- Mardi 10 novembre 2020
- Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière - Examen du rapport en nouvelle lecture et élaboration du texte de la commission
- Projet de loi de finances 2021 - Examen des rapports sur les missions « Gestion des finances publiques », « Crédits non répartis », « Transformation et fonction publiques » et sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État »
- Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Action extérieure de l'État » (et article 53 A)
- Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Aide publique au développement » (et article 53) et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers »
- Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 68 et 69)
- Jeudi 12 novembre 2020
- Projet de loi de finances 2021- Examen des articles de la première partie - Tome II du rapport général
- Quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 - Examen du rapport
- Projet de loi de finances 2021- Examen du rapport sur la mission « Enseignement scolaire » (et article 54 septies)
- Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et information administrative »
- Quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion
- Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Outre-mer »
Mardi 10 novembre 2020
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière - Examen du rapport en nouvelle lecture et élaboration du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons démarrons cet après-midi par l'examen du rapport en nouvelle lecture sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue).
M. Jean Bizet, rapporteur. - Mes chers collègues, nous sommes réunis à nouveau pour examiner le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Comme vous le savez, le 22 octobre dernier, la commission mixte paritaire (CMP) n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun. Ce sont les dispositions de protection des consommateurs sur les plateformes numériques, prévues à l'article 4 bis, qui ont constitué la pierre d'achoppement. Les députés de la majorité n'ont pas souhaité reprendre ces dispositions, issues elles-mêmes d'une proposition de loi de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, estimant inopportune une initiative française en la matière. Les députés privilégient un accord européen - que nous appelons tous de nos voeux -, mais qui risque de prendre du temps à être trouvé.
C'est pourquoi, la semaine dernière, le projet de loi a été examiné à nouveau par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, sur la base du texte qu'elle avait adopté en octobre dernier. Sur les trente-quatre articles restant en discussion, l'Assemblée nationale en a adopté vingt-cinq sans modification. Sans surprise, elle a maintenu la suppression de l'article 4 bis. Huit articles ont par ailleurs été adoptés avec des modifications, tandis que l'article 16 a été rouvert pour corriger une référence, afin de tenir compte d'un texte entré en vigueur entretemps. Pour mémoire, en première lecture, l'examen de douze articles avait été délégué à la commission des affaires économiques, qui ne s'est pas saisie en nouvelle lecture. Il me revient donc de vous faire part de mon point de vue et de mes propositions sur l'ensemble du texte restant en discussion.
Étant donné que nous avons déjà eu l'occasion de les évoquer, je ne reviendrai pas de façon exhaustive sur les différentes modifications adoptées par l'Assemblée nationale en première, puis en nouvelle lecture. Je souhaiterais insister sur deux points.
Concernant l'article 13, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a étendu le périmètre de la demande initiale d'habilitation. Il s'agit de transposer une directive adoptée en octobre dernier : le Gouvernement entend ainsi profiter du texte en navette pour y glisser une nouvelle habilitation. Cela ne me semble pas être une manière de procéder et pose de surcroît des difficultés juridiques au regard de la jurisprudence dite de « l'entonnoir » du Conseil constitutionnel. Aucune des deux assemblées n'avait été saisie de cette demande d'habilitation en première lecture. C'est pourquoi je vous propose un amendement pour supprimer cet ajout.
Le second point concerne l'article 4 bis, cause de l'échec de la commission mixte paritaire. Nos collègues Sophie Primas et Laurent Duplomb proposent de rétablir l'article 4 bis issu de la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, qui prolonge les articles du projet de loi ayant pour objet de renforcer la protection du consommateur. Je rappelle que cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité par le Sénat et cosignée par plus de la moitié des sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. L'enjeu est à la fois de conférer davantage de pouvoir au consommateur en ligne en ouvrant le champ des possibles et de donner, par voie de conséquence, plus de place à l'innovation sur des marchés numériques dominés par quelques géants. L'amendement propose ainsi de consacrer un principe dit de « neutralité des terminaux » et de favoriser l'interopérabilité des plateformes. Enfin, il prévoit de consacrer un article du code de la consommation à la lutte contre les interfaces trompeuses, toutes ces conceptions d'interface en ligne qui manipulent nos choix - l'exemple type est celui de la case pré-cochée. Notre désaccord en CMP portait sur un point de méthode : le Gouvernement ne veut pas agir au niveau national, car une proposition de texte rejoignant ces orientations doit être présentée début décembre par la Commission européenne. De plus, il semble que le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques souhaite apposer son empreinte sur un texte national, mais c'est méconnaître le fonctionnement communautaire : l'Europe, c'est le temps long, en particulier sur ces sujets d'encadrement du numérique - songeons au règlement général sur la protection des données (RGPD) !
Ce qui nous est proposé est donc l'occasion de faire de la France le fer de lance de cette adaptation de notre droit économique à l'économie numérique, en attendant qu'un texte soit adopté au niveau européen dans les années à venir. Ce texte arrive d'autant plus à point nommé que le débat fait rage autour du soutien aux petits commerces.
M. Claude Raynal, président. - En effet, la pratique européenne confirme l'intérêt d'adopter dès aujourd'hui ce texte, et nous regrettons de ne pas avoir eu de CMP conclusive.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans modification.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 4
L'article 4 est adopté sans modification.
M. Patrice Joly. - Je souhaiterais souligner l'opposition de la majorité de l'Assemblée nationale, qui est allée jusqu'à dire qu'une disposition de cet article entraverait le Gouvernement dans les négociations européennes. Or, en aucun cas, le Parlement ne peut entraver le fonctionnement des institutions républicaines, et donc du Gouvernement. Il apporte au contraire sa contribution sur ce sujet essentiel, la protection des consommateurs.
Dans le cadre de cette CMP, nous étions prêts à faire un véritable effort sur le thème sensible que constitue la répartition des compétences entre l'État et les régions sur les crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Malgré cela, nous n'avons pas pu faire entendre raison à la majorité de l'Assemblée nationale, et nous n'avons pas pu obtenir un accord des deux chambres. Ainsi, nous partageons le point de vue du rapporteur sur l'article 4 bis; lequel reprend la proposition de loi qui avait été adoptée à l'unanimité.
M. Jean Bizet, rapporteur. - Nous avons plusieurs moyens pour faire passer un message aux instances communautaires : le dialogue politique, les résolutions européennes, et, plus encore, le vote d'un texte. Je vous renvoie à la politique du Gouvernement concernant la taxation des GAFA- Google, Apple, Facebook, Amazon. Comme les négociations à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tardent à aboutir à une règle en la matière, la France s'est dotée d'une taxation propre, qui sera abrogée lorsqu'elle sera adoptée au niveau européen. Nous sommes ici dans le même cas de figure, et l'impératif de digitalisation des petits commerces rend l'adoption d'une législation d'autant plus urgente dans le contexte de pandémie que nous connaissons.
L'amendement COM-1 rectifié est adopté.
L'article 4 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5 bis
L'article 5 bis est adopté sans modification.
Article 6 bis
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 5 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 7
L'article 7 est adopté sans modification.
Article 9
L'article 7 est adopté sans modification.
Article 10
L'article 10 est adopté sans modification.
Article 11
L'article 11 est adopté sans modification.
Article 12
L'article 12 est adopté sans modification.
Article 13
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 14
L'article 14 est adopté sans modification.
Article 15
L'article 15 est adopté sans modification.
Article 16
L'article 16 est adopté sans modification.
Article 16 ter
L'article 16 ter est adopté sans modification.
Article 17
L'article 17 est adopté sans modification.
Article 18
L'article 18 est adopté sans modification.
Article 19 bis
L'article 19 est adopté sans modification.
Article 21
L'article 21 est adopté sans modification.
Article 22 bis
L'article 22 est adopté sans modification.
Article 22 quater
L'article 22 quater est adopté sans modification.
Article 22 quinquies
L'amendement COM-5 est adopté.
L'article 22 quinquies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 22 sexies
L'article 22 sexies est adopté sans modification.
Article 24
L'article 24 est adopté sans modification.
Article 24 bis
L'article 24 bis est adopté sans modification.
Article 24 ter A
L'article 24 ter A est adopté sans modification.
Article 24 ter
L'article 24 ter est adopté sans modification.
Article 25
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 25 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 26
L'article 26 est adopté sans modification.
Article 27
L'article 27 est adopté sans modification.
Article 27 bis
L'article 27 bis est adopté sans modification.
Article 28
L'article 28 est adopté sans modification.
Article 29
L'article 29 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Projet de loi de finances 2021 - Examen des rapports sur les missions « Gestion des finances publiques », « Crédits non répartis », « Transformation et fonction publiques » et sur le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État »
M. Claude Raynal, président. - Nous passons maintenant à l'examen des rapports sur les missions « Gestion des finances publiques », « Crédits non répartis », « Transformation et fonction publiques » et sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Je commencerai par la mission « Crédits non répartis », qui n'appelle que deux brèves remarques de ma part. Ses deux dotations sont prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). La première, la « dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles » bénéficie de la même ouverture de crédits depuis 2018, soit 124 millions d'euros. Il faut néanmoins rappeler qu'elle avait servi de réserve de budgétisation massive au début de la crise sanitaire, avec une augmentation de plus de 1,5 milliard d'euros votée dans la deuxième loi de finances rectificative (LFR) pour 2020. Cette réserve a permis d'abonder différentes missions par voie réglementaire pour des dépenses urgentes, dans l'attente d'un autre projet de loi de finances rectificative (PLFR). Notre commission s'est montrée attentive à ce que de telles dépenses soient bien liées à la crise sanitaire, et que le Parlement soit par ailleurs bien informé avant que les décrets de répartition ne soient publiés, ce qui fut le cas.
La seconde dotation, qui concerne la « provision relative aux rémunérations publiques », fait de nouveau l'objet d'une ouverture de crédits, afin de financer trois mesures : le versement de la prime de fidélisation en Seine-Saint-Denis ; le déploiement du forfait mobilité durable dans la fonction publique d'État ; ainsi que des revalorisations indemnitaires, décidées lors du rendez-vous salarial de la fonction publique d'il y a trois mois.
La ventilation des crédits entre ces trois mesures n'est pas précisée par les documents budgétaires. Pour nous, c'est un manque de transparence, alors que cette dotation atteint un montant exceptionnellement élevé : près de 200 millions d'euros en 2021, contre 26 millions d'euros en 2020 ! Il faut espérer que le Gouvernement les répartisse au cours du débat en séance. Malgré ces réserves, nous vous proposerons l'adoption des crédits de cette mission - un rejet ayant peu de signification.
J'en viens maintenant à la mission « Gestion des finances publiques », la plus importante budgétairement. Elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau du ministère de l'économie, des finances et de la relance, c'est-à-dire la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Elle porte également les crédits du secrétariat général du ministère et d'une pluralité de structures comme la direction du budget ou Tracfin.
Le périmètre de la mission est modifié dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, puisqu'elle perd le programme 148 « Fonction publique » rattaché à la mission « Transformation et fonction publiques ». Même retraités de cette mesure de périmètre, les crédits de la mission baissent entre les lois de finances pour 2020 et pour 2021 : de 1,11 % pour les autorisations d'engagement (AE) et de 1,28 % pour les crédits de paiement (CP). La mission continue donc de contribuer aux efforts de rationalisation de la dépense publique, certes bien rares dans ce PLF. Au total, ses crédits s'élèvent à environ 10 milliards d'euros.
La diminution des crédits provient principalement des dépenses de personnel, qui représentent 80 % des crédits de la mission. Ces dépenses diminueront de 1,42 % en 2021, du fait d'un schéma d'emplois négatif, attendu à -2 033 équivalents temps plein (ETP), dont -1 800 pour la DGFiP.
Les administrations de la mission ont été particulièrement mobilisées durant la crise sanitaire, je pense notamment à la DGFiP. La direction a dû continuer d'assurer ses missions traditionnelles essentielles, comme la gestion fiscale locale et nationale, tout en assumant de nouvelles missions. On lui a ainsi confié la gestion du fonds de solidarité, et elle a mené un travail de veille sur les entreprises, les collectivités locales et les hôpitaux.
Le secrétariat général du ministère a, quant à lui, joué un rôle de coordination très important, puisqu'il a, d'une part, coordonné les plans de continuité d'activité (PCA) des directions du ministère, et, d'autre part, coordonné le travail de la cellule de continuité économique.
Pour la DGDDI, les effets sont un peu plus particuliers et doivent être étudiés sous l'angle du Brexit. La crise sanitaire a conduit à une chute brutale du volume des échanges et des trafics, aériens comme routiers. Les effectifs ont dû être redéployés, de la même façon que les 600 ETP recrutés pour faire face au Brexit avaient dû être réaffectés après son report d'un an. Alors que le rétablissement de la frontière entre la France et le Royaume-Uni approche, les échanges moindres devraient rendre la période de transition plus facile pour la douane, qui craint beaucoup moins le risque d'embouteillages dans ces nouvelles conditions. Elle a même demandé à reporter en 2021 le recrutement des 100 derniers ETP qui devaient compléter ses effectifs face au Brexit. La direction craint en effet de les recruter pour rien, et qu'ils soient en surnuméraire.
Nous avons constaté, y compris durant nos auditions, que les crédits de la mission et de ces directions sont en réalité moins affectés par la crise sanitaire et économique que par les processus de transformation entamés par ces administrations bien avant la crise. Ces processus n'ont pas été reportés et la crise a même renforcé la nécessité de certains d'entre eux. Ils sont inscrits dans le plan de transformation ministériel publié en juin 2020 et sont suivis avec attention par le secrétariat général. Nous allons vous en présenter six.
Le premier concerne la réorganisation territoriale de la DGFiP et de la DGDDI, un sujet que nous abordons régulièrement à la commission. La DGFiP poursuit la mise en place de son nouveau « réseau de proximité », qui comprend trois axes. Le premier est la mise en place d'un réseau de 1 200 conseillers aux décideurs locaux d'ici à 2022 ; le deuxième est l'augmentation des points de contact de la DGFiP sur le territoire, par le biais d'une contractualisation avec les collectivités ; le troisième est la délocalisation de services des métropoles vers les villes moyennes. Les cinquante premières villes ont été choisies et les déménagements devraient avoir lieu entre 2021 et 2024. Pour la DGDDI, sa réorganisation tient compte des effets du Brexit, elle bascule ses emprises de l'est et du sud de la France vers les Hauts-de-France, avec l'ouverture de nouveaux bureaux et brigades.
Le second sujet concerne le transfert de la gestion du recouvrement de certaines taxes et impositions de la douane vers la DGFiP. Cette réforme doit s'accompagner de gains de productivité et d'efficacité. Deux millions d'euros sont en parallèle affectés à la création d'un portail unique de recouvrement fiscal et social pour les entreprises, un projet qui a pris du retard. Ce transfert impose aussi à la Douane de réfléchir à ce qui constitue son « coeur de métier », et nous soutenons son recentrage sur ses missions stratégiques : le contrôle des flux passagers et marchandises.
Le troisième enjeu concerne la gestion des ressources humaines, essentielle quand on se rappelle que la DGFiP et la DGDDI comptent à elles deux près de 117 000 emplois - environ 100 000 pour la DGFiP et 17 000 pour les douanes. Les transformations en cours appellent à la révision des règles de mobilité ou de rémunération. Des dispositifs d'accompagnement sont mis en place et pourraient s'avérer coûteux, mais nous manquons d'informations sur ce sujet, ce qui est regrettable. Je souligne par ailleurs que nous avons consacré un développement particulier à la gestion des ressources humaines par la DGDDI après un rapport de la Cour des comptes plutôt accablant sur ce point. La directrice a elle-même reconnu que le régime indemnitaire était assez catastrophique et l'a qualifié de « stratification indemnitaire ». Les règles de temps de travail ne sont pas non plus respectées dans toutes les branches, avec soit une durée de travail bien inférieure à la règle, soit bien supérieure, ce qui conduit certains personnels à avoir des centaines de jours à récupérer ! Heureusement, des réformes sont en cours.
Le quatrième processus de transformation concerne le recours accru aux nouvelles techniques d'analyse de données pour améliorer les résultats du contrôle fiscal. Le recours à ces techniques doit également permettre de détecter les cas de fraude les plus complexes. Comme je le rappelais avec notre ancien collègue Thierry Carcenac dans notre rapport d'information sur le contrôle fiscal, on manque encore d'indicateurs précis sur ce point.
Mon collègue Albéric de Montgolfier va évoquer les deux derniers processus de transformation en cours ainsi que la mission « Transformation et fonction publiques ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Il y a quelques années, nous avions commis, avec mon collègue Philippe Dallier, un rapport d'information sur cette mission, dans lequel nous évoquions la fraude à la TVA. Celle-ci demeure encore aujourd'hui un enjeu considérable pour les deux directions, et nous sommes encore loin d'atteindre nos objectifs. C'est d'autant plus important que le commerce électronique explose aujourd'hui, avec la crise sanitaire et le confinement, et vient concurrencer les commerces de proximité. Or, l'inspection générale des finances (IGF) avait rappelé que 98 % des vendeurs sur les plateformes internet n'étaient pas immatriculés à la TVA. De même, nous attendons toujours la traduction opérationnelle de certaines dispositions législatives votées par le Parlement, comme le principe de responsabilité solidaire des plateformes ou la concrétisation de la facturation électronique. Par ailleurs, avec la fin de l'exonération pour les envois dits de « valeur négligeable », la DGDDI nous a confirmé qu'elle s'attendait à voir exploser le fret aérien. En effet, jusqu'à maintenant, tous les envois de moins de vingt-deux euros étaient exonérés de TVA. La suppression de cette règle conduit à l'explosion du nombre de déclarations, que la DGDDI ne sera pas en mesure de contrôler. S'ajoute à cela l'impossibilité d'ouverture des commerces physiques avec le confinement et donc le report sur le commerce électronique. Ces flux sont donc sans commune mesure avec ceux d'il y a quelques années. On peut ainsi regretter l'absence de mise en priorité de la lutte contre la fraude sur la TVA. Les techniques de datamining ne seront pas suffisantes, les directions doivent aussi se doter de nouveaux moyens matériels, comme des scanners, qu'elle n'a cependant pas obtenus, malgré ses efforts, sur le plan de relance.
Le cinquième sujet que nous souhaitions aborder est celui du pilotage par les directions du ministère de leurs projets informatiques. Notre commission avait demandé un rapport à la Cour des comptes sur cette question, sur le périmètre État. Nous constatons des dépassements de délais et des coûts encore trop importants, qui traduisent un défaut de gouvernance.
Le sixième axe de transformation concerne la dématérialisation des administrations et des procédures administratives. Même si celle-ci peut offrir des gains de productivité aux administrations et une simplification pour les usagers, elle ne doit pas se faire au détriment de ces derniers, et donc il faut maintenir un accueil physique et téléphonique de qualité. Tous ne peuvent pas réaliser leurs démarches sur internet, notamment parce qu'ils n'ont pas accès au numérique. Il est assez scandaleux de voir que le numéro d'aide proposé est parfois surtaxé. On nous a dit que les numéros surtaxés prendraient fin au 1er janvier 2021, mais encore faut-il qu'ils donnent vraiment accès à un interlocuteur, ce qui n'est pas toujours le cas.
Cette réflexion me conduit naturellement vers la mission « Transformation et fonction publiques ». Cette mission correspond en réalité à la mission « Action et transformation publiques », créée en 2018. Elle a été renommée pour le PLF 2021, avec le rattachement du programme 148 « Fonction publique ». Elle se compose donc désormais de cinq programmes à vocation interministérielle, qui concernent des sujets aussi variés que la rénovation des cités administratives de l'État, les ressources humaines ou encore les start-up d'État. On ne peut qu'être dubitatifs sur les résultats de cette mission, et ce pour plusieurs raisons.
La première, c'est la consommation des crédits. En 2021, ces derniers augmenteraient de 14 % à périmètre constant et avoisineraient les 500 millions d'euros, ce qui laisse supposer une montée en charge de la mission. Toutefois, cela fait deux ans que nous constatons chaque année de fortes sous-consommations, et cela ne devrait pas changer en 2020, puisque près de 75 % des crédits sont annulés dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR4). Autant dire que cette mission relève plutôt de l'affichage que de la réalité. C'est pour cette raison que nous vous proposerons, avec Claude Nougein, un amendement d'appel annulant 75 % des crédits des trois programmes, qui connaissent chaque année des sous-exécutions allant de 80 % à 90 %. Il est temps que le Gouvernement nous donne des explications plus convaincantes quant à la non-consommation des crédits.
La seconde raison tient à la capacité des administrations à engager tous les crédits mis à leur disposition. Les annulations pour 2020 ne tiennent pas seulement à la crise sanitaire : elles s'expliquent aussi par les retards de contractualisation et par un décalage entre les besoins anticipés des porteurs de projets et leurs besoins réels. Après trois ans, on aurait pu penser que ces problèmes aient été résolus.
Nous nous sommes enfin intéressés au changement de périmètre de la mission ; nous avons auditionné la ministre de la transformation et de la fonction publiques Amélie de Montchalin. Son ministère exerce maintenant la tutelle sur trois directions transversales : la direction interministérielle de la transformation publique, la direction générale de l'administration et de la fonction publique et la direction interministérielle du numérique. La ministre nous a dit ne pas être la ministre de la fonction publique, mais celle de la « qualité des services publics ». Si nous saluons cet objectif, nous sommes plutôt réservés sur la capacité des programmes de la mission à concourir à cet objectif. Les chantiers du ministère en matière de dématérialisation et de réforme de la fonction publique sont par ailleurs considérables et avancent plutôt lentement. Sur la fonction publique, le Gouvernement a rapidement abandonné ses objectifs de rationalisation, même sur les ministères non régaliens. Le ministère doit également finir de traduire toutes les dispositions de la loi de transformation de la fonction publique, y compris sur le télétravail en période « ordinaire ».
Je présenterai maintenant rapidement le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Globalement, il y a peu de changements : pour être très clair, je considère que l'État n'a pas de politique immobilière. Celle-ci souffre toujours du manque d'une gouvernance solide et d'un manque de compétences. Au 31 décembre 2019, la surface totale des bâtiments de l'État était en effet de 96,8 millions de mètres carrés, pour une valeur comptable estimée à 65,7 milliards d'euros. Force est de reconnaître que la connaissance du parc s'est améliorée, sauf pour les opérateurs, qui sont très en retard sur ce point. Cela est très inquiétant.
Le CAS est supposé servir de vecteur budgétaire pour financer des opérations immobilières structurantes et des dépenses d'entretien lourd. On peut toutefois se féliciter du fait que les dépenses d'entretien soient sanctuarisées, même si leur montant, qui s'élève à 160 millions d'euros, peut sembler faible. L'entretien est essentiel pour éviter que les biens non utilisés de l'État continuent de se dégrader.
Les recettes et les dépenses du CAS connaissent une baisse tendancielle, même si l'année 2019 a constitué une exception pour les cessions, du fait de la vente de deux biens exceptionnels, dont l'îlot Saint-Germain, ayant représenté 70 % de ses recettes. En 2021, les produits de cession sont attendus à 280 millions d'euros, un point bas, et les redevances domaniales à 90 millions d'euros. Les dépenses sont, elles, estimées à 275 millions d'euros. Résultat, la politique immobilière de l'État est fragmentée : le CAS ne représente que 15 % des dépenses d'investissement de l'État en matière immobilière et environ 4 % à 7 % du total des crédits qui sont consacrés à l'immobilier.
Selon la direction de l'immobilier de l'État, il est encore trop tôt pour avoir une estimation des effets de la crise sanitaire sur les recettes et les dépenses du CAS. Les redevances domaniales devraient largement dépasser la prévision révisée : elles s'élevaient déjà à 96 millions d'euros fin octobre. En revanche, les produits de cessions seraient faibles en 2021, en raison des effets conjugués de la conjoncture, ou encore de la difficulté de trouver des acheteurs. Si la prévision révisée pour 2020 était de 220 millions d'euros, les produits encaissés fin octobre s'élevaient seulement à 126 millions d'euros.
Marginalisé, le CAS est aussi contourné dans ses règles mêmes de fonctionnement. Les produits de cessions sont en principe répartis à égalité entre les anciens ministères occupants et le compte d'affectation spéciale, mais ce n'est pas toujours le cas. D'autres bénéficient par ailleurs d'avances sur cession, comme le ministère de la défense, de l'Europe et des affaires étrangères, ou encore la présidence de la République.
Le CAS ne suffit donc plus pour porter les grands projets de l'État dans le domaine immobilier : la rénovation des cités administratives est portée par le programme 348 de la mission « Transformation et fonction publiques » et la rénovation thermique des bâtiments publics fait l'objet d'une action dans le programme 362 « Écologie » de la mission « Plan de relance ». L'enveloppe allouée aux bâtiments publics serait de 4 milliards d'euros, dont 2,7 milliards d'euros pour les bâtiments de l'État, soit bien plus que le CAS n'est en l'état actuel capable de mobiliser.
Il faut donc s'interroger sur la réforme du CAS et de ses principes de fonctionnement. Deux objectifs doivent être plus particulièrement poursuivis : le premier est la diversification des modes de valorisation des biens non utilisés par l'État. Les cessions sont de plus en plus dépendantes de biens « exceptionnels », et cette contrainte pèse sur le solde du CAS, extrêmement sensible à la conjoncture. Les modes de valorisation du parc doivent donc être diversifiés. Le second objectif est de faire participer le parc immobilier de l'État à l'effort en faveur de la transition écologique. Les progrès réalisés sur ce point demeurent cependant bien difficiles à suivre.
Nous sommes donc très loin de l'objectif de transformation de la gestion immobilière de l'État. Néanmoins, nous vous proposerons l'adoption des crédits de l'ensemble des missions et du compte d'affectation spéciale, en raison de la conjoncture très particulière dans laquelle nous nous trouvons cette année. La DGFiP a, par exemple, montré une très grande réactivité sur le versement du fond de solidarité même si l'on peut regretter qu'un certain nombre d'objectifs aient été oubliés, parmi lesquels la lutte contre la fraude à la TVA. Cette question n'est pas simplement un problème de recettes publiques, mais aussi une question morale et d'équité de traitement, notamment entre les commerçants et le e-commerce.
Enfin, je vous précise que, sur la mission « Gestion des finances publiques », les articles 54 octies, 54 nonies et 54 decies, ainsi qu'un amendement de crédit tirant les conséquences de ces articles ont été adoptés hier après-midi à l'Assemblée nationale. Compte tenu de leur vote tardif, nous n'avons pas encore eu le temps nécessaire pour les expertiser et nous vous présenteront notre analyse le 19 novembre, lors de l'examen définitif des missions et articles rattachés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez mentionné l'intérêt porté à la qualité des services publics par la ministre de la transformation et de la fonction publiques. Un certain nombre de citoyens regrettent parfois les conditions d'accès et la qualité des services publics en raison de leur éloignement. Comment ce sujet est-il suivi par ce ministère, et quel est votre point de vue sur le développement du « tout numérique » ?
Comment la fraude peut-elle survenir dans le cadre des dispositifs de réponse à la crise que constituent le fonds de solidarité et l'indemnisation du chômage partiel ? La DGFiP s'est-elle organisée pour les intégrer, et si oui, de quelle manière ?
Lors du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3), nous avions adopté un dispositif visant à annuler les redevances domaniales pour les occupants du domaine public de l'État dans les secteurs touchés par la crise, parmi lesquels la restauration, le tourisme et l'hébergement. Avez-vous des statistiques démontrant que le dossier est suivi et que cette politique est mise en oeuvre ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Dans le recours aux dispositifs de réponse à la crise, la fraude est un enjeu. Un certain nombre de sociétés dites « éphémères » déclarent beaucoup de personnels et touchent ainsi de fortes indemnités de chômage partiel. Mais elles disparaissent ensuite rapidement, ce qui les rend impossibles à contrôler ! Il en est de même pour le fonds de solidarité, où les outils du datamining ont été mobilisés pour détecter a priori les cas de « fraude manifeste », et pas forcément les plus complexes. Cela nécessite de nouvelles adaptations, qui demanderont un gros travail dans les semaines et les mois à venir, y compris pour des contrôles a posteriori. Il est évident que la fraude sera significative.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Nous avions déjà eu ce débat durant l'un des derniers PLFR, notamment sur le chômage partiel : nous nous demandions pourquoi quasiment seul un numéro de système d'identification du répertoire des établissements (Siret) était demandé. La philosophie retenue par l'administration a été la volonté d'aller vite, ce qui peut être soutenu, dans un contexte de crise et dans lequel une partie des agents était également en télétravail. Il en résulte un traitement des demandes de fonds de solidarité ou de chômage partiel quasi automatisé, avec des contrôles assez sommaires. Si l'administration ne s'interdit pas des vérifications a posteriori, elle a reconnu ne procéder qu'à très peu de contrôles a priori, et les dispositifs de soutien sont accordés très largement.
Le numérique satisfait indéniablement une grande partie des usagers, mais cela ne suffit pas : certaines personnes âgées ont des difficultés à accéder à ces services, d'autres encore ne disposent pas d'une bonne connexion internet. Et même avec une bonne connexion, le système de traitement par des outils numériques ne permet pas toujours de répondre à la question posée. Aussi, un certain nombre de dossiers nécessitent un contact personnel spécifique, qu'il soit physique ou téléphonique. C'est là que le bât blesse. Par ailleurs, lorsqu'on observe les statistiques, la DGFiP a diminué ses effectifs sur le terrain en fermant des trésoreries, mais pas dans les administrations centrales, en tout cas pas dans la même ampleur. Si le Gouvernement a annoncé que toutes les créations de postes à partir de 2021 se feraient sur le territoire, dans la réalité, il semble qu'il y ait toujours autant de monde dans les couloirs de Bercy. Cela explique en partie l'insatisfaction de nos concitoyens sur le terrain, qui voient le taux de prélèvement obligatoire toujours aussi élevé, tout en ayant l'impression que les services publics ont disparu. C'est peut-être dans ce cadre qu'on oublie le service à l'usager, et le « tout numérique » n'est pas à même d'y répondre complètement.
Sur les redevances domaniales, la direction de l'immobilier de l'État (DIE) nous a indiqué ne pas encore être en mesure de fournir une estimation sur les effets de l'annulation partielle des redevances domaniales dues par les occupants du domaine public de l'État, mais ils seront modérés, seuls 20 % du domaine public de l'État environ est occupé par des établissements visés par la disposition adoptée en LFR 3. La DIE nous a également expliqué qu'il y avait des remises au cas par cas, par exemple pour les concessionnaires des équipements touristiques. Le produit de ces redevances s'élève à 96 millions d'euros à la fin du mois d'octobre 2020, contre 90 millions d'euros espérés sur l'année. C'est une ressource dynamique, en hausse depuis plusieurs années.
Les difficultés ont en réalité concerné les cessions, car la conjoncture n'a pas été bonne. On ne vend pas chaque année l'îlot Saint-Germain !
M. Antoine Lefèvre. - La réorganisation des directions des finances publiques a largement mobilisé les départements. La mise en place des conseillers aux décideurs locaux a été évoquée : un premier bilan du déploiement dans les intercommunalités a-t-il été dressé ? Quelles sont les modalités de la prise en charge de ces fonctionnaires ? Je doute que les présidents d'intercommunalités aient manifesté un grand enthousiasme pour les accueillir dans leurs locaux...
M. Marc Laménie. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour leur analyse. On constate, année après année, une diminution des effectifs de la DGFiP et la suppression de trésoreries dans nos territoires. Combien restera-t-il de trésoreries par département au final ?
Cette restructuration est-elle vraiment bénéfique ? Les trésoreries sont les interlocuteurs des élus de proximité.
Les rapports de la Cour des comptes mentionnés par les rapporteurs spéciaux ont-ils été suivis d'effets ?
Quelles mesures sont prises pour limiter la lutte contre la fraude à la TVA ?
M. Éric Bocquet. - En juillet 2020, un rapport d'information de Claude Nougein et Thierry Carcenac relevait que « le Parlement ne dispose pas d'informations suffisantes pour pouvoir apprécier la portée des résultats du contrôle fiscal ». La situation s'est-elle améliorée ?
M. Macron, lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, avait confié à la Cour des comptes le soin d'évaluer le chiffre de la fraude fiscale. Dans le rapport rendu en décembre 2019, celle-ci indiquait qu'elle n'avait pas les capacités pour mener cette mission dans un délai aussi court. La mission avait ensuite été confiée à l'Insee. Où en est ce travail ?
Google a fait un chèque de 1 milliard d'euros au fisc français. Un article du magazine Capital d'octobre 2019 avançait que le montant aurait dû être de 7 milliards d'euros. La forte diminution de l'addition aurait été justifiée par la « coopération » de l'entreprise avec la justice française. Le secret fiscal n'est peut-être pas opposable aux rapporteurs spéciaux : disposez-vous d'éléments sur la transaction qui a eu lieu entre le fisc français et Google ?
M. Vincent Delahaye. - Les questions d'Éric Bocquet me semblent très pertinentes.
Les rapporteurs spéciaux ont-ils pu obtenir des éléments concrets sur des améliorations permises par Action publique 2022 ? Pourquoi prévoir 500 millions d'euros à cet effet ? Une augmentation de 14 % me semble considérable, d'autant que les crédits sont sous-consommés. La mission « Transformation et fonction publiques » me laisse dubitatif. Je serai favorable à un amendement de forte réduction de ces crédits.
M. Michel Canevet. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour la qualité de leur travail.
Pour ma part, j'ai plutôt le sentiment qu'on assiste à une évolution assez forte des services de l'État. S'agissant des douanes et droits indirects, le recouvrement a été recentralisé au niveau de la DGFiP. L'absence de clarification des statuts des personnels a conduit à ce qu'une des responsables de cette direction a appelé une « stratification indemnitaire épouvantable ». Reste-t-il beaucoup de chemin à parcourir ?
Sur le terrain, j'ai également l'impression d'une grande évolution : des directions départementales interministérielles ont été créées, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) vont intégrer la cohésion sociale... Fallait-il garder la même organisation alors que les trésoreries ne reçoivent pratiquement plus de visiteurs, en raison notamment de la réforme de la taxe d'habitation ? La solution retenue n'est peut-être pas la meilleure, mais des efforts sont faits.
La direction de l'immobilier de l'État est-elle assez efficiente pour parvenir à une rationalisation optimale des bâtiments de l'État ?
S'agissant de la fonction publique, il y a beaucoup à faire ! Je rappelle que nous avons voté la loi de transformation de la fonction publique l'année dernière. Assiste-t-on une évolution des cadres d'emploi, rendue nécessaire par le regroupement de services sur le terrain ?
Lorsqu'on évoque le nombre de postes dans la fonction publique d'État, y intègre-t-on les CDD ou les contrats temporaires ? Leur nombre est-il significatif ?
M. Vincent Segouin. - L'impôt sur le revenu est désormais géré par les entreprises, qui font de la déclaration et du recouvrement. Le nombre de fonctionnaires de Bercy a-t-il diminué en proportion ?
Quand s'attaquera-t-on véritablement au problème récurrent de la fraude à la TVA, évaluée à 15 milliards d'euros ? On se triture les méninges chaque année pour trouver de nouvelles taxes : ne faudrait-il pas d'abord s'attaquer à ce sujet ?
M. Patrice Joly. - Je salue le travail des rapporteurs spéciaux. S'agissant de la réorganisation des services des finances publiques sur le terrain, je confirme les points de vue des rapporteurs. On recense trois types d'usagers : les collectivités locales, les entreprises, les ménages.
S'agissant des ménages, la présence sur le terrain avec les maisons de services au public et les possibilités d'accès à l'information sur internet ne sont pas suffisantes pour certaines catégories de personnes.
S'agissant des collectivités locales, je m'interroge sur la qualité du service rendu en matière de tenue des comptes et d'accompagnement des plus petites collectivités. Idem en matière de recouvrement des recettes : les voies de droit pour s'assurer du recouvrement des créances ne sont, par exemple, pas mises en oeuvre. Une présence plus faible sur le terrain engendre des gains pour l'État, mais des pertes, dont il serait intéressant d'avoir une évaluation précise, pour les collectivités locales.
Pour les petites entreprises, l'accompagnement fiscal n'est également plus le même qu'auparavant.
Mme Christine Lavarde. - Je pense que les rapporteurs spéciaux n'auront sûrement pas grand-chose à dire à propos d'Action publique 2022, car il ne se passe plus rien !
Je siège au Conseil de l'immobilier de l'État. J'entends avec grand intérêt les critiques qui sont émises sur la gestion immobilière : en effet, au bout de quelques années, je constate que ce sont toujours les mêmes reproches qui reviennent, notamment sur les schémas pluriannuels de stratégie immobilière. Le Conseil de l'immobilier de l'État pourrait peut-être être supprimé : aucune réunion, même en visioconférence, ne s'est tenue entre mars et septembre-octobre... Un certain nombre de parlementaires y siègent : j'observe que, si l'un des deux sénateurs est toujours là, sur les cinq députés n'est présent que le président.
J'ai du mal à comprendre l'articulation entre le Conseil de l'immobilier de l'État, la direction de l'immobilier de l'État et les directions de l'immobilier de chaque ministère. Tout le monde parle de la même chose, mais les choses ne bougent pas beaucoup...
M. Thierry Cozic. - Merci aux rapporteurs pour leur travail.
Je voudrais intervenir sur la mission « Gestion des finances publiques » au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER). Nous vivons une crise importante, et nous savons l'importance du rôle des fonctionnaires. Les coupes de budget et les baisses d'effectifs semblent être aujourd'hui des politiques difficilement conciliables avec la préservation d'un service public de proximité.
Depuis quinze ans, le nombre d'agents affectés à cette mission a diminué de 20 %. À cela s'ajoute la suppression de 1 800 équivalents temps plein annoncée par le Gouvernement. Ces agents sont essentiels pour l'accompagnement de nos concitoyens dans leurs démarches fiscales : la fracture numérique est certainement un concept très vague pour ceux qui font la « start-up nation », mais elle est pourtant bien réelle dans nos territoires.
Les agents de la DGFiP sont également des conseilleurs pour les collectivités territoriales et pour les petites entreprises. Les conseils fiscaux sont vitaux pour celles-ci, car elles n'ont pas toutes des pôles fiscalité en leur sein...
La dématérialisation ne résoudra pas tout et ne viendra pas compenser la suppression des 989 trésoreries et centres des finances publiques actée pour 2022.
Le groupe SER ne votera pas les crédits de cette mission.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour la qualité de leur travail. L'État a fort bien communiqué sur son initiative en matière de réorganisation du réseau des finances publiques dans les territoires : il a essayé de faire croire qu'il pouvait faire plus avec moins. Il a augmenté le nombre de points de contact, mais il s'agit d'une présence d'affichage. Cette réorganisation s'est par ailleurs accompagnée d'une baisse de qualité des prestations rendues par les agents des impôts en direction des collectivités locales : ils rendent des avis décontextualisés.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - La réorganisation de la DGFiP et la fermeture des trésoreries intéressent peut-être moins nos concitoyens que nos élus de proximité. Ceux qui ont parcouru l'été dernier leur département pour se faire élire ou, comme moi, réélire ont constaté que cette question était un sujet de préoccupation pour les maires des petites communes. Antoine Lefèvre, les conseillers aux décideurs locaux devraient être au nombre de 1 200 d'ici à 2022. Les trente premiers sont entrés en fonction au premier trimestre 2020, mais la crise sanitaire a retardé le processus...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - La crise a bon dos !
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Marc Laménie l'a souligné, on parlait d'une trésorerie par intercommunalité, puis d'une par arrondissement. Albéric de Montgolfier dit toujours que cela se terminera avec une par département... La baisse est inéluctable.
Nous avons du mal, Éric Bocquet, à obtenir des informations sur le contrôle fiscal. Avec Thierry Carcenac, nous avions fait un rapport d'information au printemps dernier sur la question. En 2019, le redressement fiscal s'est élevé à 11 milliards d'euros, contre 9 milliards d'euros en 2018. Je n'ai pas d'information sur le travail de l'Insee. Le contrôle fiscal est, semble-t-il, de plus en plus efficace grâce à de nouveaux instruments, comme le datamining, qui permettent de mieux cibler les contrôles mais il faut en améliorer les indicateurs de performance, notamment sur la fraude complexe ou la rentabilité. S'agissant du montant de la fraude fiscale, tout le monde a son chiffre ! Nombreux sont ceux qui confondent évasion fiscale et fraude fiscale.
En ce qui concerne les douanes, Michel Canevet, des progrès restent à faire en matière d'effectifs et d'indemnités. Il existe, par exemple, une indemnité de garde des chapiteaux d'alambic - elle concerne, certes, que peu d'agents ! - ou une indemnité de langue étrangère. La durée de temps de travail de certains agents est de 1 563 heures, alors qu'elle devrait être de 1 607 heures. Des primes de pénibilité sont accordées à l'ensemble d'un service sans tenir compte des fonctions réelles exercées. Il faut remettre de l'ordre dans ces primes obsolètes et injustes.
Sur les recettes, le rendement de l'impôt sur le revenu devrait être assez conforme aux prévisions en 2020, grâce à la stabilité des revenus garantie par les indemnités d'activité partielle. La TVA s'est effondrée au deuxième trimestre, mais est très fortement remontée au troisième trimestre. En revanche, l'impôt sur les sociétés sera très fortement impacté : les entreprises vont connaître des pertes énormes ou, dans le meilleur des cas, des baisses de bénéfices.
Les effectifs de la DGFiP qui étaient de l'ordre de 100 000 il y a deux ou trois ans s'élèvent maintenant à 97 000 et devraient baisser à 95 000. Le prélèvement à la source et la suppression de la taxe d'habitation expliquent ce phénomène. Je rappelle que le Gouvernement avait l'intention de supprimer 50 000 emplois de fonctionnaires : cette année, la baisse devrait être de 157 - on est loin du compte ! La DGFiP devrait supprimer 4 900 postes entre 2020 et 2022 : cela « donne du mou » aux autres ministères pour augmenter leurs effectifs...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Je le répète, la fraude à la TVA est une question non pas seulement de recettes publiques, mais aussi de morale et d'équité. Les commerçants physiques, qui sont soumis à des impôts locaux et nationaux, sont concurrencés par des vendeurs d'e-commerce qui ne payent aucune taxe en France. La directrice des douanes nous a indiqué que les volumes de fret étaient en très forte augmentation depuis le confinement. Ses services seront dans l'incapacité de contrôler l'ensemble des déclarations en douane après la suppression des envois à valeur négligeable à compter du 1er juillet 2021. Les administrations sont désarmées face à l'industrialisation du e-commerce.
Les chiffres des transactions fiscales peuvent paraître importants : ils représentent plusieurs années d'impôt. J'ai eu connaissance des éléments de la transaction avec Google lorsque j'étais rapporteur général. Je ne sais pas à quel montant l'administration aurait pu prétendre, mais celle-ci a toujours perdu ses contentieux devant les tribunaux administratifs et le Conseil d'État, faute de pouvoir prouver l'existence d'un établissement stable. La jurisprudence n'est pas favorable à l'administration fiscale et recourir aux conventions judiciaires d'intérêt public permet au moins de recouvrer une partie des sommes dues.
Concernant la fonction publique, quelques décrets sont encore en attente, Amélie de Montchalin l'a reconnu. Cela me conduit à évoquer le sujet de la transformation de l'action publique, pour répondre à Vincent Delahaye ou Christine Lavarde. Pourquoi les crédits de la mission ne sont-ils jamais consommés ? Notre amendement d'appel va nous aider à obtenir des réponses. Nous constatons une politique d'affichage, qui n'est d'ailleurs pas propre à ce Gouvernement. Souvenez-vous du programme de modernisation de l'action publique (MAP) : à chaque fois, il s'agit de décisions très technocratiques, avec des comités d'experts, et cela finit dans des archives sur des étagères. Il y a quelques années, la commission avait expertisé cette question. Dans tous les pays qui ont réussi leur transformation de l'action publique - je pense notamment à la Suède, à l'Allemagne, au Canada -, ces objectifs ont été portés au plus haut niveau. En France, nous ne sommes pas capables d'assumer les choses. Donc, pour obliger le Gouvernement à se prononcer sur le bien-fondé de cet objectif de transformation, nous allons proposer un amendement de réduction des crédits.
Dernier sujet, l'immobilier de l'État. J'ai siégé, à une époque, au Conseil de l'immobilier de l'État. En ce moment, le confinement a bon dos pour ne pas répondre à un certain nombre de questions. Quoi qu'il en soit, la conclusion à en tirer est connue : l'immobilier nécessite une professionnalisation. L'État est un piètre gestionnaire, notamment par rapport aux collectivités. L'exemple à suivre nous vient d'Allemagne, où une agence s'occupe de l'entretien des bâtiments en faisant payer les administrations.
Je me souviens également d'un rapport, il y a quelques années, avec Philippe Dallier, concernant l'immobilier et la justice. Nous nous étions aperçus que l'immobilier de certains tribunaux comme celui de la cour d'appel de Versailles étaient gérés par des magistrats délégués à l'équipement, qui n'avaient aucune compétence pour s'occuper de la gestion du chauffage, par exemple. Dans beaucoup d'administrations, c'est un fonctionnaire qui, en plus de son travail, va s'occuper de gérer les fluides, les problèmes de toiture et autres. Il serait temps d'avoir un vrai gestionnaire de la cité administrative, spécialiste de l'immobilier.
Pour répondre enfin à la question de Vincent Segouin, l'IGF a estimé que le gain lié à l'impact du prélèvement à la source pourrait être de 1 466 à 1 621 ETP ; de son côté, la DGFiP n'a fait aucun chiffrage.
La mission, je le conçois, est assez décevante cette année. En temps normal, nous aurions été sur une position plus réservée. Néanmoins, avec ce contexte très particulier, nous vous proposons l'adoption des crédits. Et pour finir sur une note positive, je voudrais souligner la mobilisation de la DGFiP pour le versement du fonds de solidarité et pour les mécanismes de soutien en général.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Gestion des finances publiques ».
La commission décide de réserver sa position sur les articles 54 octies, 54 nonies et 54 decies.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Crédits non répartis ».
M. Claude Raynal, président. - Nous avons à statuer sur l'amendement concernant la mission « Transformation et fonction publiques ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'amendement n° 1 diminue les crédits des trois programmes de la mission « Transformation et fonction publiques » : le programme 348 « Rénovation des cités administratives et sites multi-occupants », le programme 349 « Fonds pour la transformation de l'action publique » et le programme 351 « Fonds d'accompagnement interministériel ressources humaines ». Comme je l'ai évoqué précédemment, la sous-consommation des crédits de la mission est assez délirante : entre 80 % et 90 % ne sont pas consommés ! Dans le projet de loi de finances rectificative (PLFR) que nous examinerons lundi prochain en séance, entre 62 % et 97 % des crédits de paiement sont annulés. Cela pose, à mon sens, un problème d'autorisation parlementaire. D'où l'intérêt de cet amendement d'appel, qui traduit le décalage persistant entre les objectifs affichés et l'exécution des crédits et qui invite à des explications du Gouvernement sur ce point.
L'amendement n° 1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Transformation et fonction publiques », sous réserve de l'adoption de son amendement.
M. Claude Raynal, président. - S'agissant du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », que propose le rapporteur spécial ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - C'est une année très particulière pour le marché immobilier même si l'État pourrait mieux faire dans le domaine de l'entretien...
M. Claude Raynal, président. - Avis favorable, sans trop de conviction alors ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Oui, très peu de conviction.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Action extérieure de l'État » (et article 53 A)
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » s'élèveront à 2,9 milliards d'euros en 2021, soit une hausse de 66,4 millions d'euros, de l'ordre de 2,31 %, par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2020. Cette augmentation s'explique par les importantes ouvertures de crédits survenues en loi de finances rectificative (LFR), avec 150 millions d'euros d'aides en faveur des Français de l'étranger, des établissements scolaires et des familles d'élèves scolarisés à l'étranger ; Rémi Féraud y reviendra un peu plus tard.
Les principaux motifs d'augmentation concernent les dépenses en immobilier, en sécurité matérielle et moyens informatiques, et en personnel. Dans le détail, les crédits immobiliers augmentent de 27 millions d'euros, dont 26 millions consacrés aux biens à l'étranger. Il s'agira principalement d'opérations lourdes, comme la rénovation des systèmes de climatisation à Ryad ou Djeddah et la sécurisation de nos emprises. J'ai, par ailleurs, été alerté sur le fait que le ministère connaîtrait mal son parc immobilier et que la valeur de certains biens n'aurait pas été actualisée depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). J'ai demandé et obtenu des éléments exhaustifs de la part du ministère, mais le sujet mérite une investigation plus approfondie et pourrait faire l'objet d'un contrôle.
Les dépenses en moyens informatiques augmentent de 8,7 millions d'euros, soit une hausse de 21,5 %. La crise sanitaire et le confinement ont révélé des besoins importants en matière de postes informatiques et de transmission sécurisée des données. Les dépenses en sécurité augmentent, quant à elles, de 7,4 millions d'euros, afin, par exemple, de renforcer le nombre de véhicules blindés ou la sécurité passive des postes.
Concernant enfin les dépenses en personnel, en dépit des efforts réalisés les années précédentes, le ministère ne respectera pas ses engagements en matière de réduction de la masse salariale et des effectifs. J'estime que l'abandon de ces objectifs n'est pas justifiable. Le ministère évoque « une prise de conscience » lors de la crise sanitaire, avec le besoin de maintenir des postes. Je constate pourtant que l'un des principaux motifs de non-réalisation de l'objectif cette année est l'augmentation du nombre de conseillers et de personnels supports en cabinet : nous sommes passés de 23 à 42 postes ouverts.
Au-delà de cet aspect, la masse salariale de la mission progresse de 15 millions d'euros sous trois effets principalement : l'impact du glissement vieillesse-technicité (GVT), notamment en raison du recrutement d'agents de droit local plus expérimentés et donc plus chers ; une provision visant à couvrir le risque de change sur les rémunérations à l'étranger ; et enfin, une enveloppe de mesures portée par la revalorisation des agents de droit local.
Les crédits de la mission progressent plus vite que l'inflation. À mon sens, des efforts de cet ordre devraient être réservés à des actions prioritaires. Par ailleurs, j'insiste sur le fait que l'abandon des objectifs de baisse de la masse salariale et des effectifs ne me semble pas justifié, même au regard de la crise sanitaire. Les besoins en immobiliers sont également particulièrement mal identifiés. On nous dit que le ministère a besoin de 25 millions d'euros ; sans justification de ce montant, comment s'assurer que cela soit suffisant ou nécessaire ? Dans ce contexte, à titre personnel, je m'abstiendrai sur le vote des crédits.
Avec Rémi Féraud, nous avons souhaité présenter un suivi de l'application des préconisations formulées à l'occasion de nos missions de contrôle. De mon côté, je souhaite revenir sur les indemnités de résidence à l'étranger (IRE), qui représentent 42 % des rémunérations du personnel. Je constate que le Gouvernement a donné suite à deux de nos observations : le reclassement des IRE en tenant compte de paramètres plus objectifs quant à la dangerosité des pays et au coût de la vie ; et la fin progressive du mécanisme de « sur-vocation », qui conduisait à surclasser certains agents de catégorie B et A.
À l'inverse, certains sujets n'avancent pas. J'en citerai deux : la différence de 25 % entre l'IRE théorique et réelle, en faveur de cette dernière, pour laquelle nous n'avons toujours pas reçu d'explication ; et le fait qu'il ne soit toujours pas envisagé d'imposer les IRE, alors que tous les revenus devraient être imposables.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Les crédits présentés par Vincent Delahaye représentent à peu près les deux tiers du budget de la mission ; les deux programmes concernant les affaires consulaires et la diplomatie culturelle et d'influence représentent le dernier tiers, c'est-à-dire environ 1,1 milliard d'euros. Des crédits très importants ouverts en LFR ne sont pas reconduits en 2021 mais une partie devrait faire l'objet de mesures de report. Pour rappel, ces ouvertures s'élevaient à 150 millions d'euros : 50 millions pour les aides sociales aux Français de l'étranger ; 50 millions pour les aides aux établissements scolaires à l'étranger ; et enfin, 50 millions pour les bourses des élèves français à l'étranger. À cela s'ajoutent les 50 millions d'euros non portés par la présente mission, qui constituent des avances remboursables aux établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Dans ce projet de loi de finances (PLF) 2021, nous observons une évolution à la hausse des moyens du réseau consulaire, notamment ceux qui sont consacrés à l'aide sociale pour les Français à l'étranger qui se retrouvent en difficulté. Nous constatons également un renforcement des moyens de l'AEFE et, plus généralement, des incertitudes très fortes sur certaines politiques publiques ; je pense à des opérateurs dans le domaine de la diplomatie culturelle ou de l'enseignement, et encore plus au développement du tourisme, sur lequel je reviendrai.
Le réseau consulaire évolue peu, avec un recentrage léger sur la zone indopacifique, comme s'y était engagé le Président de la République. Et nous observons un abandon des objectifs du programme « Action publique 2022 », qui devait initialement permettre au ministère de réduire les effectifs de manière notable. Il est vrai que cette année - et cela risque de se poursuivre en 2021 -, les réseaux consulaires ont été mis fortement à contribution pour aider les Français à l'étranger.
En 2021, les crédits, s'ils apparaissent stables, témoignent en réalité de certaines évolutions, avec notamment une baisse de 2 millions des crédits prévus l'année dernière pour les élections consulaires, finalement reportées en 2021, et une augmentation équivalente pour les aides sociales des Français de l'étranger. S'agissant de ces crédits en faveur de l'aide sociale, ouverts en LFR3, seuls 5 millions sur les 50 millions d'euros ont été consommés. Cette consommation très faible laisse à penser que la difficulté se situe moins dans les inscriptions budgétaires que dans les critères utilisés ensuite pour mettre en oeuvre les crédits.
Pour ce qui concerne les moyens consacrés à l'enseignement français à l'étranger, le Gouvernement ne renonce pas à son objectif de doublement du nombre d'élèves à l'horizon de 2030. Naturellement, cet objectif ne pourra pas être tenu si la crise sanitaire se prolongeait trop longtemps. Nous constatons une légère baisse du nombre d'élèves en 2020 ; nous verrons si elle sera compensée en 2021.
Le budget de l'AEFE s'élève à 1 milliard d'euros, dont 417 millions d'euros de subventions inscrites dans la mission. Le montant des subventions augmente de 9 millions d'euros, afin notamment de sécuriser les emprises immobilières ; au vu de l'intensité de la menace terroriste, cela se comprend. Cette augmentation montre également que, pour beaucoup d'établissements dont les bâtiments eux-mêmes ne sont pas la propriété de l'État, le recours au compte d'affectation spéciale « Gestion immobilière de l'État » n'est pas adapté.
En ce qui concerne les bourses, sur les 50 millions d'euros de crédits ouverts en LFR3, 10 millions ont été dépensés et 40 millions pourraient faire l'objet d'un report, ce qui laisse des marges de manoeuvre pour répondre aux besoins. Par ailleurs, les critères d'octroi des bourses ont été assouplis dans leurs modalités d'attribution. Sur les 50 millions d'euros de crédits ouverts en faveur des établissements, la moitié environ a été consommée, l'essentiel étant mobilisé pour les établissements au Liban à la suite de l'explosion de Beyrouth. D'autres crédits ont également été dégagés pour aider les familles étrangères en difficultés sociales à payer leurs frais de scolarité.
S'agissant de l'enseignement supérieur français, si les crédits accordés à l'opérateur lui-même, Campus France, restent stables, le montant des bourses offertes à des étudiants et des chercheurs étrangers diminue de 6 millions d'euros, sous l'effet des restrictions de déplacements internationaux. Nous verrons, dans les budgets suivants, si cette orientation est conjoncturelle ou si elle marque une baisse d'ambition.
Dans un contexte évidemment très particulier, l'opérateur dédié au tourisme, Atout France, a soutenu une campagne - « Cet été, je visite la France » - destinée à promouvoir le tourisme domestique. Dans le cadre d'un plan d'économies initié en 2019, sa dotation diminue de 2,8 millions d'euros, après que l'opérateur a lui-même réalisé 4,5 millions d'euros d'économies. Par ailleurs, comme il est en grande partie financé par les droits de visa de l'année précédente, et que ce nombre de visas octroyés a chuté de 27 % dans les premiers mois de l'année 2020, ses crédits pourraient baisser d'autant pour l'année 2021.
Enfin, l'Institut français, opérateur de notre politique culturelle, voit sa dotation stabilisée, mais reste confronté à des défis importants, avec le report de plusieurs grandes campagnes qui n'ont pas pu se tenir en 2020. Il devrait voir ses recettes partenariales diminuer en 2021. En outre, le réseau des instituts à l'étranger a beaucoup consommé ses réserves financières pour traverser la crise ; il s'agit là, à mon avis, du point le plus faible du budget proposé.
Nous pouvons remarquer que ce budget, dans un contexte international extrêmement instable, est lui-même très stable. Cela dit, il bénéficie de reports de crédits inscrits dans la LFR pour 2020. Nous pouvons estimer que le Gouvernement saura mettre en oeuvre des mesures exceptionnelles si elles s'avéraient nécessaires. Je préconise donc un avis favorable aux crédits inscrits dans le budget.
Pour conclure, je vous propose un amendement d'appel concernant les ambassadeurs thématiques. Au début de l'année, nous avons présenté un rapport de contrôle budgétaire démontrant qu'il n'y avait pas de graves dérives dans la conception de ces missions d'ambassadeurs thématiques, mais que le cadre juridique se révélait très insuffisant. Pour inciter le Gouvernement à mettre en oeuvre les recommandations préconisées dans notre rapport, nous proposons un amendement d'appel qui vise à diminuer de 2,8 millions d'euros les crédits de la mission.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - Je suis présent aujourd'hui en tant qu'observateur. Notre commission n'a pas encore eu l'occasion de procéder aux auditions ; elles sont programmées la semaine prochaine. Personnellement, je partage assez l'avis émis par Rémi Féraud concernant la partie concernant notre commission.
M. Éric Bocquet. - Une question de pure forme, mais qui m'interpelle. Dans les principales observations des rapporteurs spéciaux, le conditionnel est employé à plusieurs reprises, alors que nous sommes censés nous prononcer sur des chiffres établis. Qu'est-ce qui justifie l'emploi de ce conditionnel ? Le mode de la supposition ? De l'irréel ? De l'imaginaire ? Je suis un peu surpris...
Mme Christine Lavarde. - Les rapporteurs ne seront pas étonnés que je les interroge sur le sujet des aides versées aux écoles au Proche-Orient. J'ai bien entendu que la moitié de l'enveloppe avait été consommée et qu'une partie des fonds avait été fléchée en direction des écoles situées au Liban. Ce que vous ne dites pas, c'est qu'une partie seulement des écoles ont été aidées, à savoir les écoles sous l'égide de l'AEFE ou de la mission laïque française. Les rapporteurs ont-ils des informations sur la mise en oeuvre d'une préconisation d'un rapport remis en octobre 2018 par Charles Personnaz au Président de la République ? Le rapport disait ceci : « Constituer un fonds pour la formation, l'environnement francophone et la convivialité en faveur des écoles chrétiennes du Moyen-Orient. » Ce fonds, qui aurait dû être abondé par l'État et d'autres partenaires pouvant être des mécènes, des collectivités ou autres, est-il ouvert ? Va-t-on trouver des moyens pour venir en aide à ces écoles - au Liban, mais aussi en Égypte, en Jordanie, dans toute cette zone où la présence francophone est importante pour la stabilité géopolitique - qui n'appartiennent pas au réseau de l'AEFE ?
M. Arnaud Bazin. - J'étais surpris d'entendre que, sur les trois lignes de 50 millions d'euros, engagées sans doute au vu du contexte sanitaire et des difficultés que rencontrent nos compatriotes et les établissements d'enseignement à l'étranger, il y avait une sous-consommation assez forte pour des mesures dont la vocation est précisément de répondre à l'urgence ; je souhaiterais entendre Rémi Féraud sur les causes de cette sous-consommation. Avait-on surestimé les besoins ? Avait-on établi des critères qui rendaient difficile l'accès à ces aides, dans ce qui relèverait alors davantage d'un effet de communication que d'un réel soutien à nos compatriotes ? Ou bien y a-t-il d'autres raisons encore, même si j'ai bien noté que ces crédits étaient reportés sur l'année prochaine.
M. Michel Canevet. - Je remercie les rapporteurs spéciaux d'avoir mis l'accent sur la question des ambassadeurs thématiques, sachant que des errements furent médiatisés à un moment. Heureusement, vous formulez des propositions afin que ces ambassadeurs puissent travailler de la manière la plus sérieuse.
Par ailleurs, je poserai deux questions. La première concerne le réseau de nos ambassades. J'ai noté des réductions de postes, le plus souvent remplacés par des agents de droit local. La diminution des moyens en personnel nous permet-elle de maintenir un tissu suffisamment important et une bonne représentation de notre pays à l'extérieur ? Les crédits dédiés à l'immobilier en particulier permettent-ils d'assurer cette bonne représentation ?
J'ai noté également que les crédits destinés à l'opérateur Atout France allaient diminuer. Le contexte actuel de l'économie touristique internationale n'est pas favorable, plus particulièrement encore pour Paris et la France. Un effort de promotion de la France dans le monde est-il prévu pour que les touristes reviennent chez nous ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Vincent Delahaye a évoqué les IRE et le poids qu'elles représentent. Vous avez parlé d'une attribution assez opaque de ces indemnités. J'ai lu que l'on comptait plus de 240 grilles d'attribution, ce qui paraît en effet assez peu lisible. Avez-vous des propositions à nous faire dans le sens d'une attribution plus claire et sans doute plus juste ?
M. Albéric de Montgolfier. - Dans le rapport, il est fait état d'un rapprochement entre l'Alliance française et l'Institut français. Est-ce une fusion ? Une mutualisation des moyens immobiliers ? Par ailleurs, on a beaucoup parlé de la situation des établissements français à l'étranger ; malgré les dispositifs d'aides, en reste-t-il en grande difficulté ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Concernant le réseau d'ambassades, pour répondre à Michel Canevet, la France a le souhait et l'ambition de maintenir un réseau universel. Peut-être, ici ou là, un effort de rationalisation est-il envisageable. Les réductions de postes ne sont pas excessives ; cette année, je le redis, l'effort de réduction a été plutôt abandonné.
Pour répondre ensuite à Sylvie Vermeillet, les IRE, c'est vrai, concernent une grosse partie des rémunérations : 240 grilles, c'est très complexe, et il y a une différence d'appréciation avec le ministère. En fin d'année dernière, à la suite de nos travaux, des corrections ont été apportées. Nous devons encore travailler sur le sujet pour affiner nos propositions. C'est vrai pour cette mission comme pour d'autres : nous avons tout intérêt à effectuer un suivi de nos travaux de contrôle pour gagner en efficacité.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Sur la mise en oeuvre qui pourrait apparaître comme déficiente des bourses et des aides sociales, j'ai eu le même étonnement. Je n'ai pas eu beaucoup de retours de nos collègues représentant les Français de l'étranger pour m'informer de graves problèmes. Cela est dû, je pense, aux effets de la crise sanitaire qui induisent des retards dans l'appréciation de la situation sociale, ou peut-être aux modalités de prises en compte des baisses de revenus. Au cours de l'année 2021, il faudra vérifier que ces crédits sont bien utilisés pour faire face à des situations sociales dégradées.
Vous nous interrogez sur la mise en oeuvre du rapport Personnaz. À ma connaissance, le fonds a été créé, mais il ne relève pas de la mission « Action extérieure de l'État ». Le soutien apporté à l'enseignement français au Liban est extérieur au rapport Personnaz, même si celui-ci a permis d'éviter que le système d'enseignement français au Liban ne s'effondre et, aussi, d'apporter un soutien à la société libanaise sans passer par les autorités gouvernementales.
Pour répondre à Albéric de Montgolfier, le rapprochement de l'Alliance française et de l'Institut français se poursuit, afin que les deux organismes ne se retrouvent pas sur des missions redondantes. Le rapprochement immobilier, qui devait se faire dans les prochains mois, est, quant à lui, remis en cause ; c'est un enjeu budgétaire pour l'avenir, l'Institut français devant trouver des locaux moins onéreux que son siège actuel à Paris.
S'agissant des crédits destinés à Atout France, ils doivent permettre à l'opérateur de survivre tout en réduisant les frais en termes de campagne de promotion du tourisme dans notre pays. Cette décision correspond à une logique, au vu de la situation sanitaire et des difficultés à voyager. Par ailleurs, un processus de rapprochement avec Business France est également en cours. Cette année, nous sommes un peu en attente, il y a trop d'incertitudes pour lancer de grandes campagnes. Le projet de loi de finances pour 2022 sera déterminant pour fixer une nouvelle politique de l'attractivité touristique de la France.
Enfin, sur l'utilisation du conditionnel, il s'agit d'une simple figure de style, puisque le budget n'a pas encore été adopté par le Parlement.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons d'abord procéder au vote de l'amendement déposé sur l'article 33, dans lequel vous vous attaquez au financement des ambassadeurs thématiques ! On a compris qu'il s'agissait d'un amendement d'appel, cela les rassurera...
M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous nous rappeler votre proposition quant au vote des crédits de la mission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Pour ma part, je souhaite m'abstenir. J'aurais eu envie de voter contre, mais je m'abstiens au vu des efforts consentis par le ministère ces dernières années. Toutefois, j'observe cette année un relâchement qui n'est pas justifié par la crise sanitaire.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Je n'ai pas le même prisme que Vincent Delahaye. On trouve, à la fois dans le PLFR et le PLF 2021, les moyens d'éviter toute cessation de paiement des établissements français à l'étranger, et cela mérite d'être salué. Donc, pour ma part, avis favorable sur les crédits de la mission.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission «Action extérieure de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
M. Claude Raynal, président. - Nous passons maintenant à l'examen de l'article 53 A demandant un rapport sur les contributions de la France au Comité international de la Croix-Rouge.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - Ce rapport a été demandé à la suite d'une discussion à l'Assemblée nationale.
M. Albéric de Montgolfier. - Je suis assez réticent concernant les rapports ; d'abord, parce que nous ne les avons pas ; et ensuite, parce qu'ils sont parfois indigents.
M. Claude Raynal, président. - Cette fois, c'est l'Assemblée nationale qui l'a demandé...
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter l'article 53 A sans modification.
Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Aide publique au développement » (et article 53) et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers »
M. Claude Raynal, président. - Nous accueillons Hugues Saury et Rachid Témal, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères sur le budget de l'aide publique au développement. S'ils le souhaitent, nous leur donnerons la parole à l'issue de la présentation.
M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - L'aide publique au développement (APD) constitue une politique interministérielle, pour laquelle la mission « Aide publique au développement » représente environ les deux tiers des crédits budgétaires. On retrouve notamment une partie de l'APD dans les missions « Action extérieure de l'État », « Recherche et enseignement supérieur », « Immigration, asile, intégration ».
En 2021, les autorisations d'engagement de la mission s'élèveront à 5,1 milliards d'euros, soit une baisse de 30 %. Les crédits de paiement s'établiront à 4,9 milliards d'euros, soit une hausse de 50 %, sachant que le périmètre a évolué avec le nouveau programme 365 visant à renforcer les fonds propres de l'Agence française de développement (AFD) pour un montant de 953 millions d'euros.
Par ailleurs, le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » porte les crédits liés aux dotations en capital des banques de développement à l'étranger.
Le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » comprend les prêts du Trésor ou encore les opérations de traitements de dettes de certains pays. Enfin, il convient de relever que le Fonds de solidarité pour le développement (FSD) est alimenté par la taxe que nous avions instituée sur les billets d'avion, pour un montant de 210 millions d'euros, et par une part de la taxe sur les transactions financières pour un montant de 528 millions d'euros.
Pour ce qui concerne les crédits budgétaires, il y a trois programmes au sein de la mission « Aide publique au développement ». Le programme 110 est piloté par la direction générale du Trésor, au sein du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en voie de développement » est piloté par la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Et je viens d'évoquer le programme 365.
Les orientations mises en oeuvre nous ont semblé conformes à celles qu'avait définies le comité interministériel de coopération internationale et de développement (CICID) du 8 février 2018. Ce CICID a défini une liste de pays prioritaires, ainsi que les priorités politiques de l'aide publique au développement, telles que, par exemple, le renforcement de notre aide en matière de protection de l'environnement. Il avait enfin été décidé de réorienter la politique vers une plus grande part de dons et de subventions, car la France se distingue depuis longtemps par une politique de l'aide publique au développement qui s'appuie essentiellement sur des prêts.
Pour la première fois, dans ce budget 2021, les dépenses liées à l'environnement ont été évaluées : elles sont estimées à 1,9 milliard d'euros. La mission budgétaire « Plan de relance » comporte, pour un montant de 50 millions d'euros, des crédits consacrés à la santé et au financement de la recherche d'un vaccin contre la Covid.
Le programme 110 concerne des fonds multilatéraux alimentés par prévisions triennales. Tous les trois ans, une autorisation d'engagement assez significative nous est demandée, qui se traduit ensuite par des crédits de paiement répartis sur les trois années suivantes.
On observe une stabilisation des crédits alloués de l'AFD pour bonifier les prêts à des États étrangers, avec 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 320 millions d'euros en crédits de paiement. Les taux bas font qu'il y a moins de bonifications de prêts.
Nous apprécions qu'on ne poursuive pas une politique de prêts tous azimuts, mais qu'on se concentre sur quelques actions fortes, notamment par des dons et subventions.
Nous avons noté une provision de 3 millions d'euros, qui a été réservée pour le fonctionnement d'une commission indépendante, liée au rapport Berville qui, en 2018, avait défini un certain nombre de propositions d'orientations pour la politique de développement, et qui devrait normalement trouver sa traduction dans un projet de loi à venir.
Et, dans le programme 365, 953 millions d'euros sont affectés au capital de l'AFD, car l'AFD, comme les autres établissements bancaires, doit avoir un ratio de solvabilité qui exige que ses fonds propres représentent près de 14 % des actifs pondérés par le risque. La réglementation prudentielle la conduit donc à renforcer ses fonds propres en fonction des engagements qu'elle a déjà réalisés. De plus, une évolution de la réglementation prudentielle exclut la ressource à condition spéciale dont bénéficie l'AFD du calcul de ses fonds propres pour le ratio dit « grands risques », ce qui nécessite d'augmenter ses fonds propres. Cette enveloppe de 953 millions d'euros sera-t-elle suffisante ? Nous n'en sommes pas sûrs.
Le programme 209 bénéficie d'une hausse en crédits de paiement de 388 millions d'euros par rapport à 2020, permettant, en partie, l'aide humanitaire. L'aide aux projets gérée par l'AFD augmente également de 339 millions d'euros. Et le ministère a aussi augmenté l'enveloppe qu'il destine au réseau consulaire : le Fonds de solidarité pour les projets innovants permettra, dès 2021, à hauteur de 70 millions d'euros, de financer des projets identifiés par les ambassadeurs. Le financement de ces projets ne devra toutefois pas dépasser un million d'euros tous les deux ans. Il s'agit donc de projets de taille modeste, mais cela donne au réseau consulaire une certaine réactivité pour financer des actions concrètes de développement.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - J'en viens désormais à l'appréciation de la politique d'aide publique au développement de la France mise en oeuvre depuis plusieurs années.
Comme l'a indiqué Michel Canevet, les crédits de la mission proposés pour 2021 poursuivent leur trajectoire haussière, conformément aux engagements pris en 2018 par le Président de la République. En réalité, l'aide publique au développement de la France a amorcé son augmentation en 2015, et elle a dépassé le montant de 10 milliards d'euros en 2017. En 2019, elle devrait atteindre 10,9 milliards d'euros.
Cette augmentation a permis à la France de maintenir son rang, à défaut d'améliorer son classement, parmi les principaux contributeurs de l'OCDE. Ainsi, en 2019, la France reste le cinquième pourvoyeur d'aide publique au développement en volume, après les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Toutefois, en termes de ratio d'aide publique au développement dans le revenu national brut (RNB), la France n'occupe que la neuvième place, alors que les pays de l'Europe du Nord, et notamment la Suède, sont largement en tête.
Comme je l'avais déjà souligné l'année dernière, le profil de l'aide publique au développement de la France continue de se caractériser par un recours important aux prêts, au regard du montant des dons, par opposition aux autres pays de l'OCDE. Cette spécialité française a été privilégiée au cours de la dernière décennie en raison de son moindre coût pour les finances publiques. Toutefois, les auditions ont rappelé qu'un rééquilibrage avait été initié, et la part des prêts devrait reculer en 2019 pour se limiter à 14 % de notre aide publique au développement.
Le pilotage de cette politique publique a fait l'objet de critiques nourries depuis quelques années, y compris devant notre commission. En effet, fortement interministérielle, la politique d'aide publique au développement paraît éclatée en raison des multiples instruments budgétaires et de l'intervention de plusieurs acteurs publics, tels que le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie, et l'Agence française de développement.
Les auditions menées nous ont confortés dans l'idée que la recherche d'un meilleur pilotage était désormais une priorité des ministères en charge de ce budget.
Dans cette perspective, les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018 ont permis de fixer les priorités politiques et géographiques de notre aide publique au développement. Ce cadrage était nécessaire, et il doit désormais être confirmé par une loi de programmation qui devra redéfinir l'architecture du pilotage de la politique de développement. Annoncé à plusieurs reprises, le projet de loi devrait être examiné par le Parlement d'ici quelques semaines - mais nous le qualifions, dans le rapport, d'Arlésienne...
Il nous reviendra de définir les dispositions législatives permettant d'encadrer de façon efficace le fonctionnement de cette politique publique, qui constitue un instrument incontournable de l'action extérieure de l'État et du rayonnement de la France. L'examen de ce projet de loi nous permettra également de nous interroger sur les priorités géographiques de notre aide publique au développement.
En effet, force est de constater qu'il existe un réel déséquilibre entre les dix-neuf pays désignés comme prioritaires par la France, dont dix-huit sont situés sur le continent africain - le dix-neuvième étant Haïti - et les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement. L'une des raisons de cette anomalie réside en partie dans l'appétence de la France pour les prêts, au détriment des dons, l'encourageant à investir dans des pays à revenus intermédiaires, qui pourront rembourser.
Plus généralement, ce constat nous conduit à nous interroger sur la stratégie mise en oeuvre à l'égard des très grands émergents, pour lesquels l'aide publique internationale n'apparaît plus comme une nécessité - comme la Turquie, ou la Chine. Il faut reconnaître que les critères de l'OCDE nous amènent à qualifier d'aide publique au développement des financements qui relèvent davantage de partenariats économiques... En tout état de cause, les interventions dans ces pays doivent s'inscrire en parfaite adéquation avec les priorités diplomatiques de la France, au risque de nuire à la cohérence de celle-ci.
La crise sanitaire a justifié le redéploiement de crédits, tant au niveau bilatéral, avec l'initiative « Santé en commun », qu'au niveau multilatéral, avec l'initiative de suspension du service de la dette. Face à l'urgence, l'accent a été mis sur les enjeux de santé en 2020, mais la crise n'a pas remis en cause les priorités de long terme de l'aide publique au développement, telles que le soutien au climat, à l'éducation, à la lutte contre les fragilités et les vulnérabilités de certains pays. Si la préservation d'un budget ambitieux pour l'aide publique au développement peut être saluée, la dégradation des finances publiques renforce néanmoins nos exigences en matière de transparence et d'évaluation de l'efficacité de cette politique publique. Ainsi, des dispositions permettant une évaluation indépendante devraient figurer dans le projet de loi à venir.
M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Les engagements de l'AFD devraient représenter 13,4 milliards d'euros d'engagement en 2020, contre 14,1 milliards d'euros en 2019. Elle compte 2 658 agents, avec 85 représentations dans le monde, dont sept sites parisiens et un centre de formation à Marseille. Elle intervient dans 110 pays.
Sa rémunération, de 105 millions d'euros, est déterminée selon une grille de prestations conventionnée qui nous a semblé cohérente avec l'évolution de l'activité - l'enveloppe de dons a été multipliée par 4,5 en 2019. Elle est aussi cohérente avec le respect de l'objectif, fixé dans le contrat d'objectifs et de moyens 2017-2019, de coefficient d'exploitation du groupe mesurant la part des frais généraux dans le produit net bancaire. Nous regrettons néanmoins que le contrat d'objectifs et de moyens 2020-2022 n'ait pas encore été signé entre l'État et l'AFD. L'AFD a un projet d'investissement immobilier, d'un coût non négligeable puisqu'il atteint 560 millions d'euros nets, pour regrouper ses services à Paris.
M. Vincent Delahaye. - Ils peuvent s'installer en banlieue !
M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Il nous semble nécessaire que l'AFD ait une bonne maîtrise de ses dépenses immobilières, et en particulier que le conseil d'administration, où siègent deux de nos collègues, examine attentivement la politique immobilière du groupe, pour s'assurer qu'on ne soit pas dans la démesure, mais dans la réalité des besoins. Le projet de loi de programmation prévoit la transformation de l'établissement public « Expertise France », qui a été créé en 2015, en société dont le capital serait détenu, au 1er juillet 2021, par l'AFD. Enfin, sachez que l'AFD organise jeudi prochain un forum international réunissant 450 banques de développement à Paris, pour réfléchir sur le verdissement des politiques financières et de développement.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - J'en viens à l'examen de l'article 53 rattaché à la mission, qui autorise le ministre chargé de l'économie à souscrire à l'augmentation générale de capital de la Banque africaine de développement approuvée par le Conseil des gouverneurs de 2019. Cette augmentation de capital devrait permettre à la Banque africaine de développement de passer d'un volume annuel de prêts d'environ 7 milliards d'euros à 8 milliards d'euros en 2025, puis 10 milliards d'euros en 2030. Pour la France, qui est actionnaire à hauteur de 3,8 % du capital, cette souscription à l'augmentation de capital se traduirait par des versements annuels, entre 2021 et 2028, d'un montant de 28,1 millions d'euros. Elle présente deux intérêts majeurs. D'une part, elle permet à la France de maintenir son rang parmi les principaux actionnaires non africains de la Banque. D'autre part, elle est conforme aux priorités fixées par le CICID de 2018, qui prévoit de renforcer l'aide publique au développement destinée à l'Afrique. Toutefois, cette augmentation de capital n'est pas un chèque en blanc. À l'image des exigences accrues envers l'AFD, l'activité de la Banque africaine de développement devra faire l'objet d'un suivi particulier, et d'une évaluation critique de son action. Aussi recommandons-nous à la commission l'adoption sans modification de l'article rattaché à la mission « Aide publique au développement ».
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - J'apporte à nos deux rapporteurs spéciaux une mauvaise nouvelle : le projet de loi de programmation qui devait être présenté aujourd'hui en conseil des ministres n'a pas été mis à l'ordre du jour. Pourtant, le ministre s'était engagé pour le mois de novembre. Il y a manifestement un décalage...
Vous avez parlé du fonds de solidarité pour le développement (FSD), qui a deux sources de financement. D'une part, la taxe sur les billets d'avion, qui est cette année en chute libre... En janvier, le manque à gagner sera de 120 millions d'euros. Une compensation est prévue pour cette année, mais il y a un risque aussi pour l'an prochain. D'autre part, la taxe sur les transactions financières, qui devrait rendre 1,7 milliard d'euros, a été pensée pour financer l'aide publique au développement, mais un plafonnement fait que seuls 520 millions d'euros y sont consacrés. Pourquoi ne pas déplafonner, ou au moins partager son produit en deux moitiés ?
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - L'essentiel a été dit. La commission des affaires étrangères est globalement satisfaite de l'augmentation du budget de l'AFD, mais s'interroge sur son fonctionnement. Elle s'intéresse aux instances qui peuvent être mises en place pour mieux piloter sa stratégie et mieux contrôler son action. Cette année, plusieurs conseils ont été créés, mais l'espoir d'un projet de loi de programmation semble déçu. Nous sommes en tous cas favorables à ces crédits.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour ce rapport spécial présenté à deux voix, avec des avis partagés. Vous avez souligné les efforts que la France conduit en matière d'aide au développement, conformément aux objectifs annoncés au début du quinquennat. L'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de notre commission montrait qu'il était difficile, pour le ministère des affaires étrangères, d'assurer la tutelle de l'AFD, dont l'autonomie fait parfois l'objet de critiques.
Par ailleurs, les crédits de l'AFD augmentent de façon continue et depuis plusieurs exercices.
Comment les relations entre cet opérateur et nos postes diplomatiques et consulaires s'organisent-elles ? Ne pensez-vous qu'il serait plus efficace pour notre pays d'augmenter ses contributions à des agences humanitaires des Nations unies, comme le Haut-Commissariat pour les réfugiés, plutôt que d'accroître notre aide humanitaire bilatérale ?
M. Patrice Joly. - Où en est la loi de programmation qui avait été annoncée l'année dernière ? La perspective d'attendre 0,55 % du PIB est atteinte - mais est-ce compte tenu de la recapitalisation de l'AFD ? La Cour des comptes se préoccupe de la lisibilité de nos interventions. Quelle est l'articulation entre les financements bilatéraux et multilatéraux ? Ces derniers ne diminuent-ils pas la lisibilité sur les actions de la France ? La crise sanitaire a-t-elle été l'occasion d'améliorations ? Il y a aussi la question de l'articulation des actions menées par l'AFD avec celles du ministère des affaires étrangères. La Cour des comptes a montré que la politique de rémunération était très généreuse. Les volumes financiers concernés sont importants : y a-t-il une perspective de création d'emplois ? Est-il question d'introduire un peu de mesure dans ces rémunérations ?
La crise a conduit à suspendre la charge de la dette de certains pays en développement. Le Président de la République avait annoncé qu'il fallait largement annuler la dette des pays les plus pauvres. Quelles sont les perspectives sur ce point ? L'extrême pauvreté augmente dans les pays en développement, ce qu'on n'avait pas connu au cours des vingt dernières années. Les crédits consacrés aux mesures des secteurs sociaux et sanitaires sont-ils suffisants au regard de cette crise ?
M. Marc Laménie. -La France consacre 10,9 milliards d'euros en 2019 à l'aide publique au développement. Cela concerne différents ministères, certainement. Comment les crédits sont-ils répartis ? De quels moyens humains l'AFD dispose-t-elle ? Comment sont-ils organisés ?
M. Albéric de Montgolfier. - Je partage les interrogations des rapporteurs spéciaux sur la pertinence d'une aide au développement pour les très grands émergents. Le sujet revient chaque année. La Chine est bénéficiaire de l'aide au développement, ce qui prête à sourire ! Sur les 121 millions d'euros d'aide publique bilatérale en cause, 67 millions d'euros correspondent aux frais d'écolage des étudiants chinois. Ne s'agit-il pas d'une forme d'affichage ou de gonflement des chiffres ? C'est mêler à l'aide publique au développement des choses qui n'ont rien à y faire... Je vois aussi que la moitié d'une enveloppe de 11 millions d'euros est consacrée à la lutte contre la déforestation en Amazonie. Que peut-on faire en la matière avec 5 ou 6 millions d'euros ? Je sais que les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais, en l'espèce, je soupçonne plutôt de l'affichage.
M. Vincent Delahaye. - Ce budget augmente de façon très conséquente. Jusqu'où cela ira-t-il ? Quand cela s'arrêtera-t-il ? Surtout, à quel moment allons-nous évaluer avant de continuer à augmenter ? Voilà plusieurs années qu'on appelle à davantage d'évaluations. On ne voit toujours rien venir. Je partage aussi les interrogations d'Albéric de Montgolfier sur les très grands émergents. Nous avons dépassé l'objectif de 0,55 % du RNB, alors que nous devions simplement l'atteindre. Où s'arrête-t-on ?
Je partage totalement, aussi, les réticences exprimées sur le projet immobilier. Nous ne sommes pas dans une période où l'on peut faire des projets immobiliers à 560 millions d'euros. La recapitalisation nécessaire de l'AFD coûtera 953 millions d'euros. Ces 953 millions d'euros prennent-ils en compte les 560 millions d'euros du projet immobilier ? Il y aura peut-être de l'emprunt, certes... Toujours est-il que les frais de fonctionnement et les frais généraux de l'AFD continuent à augmenter de façon substantielle. Je suis effaré par cette gestion, et très surpris qu'on puisse gérer l'argent public de cette façon. Je voterai contre ce budget, contre son augmentation démentielle et décidée sans évaluation préalable.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Vous nous interrogez sur les relations entre l'AFD et les postes consulaires et diplomatiques. Il y a des contacts permanents entre les antennes locales de l'AFD et les consulats ou les ambassades. Comme nous l'a dit l'ambassadeur au Tchad, les rapports, cela dépend des hommes et des femmes qui sont en poste !... Le Fonds de solidarité des projets innovants, géré par les ambassades, est passé de 60 à 70 millions d'euros cette année. Il s'agit d'une enveloppe directement à la main des ambassadeurs : on donne de l'argent aux ambassades pour qu'elles puissent intervenir sur de petits projets, dans un rôle d'amorçage. Ainsi, du campus franco-sénégalais, projet initié par ce Fonds avant que l'AFD ne prenne le relais après quelque mois : bon exemple de coopération entre l'AFD et les ambassades. En ce qui concerne la gouvernance, le projet de loi, qui semble quelque peu enlisé, mettra en place un conseil de coopération locale, qui sera piloté par l'ambassadeur.
Serait-il plus efficace d'augmenter nos contributions aux agences des Nations unies, comme le Haut-Commissariat pour les réfugiés, plutôt que d'augmenter l'aide humanitaire bilatérale ? Les deux leviers sont complémentaires. La présence de la France au sein des agences humanitaires de l'ONU permet d'orienter leur mobilisation et les financements. Pour répondre à des situations de crise ponctuelle, à l'inverse, l'aide humanitaire bilatérale est beaucoup plus souple et elle permet de répondre plus rapidement à des situations d'urgence, sur la base de remontées et de signalements des postes diplomatiques.
M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - Patrice Joly et les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères ont évoqué la loi de programmation qui devait être présentée au conseil des ministres aujourd'hui. Le projet de loi clarifiera le pilotage de l'aide publique au développement, mais aussi de la participation des collectivités territoriales à cette politique. Il devrait préciser le rôle de l'AFD et régler la question de l'intégration d'Expertise France. Il prévoit l'institution d'une commission d'évaluation indépendante, dont les contours restent à fixer, grâce à laquelle nous disposerons de tous les éléments d'information nécessaires pour procéder à une évaluation : pour l'heure, nous n'avons pas suffisamment d'éléments pour évaluer réellement la pertinence de notre politique d'aide au développement.
Vous avez évoqué la recapitalisation de l'AFD. Le renforcement des fonds propres passera par la conversion d'une ressource à condition spéciale dont bénéficie déjà l'AFD en fonds propres. L'AFD remboursera les montants associés à cette ressource - 953 millions d'euros - puis l'État recapitalisera à hauteur du même montant. L'enveloppe de 953 millions d'euros n'est pas destinée à payer l'investissement immobilier de l'AFD, mais à consolider les capitaux propres, sans imputation maastrichtienne effective, donc. Cela ne sera sans doute pas suffisant, et il faudra encore recapitaliser à l'avenir.
Patrice Joly a aussi évoqué la politique de rémunération, sujet qui a été évoqué aussi lors de l'examen de la mission précédente « Action extérieure de l'État ». Il y a une vraie différence entre les niveaux de rémunération en France, en administration centrale par exemple, et dans les réseaux.
Pour ce qui concerne la dette des pays en voie de développement, aucune annulation n'est aujourd'hui prévue, mais un rééchelonnement des paiements est envisagé, avec une suppression des paiements en 2021.
Les crédits aux secteurs sociaux et sanitaires seront-ils suffisants ? En tout cas, les enveloppes en dons et subventions sont réorientées pour accompagner la crise sanitaire, ce qui devrait permettre de répondre à un certain nombre de besoins. Dans le cadre du plan de relance, 50 millions d'euros sont consacrés, justement, aux questions sanitaires.
Marc Laménie a évoqué les moyens humains. Ils sont considérables pour l'AFD, qui dispose actuellement de 2 658 agents, sachant que ses effectifs ont beaucoup progressé ces dernières années. La direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international, au ministère, ne compte que 390 agents.
Albéric de Montgolfier a évoqué les très grands émergents, qui posent de vraies questions. Il nous semble important de veiller à la cohérence entre l'action diplomatique et l'action de développement. Le projet de loi prévoit justement une réunion périodique autour de l'ambassadeur pour y veiller : il ne faut pas que l'AFD intervienne sans que les ambassades soient au courant...
À l'occasion de l'examen de ce projet de loi de programmation pluriannuelle, nous devrons afficher des priorités d'action. Ce sera l'occasion de préciser, pour les années à venir, les pays et le type d'actions que nous souhaitons privilégier.
Vous avez évoqué la lutte contre la déforestation : je lisais ce matin que Jacques Rocher, président de la fondation Yves Rocher, se plaignait qu'il n'y ait pas assez d'actions contre la déforestation ! Certes, avec 11 millions d'euros, l'action de la France reste mineure. Nous avons aussi des besoins en la matière en Guyane.
Si l'on atteint l'objectif de 0,55 % du RNB dès cette année, c'est à cause du contexte, qui a fait baisser notre produit intérieur brut ! Les Britanniques, eux, ont diminué le montant de leur contribution pour qu'elle ne dépasse pas le ratio de 0,7 % qu'ils appliquent. Nous, nous avons décidé de maintenir, et même d'accroître, le montant de notre aide.
Sur les frais de fonctionnement et les frais généraux de l'AFD, il y a un travail à mener. Les membres du conseil d'administration de l'AFD doivent faire preuve d'une vigilance extrême, indépendamment de nos opérations de contrôle, pour que la gestion budgétaire de l'AFD reste aussi rigoureuse que possible.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. - Pendant longtemps, les rapporteurs spéciaux du budget de l'AFD siégeaient au conseil d'administration de l'AFD. Pour qu'ils ne soient plus juges et parties, nous n'y siégeons plus.
M. Claude Raynal, président. - Je me rappelle y avoir siégé moi-même... Vous émettez donc tous les deux un avis favorable sur la mission, l'article qui lui est rattaché et le compte de concours financiers.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement », ainsi que de l'article 53 rattaché.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 68 et 69)
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » demandés pour 2021 s'élèvent à environ 26 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), soit une stabilisation à périmètre courant par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.
À y regarder de plus près, la stabilité des crédits de prévision à prévision masque en réalité une nette décrue du budget de la mission en 2021, puisque l'exécution 2020 a été marquée par la réponse à la crise sanitaire, avec en particulier le financement d'aides exceptionnelles de solidarité représentant un total d'environ 2 milliards d'euros.
On aurait pu s'attendre à ce que le plan de relance vienne renforcer les dispositifs financés par la mission, mais force est de constater que ses apports sont bien maigres et se limitent pour l'essentiel à la création d'un fonds de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté doté de 50 millions d'euros en 2021.
On assiste donc en réalité à une reconduction du budget 2020, comme si le chômage et la pauvreté générés par la crise allaient s'évaporer au 1er janvier. Cela nous laisse quelque peu dubitatifs...
Nous ne pourrons pas couvrir l'ensemble des sujets traités par la mission, qui sont nombreux et variés.
Le financement de l'aide alimentaire doit constituer un axe prioritaire de la réponse à la crise. Pendant le confinement, et même après, les files actives devant les centres de distribution alimentaire ont augmenté de façon extrêmement préoccupante, avec dans certains cas des hausses de plus de 40 % du nombre de personnes venues demander un soutien. Les associations constatent aussi l'apparition de publics nouveaux, qui n'étaient jusqu'ici pas connus des acteurs des politiques sociales.
Des ambitions très importantes ont été affichées en la matière, avec le financement d'un programme de 869 millions d'euros de crédits nationaux - pour 110 millions d'euros - et européens - pour 769 millions d'euros - sur la période 2021-2027. Des incertitudes subsistent toutefois quant au fonctionnement concret du nouveau fonds dit FSE+ - Fonds social européen -, remplaçant le Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) à compter de 2021. Ni les administrations ni les associations ne disposent à ce stade de visibilité suffisante à ce sujet.
Comme nous l'avions montré lors d'un précédent rapport de contrôle, il est indispensable d'améliorer le système d'aide alimentaire européen, qui pose des exigences draconiennes pour la validation des montants présentés par les autorités nationales. Il conviendra de veiller à ce que les centaines de millions annoncés puissent effectivement être mobilisés en faveur des publics qui en ont le plus besoin.
Je souhaite également relever une tendance qui se fait jour à travers ce budget, à savoir l'affirmation du partenariat entre l'État et les départements dans la conduite des politiques sociales. En tant qu'ancien président de conseil départemental, le sujet me tient bien entendu particulièrement à coeur.
Les démarches de contractualisation avec l'État se développent de plus en plus, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre de la stratégie pauvreté ou du lancement de la stratégie protection de l'enfance.
Dans un monde idéal, les départements, qui disposent d'une expertise incontestée en la matière et d'une fine connaissance de leur territoire, devraient être en mesure de conduire leurs politiques sociales de façon autonome. Toutefois, au vu de leurs difficultés financières avérées, la contractualisation avec l'État, qui leur permet de bénéficier de moyens supplémentaires, constitue pour eux un moindre mal.
Encore faut-il toutefois que le processus de contractualisation se fasse sur une base équitable et que les départements soient pleinement associés à la définition des objectifs et des indicateurs de résultats des actions, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.
Pour consolider le partenariat État-départements, il faut aussi apaiser certaines tensions qui subsistent, au premier rang desquelles le financement de l'accueil et de la prise en charge des mineurs non accompagnés. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet lors de l'examen des articles rattachés à la mission.
En attendant, c'est avec un enthousiasme modéré que je vous propose d'adopter les crédits de la mission. Je crains cependant que ce ne soit pas la dernière fois que nous nous prononcerons sur ces crédits en 2021. Car un budget pour temps calmes semble quelque peu en décalage avec la situation du pays, qui imposera vraisemblablement de financer de nouvelles mesures en direction des publics les plus fragiles.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Je partage l'essentiel de ce qui a été dit par mon collègue Arnaud Bazin. Le principal problème ne réside pas dans les actions financées par la mission, qui sont utiles, voire indispensables, mais plutôt dans ce qu'il y manque, à savoir des mesures de soutien massif aux publics les plus fragiles, qui subissent de plein fouet les conséquences sociales de la crise sanitaire.
Les actions du plan de relance, en particulier celles en direction des jeunes, ne ciblent que ceux qui parviendront à s'inscrire dans un parcours d'insertion. Malgré un taux d'emploi des jeunes qui a déjà progressé de 3,1 points au deuxième trimestre 2020, il ne fait aucun doute que nombre d'entre eux seront laissés sur le bord du chemin. On évoque sans cesse le plan « un jeune, une solution » qui est bien mal nommé, car au jeune précaire qui ne trouve pas d'emploi, on ne propose pas de meilleure solution que 200 euros pour l'été, puis 150 euros pour l'automne.
Dans l'ensemble, comme l'a justement dit mon collègue Arnaud Bazin, c'est le budget de l'an passé qui est reconduit. Pour l'essentiel, les crédits de la mission évoluent comme les deux principaux dispositifs que la mission finance : la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), qui représentent à eux seuls 80 % des crédits de la mission.
Or, le montant de l'AAH tend à se stabiliser en 2020, suite à deux années marquées par des revalorisations qui doivent bien sûr être saluées, même si elles se sont accompagnées, comme nous avions déjà eu l'occasion de l'expliquer, de discrets coups de rabots avec la suppression du complément de ressources et la réforme des règles de prise en compte du revenu des couples.
Quant aux dépenses de la prime d'activité, celles-ci devraient même baisser. Cette diminution, qui tient au contexte de forte montée du chômage et donc de baisse du nombre de personnes éligibles, atteste du caractère procyclique du dispositif.
Celui-ci est manifeste en cas de perte d'emploi, puisque la prime n'est pas prise en compte pour le calcul de l'indemnisation du chômage, et a donc pour effet d'accentuer la chute du revenu des personnes perdant leur emploi. On se souvient de la promesse présidentielle selon laquelle, grâce à la prime d'activité, « le salaire d'un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois ». La crise est venue rappeler qu'en ce qu'elle n'ouvre aucun droit social, la prime d'activité n'est pas du salaire.
Nous avons consacré cette année un rapport de contrôle à la politique de lutte contre la violence faite aux femmes. Nous saluons la hausse significative des crédits du programme 137, consacré à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ceux-ci progressent en effet de 11,4 millions d'euros en CP, soit une hausse de 37,5 %. D'importants efforts restent encore à mener, qu'il s'agisse du nécessaire renforcement des structures d'accueil et d'écoute des femmes victimes de violences, ou encore de l'accompagnement des victimes de prostitution.
La lisibilité budgétaire de cette politique reste également à améliorer, sujet sur lequel notre rapport de contrôle formule plusieurs propositions qui, nous l'espérons, seront suivies d'effet.
Je tiens également à souligner que la période de la crise sanitaire, à fort risque du point de vue des violences conjugales, a donné lieu - de l'aveu même des associations concernées - à une réelle mobilisation des pouvoirs publics et des forces de l'ordre sur la question, ainsi qu'au déblocage de crédits supplémentaires pour financer des actions urgentes. Nous considérons que cette mobilisation doit devenir la norme.
Ainsi, malgré certains points positifs que j'ai pu souligner, ce budget ne cesse d'étonner par son déni de la crise sociale que nous traversons. Pour cette raison, et bien que pour l'essentiel mes constats convergent avec ceux d'Arnaud Bazin, je vous proposerai pour ma part de rejeter les crédits.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vos rapports convergent sur l'analyse, mais diffèrent quant au vote ! C'est la démocratie. Vous avez rappelé le rôle central des départements dans la conduite de nos politiques sociales. Comme moi, vous lisez dans la presse l'évocation d'évolutions possibles. Que pensez-vous de l'expérimentation prévue en Seine-Saint-Denis autour de la recentralisation du revenu de solidarité active ? Par ailleurs, j'aimerais connaître votre avis sur le dispositif d'emploi accompagné prévu par le plan de relance en faveur des personnes en situation de handicap ? Au-delà de l'intention, quel est l'état des lieux ? Quelles améliorations sont possibles ?
M. Antoine Lefèvre. - Ces rapports couvrent nombre de pans de notre vie sociale, avec une résonance particulière cette année. L'AAH n'avait pas été revalorisée en 2019. Lorsque l'allocataire est marié ou pacsé, les ressources du conjoint sont intégrées au calcul, ce qui est un péril pour la perception de l'allocation, vu l'accroissement du recours au chômage partiel par les employeurs depuis mars dernier. Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale sur le sujet. Avez-vous entendu parler d'une démarche de déconjugalisation de cette allocation ? Tout comme Éric Bocquet, je souligne la forte augmentation du budget consacré à la lutte contre les violences conjugales. Nous sommes à présent un an après le fameux Grenelle des violences conjugales, et celles-ci ont explosé pendant la période de confinement. Avez-vous fait le bilan des nouvelles actions, et notamment de la mise en place d'un nouveau numéro d'appel ? Où en est le projet d'abaisser l'âge d'éligibilité au revenu de solidarité active ?
M. Marc Laménie. - Nous parlons de montants particulièrement importants : 26 milliards d'euros ! Pourquoi un si faible taux de réponse - 21 % - au questionnaire ? En général, nous obtenons 90 % ou 95 % de réponses. Vous avez auditionné nombre de responsables, dans les services de l'État ou des collectivités territoriales, mais aussi dans de grandes associations. Quelle est la place de ces grandes associations dans la mission ? La délégation aux droits des femmes sera sensible à la revalorisation financière du programme 137. Mais la promotion de l'égalité femmes-hommes se répartit aussi entre d'autres missions et d'autres ministères : c'est compliqué... Sur les 26 milliards d'euros, une part notable est consacrée à l'AAH. Les départements frontaliers manquent souvent de places, et certaines personnes doivent se rendre en Belgique, par exemple. Outre les liens avec les départements, les villes et les intercommunalités jouent un rôle important, tout comme les centres communaux d'action sociale. Selon quelles modalités ?
M. Rémi Féraud. - Même si les rapporteurs spéciaux appartiennent à deux groupes politiques différents et proposent deux votes distincts, ils nous confirment tous les deux que la lutte contre la pauvreté est l'angle mort de ce budget - et de la politique du Gouvernement. Ce budget a été conçu pour une fin de crise sociale. Le Gouvernement envisage-t-il un projet de loi de finances rectificative pour prendre en compte la poursuite de la crise sanitaire et une période de confinement, et donc de crise sociale ? Les dispositifs qui visent à l'insertion sur le marché de l'emploi de publics en difficulté, en période de très forte hausse du chômage, semblent difficiles à mettre en oeuvre. Quel raisonnement a pu conduire à augmenter ces crédits dans une période comme celle que nous vivons ? Le résultat risque d'être des crédits non consommés. Sur la lutte contre les violences faites aux femmes, comment se fait-il que ce soit seulement aujourd'hui que le budget augmente de manière sensible ? Est-ce dû au changement de ministre ? À la prise en compte des conclusions du Grenelle ? Il y a un grand effet retard entre le budget qui nous est proposé et une communication très intense depuis le début du quinquennat. Est-ce à dire que la grande cause du quinquennat est vraiment mise en oeuvre dans son avant-dernier budget ?
M. Sébastien Meurant. - Vous avez mentionné un budget pour temps calmes. Ce n'est pas ce que nous allons vivre ni ce que nous vivons ! On espère le retour du soleil, mais ce ne sera certainement pas pour tout de suite. Certains chiffres concernent 2018, notamment sur les mineurs non accompagnés. Avez-vous des chiffres plus récents ? Les projections qui figurent dans votre note de présentation s'appuient sur les chiffres de l'Association des départements de France. Par ailleurs, il est vrai que la faiblesse du taux de réponse est en effet assez surprenante.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Oui, nos votes diffèrent. Sans enthousiasme particulièrement marqué pour ce budget, j'appelle, en responsabilité, à voter les crédits de l'AAH et de la prime d'activité. Mais nous sommes d'accord : comme en 2020, il y aura des efforts complémentaires à fournir durant l'année, certainement par des projets de loi de finances rectificative, pour prendre en compte la situation sociale de nos compatriotes les plus démunis.
Sur la recentralisation du RSA, les départements sont assez partagés. Il y a un problème de financement, avec un reste à charge considérable pour les départements, qui ne fait que s'aggraver, puisque la valeur de référence remonte à 2010. Tous les départements ne souhaitent donc pas s'engager dans cette démarche. En ce qui concerne l'annonce faite pour le département de Seine-Saint-Denis, comme dans les discussions préalables qui ont eu lieu entre les départements et les gouvernements des deux précédentes mandatures présidentielles, tout va dépendre des modalités : quelle sera l'année de référence pour reprendre les recettes au département ? Y aura-t-il une clause de retour à meilleure fortune ? Quid du financement de l'insertion elle-même ? Qui en sera le maître d'oeuvre ? Si c'est toujours le département qui conserve les politiques d'insertion, y aura-t-il des clauses l'obligeant à dépenser des montants précis en pourcentage de l'allocation, comme c'était le cas avant la décentralisation du revenu de solidarité active ? Nous n'en savons rien, à ce stade, et nous ne pouvons donc pas estimer si cette perspective de recentralisation est crédible, et si elle sera réellement acceptable par le département concerné. L'obtention de ces précisions a de l'importance, puisque le département de Seine-Saint-Denis, par exemple, dépense plus de 500 millions d'euros annuellement pour le service d'allocation du revenu de solidarité active. Si on fait remonter 500 millions de recettes à l'État, ce n'est pas la même chose que si on fait remonter 350 millions d'euros... C'est tout le sujet du débat que les départements ont eu, à plusieurs reprises, avec différents gouvernements, et c'est ce qui a empêché d'aboutir à une solution. Nous serons fixés dans les mois qui viennent.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Le dispositif d'emploi accompagné des personnes handicapées dans leur démarche d'insertion consiste en un suivi médico-social approfondi des personnes en situation de handicap, pour les aider à trouver de l'emploi ou à s'y maintenir ; mais ce dispositif prévoit aussi l'accompagnement de l'employeur. Entre 2020 et 2021, les crédits montent en puissance, et passent de 10 à 22,5 millions d'euros : le Gouvernement semble beaucoup compter sur cette mesure, qui a fait la preuve d'une certaine efficacité, puisque 60 % des personnes concernées trouvent un emploi, dont 60 % en CDI. Pour autant, il ne s'agit pas d'un dispositif de masse, et il reste assez restreint dans son périmètre.
Marc Laménie avait évoqué les 21 % de réponses. En fait, nous avons finalement reçu toutes les réponses. La période est très compliquée : la durée des auditions a été limitée, il a fallu faire vite, et passer parfois par la visioconférence - notamment avec la ministre, que nous nous réjouissons d'avoir pu entendre. Les associations ont une place centrale dans ces actions. Nous l'avions remarqué sur l'aide alimentaire, mais c'est aussi vrai pour tous les sujets. Par exemple, dans la lutte contre les violences faites aux femmes interviennent des associations très militantes et très expérimentées, qui font un travail de proximité absolument remarquable, et demandent à être soutenues. La question des places en établissements revient chaque année. Cette année, nous n'avons pas pu explorer cette thématique. Vous évoquez l'hébergement de personnes handicapées en Belgique. Là aussi, on en parle chaque année. Ma région est concernée...
Aucun projet de loi de finances rectificative n'est prévu pour l'instant, monsieur Féraud, mais, comme le souligne le rapport, il ne se passe pas une journée sans que la presse ne relaie des cris d'alerte des associations caritatives, de banques alimentaires, de la Croix-Rouge ou des soupes populaires. Et nous ne sommes même pas au début de l'hiver ! D'où ma réserve sur le sujet. Sur les violences faites aux femmes, nous avons aussi le sentiment d'un certain décalage. Ce sujet avait été déclaré cause du quinquennat ; la pandémie a eu un effet de révélateur, spectaculaire, qui a choqué l'opinion, et la mobilisation des associations a fait prendre conscience à l'opinion publique au sens large de l'existence et de l'ampleur du phénomène, et de ses conséquences dramatiques pour les femmes concernées. Nous avons pu contribuer à cette évolution par le rapport que nous avions coécrit, qui n'avait pas beaucoup plu à la ministre à l'époque. Les associations ont réussi à faire bouger les choses, enfin. Ainsi, on observe une évolution incontestable dans la prise en compte du sujet par les forces de police. Il faut que cette dynamique se prolonge dans les années qui viennent, malgré le confinement et le retour de la question du terrorisme. La ministre nous a confirmé que l'accueil et la prise en charge des femmes victimes de violences resterait une priorité des forces de police.
La déconjugalisation des revenus évoquée par Antoine Lefèvre représente 287 millions d'euros d'économie chaque année pour l'État. C'est contraire au principe d'autonomie, et les associations sont revenues sur le sujet. Cette décision a été mal vécue, et elle continue d'être combattue.
Sur le revenu de solidarité active, pas d'annonce particulière à signaler. Le revenu universel d'activité, qui était en chantier, reste présenté comme un objectif, mais n'est plus à l'ordre du jour immédiat.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Sur la question des violences conjugales dans le contexte de crise sanitaire, il nous faut reconnaître que l'État s'est mobilisé dans toutes ses composantes, y compris à travers la police et la gendarmerie. De nouvelles modalités d'écoute ont été mises en oeuvre, notamment dans les pharmacies et les centres commerciaux. Quant à la ligne d'écoute 3919, elle fonctionnera bientôt vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui permettra notamment une meilleure prise en charge des appels venus d'outre-mer. À cet effet, un marché public doit être ouvert très prochainement, ce qui inquiète un peu l'association qui gère aujourd'hui la ligne avec une grande efficacité, et il nous faudra suivre cette affaire de près. La mobilisation de l'État nous semble donc avoir été à la hauteur des enjeux.
Marc Laménie et Rémi Féraud ont bien noté l'augmentation du budget du programme 137. Cependant, cette augmentation de 40 % ne porte que sur 30 millions d'euros. Les sommes prévues dans le cadre du Grenelle ne relèvent pas du même ordre de grandeur et se comptent en milliards d'euros. Les efforts menés dans le cadre du programme 137 sont donc importants, mais c'est la politique interministérielle qui engage les montants les plus significatifs. Bien cerner les contours de cette politique est d'ailleurs une tâche difficile, tant les changements de périmètre sont constants. Par ailleurs, certaines manoeuvres rendent parfois difficile l'appréhension de la réalité de cette politique. L'année dernière, sur les 1,1 milliard d'euros prévus par le Grenelle, plus de 800 millions relevaient de l'aide au développement ! La moitié des sommes restantes couvrait la valorisation des salaires des professeurs d'histoire-géographie, pour les heures consacrées à l'enseignement de la question de l'égalité entre les garçons et les filles. Nous avons informé Mme la Ministre de notre intérêt pour des documents qui nous permettraient de lire la politique interministérielle de façon précise et transparente.
En tant que président de département ayant recours à des établissements belges pour l'accueil d'un certain nombre de personnes handicapées, je me suis rendu dans ces établissements. Les prestations y étaient de très bonne qualité, pour un prix bien moindre que ceux que nous pratiquons en France. Et il est vrai que pour les habitants du nord de l'Île-de-France, ces établissements sont d'un accès facile. Il faut nous montrer pragmatiques, et ne pas condamner de façon systématique cette réponse donnée au problème du manque de place.
Je partage l'interrogation de Rémi Féraud sur l'insertion. Les crédits seront-ils réellement consommés dans le contexte économique qui s'annonce ? S'agira-t-il seulement d'un effet d'affichage ? Nous n'aurons la réponse que dans un an, lors du prochain examen de loi de finances.
Sur la question des mineurs non accompagnés, je voudrais vous donner une idée de l'ordre de grandeur : en 2011, dans le département du Val-d'Oise, nous y avons consacré environ 3 millions d'euros, sur un budget de 100 millions d'euros consacrés à l'aide sociale à l'enfance. Cette année, le montant attribué est de 34 millions d'euros. Le sujet est donc devenu extrêmement important. Selon les chiffres dont nous disposons, 30 000 jeunes ont été pris en charge sur l'ensemble du territoire en 2019. J'attire cependant votre attention sur la difficulté d'obtenir des chiffres précis. En effet, il est parfois difficile de réconcilier les chiffres de l'État, qui prend en charge les premiers frais et l'évaluation de minorité, et ceux des départements, responsables de la prise en charge ultérieure. Celle-ci ne s'arrête d'ailleurs pas toujours à la majorité, et peut continuer jusqu'à l'insertion professionnelle, que les jeunes souhaitent le plus souvent rapide afin de pouvoir rembourser les réseaux de passeurs et aider leurs familles. La situation a néanmoins quelque peu changé avec l'apparition du phénomène des enfants des rues, qui échappent à tous les efforts, qu'ils soient menés par les départements ou l'État.
Il semblerait que le nombre de MNA se soit stabilisé en raison de la crise sanitaire, mais il reste difficile d'obtenir des données précises. Je profite de cette occasion pour présenter l'article 69 rattaché à la mission, qui prévoit une demande d'un rapport sur ce sujet . Je connais et partage la petite appétence de notre commission pour les rapports, mais si une exception doit être faite, c'est bien celle-là. En effet, 2 milliards d'euros sont aujourd'hui consacrés à cette question par les départements et, au-delà de cet aspect financier, il s'agit d'un véritable sujet pour l'aide sociale à l'enfance.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Pour mémoire, dans le droit commun, le dispositif d'AAH regroupe deux prestations : l'AAH-1, qui concerne les personnes dont le handicap représente un taux d'incapacité de 80 % ou plus, et l'AAH-2, qui s'adresse aux personnes pour qui ce taux est compris entre 50 % et 79 %. Or, dans le droit actuel, seul l'AAH-1 s'applique à Mayotte. L'article 62 doit permettre d'y étendre l'AAH-2, au plus tard au 1er octobre 2021. Nous ne pouvons qu'approuver cet alignement et nous vous proposons d'adopter cet article sans modification.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 68.
M. Claude Raynal, président. - L'article 69 prévoit une demande de rapport sur les mineurs non accompagnés. Il a déjà été présenté par les rapporteurs, qui proposent son adoption : un certain laisser-faire de notre part...
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - J'espère avoir bien plaidé la cause, monsieur le président.
M. Claude Raynal, président. - Remarquablement !
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 69.
La réunion est close à 17 h 35.
Jeudi 12 novembre 2020
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances 2021- Examen des articles de la première partie - Tome II du rapport général
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements du rapporteur général sur les articles de première partie du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous proposerai ce matin 29 amendements, sur la première partie du projet de loi de finances initiale pour 2021 qui comprend des dispositifs souvent techniques. Je note d'ailleurs que plusieurs articles visent en particulier à assurer la conformité de mesures législatives soit avec des normes européennes, soit avec des décisions jurisprudentielles. Bien sûr, des articles visent aussi à apporter davantage de soutien aux entreprises touchées par les conséquences de la crise sanitaire.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.1, je vous propose de relever le plafond du quotient familial de 1 570 euros à 1 750 euros par demi-part pour l'impôt sur le revenu 2021, afin de redonner du pouvoir d'achat aux familles, dans un contexte particulièrement difficile de crise économique induite par l'épidémie de covid-19. La majorité sénatoriale présente régulièrement cette mesure de pouvoir d'achat.
L'amendement FINC.1 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.2, je vous propose de supprimer deux autres « gages », qui n'ont pas été levés au sein de la troisième loi de finances rectificative pour 2020.
L'amendement FINC.2 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.3 amplifie la réduction du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée proposée par le Gouvernement, pour que le secteur industriel bénéficie pleinement de la baisse des impôts de production.
Pour éviter que la baisse d'impôts ne se traduise par un ressaut d'imposition neutralisant une partie du gain, le Gouvernement propose de réduire le taux du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée de 3 % à 2 %. Cette réduction n'est pas suffisante pour neutraliser intégralement le ressaut d'imposition ; c'est pourquoi je vous propose d'abaisser à 1,5 % le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée, ce qui neutraliserait complètement le ressaut d'imposition. Nous sommes bien dans la logique poursuivie par la réforme, tout en épargnant les collectivités territoriales, puisque la diminution que nous proposons est neutre pour elles.
Mme Christine Lavarde. - Avec cet amendement, atteindrons-nous bien 10 milliards d'euros de baisse d'impôts de production, ou bien le ressaut de l'impôt sur les sociétés (IS) continuera-t-il de rogner cette baisse ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Non, le ressaut de l'IS est maintenu, donc la baisse d'impôts de production se situe plutôt à 8,2 milliards d'euros en rythme de croisière.
M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, je suis réservé sur l'impact de cet article.
M. Pascal Savoldelli. - Je doute fort que cet amendement ne dégrade pas le solde des comptes publics...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les circonstances sont inédites, je propose d'être le plus juste dans l'engagement des réformes en préservant au mieux les ressources des collectivités territoriales, tout en garantissant l'engagement de l'État vis-à-vis des entreprises.
M. Claude Raynal, président. - Je m'interroge sur l'impact de cet article, car il est entièrement fonction de la répartition entre le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et celui de la cotisation foncière des entreprises (CFE) des établissements industriels. De même, nous ne savons pas bien s'il touchera davantage les petites ou les grandes entreprises, sachant que les premières sont plus sensibles à la CFE, et les secondes à la CVAE...
L'amendement FINC.3 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article autorise le contribuable à générer une moins-value imputable sur les plus-values de même nature lorsque ses titres sont annulés dans le cadre de la réduction totale du capital de la société dont il est associé, pour cause de pertes égales ou supérieures aux capitaux propres.
Avec l'amendement FINC.4, je vous propose d'étendre cette possibilité à l'hypothèse où la réduction du capital de la société n'est que partielle lorsque l'apurement est obligatoire. Cela éviterait que le contribuable n'assume la totalité de la perte dans cette hypothèse, tout en remédiant à l'existence d'un biais en faveur des opérations d'apurement des pertes par réduction de la valeur nominale des titres.
L'amendement FINC.4 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article, introduit contre l'avis du Gouvernement, concerne le mécanisme fiscal incitatif, permettant l'imposition à taux réduit de la plus-value enregistrée par une entreprise lorsqu'elle cède un bien à une société prenant l'engagement d'y réaliser des logements. L'article permet à la société acquéreuse de demander à l'autorité administrative la prolongation du délai de quatre ans dont elle dispose pour transformer le bien, chaque année et de façon renouvelable. Avec l'amendement FINC.5, nous limitons cette possibilité de prolongation à un an renouvelable une fois, ce qui laisse, en tout, six années à l'acquéreur pour réaliser les logements.
L'amendement FINC.5 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article relève de 7,63 millions à 10 millions d'euros le seuil de chiffre d'affaires en deçà duquel une petite et moyenne entreprise applique le taux réduit d'impôt sur les sociétés de 15 % sur une fraction de son bénéfice. Ce niveau ne fait en réalité que tenir compte de l'inflation, puisque ce seuil n'a pas évolué depuis le passage à l'euro en 2002. Avec l'amendement FINC.6, je vous propose de compléter le dispositif afin de relever le montant de la fraction de bénéfices éligible au taux réduit d'impôt sur les sociétés de 38 120 euros à 50 000 euros. L'amendement propose aussi de rehausser de 7,63 millions d'euros à 10 millions d'euros le seuil de chiffre d'affaires en deçà duquel une entreprise n'est pas assujettie à la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, ainsi que de porter de 763 000 euros à 1 million d'euros le montant de l'abattement applicable.
M. Claude Raynal, président. - Combien coûtera à l'État le relèvement du seuil pour la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Une trentaine de millions d'euros.
L'amendement FINC.6 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cet article intègre dans les dépenses de production, éligibles au crédit d'impôt phonographique, les dépenses liées à la réalisation et à la production d'images utiles au développement de la carrière de l'artiste, alors qu'elles figurent actuellement dans la catégorie des dépenses de développement qui sont plafonnées à 350 000 euros par enregistrement phonographique. Cet élargissement est censé faciliter le recours à la production de vidéoclips et soutenir le secteur dans la crise actuelle.
Cette ouverture présente un risque d'effet de bord en assimilant toute dépense liée à la réalisation et à la production d'images autour d'un artiste à celles qui sont nécessaires à la production d'un vidéoclip. Je vous propose donc, avec l'amendement FINC.7, de préciser que les dépenses doivent être associées à l'enregistrement phonographique.
L'amendement FINC.7 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.8, je vous propose d'étendre d'un an, soit jusqu'en 2022, le bénéfice du crédit d'impôt au titre des dépenses de rénovation énergétique des bâtiments ou parties de bâtiments à usage tertiaire des petites et moyennes entreprises (PME).
L'amendement FINC.8 est adopté.
L'amendement rédactionnel FINC.9 est adopté.
Articles additionnels après l'article 4
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.10, je vous propose d'inciter les entreprises à investir, en majorant à titre temporaire les coefficients appliqués en cas d'amortissement dégressif, ce qui permet de déduire plus rapidement les investissements consentis.
L'amendement FINC.10 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.11, je vous propose de relever de 1 à 5 millions d'euros, jusqu'au 31 décembre 2021, le plafond du carry back, c'est-à-dire le montant de déficit reportable en arrière. Le carry back déroge au droit commun, dans lequel les déficits sont reportés en avant. Il n'entraîne toutefois qu'un coût de trésorerie pour l'État, alors qu'il permet aux entreprises d'absorber immédiatement une partie de leurs dettes, donc de repartir plus rapidement : c'est un outil classique de relance de l'activité, utilisé après la crise financière de 2008. Cette année, nous avons proposé d'y recourir dans le troisième collectif budgétaire, le Gouvernement n'en a pas voulu, en nous renvoyant au plan de relance. Or, du fait des pertes très élevées qu'elles ont subies cette année, des entreprises vont pâtir du plafond fixé à 1 million d'euros : il vous est donc proposé, de nouveau, de le relever à 5 millions d'euros jusqu'à la fin de l'année prochaine.
M. Claude Raynal, président. - Je note que vous bordez cette augmentation dans le temps.
M. Pascal Savoldelli. - Comment avez-vous déterminé ce montant de 5 millions d'euros ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'idée est de donner suffisamment de souplesse aux entreprises, jusque fin 2021, de desserrer la contrainte pour que les entreprises ne soient pas freinées dans la reprise en permettant une absorption rapide de leurs pertes : le carry back, fonctionne très bien pour cela, et l'Allemagne a prévu le même dispositif temporaire, avec un plafond de 5 millions d'euros. Le mécanisme était totalement déplafonné en 2008, et plafonné depuis à 1 million d'euros ; nous avons fixé ce montant à 5 millions d'euros en recherchant un équilibre.
L'amendement FINC.11 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.12 vise à introduire une contribution exceptionnelle de 1 % sur le chiffre d'affaires réalisé par les grandes entreprises de vente à distance en 2020. Ces entreprises ont bénéficié de conditions exceptionnelles dans la crise sanitaire, car la vente à distance les a placées en situation bien plus favorable que les autres commerces. Dans ces circonstances exceptionnelles, nous leur demandons un effort exceptionnel. Nous bornons le dispositif en l'appliquant aux seules entreprises ayant réalisé un chiffre d'affaire d'au moins 250 millions d'euros : notre objectif n'est pas de viser la prospérité des entreprises, mais bien le surplus que la vente à distance a permis dans les conditions exceptionnelles de la crise sanitaire. Le produit de cette contribution est évalué à 500 millions d'euros, qui seraient orientés vers les acteurs économiques de proximité - en particulier le petit commerce qui est considéré comme « non-essentiel ».
M. Roger Karoutchi. - Une telle taxe n'est pas sans danger parce qu'elle peut frapper indistinctement des entreprises dont la situation n'est pas toujours prospère. Est-ce qu'on pourra distinguer les entreprises de vente à distance classiques, qui ont pu ne pas tirer un surplus de la crise sanitaire, et les plateformes en ligne, qui en ont bénéficié largement ?
M. Philippe Dallier. - J'ai la même question, car des entreprises de vente à distance se portent mal : le seul critère du chiffre d'affaires ne suffit probablement pas.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai omis un second critère : il faut que l'entreprise réalise au moins la moitié de son chiffre d'affaires dans la vente à distance. Et il y a aussi, donc, le seuil de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires.
M. Philippe Dallier. - Même combinés entre eux, ces deux critères risquent de pénaliser des entreprises de vente à distance qui ne sont pas si prospères dans cette période de crise.
M. Roger Karoutchi. - Chacun connait une société issue de l'industrie textile dans le nord de la France, qui ne fait quasiment que de la vente en ligne, sans magasin, et dont le chiffre d'affaires est probablement supérieur à 250 millions d'euros : cette société pourrait être touchée, alors que la crise sanitaire ne lui a pas forcément apporté plus de ventes : la contribution serait alors injuste.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je suis sceptique sur l'impact d'une telle contribution. Alors que l'économie est à terre, le secteur de la vente en ligne se porte très bien : on peut être tenté de le taxer. Mais le critère du chiffre d'affaires est très large, le bénéfice serait plus pertinent. D'autres mesures de soutien au petit commerce seraient peut-être plus utiles.
M. Albéric de Montgolfier. - La concurrence des plateformes numériques pose un problème bien plus large - voyez par exemple la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), que les commerces physiques doivent payer alors que ces plateformes y échappent, nous allons devoir faire quelque chose. Peut-on passer par une taxe sur le profit ? Ce n'est pas pertinent, car les plateformes numériques ne font pas leur bénéfice sur notre territoire - c'est pourquoi la taxe sur le chiffre d'affaires est la seule possibilité qui soit compatible avec notre droit ; on peut d'ailleurs en relever de beaucoup le seuil, afin que la taxe ne concerne plus que quelques grandes plateformes.
Un autre critère est de prendre en compte l'intermédiation, sachant que le chiffre d'affaires des plateformes numériques vient pour beaucoup de la vente par des tiers - on a utilisé ce critère dans la taxe sur les services numériques. J'insiste, la Tascom pose un problème important, en favorisant les commerces qui n'ont pas de surfaces commerciales, les drive par exemple - le groupe Printemps vient d'annoncer la fermeture de sept magasins, avec des conséquences pour les ressources locales.
M. Claude Raynal, président. - Attention à ne pas créer une taxe qui ne viserait plus qu'une entreprise, fût-elle une plateforme numérique - le Conseil constitutionnel ne manquerait pas de sévir...
M. Pascal Savoldelli. - Il me semble possible d'améliorer la rédaction de cet amendement, et nous pourrions le voter. Je note que votre louable sensibilité pour le petit commerce vous conduit à poser des conditions au soutien public - ce que vous ne faites pas pour d'autres secteurs, par exemple en matière de déficits reportables : vous pourriez encore gagner en cohérence...
M. Michel Canevet. - Il faut donner des signes sur la taxation de certains opérateurs, quand les conditions de la concurrence ne sont pas réunies. Il faudrait prendre en compte les intermédiations sur les plateformes numériques, car nous voyons bien qu'elles prospèrent, quand les commerces traditionnels ont les plus grandes difficultés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Attention, cet amendement ne prétend pas doubler la taxe sur les services numériques ; ce n'est pas son objet. C'est pourquoi nous ne visons pas l'intermédiation, mais bien la vente à distance. Je vous propose de retirer l'amendement pour vous en proposer une nouvelle rédaction en vue de la séance plénière. Il faut trouver une solution, je veux en trouver le chemin, car j'entends les colères, non pas seulement des soignants, mais d'une partie des Français qui trouvent injuste de voir fermer les « petits » commerces et pour qui les « gros » seraient intouchables. La solution sera par nature imparfaite, je l'assume, mais on ne peut rester les mains dans les poches dans la situation actuelle, en s'abritant derrière la liberté du commerce.
M. Albéric de Montgolfier. - Je vous soutiens, on ne saurait rester indifférent. Je vois sur une chaîne d'information en continu que Bruno Le Maire appelle les Français à faire « un geste patriotique dans les commerces de proximité » : encore faut-il qu'ils soient ouverts ! La situation va devenir insupportable. Pour avoir examiné dans le détail les transactions fiscales des grandes plateformes numériques, je peux vous dire qu'elles paient peu d'impôts par rapport aux commerces traditionnels. Qui plus est, l'article 10 du projet de loi de finances repousse encore l'entrée en vigueur des règles modifiant le régime de TVA du commerce électronique ...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Effectivement, car les États membres et les services des douanes ne sont pas tous prêts pour les appliquer.
M. Albéric de Montgolfier. - Il faudra bien, au moins, percevoir la TVA sur l'intégralité de leurs ventes...
L'amendement FINC.12 est retiré.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Avec l'amendement FINC.13, je vous propose d'instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité sur le secteur des assurances de dommages. Nous avons eu un débat vif lors du deuxième collectif budgétaire, une première contribution au fonds de solidarité du secteur assurantiel, de 200 millions d'euros, apparaissant très insuffisant ; elle a été doublée, et Gérald Darmanin avait accepté de nous faire un rapport sur une taxation exceptionnelle. L'étude du gouvernement confirme que, pendant le confinement, les compagnies d'assurance ont eu à couvrir moins de sinistres, du fait en particulier d'une bien moindre circulation automobile. Je vous propose donc de prendre sur ces prestations non versées, en demandant aux compagnies une contribution de 1 % du chiffre d'affaires de leur branche dommages, et ce pour la seule année 2020 - cela représenterait entre 500 et 600 millions d'euros.
M. Vincent Segouin. - Il faudrait s'assurer que cette taxe ne soit pas reportée sur les assurés : est-ce possible ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On ne peut pas le faire dans la loi... Les compagnies d'assurance, en réalité, ne manquent pas d'augmenter les primes : des chefs d'entreprises m'ont dit qu'elles leur annonçaient des augmentations comprises entre 25 et 30 % des primes - et le secteur a annoncé qu'il ne couvrirait pas les pertes d'exploitation liées à la pandémie en 2021, même pour les garanties qui auraient pu être mises en oeuvre. Le secteur de l'assurance va réagir, il y a un débat politique, nous devons en considérer les enjeux économiques et financiers.
M. Roger Karoutchi. - Les conditions d'indemnisation sont fixées d'année en année, en fonction de l'état des risques, des accidents, etc. Or, l'année 2020 sera beaucoup moins lourde du point de vue des remboursements de sinistres que l'année 2019. Je comprends l'interrogation de M. Segouin, mais il faudrait que les compagnies d'assurance s'engagent pour 2021 à ce que leurs cotisations soient fixées avec les mêmes critères qu'en 2019.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - À ma connaissance, les compagnies d'assurance n'annoncent pas de baisses de tarifs généralisées pour l'année prochaine. Elles seront peut-être tentées d'augmenter sans le dire leurs cotisations pour y intégrer cette contribution. Parallèlement, n'oublions pas que le Gouvernement a institué une taxe sur les complémentaires santé dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) au titre des exercices 2020 et 2021, et que le rapporteur général de la commission des affaires sociales a proposé le doublement de celle-ci pour 2021. Lorsque nous l'avons auditionnée, la Fédération française de l'assurance nous a fait part des différentes sommes engagées, et je reconnais que des efforts ont été faits. Toutefois, ceux-ci pourraient être plus importants encore. Si la fédération a pris quelques mesures nouvelles avec le deuxième confinement, un nouvel abondement du fonds de solidarité ne semble pas à l'ordre du jour, arguant du fait que les assurances seraient seules - un argument que j'entends. C'est aujourd'hui le seul secteur d'activité économique à avoir apporté une contribution volontaire ; c'est un point que nous devons prendre en compte dans notre débat.
M. Claude Raynal, président. - Rappelons qu'il s'agit d'une contribution exceptionnelle, uniquement pour 2020. Si les tarifs venaient à augmenter pour en tenir compte, ils devraient logiquement baisser l'année suivante.
L'amendement FINC.13 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.14 vise à reporter d'une année supplémentaire le terme prévu pour la suppression du dispositif de doublement d'assiette applicable dans le cadre du crédit d'impôt recherche, pour les dépenses de recherche sous-traitées auprès d'organismes publics. Pour ne rien vous cacher, un gros opérateur national s'est ému de la situation, et nous avons travaillé sur le sujet avec le rapporteur spécial de la mission « Recherche ». L'idée est de disposer d'un an pour imaginer de nouvelles solutions qui viendraient se substituer à celle qui doit être supprimée.
M. Philippe Dallier. - À la lecture de l'objet, je comprends qu'il est quasiment certain que nous serons condamnés par Bruxelles. Si le dispositif n'est pas conforme au droit européen, pourquoi, dans ce cas, proposer l'allongement d'un an ? Les contentieux de ce genre nous ont déjà coûté très cher par le passé. Vous voulez sécuriser juridiquement le dispositif. Mais s'il n'est pas conforme, il faut plutôt en trouver un autre ! Je ne pense pas que le Gouvernement sera favorable à un dispositif qui nous entraînera à coup sûr vers une condamnation. De combien est l'enjeu financier ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Actuellement, une plainte a été déposée auprès de la Commission européenne, et c'est justement pour anticiper que la suppression du dispositif a été proposée par le Gouvernement d'ici 2022. Mais il faut tenir compte de la réaction des organismes. Par exemple, le Commissariat de l'énergie atomique (CEA) est fortement tributaire de ce dispositif dans son fonctionnement et estime que sa suppression diminuera de 60 millions d'euros ses recettes industrielles à compter de 2022. Nous faisons donc le choix de nous donner un peu de temps pour travailler à un nouveau dispositif.
M. Claude Raynal, président. - On peut le considérer comme un amendement d'appel au Gouvernement.
L'amendement FINC.14 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il est rare que nous demandions un rapport, mais en l'espèce, celui-ci paraît justifié. En effet, l'article 8 quater reprend un dispositif d'abattement sur les plus-values de cessions immobilières instauré par l'article 28 de la loi de finances rectificative pour 2017. Cette loi prévoyait également un rapport d'évaluation, qui n'a jamais été produit.
L'amendement FINC.15 vise l'établissement de ce rapport, afin de voir si le dispositif permet effectivement de répondre à des enjeux importants comme la consommation foncière et l'artificialisation des sols. Pour reprendre les mots du Premier ministre, l'objectif est d'éviter l'artificialisation des sols en dehors des périmètres définis. Dans ce cadre, un véritable diagnostic sur l'état de l'offre foncière permettrait de répondre à l'impératif de « sobriété », c'est-à-dire de réduction de la consommation. Il s'agit de déterminer le foncier disponible, à la fois dans des zones de conversion industrielles qui nécessitent des mutations, mais aussi ailleurs. Malheureusement, la consommation et l'artificialisation continuent, certes à vitesse réduite dans certains départements, mais pas tous. Lorsqu'on évoque la consommation foncière, les citoyens pensent aux entreprises ou à l'habitat. Or, les aménagements d'infrastructures sont aussi fortement consommateurs de sols, et sont parfois demandés par les mêmes que ceux qui souhaiteraient réduire cette consommation. Un bon diagnostic permet de mieux mesurer les choses.
M. Claude Raynal, président. - Il pourrait être intéressant de faire un rappel général au Gouvernement concernant tous ces rapports, prévus par des textes, qui n'ont finalement jamais été produits.
Mme Christine Lavarde. - Finalement, on réécrit ici des éléments qui ont déjà été votés par le Parlement, ce qui ne nous donne aucune garantie de l'efficacité de notre démarche. Ne pourrait-on pas exiger ce rapport par un autre moyen ?
De plus, l'article 8 quater étend un crédit d'impôt déjà voté dans la loi de finances rectificative de 2017, et ce sans aucune évaluation. C'est contradictoire avec l'idée d'évaluation des dépenses fiscales et avec la loi de programmation des finances publiques. Je comprends l'intérêt de la mesure, mais ici, on accepte un dispositif dont l'efficacité n'est pas assurée, pour ensuite l'évaluer a posteriori.
M. Vincent Delahaye. - En France, le régime d'imposition des plus-values de cessions immobilières est particulièrement compliqué et antiéconomique. Avec le groupe de l'Union Centriste, j'ai proposé un amendement visant à simplifier largement cette imposition, qui a été approuvé à plusieurs reprises par le Sénat. Il permettait à la fois de sortir des dispositifs d'abattements, dont il est toujours très compliqué de faire des bilans chiffrés, mais aussi de simplifier ce dispositif pour la rendre beaucoup plus économique. Je ne soutiens donc pas la demande d'un rapport supplémentaire. Au contraire, je pense qu'il faut aller vers la simplification de l'ensemble de l'imposition des plus-values de cessions immobilières, en baissant le taux et en arrêtant avec la dégressivité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous aurions pu proposer de supprimer cet article, mais nous n'aurions probablement pas pu réunir une majorité sur un tel amendement.
Par ailleurs, l'article prévoit d'aller encore plus loin que la prorogation du dispositif, déjà prévu par un précédent texte législatif, puisqu'il s'agit de l'ouvrir sur deux nouveaux types d'opérations que sont les grandes opérations d'urbanisme (GOU) et les opérations de revitalisation de territoire (ORT). A priori, je ne suis pas un adepte des rapports, mais il faut s'assurer que nous adoptons, prolongeons et étendons des dispositifs fiscaux efficaces. Il est dans notre intérêt d'avoir une bonne connaissance des choses pour inciter les opérateurs à intégrer ces dispositifs. Le débat en séance nous conduira probablement à des points de vue complémentaires. Mais quoi qu'il en soit, il y a, avec l'absence d'évaluation, une carence que l'État doit combler.
L'amendement FINC.15 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.16 vise la suppression du présent article, qui concerne l'exonération de droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sur les dons et legs reçus par les associations. Cet article n'aurait pas dû se trouver en première partie, il s'agit d'une erreur.
L'amendement FINC.16 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.17 est rédactionnel.
L'amendement FINC.17 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.18 concerne le durcissement du malus automobile sur les émissions de CO2. Le Gouvernement avait proposé d'introduire ce dispositif au 1er janvier 2021, avec une montée en charge de la taxe sur deux ans. Ce délai est passé à trois ans à l'Assemblée nationale, parallèlement à l'introduction prévue en deuxième partie du malus en fonction du poids des véhicules. Avec cet amendement, je propose de l'étaler sur cinq ans. En effet, mieux vaut une approche graduée, qui puisse permettre aux Français d'entrer progressivement dans une démarche écologique vertueuse, tout en permettant à l'exécutif d'ajuster le dispositif. Il n'y aurait rien de pire que de revenir à une situation telle que le rejet de l'écotaxe par les « bonnets rouges » ou la contestation des « gilets jaunes » avec la hausse de la taxe carbone. Un délai de cinq ans donne de la visibilité aux constructeurs, mais aussi aux Français. Vous le verrez, certains Français se détourneront de l'achat de véhicules neufs au profit des véhicules d'occasion. Il faudra prendre en compte cet effet pour ne pas passer à côté du sujet.
M. Gérard Longuet. - Pénaliser le diesel est une absurdité au regard de l'objectif de réduction des émissions de CO2. Le diesel est un combustible qui permet d'optimiser le moteur thermique, et qui consomme moins pour le même service rendu. Par ailleurs, le diesel a fortement progressé, à la demande des pouvoirs publics et avec le partenariat des entreprises automobiles françaises, notamment via une émission réduite de microparticules et un meilleur contrôle de qualité. Je m'inscris donc contre cette pénalisation. Toutefois, ces cinq ans peuvent être l'occasion d'ouvrir les yeux sur une réalité : dans un pays à faible densité d'automobiles, un système thermique qui progresse est plus sûr qu'un système électrique ou hydrogène qui ne sera pas au rendez-vous immédiatement.
M. Philippe Dallier. - Nous sommes le Parlement, et nous votons la loi. Commencer l'objet par « la Convention citoyenne préconise » et terminer en suivant ses conclusions, cela m'irrite et me perturbe.
Mme Isabelle Briquet. - J'entends la logique de l'amendement. Néanmoins, dans beaucoup de départements, on est encore très loin de pouvoir se passer des déplacements en véhicule automobile, notamment pour les familles les plus modestes. Veillons à ne pas les taxer plus encore. D'où ma très grande réserve sur cet amendement.
M. Vincent Capo-Canellas. - On peut donner crédit au rapporteur général d'avoir su alerter à temps sur ces sujets. Si nous l'avions écouté à l'époque, nous aurions sans doute évité bien des difficultés.
A-t-on des éléments qui permettent de documenter la capacité de l'industrie automobile à s'adapter ? Le délai de trois ans est-il vraiment insurmontable ?
Je comprends qu'il faille atténuer le côté répressif de l'écologie. Cela étant, il faut avancer à bon rythme dans l'objectif de réduction des émissions de CO2. Des propositions du rapporteur général sont-elles de nature incitative ; je pense notamment aux primes de conversion ?
M. Sébastien Meurant. - La moyenne d'âge des véhicules roulant en France ne cesse d'augmenter en raison du pouvoir d'achat. Mais la meilleure façon de réduire les émissions, c'est de moderniser le parc.
Mme Christine Lavarde. - Le sujet sera aussi abordé mercredi prochain dans l'examen du rapport de la mission « Écologie ». Les mécanismes incitatifs me paraissent trop faibles pour rajeunir le parc. Par exemple, les véhicules d'occasion restent autorisés à la marge.
De plus, les représentants du secteur automobile que j'ai auditionnés plaident pour un maintien en 2021 des conditions du malus 2020, afin de donner de la visibilité au consommateur et de permettre au secteur de s'adapter. Cet amendement semble donc répondre à l'impératif écologique, et, dans le même temps, il donne les moyens aux industriels d'adapter leur production.
Mme Sophie Taillé-Polian. - Les familles modestes attendent surtout un rééquilibrage complet de la fiscalité. Ce n'est pas en repoussant dans le temps les éléments de lutte contre le réchauffement climatique qu'on améliorera leur situation. En général, reporter une mesure ne facilite pas sa mise en place.
M. Rémi Féraud. - Ne faisons pas dire à l'amendement le contraire de ce qu'il veut dire. La Convention citoyenne n'est pas citée en objet pour contester la légitimité des parlementaires, mais justement pour dire que l'amendement ne va pas dans le sens de cette dernière. Ce malus ne porte pas sur tous les véhicules, mais seulement sur les plus lourds et les plus polluants, que les particuliers ne sont pas dans l'obligation d'acheter. Au contraire, je pense qu'il ne faut pas reporter dans cinq ans les modalités d'une reprise qui doit être rapide et incitative en matière écologique. Or, cet amendement vise plutôt à donner encore un peu de temps avant d'entamer la transition.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je n'ai aucun état d'âme à expliciter l'origine de cet amendement : l'exécutif a souhaité poser les choses dans le cadre d'une Convention citoyenne, considérant que les élus ne se suffisaient pas à eux-mêmes. Sur les 150 mesures issues de cette Convention, trois ou quatre ont ainsi été « sorties du chapeau » par le Gouvernement.
En 2015, je présidais la commission sur la lutte contre la pollution de l'air. Une des mesures, adoptées à l'unanimité, concernait la conversion du prix essence-diesel en cinq ans. Résultat : une décision ministérielle a fait voler en éclat le dispositif au bout de deux ans et demi, par une décision personnelle du ministre. Pour atteindre les objectifs, il faut donc mieux associer progressivement nos concitoyens, et ce de manière pédagogique. Il faut également aider et accompagner les ménages pour lesquels cette démarche est aujourd'hui financièrement inaccessible. Il est hors de question de les laisser prisonniers d'un dispositif où on les montrerait du doigt parce qu'ils possèdent des véhicules anciens, ou habitent des territoires non urbains. Enfin, concernant la lutte contre le CO2, c'est un moindre mal de rouler au diesel qu'à l'essence. En revanche, s'agissant des particules fines, c'est l'inverse.
M. Claude Raynal, président. - Nous reprendrons cette discussion en séance.
L'amendement FINC.18 est adopté.
M. Claude Raynal, président. - L'amendement FINC.19 vise à apporter une précision rédactionnelle.
L'amendement FINC.19 est adopté.
Articles additionnels après l'article 15
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.20 est relatif au renforcement du dispositif de suramortissement pour l'acquisition de véhicules poids lourds, déjà voté dans le PLFR 3. Il est lié au « verdissement » du parc des camions.
L'amendement FINC.20 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.21 prévoit un mécanisme de suramortissement, mais pour le secteur du transport aérien. Ce dispositif avait également été voté dans le cadre du PLFR 3.
M. Vincent Capo-Canellas. - L'objet de l'amendement indique que le retour à un niveau de trafic d'avant la crise pourrait intervenir dans quatre ou cinq ans. Des prévisions d'Eurocontrol tablent maintenant plutôt sur 2029... L'amendement est positif, car il permet de maintenir l'objectif de transition écologique et à donner du soutien à un moment où le trafic est presque inexistant.
L'amendement FINC.21 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'article 16 tend à supprimer les prélèvements progressifs et complémentaires sur les casinos embarqués au motif que leur rendement serait nul.
En l'absence d'élément en ce sens et dans l'attente d'un examen plus approfondi de la fiscalité de ces casinos, je propose de revenir sur cette abrogation par l'amendement FINC.22.
M. Gérard Longuet. - Il faut distinguer selon les casinos embarqués : sont-ils sur la mer, la mer non territoriale, les lacs, les rivières ? Le sujet mérite d'être approfondi.
M. Claude Raynal, président. - Il existe des casinos embarqués sur le Rhin.
M. Gérard Longuet. - Le Rhin est régi par une convention internationale.
M. Vincent Delahaye. - Je suis, par principe, pour la suppression des petites taxes. Le Gouvernement ne propose pas suffisamment de suppressions de ce type. Il faut simplifier la fiscalité française, je ne voterai donc pas cet amendement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai demandé des éléments d'information complémentaire sur cette soi-disant « petite » taxe ; il n'est pas certain qu'elle soit si petite que cela !
L'amendement FINC.22 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Depuis l'adoption de la loi de finances pour 2018, l'Autorité des marchés financiers (AMF) peut percevoir des « contributions volontaires » versées par des associations professionnelles.
À l'époque, nous avions émis des réserves sur cette mesure. La mise en oeuvre du mécanisme a confirmé les craintes de la commission des finances. Dans le cadre d'une convention signée entre l'Association française de gestion financière et l'AMF, les sociétés de gestion ont bénéficié de obtenu en contrepartie d'une baisse de leur cotisation légale.
En outre, la Cour des comptes a, sans surprise, demandé, comme la commission des finances du Sénat, la suppression de ce dispositif.
L'amendement FINC.23 vise donc à abroger le mécanisme de contribution volontaire.
L'amendement FINC.23 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le mécanisme de minoration des variables d'ajustement est contestable, car il revient à minorer des dotations supposées compenser à l'euro près les collectivités territoriales de précédentes réformes fiscales.
L'amendement FINC.24 a pour effet d'augmenter les prélèvements sur recettes de l'État aux collectivités d'environ 85 milliards d'euros, afin d'assurer une juste compensation et de revenir sur ces nouvelles minorations proposées dans le projet de loi de finances.
L'amendement FINC.24 est adopté.
Article additionnel après l'article 22
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans le cadre de la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) proposée par l'article 3 du présent projet de loi de finances, les régions bénéficient d'une compensation intégrale des pertes de CVAE subie par les régions en 2021.
Dans un souci d'équité entre les collectivités territoriales, l'amendement FINC.25 tend à instaurer un mécanisme de compensation des pertes de CVAE subies par les départements et le bloc communal en 2021 via la création d'un nouveau prélèvement sur recettes.
Le coût de la mesure pourrait, selon le scénario retenu par la mission Cazeneuve, s'élever à 977 millions d'euros, dont 585 millions pour le bloc communal et près de 392 millions d'euros pour les départements.
Le dispositif que nous proposons présente l'avantage de s'ajuster automatiquement à la perte réelle.
L'amendement FINC.25 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.26 tend à supprimer l'article 22 bis, qui a pour objet de modifier les règles de calcul et d'évolution des fractions de TVA attribuées aux collectivités en compensation de la suppression de la taxe d'habitation.
Nous devons avoir un débat sur ce sujet. L'autonomie financière et les marges de manoeuvre des collectivités sont de plus en plus remises en cause. Il faut une gouvernance largement révisée, car, avec des collectivités largement dépendantes du bon vouloir de l'État, la République dite « décentralisée » ne durera pas longtemps.
M. Vincent Delahaye. - Le Gouvernement annonce des baisses d'impôts, qui impactent en réalité les collectivités locales : on aboutit à une perte d'autonomie complète de ces dernières, qui vont finir par devenir de simples gestionnaires des dotations de l'État. Les compensations prévues sont toujours bien ficelées au départ, mais cela ne dure jamais longtemps...
Le dispositif proposé aujourd'hui par le Gouvernement sera sans doute remis en cause demain par d'autres gouvernements. Nous ne pouvons être à la merci de décisions pénalisantes pour les collectivités.
L'article 22 bis tend à corriger un effet d'aubaine, lié aux modalités de calcul, pour 2021. Le groupe Union centriste y est favorable, même si nous n'approuvons pas la façon de faire du Gouvernement. À titre personnel, j'irai plus loin : on ne devrait réduire les impôts que si l'on baisse la dépense publique ; sinon, ce n'est que de la poudre aux yeux et des impôts différés !
Mme Christine Lavarde. - Cet amendement permet d'avoir un débat en séance sur la crédibilité de la parole de l'État. On change une règle du jeu adoptée l'année dernière alors que, dans le même temps, le Gouvernement nous demande de modifier des impôts des collectivités, pour passer de la fixation d'un taux à une compensation. Il faut mettre le Gouvernement face à ses responsabilités. Quand les collectivités décident du taux d'une imposition, elles savent ce qu'elles font ; quand elles ne touchent plus qu'une compensation, dont le montant peut être modifié d'une année sur l'autre, ce n'est plus la même chose.
M. Pascal Savoldelli. - J'approuve cet amendement. Je ne souhaite pas que l'on nous incite à ne pas le voter sous prétexte que le problème sera réglé avec la loi 3D. Nous ne devrions pas nous « laisser rouler dans la farine » !
M. Charles Guené. - L'effet d'aubaine est trop beau pour les collectivités. Nous savons très bien que cette disposition ne sera pas conservée en l'état.
Il faut ouvrir le débat sur le remplacement des impôts territorialisés par des parts d'impôts nationaux. Le système ne peut plus fonctionner avec la seule garantie de l'article 72-2 de la Constitution. Comme l'a dit le rapporteur général, nous devons mettre en place une nouvelle gouvernance du système.
L'État propose, les collectivités discutent avec le Gouvernement des modalités, et le Parlement, qui devrait normalement décider, n'est plus là que pour compter les points. Si l'on ne fait rien, nous ne servirons plus à grand-chose !
M. Vincent Capo-Canellas. - L'amendement FINC.25 porte sur 1 milliard d'euros ; l'amendement FINC.26, sur 1,3 milliard d'euros. Pour ma part, je préfère le premier.
M. Didier Rambaud. - Si cet amendement nous permet de provoquer un débat, tant mieux ! Mais il ne faut pas dire qu'il y a eu un manquement à la parole donnée. À la suite de la suppression de la taxe d'habitation, la compensation pour les communes a consisté en un transfert de la part départementale de la taxe foncière des départements vers les communes. Il me semble qu'il y a eu un accord politique entre le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, cet accord est respecté.
On constate un effet d'aubaine. Cela ne me choque pas que l'État veuille reprendre la main sur une recette d'État : la TVA.
M. Claude Raynal, président. - Sur le respect de la parole donnée, votre position est assez osée ! La chute du rendement de la TVA en 2020 n'avait tout simplement pas été envisagée.
M. Didier Rambaud. - Quand je parle de respect de la parole donnée, c'est par rapport aux départements. La part départementale de la taxe foncière, qui est donnée aux communes, est compensée !
M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas vraiment le sujet.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le débat aura toute sa place. Je suis heureux qu'il ait lieu au Sénat. Lorsqu'un accord est passé entre l'État et les régions, le Parlement est contourné. Mais il ne doit pas être uniquement un notaire !
L'an dernier, Albéric de Montgolfier avait expliqué qu'il n'était pas écrit dans le marbre que la TVA serait toujours un impôt dynamique.
M. Jérôme Bascher. - Je suis surpris par la remarque de Didier Rambaud. L'État veut reprendre d'une main ce qu'il a pris de l'autre. Quand on fait ce genre de calculs, on sait qu'il peut y avoir des effets d'aubaine : il faut les assumer. Les dépenses supplémentaires en matière de revenu de solidarité active (RSA) devraient s'élever à 1 milliard d'euros. Que les collectivités locales bénéficient d'un effet d'aubaine de 1 milliard n'est pas forcément scandaleux...
M. Claude Raynal, président. - Cela me rappelle que quand le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) augmentait trop, on le limitait ; quand il baissait, on n'y touchait pas.
Je suis d'accord avec Charles Guené. Nous avons du mal à mettre en place un « serpent » : il faudrait prévoir une fourchette pour les augmentations afin d'éviter les « effets de yo-yo ».
M. Albéric de Montgolfier. - J'ai parfaitement en tête les débats du projet de loi de finances pour 2020, que le rapporteur général vient d'évoquer. Le Gouvernement nous avait vanté son mécanisme en indiquant que la TVA était un impôt dynamique, dont les collectivités auraient le bénéfice. À l'époque, j'avais rappelé que la TVA avait baissé en 2009, après la crise de 2008.
Nous revenons ici sur les engagements qui avaient été pris. Nous n'aurions pas cet amendement et ce débat si nous avions souscrit à la proposition votée par le Sénat de décaler d'un an l'entrée en vigueur de la réforme.
La relation État-collectivités est infantilisante, contrairement à ce qui se passe en Allemagne. Si les Länder ont, par exemple, moins de pouvoir d'emprunt, ils discutent néanmoins d'égal à égal avec le gouvernement fédéral. En France, si les collectivités ont de bons résultats, on leur reprend, alors même que les départements doivent faire face à une augmentation des dépenses de RSA.
M. Bernard Delcros. - Il faut bien distinguer deux sujets : les modalités de compensation de la perte de la taxe sur le foncier bâti pour les départements ainsi que la perte de la taxe d'habitation pour les intercommunalités et l'augmentation des coûts des allocations telles que le RSA. Il importe de mettre en place un dispositif pérenne de compensation qui soit juste pour les départements et les intercommunalités. La taxe sur le foncier bâti pour les départements et la taxe d'habitation pour les intercommunalités étaient des recettes assurées, revalorisées chaque année, avec la revalorisation générale des bases et l'augmentation des bases physiques. On aurait intérêt à sécuriser ces collectivités, avec des recettes dynamiques quelles que soient les crises et les variations de recettes de TVA pour l'État. Un dispositif aligné sur l'évolution de l'inflation me semble être un bon système.
Il faut certes traiter la question de l'augmentation du RSA, mais on n'a pas intérêt à la lier au premier sujet. Lors du vote de la réforme fiscale dans le PLF 2020, on avait évoqué un système de cliquet qui permettrait aux départements de conserver leur niveau de recettes.
L'amendement FINC 26 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.27 tire les conséquences de l'adoption d'amendements que nous venons d'adopter.
L'amendement FINC.27 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.28 vise à maintenir l'affectation à Action Logement Services d'une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance portant sur les contrats d'assurance décès, le Gouvernement tentant de revenir sur l'engagement pris dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).
M. Philippe Dallier. - L'attitude de l'État envers Action Logement Services est la même qu'envers les collectivités : l'État, tout d'un coup, supprime une recette, compense et change les règles du jeu. Dans le cas d'Action Logement, il a créé une taxe supplémentaire, il en garde le produit et supprime la compensation. C'est la caricature de ce qui ne devrait pas être fait. L'inspection générale des finances dénonce d'ailleurs dans un rapport la gouvernance de cet organisme. Cette année, le Gouvernement prélève 1 milliard d'euros dans les caisses d'Action Logement pour le flécher vers le financement des aides personnelles au logement (APL).
La seule bonne nouvelle, c'est que le Gouvernement a finalement renoncé à légiférer par ordonnances sur l'avenir d'Action Logement. Le recours aux ordonnances aurait constitué un casus belli.
Il n'est pas acceptable de laisser l'État récupérer la somme actuellement affectée à Action Logement. Dans la loi Pacte, on a choisi d'exonérer les entreprises jusqu'à 50 salariés. La perte de recettes devait être compensée pour Action Logement, elle doit continuer à l'être, quelles que soient les décisions qui seront prises ultérieurement.
L'amendement FINC.28 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'amendement FINC.29 vise à supprimer l'article 24 bis, qui prévoit à un horizon de six ans un taux unique de taxe pour frais des chambres d'agriculture dans les régions. Le problème, c'est davantage l'assiette que le taux. Or travailler sur l'assiette est un exercice difficile. Il n'y a pas d'accord dans la profession agricole sur le projet du Gouvernement, qui semble résulter d'ailleurs de l'entêtement de certains hauts fonctionnaires.
L'amendement FINC.29 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter la première partie du projet de loi de finances pour 2021, telle que modifiée par les amendements qu'elle a adoptés.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 - Examen du rapport
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous examinons maintenant le quatrième projet de loi de finances rectificative de l'année - nous espérons qu'il sera le dernier ! Celui-ci devait initialement être réduit à des ajustements budgétaires d'ampleur modeste, tirant les conséquences d'une fin de gestion peut-être un peu plus perturbée par les événements de l'année. Mais il se trouve en réalité fortement bouleversé par le rebond de l'épidémie, qui a conduit le Gouvernement à annoncer le 28 octobre dernier un reconfinement national.
Le calendrier, en revanche, reste tout aussi contraint : nous devons examiner le texte en commission un jour à peine après son passage en séance à l'Assemblée nationale, qui a achevé ses travaux au petit matin hier.
Commençons par un rapide examen de l'évolution du scénario macroéconomique et budgétaire d'ensemble, que je vous avais déjà brièvement présentée la semaine dernière.
Le reconfinement conduit le Gouvernement à revoir à la baisse sa prévision de croissance pour 2020, qui me paraît prudente.
Alors que le PLF 2021 tablait sur une chute du PIB de 10 % à l'issue de l'exercice 2020, elle serait finalement de 1l %. Ce scénario de croissance repose sur l'hypothèse d'une perte d'activité de 20 % en novembre par rapport au niveau d'avant-crise, contre 30 % en avril lors du premier confinement.
Je vous avais dit la semaine dernière que cette hypothèse était sans doute un peu pessimiste, les premières analyses des instituts de conjoncture tablant plutôt sur une perte d'activité de 15 %. La première estimation réalisée par la Banque de France, sur la base d'une enquête conduite auprès des chefs d'entreprise postérieurement au reconfinement, confirme ce constat. La Banque de France estime ainsi que la perte d'activité atteindrait 12 % en novembre : elle serait donc près de trois fois inférieure à celle qui a été enregistrée en avril. La perte serait très concentrée dans les services marchands, tandis que l'industrie, l'agriculture et la construction seraient relativement préservées. Cela s'explique notamment par les modalités plus souples de ce nouveau confinement, mais aussi par l'expérience acquise par les entreprises et la disponibilité des matériels de protection individuelle. En tout état de cause, cette nouvelle estimation de l'effet du reconfinement sur l'activité accentue notre première analyse : la prévision de croissance gouvernementale est très prudente.
Cette prévision inclut déjà une prolongation du reconfinement en décembre puisqu'il faudrait un recul de 20 % de l'activité jusqu'à la fin de l'année pour que la chute du PIB atteigne 11 % en 2020. Si l'on partait de l'hypothèse de perte d'activité de la Banque de France, soit 12 %, un reconfinement de deux mois se traduirait par une chute du PIB de « seulement » 9,6 %. Cela n'a toutefois pas beaucoup d'importance pour le PLFR de fin d'année, dont les prévisions de recettes sont avant tout fondées sur les remontées comptables, et non sur le cadrage macroéconomique.
D'ailleurs, la révision à la baisse de l'hypothèse de croissance n'a pas conduit le Gouvernement à diminuer sa prévision de recettes, qui est même très légèrement revue à la hausse - de 700 millions d'euros - par rapport au PLF 2021. Ainsi, c'est uniquement la hausse des dépenses de soutien qui explique la dégradation de la trajectoire budgétaire.
Comme vous le savez, ce renforcement porte prioritairement sur les mesures permettant de compenser directement les pertes des entreprises. Ainsi, les crédits du fonds de solidarité augmentent de 10,9 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 3 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales supplémentaires et une enveloppe complémentaire de 3,2 milliards d'euros pour l'activité partielle. Au total, le déficit public atteindrait 11,3 % du PIB, portant l'endettement à 119,8 % du PIB. C'est moins bien que ce qui était attendu dans le PLF 2020, mais c'est légèrement mieux que le scénario du PLFR 3.
Venons-en maintenant au budget de l'État.
En un mot, le déficit plonge à cause des dépenses massives prévues par ce projet de loi de finances rectificative. Après une prévision de déficit historique à 225,1 milliards d'euros dans la troisième loi de finances rectificative, la nouvelle prévision associée au projet de loi de finances pour 2021 faisait espérer une certaine amélioration. Or la « seconde vague » de l'épidémie et le reconfinement ont conduit à ramener la prévision de déficit pratiquement au niveau prévu au début de l'été, soit un déficit de 222,9 milliards d'euros.
Le principal facteur explicatif est une augmentation de 27 milliards d'euros du niveau des dépenses prévisionnelles de la mission « Plan d'urgence ». La prévision de déficit en septembre se fondait sur une hypothèse de sous-consommation de 10 milliards d'euros environ des crédits du plan d'urgence ; non seulement cette sous-consommation n'a pas eu lieu, mais ce PLFR ouvre des crédits supplémentaires à hauteur de 17,3 milliards d'euros.
Les recettes fiscales, elles, ne sont pas en cause : au contraire, après des encaissements plus élevés que prévu au cours de l'été, les estimations de recettes fiscales nettes sont encore réévaluées dans ce PLFR par rapport à l'estimation révisée présentée au mois de septembre. En particulier, l'impôt sur les sociétés net perdrait non pas les deux tiers de son produit, mais un tiers seulement, ce qui reste, toutefois, tout à fait considérable. C'est donc du côté des dépenses que se situe l'explication du déficit.
Les ouvertures de crédits au fil des quatre lois de finances rectificatives de 2020 sont dix fois plus élevées que les années précédentes. Or, en considérant celles qui sont prévues par le texte que nous examinons, elles conduiraient, si les crédits étaient vraiment consommés, à dépenser beaucoup plus pendant les derniers mois de l'année que pendant le premier confinement.
Si l'on considère les crédits encore disponibles sur le plan d'urgence, on constate par exemple que le fonds de solidarité disposera de plus de 13 milliards d'euros pour les trois derniers mois, soit le double de ce qu'il a consommé jusqu'à présent.
En tout état de cause, les chiffres présentés ici correspondent à des hypothèses conservatoires et ce déficit ne devrait pas être réellement atteint. Une fois encore, le Gouvernement est très prudent. D'ailleurs, il a déjà indiqué, par exemple, que la moitié de l'enveloppe de 20 milliards d'euros prévue dans la deuxième loi de finances rectificative ne sera pas consommée en 2020, mais reportée sur 2021. La présentation du budget est alors biaisée et aurait probablement été plus sincère si l'on avait annulé ces crédits en loi de finances rectificative pour les rouvrir dans le projet de loi de finances pour 2021.
J'en viens aux ouvertures et aux annulations de crédit sur le budget général.
Sur les 17,3 milliards d'euros de crédits ouverts sur la mission « Plan d'urgence », 10,9 milliards d'euros le sont pour le fonds de solidarité, 2,1 milliards d'euros pour le chômage partiel et 4,3 milliards d'euros pour la compensation des allégements de charges.
Ce qui doit nous alerter sur le fonds de solidarité, c'est la complexité considérable du dispositif qui lui fait perdre sa lisibilité initiale. J'ai été saisi de cas concrets, comme un certain nombre d'entre vous, je le sais, qui montrent que des commerçants, travailleurs indépendants et entrepreneurs ne sont pas, ou pas suffisamment, soutenus : ils subissent, par exemple, une baisse de chiffre d'affaires importante, mais sans pouvoir bénéficier de l'aide maximale de 10 000 euros, parce qu'ils ne sont pas fermés administrativement.
Je ne vous proposerai pas d'amendement à ce stade parce que le fonds est très sensiblement renforcé budgétairement et que les règles d'attribution relèvent du domaine réglementaire. Mais je poursuis ma réflexion et ne manquerai pas de soulever cette difficulté en séance.
S'agissant des autres missions du budget, les principales ouvertures de crédit sont souvent en lien avec la crise : c'est le cas de l'ouverture de crédits sur les aides personnelles au logement pour 1,9 milliard d'euros, qui est toutefois due aussi au report de la réforme qui devait en diminuer le coût. C'est le cas également pour le financement de l'aide exceptionnelle de solidarité (1 milliard d'euros), pour les dépenses en faveur de l'hébergement d'urgence (250 millions d'euros) ou les personnes en situation de handicap (500 millions d'euros). C'est le cas également du financement de la prime à l'embauche des jeunes de moins de 26 ans (1 milliard d'euros en autorisations d'engagement) et de l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis (1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement).
Parmi les comptes spéciaux, deux nouveaux programmes d'avances remboursables sont créés afin de soutenir, d'une part Île-de-France Mobilités, à hauteur de 1,2 milliard d'euros, et, d'autre part, les autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM), pour 750 millions d'euros.
Inversement, les annulations de crédits, certes mineures par rapport aux ouvertures, mais d'un montant plus élevé que les années normales, sont souvent, elles aussi, liées à la crise, qui a assurément différé la réalisation de projets d'investissements, mais on ne sait dans quelles proportions.
Je ne vois pas de raison de nous opposer à ce quatrième projet de loi de finances rectificative alors que nous avons adopté les précédents, sous réserve de quelques ajustements. Les mesures de soutien sont là et bien dotées. Le Gouvernement garde indéniablement des marges de manoeuvre pour affronter les prochaines semaines et reste très prudent, mais la situation peut l'expliquer, et nous veillerons à contrôler leur usage.
Pour autant, j'ai plusieurs points de vigilance qui pourrait aboutir au dépôt d'amendements d'ici à la séance. En effet, les délais particulièrement contraints dans lesquels nous travaillons ne m'ont pas permis à ce stade de disposer de tous les éléments nécessaires pour vous présenter éventuellement d'autres amendements que celui qui vous a été distribué ce matin. Ainsi en est-il notamment des avances prévues pour les AOM autres qu'Île-de-France Mobilités. Plusieurs interrogations demeurent, et je souhaite voir, une fois pris en compte l'ensemble des paramètres de ce dossier complexe, si des pistes d'amélioration sont encore possibles dans la loi de finances.
Les conditions de remboursement de ces avances devront évidemment tenir compte de la situation financière des AOM. Souvenez-vous que, lors du PLFR 3, le Sénat avait obtenu que soit prévue une clause de « retour à meilleure fortune » permettant de garantir que les départements remboursent leurs avances à compter de l'année qui suivra le retour à un produit de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) au moins équivalent à celui de 2019. Nous réfléchissons aux garanties qui pourraient être prévues.
Par ailleurs, je suis en train de vérifier que les annulations de crédits sont bien justifiées et pour ce faire, il faut entrer dans le détail et poser des questions. D'autres sujets pourraient également apparaître d'ici lundi.
En tout état de cause, je vous propose pour l'heure un amendement tendant à supprimer l'unique article additionnel adopté par l'Assemblée nationale la nuit dernière et qui concerne le droit à l'image collectif applicable pour les sportifs professionnels.
Sur le fond, il y aurait beaucoup à dire sur le dispositif et les difficultés auxquelles il souhaite répondre, mais, quoi qu'il en soit, ce n'est pas un sujet de PLFR de fin de gestion et cela n'a pas non plus de lien avec les mesures d'urgence que porte le texte cette année. C'est pourquoi je vous propose de supprimer l'article 1er A, ce sujet devant être traité à l'occasion d'une loi de finances initiale.
Je vous invite donc à adopter le projet de loi de finances rectificative ainsi amendé, dans l'attente d'autres modifications que je pourrais vous proposer lundi prochain.
M. Albéric de Montgolfier. - Ce quatrième PLFR s'inscrit dans le droit fil des trois précédents. Nous avions voté conforme le premier en extrême urgence, puisqu'il s'agissait d'ouvrir les dispositifs liés au fonds de solidarité et au chômage partiel. Nous avions alors fait preuve de responsabilité, à défaut d'enthousiasme. Par la suite, nous avons également adopté les PLFR suivants à l'issue des réunions des commissions mixtes paritaires conclusives, compte tenu des avancées obtenues.
J'ai deux questions : où en sommes-nous pour ce qui concerne la consommation des prêts garantis par l'État (PGE) ? Le Gouvernement a annoncé un prolongement de ces prêts, mais il semblerait que se pose un problème de compatibilité avec les règles européennes. Qu'en est-il ? Où en est-on des discussions avec la Commission européenne ?
Sur un tout autre sujet, des dispositifs de soutien aux plus précaires nous seront-ils proposés, afin de faire face à l'extrême pauvreté ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Les entreprises nous font remarquer que 500 euros ne sont pas suffisants pour faire une transition numérique en quelques jours. Même 10 000 euros ne sont pas à la hauteur pour une grosse PME, qui enregistre une perte de chiffres d'affaires se chiffrant en centaines de milliers d'euros. Alors que la commission des finances tente d'éviter des dérives budgétaires trop fortes, certains économistes préconisent d'en faire davantage. A-t-on pu étudier ce type de propositions ? Nous craignons que l'écrasement de l'activité économique ne soit cette fois, avec cette deuxième vague, encore plus pénalisant. Ne devrions-nous pas être plus volontaristes en termes d'aides aux entreprises ?
M. Philippe Dominati. - Avec ce quatrième projet de loi de finances rectificative, on passe d'un seul coup au-delà du niveau des prélèvements obligatoires du début du quinquennat, mais cela retombe immédiatement dans le budget prévisionnel pour 2021. Je suis étonné par cette forte progression, qui nous fait passer de 44,2 à 45,2 % du PIB. Est-ce lié à l'effondrement du produit intérieur brut ? Un point de différence entre deux projets de lois de finances rectificatives, c'est impressionnant !
M. Éric Bocquet. - Jean-François Husson a remarqué à juste titre qu'il fallait faire preuve de vigilance sur le soutien aux plus précaires, le point faible de ce projet de loi de finances rectificative. Soutien à l'économie, aux entreprises, très bien - même s'il peut y avoir des nuances, notamment sur la conditionnalité. Ce matin encore, la presse signalait que le Secours catholique estime que 10 millions de nos concitoyens basculent dans la pauvreté ces jours-ci. Il y aura des mesures dans le projet de loi de finances, sans doute, mais l'urgence est absolue. J'ai auditionné, avec Arnaud Bazin, les associations et banques alimentaires, qui s'inquiètent de la fonte des réserves alimentaires dans leurs rayonnages, et de l'explosion de la pauvreté. Vraiment, ce projet de loi de finances rectificative ne prend pas la mesure de la gravité de la situation. C'est la plus grosse réserve que nous émettrons.
M. Jérôme Bascher. - J'ai une inquiétude sur les prévisions de recettes pour l'année 2021, au sujet de l'impôt sur les sociétés. C'est au dernier acompte, de décembre, que tout se joue. Je crains que, alors que les entreprises ont jusqu'à présent versé leurs acomptes à peu près normalement, on observe une chute plus forte qu'attendu à cause de ce nouveau confinement, qu'elles n'avaient pas totalement anticipé. C'est un sujet à 10 milliards d'euros, il ne s'agit pas d'une paille !
M. Philippe Dallier. - Une fois n'est pas coutume, je me félicite que, pour ce qui est des crédits dont j'ai la charge - logement et hébergement d'urgence - la voiture-balai qu'est ce quatrième projet de loi de finances rectificative soit plutôt rassurante. Ajouter presque 1,9 milliard d'euros pour les aides personnalisées au logement (APL) devrait permettre de ne pas reconstituer de la dette et de payer ce qui doit l'être. Je souligne également l'effort qui a été fait en matière d'hébergement d'urgence. Au printemps dernier, il y avait de grandes craintes que beaucoup de gens se retrouvent à la rue. 30 000 places ont été ouvertes et pérennisées, et les crédits sont là.
M. Emmanuel Capus. - Je partage l'analyse du rapporteur général sur le fait que les prévisions du Gouvernement sont très prudentes, ce qui est plutôt positif. Je m'inquiète du taux de dépenses publiques, qui devient astronomique... Je suis d'accord avec l'amendement de suppression portant sur le droit à l'image des sportifs : ce projet de loi de finances rectificative n'est pas le bon véhicule législatif pour introduire cette mesure, qui doit donner lieu à un débat de fond, lors de l'examen du projet de loi de finances initiale. Et ce n'est pas le moment, en cette période de crise, de revenir sur ces dispositions. Je sais les difficultés des clubs sportifs, qui ont actuellement besoin de réponses conjoncturelles plutôt que structurelles.
M. Marc Laménie. - L'approche financière est très compliquée. Le plan d'urgence représente des sommes importantes : 27 milliards d'euros. Dans la relance du secteur du bâtiment et des travaux publics, quelle part est réservée aux collectivités territoriales ? Notre première recette fiscale est la TVA. Quelle est son évolution ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La consommation des PGE, à ma connaissance, tourne toujours autour de 120 milliards d'euros.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question de la précarité. Ce quatrième projet de loi de finances rectificative montre à l'évidence que ce sujet avait été négligé, et qu'il y avait de fortes carences dans les projets de loi de finances rectificatives précédents.
Certains soulignent les efforts importants, mais on entend surtout des protestations et même de la colère chez les acteurs économiques - mais pas tellement dans les grands groupes. Certains secteurs sont préservés, parce qu'ils peuvent poursuivre leur activité. L'acceptation est plus faible aujourd'hui, car les lignes d'action sont moins comprises. Sans doute sont-elles perçues comme manquant de cohérence, ce qui entame la confiance. C'est un paradoxe, alors que des sommes plus importantes sont mobilisées, notamment via le fonds de solidarité. Beaucoup d'efforts ont été faits dans le premier temps, et les acteurs économiques se sentent pris en porte-à-faux. Ils ont investi et n'ont pas récupéré pour autant leur chiffre d'affaires. Et ils sont aujourd'hui entravés, quand bien même ils ont pris les mesures nécessaires. L'acceptabilité est donc devenue un vrai sujet.
S'agissant des prélèvements obligatoires, l'évolution décrite par Philippe Dominati trouve son explication dans les effets d'élasticité. Sur l'impôt sur les sociétés, Jérôme Bascher a raison, mais on peut penser que le dernier acompte pourrait être plus faible. Il y aura peut-être plus de difficultés pour verser, en début d'année prochaine, les premiers acomptes. La dépense publique reste un vaste sujet, Emmanuel Capus. Et c'est vrai que nous sommes moins dans l'orthodoxie budgétaire. Il faudra continuer à se poser des questions : quand les dépenses flambent ainsi, cela ne peut pas durer, quand bien même la dette est financée dans des conditions que personne dans cette salle n'aurait imaginées il y a dix ans... Marc Laménie a évoqué la TVA : elle évolue à peu près comme l'activité, et l'on observe une baisse d'environ 11 % par rapport aux prévisions initiales.
M. Didier Rambaud. - Nous sommes un certain nombre à être très attentifs au devenir du sport, et plus particulièrement du sport professionnel. Même si l'Assemblée nationale a voté cet article, je partage l'avis du rapporteur général, et voterai en faveur de sa suppression. Le dispositif avait été mis en place il y a quelques années, comme pour les artistes, avant d'être supprimé en 2009, parce que l'on considérait à l'époque qu'il était inapplicable, coûteux - 80 millions d'euros - et, surtout, qu'il favorisait les grands clubs.
Bien sûr, la situation des clubs professionnels nous préoccupe, mais le projet de loi de finances rectificative comporte des mesures en leur faveur, notamment pour compenser les pertes de billetterie, mises à mal par les matches tenus à huis clos, pour un montant de 100 millions d'euros.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er A
L'amendement FINC.1 (n° 25) est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 tel que modifié par l'amendement qu'elle a adopté.
Projet de loi de finances 2021- Examen du rapport sur la mission « Enseignement scolaire » (et article 54 septies)
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Enseignement scolaire » doivent être examinés dans le contexte de la crise sanitaire. En termes budgétaires, celui-ci n'est pas particulièrement marquant pour cette mission, même si les événements nous ont amenés à réfléchir sur certaines formes d'enseignement. 76 milliards d'euros sont demandés pour 2021. En dehors du compte d'affectation spéciale « Pensions », nous arrivons à 55 milliards d'euros. Il s'agit de la première mission du budget général. En 2021, les dépenses de cette mission devraient augmenter, si l'on suit le Gouvernement, de 2,6 % en crédits de paiement, ce qui n'est pas négligeable. L'essentiel de ce budget est consacré aux dépenses de rémunération.
Sur les 800 millions d'euros d'augmentation, nous pouvons considérer que la moitié est voulue par le ministre - ce qui est plutôt rassurant et constitue une politique volontariste - quand l'autre moitié est subie, en raison de tendances de long terme sur lesquelles il a peu de moyens d'intervention. Je pense essentiellement à l'achèvement du PPCR - parcours professionnels, carrières et rémunération - qui avait été décidé sous François Hollande, et au glissement vieillesse-technicité (GVT).
Les éléments positifs figurent dans l'agenda social du ministre et dans la politique d'accompagnement de certaines orientations. Nous y voyons les contreparties à l'augmentation du budget consacré aux salaires. C'est particulièrement vrai pour le soutien à l'éducation prioritaire. Un professeur stagiaire qui est nommé en zone d'éducation prioritaire bénéficiera, grâce à ce volontarisme, d'environ 1 000 euros bruts supplémentaires par an par rapport à un enseignant recruté en 2016. J'observe aussi une politique de soutien au travers des dépenses d'informatique, directes et indirectes, puisqu'une prime d'informatique va permettre aux enseignants de compléter leur équipement. Volontarisme, aussi, en ce qui concerne les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). La demande est très forte ; la décision ne relève pas du ministère, mais des commissions départementales ; son coût est toutefois pris en charge par le ministère. Autre traduction du volontarisme ministériel : la généralisation de la scolarisation à partir de trois ans dans les écoles maternelles, pour un coût de 100 millions d'euros qui devrait transiter par les collectivités locales.
Ce budget a le mérite de poursuivre un réajustement en faveur de l'enseignement primaire. C'est un rééquilibrage dont nous savons qu'il est l'une des conditions du succès de l'enseignement scolaire en général. Ce qui n'est pas su dans le primaire est rarement rattrapé ensuite.
Nous avons une dépense moyenne par élève à peu près convenable par rapport aux moyennes de l'OCDE, mais qui s'accompagne d'une faiblesse affirmée en ce qui concerne les dépenses par élève dans le premier degré et, en contrepartie, de dépenses significativement plus importantes par élève dans le secondaire. Ce budget poursuit un effort de rééquilibrage. 1 300 enseignants supplémentaires pour le premier degré seront recrutés en 2021 sans augmenter les effectifs globaux, puisqu'une compensation s'opère par la baisse de 900 emplois dans le secondaire public, 300 dans le secondaire privé, et le solde dans les fonctions de soutien. L'affectation dans le primaire aux classes les plus difficiles, c'est-à-dire le dédoublement, qui a été mis en place en 2017 en classe préparatoire et en cours élémentaire de première année dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+), est également un élément positif.
Ce système fonctionne-t-il ? Oui, puisque, selon les évaluations annuelles, la proportion d'élèves en très grande difficulté en français et en mathématiques a diminué en CP et en CE1 dans le réseau REP+. Cela réduit l'écart entre ces élèves et les élèves du système général. Toutefois, le niveau moyen en français reste médiocre dans le primaire, j'y reviendrai.
Une autre orientation est la reconquête de l'année scolaire, qui ne faisait que diminuer comme peau de chagrin. Le temps passé à l'école augmente, et c'est une bonne chose. Dans les collèges et les établissements qui n'accueillent pas l'organisation du baccalauréat, on a regagné de quinze jours à trois semaines. La présence des enfants en dehors des heures des classes augmente avec le dispositif « Devoirs faits », qui fonctionne. En dehors des jours de classe, les « vacances apprenantes » font reprendre le chemin de l'école à des enfants, sur la base du volontariat, avec une satisfaction des parents sans doute, qui trouvent là un soutien, mais aussi des élèves et de leurs enseignants, qui voient des élèves plus motivés et qui ont plus de facilité à reprendre les cours après ces périodes de vacances.
S'agissant des évaluations internationales, en fin de CM2, plus d'un tiers des élèves n'a pas le niveau minimum requis concernant la maîtrise de la langue française. Plus grave encore, six élèves sur dix ont un niveau insuffisant en mathématiques, et ce résultat est en baisse constante depuis quarante ans. Un effort qualitatif est donc à produire. En aurons-nous les moyens ? C'est la question majeure que j'évoquerai en conclusion.
Permettez-moi de signaler l'injustice subie par l'enseignement agricole. Celui-ci fonctionne plutôt bien, en dépit de la baisse des actifs agricoles. Le monde rural s'appuie sur ce réseau de collèges et surtout de lycées agricoles. Pourtant, en quatre ans, 230 postes ont été supprimés, soit 1,5 % des effectifs. Cette baisse intervient alors même que le nombre d'élèves est en hausse dans les collèges, pour une forme d'enseignement qui, sur le plan pratique, très souvent, associe les formations initiale, permanente et par alternance.
Le sujet essentiel, à l'avenir, concernera la diminution du nombre de naissances. Entre 2000 et 2019, nous sommes passés de 810 000 à 750 000 naissances par an, soit une perte de 7 à 8 % qui va évidemment se ressentir dans les effectifs du primaire, puis du secondaire. Le taux de natalité, qui était encore de 13,3 pour 1 000 il y a vingt ans, s'élève désormais à 11,2 pour 1 000, et nous n'avons aucune raison de penser, en dépit des amendements adoptés sur le quotient familial et des péripéties concernant les lois Bioéthiques, que se profile une augmentation significative.
Comment le ministère va-t-il gérer cette diminution des effectifs ? À partir de 2024, nous connaîtrons une diminution dans le secondaire, et nous subissons déjà une diminution dans le primaire. Nous pouvons tout d'abord améliorer le taux d'encadrement qui, s'agissant de l'enseignement primaire en France, n'est pas satisfaisant au regard des normes internationales. Lorsque le ministre annonce un plafond de 24 élèves et son intention de revenir à une moyenne de 19 élèves par classe pour le premier degré, il reviendrait dans les normes européennes, ce qui est une bonne chose.
La question se pose quant à la manière de gérer les effectifs de professeurs recrutés pour une carrière entière, c'est-à-dire plus de quarante-deux ans de cotisations, dont le coût unitaire ne correspondra pas à celui des normes des pays développés. L'une des formules est évidemment de chercher la souplesse. Cette administration, tout en diminuant les effectifs, a augmenté l'offre scolaire par le jeu des heures supplémentaires. Ce système n'a pas que des inconvénients : il permet de moduler en fonction des besoins et permettra à l'avenir, en réduisant les heures supplémentaires et en gardant les enseignants, d'adapter le volume de notre offre scolaire à la réalité de la demande.
Nous aurons également la possibilité d'imaginer des carrières plus courtes, avec des départs d'enseignants vers d'autres métiers et, inversement, des recrutements d'enseignants contractuels pour une sorte de deuxième carrière ; c'est déjà une réalité, par le biais du troisième concours d'enseignement. Le ministre doit nous apporter des réponses. Je consacrerai l'essentiel de mon intervention orale en séance publique à la gestion de cette évolution.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Après la présentation de Gérard Longuet deux sujets me paraissent particulièrement importants. En premier lieu, j'évoquerai l'effort nécessaire consacré à l'école primaire, qui doit être le lieu où la République donne des chances égales à tous les enfants de France, ce qui malheureusement est encore assez loin d'être le cas. Nous éprouvons des difficultés à trouver les bons mécanismes, avec une surabondance d'intervenants, entre les organisations des écoles, les regroupements dans les territoires, les périmètres des écoles primaires, les sectorisations de collèges et de lycées, et ce en omettant de placer le temps de l'enfant à l'école au coeur du dispositif. Comment peut-on mieux partager ces données avec l'Éducation nationale ? Nous pouvons certainement aller plus loin ; cela montrerait que les moyens humains et financiers consacrés par l'État à l'instruction des jeunes générations sont utilement mis en oeuvre.
En second lieu, j'évoquerai la question de la démographie. Si le rapporteur spécial pouvait nous éclairer et nous apporter des idées pour faire bouger l'Éducation nationale... Nous n'arrivons pas à établir des projections pour mieux organiser les écoles dans nos départements. Faisons confiance à l'intelligence des élus et à leur capacité à voir les décalages. Je me souviens, il y a quelque temps, d'un déplacement à Aurillac où les élus nous disaient : « Une des difficultés provient du fait que les jeunes, en dépit de leurs compétences, ont du mal à se projeter dans les études supérieures. »
Une question pour conclure : la crise sanitaire que nous traversons aujourd'hui a-t-elle une incidence sur le budget de l'enseignement scolaire ? Si tel est le cas, les moyens ont-ils été alloués ?
M. Philippe Dallier. - Dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) et le réseau renforcé (REP+), le dédoublement des classes donne des résultats, ce dont je ne doutais pas. Nous pouvons aller plus loin encore, sachant qu'il faudrait, à mon sens, pouvoir aller jusqu'au CM2. Je mets cela en parallèle avec la baisse de la démographie scolaire et un potentiel d'enseignants qui va rester relativement important ; sur ce sujet, les problèmes de mobilité des enseignants doivent être réglés.
Dans ces quartiers les plus difficiles, au-delà du nombre d'enseignants et de la qualité des locaux à la charge des collectivités, un autre élément compte beaucoup, sur lequel je n'ai aucune visibilité : la capacité de ces collectivités à doter les établissements en outils numériques. Les communes sont-elles en capacité de fournir des tableaux numériques dans toutes les classes ? À cela s'ajoute la nécessité de doter les enseignants, les lycéens et les collégiens d'outils informatiques leur permettant de suivre les cours à distance, notamment en période de confinement. Des données plus précises existent-elles ? Je crains de grandes disparités entre les territoires...
M. Marc Laménie. - Merci à Gérard Longuet pour la présentation pédagogique de son rapport.
En équivalents temps plein (ETP), les effectifs s'élèvent à un peu plus de 1 million. Concernant la répartition des moyens humains, a-t-on une idée du nombre de postes dans les rectorats, les inspections d'académie, c'est-à-dire les personnels non enseignants ?
Nous nous sommes aperçus, au fil des années, que les effectifs de la médecine scolaire ont sérieusement baissé. Qu'en est-il aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine crise sanitaire ?
Mme Christine Lavarde. - Je veux revenir sur les propos très intéressants concernant la démographie des enseignants. La possibilité de carrières courtes a été évoquée, ainsi que les deuxièmes carrières avec le recours aux contractuels. Le dispositif existe déjà, notamment afin de pourvoir les emplois dans différentes filières où nous n'avons pas d'enseignants formés. On arrive parfois à des aberrations : des personnes recrutées comme professeurs de mathématiques, dont les compétences initiales en mathématiques ne sont pas celles que l'on attendrait d'un enseignant dans le secondaire.
Se pose aujourd'hui la question de la formation du monde enseignant qui, naturellement, a des répercussions sur le niveau des élèves. N'est pas pédagogue qui veut ; nous l'avons bien vu quand nous avons dû faire école à la maison...
M. Michel Canévet. - Les propos du rapporteur spécial m'ont rassuré quant à l'efficience de notre système éducatif, même s'il reste encore des points d'amélioration, notamment pour ce qui concerne la capacité des élèves sortant du primaire à maîtriser les fondamentaux.
Je voudrais exprimer mes inquiétudes concernant l'évolution de l'enseignement agricole, avec un budget en augmentation de 0,46 % quand le reste du budget de l'éducation nationale augmente de 2,56 %. C'est, à mon avis, un sujet de préoccupation, car l'enseignement agricole irrigue les territoires d'acteurs professionnels qui permettent de maintenir la population dans ces territoires ruraux.
Il faudra sans doute déposer un amendement tendant à répartir différemment les crédits, afin de doter à nouveau l'enseignement agricole. Si un tiers des établissements se trouve en situation déficitaire, cela veut dire qu'à terme une bonne partie de ce réseau d'enseignement sera condamnée. Or, nous voyons bien comment ces établissements contribuent à la réinsertion d'un public en situation difficile - je pense aux élèves qui retrouvent, par l'alternance, le goût d'apprendre un métier.
Le rapporteur spécial a-t-il une idée de la ligne budgétaire sur laquelle nous pourrions débloquer des crédits pour mieux doter l'enseignement agricole ?
M. Éric Bocquet. - J'ai deux questions à soumettre au rapporteur spécial. La première concerne le bilan du confinement du printemps dernier. On a pu constater que certains élèves avaient décroché, étaient sortis des écrans radars pour diverses raisons liées à des situations familiales complexes, aux conditions de logement, à l'accessibilité au matériel informatique. Cette période a-t-elle aggravé les inégalités au niveau scolaire ? Philippe Dallier a parlé de disparités territoriales ; cela me paraît incontestable, mais très souvent elles recoupent des disparités sociales. J'ai l'impression que l'on a moins décroché à Neuilly qu'à Saint-Denis... Dispose-t-on d'une analyse chiffrée du ministère sur ce sujet ?
Ma seconde question est relative au recrutement des nouveaux enseignants. Nous constatons une désaffection profonde par rapport à ce métier, une chute brutale du nombre de candidats. Un seul chiffre pour illustrer cela : en 2019, au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) externe, on comptait 33 490 candidats, contre 30 797 en 2020, soit pratiquement 10 % de moins. On connaît certaines causes de cette désaffection : les salaires évidemment, les conditions d'exercice du métier... Le ministère a-t-il des propositions à formuler pour réenclencher une dynamique positive en matière de recrutement ?
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - En réponse à Philippe Dallier, oui, il faut prolonger le dédoublement dans les secteurs géographiques où la structure familiale n'est pas aussi solide que dans les communautés où des valeurs sont partagées, reposant sur la solidité du couple hétérosexuel, éduquant les enfants dans l'idée que l'après-vente de la naissance est très long et qu'il dure parfois bien au-delà de la majorité. On ne peut pas dire à la fois que les valeurs familiales n'ont aucun intérêt et s'étonner ensuite d'avoir une multiplication de structures où se dilue cette solidarité pour soutenir l'éducation des enfants qui ont été mis au monde, non pas par l'Immaculée Conception, mais par la réalité de la vie - c'est une conviction personnelle, que je n'impose à personne.
Le dédoublement est donc une bonne solution, d'autant plus avec des familles peut-être très solides, mais nouvellement venues dans notre pays et n'ayant pas tous les codes de la culture ni la maîtrise du langage. Les études sur la connaissance des mots, en cours préparatoire par exemple, montrent des différences vertigineuses. L'école doit s'efforcer de les combler, mais le soutien des familles et des collectivités locales - je vais y revenir - peut être utile.
Pour répondre à Philippe Dallier, la crise sanitaire a montré aux parents et aux enseignants que l'outil numérique était utilisable. Cela ne marche pas toujours, on hésite, on progresse, mais on finit par s'adapter !
Le ministère défend le concept d'établissement, et ce de façon extrêmement concrète. Pour le secondaire, cela se traduit par la création d'un Conseil d'évaluation de l'école, qui a vocation à évaluer la performance de chaque établissement. C'est une révolution qui ne suscite pas l'enthousiasme universel, mais elle a le mérite de rappeler aux enseignants qu'ils appartiennent à une communauté éducative structurée autour de l'établissement. Les élus auront en face d'eux des responsables qui mèneront une politique d'établissement. C'est exactement l'esprit des lycées agricoles et des maisons familiales rurales (MFR) : si ces établissements fonctionnent bien, c'est parce que les enseignants et les élus sont au diapason et qu'ils participent ensemble au développement de l'établissement.
De même, la revalorisation de la rémunération pour les directeurs d'école primaire est une mesure positive. Ces directeurs étaient jusqu'à présent considérés comme une interface administrative ; le ministère veut en faire de véritables patrons, ce qui est là encore une révolution culturelle. Chaque enseignant est le chef dans sa classe, mais il faut travailler avec les autres professeurs, ne serait-ce que pour suivre les matières et les élèves. Le numérique est un excellent facteur de fédération à l'intérieur d'un établissement, car, s'agissant des outils numériques, nous sommes à peu près tous des débutants, avec plus ou moins d'ancienneté ! Les collectivités locales, qui s'étaient fortement impliquées dans les bâtiments - dont elles sont heureusement chargées -, se mobilisent tout autant dans l'équipement numérique, afin de donner leur chance aux élèves vivant dans des territoires en difficulté.
Marc Laménie m'a interrogé sur la différence entre les effectifs globaux et le nombre d'enseignants. À l'intérieur d'un établissement, des personnels qui ne sont pas des enseignants participent pleinement à la réussite scolaire : je pense aux documentalistes, aux assistants d'éducation (AED), aux AESH. L'encadrement est de 1 pour 10 : les personnels administratifs sont au nombre d'environ 100 000. Je n'ai pas suffisamment d'information pour juger si ce nombre est excessif. S'agissant des enseignants mis à disposition ou en disponibilité personnelle, leur nombre a été considérablement réduit. Cette catégorie a été la première touchée par la politique de diminution des effectifs lors du mandat présidentiel 2007-2012.
Sur la médecine scolaire, les obstacles sont au nombre de deux. Tout d'abord, tous les postes ouverts ne sont pas pourvus. Le fait que ces emplois soient considérés comme insuffisamment attractifs sur le plan financier n'est pas la seule explication. Dans les établissements, les infirmiers jouent un rôle considérable de proximité et d'interface entre les élèves et la hiérarchie. Mais la coopération entre médecins et infirmiers ne fonctionne pas. Le ministère essaie d'améliorer la situation, avec difficulté. La démographie médicale explique aussi qu'il soit difficile de trouver des médecins pour pourvoir les postes ouverts.
Christine Lavarde a évoqué, à raison, les contractuels dont la formation est aléatoire. Cette situation se rencontre surtout dans certains départements de l'académie de Versailles et dans celle de Créteil. Le recours aux contractuels est plus fréquent dans ces académies que dans d'autres. Par ailleurs, le vivier de recrutement peut être assez modeste. Par exemple, le nombre d'étudiants en master de mathématiques - le niveau de recrutement des professeurs de mathématiques - est actuellement de 4 000. Or il faut chaque année 1 600 professeurs de mathématiques ! Cela signifie qu'un tiers des élèves de master devrait se tourner vers l'éducation nationale, ce qui est illusoire. La plupart d'entre eux deviendront ingénieurs, feront de la recherche ou iront vers les métiers de l'informatique...
Une politique d'établissement pourrait corriger le tir. On ne peut pas changer l'académie de Créteil du jour au lendemain, mais on peut faire d'un établissement, privé ou public, volontaire et motivé une réussite dans tous les territoires.
Concernant les qualités pédagogiques, c'est un autre problème. Nous avons suffisamment de candidats littéraires aux postes d'enseignant. Mais être littéraire ne signifie pas être pédagogue : il faut, à la fois, une patience et une résistance physique et morale à toute épreuve qui n'accompagnent pas nécessairement le goût pour la littérature classique française ou internationale.
Pour répondre à Michel Canevet, le drame de l'enseignement agricole, c'est qu'il dépend du ministère de l'agriculture. Le ministère de l'éducation nationale le regarde avec un éloignement prudent... La commission des affaires culturelles présentera un amendement, et je suggérerai à nos collègues de le soutenir. Cet enseignement est une réussite parce qu'il est plastique et diversifié : il mérite d'être soutenu et pris en considération.
Je confirme à Éric Bocquet qu'il y a bien eu des décrochages pendant la crise sanitaire. Néanmoins, selon le directeur général de l'enseignement scolaire, Édouard Geffray, les effets péjoratifs de la crise ont été en grande partie amortis. À la rentrée de 2020, 72 % des élèves de CE1 avaient une maîtrise satisfaisante de l'écriture contre 77 % en 2019 ; de la même façon, on assiste à un petit repli en mathématiques en CP.
Selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère, il n'y a pas « d'effet confinement », ce qui n'est d'ailleurs pas forcément bon signe : elle constate que les difficultés des années précédentes se sont poursuivies en 2020. Les résultats ne sont pas satisfaisants : c'est une tragédie qui pèse sur tous, et tous doivent prendre une part de la solution. C'est la raison pour laquelle je crois beaucoup à la politique d'établissement, avec des établissements intégrés à la vie locale et soutenus par les élus, lesquels, subissant la pression directe des familles, auront à coeur de donner à leurs établissements des moyens plus adaptés. Il n'est pas nécessaire d'apporter beaucoup d'argent public supplémentaire à Neuilly, puisqu'il y a de l'argent privé. En revanche, dans les secteurs où il n'y a pas d'argent privé, les élus auront certainement une attitude plus offensive dans leurs relations avec les établissements.
J'en viens à la question de la désaffection des nouveaux enseignants. La crise sanitaire a conduit à introduire le numérique dans le quotidien de nombreuses personnes. Nous allons sans doute voir évoluer la pédagogie et, là encore, ce sont les établissements, plus que le ministère, qui peuvent porter cette évolution. Éric Bocquet est plutôt marxiste, il m'arrive de l'être aussi : la technologie commande en grande partie les rapports sociaux. Le numérique peut modifier la productivité des systèmes sociaux et la situation des uns par rapport aux autres.
Le professeur du secondaire, qui est la clé de voûte et de la réussite de notre enseignement traditionnel - davantage que les hussards noirs de la République qui ont hélas disparu -, enseigne d'une façon doctorale et réplique au lycée ou au collège un enseignement universitaire, ce qui n'est évidemment pas la bonne formule. Le numérique scolaire investit un monde auquel les jeunes sont très familiarisés, ce qui permet d'introduire de nouvelles formes d'apprentissage, de contrôle ou de suivi. C'est la raison pour laquelle je suis très favorable à apporter un soutien aux enseignants par le biais de ces nouvelles technologies évoquées par Philippe Dallier, à condition qu'elles soient gérées collectivement. Dans une entreprise de production, le système informatique est collectivement géré pour que techniciens, commerciaux, administratifs, financiers et ressources humaines travaillent ensemble. Il y a eu une multitude de plans numériques pour l'école ; on voit maintenant se décanter les formules, car la crise sanitaire nous a obligés à quitter un numérique d'aventure pour un numérique d'usage absolu, nécessaire et de survie.
Voilà mes observations sur le budget de ce ministère passionnant. Je ne suis pas un soutien fervent du Gouvernement, mais, quand on a la chance d'avoir un ministre qui s'y connaît et qui travaille, il ne faut pas se plaindre.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - L'article 54 septies a été introduit par le Gouvernement lors des débats à l'Assemblée nationale. Il répond à un problème pratique : l'enseignement agricole privé comprend 1 300 enseignants contractuels, ce qui n'est pas négligeable, dont la rémunération doit être calculée en référence à celle d'un corps équivalent de la fonction publique, celui des adjoints d'enseignement. Or l'enseignement agricole privé souhaite revaloriser la rémunération de ces contractuels, et donc supprimer la référence aux adjoints d'enseignement. Je suis favorable à l'adoption de cette modification se bornant à rendre opérante une disposition introduite dans la loi de finances pour 2020 par le Parlement.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter l'article 54 septies sans modification.
Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et information administrative »
M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. - La mission « Direction de l'action du Gouvernement » est l'une des rares missions du projet de loi de finances à ne pas être impactée de manière significative par la crise sanitaire à un détail près, concernant les dépenses de communication du Gouvernement sur lesquelles je reviendrai.
Les crédits de la mission connaissent en effet, à périmètre constant, une hausse relativement modérée de 3 % en crédits de paiement, ce qui correspond à environ 21 millions d'euros supplémentaires par rapport au projet de loi de finances pour 2020.
Dans le détail, cette apparente stabilité masque cependant quelques nouveautés.
La mission connaît tout d'abord une importante mesure de périmètre, avec la création d'un nouveau programme relatif à la présidence française de l'Union européenne en 2022. Ce programme retrace les dépenses consacrées par l'ensemble des ministères à cette présidence française, prévue du 1er janvier au 30 juin 2022. Il sera doté de 127 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 47 millions d'euros en crédits de paiement, qui correspondent intégralement à des dépenses de fonctionnement.
J'ai cependant relevé que certaines dépenses de personnel liées à l'organisation de cet événement étaient déjà prévues en 2021, mais ne figuraient pas sur ce programme dédié. C'est par exemple le cas de 10 agents à temps plein, qui seront spécialement recrutés pour développer un site internet dédié à cette présidence française, mais seront pris en charge sur les crédits du secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui figurent dans un autre programme de la mission. Cette dispersion des crédits me semble contraire à l'esprit même de la création d'un programme dédié à l'organisation de la présidence française de l'Union européenne et pourrait nuire au suivi de l'exécution des dépenses qui lui sont liées. Je resterai donc attentif à ce sujet lors du prochain exercice budgétaire.
J'en viens maintenant aux deux priorités stratégiques de la mission, qui font l'objet de moyens renforcés sur les plans financier et humain.
La première priorité est le renforcement de la coordination interministérielle en matière de sécurité et de défense, dont l'actualité ne cesse de démontrer l'importance, que ce soit en matière de lutte contre le terrorisme ou de gestion de crise. L'action afférente, qui comprend notamment le budget du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), voit ainsi ses crédits augmenter de 9 millions d'euros, afin notamment d'accompagner la montée en puissance du groupement interministériel de contrôle (GIC), qui est le pivot interministériel de gestion des techniques de renseignement, et celle de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Cette dernière verra ainsi ses effectifs renforcés de 40 agents équivalents temps plein (ETP) et poursuivra son implantation territoriale, avec l'installation d'une antenne à Rennes.
La seconde priorité concerne la protection des droits et des libertés, au travers du renforcement de plusieurs autorités administratives indépendantes qui exercent leurs missions dans ce domaine. Il s'agit notamment de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), du Défenseur des droits et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ces dernières années, le législateur a plusieurs fois étendu le champ de compétences de ces trois autorités, qui ont donc connu une hausse significative de leur activité et du nombre de dossiers qu'elles doivent traiter. Pour accompagner cette hausse, elles bénéficient d'un schéma d'emplois positif, avec des hausses respectives de 20, 5 et 2 ETP, ce qui me paraît totalement justifié au regard de l'importance de ces autorités pour la préservation des droits et des libertés, individuels comme publics.
Je souhaiterais enfin revenir sur un point qui a retenu mon attention : il s'agit de l'impact du contexte économique et sanitaire sur la mission.
Si la crise sanitaire n'a pas eu d'impact budgétaire sensible sur la mission dans son ensemble en 2020, elle a en revanche eu un impact notable sur un point très spécifique, à savoir les dépenses de communication du Gouvernement au sujet de la crise sanitaire. Ces dépenses, prises en charge par le service d'information du Gouvernement (SIG), s'élevaient à un total de 17 millions d'euros au 30 septembre 2020. Compte tenu de la situation actuelle, elles devront vraisemblablement, et malheureusement, être partiellement reconduites en 2021. Or le projet de loi de finances prévoit un budget global de communication gouvernementale strictement identique à celui inscrit dans la loi de finances pour 2020, soit 14 millions d'euros pour l'ensemble de la communication du Gouvernement, qui recouvre des sujets allant bien au-delà de la crise actuelle. En tant que rapporteur spécial, cette démarche consistant à ne pas prendre en considération l'exécution de l'année 2020 et les risques sanitaires pesant sur l'année 2021 ne peut que m'étonner.
Elle m'étonne d'autant que, à l'inverse, certaines dépenses courantes des services du Premier ministre sont, quant à elles, considérées comme des dépenses exceptionnelles et figurent à ce titre dans le plan de relance. Il s'agit, par exemple, de 136 millions d'euros qui seront fléchés en direction de l'Anssi afin de renforcer la sécurité numérique de l'État, ou encore de 398 millions d'euros destinés à la direction interministérielle du numérique afin de mettre en place le « sac à dos numérique de l'agent public », qui correspond, d'après les annexes budgétaires, à une modernisation des postes de travail des agents de l'État. Il me semble que la majeure partie de ces dépenses ne présente qu'un lien ténu avec la relance économique du pays et aurait donc pu être budgétée sur les crédits de la mission, en tant que dépenses d'investissement des services du Premier ministre.
Sans aller jusqu'à considérer que le budget de la mission serait insincère, je considère que ces petits arrangements de présentation peuvent nuire à la lisibilité budgétaire et, in fine, au contrôle du Parlement sur la bonne utilisation des deniers publics.
Je terminerai mon propos par quelques mots sur le budget annexe « Publications officielles et information administrative », géré par la direction de l'information légale et administrative (DILA), elle-même rattachée aux services du Premier ministre.
Ce budget annexe tire principalement ses ressources des recettes d'annonces légales, notamment des recettes d'annonces de marchés publics, qui sont fortement impactées par la crise sanitaire et le ralentissement de l'activité économique qui s'ensuit. Pour l'année 2021, les recettes du budget annexe s'élèveraient à 159 millions d'euros, soit une baisse de 18 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 et de 39 millions d'euros par rapport aux recettes perçues en 2019.
Malgré ces prévisions à la baisse de ses recettes, le budget annexe pourrait dégager en 2021 un léger excédent, évalué à 6,7 millions d'euros. Cet excédent serait permis par une réduction de 3 % des dépenses de la DILA, notamment de ses dépenses de personnel et de fonctionnement, dans la continuité des efforts déjà entrepris ces dernières années. Les économies ainsi dégagées devraient par ailleurs permettre de nouveaux investissements dans des projets informatiques de modernisation de l'administration numérique, comme le développement d'un système d'inscription en ligne sur les listes électorales.
Il convient enfin de noter que, si l'érosion des recettes du budget annexe venait à se poursuivre, son modèle économique pourrait être durablement remis en cause. C'est un sujet que je suivrai donc de près.
Je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission et du budget annexe, malgré les quelques points d'attention que j'ai pu souligner.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». - Je n'ai pas achevé mes auditions sur ce budget pour la commission des lois. Je suis satisfait des évolutions des moyens de l'Anssi, même si l'agence a dû se séparer d'une partie d'elle-même pour créer l'opérateur des systèmes d'information interministériels classifiés (Osiic), qui aura une mission spécifique pour l'échange d'informations entre les membres du Gouvernement.
Compte tenu des risques liés à l'usage des visioconférences lors du confinement, il est absolument indispensable que les moyens de l'Anssi continuent d'être renforcés, par des ETP d'une part, et par le soutien de son projet immobilier à Rennes, d'autre part.
Il faut déplorer quelques retards, notamment en ce qui concerne la transposition de la directive européenne sur les plateformes : la fusion entre la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), théoriquement prévue cette année, ne se fera pas vraisemblablement pas avant l'année prochaine.
Nous avions regretté que la HATVP n'ait pas les moyens de faire face à ses nouvelles obligations en matière de déontologie des fonctionnaires. Le Gouvernement s'est occupé de la question en cours d'année, mais il aurait été préférable que les évolutions se fassent au moment de la discussion de la loi de finances.
Un nouveau programme dédié à la présidence française de l'Union européenne en 2022 a été créé dans le cadre de la mission. Ce qui est assez étonnant, c'est que les montants pour 2021 soient déjà du même ordre de grandeur que lors de la présidence française de 2008, alors qu'on sait déjà qu'il y aura de nouvelles dépenses en 2022...
Enfin, nous n'avons aucun élément sur la création du Haut-Commissariat au plan, qui est, en théorie, financièrement et administrativement relié à ce budget.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous avez indiqué que plusieurs centaines de millions d'euros figuraient dans le plan de relance au titre de la transformation numérique de l'État. Je m'étonne que ces montants ne figurent pas dans les dépenses courantes des ministères. Je partage votre observation, que j'envisage de reprendre dans le cadre de mon rapport spécial sur le plan de relance.
Avez-vous eu des explications sur les raisons qui ont poussé les services du Premier ministre à ne pas budgéter les dépenses de communication du Gouvernement liées à la crise sanitaire sur 2021 ?
Vous avez évoqué l'impact négatif du ralentissement économique sur les recettes dans le budget annexe, mais vous mentionnez également dans votre rapport une conséquence de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, dont j'ai été l'un des corapporteurs. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le sujet ?
M. Philippe Dallier. - Je reviendrai sur un sujet qui avait soulevé quelque émoi : la disparition de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Cette « petite » structure ne disparaît pas complètement puisqu'elle sera rattachée au ministère de l'intérieur, auquel sont transférés 90 000 euros de crédits et deux ETP. Quels étaient les crédits dont disposait la mission précédemment ? Avec deux ETP et 90 000 euros, pourra-t-elle remplir ses missions comme avant ?
Mme Isabelle Briquet. - L'augmentation des crédits de la mission est essentiellement liée à la création du nouveau programme destiné à financer la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, avec des crédits déjà importants budgétés pour 2021.
Dans la continuité des budgets précédents, les moyens dévolus à la lutte contre le terrorisme, aux moyens des services de renseignement et à la coordination de la politique de sécurité et de défense nationale sont renforcés, ce qui est une bonne chose. Il en va de même pour les moyens de la CNIL, de la HATVP et de la Défenseure des droits.
En revanche, on peut s'interroger sur la sincérité des documents budgétaires concernant le SIG, dans la mesure où ce service a déjà consommé 26,2 millions d'euros en 2020. La reconduction des crédits à hauteur de 19,4 millions pour 2021 interroge fortement, car le delta serait assez important.
On s'interroge aussi sur le fait que l'on ne trouve aucune trace de l'existence le Haut-Commissariat au plan dans cette mission, dont il relève pourtant.
Les commissions rattachées voient leurs dépenses de personnel augmenter de 200 000 euros. Certes, ce n'est pas grand-chose, mais le nombre d'ETP diminue de treize. Si deux ETP font l'objet d'un transfert lié au rattachement de la Miviludes au secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, quid des onze autres ?
M. Michel Canevet. - Monsieur le rapporteur spécial, je vous félicite pour la qualité de votre rapport extrêmement complet. La réduction de quatre postes à la direction des services administratifs et financiers (DSAF) correspond-elle bien à des économies réalisées dans le cadre de la mutualisation des moyens ?
Par ailleurs, j'ai noté la création de dix postes au SGAE. Vous avez évoqué la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022. D'autres moyens seront-ils, selon vous, nécessaires pour assumer cette présidence ? S'agissant de la CNIL, vous avez indiqué la création de vingt postes. J'ai effectivement noté, dans le rapport, une forte évolution de l'activité de la commission, due certainement à l'activisme des parlementaires qui lui confient des missions de plus en plus importantes. Ces vingt postes seront-ils suffisants face à cette augmentation d'activité - 42 % entre mai 2018 et 2019 et 27 % en 2020 ?
Mme Christine Lavarde. - Concernant l'opération immobilière Ségur-Fontenoy, visant à mutualiser un certain nombre de moyens, celle-ci doit être achevée. Quel est le premier bilan ? La mutualisation donne-t-elle de bons résultats ?
Par ailleurs, le Défenseur des droits, une autorité administrative indépendante, est le résultat de la fusion de trois entités. Là aussi, la mutualisation doit être finalisée. Est-elle opérante ?
M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. - Pour ce qui est de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, en 2022, nous serons effectivement vigilants, nous nous assurerons que les crédits soient exécutés comme il se doit. En effet, en 2008, lors de notre précédente présidence, nous avions constaté, non seulement une sous-exécution des crédits, mais aussi une dispersion de ceux-ci dans différents programmes - je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes de 2009 à ce sujet, qui avait d'ailleurs été réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat.
La loi Pacte prévoit la gratuité des annonces pour les créations par reprise d'entreprises, ce qui entraîne une baisse des recettes du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC). Malgré un excédent cette année encore, cette perte de recettes risque, à un moment donné, de poser des problèmes.
S'agissant des moyens qui doivent permettre le maintien de la Miviludes, deux ETP avaient déjà été transférés au ministère de l'intérieur l'an passé.
La suppression de 4 ETP à la DSAF résulte effectivement de la mutualisation de certaines fonctions. Concernant les 10 ETP du SGAE, d'autres personnels devraient être mis à disposition par les autres ministères, sans qu'ils figurent dans le programme dédié.
S'agissant de la CNIL, j'ai, bien entendu, posé la question de savoir si ces ETP étaient suffisants. Il m'a été répondu que oui, ils correspondent à la demande de la CNIL elle-même.
De même, je me suis également renseigné sur l'opération Ségur-Fontenoy. L'installation sur le site est achevée et les mutualisations des fonctions support se poursuivent, mais le plus gros est réalisé.
Enfin, pour ce qui est du Défenseur des droits, le regroupement semble avoir bien fonctionné.
Au-delà de ces éléments, je vous renvoie à mon rapport écrit pour plus de précisions.
M. Claude Raynal, président. - S'agissant de la Miviludes, nous devrons, dans l'avenir, la considérer sous l'angle non seulement budgétaire, mais également de son efficacité. Des différences seront, en effet, certainement à noter depuis que cette mission est rattachée au seul ministère de l'intérieur, car le Premier ministre disposait certainement d'une vision plus large.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, de Mme Christine Lavarde, de MM. Vincent Segouin, Michel Canevet, Rémi Féraud et Didier Rambaud, comme membres titulaires, et de MM. Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Stéphane Sautarel, Vincent Capo-Canellas, Victorin Lurel, Jean-Claude Requier et Éric Bocquet, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.
La réunion est close à 12 h 35.
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Projet de loi de finances 2021 - Examen du rapport sur la mission « Outre-mer »
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons la mission « Outre-mer » et l'article 55 sexies rattaché à la mission.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Je voudrais tout d'abord rappeler la vocation particulière de la mission « Outre-mer » : favoriser le rattrapage par les territoires ultramarins de leurs retards économique et social sur l'hexagone. Cet objectif se manifeste notamment par le fait que plus de 90 % des crédits demandés pour 2021 sont des dépenses d'intervention.
Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission « Outre-mer ». La situation économique des outre-mer apparaît en effet bien plus défavorable qu'en métropole : le PIB par habitant est près d'une fois et demie supérieur dans l'hexagone qu'en Guyane, et près de trois fois plus élevé qu'à Mayotte.
Les territoires d'outre-mer ont été fortement touchés par la covid-19, et ses effets sur les économies de ces territoires sont palpables. Ainsi, l'effet de la pandémie sur le PIB pendant le confinement s'élève à plus de 25 % à La Réunion et en Guyane. La comparaison avec les données de la France entière montre une meilleure résistance des économies ultramarines, principalement due au poids plus important, dans ces territoires, du secteur non marchand. La crise économique constitue toutefois un facteur supplémentaire de ralentissement de la convergence des économies ultramarines avec celle de l'Hexagone.
Dans ce contexte, l'augmentation des crédits de la mission « Outre-mer », de 6,39 % en autorisations d'engagement (AE) et 2,64 % en crédits de paiement (CP) par rapport à 2020, constitue indéniablement une bonne nouvelle pour ces territoires.
Le principal point de vigilance sur lequel je souhaite attirer votre attention est la sous-exécution importante dont cette mission fait l'objet. C'est d'ailleurs la difficulté à consommer les AE ces dernières années qui explique la baisse de 5 % des CP prévus sur le programme 123. Cette sous-consommation concerne notamment les dépenses en faveur du logement, la contractualisation, ou les mesures d'accompagnement des territoires. Elle est d'autant plus préoccupante qu'en 2019, le gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d'euros de dépenses fiscales en outre-mer (suppression de la TVA non perçue récupérable et recentrage de la réduction de l'impôt sur le revenu (IR) dans les territoires d'outre-mer). Il s'était toutefois engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés pour l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) et des dépenses visant à favoriser le développement économique des territoires. J'avais, à l'époque, appelé l'attention du Sénat sur le fait que les dépenses budgétaires, contrairement aux dépenses fiscales, n'offrent aucune garantie dans la durée, et peuvent faire l'objet de sous-consommation.
Je constate aujourd'hui que ces promesses sont tenues en apparence : par exemple, le FEI a vu ses crédits largement augmenter. Il fait toutefois l'objet d'une forte sous-consommation (près de 30 % en 2019), qui constitue une perte nette pour les territoires ultramarins.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble les crédits visant à rembourser les organismes de sécurité sociale des exonérations spécifiques de cotisations patronales.
En 2019, le dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer a été modifié afin de répondre entièrement aux dispositions de l'article 86 de la loi de finances pour 2018, qui a acté la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au 1er janvier 2019.
Cette réforme avait entraîné, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges. Ces derniers connaissent, en 2021, une hausse 6,4 % par rapport à ceux prévus en 2020.
Nous tenons à rester vigilants quant à la fiabilité de ces prévisions. En effet, la baisse de l'activité résultant de l'épidémie ainsi que le recours important au chômage partiel sont susceptibles d'entraîner une sous-exécution importante. Dans un pareil cas, il nous paraît important que les crédits restants soient affectés à d'autres dépenses de la mission.
Sur le fond, je tiens à dire que les nouveaux paramètres du régime issu de la LFSS pour 2019 n'ont pas pleinement compensé les effets de la suppression du CICE à 9 %. Au total, la perte nette pour les territoires ultramarins pourrait être de l'ordre de 60 à 100 millions d'euros pour l'année 2019. Il a ainsi entraîné une augmentation du coût du travail en Guyane, alors même que ce territoire subit une forte concurrence extérieure et reste particulièrement vulnérable à l'économie informelle.
Les conséquences économiques de l'épidémie devraient être de nature à entraîner une réflexion sur un éventuel élargissement du barème de compétitivité renforcée à de nouveaux secteurs, afin d'apporter un soutien suffisant aux territoires ultramarins.
De même, le projet de loi de finances pour 2021 ne comprend aucune évolution en matière fiscale concernant les outre-mer, alors que ce levier aurait été pertinent pour mobiliser l'épargne face à la crise.
S'agissant de l'accompagnement des collectivités territoriales, je tiens à relever l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement augmentant les crédits de la mission de 30 millions d'euros en AE et de 10 millions d'euros en CP, afin de financer l'expérimentation d'un contrat d'accompagnement pour les communes des départements et régions d'outre-mer en difficulté, qui manifestent des efforts de redressement. Ce type de contrat, que j'avais proposé dans un rapport remis au Gouvernement avec Jean-René Cazeneuve, est susceptible de fournir un accompagnement financier de l'État aux collectivités rencontrant le plus de difficultés, dans une logique de coresponsabilité, et son expérimentation me semble particulièrement bienvenue.
Comme chaque année, je rappelle que la mission ne concerne qu'une faible part de l'effort de l'État en faveur des outre-mer. Ceci est particulièrement vrai aujourd'hui, puisque les territoires ultramarins devraient bénéficier d'au moins 1,5 milliard d'euros dans le cadre du plan de relance national. Une vigilance particulière s'imposera néanmoins quant à sa déclinaison territoriale, ainsi qu'à la bonne exécution des crédits. En outre, une partie importante des dépenses dépendant d'appel à projets, aucune garantie ne peut être apportée à ce stade quant au montant total dont les outre-mer bénéficieront réellement. Nous interrogerons monsieur le ministre en séance publique, afin d'avoir une meilleure vision du montant effectivement mis au service de chaque territoire.
Malgré ces réserves et avec une prudence toujours de mise, je vous inviterai à adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - Je me joins aux remarques de Georges Patient sur l'évolution des crédits de la mission « Outre-mer », qui connaissent une hausse particulièrement bienvenue au regard du contexte actuel. Cette évolution s'inscrit dans l'effort total de l'État en faveur des outre-mer, puisque la mission regroupe moins de 12 % des crédits de l'État en faveur des outre-mer.
Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble, en plus des crédits destinés au remboursement aux organismes de sécurité sociale des exonérations de charges sociales, les crédits du service militaire adapté (SMA). Ces crédits sont en augmentation de 4 % en AE, car le SMA fait l'objet d'un ambitieux plan dit « SMA 2025 », qui vise notamment à augmenter les taux d'encadrement, et à améliorer les formations en entamant par exemple le virage vers le numérique à travers plusieurs expérimentations, et la création dans chaque entité d'une filière de développeur web.
L'année 2020 a été marquée par la création d'une nouvelle compagnie du régiment du SMA de Nouvelle-Calédonie à Bourail.
La crise sanitaire a entraîné une baisse de 9 points du taux d'encadrement du service militaire adapté (SMA) en 2020 et un arrêt provisoire des formations, sans remettre en cause ces ambitions.
Ces évolutions me paraissent très positives, puisque le SMA a fait preuve de son utilité, comme l'a d'ailleurs montré la commission des finances du Sénat en 2019. La consolidation du dispositif apparaît d'autant plus nécessaire que le contexte économique qui découlera de la crise sanitaire justifie l'existence de structures d'insertion des jeunes particulièrement efficaces.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer et s'élève à 829 millions d'euros en AE et à 593 millions d'euros en CP en 2021. Par rapport à 2020, il connaît donc une hausse de 7 % en AE et une baisse de 5 % en CP.
Pour expliquer la baisse en CP du programme, le gouvernement invoque des raisons « techniques », cette diminution visant selon lui « non pas à la réduction des moyens, mais à un ajustement du niveau des CP, en fonction des dépenses prévues sur l'année concernée, comme pour toutes les lignes s'exécutant de manière pluriannuelle ». Je tiens à rappeler, comme Georges Patient, que cette difficulté à exécuter certaines dépenses est largement due au manque d'appui aux collectivités territoriales, notamment en matière d'ingénierie de projets.
Ainsi, de manière plus spécifique, la politique contractuelle de l'État en outre-mer, dont les crédits sont supportés par l'action 2 « Aménagement du territoire », connaît une augmentation de 3 % en AE, mais une baisse de 10 % en CP.
En 2021, l'effort sera donc maintenu en AE pour les contrats de convergence et de transformation, le contrat de projet Polynésie et le contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie. Ces contrats font l'objet d'un problème récurrent d'impayés. Nous relevons néanmoins que le montant cumulé des charges à payer relatives à ces contrats s'élevait, en fin de gestion 2019, à 3,6 millions d'euros, ce qui constitue un plus bas historique et traduit la capacité de l'État à honorer ses engagements.
Si cette évolution est positive, je tiens toutefois à attirer l'attention du Gouvernement sur le retard d'exécution persistant du contrat de projet 2015-2020 de la Polynésie française. Au titre de ce dernier, la participation de l'État s'élève à 135 millions d'euros sur une durée de 6 ans, ce qui implique la mise en place d'une enveloppe moyenne de 22,5 millions d'euros en AE par an. À fin 2020, le contrat de projet cumule 27,5 millions d'euros de retard en AE, soit l'équivalent de plus d'une année d'exécution nominale du contrat. Ce retard compromet notamment l'engagement d'un projet de construction de logements sociaux, dont les marchés sont d'ores et déjà notifiés et dont les travaux ont déjà commencé. Le contrat de projet arrivant à échéance au 31 décembre 2020, date à laquelle il doit être remplacé par un nouveau contrat de développement et de transformation, il est impératif que ces 27,5 millions d'euros soient débloqués avant la fin de l'année.
Les crédits de la ligne budgétaire unique (LBU), qui financent le logement outre-mer, s'élèvent à 224,6 millions d'euros en AE et 176,9 millions d'euros en CP, soit une hausse de 8,7 % en CP et une baisse de 2,7 % en AE. Ces crédits, qui s'élèvent à un niveau très inférieur à celui constaté jusqu'en 2017, font également l'objet d'une sous-exécution chronique. Le taux d'exécution s'est ainsi élevé à 90 % en AE et 78 % en CP, avec des situations contrastées en fonction des territoires, comme à La Réunion (75 % en CP) ou encore à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les crédits prévus et dépensés en 2021 devraient donc être largement inférieurs aux besoins, alors que le nombre de demandeurs de logements sociaux en outre-mer (hors Mayotte) s'élève à 69 432, et que les besoins en logements sociaux sont évalués à plus de 10 000 par an.
Cette baisse des crédits est d'autant plus préoccupante que la suppression de la réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements dans le logement locatif social dans les départements d'outre-mer, à compter de 2019, entraîne également une baisse de la construction de logements sociaux. Nous serons donc particulièrement vigilants quant à l'exécution de la LBU.
Malgré ces réserves, je constate que ce budget est en augmentation, et que les outre-mer bénéficieront du plan de relance, même si nous tenons à obtenir des précisions sur sa territorialisation. Je me joins donc à l'avis de mon collègue Georges Patient et invite la commission des finances à adopter ces crédits.
Mme Micheline Jacques, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - Je suis du même avis que mes collègues sur la vigilance nécessaire, notamment sur les effets de la crise sanitaire dans les outre-mer.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Je remercie mes collègues rapporteurs spéciaux pour la clarté de leur rapport. Comme eux, je pense que nous devons nous féliciter de l'augmentation globale des crédits, mais rester vigilants devant la sous-exécution, notamment dans le cas du programme 123. Ce programme est très attendu dans nos territoires, surtout en ces temps de crise. Il nous faut trouver des solutions à la sous-exécution. L'insuffisance de l'ingénierie en est la cause principale. Le Gouvernement, comme il s'y était engagé, devra aider nos territoires à pallier cette carence, qui ne doit pas être une fatalité.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La compensation aux organismes de sécurité sociale des exonérations de charges patronales dont bénéficient les départements et régions d'outre-mer constitue le principal poste de dépenses de la mission « Outre-mer ». Je constate que celui-ci devrait connaître une augmentation en 2021, ce qui me semble surprenant : la crise économique et l'augmentation du chômage partiel ne devraient-elles pas entraîner une baisse mécanique du recours aux exonérations de charges sociales ?
M. Philippe Dallier. - Le logement outre-mer échappe à la mission « Cohésion des territoires » avec la fameuse ligne budgétaire unique (LBU). Les besoins en outre-mer sont considérables. Les problèmes constants de sous-exécution et d'ingénierie m'étonnent depuis longtemps. L'année dernière, les AE avaient fortement baissé et cette année, ce sont les CP qui baissent, l'État faisant le constat d'un manque de projets par rapport aux crédits qui pourraient être affectés.
Sur la question des difficultés rencontrées pour la construction des logements, s'agit-il seulement d'un problème d'ingénierie ? J'ai du mal à imaginer que cela soit la seule explication. Je reconnais qu'il est difficile de construire partout, mais lorsque l'on a des crédits, une collectivité locale engagée et des entreprises pour construire, comment expliquer de si grandes difficultés ?
M. Claude Raynal, président. - Comment se fait-il qu'on ne puisse pas régler cette question d'ingénierie ? En métropole, c'est au niveau régional ou départemental que se mettent en place des agences permettant de fournir de l'ingénierie dans les communes les plus petites et faire ainsi avancer les projets. A-t-on considéré cette perspective ? L'État ne pourrait-il pas vous aider à mettre cela en place ? Quelles solutions envisagez-vous à cette question récurrente chaque année ?
M. Victorin Lurel. - Je reconnais que les crédits de la mission ont augmenté, mais ils sont insuffisants depuis de longues années. Pour le logement, par exemple, en 2014, les crédits étaient de 273 millions d'euros en AE, alors qu'ils seront de 224 millions d'euros en 2021. Par ailleurs, il y a un reste à payer d'1,7 milliard d'euros, ce qui me semble incompréhensible.
On évoque des problèmes d'ingénierie et l'absence de compétences techniques pour justifier la sous-consommation, et on a donc distrait 7 millions d'euros de la LBU pour aider les collectivités, les bailleurs et autres investisseurs à monter leurs dossiers. C'est incompréhensible. J'aimerais d'ailleurs que cette affaire donne lieu à une évaluation. Nous avons utilisé la LBU alors que nous aurions pu avoir recours, par exemple, aux crédits européens pour l'assistance technique, dont les régions peuvent disposer.
Le plan logement outre-mer (PLOM), qui prévoyait la construction de 150 000 logements sur les onze territoires habités d'outre-mer, soit 10 000 logements par an, est loin d'atteindre ses objectifs : on en fait à peine 5 000 - 5 600 exactement, selon les derniers chiffres de la Cour des comptes. Les questions d'ingénierie ne peuvent pas tout expliquer ; il y a manifestement un blocage. Après avoir ferraillé pendant des années sur ces dossiers, j'ai une proposition à faire : cette politique centralisée du logement ne fonctionnant pas, il faut soit décentraliser, soit remettre le sujet dans la mission « Cohésion des territoires ». En tout cas, il faut territorialiser.
Cette mission évoque 350 millions d'euros au titre du plan de relance. Et le ministre précise, dans une belle phrase : « premier arrivé, premier servi ». Il est question d'appels à projets, mais on ignore comment la répartition va se faire et comment on pourra consommer ces crédits sans ingénierie.
On prévoit 50 millions d'euros pour tous les Outre-mer au titre de l'aménagement. Mais, pour la seule Guadeloupe, il faudrait au minimum 800 millions d'euros, selon diverses évaluations, pour réparer les réseaux d'eau et assurer la distribution ! En pleine crise de la covid, toute une partie du territoire n'a pas accès à l'eau. L'État affirme qu'il s'agit de la compétence des collectivités, mais il est tout de même coresponsable. Il a été en charge pendant soixante-dix ans avant la décentralisation ! Et il ne s'est pas occupé des réseaux. Même en ces temps d'épidémie, l'État refuse d'accorder des subventions. Les crédits de la mission augmentent, mais cela ne répond pas aux préoccupations quotidiennes des habitants d'outre-mer. La loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer n'a pas été respectée. J'ai mentionné le problème de l'eau, il y a aussi celui du traitement des déchets, des transports, etc. Au bas mot, il faudrait dix ans pour régler les questions d'aménagement. Nous demandons 200 millions d'euros sur 5 ans - 40 millions chaque année -, et 400 ou 500 millions d'euros en prêt garanti sur trente ans. Mais l'État ne veut rien entendre. Que fait-on avec 10 millions d'euros pour 3 millions d'habitants outre-mer ? Ce budget augmente, mais reste à la main du Gouvernement. Je ne sais pas si l'accord pour la Guyane est satisfait. Plus que jamais, il faut parler de libertés locales.
On s'épuise à demander des petites choses par-ci par-là, en matière de défiscalisation ou de crédit d'impôt. Ça ne marchera pas. Il faut un big bang, un changement de logiciel ! La proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales votée au Sénat va dans ce sens. Il faut peut-être des zones franches comme dans les Caraïbes, il faut plus de libertés locales pour que les gens se prennent davantage en charge. En aucun cas je ne pourrai voter ces crédits et, à titre personnel, je m'abstiendrai.
M. Marc Laménie. - Les territoires d'outre-mer sont sujets à des contraintes géographiques et à des aléas climatiques importants. Avez-vous une idée du budget alloué par l'État concernant la lutte contre ces aléas ?
M. Charles Guené. - Je voudrais revenir à la question du manque d'ingénierie et de la baisse des CP. Depuis le 1er janvier de cette année, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est opérationnelle ; elle a justement vocation à se décentraliser dans les préfectures pour faire l'état des lieux et permettre de développer des politiques nécessaires sur le terrain. Pourriez-vous nous dire quelles sont les avancées de l'ANCT dans les outre-mer ?
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Si nous avons beaucoup insisté sur la sous-consommation des crédits, c'est parce qu'il s'agit d'une question centrale et récurrente, souvent mise en avant par les gouvernements successifs pour expliquer la situation des outre-mer : ces derniers seraient presque responsables de leur situation parce que les crédits existent, mais ne seraient pas consommés faute d'ingénierie locale ; même la Cour des comptes reprend cette analyse dans ses études.
En Guyane, depuis plusieurs années, l'État et les collectivités territoriales s'efforcent de mettre en place une grande structure d'ingénierie : sa nécessité est pourtant reconnue, mais elle n'a toujours pas été installée.
Lors de la rédaction de notre rapport sur les finances locales outre-mer, nous avons pu constater avec Jean-René Cazeneuve, contrairement d'ailleurs à ce qu'il pensait au départ, qu'il existe des cadres de très bon niveau outre-mer. Le problème est donc à chercher ailleurs. Il faut rechercher les véritables raisons, comme le formalisme des procédures. L'État n'a souvent pas, au niveau déconcentré, les ressources suffisantes pour instruire ou accélérer les dossiers. Il faut aussi évoquer la structure financière des collectivités locales. Elles n'ont souvent pas les moyens de participer aux plans de financement pour la mise en place de ces équipements locaux. Beaucoup de collectivités locales sont dans une situation financière déséquilibrée, n'ont pas l'épargne nécessaire et sont déficitaires en fonctionnement.
C'est donc tout le système financier des collectivités territoriales qu'il faudrait revoir. Il est crucial de les remettre à flot financièrement afin qu'elles puissent s'inscrire dans le plan de relance. L'enveloppe de 30 millions pour l'accompagnement des collectivités ne semble pas suffisante, vu l'ampleur des déficits des villes-capitales d'outre-mer : Pointe-à-Pitre a ainsi, par exemple, un déficit de 70 millions d'euros pour 15 000 habitants ; Mamoudzou ou Cayenne sont dans la même situation. Cette remise à niveau est un préalable à l'utilisation des crédits qui ont été annoncés, sinon ceux-ci ne seront pas consommés.
Concernant le logement, la question du manque d'ingénierie ne devrait pas se poser, dans la mesure où les opérateurs immobiliers ont de très bons services en la matière. Les entreprises évoquent l'existence d'impayés nombreux de la part de l'État ; la LBU ne serait pas, non plus, facilement mobilisable. Avant de prévoir des crédits destinés à la construction, il conviendrait donc de prévoir des crédits en matière d'aménagement du foncier. Dans certains territoires, en effet, le foncier est rare et cher. En Guyane, le foncier existe, mais il doit être aménagé et il serait judicieux d'avoir des crédits pour cela, à l'image du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain. Action Logement m'a aussi fait part d'une sous-consommation des crédits, pourtant disponibles. C'est pourquoi nous insistons sur cette question de la sous-exécution et nous aimerions que la commission des finances se saisisse de ce sujet pour comprendre pourquoi les crédits ne sont pas consommés comme ils devraient l'être.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - La question de l'ingénierie territoriale est fondamentale, même si elle ne suffit pas à tout expliquer. Il ne s'agit pas seulement d'une question de décentralisation, mais aussi de déconcentration, car il faut doter les préfectures ou les hauts-commissariats de la République des équipes techniques capables d'accompagner les collectivités territoriales.
Un autre enjeu est la question de l'accès au foncier. En Polynésie, c'est un vrai défi : nos îles n'ont que peu de plaines et le coût d'aménagement du foncier excède les ratios en vigueur pour le logement social, ce qui est source de blocages et fait que certaines opérations ne sont pas éligibles, alors que les besoins sont réels.
En ce qui concerne la lutte contre les aléas climatiques, une dotation de dix millions d'euros est prévue, mais elle alimente un fonds de secours qui vise à financer les interventions et les indemnisations à la suite d'un événement : on peut regretter l'absence dans la mission « Outre-mer » d'un dispositif préventif. Cela sera sans doute l'un des enjeux du pan de relance, dont l'un des objectifs est d'accroître la résilience, y compris en matière de prévention des risques climatiques.
Enfin, pour Charles Guené, la démarche des nouveaux conseils aux territoires n'a pas été étendue outre-mer ; ce sont les préfectures qui restent compétentes.
La territorialisation du plan de relance constituera un enjeu fondamental. Victorin Lurel a évoqué les appels à projets. Il ne faudrait pas, en effet, que nous soyons victimes de notre carence en matière d'ingénierie territoriale. Nous devons aussi, avant cela, avoir une bonne visibilité sur les crédits effectivement réservés à l'outre-mer et sur les appels à projets réservés à l'outre-mer. Cela n'est pas encore le cas. Nous serons vigilants à cet égard.
M. Victorin Lurel. - Les villes-capitales ne sont pas les seules à avoir des problèmes. Pointe-à-Pitre et Fort-de-France ont surconstruit. Point-à-Pitre possède plus de 2 000 logements en propriété propre. Par idéologie, certes respectable, ils n'ont pas voulu vendre et aujourd'hui la ville a le déficit que l'on connaît. Mais la situation financière de la plupart des collectivités d'outre-mer est catastrophique et le Gouvernement n'en n'a pas pris conscience, au prétexte de l'autonomie. À ce rythme, il faudra pourtant quinze, voire vingt ans, pour rétablir le réseau d'eau en Guadeloupe si l'État n'apporte pas son aide. Il en va de même pour le logement.
Outre le manque d'ingénierie, il faut aussi noter que l'obtention de l'agrément de Bercy pour les dispositifs de défiscalisation relève d'un parcours du combattant ! Plusieurs services, qui ne s'entendent pas, doivent intervenir. Lorsque j'étais président du conseil régional de Guadeloupe, nous avons ainsi mis en place une unité d'ingénierie pour aider les communes à monter leurs dossiers.
Quelle a été l'utilisation des sept millions d'euros destinés à l'ingénierie ? Comment se répartit, par actions, l'annulation des 75 millions de crédits de paiement sur le programme 123 dans le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020 ? Enfin, dispose-t-on de précisions sur les 200 millions d'euros de garantie de recettes fiscales pour les collectivités d'outre-mer dans le troisième projet de loi de finances rectificative ?
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Je n'ai pas de précisions, pour le moment, sur les 7 millions d'euros destinés à l'ingénierie, mais le ministère travaille sur ce sujet avec l'Agence française de développement (AFD). Les collectivités sont incitées à se tourner vers cette agence pour ce qui concerne l'ingénierie locale.
Ensuite, je ne sais pas si la somme de 200 millions d'euros de garanties de recettes fiscales est inscrite de façon définitive dans le PLFR 3, mais les mécanismes de compensation y figurent : en métropole, la moyenne des trois dernières années fiscales 2017, 2018 et 2019 a été prise en considération ; outre-mer, n'ont été retenus que l'octroi de mer et la taxe sur les carburants. Nous avions souhaité que la taxe sur les tabacs soit aussi prise en compte, mais cela n'a pas été le cas.
M. Victorin Lurel. - Ni les droits de mutations, pour les départements.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Certains considèrent que l'enveloppe est insuffisante, mais il est aussi question de la compensation des pertes fiscales dans le plan de relance. Peut-être des amendements seront-ils aussi déposés sur le projet de loi de finances...
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - L'annulation de crédits au sein du programme 123 dans le PLFR 4 porterait surtout, dans l'état des informations dont nous disposons, sur le logement, en raison de la sous-consommation constatée.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Outre-mer ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - L'article 55 sexies a été introduit à la demande du Gouvernement à l'Assemblée nationale. Celui-ci étend le volet « obsèques » de l'aide à la continuité territoriale de deux manières : à la « dernière visite » à un parent lorsque le décès intervient avant le trajet retour du bénéficiaire ; aux cas dans lesquels la dernière visite ou les obsèques concernent un frère ou une soeur, son conjoint ou la personne avec laquelle elle est liée par un PACS. Cette extension apparait bienvenue, alors que le coût actuel de l'aide à la continuité territoriale accordée pour se rendre à des obsèques est une part marginale de l'ensemble de la consommation du dispositif (0,1 % des aides en 2019).
Nous restons toutefois vigilants quant à l'effectivité de l'aide destinée à la « dernière visite », qui ne fait l'objet d'aucun encadrement particulier, alors qu'elle repose sur le décès du parent avant le retour du bénéficiaire. À titre de comparaison, l'aide à la prise d'un congé de solidarité familiale est conditionnée à la production d'un certificat médical établi par le médecin traitant de la personne attestant qu'elle souffre d'une pathologie mettant en jeu son pronostic vital, ce qui n'impose pas que la personne décède effectivement.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 55 sexies.
La réunion est close à 14 h 50.