous ont renouvelée.
Le budget de la mission « Défense » pour 2021 est le quatrième que j'ai l'honneur de présenter devant votre commission et, pour la quatrième année consécutive, il est en hausse. De 32,2 milliards d'euros en 2017, il a augmenté de 1,8 milliard d'euros en 2018, puis de 1,7 milliard d'euros chaque année, pour s'établir à 39,2 milliards d'euros en 2021. Nos armées ont donc pu disposer de 7 milliards d'euros supplémentaires, notamment pour s'équiper en matériel moderne.
Si cette nouvelle hausse des crédits est une fierté, ce n'est pas une surprise, car elle fait partie intégrante du plan de bataille que nous avons construit ensemble, il y a deux ans, à travers la loi de programmation militaire. Le budget 2021 des armées respecte à la lettre, pour la troisième année consécutive, les engagements et la trajectoire financière de la loi de programmation militaire. C'est pour nous tous un très grand motif de satisfaction, d'autant que certains d'entre vous ont en mémoire les nombreuses lois de finances initiales qui venaient contredire, dès la deuxième année, la mise en oeuvre de la LPM.
Si je devais résumer le budget 2021 de la mission « Défense », je dirais que c'est une démonstration de constance, de confiance et de relance. Ce budget vise à donner aux armées les moyens de protéger la France et les Français, aujourd'hui comme demain, et à soutenir notre base industrielle et technologique de défense (BITD).
Ce budget 2021 traduit tout d'abord la mise en oeuvre concrète des engagements pris par le Président de la République dès 2017, qui pourraient se résumer par un mot d'ordre simple : réparer et préparer. Réparer des armées vieillissantes en remplaçant un matériel souvent très ancien, en répondant mieux aux nouveaux besoins des militaires et en remusclant des capacités affaiblies par un budget qui fut trop longtemps une variable d'ajustement au sein de l'État. Mais aussi préparer l'avenir en nous appuyant sur les nouvelles menaces et les incertitudes planant sur l'évolution des équilibres entre les puissances. L'objectif de la LPM était de redonner à la France un modèle d'armée complet.
Ce budget 2021 marque aussi, dans le contexte particulier de crise sanitaire et économique que nous connaissons, une contribution essentielle à la relance économique de notre pays. Ces 39,2 milliards d'euros bénéficieront directement aux entreprises et territoires français.
Si l'on s'en tient à la première partie de la LPM, qui couvre les années 2019 à 2023, ce sont 110 milliards d'euros qui seront injectés dans l'économie pour les seuls équipements et infrastructures, soit l'équivalent en cinq ans d'un plan de relance pour les seules questions de défense.
Par ailleurs, nous n'avons attendu ni le plan de relance ni le budget 2021 pour apporter un soutien concret et significatif à notre économie, en particulier à notre BITD. Les commandes du ministère des armées, dans le cadre du plan de soutien à l'aéronautique, ont ainsi permis de préserver 150 emplois dans l'entreprise Sabena Technics à Dinard, spécialisée dans le maintien en condition opérationnelle aéronautique. Lors d'une visite la semaine dernière, les dirigeants m'ont fait part de leur satisfaction d'avoir été accompagnés par la task force BITD, chargée, au sein de la direction générale de l'armement (DGA), de faire le point sur la situation des entreprises stratégiques composant notre tissu industriel.
Nous sommes également engagés pour l'emploi : en 2021, le ministère des armées sera le premier recruteur de France, avec près de 27 000 embauches et la poursuite de l'effort particulier que nous avons engagé dans les domaines du renseignement et du numérique.
Si vous le voulez bien, je vais à présent détailler la répartition du budget selon les quatre axes de la LPM, à savoir le renouvellement des capacités opérationnelles des armées, l'amélioration des conditions de travail et de vie des personnels militaires et civils de la défense, la garantie de l'autonomie stratégique et, enfin, l'innovation pour répondre aux défis du futur.
S'agissant des équipements, les livraisons et les commandes se poursuivront pour moderniser les matériels et les équipements lourds : deux tiers de la hausse du budget pour 2021 seront consacrés aux programmes d'armement majeurs.
En matière d'amélioration des conditions de travail et de vie des personnels, nous allons affecter 38 millions d'euros au lancement de la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui vise à réformer en profondeur le système extrêmement complexe de la solde des militaires, dans un but de simplification, mais aussi de meilleure prise en compte des aspects sociaux.
Nous consacrerons également 237 millions d'euros à l'amélioration des conditions d'hébergement des militaires et nous poursuivrons le plan de renouvellement des petits équipements - fusils HK 416, gilets pare-balles de nouvelle génération, ensembles intempéries pour combattants débarqués.
J'en viens à l'accroissement des crédits dédiés au service de santé des armées. À court terme, des moyens financiers supplémentaires seront mobilisés pour faire face à l'épidémie de covid-19. Au-delà, je souhaite que le service de santé des armées soit consolidé dans sa mission première : le soutien de nos forces armées.
Le troisième pilier de la LPM, que traduit le budget pour 2021, c'est la consolidation de notre autonomie stratégique. Je pense notamment au développement de nos capacités spatiales - l'armée de l'air est devenue, tout récemment, l'armée de l'air et de l'espace. Nous y consacrerons 624 millions d'euros en 2021. De plus, nous poursuivrons le renouvellement des deux composantes, aéroportée et océanique, de la dissuasion française, pour 5 milliards d'euros en 2021.
Le dernier axe est la préparation du futur. 2021 sera l'année de la commande du démonstrateur du système de combat aérien du futur (SCAF), que nous construisons avec les Allemands et les Espagnols. Ce système devrait prendre son envol en 2026, pour être opérationnel à l'horizon de 2040. De surcroît, la préparation du futur passe par l'innovation. En 2021, nous mobiliserons près de 900 millions d'euros pour concevoir les technologies de demain. Le milliard d'euros annuel devrait être atteint, comme prévu, en 2022. L'année 2021 verra également la mise en oeuvre du nouveau fonds d'investissement Definnov, doté de 200 millions d'euros et consacré au soutien du développement de technologies duales, par le financement en fonds propres d'entreprises innovantes.
Au ministère des armées, nous sommes pleinement conscients des efforts importants consentis par les Français pour nous donner les moyens de notre mission. Nous voulons être dignes de leur confiance. Notre devoir à tous est donc de mettre en oeuvre la LPM, de veiller à sa bonne exécution dans chaque régiment, dans chaque unité, en métropole comme en outre-mer. J'y veillerai personnellement, jour après jour.
Monsieur le président, j'en viens aux questions que vous m'avez posées.
C'est un immense soulagement de voir revenir sur le sol français notre compatriote Sophie Pétronin, après quatre années de captivité. Je salue également la libération de Soumaïla Cissé, ancien chef de file de l'opposition malienne, enlevé en mars dernier alors qu'il faisait campagne.
Nous avons remercié les autorités maliennes, qui ont conçu, planifié et conduit ces opérations. En particulier, la décision de libérer des djihadistes appartient à elles seules. Elles l'ont jugée indispensable pour obtenir la libération de Soumaïla Cissé. En parallèle, notre détermination est intacte pour continuer la lutte contre le djihadisme et le terrorisme dans cette région : il n'y a aucune ambiguïté sur ce point, et nos partenaires maliens et sahéliens le savent.
Ce que nous savions, c'est que les autorités maliennes étaient très déterminées à obtenir la libération de Soumaïla Cissé. Les négociations en ce sens ont été ouvertes il y a plusieurs mois par les autorités maliennes de l'époque. Les nouvelles autorités ont marqué leur détermination à les faire aboutir. Dimanche 4 octobre au soir, nous avons appris qu'un transfert de prisonniers vers Tessalit avait commencé. Puis, nous avons constaté que les négociations étaient parvenues à leur terme et permis les deux libérations dont il s'agit.
Vous évoquez également les échéances des prochains mois.
L'année 2021 sera celle de l'actualisation de la LPM : nous y travaillons. Les arbitrages sur le porte-avions Charles-de-Gaulle seront très prochainement portés à votre connaissance. Avant de nous prononcer sur l'avenir du sous-marin Perle, victime d'un incendie en juin dernier, nous attendons encore des compléments d'expertise. Ce sous-marin doit être transféré à Cherbourg au cours du dernier trimestre de cette année ; cette étape est nécessaire pour que nous puissions statuer sur sa réparabilité. À la fin de 2020, je serai en mesure de vous répondre de manière précise sur ce sujet, comme au sujet du Charles-de-Gaulle.
La commande, par la Grèce, de 18 Rafale, à savoir 6 appareils neufs et 12 d'occasion prélevés sur la flotte de l'armée de l'air - ce chiffre est un maximum -, ne remet pas en cause l'objectif que nous avons fixé ensemble : en 2025, l'armée de l'air et de l'espace doit disposer de 129 appareils. Il va de soi que les appareils prélevés seront compensés. Je commanderai donc le nombre d'avions neufs correspondant dès que la commande grecque sera passée, dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois.
Je ne peux pas vous laisser dire que les industries de défense sont les parents pauvres du plan de relance. Aucun secteur industriel ne bénéficie, depuis 2017, d'un pareil effort de remise à niveau et d'investissement.
De plus, j'ai eu l'initiative d'un plan de soutien au profit du secteur aéronautique, qui, parmi nos industries de défense, est le plus touché. Dès juin dernier, nous avons mobilisé des crédits pour passer des commandes anticipées et assurer la continuité d'un certain nombre de chaînes de production, qu'il s'agisse des grands donneurs d'ordres, des PME ou des sous-traitants.
Enfin, nous sommes au chevet de l'ensemble des entreprises concernées. Avec l'aide de la DGA, nous avons identifié plus de 1 000 entreprises qui jouent un rôle clef dans notre autonomie industrielle, et ces sociétés ont été visitées une par une. Pour plus du tiers d'entre elles, nous avons pris des mesures de remédiation, via les prêts garantis par l'État (PGE) ou le chômage partiel, en révisant les plans d'acomptage, pour abonder la trésorerie, ou encore en accélérant le paiement des factures.
Nous mobilisons toute notre attention pour que ces entreprises, en particulier les petites structures, bénéficient de tout le soutien dont elles ont besoin. Elles jouent un rôle clef pour l'emploi au sein des territoires comme dans notre chaîne de souveraineté.
La LPM est la réponse de premier ordre aux besoins des industriels de la défense. En cette période d'incertitude, ces derniers ont besoin, avant tout, de visibilité, et c'est la LPM qui la leur apporte.
M. Christian Cambon, président. - Vous savez avec quelle attention vos déclarations devant la représentation nationale sont écoutées. Personnellement, comme sans doute beaucoup d'entre nous, je salue la combativité avec laquelle, depuis que vous êtes ministre des armées, vous nous présentez un budget en conformité avec la LPM. Le coeur de métier de notre commission, c'est bien de préserver strictement les engagements que ce texte traduit. Un budget de 39,2 milliards d'euros n'allait pas de soi dans le contexte actuel, et ce montant me paraît satisfaisant.
M. Cédric Perrin. - Au sujet de l'achat de Rafale par la Grèce, vous nous avez répété ce que vous aviez dit à l'Assemblée nationale. Vous pouvez compter sur notre soutien total en cas de bras de fer avec Bercy quant au reversement du produit de la vente au budget de la défense. Mais, en cas d'arbitrage défavorable, comment envisagez-vous de financer les 12 nouveaux Rafale ? Combien de temps s'écoulera entre la vente des appareils et la livraison des nouveaux avions par Dassault ? Dans l'intervalle, l'armée de l'air sera tout de même privée de 10 % de ses Rafale.
Les 6 appareils neufs achetés par la Grèce seront-ils prélevés sur la chaîne de production des appareils de la tranche 4, à livrer à l'armée d'ici à 2024 ? Enfin, serait-il possible d'accélérer la production des appareils neufs par Dassault ? La question risque de se poser de nouveau, étant donné le contrat que la France négocie actuellement avec la Croatie.
M. Olivier Cigolotti. - Nous ne pouvons que vous féliciter de la trajectoire budgétaire pour 2021 ; mais pouvez-vous préciser les inscriptions budgétaires dédiées au porte-avions de nouvelle génération, auquel Gilbert Roger et moi-même avons consacré un rapport au mois de juin dernier ? Un certain nombre de validations de choix technologiques devraient intervenir dans les jours qui viennent. Quel pourrait-être le calendrier pour ce projet important, très attendu par un certain nombre d'industriels ?
M. Philippe Paul. - La Croatie compte acheter entre 8 et 12 Rafale d'occasion et ces avions seraient également prélevés sur le parc de l'armée de l'air. Cette dernière risque donc d'être privée, à ce titre, de 25 % de la capacité opérationnelle. S'agit-il de simples rumeurs ?
De plus, comment les entreprises aéronautiques en difficulté seront-elles précisément soutenues ? Je pense en particulier à Air France et à sa filiale Hop ! À Morlaix, en particulier, 276 personnes vont être licenciées. La direction d'Air France m'a dit avoir pris contact avec vous en vue de la reconversion de ce personnel. Le plan de relance contient-il des dispositions en ce sens ? En deuxième ligne, d'autres entreprises sont touchées : c'est un véritable enjeu d'aménagement du territoire.
M. Olivier Cadic. - Il y a un an, vous avez inauguré le premier bâtiment du commandement de cyberdéfense (ComCyber), près de Rennes. Vous avez prévu d'investir un budget de 200 millions d'euros entre 2019 et 2025 pour construire, sur ce site, le temple de la cyberdéfense. D'ici à 2025, deux autres bâtiments sont planifiés. Sont-ils inclus dans le budget initial ou exigeront-ils un budget supplémentaire ?
Plus largement, où en est la montée des effectifs en matière de cyberdéfense ? En concentrant nos forces « cyber » à Rennes, vous contribuez à faire émerger une cybervallée européenne, regroupant des start-up de la « cyber », des sociétés d'investissement et des universités.
Vous avez déclaré : « Le cyber, c'est une guerre permanente, silencieuse et invisible, potentiellement dévastatrice lorsqu'elle se montre au grand jour. » Nous sommes tous concernés et, pour garantir notre résilience collective, vous avez signé une convention « cyber » avec les grands maîtres d'oeuvre industriels. Vous vous êtes également inquiétée des PME qui contribuent à la défense et annoncé la création du diagnostic de la cyberdéfense (Diag Cyber). Quel budget est alloué à cette opération ? Combien de PME sont concernées ?
M. Hugues Saury. - Au titre de l'enveloppe OPEX, environ 750 hommes, issus pour la plupart du génie, s'emploient à relever le port de Beyrouth. A-t-on une idée de la durée de ces opérations ? Le budget de 2021 prévoit-il le financement de cette mission exemplaire et emblématique ?
M. Gilbert Roger. - Hélas - on le constate souvent -, si la France n'est pas présente dans le bassin méditerranéen, en réalité, il n'y a personne. Dans notre rapport, nous nous interrogeons sur l'utilisation du Charles-de-Gaulle au-delà de 2038, notamment pour garder, sous une certaine forme, une force permanente en Méditerranée. Cette solution est-elle envisageable ?
M. Ludovic Haye. - La covid-19 a mis en exergue la nécessité de disposer d'une capacité de réaction et de résilience à la hauteur des enjeux. Les armées ont été largement mobilisées, en particulier le service de santé des armées, et notamment à Mulhouse. Je rends hommage à nos militaires, à leur efficacité et à leur capacité d'adaptation.
Pouvez-vous revenir sur la transformation intrinsèque au service de santé des armées et aux hôpitaux d'instruction des armées ? Quelle est la stratégie du service de santé des armées pour venir ponctuellement en renfort du service public hospitalier et l'aider à pallier une éventuelle pénurie de lits ?
Mon département a bénéficié d'un déploiement exceptionnel de moyens matériels et, surtout, d'hommes et femmes dévoués ; mais il faut rendre le service de santé des armées plus attractif. Comment créer des vocations, maintenir un personnel soignant militaire hautement qualifié et le fidéliser ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - En 2019, le dépassement du budget des OPEX et des missions intérieures a entraîné l'annulation de 97 millions d'euros au titre du programme 146. Ce surcoût a été financé par le ministère des armées, malgré l'article faisant appel à la solidarité interministérielle que nous avons inséré dans la LPM. Cette année, nous avons constaté le renforcement des effectifs de l'opération Barkhane, sans oublier les opérations Sentinelle et Résilience. À quel surcoût devons-nous nous attendre pour 2020 ? Quels seront les crédits touchés au sein de votre ministère ?
Notre commission est très attachée à la création du SCAF et du système de combat terrestre principal (MGCS - Main Ground Combat System). Mais, malgré l'enthousiasme manifesté côté français, les doutes sont de plus en plus visibles côté allemand. Au printemps dernier, le Bundestag a voté des crédits de développement liant le SCAF au MGCS, lequel devrait avancer plus vite. Où en sommes-nous ? Pour vous, le MGCS est-il irréversible ? Où en est la consolidation des projets de KNDS, lesquels sont intimement liés au MGCS ?
M. Ronan Le Gleut. - En 2016, un instructeur de l'Air Force, Gene Lee, a affronté, en simulation de combat aérien, une intelligence artificielle alpha : il n'a remporté aucune victoire. Dans le même esprit, l'Air Force Research Laboratory a prévu pour 2021 de faire combattre, en situation réelle, un chasseur, doté d'un pilote, et un drone piloté par l'intelligence artificielle. Pour Elon Musk, à terme, un chasseur piloté par un être humain n'aura aucune chance face à un chasseur piloté par une intelligence artificielle.
Nous sommes donc face à des travaux de prospective longue. Le SCAF doit être mis en service en 2040 et disposer d'une durée de vie de quarante ans. Avez-vous les moyens de faire face à de telles révolutions technologiques, au sein de l'Agence de l'innovation de défense (AID) ou de la Red Team ?
M. Jean-Louis Lagourgue. - Le ministère des armées a mené l'opération Amitié au Liban, à la suite des explosions du 4 août dernier. Cette mobilisation était vitale pour le pays. Mais quel est le coût de notre intervention ? A-t-elle affecté les crédits de la mission « Défense » pour 2021 ? Les 1,7 milliard d'euros prévus pour l'année prochaine prennent-ils en compte une éventuelle remobilisation de nos armées au Moyen-Orient ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous savez combien nous regrettons que les journées défense et citoyenneté (JDC) pour les Français de l'étranger aient été suspendues pour raisons budgétaires. Heureusement, grâce au travail du général Ménaouine, avec qui j'ai travaillé sur ce sujet en 2018, une formation en ligne devrait être proposée à compter du 1er janvier prochain - elle pourrait remplacer la JDC à l'étranger -, et je vous en remercie.
En parallèle, il faut étendre le bénéfice de la réserve citoyenne à l'international. L'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) a mis en place une réserve spécifique ainsi qu'une plateforme numérique. Quel budget pourrait-on apporter à ce dossier ? Les Français de l'étranger sont essentiels au maintien et au renforcement de l'esprit de défense. Ils doivent être ramenés dans la communauté de défense.
M. Pierre Laurent. - Contrairement à ce que vous semblez laisser croire, l'opération Barkhane n'est pas sans lien avec notre présence Mali. Or, plus encore qu'avant l'été, on s'interroge quant aux résultats politiques de cette opération dans la région. Faut-il, ou non, la prolonger ? Le Parlement sera-t-il appelé à se prononcer sur ce point ?
Mme Florence Parly, ministre. - Pour financer les douze nouveaux Rafale, nous travaillons sur les plans de paiement de la cinquième tranche, pour 30 appareils à livrer entre 2027 et 2030. L'objectif est de lisser le plus possible les impacts.
Cette commande est une excellente nouvelle pour Dassault et les 500 entreprises impliquées dans le programme Rafale - au total, 7 000 salariés sont concernés. L'objectif, c'est de retrouver des marges de manoeuvre satisfaisantes. Une redotation du programme Rafale sera peut-être nécessaire. Elle nous apparaît soutenable et nous ferons en sorte qu'elle soit la plus limitée possible.
Les 6 avions neufs destinés à la Grèce seront livrés en 2022. Pour notre armée de l'air, les 28 avions de la tranche dite « 4T2 » ont vocation à être livrés entre la fin 2022 et la fin 2024. Viendront ensuite 12 avions, qui seront commandés très bientôt et qui seront livrés en 2025.
En outre, pour éviter la réduction des capacités opérationnelles intermédiaires, nous travaillons sur la disponibilité de la flotte actuelle. Nous mobilisons des investissements considérables pour son maintien et nous préparons des contrats verticalisés, afin que la responsabilité de l'industriel soit clairement identifiée. Le contrat Ravel, formalisé avec Dassault en 2019, doit permettre d'améliorer la disponibilité à hauteur de 10 appareils en 2022.
Les prélèvements sur la flotte de notre armée de l'air doivent ainsi être neutralisés. Je suis assez confiante sur le fait que les impacts seront aussi limités que possible, aussi bien pour l'armée de l'air que pour le budget du ministère des armées.
Dassault devra probablement accélérer la production, à l'instar de ses sous-traitants. Il y a quelques mois, cette entreprise se faisait le porte-voix des craintes du secteur quant au ralentissement du rythme des commandes. Or le programme Rafale, rendu exportable il y a quelques années - c'est l'un des grands succès de la période précédente -, devient un outil très efficace pour l'exportation de nos industries d'armement. Comme le président de l'entreprise Dassault, j'en suis parfaitement consciente : il faut être à même répondre à une forte demande, émanant de l'État français comme des clients étrangers.
M. Christian Cambon, président. - Madame la ministre, le produit de la vente de ces Rafale à la Grèce sera-t-il affecté au budget des armées ou au budget général ? Il serait bon que nous n'ayons pas à nous battre de nouveau pour libérer les crédits nécessaires.
Mme Florence Parly, ministre. - La règle budgétaire est très claire : le produit de ces cessions est versé au budget général. Il faudra donc mener un nouveau combat...
MM. Cigolotti et Roger, auteurs d'un excellent rapport sur le porte-avions de nouvelle génération, m'ont interrogée sur cet outil fondamental pour notre autonomie stratégique. Nous travaillons depuis fin 2018 à différentes options. Les arbitrages seront rendus et annoncés très prochainement.
En 2021, 261 millions d'euros seront engagés pour poursuivre les études du porte-avions de nouvelle génération. Comme nous l'avions souligné lors du débat sur la loi de programmation militaire, l'essentiel des crédits liés à la réalisation de ce porte-avions concernera la prochaine loi de programmation militaire et la suivante. Notre objectif est de disposer d'un porte-avions de nouvelle génération opérationnel en 2038, raison pour laquelle les décisions doivent être annoncées sans tarder.
Monsieur Roger, il ne m'est pas possible de vous répondre sur la durée de vie du porte-avions Charles de Gaulle. Dans sept à huit ans, après le prochain arrêt technique majeur prévu, nous aurons une meilleure idée du potentiel résiduel de ce navire. Il ne m'est pas possible de répondre aujourd'hui de façon documentée.
En ce qui concerne les ateliers de maintenance de Hop !, à Morlaix, Air France a annoncé qu'elle allait engager un plan de sauvegarde de l'emploi à l'échéance de 2023. La direction d'Air France s'est rapprochée du ministère des armées pour examiner les possibilités de reclassement dans ce bassin d'emplois. Les services de recrutement sont sensibilisés et disposés à examiner les candidatures de ceux des salariés intéressés pour intégrer le ministère des armées. Le processus en est à ses débuts.
Je vous prie de bien vouloir m'en excuser, monsieur le sénateur, mais je ne connais pas l'entreprise de Quimper que vous avez mentionnée. Dans vos circonscriptions, dans vos territoires, faites savoir aux entreprises concernées que nous sommes à leur disposition. Nous sommes là pour tenter de répondre du mieux possible à leurs difficultés. C'est la raison d'être de cette équipe de la DGA. Qu'elles ne tardent pas à se manifester : différer la sollicitation des aides auxquelles on peut prétendre conduit souvent à l'aggravation des problèmes.
En ce qui concerne le ComCyber, j'ai rappelé, lors de mes deux déplacements à Rennes, les engagements que nous avons pris en termes d'effectifs dans le cadre de la loi de la loi de programmation militaire : recrutement de 1 100 cybercombattants sur la période 2019-2025 et réalisation d'un certain nombre d'infrastructures. J'ai inauguré un premier bâtiment en 2019, deux autres sont en construction pour accueillir les cybercombattants qui seront recrutés d'ici à 2025.
Le dispositif que j'ai annoncé part d'un constat simple : nous avons besoin d'une cybersécurité de bout en bout. Nos propres systèmes sont la cible régulière d'attaques en nombre croissant. Au fur et à mesure que nous renforçons nos défenses pour protéger nos systèmes souverains, les attaques des hackers se reportent sur ce qu'ils imaginent être le maillon faible, à savoir les industriels et leurs systèmes d'information. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place ce dispositif, particulièrement destiné aux PME les moins outillées : 4,5 millions d'euros sont dédiés à la prise en charge de 50 % des dépenses engagées par les PME pour remettre à niveau leurs systèmes d'information avec un plafond de 14 000 euros hors taxes. Nous pourrons vous fournir tous les éléments sur les entreprises ayant déjà bénéficié de ce dispositif qu'elles ont accueilli avec beaucoup d'intérêt et de satisfaction.
Vous m'avez également interrogée sur l'opération Amitié. Je vous remercie des propos que vous avez eus pour ceux de nos militaires engagés dans cette opération. Je m'efforcerai de les leur transmettre.
Le coût de cette opération est aujourd'hui estimé à 8 millions d'euros. Ces montants ne sont pas susceptibles d'affecter en profondeur le niveau des surcoûts OPEX. Toutefois, il ne s'agit que d'une provision et je ne suis pas en mesure de vous indiquer aujourd'hui le montant définitif des opérations extérieures et des opérations Sentinelle et Résilience, car l'année 2020 n'est pas encore terminée. Nous devons tenir compte à la fois de facteurs majorants - la hausse des effectifs dédiés à l'opération Barkhane, par exemple - et minorants - la moindre utilisation de munitions dans le cadre de l'opération Chammal, les avions basés en Jordanie effectuant désormais essentiellement des opérations de reconnaissance et de surveillance. La somme de ces effets nous donnera le montant définitif des surcoûts OPEX.
La provision inscrite est importante : elle a été progressivement relevée pour atteindre 1,2 milliard d'euros, l'année dernière, en incluant la masse salariale des opérations intérieures. Rendez-vous dans quelques semaines, lorsque nous examinerons ensemble le projet de loi de finances rectificative.
Je vous remercie aussi des propos très positifs tenus à l'égard des personnels du service de santé des armées (SSA) qui n'ont compté ni leur temps ni leur coeur dans les opérations conduites lors de la première vague de cette crise sanitaire, en particulier dans le Grand-Est.
Voilà quelques jours, je me suis exprimée sur le futur du service de santé des armées pour rappeler d'abord qu'il a dû conduire, comme beaucoup d'autres services au sein de notre ministère, des restructurations extrêmement importantes et exigeantes. Nous sommes arrivés au terme de ce plan de transformation.
Je n'ai pas attendu la crise sanitaire pour prendre une première décision conservatoire : le plan SSA 2020 prévoyait d'aller plus loin, mais nous avons décidé, dès 2017, avec Geneviève Darrieussecq, de faire remonter le niveau des effectifs. Par ailleurs, nous avons consacré, de 2017 à 2020, 31 millions d'euros aux revalorisations salariales afin de rendre le SSA attractif pour les praticiens et les personnels médicaux.
Il me paraît important de tracer une feuille de route pour le SSA, en pleine adéquation avec celle de nos armées dans la loi de programmation militaire. Il s'agit d'abord de réaffirmer la finalité de ce service : répondre aux besoins médicaux de nos forces. Je le dis de manière assez solennelle, mais cela ne signifie nullement que le service de santé ne pourrait participer de nouveau à la gestion nationale d'une deuxième vague épidémique. Toutefois, la mission de ce service est de permettre à nos forces de se déployer, de combattre avec l'assurance que des médecins, des infirmiers, des auxiliaires médicaux sont au plus près de la ligne de front.
Je souhaite redéfinir la relation du service de santé des armées avec le système de santé publique. Encore une fois, il ne s'agit pas de nous soustraire, mais de rappeler que notre contribution ne peut se faire qu'à la hauteur de nos moyens. Le service de santé des armées est complémentaire du service de santé publique, mais ne peut aucunement s'y substituer. La disproportion est trop grande.
J'ai confirmé notre choix de deux grandes plateformes hospitalières militaires : une au nord, constituée des deux hôpitaux de Percy et de Bégin ; une au sud, avec les hôpitaux Laveran, à Marseille, et Sainte-Anne, à Toulon. J'ai souligné que nous continuerions d'investir dans ces hôpitaux et précisé que l'hôpital de Clermont-Tonnerre, à Brest, sera renforcé pour faire face aux besoins très spécifiques de nos marins, en particulier ceux qui participent à la force océanique.
Certains hôpitaux ont déjà commencé à se rapprocher du système de santé publique. Je souhaite que nous réengagions une discussion avec les partenaires locaux : des changements importants sont intervenus à la tête de grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Metz... Je souhaite que nous poursuivions ces transformations en lien étroit avec les territoires de santé, tout en restant attentifs à ce que les projets répondent à la satisfaction des besoins des armées.
La crise sanitaire a montré la forte complémentarité entre la médecine hospitalière et celle des forces. Il nous faut donc travailler à les rapprocher, du moins à leur permettre de mieux travailler ensemble.
Cette feuille de route va également se traduire par un effort en termes d'effectifs : nous allons augmenter de 15 % le nombre d'élèves praticiens de nos écoles. De même, 160 millions d'euros viendront compléter les ressources programmées dans la LPM, à la fois pour réinvestir dans le ravitaillement sanitaire - il est indispensable de reconstituer nos stocks après ces derniers mois -, pour améliorer notre réponse face au risque biologique, pour remettre à niveau la numérisation du système de santé des armées et pour financer des développements capacitaires. Dès 2021, 28 millions d'euros seront mobilisés, au sein de cette enveloppe de 160 millions, pour mieux répondre à la remontée en puissance du SSA.
Les programmes réalisés en coopération avec l'Allemagne, à savoir SCAF et le système terrestre MGCS, sont très actifs. Ces derniers mois, nous avons signé des accords et lancé des études sur le SCAF. La livraison de ce démonstrateur est prévue pour 2026. Il en va de même pour le char de combat du futur : ma collègue allemande et moi avons signé, en pleine crise sanitaire, le premier accord-cadre de coopération sur la phase de construction du démonstrateur du projet MGCS. L'Allemagne a notifié, en mai dernier, le premier contrat correspondant. Les choses sont en cours. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir.
La partie allemande se montre très attentive au bon avancement du projet de char de combat du futur, en parallèle de celui de système de combat aérien du futur. L'entreprise KNDS a vocation à jouer un rôle important au sein de ce programme d'équipements.
En ce qui concerne l'intelligence artificielle, je veux souligner combien le ministère des armées est investi sur ces questions. Nous travaillons à nous donner les moyens nécessaires, à travers l'Agence d'innovation de défense et les investissements prévus dans le cadre de la loi de programmation militaire, pour ne pas prendre de retard. La prise en compte de l'intelligence artificielle dans les systèmes d'armes est un enjeu majeur.
Il s'agit également d'une question éthique, raison pour laquelle j'ai créé un comité ministériel d'éthique. Son rôle consiste à nous aider à appréhender la prise en compte de l'intelligence artificielle dans l'ensemble de nos systèmes et ses conséquences éventuelles. Plus largement, il s'agit de penser les usages des armes du futur - je pense notamment à la robotisation d'un certain nombre de systèmes d'armes. Ce comité vient de me rendre un premier rapport dont vous aurez communication très rapidement. Nous voulons qu'il contribue à nourrir ce débat nécessaire.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner que nous avons consacré, ces dernières années, une part croissante du budget aux OPEX, raison pour laquelle nous avons relevé la provision. Cette dernière n'a pas vocation à croître en 2021. Bien évidemment, tout cela peut changer en fonction du contexte international et du déploiement de nos forces.
Monsieur le président, je ne pense pas que ce soit le moment de revenir en détail sur l'opération Barkhane. Je sais que votre commission souhaiterait consacrer une audition entière à ces questions d'une très grande importance. Je suis à votre entière disposition pour évoquer l'évolution de la situation au Sahel et celle de notre engagement.
M. Christian Cambon, président. - L'opération Barkhane pose beaucoup de questions. L'accueil triomphal des prisonniers libérés, organisé par Iyad Ag Ghali, terroriste le plus recherché par la France, fait froid dans le dos. J'imagine que nos soldats, ce soir, à Gao, ne sont pas très rassurés. Nous prenons acte de vos déclarations, soulignant que la France n'a pas été partie prenante dans cette libération.
Le sujet est trop important. Nous en parlerons lors d'un débat que nous essaierons de tenir prochainement. Je souhaitais simplement vous faire part de l'émotion que cette affaire suscitait au sein de notre commission : les parlementaires votent la prolongation des opérations extérieures, ce qui nous rend en quelque sorte responsables de la sécurité de ces femmes et de ces hommes. Savoir qu'une partie de ces terroristes avérés est de nouveau en liberté et qu'ils sont accueillis triomphalement par M. Ag Ghali ne nous rassure pas.
Mme Florence Parly, ministre. - Je voulais répondre à Mme Garriaud-Maylam : les Français de l'étranger ont toute légitimité pour rejoindre la réserve citoyenne, réserve bénévole, destinée à renforcer l'esprit de défense et le lien armée-nation. Nous devons nous efforcer de faciliter leur engagement. C'est aussi le rôle de nos attachés de défense. Nous y travaillons et la ministre déléguée veillera à donner un contenu concret à cette intention.
M. Christian Cambon, président. - Merci, madame la ministre, de cette première intervention qui nous fait entrer dans l'examen de votre budget.
Je retiens plusieurs éléments positifs : stabilisation du système de rémunération, feuille de route du SSA, respect des rythmes de livraison des équipements, soutien aux petites et moyennes entreprises - et c'est justement le tissu industriel des sous-traitants qui nous inquiète, chaque retard créant des difficultés.
Nous regarderons de près la question du produit de la vente des Rafale. J'aurais souhaité qu'un compte d'affectation spéciale soit créé. Nous serons à vos côtés pour faire en sorte que ces crédits vous reviennent et qu'on ne reparte pas à l'assaut de sommes qui vous sont absolument nécessaires pour reconfigurer nos forces aériennes.
Nous pouvons encore nous déplacer sur les installations militaires. Vous allez bénéficier de la plus grande attention de notre part. Nous allons rencontrer les forces armées là où elles se trouvent, y compris les forces prépositionnées et les forces de souveraineté pour leur manifester le soutien du Parlement et singulièrement celui du Sénat dans les missions tout à fait difficiles qu'elles accomplissent avec des matériels souvent encore trop obsolètes.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 35.
Mercredi 14 octobre 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 45.
Projet de loi de finances pour 2021 - Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD)
M. Christian Cambon, président - Nous accueillons Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement, bras armé de la politique française en matière d'aide au développement.
Monsieur le Directeur, le budget 2021 est marqué par une nouvelle hausse des crédits d'aide publique au développement. Cette mission progresse de 20 % à périmètre constant. L'objectif des 0,55 % du Revenu National Brut en 2022 semble pour l'instant tenu, avec un taux de 0,56 % du RNB en 2020. L'APD représente ainsi 50 % du budget du Quai d'Orsay hors personnel : il s'agit d'une somme tout-à-fait considérable.
L'AFD voit ses moyens renforcés grâce principalement à l'augmentation de ses moyens en fonds propres, dons et crédits pour les ONG. Notre commission porte une attention toute particulière à cette politique comme en attestent les différentes orientations et les priorités que nous avons rappelées à plusieurs reprises. Parmi elles, la lutte contre la pauvreté occupe une place importante : nous avons à coeur d'apporter, autant que faire se peut, davantage de stabilité à un certain nombre de pays auxquels l'actualité et l'Histoire nous relient. Que l'on songe un instant aux situations au Sahel et au Mali pour comprendre qu'il y a un lien entre développement et stabilité politique. Nous sommes bien évidemment favorables à ces augmentations mais il s'agit d'une politique qu'il est difficile d'évaluer. Cette dimension interpelle le Parlement qui a notamment pour mission de contrôler la bonne utilisation de l'argent public. Monsieur le Directeur, quel regard portez-vous sur les crédits prévus par le PLF : correspondent-ils aux missions qui vous sont confiées, en particulier à la nécessité d'accroître votre action en matière de santé et d'éducation pour les pays les plus pauvres ?
L'Afrique est la priorité géographique de la France. Jean-Yves Le Drian a annoncé en avril que la France accorderait 1,8 milliard d'euro pour soutenir la lutte contre le COVID-19. Toutefois, un certain nombre d'ONG ont regretté que cette aide prenne la forme de prêts. En effet, nombre de pays africains sont très endettés et risquent de ne pas être en mesure de rembourser. Où en est la mise en oeuvre de ces prêts ? Quels ont été les critères retenus dans leur attribution? Comment prenez-vous en compte ce risque excessif pour certains pays ? Le moratoire d'un an sur la dette décidé au printemps est-il suffisant ? Les pays vont-ils réellement pouvoir faire face à leur obligation de remboursement dès l'année prochaine ?
Monsieur le directeur, pourriez-vous, du point de vue de l'AFD, faire un point sur la situation au Mali ? L'AFD a-t-elle pu poursuivre ses opérations depuis que la junte militaire a pris le pouvoir ? Qu'en est-il des autres partenaires techniques et financiers ?
Par ailleurs, où en est-on de la coopération entre Expertise France et l'AFD au moment où leur fusion entre dans les faits ? Vous avez évoqué de nouvelles offres communes et des synergies entre les deux entités : comment avez-vous pu déployer ces offres communes ? Quels pays et quelles opérations ? Nous cherchons à travers cette question à prendre la mesure de cette intégration et du rôle qu'Expertise France peut mener à vos côtés.
À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des Comptes a établi des recommandations pour renforcer le pilotage de l'AFD, pilotage que la Cour a jugé insuffisant. Qu'a changé ce rapport dans le fonctionnement de l'Agence ?
Enfin, j'ai une question subsidiaire concernant un projet assez pharaonique de siège social de l'AFD dans le 12ème arrondissement de Paris, avec des innovations technologiques, qui doit porter le nom de votre ouvrage : Réconciliations. Ce projet est-il réellement de mise dans ces temps de rigueur budgétaire ?
M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence Française de Développement (AFD) - Je vais introduire mon propos par une courte présentation de l'Agence française de développement et de ses résultats. Créée par Charles de Gaulle en 1941, l'Agence française de développement est la plus ancienne agence de développement du monde : en 2021, nous fêterons ses 80 ans. Avec Expertise France, l'Agence est aujourd'hui l'entité grâce à laquelle le gouvernement français a accumulé une expertise unique du Sud et de nos outremers. La maison AFD a atteint une taille critique en 2021, confortée par les moyens que vous avez votés l'an dernier, dans la loi de finances.
En 2019, nous avons atteint le seuil de 14 milliards d'euros pour plus de 1 000 projets. Aujourd'hui, l'Agence est présente dans plus de 115 pays. La moitié de son activité est en Afrique et en outre-mer. En outre, l'AFD concentre ses ressources budgétaires dans les pays les plus pauvres ainsi que dans les secteurs qui ne peuvent pas se financer par des prêts. À rebours, elle fait son bilan dans des pays plus riches et dans des secteurs qui se situent davantage dans des logiques d'investissement que dans des logiques de solidarité et de lutte contre la pauvreté.
La relation entre l'État et l'AFD est fixée par des textes, notamment un contrat d'objectifs et de moyens. Ce contrat fixe des indicateurs ; il va d'ailleurs falloir le renouveler, après avis de votre commission, et dans la foulée de la loi de finances. Les priorités énoncées lors du dernier contrat d'objectif et de moyens sont aujourd'hui respectées : priorité africaine, priorité climat (nous avons dépassé les objectifs de la France fixés lors de la COP21), égalité homme-femme, Sahel...
La gouvernance de l'AFD offre à l'État un mode de contrôle précis. Chaque mois se tient à l'AFD un Conseil d'Administration auquel siègent huit Parlementaires. Tous les projets de l'AFD sont validés par cette instance et ses comités après deux avis : un premier, au moment de l'identification et un autre, au moment de l'approbation délivrée par nos chefs de postes diplomatiques. L'accroissement des moyens en subvention nous a permis d'entrer plus précisément dans une programmation de chacun des pays, en lien avec le MEAE. L'année 2019 est d'ailleurs la plus active sur ce point.
Nous progressons sur les questions d'évaluation. J'avais pris des engagements devant vous : nous avons mis en ligne tout notre stock d'évaluation, nous organisons des débats très réguliers et nous souhaitons associer des parlementaires aussi bien au moment de l'établissement de la méthodologie des évaluations, qu'au moment des évaluations elles-mêmes.
M. Christian Cambon, président - Par des organismes extérieurs ?
M. Rémy Rioux - Nous faisons les rapports de fin de projets nous-mêmes, mais les évaluations sont toujours externes.
En ce qui concerne 2020, en raison de la crise sanitaire, la rentrée de l'Agence a été perturbée. Nous avons opté dans un premier temps pour le télétravail. Désormais, nous optons pour un mode hybride, mi-présentiel, mi télétravail, mais ce n'est pas simple : au sein de l'Agence, nous enregistrons, comme les autres entreprises, des cas de COVID.
Malgré tout, nous pensons faire une bonne année : nous pensons finir 2020 à 12 milliards ou 13 milliards d'euros d'engagements. Pour rappel, l'an dernier, nous avons atteint 14 milliards d'euros. La baisse de 1 milliard à 2 milliards s'explique d'abord par la difficulté à effectuer des missions sur le terrain. Je précise que, contrairement à nos concurrents, nous avons maintenu tous nos personnels expatriés présents dans les pays. À la difficulté de se rendre sur le terrain, s'ajoute dans un second temps l'augmentation des risques tels que les risques souverains, les dettes des États ou les dettes des entreprises. Les mécanismes de contrôle des risques, pilotés par la Direction Générale du Trésor, nous conduisent parfois à renoncer à certains engagements. Nous en profitons alors pour insister davantage sur les signatures de conventions et surtout sur les décaissements. Grâce à cela, je pense que nous terminerons avec 20 % en plus sur les signatures et sur les décaissements.
Pour l'année 2020, la réponse que nous avons construite pour faire face à la crise s'articule autour de trois temps. D'abord, le programme Santé en commun, qui se monte à 1,15 milliards d'euros. Nous avons déjà décaissé 600 millions pour apporter des liquidités aux pays qui en avaient urgemment besoin. Le programme prévoit 150 millions de dons et 1 milliard de prêt. Nous avons mobilisé tout l'écosystème français de santé mondiale avec des organismes tels que l'Institut Pasteur pour mener à bien ce projet.
Le deuxième temps de la réponse à la crise, nous sommes en train de le construire avec votre soutien : c'est le vote dans le PLFR3 d'une garantie pour l'AFD de 160 millions d'euros, ce qui nous permettra de renforcer notre appui aux PME africaines, qui, si elles font le succès de l'Afrique depuis trente ans, apparaissent aujourd'hui en grand danger d'insolvabilité. Il nous faut sauver nos clients. Nous allons donc nous servir des moyens que vous nous avez donnés pour aller chercher d'autres partenaires internationaux afin de bâtir une coalition de PME africaines. Nous en avons déjà convaincu huit pour un montant total, (nous allons l'annoncer dans les semaines à venir) de 2,5 milliards d'euros et j'espère que nous irons plus loin pour attirer l'attention sur cette problématique très particulière. Nous allons notamment nous servir des 160 millions d'euros pour venir en aide à nos compatriotes qui possèdent des entreprises en Afrique et qui n'ont pas accès aux dispositifs nationaux de Bpifrance. L'objectif sera de répondre à d'éventuels problèmes de trésoreries, en proposant des facilités ou en leur permettant d'avoir, dans le plus grand nombre de pays, un guichet, une banque qui pourra traiter leur demande avec des garanties facilitant le déblocage de ces financements.
La troisième réponse apportée par l'AFD, c'est le financement de l'Afrique. Le Président de la République a annoncé la tenue d'un sommet au mois de mai prochain, qui permettra de faire un bilan de la situation de la dette et des mesures à prendre. Ce sommet sera l'occasion de rappeler qu'une économie ne se résume pas à un gouvernement. Les banques publiques de développement sont souvent oubliées dans l'équation. Ceci nous a conduits à inviter au Forum de Paris sur la paix, du 9 au 12 novembre prochain, toutes les caisses de dépôt du monde, c'est-à-dire l'ensemble des banques qui financent la transformation et le développement dans leurs propres pays. Au total, ces 450 banques représentent 10 % des investissements. Il y en a 95 en Afrique ; nous avons des choses à échanger au vu de l'histoire financière de notre propre pays. Enfin nous continuons à agir dans les zones en crise, au Mali, au Liban et sur les pourtours de la crise syrienne notamment.
La loi de finance 2021 est excellente : elle est conforme aux axes qui avaient été annoncés et va nous permettre d'atteindre nos objectifs. La France tient les engagements que le Président de la République, le Premier Ministre et le gouvernement avaient annoncés. L'AFD voit ses moyens accrus en 2021. La crise nous a obligés à demander un renforcement de nos fonds propres : les sommes que nous mettions en réserve chaque année pour renforcer les fonds propres de l'AFD ne sont plus là.
Nous irons plus loin sur les sujets de développement durable. D'abord, nous devons espérer que dans les mois à venir, l'action multilatérale reparte dans le bon sens. Ensuite, le sommet des banques que nous allons organiser permettra d'aller plus loin. Nous souhaitons être offensifs sur ce point.
L'AFD s'est lancée dans un véritable projet d'entreprise : nous avons achevé la phase de forte croissance et nous entrons dorénavant dans une phase de consolidation et de maîtrise de nos charges. Cela se concrétise notamment par un arrêt de nos recrutements. Nous avons commencé à réformer nos mobilités internationales. Le bâtiment que nous allons acheter est un très bon investissement financier compte-tenu du marché. Il nous permettra de regrouper les différentes entités de l'Agence tout en réduisant ses charges d'exploitations.
M. Olivier Cadic - Vous l'avez évoqué, nous nous devons de soutenir nos compatriotes qui ont une PME à l'étranger car ils contribuent au développement de notre commerce extérieur. Mais pour cela, ils doivent avoir accès au crédit en bénéficiant si possible d'une garantie octroyée par l'AFD. C'est ce que permet le fonds ARIZ. La semaine dernière, à l'Assemblée des Français de l'étranger, Grégory Clémente, le Directeur Général de Proparco, a souligné que depuis que son agence était en charge du fonds, les investissements aux Français de l'étranger se montaient à 200 millions par an, contre 100 millions autrefois.
Toutefois, force est de constater que 90 % des fonds sont alloués à l'Afrique alors même que le fonds est prévu pour tous les continents et que ces autres continents en ont besoin. En faisant valoir les attentes des PME présentes sur ces autres continents, vous nous avez dit qu'il fallait que le Parlement augmente le budget en 2021 en définissant des pays-objectifs supplémentaires. Les pays hors Afrique sont-ils d'ores et déjà prévus dans ce budget ?
Par ailleurs, je souhaitais vous interroger sur le programme Choose Africa. Où en est la rédaction de la convention de garantie entre l'État et le groupe AFD pour ces 160 millions d'euros dont vous nous avez parlés ? Il avait été question d'une signature de cet accord courant octobre : est-ce déjà fait ? Par ailleurs, à partir de ce cadre qui constitue une garantie forte, il appartient à Proparco de proposer une garantie à 80 % des prêts octroyés par ses partenaires à des PME, notamment celles détenues par des compatriotes basés en Afrique. Quand poserez-vous des critères d'éligibilité pour ces PME ? Quand pourront-elles effectivement emprunter ? De même, quand sera diffusée la liste des pays africains qui bénéficieront du programme Choose Africa ?
Jean-Pierre Thébault, ambassadeur en Australie, appelle à une réorientation des aides vers le Pacifique. Seriez-vous prêt à réorienter les moyens que l'AFD met à la disposition de la Chine au profit du verdissement de la région pacifique ?
M. Jean-Noël Guérini - En septembre, le prix Nobel de la paix a été décerné au Programme alimentaire mondial des Nations unies, ce qui atteste de l'importance prise par les actions de lutte contre la faim en Afrique subsaharienne. Comment la France intervient-elle dans la région ? La pandémie retarde-t-elle les missions de l'AFD sur le terrain ? Sur le plan mondial, dans la perspective d'une crise économique généralisée, quelles sont vos inquiétudes sur l'objectif Faim Zéro d'ici fin 2030 si les flux de l'aide au développement venaient à se tarir ?
Quelle est, enfin, votre vision des défis à relever concernant les institutions financières ? Les 450 établissements dont vous avez fait mention poursuivent-ils tous les mêmes objectifs ? Si oui, comment s'en assurer ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je vous avais interrogé en mai sur la nature du soutien que fournit l'Agence aux tout petits entrepreneurs ainsi que sur la possibilité d'étendre ce soutien à de petits entrepreneurs hors d'Afrique. Vous aviez répondu que vous réfléchiriez au lancement d'un processus. Ce processus s'élèverait à 160 millions d'euros, dont une partie pourrait aller à nos petits entrepreneurs français. Toutefois, je suis inquiète car à l'instant, en faisant référence à un telle offre, vous nous avez dit on va « proposer » une offre. Mais alors : qu'avez-vous fait depuis mai ? Quelles sont les prochaines étapes ? Il est important de s'ouvrir à d'autres pays, hors Afrique. Les tout petits entrepreneurs sont plus qu'importants : il en va de notre rayonnement extérieur.
M. Richard Yung - J'ai, pour ma part, deux questions d'ordre budgétaire à formuler, plus une autre. D'abord, étant donné que l'AFD est financée par la taxe de solidarité sur le transport aérien, qu'en est-il maintenant que le secteur s'est effondré ? Quelles conséquences a, sur l'AFD, une telle perte de recettes ?
Deuxièmement, vous êtes le gestionnaire du programme Alliance Sahel défini à Pau et avoisinant les 4 ou 5 milliards d'euros.
Comment se structurent l'exécution et la mise en oeuvre de ce programme ? Nous savons qu'il s'agit d'une garantie d'État et qu'il incombe aux banques locales d'accorder les crédits. Mais les réseaux bancaires en Afrique sont-ils suffisamment musclés pour mener ces actions à hauteur de 160 millions d'euros ?
Mon dernier point concerne le pilotage. Vous avez parlé de votre Conseil d'Administration où sont représentés les grands Ministères. Face à une telle instance, on se demande pourquoi il y a tant de débats sur la gouvernance de l'AFD. Pour faire cesser ces débats, qu'entrevoyez-vous hormis de recréer un Ministère de la Coopération ?
M. Rachid Temal. - L'AFD est un outil utile à la fois pour l'aide et pour l'influence française dans le monde. Ma première question porte sur la loi de programmation, qui doit fournir les objectifs politiques. En avez-vous des nouvelles ? Si oui, sous quelles échéances? On devrait commencer par là. Ma deuxième question est d'ordre financier : la question des taxes sur les billets d'avions rapportera très peu en 2020 et 2021. Y-a-t-il par ailleurs un impact du plan de relance européen sur l'AFD ? En troisième lieu, qu'en est-il de l'autorité politique qui porte ces questions d'aide publique au développement ? C'est aujourd'hui un peu un impensé ou un angle mort. Enfin, pouvez-vous revenir dans le détail sur les objectifs concrets du futur sommet des banques de développement ?
M. Alain Cazabonne. - La question de la maîtrise de la démographie est rarement posée en matière de développement. Toutefois, qui dit augmentation de la population, dit augmentation de la production, ce à quoi il faut ajouter des problématiques telles que l'énergie à trouver. Ne faudrait-il pas que nos aides bénéficient d'un accompagnement à la maîtrise de la démographie ? À terme, il existe un réel danger en termes de développement durable. Avez-vous des missions qui vont dans ce sens actuellement ?
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Vous avez évoqué la place que vous faites à l'égalité femme-homme dans la part des crédits que vous accordez. En consultant votre rapport, je constate que 48,5 % de crédits sont attribués avec un tel objectif ; je vous encourage à continuer dans ce sens. La rencontre de nombreuses femmes africaines est édifiante : c'est en grande partie à travers elles que passe le développement de la démocratie et de l'économie.
Vos rapports ne font pas apparaître les aides aux Parlements. Or c'est important pour nous d'asseoir la démocratie dans ces pays. Quelquefois, les Parlements des pays que nous aidons travaillent dans des conditions catastrophiques : les aider à avoir de quoi travailler et s'exprimer est primordial car cela nous offre un regard sur la manière dont la démocratie s'assoit dans ces pays. Deuxièmement, comment coordonnez-vous vos actions et nos crédits avec ceux de l'Union européenne ? Il y a des moyens financiers, peut-être en baisse, notamment dans le cadre des accords de Cotonou, et sur les lignes budgétaires de la commission européenne. Coordonner nos actions, c'est aussi coordonner nos moyens financiers et nos crédits, tout en gardant la visibilité de la France sur le terrain. Il serait intéressant de voir comment il nous serait possible d'aller dans ce sens. Peut-être le faites-vous déjà ? Si oui, comment ?
M. Guillaume Gontard. - Vous avez rappelé l'action de l'AFD sur des thématiques telles que la préservation de la biodiversité ou la lutte contre le réchauffement climatique. On connaît l'importance des réserves naturelles nationales en Afrique et le travail fait par les différents pays pour conserver leurs corridors biologiques. Nous savons que la mise en place de ces corridors biologiques est fortement liée au tourisme. Je voudrais savoir si, à la suite de la crise du COVID-19 et la chute du tourisme, vous aviez obtenu des retours sur la situation ? Nous avons beaucoup de parcs naturels et de projets en grande difficulté. Cela a un impact sur les populations locales puisqu'elles sont les principales concernées en la matière, par exemple, de financement de la lutte contre le braconnage. Avez-vous réfléchi à des mesures transitoires pour passer cette période ?
M. Hugues Saury. - Monsieur le directeur général, je souhaite vous interroger sur les reports de paiement et les intérêts de la dette dans les pays africains. Dans le cadre du G20, la mise en place d'un moratoire sur la dette pour 28 pays, dont 20 en Afrique subsaharienne, a été actée. Le total des échéances différées pour 2020 atteint la somme de 1,8 milliard de dollars. Ajouté aux arriérés, cela fait 2 milliards de dollars. Comment s'articule ce moratoire avec les projets de développement et les objectifs résultant des derniers comités interministériels définissant cette région comme prioritaire pour l'aide publique au développement française ? Comment évaluez-vous l'impact positif de ce report ? En novembre, Paris accueillera le forum pour la paix, premier sommet mondial des banques de développement. Ne serait-ce pas le signe d'une extrême financiarisation de l'aide publique au développement au détriment des politiques d'aides directes ? Cette modification de la nature de l'aide publique au développement n'aboutirait-elle pas à une augmentation seulement « faciale » du pourcentage de RNB dédié à l'aide publique au développement, qui pourrait ainsi plus facilement atteindre les 0,7 % ?
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le directeur, vous êtes un haut fonctionnaire à la tête d'un des plus importants budgets de l'administration française, en route peut-être vers 18 milliards d'euros, ce qui est une bonne chose et que nous soutenons. Vous êtes placé sous l'autorité du ministre des affaires étrangères. Comment faites-vous pour qu'à chaque renouvellement ministériel, il n'y ait pas de ministre délégué à la coopération ou de Secrétaire d'État à la coopération, qui pourrait porter devant le Parlement ou d'autres institutions le message que vous défendez avec talent ?
M. Rémy Rioux. - Pour répondre à plusieurs d'entre vous, notamment M. Cadic et Mme Garriaud-Maylam, je veux vous dire toute l'attention que nous portons aux entreprises françaises. Je n'oppose pas commerce extérieur et investissement français comme on a pu avoir tendance à le faire par le passé. Nos investisseurs et nos entreprises contribuent au développement des pays. C'est cela dont nous parlons avec nos compatriotes installés en Afrique et ailleurs. La caractéristique de notre pays, ce sont des relations durables, des relations d'investissement, qui permettent de créer des emplois, bien plus que le seul commerce. Quand vous rencontrez un chef d'État africain, il vous demande des investissements français dans son pays et la présence d'entreprises françaises. Il demande des créations d'emploi. J'en viens à ce dispositif que nous allons mettre en place. Il serait délicat de mettre en place au Sénégal un dispositif de prêts qui ne serait accessible qu'aux Français ; il faut un dispositif qui permette de satisfaire les demandes d'entrepreneurs sénégalais. Cela passera bien par des établissements financiers locaux. Il se trouve que Proparco connaît bien l'Afrique. C'est pour cela que nous passons par l'Afrique en priorité : c'est là que nous connaissons bien le terrain. Nous allons essayer de chercher, pays par pays, au moins un guichet bancaire vers lequel nous allons orienter nos compatriotes et d'autres clients de Proparco.
L'étape essentielle est la signature de la convention avec le ministère des Finances, le Trésor et le Budget. Selon qu'on mobilise plus ou moins la garantie, la taille et le risque des entreprises que l'on va chercher est plus ou moins grand. À titre personnel, je suis pour prendre du risque, mais nous avons cette discussion que je comprends et que je respecte. Je vais vous tenir informés, j'en parlerai à Grégory Clémente à l'issue de cette audition. Ce qu'on espère, c'est de réussir à développer cette aide avant fin octobre pour commencer à la déployer dans un certain nombre de pays déjà identifiés à travers des partenaires bancaires, qui peuvent être des banques française), ayant une implantation dans le pays. Ce ne sera pas identique au système de Bpifrance en métropole, je le dis tout de suite.
Se pose ensuite la question des autres régions du monde. C'est légitime de votre part de poser la question. Nous avons parfois moins de relations avec les réseaux bancaires qui sont plus éloignés de nous. Dans ce pays-là, la communauté française est probablement moins présente. On pense bien sûr au Pacifique, qui est une zone importante pour l'influence française, la biodiversité ou encore le climat. On a des points très forts sur la Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, qu'on appuie beaucoup dans cette crise. On a même cassé notre organisation historique État étranger - outre-mer pour mettre les ultramarins dans la même direction que les pays voisins et pousser aussi fort que possible. Dans le Pacifique, on est allé chercher les Australiens, les Canadiens, la Commission européenne, j'en oublie peut-être, pour faire un fonds, Kiwa, qui sert à financer les programmes de biodiversité chez nous et là-bas. Nous restons à votre disposition pour vous le présenter.
Pour répondre à M. Guérini : effectivement, c'est une très belle reconnaissance pour le Programme alimentaire mondial que de recevoir le prix Nobel de la Paix. Vous savez qu'en France, l'acteur qui intervient sur les crédits d'urgence, y compris l'aide humanitaire, c'est le MEAE, avec la DGM et surtout le centre de crise, qui a la capacité de porter secours le plus vite possible. Nous, nous sommes l'Aide au développement : nous nous intéressons davantage au moyen et long termes. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas nous intéresser au court terme : le développement d'un pays bouge dans une crise de court terme. Il nous faut donc nécessairement nous intéresser à l'urgence et au court terme mais notre intérêt reste de renforcer le partenaire et de l'amener sur des dynamiques de long terme.
Parmi les acteurs de l'urgence et du court terme, vous avez cité le PAM, mais on pourrait également citer le Haut-Commissariat aux réfugiés, le CICR et la Croix Rouge. Vous connaissez le CICR, son Histoire et sa propension à se rapprocher un peu trop des États. Mais parce que nous ne sommes pas l'État justement, le CICR s'est rapproché de nous pour explorer ce passage de l'humanitaire au développement. Un camp de réfugiés, par exemple, devient rapidement une ville. Ses habitants ont alors besoin d'acteurs du développement pour les accompagner. On en a eu une bonne illustration à Beyrouth, où nous avons, avec le Président de la République, visité l'hôpital Rafic Hariri, un hôpital de référence. C'est le CICR qui nous a amené ce projet : c'est eux qui ont fait les premiers face à l'explosion du 4 août et qui sont le référent en matière de COVID-19.
Plusieurs questions sur le projet Finance en commun. Il ne faut pas voir dans cette initiative une remise en cause de l'Aide publique au développement. Ce sont deux choses qui s'imbriquent mais qui ne se confondent pas. Il s'agit pour nous de mobiliser plus fortement, d'amener vers des sujets plus difficiles, d'améliorer la qualité des flux d'investissement qui passent par l'aide publique au développement, notamment ceux des banques publiques de développement du Sud. L'aide publique au développement, c'est 150 milliards de dollars chaque année. Ceux que nous allons inviter investissent 2 000 milliards de dollars. La question est : qu'est-ce qu'on fait de l'aide publique au développement pour mobiliser ces gens-là et les amener vers les pays et les sujets qui sont des priorités politiques pour la France ? Je vous enverrai tout ça pour que vous compreniez l'ampleur et l'intérêt de cette initiative.
Pour répondre à Richard Yung, concernant la taxe sur les billets d'avion : ce que vous verrez dans le budget de cette année, c'est que l'on est concerné à deux titres. Dans le passé, nous émargions à une partie de cette ressource. Vous verrez dans la loi finances de cette année que tout a été débudgétisé s'agissant des crédits de l'aide bilatérale. Nous, AFD, sommes donc préservés de ce risque. Par ailleurs, nous sommes concernés parce que gestionnaire du FSD.
Plusieurs questions m'ont été posées sur l'Alliance Sahel. On vous diffusera un point précis d'actualité. Nous sommes très attentifs, nous et les autres partenaires de l'Alliance Sahel, à la dégradation politique en cours, notamment au Burkina et au Mali. Beaucoup de bailleurs ont suspendu leurs fonds : la Banque mondiale, l'Union européenne et ses États membres notamment. Nous-mêmes, nous avons suspendu l'octroi de quatre projets en subvention qui étaient prêts à passer devant le Conseil d'administration. Aucune relation à ce stade avec les nouvelles autorités n'est en cours au Mali mais les équipes sont quand même là, sur le terrain. Depuis que la CEDEAO a levé les sanctions, le ministre y est allé et nous avons repris les soutiens dans ce pays où l'on était en forte augmentation puisqu'en 2019, nous y avons engagé 200 millions d'euros contre 80 l'an passé. On réinvestit auprès de nos collègues maliens.
Il faut par ailleurs, relativiser notre aide au développement au Mali. On engage 200 millions, on décaisse 60 millions d'euros. C'est pour ça qu'on a bâti cette Alliance Sahel : pour avoir du renfort et agir plus fortement. Autre chose : je vous renvoie à l'atlas qu'on a publié au mois d'août. En effet, c'est sur le long terme qu'il faut analyser le sujet malien et son évolution. Dans les années 2000, jusqu'en 2012, le Mali était plutôt un exemple de développement : l'indice de développement humain du Mali a doublé entre 1990 et 2017. Puis, la situation s'est dégradée. Le lien entre le développement et le politique est toujours profond. Depuis 2012, ça semblait repartir et on entre de nouveau dans une période d'incertitude. Ce qu'il faut, c'est une estimation de long terme, qui compile les regards du diplomate, du militaire et du développement pour vraiment juger de l'état de la région.
En ce qui concerne les questions démographiques, M. Cazabonne et Mme Carlotti se sont répondu l'un après l'autre. Il faut traiter des problèmes de démographie à l'échelle du continent et dans ce que l'Afrique compte de diversité. L'Afrique du nord et l'Afrique australe ont achevé leur transition démographique. C'est en Afrique de l'est et au Sahel qu'il y a des dynamiques démographiques extrêmement puissantes, ce à quoi il faut ajouter les mouvements migratoires qui en découlent et qui sont inévitables. Ils restent, pour l'essentiel, intra-africains, plutôt vers le sud qu'en traversant le grand désert.
Une grande partie de la réponse a trait au renforcement de la place des femmes dans toutes ces sociétés. 40 % de nos projets devaient avoir un impact sur l'égalité femme-homme ; on a fait presque 50 % l'an dernier. Le Forum génération égalité, en 2021, nous donnera l'occasion d'expliquer ce qui se passe et d'informer les ONG féministes. On a une distinction entre l'Afrique du nord où la place des femmes est extrêmement faible et l'Afrique subsaharienne où les femmes tiennent le pouvoir économique.
Mme Carlotti, vous avez parlé de gouvernance. Elle n'a été confiée à l'Agence qu'en 2016. Vous, parlementaires, êtes les experts dans ce domaine : il serait intéressant d'avoir un échange pour savoir si nous allons dans la bonne direction, de savoir si tout cela est bien articulé. Je suis étonné de ne pas avoir été interrogé sur l'audiovisuel. C'est peut-être une marque que nous progressons dans ce domaine. Marie-Christine Saragosse vous l'a peut-être expliqué: nous avons maintenant une cinquantaine de millions d'euros de projets entre l'AFD et France média monde. Nous avons besoin de ces compétences, nous avons besoin de faire des projets de développement ensemble. On fait beaucoup de choses aussi avec la délégation aux fonctionnaires internationaux (DFI) pour la capacité technique, le renforcement de capacités, la formation des journalistes, particulièrement en Afrique. On a fait des choses avec le CESE et ses homologues en Côte d'Ivoire ou dans d'autres pays, qui peuvent avoir un rôle important dans des situations de fortes tensions politique.
Nous pourrions avoir un long débat sur l'UE. L'AFD est l'Agence qui mobilise le plus de crédits européens parmi les État membres. Pour nous, c'est quelque chose d'important : nous avons 3 milliards d'euros à peu près de ressource budgétaire pour faire chaque année les 12 milliards, 13 milliards, 14 milliards d'engagements. Deux milliards qui viennent de la France et un milliard vient de l'Union européenne. Je veille avec beaucoup d'attention à ce que la ressource nationale qui augmente ne vienne pas se substituer à de la ressource européenne. Parce que vous nous confiez plus d'argent national, il faut qu'on aille chercher plus d'argent à Bruxelles. J'ai même dit à mes équipes qu'à horizon de deux ou trois ans, je voulais qu'on soit à parité : qu'on aille doubler à Bruxelles l'argent que vous nous confiez pour travailler dans les pays les plus difficiles. Vous savez combien la Commission européenne est engagée sur ces sujets, notamment sur son partenariat avec l'Afrique. Mais il y aura une limite politique : d'où l'idée de structurer le réseau des agences des banques publiques de développement européennes. On travaille très bien avec les Allemands, les Espagnols, les Italiens... Il faut qu'on nous incite à travailler ensemble. Vous avez peut-être vu le hashtag #TeamEurope qui apporte une signature européenne quand il y a de l'argent européen en jeu.
Lors du conseil de juillet, toute la partie internationale du plan de relance européen, notamment les garanties pour appuyer le secteur privé, a disparu dans la négociation. En revanche, les engagements préalables à la crise en matière d'augmentation de l'aide publique au développement sont maintenus. C'est le cas en France, c'est le cas aussi avec le budget pluriannuel de l'Union européenne. La baisse faciale de celui-ci est due au retrait britannique. Le débat va maintenant avoir lieu au Parlement européen.
Je reste à votre disposition sur les sujets de biodiversité. Le président Kenyatta était là il y a deux semaines, il a expliqué l'impact de l'arrêt du tourisme sur la biodiversité. Il a même invité les gens à venir visiter ces parcs en profitant du fait qu'ils soient vides. Il est un peu tôt pour savoir à quel point le marché est impacté. Il est difficile à ce stade de savoir s'il s'agit d'une année blanche (les économies africaines sont assez résilientes) et s'il y aura moins de touristes dans les parcs kenyans à l'avenir.
Toutefois, la COP 15 en Chine en 2021 le montrera, les questions de biodiversité vont bien au-delà des enjeux de conservation. En fait, la question s'est déplacée d'une question de conservation vers une question d'intégration dans les chaînes de valeur. C'est nous qui déforestons l'Amazonie : il nous faut trouver comment intégrer dans l'investissement, via les banques d'investissement, une logique de filière à l'échelle globale. Il faut parvenir à lier finance et climat, finance et biodiversité.
J'en viens maintenant à la dette. Ce dont parle le G20, aujourd'hui-même, c'est bien d'un moratoire et d'un prolongement du moratoire pour 6 mois, je crois. Certains demandent même une extension jusqu'à fin 2021 mais un délai de 6 mois est intéressant car il nous amènerait au mois de mai 2021. À cette date, le Président de la République souhaite, avec d'autres chefs d'État, inviter tous les financeurs de l'Afrique au niveau politique le plus élevé pour réfléchir à comment financer le développement de l'Afrique. Au point où nous sommes, la réponse : « nous ne pouvons plus vous financer » serait intenable. Certains États vont passer la crise en gardant une capacité à s'endetter quand d'autres devront restructurer leur dette. La France a un rôle important à jouer : elle assure le secrétariat du Club de Paris ; parce que nous sommes prêteurs, il nous faut être exemplaire tout en trouvant des moyens de financer, sans passer par des gouvernements, l'économie africaine. Nous avons également l'expérience des contrats de désendettement-développement, qui est une manière de désendetter, tout en réorientant les sommes annulées vers des projets souhaités par notre pays.
J'en viens enfin à la question du Président, qui ne s'adresse finalement pas vraiment à moi. La loi de programmation est attendue, y compris par le directeur général de l'AFD, puisqu'il y a cette disposition sur l'intégration d'Expertise France qui y figure. Elle est importante pour nous et nous souhaitons la voir voter le plus tôt possible car elle inclut un volet d'incitation à aller plus loin dans le rapprochement et la construction du groupe. La loi contient également des dispositions importantes sur l'attractivité. Mais finalement, il s'agit d'une loi de programmation alors qu'il ne reste plus qu'une loi de finances. Je ne souffre pas personnellement d'un manque de portage politique de ce que nous faisons. Le Président de la République en parle beaucoup dans ses déplacements. Il aura l'occasion d'en parler en 2021, notamment lors du One Planet Summit ou lors du Forum Génération Égalité. Il est essentiel d'expliquer que ce que nous faisons est dans l'intérêt de nos compatriotes : pas seulement de le leur dire mais également de les en convaincre. Le Ministre des Affaires Étrangères parle aussi de ces sujets. On a mis en place un comité de pilotage, début novembre, pour que je lui rende des comptes et que je lui explique les priorités. Elles seront suivies et vérifiées dans une relation d'une grande sincérité avec les postes en administration centrale.
M. Christian Cambon, président.- Ma question ne remettait évidemment pas en cause le rôle du ministre des Affaires Étrangères. Mais ce ministre est tellement pris par toutes les crises qui ne cessent de surgir partout dans le monde que je crois que la tradition, sous la Vème République, d'avoir un ministre délégué ou un secrétaire d'État à la Coopération, n'était pas une mauvaise chose. Cela ne vous a pas échappé : le Président de la République ne parle pas au Parlement. C'était le sens de notre question : d'un côté, le montant des aides devient très important, de l'autre, on voit des secrétaires d'État qui ont de très petits budgets.
Enfin, vous n'avez pas répondu, me semble-t-il, à un point qui attire toujours notre attention : les prêts consentis à la Chine. Olivier Cadic vous a demandé s'il n'était pas possible de les redéployer vers la zone indopacifique où la France a besoin d'accroître son influence. Vous savez l'extrême réticence du Parlement sur ces prêts à la Chine. La France a prêté 250 millions d'euros à la Chine pour sa transition écologique. Cela fait des années que nous vous demandons s'il n'y a pas de meilleures causes à défendre. On nous dit que c'est pour conserver de bonnes relations. Effectivement, ça n'est pas pour la gouvernance démocratique ! Alors pour la transition écologique, pourquoi pas ? Mais prêter 250 millions à un pays qui a déclaré pouvoir s'offrir le Portugal avec un seul chèque, est-ce que réellement cela fait sens ? Vous vous souvenez que le budget de la coopération a failli ne pas être voté l'année dernière en hémicycle. J'ai dû batailler pour convaincre mes collègues de la commission des Finances qui s'appuyaient sur ces mêmes arguments. Je ne voudrais pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets. À quoi sert-il de prêter 250 millions d'euros à la Chine pour favoriser sa transition écologique ? Ne serait-il pas souhaitable de les réinjecter dans le monde indopacifique où nous avons de vrais sujets, de vrais problèmes, et où la présence de la France a besoin d'être plus marquée ?
M. Rémy Rioux.- Premièrement, ça n'est pas l'un ou l'autre. La limite d'intervention de l'AFD dans un pays est une limite réglementaire qui s'appelle le ratio grand risque. Ce ratio est fixé à un quart des fonds propres pour chaque pays : ce n'est pas de faire moins en Chine qui nous amènera à faire plus en Indonésie ou dans l'axe indopacifique. Nous avons fait une étude quand le Président est allé à Mayotte et à la Réunion, il y a un an, portant sur la contribution de l'AFD aux financements des pays de l'axe indopacifique. Nous formulons également un certain nombre de propositions, pour identifier plus clairement cet ensemble et amener, avec d'autres dimensions, les briques développement, climat, etc...
Dans certains pays, je pense en particulier à la Chine, les règles de l'aide au développement s'appliquent certes, mais « aide au développement » n'est pas une expression appropriée. Employer cette expression dans des pays très pauvres comme en Chine rend évidemment le débat impossible. On n'aide pas la Chine comme on aide le Mali, ça n'aurait pas de sens ! C'est la stratégie de l'AFD, revalidée en Conseil d'administration avant l'été, que de créer des liens entre la France et la Chine sur des sujets qui sont de notre intérêt. Ce n'est pas moi qui vous le dis, c'est le Conseil d'administration, avec les ministères et les parlementaires qui y siègent. Ce que nous faisons, c'est une forme d'investissement. Nous avons notamment travaillé sur le vieillissement. Je vous invite, comme je l'ai fait personnellement, à venir voir ces projets en Chine : les parcs naturels que l'on fait avec le parc du ballon des Vosges, par exemple. J'ai même rencontré le dirigeant d'une PME française qui m'a dit qu'il avait inventé un modèle de parc de biodiversité en périphérie des villes et qu'il cherchait maintenant à le vendre aux collectivités locales françaises.
Je rajoute un élément, pardon d'être un peu près de mes sous, mais je gagne de l'argent en Chine ! Mon salaire est payé par les Chinois. Comment puis-je financer des agences déficitaires dans certains pays ? Je bénéficie du fait que les Chinois ne sont pas les plus difficiles sur la négociation des taux ! Nous ne mettons aucun argent budgétaire en Chine. Au contraire : la Chine, d'une certaine manière, finance l'AFD: les Chinois nous achètent des obligations émises par l'AFD pour l'essentiel sur des marchés financiers. Lorsqu'on émet des titres, il y a des gens du monde entier qui achètent le papier AFD. Cet argent retourne ensuite en Chine sous forme de prêt. Le prêt est tarifé à un taux plus élevé que la rémunération qui est attachée à notre obligation. Vous avez là une boucle financière qui revient à ce que ce soit la Chine qui finance l'AFD. Par ailleurs, ce circuit financier, ce n'est pas que de l'aide. On crée des liens entre des acteurs français et des acteurs chinois, qui me semblent intéressants. Si on arrête, ça n'apportera pas plus à un autre pays, mais on perdrait un lien qui certes, est un petit lien à l'échelle des relations bilatérales que nous entretenons avec la Chine, qui ont mille autres dimensions, mais qui est un lien défendable, utile, positif et intéressant pour nous. Encore faut-il vous en convaincre !
M. Christian Cambon, président.- C'est le vieux débat, sur le rôle double de l'AFD, banque de développement et bras séculier de coopération.
M. Rémy Rioux.- J'ajoute un point : on a noué des relations avec les banques publiques chinoises, notamment la China Development Bank. Nous avons fait traduire en chinois notre méthodologie d'évaluation de la soutenabilité de la dette d'un pays. Dans le club IDFC que je dirige chaque année, on déclare la finance-climat. Le plus grand financeur du climat au monde, c'est la China Development Bank, avec chaque année entre 100 et 130 milliards d'euros de prêts pour des métros, des énergies renouvelables, etc...
M. Christian Cambon, président .- Raison de plus !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam.- Pardonnez-moi, mais à côté de ça, au lycée français à Pékin, qui a été construit par les Chinois, nous avons été obligés de tout reprendre : les peintures étaient toxiques, les enfants étaient malades... Il a fallu tout recommencer à un coût très important.
M. Rémy Rioux.- Mais est-ce qu'on a un début d'influence sur la façon dont les institutions financières chinoises investissent ? Sur la qualité de leurs investissements ? Bien sûr qu'il y aurait, par exemple, des investissements dans des centrales à charbon et qu'il faudrait arrêter. C'est cela que l'on aimerait bien capturer dans ce rassemblement des banques.
M. Christian Cambon, président.- Il est d'autant plus important de faire un effort sur l'évaluation. Nous souhaitons être informés des évaluations que réalise l'AFD. C'est au coeur de notre travail : le Parlement a pour fonction de contrôler la bonne utilisation de l'argent public. Il serait ainsi intéressant d'avoir une évaluation de notre relation avec la Chine en matière d'aide publique au développement, réalisée par l'AFD. Peut-être nous trompons-nous dans notre analyse, mais les réticences formulées par le Sénat sont les mêmes que celles formulées par l'Assemblée Nationale.
Veillons à ce que l'aide aux pays les plus pauvres reste prioritaire. Certes, le continent africain s'en sort mieux que nous en matière de COVID, mais on y observe toujours le lien entre les tensions politiques, la pauvreté et le sous-développement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes - Désignation d'un rapporteur
M. Christian Cambon, président. - La commission a nommé M. Gilbert Bouchet rapporteur du projet de loi n° 485 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.
La réunion est ouverte à 11 heures 30.
Projet de loi de finances pour 2021 - Audition du général François Lecointre, chef d'état-major des armées (en téléconférence)
M. Christian Cambon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, pour la première fois devant notre commission renouvelée, le général François Lecointre, chef d'état-major des armées. Nous sommes en nombre restreint, pour respecter les contraintes sanitaires, et certains de nos collègues nous suivent en visioconférence.
Merci de vous être rendu disponible pour cette audition traditionnelle, au moment de débuter l'examen du projet de loi de finances. Avant toute chose, je voudrais vous redire, au nom de la commission, combien nous souhaitons, par votre intermédiaire, transmettre un message de confiance et de remerciement à nos forces armées qui représentent la France sur les cinq continents et sur tous les océans, toujours dans une mission de recherche de la paix. Nous savons qu'ils le font avec courage et dévouement. Je souhaite que ce message leur soit transmis pour qu'ils comprennent que le Parlement, et plus particulièrement le Sénat et notre commission, est à leurs côtés. Nous n'oublions pas que le Parlement vote solennellement la prolongation des opérations extérieures (OPEX) au-delà de quatre mois. Nous nous sentons donc aussi responsables non seulement de leurs conditions de vie, mais aussi de leurs équipements et de leur sécurité. C'est bien le sens de la mission que nous allons exercer à travers l'examen du budget.
Le budget est aussi la traduction concrète de l'application de la loi de programmation militaire (LPM). La ministre des armées nous a présenté hier les grandes lignes du budget. Les chiffres qui nous ont été donnés semblent témoigner de la juste application des principes énoncés dans la LPM, ce dont nous nous réjouissons. Encore une fois, c'est bien la condition militaire qui nous importe.
À cet égard, nous avons été particulièrement émus des événements récents qui se sont déroulés au Mali. Si nous nous réjouissons du retour d'une otage française sur le territoire national, quels que soient ses choix futurs, je tiens à vous faire part de notre inquiétude sur les conditions de cette libération. Les autorités maliennes ont ainsi libéré un nombre tout à fait significatif de délinquants, dont certains sont des terroristes confirmés ayant du sang sur les mains, notamment celui de nos ressortissants.
En tant que responsables de la défense, au sein de notre commission, nous avons une pensée plus particulière pour les soldats qui se battent, pour leurs familles et pour les familles des soldats blessés ou tués. Nous nous interrogeons sur les conditions réelles de ces libérations. Quelles motivations ont pu conduire la junte malienne actuellement au pouvoir à réaliser cette opération ? Nous avons été extrêmement choqués de voir comment ces terroristes ont été fêtés par l'un de leurs dirigeants, terroriste parmi les plus recherchés par notre pays. Ce sentiment est partagé dans l'ensemble des groupes de notre commission.
Je reviens au thème de notre audition qui concerne les questions budgétaires. Je laisserai mes collègues vous interroger, mais je voudrais rappeler deux préoccupations fortes : 2021 sera l'année de l'actualisation de la LPM. La commission s'y prépare et a déjà mené plusieurs travaux en ce sens. Nous souhaitons que cette actualisation prenne la forme d'une loi. Selon vous, est-ce bien l'intention du Gouvernement ? Vous vous souvenez combien le Parlement, et singulièrement le Sénat, a permis de solidifier les engagements de la LPM qui permettent de remettre à niveau nos forces armées qui en ont tant besoin.
D'autre part, à travers cet exercice budgétaire 2021, nous attendons un certain nombre d'arbitrages sur des grands sujets. Je pense au porte-avions de nouvelle génération qui a fait l'objet d'un premier rapport. Je pense également à l'avenir du sous-marin nucléaire d'attaque la Perle : quand va-t-on décider si ce sous-marin doit faire l'objet de réparations et connaître les conséquences de cet accident sur l'ensemble des forces sous-marines ?
Nous nous interrogeons bien évidemment sur la commande des Rafale supplémentaires à la suite du contrat grec : si l'on se réjouit de voir, à travers la mise à disposition d'un certain nombre d'appareils d'occasion et la vente de six Rafale neufs, une brique supplémentaire à la construction de l'Europe de la défense, il convient qu'elle ne se fasse pas au détriment de nos forces aériennes. Nous serons demain sur la base d'Évreux et nous voulions connaître votre sentiment sur les conséquences pour l'armée de l'air. Pensez-vous que nos industriels pourront réellement augmenter les cadences de production pour rattraper au plus vite ce départ des Rafale qui vont être mis, pour partie, à disposition de la Grèce dès l'été prochain ?
Je vous laisse la parole, mon général.
Général François Lecointre, chef d'état-major des Armées. - Je voudrais tout d'abord vous adresser mes félicitations, monsieur le président, pour votre réélection, ainsi qu'aux nouveaux sénateurs qui rejoignent cette commission aussi essentielle pour nous.
Vous avez souligné, à juste titre, le rôle du Parlement. Les armées sont très attachées à ce que les parlementaires aient une vision la plus claire possible de l'état de leur reconstruction et de leurs engagements. Il est très important pour nous de nous sentir soutenus par la société française dont vous êtes l'émanation. Ce rendez-vous traditionnel est extrêmement important. J'ai d'ailleurs, à chaque fois, beaucoup de plaisir à échanger avec les sénateurs, comme avec les députés.
Je voudrais tout d'abord revenir sur la libération des prisonniers détenus dans les prisons maliennes en contrepartie de la libération d'otages, notamment Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé. Que les choses soient bien nommées : notre adversaire n'est pas un groupe armé d'opposition au régime malien. Il s'agit bien d'une organisation terroriste internationale. Les groupes terroristes que nous combattons au Mali ont fait allégeance à Al-Qaida et visent à contrevenir directement à la sécurité des Français et sur le territoire national et à l'étranger.
De la même façon, on ne peut comparer ces personnes aux militaires français. Nos soldats appartiennent à une armée régulière. Ils se battent dans le respect du droit international, dans le respect du droit de la guerre, en maîtrisant leur violence, guidés en permanence par une éthique particulièrement exigeante. En aucun cas on ne peut comparer la façon dont nos soldats remplissent admirablement leur mission au comportement des groupes armés terroristes auxquels nous sommes confrontés. Des soldats français n'auraient jamais l'idée, pour obtenir la libération de leurs prisonniers, de prendre des otages dans la population civile !
Certains propos qui ont été tenus au moment de la libération de Mme Pétronin risquent de fausser l'appréciation que l'on doit avoir de la situation au Mali et de l'engagement des armées françaises. Notre engagement reste guidé par la volonté d'abattre l'hydre terroriste et de garantir la sécurité des Français. Soyez assurés que nous adresserons, avec la ministre des armées, ce message à nos soldats. Il doit être très clair pour l'ensemble des familles qui ont perdu des leurs dans les combats que nous menons au Mali depuis des années que nous ne déviions pas de ligne, que notre combat reste le même et qu'il est tout aussi légitime qu'il l'était.
En ce qui concerne cette libération d'otages, je confirme que la France n'a en rien été impliquée dans des négociations d'aucune sorte avec ce groupe terroriste que nous continuerons de combattre avec la dernière détermination.
En février dernier, devant l'École de guerre, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de doter la France « d'un outil de défense complet, moderne, puissant, équilibré, mis en oeuvre par des armées réactives et tournées vers l'avenir ». Il a confirmé, à cette occasion, « un effort budgétaire inédit » au service de cet objectif, à savoir la loi de programmation militaire 2019-2025. Cette troisième annuité de la LPM confirme la volonté présidentielle.
Notre objectif n'a pas changé : disposer, à l'horizon 2030, au terme d'une deuxième loi de programmation, d'un modèle d'armée complet qui permettra de garantir le maintien de la crédibilité de la dissuasion nucléaire et d'engager les armées françaises à la fois dans la situation opérationnelle de référence et dans une hypothèse d'engagement majeur dimensionnant pour nos forces.
Le niveau d'engagement des armées reste élevé, particulièrement cette année en raison du surge décidé par le Président de la République, débuté fin janvier dernier.
Depuis le début de l'année, un peu plus de 7 800 hommes sont engagés chaque jour en opération extérieure et 12 500 sur le territoire national.
Pour l'armée de terre, l'opération Barkhane représente plus de 500 véhicules blindés - lourds et légers - et plus de 400 véhicules logistiques - camions de transports et de dépannage, moyens de manutention...
Aujourd'hui, 110 véhicules de l'avant blindé (VAB) Ultima sont déployés sur le théâtre pour un parc total de 290 véhicules et pour un parc opérationnel de 211. Un peu plus de 50 % de nos VAB Ultima opérationnels sont déployés en opérations extérieures. Il est donc particulièrement important de remplacer ces équipements indispensables pour l'emploi des forces dans le cadre de cette loi de programmation. Il est essentiel de parvenir à un niveau de performance de ces équipements qui garantisse à la fois l'efficacité de nos armées et la protection de nos soldats.
Pour la marine, l'opération Irini a vu l'engagement de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville. Cette frégate, admise en service actif en 1990, sera remplacée dans ses fonctions de lutte anti-sous-marine par la frégate La Fayette Courbet rénovée, le temps de voir arriver la série des cinq premières frégates de défense et d'intervention dont la commande est prévue en 2021.
Les chiffres de l'engagement de certaines capacités phares sur l'année parlent d'eux-mêmes : les trois porte-hélicoptères amphibies et les six frégates multimissions (Fremm) totaliseront chacun, d'ici à la fin de l'année, plus de 130 jours de mer en moyenne. Ces chiffres sont à rapprocher de la norme définie par la LPM de 110 jours par bâtiment. On voit là le poids des engagements opérationnels sur notre modèle d'armée, les opérations Résilience et Amitié s'étant notamment ajoutées aux opérations extérieures.
Les Fremm sont régulièrement engagées dans les opérations en Atlantique Nord, en Méditerranée et dans le détroit d'Ormuz pour l'opération Agenor.
Pour l'armée de l'air et de l'espace, le cas du drone Reaper est significatif. Nous possédons aujourd'hui trois systèmes : deux sont déployés à Niamey dans le cadre de l'opération Barkhane, le dernier est mis en oeuvre en métropole pour la préparation opérationnelle. La livraison d'un quatrième système nous permettra de ramener le taux de projection de cette capacité à 50 %. Il y a donc urgence et nécessité absolue de respecter le cadencement des livraisons prévu par la loi de programmation militaire.
La LPM a constitué un véritable ressort de sortie de crise et un outil de rebond. En liaison avec la DGA, c'est en nous appuyant sur la LPM que nous avons pu identifier en amont le potentiel de rebond et reprendre, dès la fin du confinement, la gestion 2020 en procédant au lancement d'opérations en substitution des annulations rencontrées.
L'évaluation provisoire des effets de la crise sanitaire est de 1,1 milliard d'euros de moindres paiements en 2020, compensés par 300 millions d'euros de dépenses supplémentaires liées à la crise et par la mobilisation de mesures nouvelles à hauteur de 800 millions d'euros.
L'intégralité des crédits non consommés a été redéployée au profit d'un plan de rebond comprenant principalement des crédits destinés au soutien de la filière aéronautique et se traduisant par des commandes anticipées d'avions, d'hélicoptères et de drones militaires. Il s'agit d'apporter ainsi un soutien concret et immédiat à la préservation de l'emploi, en particulier dans les PME de la filière, et de conserver les objectifs de livraisons capacitaires globaux de la loi de programmation militaire. Nous retomberons sans doute sur nos pieds mi-2021, voire fin 2021.
Figurent parmi ces commandes anticipées trois avions de transport stratégique A330 qui seront transformés à terme en avions ravitailleurs multirôle (MRTT), avec deux livraisons dès 2020, un avion léger de surveillance et de renseignement, avec notification avant fin 2020, et enfin des drones de surveillance navals, là aussi avec notification avant fin 2020.
Sur le plan des effectifs, nous avons pu limiter les effets de la crise avec une reprise très dynamique des recrutements. L'armée de Terre estime qu'elle aura réalisé son plan de recrutement à 98 % d'ici à la fin de l'année. Par ailleurs, un ralentissement des sorties permet d'envisager l'atteinte des cibles d'effectifs pour la fin d'exercice.
Enfin, l'exécution de la LPM constitue un levier essentiel au soutien de l'économie et des territoires. Les armées et leurs soutiens en région représentent un budget de fonctionnement de 3,7 milliards d'euros. La plupart des marchés de soutien font l'objet de contrats passés localement avec des TPE ou des PME.
Pour l'armée de l'air et de l'espace, les livraisons d'aéronefs ont été conformes aux commandes : un A400M Atlas, ce qui permet à la flotte de passer à dix-sept appareils ; un avion-ravitailleur multirôles MRTT Phénix qui permet de faire passer la flotte à trois appareils sur une cible de quinze ; un C130J qui permet de faire passer la flotte à quatre appareils et d'atteindre ainsi notre objectif 2025. Ces livraisons nous offrent une amélioration des capacités d'appui aux opérations avec le transport stratégique et tactique et le ravitaillement en vol, capacités extrêmement sollicitées aujourd'hui, notamment au Sahel ou dans d'autres cadres comme l'opération Hamilton.
L'armée de terre devrait recevoir quatre-vingt-dix Griffon d'ici à la fin de l'année. Le plan de livraison initiale prévoyait 128 véhicules Griffon, mais nous rattraperons ce retard l'an prochain.
Pour la marine, nous aurons un Atlantique 2 rénové déjà livré ; un second le sera d'ici à la fin de l'année, ce qui permet de faire face à la complexification de la lutte anti-sous-marine.
En termes de cohérence générale de notre modèle, 200 missiles à moyenne portée ont été livrés en 2020. Nous disposerons ainsi de stocks suffisants pour les opérations en cours et pour garantir la réactivité de nos armées en cas de nouvelles interventions.
Ce projet de loi de finances confirme l'ambition rappelée par le Président de la République en passant de 32,2 milliards d'euros en 2017 à 39,2 milliards en 2021. Cette évolution est conforme à la LPM. Il s'agit d'un effort manifeste dont nos forces commencent d'ores et déjà à sentir les premiers effets. Je mesure bien l'exigence qui pèse sur les armées face à cet effort budgétaire sans précédent.
Le renouvellement des capacités opérationnelles se fait selon deux axes : modernisation et réparation.
Certaines capacités arrivent aujourd'hui à obsolescence. Je pense notamment aux véhicules de l'avant blindé d'évacuation sanitaire dont le niveau de protection est insuffisant ou aux hélicoptères Alouette 3 de la marine nationale dont le remplacement est inéluctable compte tenu de leur âge et de leurs performances.
Dans le cas des hélicoptères de la marine, nous sommes contraints de recourir à la mise en place d'une flotte intérimaire H160 et Dauphin, par contrat de location, pour éviter une rupture capacitaire entre le retrait des Alouette et l'arrivée de l'hélicoptère interarmées léger (HIL). En 2021, trente HIL seront commandés au profit des trois armées.
Face à la menace IED au Sahel, nous avons d'ores et déjà déployé 14 VAB au standard contre-IED en bande sahélo-saharienne et commandé la mise à un standard contre-IED supérieur de 45 VAB supplémentaires. Cette solution vise à nous permettre de tenir jusqu'à l'arrivée des nouveaux véhicules d'évacuation sanitaire Scorpion, Serval ou Griffon à partir de 2023.
Je ne vais pas vous détailler ici l'ensemble des livraisons attendues en 2021 pour m'en tenir à certaines livraisons emblématiques.
Nous prévoyons l'admission au service actif, en 2021, du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Suffren, premier de série du programme Barracuda dont la cible est de six bâtiments. Le Suffren remplacera un SNA de la classe Rubis et apportera de nouvelles capacités de frappe contre terre, une meilleure mise en oeuvre de forces spéciales et l'amélioration des qualités acoustiques, ce qui nous permettra de maintenir la capacité sous-marine française au premier niveau mondial.
En 2021, 157 Griffon viendront remplacer des VAB, dont certains datent des années quatre-vingt. Notre objectif est la projection d'un premier groupent tactique interarmes Scorpion fin 2021 au Sahel, avec une trentaine de Griffon qui remplaceront autant de VAB déployés et qui apporteront non seulement une meilleure protection et mobilité à nos soldats, mais aussi des capacités de numérisation à même de faire considérablement évoluer la manoeuvre d'infanterie.
Nous recevrons les vingt premiers Jaguar, équipés d'un canon de 40 millimètres, qui remplaceront une partie du parc d'AMX 10 RC vieillissants et arrivés au bout de leurs capacités d'évolution.
Nous avons enfin prévu la livraison de trois MRTT afin de poursuivre la rationalisation de la capacité de transport stratégique et de ravitaillement en vol et de conforter les contrats opérationnels, notamment ceux liés à la dissuasion nucléaire. Nous disposerons fin 2021 d'un parc de six engins, ce qui nous permettra de poursuivre le retrait de service d'équipements anciens, notamment des KC135 commandés par le général de Gaulle...
Le second axe repose sur la réparation, par comblement des ruptures ou des réductions capacitaires et restauration de la cohérence du modèle.
La livraison de quatorze mirages 2000D rénovés, dont l'avionique a été modernisée et l'armement diversifié, est prévue afin d'améliorer les capacités de bombardement et d'appui feu. Vous voyez bien tout l'intérêt que cela présente, par exemple, dans le cadre de l'opération Barkhane.
Je pense également à la livraison d'une frégate La Fayette rénovée - le Courbet -, équipée d'un sonar de coque lui donnant les capacités de détection sous-marines qui lui faisaient défaut afin de maintenir notre capacité de quinze frégates de premier rang, en attendant son remplacement par une frégate de défense et d'intervention.
Pour ce qui concerne la restauration de la cohérence, nous recevrons, en 2021, 12 000 armes individuelles du fantassin et 650 paires de jumelles de vision nocturne Onyx, poursuivant ainsi le renouvellement de cet équipement qui occupe une place centrale dans la capacité du combattant, mais aussi dans son moral.
Nous recevrons également un lot de missiles de croisière navals pour SNA Barracuda et dix-huit missiles Aster 30 pour la Fremm de défense aérienne.
Nous aurons aussi la livraison de 440 A2SM et de 14 pods de désignation laser Talios qui permettront d'améliorer les capacités de nos Rafale, en particulier dans le domaine de l'appui aérien rapproché. Il s'agit, là encore, de veiller à la cohérence d'un modèle qui ne passe pas seulement par des plateformes principales, mais aussi par des équipements d'accompagnement indispensables à l'emploi opérationnel.
Nous avons également le souci de préserver l'effort de préparation opérationnelle. Pour l'année 2020, les niveaux seront globalement atteints, en dépit de l'impact fort de la crise sanitaire. Ainsi, l'armée de terre devrait atteindre un niveau de soixante-dix-huit jours de préparation opérationnelle par homme d'ici à la fin de l'année, pour une cible initiale de quatre-vingt-un jours par homme et un objectif final, en 2025, et quatre-vingt-dix jours.
Pour les pilotes de chasse de l'armée de l'air et de l'espace, on devrait atteindre un niveau de 151 heures de vol par pilote contre 164 prévues, avec un objectif de 180 heures en 2025.
Enfin, nous devrions être au-dessus pour les bâtiments de combat de haute mer de la marine nationale : 102 jours de mer contre un objectif de 96 jours pour cette année et 100 en 2025.
Les objectifs de préparation opérationnelle pour 2021 sont ambitieux, c'est une nécessité. Ils sont indispensables à l'atteinte de nos objectifs opérationnels dans nos engagements extérieurs et à la préservation de la vie de nos hommes. Une armée mal entraînée est une armée qui court des risques en opération. Je suis optimiste quant à leur atteinte.
La préparation de l'avenir est complémentaire de cette restauration de capacité, de ce renouvellement et de cette réparation. Elle nous oriente également vers ce que seront les armées en 2040. La LPM actuelle ne va pas d'emblée se traduire par des livraisons de capacités d'avenir, mais doit en préparer le lancement.
Je pense bien évidemment aux grands programmes structurants SCAF, MGCS et au drone MALE européen. Nous avons l'intention de structurer la coopération internationale autour de ces grands projets, de fédérer nos partenaires autour de la France et de créer ainsi une véritable souveraineté européenne.
Sur ce chemin, le besoin de plusieurs capacités que nous avions identifié se révèle plus urgent qu'initialement anticipé. Ainsi, dans le domaine informationnel ou dans le domaine cyber, nous devons investir dès aujourd'hui pour développer nos capacités opérationnelles. Il ne s'agit pas de combler des ruptures capacitaires, mais bien de se doter de nouvelles capacités : moyens de lutte informatique défensive et offensive. Le budget cyber sera ainsi porté à 201 millions d'euros en 2021.
C'est également le cas de l'espace avec un budget de 624 millions d'euros. Nous prévoyons le lancement de la construction des infrastructures du commandement de l'espace auquel nous souhaitons ajouter un centre d'excellence de l'OTAN et la livraison de satellites d'observation, de télécommunication et une première capacité d'écoute spatiale avec les trois satellites du système Ceres.
Enfin, 2021 sera la première année du cadre financier pluriannuel pour le fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros, avec l'élaboration d'un programme de travail avec la Commission pour développer des projets capacitaires en coopération.
La préparation de l'avenir, c'est également l'innovation de défense avec une organisation et des méthodes nouvelles. L'objectif est d'accélérer le développement et le déploiement des innovations auprès des utilisateurs, d'optimiser et de fluidifier les processus et de conserver une capacité d'adaptation indispensable.
Les moyens associés s'élèveront à 922 millions d'euros en 2021. Le système reposera sur un fonctionnement volontairement décentralisé avec un réseau d'innovation dans les territoires composés des « laboratoires d'armées » et des centres de la DGA. Enfin, le fonds Definnov, doté de 200 millions d'euros en 2021, est un outil important qui permettra d'orienter les financements disponibles vers la participation au développement de technologies duales prometteuses.
En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, le projet de loi de finances pour 2021 confirme l'effort important sur nos crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) pour améliorer nos taux de disponibilité, régénérer nos matériels et, à terme, remonter l'activité vers les normes prévues par la LPM.
Conformément à l'effort de reconstruction porté par des investissements pluriannuels, les crédits d'EPM augmenteront de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement. Ils nous permettront en particulier de poursuivre la verticalisation des contrats mis en oeuvre par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé).
Les équipements de proximité sont importants. Financés au titre du programme 146, mais également à celui du programme 178, ils profitent directement à nos soldats et à l'amélioration des conditions d'exercice de leur mission. Je pense notamment à la livraison de gilets pare-balles appelés structures modulaires balistiques (SMB). Il s'agit d'un programme important en termes de garantie de la sécurité. Ces SMB permettront à nos soldats de bénéficier d'une ergonomie améliorée et d'une grande modularité.
Ce programme bénéficie sur la durée de la LPM d'un effort financier de près de 140 millions d'euros pour l'acquisition de 109 000 SMB. À ce jour, 13 200 structures modulaires balistiques ont été livrées.
Le treillis F3, issu du programme Félin, marque un saut qualitatif avec une protection renforcée contre le risque « feu » et une meilleure résistance. Mis en place au profit des forces en opération extérieures depuis 2019, ce nouveau treillis est en cours de déploiement dans les unités Félin de l'armée de terre et doit être généralisé progressivement à partir de 2024, avec une cible d'acquisition de 1 400 000 treillis pour un coût de près de 200 millions d'euros. À ce jour, 411 860 treillis F3 ont été livrés.
De même, nous avons passé commande de 15 000 pistolets semi-automatiques.
En ce qui concerne les infrastructures, le budget confié aux armées, directions et services dans ce domaine très sensible augmente de 55 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 70 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui nous permettra d'améliorer progressivement les conditions de travail et d'accueil dans les régiments, ports et bases aériennes. L'effort bénéficiant aux hébergements se poursuit également en 2021, avec 256 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 95 millions d'euros de crédits de paiement.
La singularité de la condition militaire n'est pas liée uniquement à des questions de statut et de rémunération, aussi importantes soient-elles.
La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) va être lancée l'année prochaine, dans des proportions que nous souhaitions tous plus importantes. Toutefois, il s'agit d'un premier objectif calendaire atteint avec 38 millions d'euros prévus pour nouvelle indemnité de mobilité géographique. Cette revalorisation, certes mesurée, est indispensable au soutien à la mobilité et donc à la fidélisation.
Au-delà, c'est la mise en oeuvre de l'ensemble de la NPRM que j'appelle de mes voeux, sans retard supplémentaire et au niveau de financement prévu, afin de donner aux armées les leviers dont elles ont besoin en termes de ressources humaines.
Les principes de la singularité sont la disponibilité, la discipline, la réactivité, l'autonomie et une éthique propre. Faire face à l'imprévu suppose la restauration de conditions d'organisation et de fonctionnement des armées. Nous y travaillons avec la ministre depuis trois ans avec des résultats importants - application du principe de subsidiarité, restauration d'une sorte de verticalité des soutiens sous l'autorité des unités de terrain... Il s'agit d'un sujet de fond qui vise également à restaurer la capacité des armées. Je sais que vous suivez ces questions avec attention. Encore une fois, ne limitons pas cette singularité à des questions de rémunération et de statut.
Je dirai enfin un mot de la préparation opérationnelle. La loi de programmation militaire va restaurer et réparer des capacités, préparer l'avenir. Elle est aussi ambitieuse pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD). La préparation opérationnelle est tout aussi essentielle pour garantir l'efficacité de nos armées.
L'annuité 2021 me semble en cohérence avec les deux premières années de la loi de programmation militaire. Elle nous permettra d'atteindre l'ambition opérationnelle que j'évoquais au début de mon propos et à laquelle je n'imagine pas que la France puisse renoncer à l'horizon 2030 au regard de l'évolution du contexte géopolitique et de sa dégradation extrêmement rapide.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie, mon général, de cette présentation très complète des moyens mis à votre disposition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Je laisse maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger.
M. Philippe Paul. - J'ai interrogé hier la ministre des armées sur l'intérêt de la Croatie pour l'achat de douze Rafale, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Si je calcule juste, avec le contrat grec, vingt-quatre avions de nos escadres, soit 25 % de nos capacités opérationnelles, pourraient être vendus à l'étranger. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce sujet ?
Mme Vivette Lopez. - Le ministre de la justice a tout récemment évoqué une solution d'encadrement militaire pour les mineurs et les jeunes majeurs délinquants. Que pensez-vous de cette idée qui n'est pas si nouvelle ?...
Par ailleurs, que préconiseriez-vous pour que la France conserve la maîtrise des flux maritimes nécessaires à son économie ?
M. Cédric Perrin. - Merci de vos propos très forts et très clairs sur la situation au Mali, mon général.
Je voudrais compléter la question de Philippe Paul en vous demandant où seront prélevés les Rafale promis à la Grèce. Si la décision n'est pas encore arrêtée, quelles sont les différentes options envisagées ? Quel pourrait être, in fine, l'impact du contrat en cours de négociation avec la Grèce en termes opérationnels ?
Vous connaissez mon attachement à la question des drones. Dans le conflit du Haut-Karabagh, il semblerait que l'Azerbaïdjan utilise des drones suicides israéliens. Il s'agit de munitions à distance, soit guidées, soit programmées, qui s'écrasent sur leur cible avec des effets dévastateurs. L'usage de drones armés turcs est également de plus en plus évoqué. Que pensez-vous de ce type d'armement ? Les usages qui en sont faits deviennent-ils symptomatiques des conflits de demain ? Nous sommes loin des drones rudimentaires dotés d'une charge explosive que l'on a déjà pu observer sur certains théâtres d'opérations. Des groupes armés terroristes pourraient-ils, à l'avenir, mettre la main sur ce type d'engins ? Est-on prêt à affronter ce type de menace et comment envisagez-vous d'y répondre ?
M. Olivier Cigolotti. - Vous avez évoqué la problématique de l'entretien des matériels et notamment la question de la verticalisation des contrats. Notre commission a pu observer un net accroissement des coûts horaires de maintenance qui impactent assez largement l'effort financier budgétaire initialement prévu dans la LPM. Sans tenir compte de l'augmentation de ces coûts horaires sur l'entretien programmé, sans tenir compte non plus du coût de réparation de la Perle et du surcoût lié à l'utilisation d'aéronefs vieillissants, le compte n'y est pas : 900 millions d'euros manquent d'ores et déjà.
L'actualisation de la précédente LPM avait nécessité une inscription budgétaire supplémentaire d'environ 500 millions d'euros. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la clause de révision de cette LPM au titre de l'année 2021 ?
M. André Gattolin. - Mon général, vous avez évoqué la préparation de l'avenir et l'horizon 2040. Nous parlons beaucoup des conflits de demain, du rôle de l'espace, de la robotique et des drones. Il est aussi un sujet important, celui de notre défense maritime, la France possédant la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde. Nous assistons aujourd'hui à un accroissement des tensions moins terrestres que maritimes - je pense notamment à la mer de Chine méridionale ou à la Méditerranée orientale. Cette situation implique-t-elle une évolution ou une réorientation de nos forces armées ? Faut-il renforcer notre marine et notre aéronavale ou les équilibres définis dans la LPM sont-ils toujours pertinents ?
M. Pascal Allizard. - Nous pouvons tous nous réjouir de constater que l'enveloppe progresse conformément à la trajectoire. Le diable se cache dans les détails, paraît-il : attendons donc de voir si certains détails méritent d'être explorés...
Pensez-vous, mon général, que nous disposons réellement, avec ce budget, des moyens militaires nécessaires pour faire face à la montée des tensions en Méditerranée orientale et dans le Caucase ?
M. Jacques Le Nay. - Le plan de relance globale de 100 milliards d'euros présenté par le Gouvernement en septembre dernier ne comprend pas de volet spécifique pour la base industrielle et technologique de défense (BITD). Depuis la pandémie, la BITD est confrontée à une grave crise économique. Comment garantir, à long terme, le maintien de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique si notre industrie militaire n'est pas sauvegardée ?
Mme Gisèle Jourda. - Je voudrais tout d'abord vous transmettre la question de Mme Conway-Mouret : nos pays européens font face à des risques divers, mais il leur manque une vision stratégique et une culture opérationnelle communes qui leur permettraient de répondre ensemble aux menaces qu'ils identifient. Les initiatives se sont multipliées, ces dernières années, au sein et en dehors des institutions européennes comme la création de l'initiative européenne d'intervention (IEI) ou la boussole stratégique. Mais l'on voit aussi que la France demeure relativement isolée sur le plan politique et diplomatique, notamment au regard de ses positions face aux agissements de la Turquie en Méditerranée orientale. Observez-vous néanmoins des avancées concrètes dans l'élaboration d'une culture stratégique commune au niveau militaire ? Où en est la mise en place de la task force Takuba ? Quel est l'apport concret de l'initiative européenne d'intervention ?
Quant à moi, j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle des réserves militaires, et notamment sur leur apport aux OPEX ? Les réservistes sont engagés sur les théâtres d'opérations au même titre que les militaires.
Général François Lecointre. - La ministre des armées a clairement répondu hier sur la question des Rafale. Je pense que les objectifs 2025 de 129 Rafale pour l'armée de terre seront tenus. Nous regardons comment réaliser les décalages d'engagements du programme 146 à même de garantir le bon déroulement des choses. À ce stade, je ne dispose pas encore du détail des escadrons où seront ponctionnés les avions à livrer. Nous y travaillons, en lien avec le chef d'état-major de l'armée de l'air. Nous ne nous priverons pas de moyens aériens engagés en opération ni de ceux, absolument indispensables, engagés en permanence dans la posture de protection aérienne nationale.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus négliger le poids qu'aura, sur le plan organique, le soutien de ce prospect et de cette vente d'avions à la Grèce. Tous ces sujets sont étroitement étudiés entre l'état-major des armées, l'état-major de l'armée de l'air et le cabinet de la ministre des armées. La mise en place d'une « communauté Rafale » avec la Grèce et d'autres partenaires occidentaux est la garantie d'une interopérabilité extrêmement précieuse. Elle représente aussi un intérêt majeur pour la base industrielle et technologique française.
Il existe effectivement un deuxième prospect croate. Une demande d'offre a été émise en janvier 2020 vers un certain nombre de pays, dont la France. Nous y avons répondu, en septembre dernier, en proposant une cession de douze Rafale d'occasion. Bien évidemment, nous souhaitons des dates de livraison qui s'enchaînent dans le temps avec la cession des Rafale à la Grèce. À défaut, l'effort demandé à l'armée de l'air ne sera pas soutenable.
Si l'ampleur des prospects Rafale devait changer de dimension, la question se posera de l'augmentation des capacités industrielles du groupe Dassault. Il devra alors prendre le risque d'ouvrir des chaînes supplémentaires. De toute évidence, les armées françaises et l'armée de l'air ne peuvent servir d'assurance systématique, comme l'a bien compris l'industriel en question.
Vous avez raison, monsieur Perrin, ce recours de plus en plus important aux drones est inquiétant et nous devons le prendre en compte. Au-delà de l'emploi de drones que l'on peut trouver dans le commerce avec l'emport d'explosifs ou de grenades, comme on a pu le voir sur certains théâtres d'opérations, nous constatons aujourd'hui l'emploi de technologies de plus en plus sophistiquées, accessibles aux groupes armés terroristes ou aux ennemis dits « asymétriques ».
Par ailleurs, ces drones, qui ne sont pas si sophistiqués, constituent une menace importante. Cette situation nous pousse à investir dans la recherche et à développer l'innovation en matière de défense et de lutte anti-drones. Cette menace, qui peut évidemment s'exercer sur le territoire national, est prise très au sérieux par l'état-major des armées et par l'état-major de l'armée de l'air. Nous allons nous doter de meilleures capacités de détection, d'action et de neutralisation.
Madame Lopez, vous m'interrogez sur l'encadrement de délinquants par des militaires, comme l'a évoqué le Garde des sceaux. Je suis toujours très prudent sur ces questions. Mon premier souci est de préserver les capacités des armées, de préserver leurs ressources humaines et de préserver les investissements que la nation consent pour construire un outil de défense efficace. Les armées sont faites pour faire la guerre, non pour participer prioritairement à l'éducation de la jeunesse délinquante.
Un certain nombre d'expérimentations ont déjà été menées depuis une trentaine d'années - je pense au dispositif « Jeunes en équipe de travail », lancé par l'amiral Brac de la Perrière. Il me semble que le rapport entre l'investissement demandé aux armées et les résultats obtenus ont été extrêmement décevants.
Ce que les armées souhaitent faire, c'est essentiellement transmettre leur savoir-faire. Les armées ont une pratique singulière de la discipline, du commandement, de la capacité à créer de la cohésion dont les résultats sont généralement extrêmement satisfaisants. Pour autant, tout cela est orienté vers la mise en oeuvre de la force militaire et dans l'engagement au combat. Former de jeunes délinquants au combat pour ensuite les renvoyer dans la société civile me laisse très circonspect, tout comme la ministre des armées. Bien évidemment, nous sommes prêts à discuter avec le ministère de la justice pour identifier les savoir-faire militaires et les capacités d'éducation propres aux armées qui pourraient être utiles à l'éducation de la jeunesse. Mais, en tout état de cause, les armées sont aujourd'hui calibrées pour être engagées en opérations extérieures ou intérieures. La nation consent un effort important pour les reconstruire dans la perspective d'une ambition opérationnelle de référence qui guide la loi de programmation en cours et la suivante. Ne dispersons pas les moyens et ressources consacrés à un outil dont la vocation est de faire la guerre.
Mme Conway-Mouret m'interroge sur la défense européenne et souligne que la France serait relativement isolée, notamment dans ses prises de position fermes face à la Turquie. Depuis que je suis engagé en tant que général européen, notamment dans le cadre de la mission EUTM Mali, je constate un progrès substantiel de la culture de défense de l'Union européenne. Comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, nous disposons désormais d'un fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros - ce n'est pas rien. Des dispositifs de coopération structurelle permanente ont été mis en place et 46 projets arrêtés entre 2017 et 2019, la France étant présente dans 35 d'entre eux. Nous avons également un dispositif de vision de la programmation européenne, guidé par le Headline goal, qui va orienter les efforts des Européens. De même, l'initiative européenne d'intervention permet de créer une culture commune. Les missions européennes au Mali, en Centrafrique et en Somalie perdurent. Or, à chaque fois que nous avons voulu les faire évoluer de façon plus opérationnelle, nous avons été entendus par nos partenaires européens.
La mise sur pied de la force Takuba, même s'il ne s'agit pas d'une mission européenne, est un vrai succès. Nous pouvons aujourd'hui être fiers d'avoir réussi à entraîner les Européens à nos côtés dans la résolution de la crise sahélienne. C'est un défi qui dépasse le cadre africain, comme l'ont bien compris l'ensemble des Européens. Le premier task group franco-estonien est aujourd'hui opérationnel. Les Tchèques vont nous rejoindre, tout comme les Suédois. Les Italiens frappent aussi à la porte.
Même si cette construction demeure lente et imparfaite, nous progressons de façon considérable pour mettre en place une culture et des mécanismes à même de nous permettre de définir une politique européenne de défense et de sécurité, avec une véritable ambition militaire opérationnelle européenne.
Nous connaissons bien les freins à cette ambition européenne de défense. Je pense en particulier au procès assez facilement fait à la France de vouloir opposer l'Union européenne à l'OTAN. Mais nous sommes constants dans notre discours : il existe une vraie complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne. L'un n'est pas à opposer à l'autre. Je crois que nous sommes de mieux en mieux entendus.
M. Cigolotti a évoqué l'augmentation des coûts horaires de l'entretien programmé du matériel liée à la verticalisation des contrats. Les coûts augmentent, certes, mais les courbes de disponibilité technique opérationnelle de ces équipements augmentent également. La verticalisation des contrats permet une plus grande sincérité quant au coût réel du maintien en condition opérationnelle. Je ne crois pas qu'il existe d'autres solutions que d'associer les industriels, dans tous les domaines - aérien, naval et terrestre. Nous sommes sur la bonne voie. Faudra-t-il des abondements spécifiques lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en 2021 ? Nous étudierons cette question. Je suis très attentif à préserver le fonctionnement des armées.
Monsieur Gattolin, je suis bien conscient des tensions maritimes dans le Pacifique, en mer de Chine du Sud, en Méditerranée orientale, dans le détroit d'Ormuz, entre la Libye et l'Italie... Toutefois, à ce stade, je ne vois pas de raison de revoir l'équilibre capacitaire qui prévaut dans les deux lois de programmation.
Si l'on peut bouger des curseurs capacitaires ou de construction d'un modèle d'armée, notamment pour faire face à des besoins qui émergent brutalement - lutte informationnelle, lutte cyber, espace... -, il ne faut pas revenir en permanence sur de grands équilibres qui me semblent satisfaisants.
M. Allizard m'interrogeait sur les moyens nécessaires à engager dans le Caucase. Je ne vois pas de raison, aujourd'hui, pour que la France s'engage dans cette région. La France est par contre en mesure de participer à une négociation internationale, de par son statut de puissance importante, qui permettrait d'aboutir à un cessez-le-feu durable.
Pour autant, cette crise est révélatrice de ce qui est en train de se passer et que nous avions annoncé dans la revue stratégique de 2017. Elle illustre parfaitement l'attitude de plus en plus décomplexée de la Turquie, laquelle saisit chaque occasion de manifester sa puissance et sa capacité de nuisance sur l'ensemble du bassin méditerranéen, au Moyen-Orient, dans le Caucase et en mer Noire. C'est un vrai sujet. Continuons de consolider notre modèle d'armée, cela s'avère de plus en plus nécessaire.
La loi de programmation militaire a aussi été construite en fonction des capacités que nous devons faire monter en puissance. Si on nous disait que l'on allait tout de suite arriver à 2 % du produit intérieur brut, selon les des conditions qui prévalait avant la pandémie, je ne sais pas si nous en serions capables, ni si les industriels de l'armement en seraient capables. Nous sommes déjà passés à 40 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021. Il s'agit d'une croissance importante que les armées doivent absorber. Le rythme de montée en puissance tient compte de notre faculté à accueillir de nouvelles capacités, à faire monter en puissance les ressources humaines, à les entraîner, à les former alors même que nous sommes engagés en permanence. Le simple fait d'équiper un régiment d'un parc de Griffon, c'est-à-dire de véhicules entièrement nouveaux, implique des efforts en termes d'infrastructures, de formation des équipages et des mécaniciens. C'est une contrainte importante pour un régiment déjà engagé par ailleurs.
Je suis très attaché à ce qu'on s'en tienne à la réalisation de la loi de programmation militaire en toute rigueur, totalement, en respectant le rythme fixé. Je ne pense pas que nous soyons capables de monter en puissance beaucoup plus rapidement.
M. Le Nay regrettait que les armées n'aient pu profiter du plan de relance. Toutefois, la loi de programmation militaire, qui a été rigoureusement construite, correspond à un effort national important et à une volonté politique fermement réaffirmée, à plusieurs reprises. Je veux surtout éviter que, pour profiter d'un effet d'aubaine, nous remettions en question la solidité et la construction très rigoureuse de la LPM.
Notre capacité d'engagement et la bonne visibilité que nous offre cette loi de programmation militaire nous ont permis de décaler certaines opérations et d'en avancer certaines de façon à ne pas limiter nos engagements et à ne pas perdre le bénéfice de l'accroissement de nos capacités militaires, malgré la crise sanitaire.
Madame Jourda, les réservistes qui sont engagés en opérations le sont uniquement à titre individuel - c'est important. Aujourd'hui, plus de 3 000 réservistes en moyenne sont engagés tous les jours, principalement sur le territoire national. Je ne sais pas exactement combien sont engagés en opérations extérieures. Il s'agit de compléments individuels, généralement d'anciens militaires avec des compétences particulières. Selon moi, la réserve doit être engagée en priorité sur le territoire national, ce qui est plus compatible avec une vie professionnelle classique.
M. Christian Cambon, président. - Les analyses que vous nous faites partager sont tout à fait passionnantes. Merci de nous avoir fait part de tous ces éléments, mon général.
Comme je l'ai souligné, notre objectif, pour 2021, est de suivre pas à pas l'actualisation de la LPM. Les éléments que vous nous avez donnés, après ceux dont nous a fait part, hier, la ministre des armées, nous permettent d'être confiants. Nous restons vigilants, car nous connaissons un ministère qui se trouve rive droite et qui n'a pas toujours de bonnes intentions... Nous serons là pour vous assurer que les engagements pris par le Président de la République, et auxquels je crois personnellement, soient bien tenus.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 10.