Mardi 2 mars 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Proposition de loi relative à la sécurité globale - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui pour l'examen du rapport pour avis de M. Étienne Blanc sur la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Le texte déposé par le Gouvernement comportait initialement deux articles relatifs aux transports : l'un portait sur l'extension du périmètre d'intervention de la Suge - qui est le service interne de sécurité de la SNCF - et l'autre, sur la sécurité routière. À l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, ce volet a été enrichi : il compte désormais une petite dizaine d'articles, qui portent notamment sur la sûreté dans les gares et les transports, la transmission d'images de vidéoprotection entre les différentes forces de sécurité en présence ou encore la sécurité ferroviaire et routière.

Compte tenu de ces ajouts, notre commission a décidé il y a quelques semaines de se saisir pour avis au titre de sa compétence en matière de transports et de sécurité routière, qui résulte de l'acte de partage établi en 2012. Cet avis s'inscrit dans la continuité de ses travaux, notamment de la mission d'information commune avec la commission des lois, créée en 2016, sur la sécurité dans les transports terrestres face à la menace terroriste, puis de celle portant sur la sécurité routière, en 2018. Plus récemment, l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités fut l'occasion pour Didier Mandelli, qui en fut l'excellent rapporteur, de mener un travail de grande ampleur et de conforter notre expertise sur les questions de sécurité dans les transports.

Avant de donner la parole à notre rapporteur pour avis, je tiens à remercier M. Loïc Hervé, l'un des deux rapporteurs de ce texte examiné au fond par la commission des lois, pour les échanges fructueux qu'il a eus avec notre rapporteur pour avis, et pour l'esprit de collaboration qu'il a contribué à nourrir.

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Comme l'a rappelé Monsieur le président, ce texte ne comptait au départ que deux articles portant respectivement sur la sécurité dans les transports et la sécurité routière, mais dans la mesure où ce volet a été enrichi au cours de son examen à l'Assemblée nationale, nous nous sommes saisis pour avis de neuf articles, c'est-à-dire des sept articles du titre V « Sécurité dans les transports et sécurité routière » et des articles 19 bis et 20 ter, qui traitent de la détection des drones par des agents privés et de la possibilité, pour des agents des services de sécurité interne de la SNCF et de la RATP, de visionner un certain nombre d'images sous le contrôle des services de police et de gendarmerie.

Bien qu'il puisse paraître relégué dans le titre V de la proposition de loi - et dans les débats médiatiques -, ce volet « transports » est, en réalité, essentiel. C'est en tout cas ce qui ressort de nos constatations de terrain et des auditions, importance relayée notamment par les opérateurs de transport.

Le secteur des transports a récemment connu de profonds bouleversements, notamment sous l'effet de la crise sanitaire, qui a changé les habitudes des Français en matière de fréquentation des transports publics et conduit à une forte diminution du trafic de voyageurs. En parallèle, on observe une hausse du sentiment d'insécurité dans les transports.

Les véhicules et emprises immobilières nécessaires aux services de transport sont, en règle générale, des espaces au sein desquels la problématique de sécurité se pose en des termes complexes, compte tenu des caractéristiques mêmes de ces espaces, confinés, et comportant de nombreuses interconnexions...

Mais ce problème se pose désormais avec une acuité toute particulière. Comme l'a souligné devant notre commission, le 10 février dernier, Mme Valérie Pécresse, les rues et les voies publiques se sont clairsemées sous l'effet des confinements successifs et, désormais, du couvre-feu et la délinquance s'est déportée dans les gares, les enceintes et les véhicules de transports. Les opérateurs de transport que j'ai entendus confirment ce glissement et observent, pour certains d'entre eux, une agressivité accrue de la part des personnes contrôlées.

Les agressions sont aussi plus violentes, car les auteurs de vols simples ou à la tire semblent avoir fait évoluer leur mode opératoire, compte tenu des mesures de distanciation physique et de la quasi-absence de touristes qui sont - en règle générale - les cibles privilégiées de ce genre d'atteintes. Ainsi, alors même que la fréquentation des transports publics a chuté de 30 à 40 % en 2020, la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer constate, par rapport à 2019, une hausse de 17 % des vols commis avec violence ou sous la menace.

Au-delà des agressions, les agents assermentés des entreprises de transport, qu'il s'agisse des contrôleurs ou des agents de la Suge ou du Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) - les services de sécurité interne respectifs de la SNCF et de la RATP - rencontrent d'importantes difficultés à recueillir l'identité des personnes qui commettent des infractions au code des transports, ce qui peut donner un sentiment d'impunité aux contrevenants et ne permet de recouvrer qu'une part infime du produit des amendes. Le manque à gagner représenterait 600 millions d'euros par an.

Face à ces évolutions, les usagers semblent exprimer une nouvelle demande de sécurité. Il s'agit d'un véritable changement de nature, que l'on n'aurait pas imaginé il y a seulement une dizaine d'années. L'équilibre entre sécurité et protection des libertés publiques ou privées semble s'être déplacé. Au cours de nos auditions, les associations d'usagers ont indiqué privilégier très clairement la sécurité et sont prêtes à accepter avec moins de réserves des dispositifs de vidéosurveillance qui auraient été jugés excessifs dans un passé proche. Je souligne ce point fondamental pour le législateur, car il fait parfois apparaître un certain décalage entre les réflexes juridiques élémentaires et la réalité.

Enfin, il faut rappeler que, en plus du risque terroriste, qui reste prégnant, s'ajoutent, pour nos forces de sécurité nationales et les agents de sûreté des opérateurs de transports, des défis inédits à venir pour notre pays, avec l'accueil des Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024, et donc, si la sortie de crise sanitaire nous le permet, de 11 millions de spectateurs.

Au total, et comme le souligne opportunément le dernier rapport sur la sûreté publié par l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), il faut, pour des raisons écologiques évidentes, combattre la baisse de la fréquentation des transports publics et faire revenir les usagers dans les transports publics. Le risque « insécurité » doit donc à tout prix être écarté.

Dans cette perspective, le volet « transports » de cette proposition de loi répond à un certain nombre de demandes remontées du terrain. Je pense, par exemple, à l'extension du périmètre de compétence de la Suge - elle pourrait désormais intervenir au sein des commerces présents en gare ou alors dans les emprises immobilières nécessaires à l'exploitation des cars utilisés en substitution de certaines lignes ferroviaires - ou encore à l'élargissement du spectre des emplois qui pourront faire l'objet d'enquêtes administratives à ceux occupés au sein du gestionnaire d'infrastructure. Je suis également favorable à la fluidification des échanges d'images entre les forces de sécurité en présence, dans le respect des libertés publiques et privées. J'ai déposé à cet effet plusieurs amendements identiques à ceux des rapporteurs de la commission des lois.

Les neuf amendements que je vous soumets, dont six sont identiques à des amendements des rapporteurs de la commission des lois, reposent sur une conception équilibrée : il s'agit de prendre en compte la composante structurelle de la nouvelle demande de sécurité dans les transports, tout en pariant sur la réversibilité de la composante sécuritaire liée à la pandémie et en ajoutant certaines garanties.

Un point m'a particulièrement frappé au cours des auditions que j'ai conduites : le défaut de coordination entre les nombreuses forces de sécurité en présence. L'exemple de la gare du Nord est emblématique, puisqu'y interviennent neuf acteurs de la sûreté : la brigade des réseaux franciliens, la direction centrale de la police aux frontières, les douanes, la mission « Sentinelle », la police du Xe arrondissement, la Suge, le GPSR, ainsi que deux entreprises de sécurité privée. J'en profite pour relever l'augmentation du recours à des agents de sécurité privée qui nous a été signalée, notamment pour assurer une présence humaine, c'est-à-dire contribuer au sentiment de sécurité.

Certes, cette proposition de loi vise à faciliter les échanges d'images issues de la vidéoprotection, ou encore à renforcer la sécurité dans les zones d'interconnexion, mais il me semble indispensable de renforcer le dialogue sur ce sujet au niveau départemental et de faire en sorte que les différentes parties prenantes s'articulent et se coordonnent de manière plus efficace. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à rendre obligatoire, dans les départements de plus de 1 million d'habitants, la conclusion d'un contrat d'objectif départemental de sûreté dans les transports. Malheureusement, cette possibilité n'a été que trop peu exploitée depuis la loi dite « Savary » de 2016 : un seul contrat a été signé, dans les Bouches-du-Rhône. C'est dommage, car elle permet de meilleurs échanges et une coordination plus efficace entre forces de sécurité.

M. Didier Mandelli. - Merci pour ce travail, effectué en lien avec Loïc Hervé, et qui complétera les dispositions votées dans la loi d'orientation des mobilités (LOM), tout en reflétant l'évolution des questions de sécurité dans le secteur des transports, parfois exacerbées par le confinement. Le sujet n'est pas simple, avec une ligne de crête à tenir entre la préservation des libertés publiques et le renforcement du sentiment de sécurité. Votre exposé traduit bien une volonté de trouver un équilibre et de préserver la sécurité de nos concitoyens dans les transports.

M. Philippe Tabarot. - Merci au rapporteur, qui a repris quasiment l'intégralité des amendements que j'ai déposés sur ces questions, bien connues dans ma région, où nous avons signé le premier contrat d'objectif départemental dans les Bouches-du-Rhône. Je me réjouis du travail accompli, et voterai tous ces amendements.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 20 ter (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - L'article 20 ter vise à permettre aux services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP de visionner les images déportées vers les salles d'information et de commandement de l'État, sous le contrôle de la police ou de la gendarmerie nationales. Comme ces services ont la capacité de déclencher des interventions, il est important qu'ils disposent des images en temps réel, pour mieux adapter le dispositif d'intervention à la réalité de l'infraction commise. Ce sujet avait fait l'objet d'observations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il mérite un encadrement précis pour la protection des libertés individuelles. C'est l'objet de l'amendement  COM-281, qui précise que les agents en question n'auront accès qu'aux seules images relevant de leurs périmètres respectifs, que leur consultation ne pourra avoir lieu que sous l'autorité et en présence d'agents des services de police ou de gendarmerie, avec pour unique finalité de mieux coordonner les interventions de leurs services avec les forces de police ou de gendarmerie.

L'amendement COM-281 est adopté.

Article additionnel après l'article 28

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Il existe toute une série de services destinés à assurer la sécurité dans les transports. Mais la coordination entre eux semble insuffisante : gare du Nord, comme je l'ai déjà dit, neuf services différents peuvent intervenir ! Mieux on organise l'articulation entre ces différents services, plus les dispositifs seront efficaces. En évitant les redondances, on évitera les interventions croisées, qui complexifient les choses. La loi Savary avait prévu la possibilité de conclure des contrats d'objectifs départementaux. Un seul a été conclu, à Marseille, et il a montré son efficacité, ne serait-ce que parce qu'il permet aux différents services de se parler, d'échanger et de susciter des dispositifs nouveaux, des pratiques nouvelles.

Mon amendement COM-276 rend obligatoire la conclusion d'un tel contrat pour les départements de plus de 1 million d'habitants, sous l'autorité du préfet, qui sera chargé de rassembler les différents services et de rédiger un véritable contrat les engageant.

L'amendement COM-276 est adopté.

Article 28 bis (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-278, qui réécrit cet article, est identique à celui qui a été déposé par les rapporteurs de la commission des lois. Cet article vise à déployer, à titre expérimental, un système de vidéoprotection embarqué sur les matériels roulants, à la fois pour assurer la prévention des accidents et pour analyser ceux-ci. En effet, sur les trains comme sur les bus, il n'existe pas aujourd'hui de dispositif d'enregistrement des images. Dans mon rapport, j'ai fait figurer un tableau des temps d'intervention, notamment en cas d'accident corporel, qui illustre la nécessité d'enregistrer les images, pour les trains comme pour les bus. Lorsqu'un accident survient sur un passage à niveau, il peut y avoir une contestation : les barrières étaient-elles levées, ou fermées ? En l'absence d'enregistrement, le règlement judiciaire de ces questions se fait sur le fondement de témoignages et d'analyses techniques. Cette expérimentation fera l'objet d'un bilan dans les deux ans qui suivront son entrée en vigueur. Le présent amendement garantit que ce bilan sera transmis au Parlement et à la CNIL. Dès qu'on enregistre en vue d' un objectif précis - l'accidentologie, en l'occurrence - le champ de la caméra peut couvrir un espace plus large... D'où la nécessité de bien encadrer le dispositif et de prévoir un rapport : la commission des lois y a veillé, et nous partageons son souci.

Mme Marta de Cidrac. - Combien de temps ces enregistrements seront-ils conservés ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Un mois.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Si j'ai bien compris, nous avons la garantie que ces images ne vont pas servir à autre chose qu'à la prévention des accidents de circulation, et qu'un contrôle sera mis en place.

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Oui, un rapport sera remis à la CNIL, qui observera les conséquences de l'enregistrement des images : un bus qui circule peut aussi filmer des entrées d'immeubles, en tout cas un espace plus large que le domaine public. Il faut donc encadrer le dispositif. D'où la nécessité de ce rapport, qui serait remis à la CNIL et au Parlement.

M. Philippe Tabarot. - L'installation sera-t-elle à la charge des transporteurs ou des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - À la charge des transporteurs. Le dispositif est aussi utile pour la prévention des accidents.

Mme Marta de Cidrac. - Si l'on capte des images qui peuvent servir à une autre enquête, pourront-elles être utilisées ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - La finalité exclusive de ce dispositif est la prévention et l'analyse des accidents de transports. La CNIL veillera à éviter le détournement d'images pour une autre finalité que celles qui sont prévues dans le texte. Ces images doivent servir à éviter les accidents et, lorsqu'il y a eu un accident, à apporter des éléments probants pour en connaître les causes.

L'amendement COM-278 est adopté.

Article 28 ter (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Fluidifier la transmission des images prises dans les transports vers les forces de l'ordre est une condition essentielle de l'efficacité et de la rapidité d'intervention.

Le droit actuel instaure trois conditions, qui constituent un frein dans la transmission de ces images. L'Assemblée nationale a décidé de les supprimer. Nous craignons que le Conseil constitutionnel ne s'en émeuve et considère que la levée de ces trois conditions ne permet pas suffisamment de garantir les libertés. C'est pourquoi je vous propose, par l'amendement COM-282, de conserver sans modification deux des trois garanties initiales : la communication des images pour la seule durée de l'intervention des forces de l'ordre et leur transmission en temps réel. En revanche, l'amendement modifie pour l'assouplir le troisième critère : l'atteinte commise aux biens ou aux personnes ne serait plus appréciée par rapport à sa gravité ni à ni l'imminence de celle-ci mais simplement par rapport au fait qu'elle est constituée.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ces dispositifs garantissent-ils qu'il ne peut pas y avoir une atteinte à la vie privée et à la liberté de circulation ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Nous maintenons la communication des images pour la seule durée de l'intervention : les images sont échangées lorsqu'on est sur l'incident, mais pas en dehors. Nous maintenons également leur transmission en temps réel, c'est-à-dire dans un temps relativement court, qui est celui de l'intervention et de l'incident ce qui semble suffisamment protecteur des libertés individuelles. L'assouplissement qui a été apporté a trait à la disparition du caractère grave de l'atteinte et à l'imminence de la survenance du risque. Les deux autres conditions que nous maintenons sans modification encadrent suffisamment le dispositif.

L'amendement COM-282 est adopté.

Article additionnel après l'article 28 ter (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Dans les auditions que nous avons conduites, les différents services, les AOM, la SNCF et la RATP nous ont dit que l'un des problèmes, lorsqu'une infraction est commise dans les transports, est le relevé et le contrôle d'identité. Il est assez facile pour un contrevenant, ou pour une personne qui commet un acte délictuel, de donner aux forces de sécurité une fausse identité. Lorsque celles-ci s'en aperçoivent, si elles veulent aller plus loin pour contrôler l'identité, elles sont obligées de recourir aux services d'un officier de police judiciaire ou d'un agent de police judiciaire. Dans certains secteurs, c'est assez facile, parce que l'on est dans une proximité immédiate. Dans d'autres, c'est beaucoup plus compliqué. Parfois, cela implique une heure et demie de transport pour les agents de police judiciaire ou les officiers de police judiciaire qui se rendent sur les lieux.

La loi « Savary » avait prévu un dispositif permettant aux agents d'obtenir plus facilement les éléments qui permettent de s'assurer de l'identité du contrevenant, par le biais d'une personne morale unique, qui ferait le lien entre les exploitants et les administrations qui communiqueraient un certain nombre de renseignements dont ils disposent.

Mais ce dispositif prévu dans la loi Savary n'a pas été mis en place, faute de publication du décret d'application, et sans doute parce qu'il est insuffisamment encadré. Mon amendement  COM-273 vise à faciliter la mise en place de cette structure intermédiaire en entourant cette personne morale unique de nouvelles garanties. L'amendement précise en effet que son organisation et ses missions garantissent le respect des exigences propres à la consultation des données personnelles.

M. Jean-François Longeot, président. - Lors d'un déplacement effectué dans le cadre de la préparation d'un rapport, nous avions dû attendre plus de trois quarts d'heure avant de sortir du train. Quelques personnes avaient fraudé et, comme les agents de la SNCF ne pouvaient pas les contrôler, il a fallu attendre que les forces de l'ordre arrivent, ce qui a bloqué tous les passagers du TGV qui, eux, étaient en règle !

L'amendement COM-273 est adopté.

Article 28 quinquies (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Mon amendement  COM-275 concerne le sujet du port des caméras-piétons par les agents des services de sécurité interne de la SNCF et de la RATP. Une expérimentation a eu lieu, dont le bilan est très positif : le fait de déclencher une caméra - qui suppose d'annoncer qu'on la déclenche - apaise souvent le conflit entre la personne qui a commis une infraction et l'intervenant.

Le présent amendement met en cohérence le périmètre d'intervention de la Suge et des services de la RATP avec les espaces sur lesquels ils sont autorisés à procéder à un enregistrement par des caméras-piétons. Ainsi, ils pourront déclencher leur caméra dès qu'ils interviendront, hormis sur la voie publique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Dispose-t-on du bilan de cette expérimentation ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Des bilans - très positifs - nous ont été transmis par la SNCF et la RATP.

L'amendement COM-275 est adopté.

Article  additionnel après l'article 28 quinquies (nouveau)

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Mon amendement  COM-274 porte sur les agents assermentés des entreprises de transport - il s'agit souvent des contrôleurs. Une expérimentation des caméras-piétons avait été prévue pour eux dans la LOM, qui devait débuter le 1er juillet 2020, mais n'a pas été mise en place, faute de la parution du décret d'application. Mon amendement inscrit dans la loi le fait que cette expérimentation fait l'objet d'un décret en Conseil d'État, pour inviter le Gouvernement à aller au bout de sa démarche.

L'amendement COM-274 est adopté.

Article 29

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Mon amendement  COM-279 porte sur le contrôle de l'alcoolémie. Il existe trois dispositifs. Avec l'éthylotest, la personne souffle dans un appareil qui permet de savoir si elle est positive ou négative. En fonction des résultats, on passe à l'éthylomètre, qui permet de mesurer précisément, par l'air expiré, le taux d'alcoolémie, ou au prélèvement sanguin. La mise en oeuvre de ces trois techniques n'apparaît pas s'articuler de manière cohérente : une obligation de dépistage préalable par éthylotest pour les accidents de la circulation sans dommage corporel maintenue alors que le texte propose de la supprimer pour les contrôles aléatoires, en l'absence d'accident ou d'infraction. En cas de contrôle inopiné de l'alcoolémie des automobilistes, je propose qu'on puisse continuer d'utiliser l'éthylotest ; c'est l'objet de mon amendement  COM-279. En cas de test positif, on passera à l'éthylomètre et aux prélèvements sanguins. Mais en cas d'accident avec dommage corporel ou d'infraction routière sanctionnée d'une suspension du permis de conduire, nous pourrions conserver la possibilité d'un recours direct à l'éthylomètre ou au prélèvement sanguin prévue par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, en se passant de l'éthylotest. La rédaction retenue par l'Assemblée nationale était un peu confuse et manquait de cohérence. Nous proposons de clarifier les choses. En dehors des accidents avec dommage corporel, on en reste à l'éthylotest, qui peut déclencher, s'il est positif, le recours à l'éthylomètre et au prélèvement sanguin.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces clarifications...

Mme Évelyne Perrot. - Quelle est la différence entre l'éthylotest et l'éthylomètre ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Avec l'éthylotest, une couleur s'affiche, qui correspond à un résultat positif ou négatif. L'éthylomètre donne précisément le taux d'alcoolémie.

Mme Évelyne Perrot. - Il faut souffler dans les deux cas ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Oui. Si l'on ne peut pas souffler parce qu'on a un problème de santé, il faut recourir au prélèvement sanguin. Le délai entre l'accident et le prélèvement a une grande importance, car le taux d'alcoolémie baisse avec le temps. Plus le contrôle est proche de l'accident, plus on est dans la réalité. Souvent, un contrôle effectué deux heures après l'accident, par exemple après le transfert de la personne à l'hôpital, donne un taux inférieur au taux légal, alors même que l'on sait que le taux était supérieur au moment de l'accident. Or les tribunaux ne prennent en compte que le taux réel constaté et scientifiquement sécurisé. Faciliter l'accès à l'éthylomètre, c'est être au plus proche de la réalité des faits.

M. Jacques Fernique. - Comment l'incapacité à souffler est-elle constatée ? Faut-il appeler un médecin ?

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Sur déclaration de l'intéressé.

L'amendement COM-279 est adopté.

Article 29 bis

M. Étienne Blanc, rapporteur pour avis. - Cet article a été ajouté par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il étend les compétences des gardes particuliers assermentés. Ceux-ci seraient habilités à constater par procès-verbal des infractions routières sur les domaines qu'ils surveillent. Mon amendement  COM-280, identique à celui des rapporteurs de la commission des lois, encadre précisément les pouvoirs de ces gardes particuliers.

L'amendement  COM-280 est adopté

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour cet excellent rapport, et pour ces amendements élaborés dans la concertation et apportant des solutions claires et concrètes. Je vous propose d'émettre un avis favorable sur les articles de la proposition de loi dont nous nous sommes saisis, sous réserve de l'adoption des amendements du rapporteur.

Il en est ainsi décidé.

M. Jean-François Longeot, président. - Notre unanimité ne fera que faciliter votre tâche, demain, à la commission des lois ! Certainement, ses membres seront très sensibles à nos arguments, et à l'implication de notre rapporteur et de notre commission sur la problématique, si importante, de la sécurité dans les transports.

La réunion est close à 9 h 20.

Mercredi 3 mars 2021

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, qui traduit une mesure forte portée par la Convention Citoyenne pour le Climat et reprise par le Président de la République, a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier. Il sera examiné en séance publique par nos collègues députés du mardi 9 au jeudi 11 mars prochain.

Il vise à introduire à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 une phrase selon laquelle « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Le thème abordé par cette révision dépasse largement le strict cadre de l'organisation des pouvoirs publics pour inscrire au sein de l'article 1er de la Constitution, celui même où se trouvent rappelés les grands principes et valeurs qui définissent la République, une ligne d'action forte en faveur de la protection de l'environnement.

C'est tout naturellement que notre commission a souhaité se saisir pour avis : cette révision constitutionnelle renforce, au sommet de la pyramide des normes, dès les premières lignes de notre texte constitutionnel, la préservation de l'environnement, de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique, trois sujets qui relèvent de plein droit de la compétence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Cette révision constitutionnelle se veut un geste politique et juridique fort, à une place hautement symbolique, au sein de l'article le plus solennel de notre constitution, qui synthétise nos valeurs matricielles et l'ADN de notre République.

À l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, ce texte sera examiné au fond par la commission des lois, à qui sont d'office envoyés tous les projets de révision constitutionnelle.

À cette fin, une partie de nos travaux pourraient être conjoints, notamment l'audition, le 24 mars prochain, du garde des sceaux Éric Dupont-Moretti et, à la même date, une table ronde de juristes et professeurs de droit. Nous pourrions par ailleurs entendre des spécialistes du droit de l'environnement ainsi que des représentants d'associations afin d'évaluer au mieux l'opportunité de l'inscription envisagée à cette place constitutionnelle éminente et évaluer l'impact, notamment en termes contentieux, de ce nouveau principe d'action pour les pouvoirs publics.

Autant de questions essentielles au coeur des compétences de notre commission, que nous examinerons avec soin, rigueur et conviction, comme le Sénat sait si bien le faire.

En vue de cet examen, je vous propose de désigner rapporteur M. Guillaume Chevrollier.

La commission demande à être saisie pour avis du projet de loi constitutionnelle n° 3787 (A.N., XVe lég.) complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement et désigne M. Guillaume Chevrollier en qualité de rapporteur pour avis.

Désignation de rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous devons également procéder à la désignation de nos rapporteurs sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, présenté par la ministre de la transition écologique Barbara Pompili.

Comme vous le savez, ce texte est censé constituer la traduction des propositions de nature législative formulées par la Convention citoyenne pour le climat.

Cette initiative avait été lancée par le Président de la République, je le rappelle, à l'issue du Grand Débat national qui succédait au mouvement des gilets jaunes.

L'objectif fixé aux citoyens était clair : proposer des mesures permettant de réduire les émissions françaises de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici à 2030 par rapport à 1990 et cela dans un esprit de justice sociale.

Nous devrons donc déterminer, le moment venu, si les mesures proposées, qui s'ajoutent à celles prévues par d'autres textes thématiques ou budgétaires, permettent d'atteindre ces deux objectifs climatique et social.

Il s'agira également de nous prononcer sur l'ambition globale du texte, alors que l'Union européenne a récemment rehaussé ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40 à - 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, soit 15 points de plus par rapport à nos objectifs actuels, ce qui est très important ! L'Union européenne vise également la neutralité carbone en 2050.

Je sais que nous pourrons compter sur nos rapporteurs pour clarifier ces enjeux et évaluer les propositions du Gouvernement et des députés.

Le projet de loi a été déposé le 10 février dernier sur le Bureau de l'Assemblée nationale. Il comporte actuellement 69 articles répartis en 6 titres, qui correspondent aux thèmes de travail de la Convention citoyenne pour le climat : consommer ; produire et travailler ; se déplacer ; se loger ; se nourrir ; renforcer la protection judiciaire de l'environnement.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale se réunira du lundi 8 mars au vendredi 19 mars pour établir son texte. La discussion en séance publique aura lieu à partir du lundi 29 mars et vraisemblablement jusqu'à la mi-avril.

À l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, ce texte devrait être examiné au fond par notre commission, avec des délégations au fond à la commission des affaires économiques.

Je sais que l'attente est assez forte dans l'ensemble des groupes politiques et je souhaite que nous puissions travailler dans un esprit de respect et une bonne ambiance qui font la force du travail sénatorial.

En vue de cet examen, j'ai reçu les candidatures de Mme Marta de Cidrac, MM. Pascal Martin et Philippe Tabarot pour exercer les fonctions de rapporteurs sur ce texte.

L'objectif doit être un travail collégial avec toutefois des spécialisations thématiques pour des raisons techniques et pratiques évidentes. Les rapporteurs se répartiront entre eux les articles sur lesquels ils travailleront.

La commission désigne Mme Marta de Cidrac, MM. Pascal Martin et Philippe Tabarot rapporteurs sur le projet de loi n° 3875 rect. (A.N., XVe lég.) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Audition de M. François Bayrou, haut-commissaire au plan

M. Jean-François Longeot, président. - C'est un plaisir de vous recevoir aujourd'hui. Depuis que vous exercez les fonctions de Haut-Commissaire au Plan, le 3 septembre dernier, vous avez présenté votre méthode devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese), publié trois notes « d'ouverture », qui tracent vos perspectives de travail et vous avez déjà répondu à de nombreuses questions des parlementaires lors de précédentes auditions.

Notre commission ne peut qu'être sensible à la revitalisation du Plan, qui avait disparu depuis une quinzaine d'années. Et chacun peut s'accorder sur l'intérêt de soutenir la réflexion prospective à un niveau politique pour éclairer les choix de notre pays alors que nous faisons régulièrement et collectivement le constat d'un manque de vision stratégique à long terme de l'État sur des sujets entrant dans le champ de compétences de notre commission.

L'objectif de cette audition est donc double. D'une part, nous permettre de mieux comprendre vos objectifs, au-delà de ce que nous avons pu apprendre des textes parus au Journal Officiel des 2 et 4 septembre 2020 : comment comptez-vous mettre votre expérience au service du pays ? Comment envisagez-vous de travailler avec les membres du Gouvernement ? D'autre part, nous souhaitions échanger avec vous sur des thèmes qui nous sont chers et qui entrent dans le champ des compétences de notre commission.

Je pense par exemple aux grandes politiques de réseaux et d'infrastructures qui contribuent à l'aménagement de notre territoire. Dans le secteur portuaire, du transport de fret et de la logistique, nous manquons d'une vision à long terme alors que la République populaire de Chine ambitionne de déployer ses « nouvelles routes de la soie » sur 30 à 40 ans.

Je pense aussi aux voies et moyens qui nous permettront d'assurer la cohésion et l'équilibre de notre territoire, alors que les fractures territoriales peinent à se résorber dans la mobilité, dans l'accès aux soins et globalement dans l'accès aux services en proximité. Des forces contraires sont à l'oeuvre, entre la métropolisation, qui demeure puissante, et l'aspiration d'une part croissante de nos concitoyens à vivre dans les petites et moyennes villes et à la campagne. Dans le même temps, l'État est passé d'un rôle d'aménageur actif à un rôle de facilitateur et d'accompagnateur, qui se matérialise par un changement de vocabulaire : le programme d'attractivité du territoire a été remplacé par la politique d'égalité des territoires et maintenant de cohésion des territoires, qui s'est matérialisée à travers la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) par la loi du 22 juillet 2019, examinée au fond par notre commission et dont notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ était rapporteur. Comment percevez-vous ces changements et quelles orientations pourraient être soutenues ?

Je pense, enfin, à la transition écologique, qui est un enjeu majeur pour notre indépendance nationale. Votre audition intervient à un moment important car le Sénat examinera bientôt le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui est issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) mise en place par le Président de la République après le Grand débat national et le mouvement des gilets jaunes.

Au-delà des règles que le législateur peut créer pour assurer le respect par la France de ses objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, je souhaitais recueillir vos analyses sur deux points.

D'abord, concernant les relocalisations industrielles, qui sont un puissant levier car elles permettent à la fois de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre importées en France, de prévenir l'érosion de la biodiversité et d'assurer le lien entre transition écologique et emplois : comment l'État et les collectivités peuvent-ils accompagner au mieux ce mouvement et également assurer son acceptabilité sociale ?

Second point, le financement de notre transition écologique. La dernière note que vous avez publiée propose d'isoler la dette « de guerre » de la crise sanitaire et de la « relance » pour assurer sa soutenabilité et nous permettre de continuer à investir, ce qui est particulièrement nécessaire à la décarbonation de notre économie. Vous avez fait des propositions ambitieuses pour la relance. Au-delà des investissements à réaliser, considérables pour l'État, les collectivités et les entreprises, quels rôles pourraient jouer la fiscalité environnementale et l'épargne pour inciter à la transition ? Comment assurer la transition écologique dans un objectif de justice sociale ?

M. François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan. - Merci de votre accueil, il y a longtemps que je ne me suis pas exprimé dans cet hémicycle, certains souvenirs me sont encore vifs et je suis heureux de m'y exprimer à nouveau. Je ne prétendrai pas savoir répondre à toutes vos questions, nous sommes tous devant des nécessités que nous n'avions pas prévues, voire que nous avions éludées au fil des décennies. Quelques-uns d'entre vous qui ont partagé mes combats politiques se souviendront que nous avions essayé de traiter certaines des causes qui ont conduit à la crise pandémique actuelle. Cette crise a été pour la Nation une prise de conscience douloureuse, au-delà du seul plan sanitaire. Les avertissements n'avaient pourtant pas manqué : en 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale soulignait par exemple le risque d'une pandémie mais il n'avait guère été suivi d'effet, aucune décision n'était intervenue pour mettre en place une organisation capable de faire face à une pandémie. Plus grave, la Nation a découvert ses faiblesses structurelles, qui nous ont conduits à des événements inédits. La pénurie de médicaments, par exemple, un sujet qui n'avait pas échappé au Sénat puisque vous y avez consacré un rapport - encore un rapport pertinent qui, hélas, n'avait pas eu de suites...

Avec cette crise, l'idée s'est imposée que le long terme devrait être « ré-enraciné » dans le débat public français. Vous mentionnez la Chine, qui gouverne à trente ans quand nous gouvernons à 30 jours, sous la pression de l'actualité, des chaînes d'information en continu, des débats agités par de pseudo-spécialistes auto-proclamés. Nous ne réfléchissons pas assez, alors que nous devons examiner les choses à 10, 20 et 30 ans, à l'échelle de l'horizon perceptible et à celle d'une génération.

J'essaie de réfléchir dans ce cadre : celui du projet de société que la France a construit et porté, pour elle-même et face au monde - et de voir quelles nécessités ce projet fait apparaître.

Nous avons le contrat social le plus généreux du monde, on peut le soutenir sans équivoque, avec une affirmation de solidarité sans pareille qu'il s'agisse de l'école, de la santé, ou encore du chômage, c'est vrai dans tous les domaines de l'action publique. Mais au fond, ce contrat social est insoutenable si notre appareil productif ne le finance pas. Or, cette préoccupation s'est étiolée, effacée de la volonté de l'État. Pourquoi ? Parce que l'idée s'est installée que ce n'était plus à l'État de s'en occuper, mais aux entreprises, en particulier les plus grandes, l'idée s'est installée que c'était finalement les logiques économiques qui guidaient les grandes décisions.

Cette idée a produit une situation paradoxale et insupportable. Le paradoxe, c'est que la France est un pays capable des plus grands exploits technologiques et scientifiques mais qui ne produit plus elle-même ce qu'elle conçoit.

Nous savons produire des satellites, des fusées et les mettre en orbite, nous savons produire des avions parmi les meilleurs du monde, nous savons construire les hélicoptères et les moteurs d'hélicoptères qui sont les meilleurs du monde, nous savons construire des sous-marins nucléaires, des centrales nucléaires, nous savons construire des automobiles, nous avons été une nation de pharmaciens et de médecins très en avance - mais nous sommes incapables d'assurer et de défendre notre place sur des secteurs de production centraux. Nous avons un déficit commercial de 75 milliards d'euros par an, quand l'Allemagne est à 200 milliards d'excédent ; la part de l'industrie dans le PIB de la Nation est tombée à 12 %, quand elle est de 25 % en Allemagne, de 19 % en Italie et de 16 % en Espagne. Nous sommes en déficit commercial vis-à-vis de l'Allemagne, naturellement, mais aussi vis-à-vis de l'Italie et de l'Espagne. Notre pays est capable de faire face aux défis technologiques les plus importants mais nous enregistrons un déficit de 33 milliards d'euros pour les biens d'équipements.

Ce paradoxe rend notre projet social insoutenable sur le long terme, alors qu'il est le socle de l'unité nationale. Peut-être -que je me trompe, mais qui peut défendre le point de vue contraire ?

Dans ce temps de très grandes mutations, la crise sanitaire a accéléré certains changements, modifié des aspirations. Elle a, en particulier, conduit bien de nos concitoyens à remettre en cause la métropolisation, c'est-à-dire la concentration d'un nombre toujours plus grand d'habitants, de services et de richesses, dans des unités urbaines toujours plus denses ; nombre de nos concitoyens ont imaginé que d'autres modes de vie étaient préférables, et c'est heureux. Cela crée pour beaucoup d'entre nous des obligations, des exigences et des défis de réaménagement du territoire. Le télétravail était une perspective lointaine ; désormais il est devenu un mode normal d'exercice d'un certain nombre de tâches de notre société. Le « distanciel » est devenu familier, y compris à ceux qui ne l'envisageaient pas. Cela pose la question des réseaux, de la numérisation croissante de la société, avec ses atouts et ses handicaps. Chacun d'entre vous est engagé, sur son territoire, pour l'équipement en réseaux numériques ; dans mon agglomération, nous avons vu les bénéfices de l'installation de la fibre, il y a déjà vingt ans : c'est à long terme que nous avions pensé les choses, avec raison.

C'est la même chose pour le développement durable, pour le changement climatique. Les deux sujets sont liés, par la recherche d'un équilibre pour le présent et l'avenir, de long terme. L'humanité sent bien que si elle ne répond pas à cette question de l'équilibre, sa survie est menacée.

On voit bien quelles sont les grandes lignes du volet climatique. D'abord, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans la production d'énergie. J'ai reçu la présidente du Haut conseil pour le climat (HCC), qui siège aussi au Haut conseil britannique pour le climat. Le grand mouvement en cours, c'est l'électrification du parc automobile et du chauffage des logements ; notre production d'électricité peut-elle faire face ? À combien estimer l'augmentation nécessaire de la production électrique ? Avec les exigences du chauffage électrique et du parc automobile, l'augmentation serait de 35 % de la consommation électrique : comment la produire sans émission supplémentaire de gaz à effet de serre ? Personnellement, je ne vois pas comment assumer cette production supplémentaire en renonçant à la production d'électricité nucléaire en France. La question de l'éolien se heurte au bilan carbone et à l'acceptation sociale des éoliennes ; le photovoltaïque, piste intéressante, pose la question de la production des cellules elles-mêmes, c'est-à-dire de l'énergie qu'il faut pour faire fondre le silicium : si cette énergie n'est pas décarbonée, le photovoltaïque perd bien de son intérêt.

Je sais que, sur certains points, je suis minoritaire mais je défends en conscience mes convictions, que j'établis à partir des études que je lis. La France tient, dans le secteur électronucléaire, une place de premier plan. Dès lors que l'on choisit de passer aussi par des productions alternatives - ce qui est dans les lois que vous avez votées -, il faut inventer les réseaux pour intégrer l'électricité produite en divers lieux dispersés sur notre territoire, pour la délivrer sur les points de consommation. Et mener une réflexion sur l'économie de la consommation, comme nous y appelle l'association « négaWatt ». Toute cette réflexion doit être intégrée, en se débarrassant des a priori, le mix énergétique va devoir assembler des modes de production et de distribution différents - et il requiert à l'évidence des investissements très importants.

Deuxième volet, la lutte pour la préservation de la biodiversité. Ce chapitre est lui aussi essentiel, chacun le sait, et nous refusons l'artificialisation supplémentaire des sols. Il faut également améliorer la qualité agronomique des sols agricoles, nous ne pouvons regarder que comme une blessure le fait que la France se soit fait dépasser par l'Allemagne et les Pays-Bas en matière agricole. Pour des productions plus respectueuses de l'environnement et de la vie animale, nous allons devoir faire un bond de géant dans la recherche et la technologie, c'est un champ d'action considérable.

Si je place devant nous ces grands enjeux liés aux mutations exigées par le réaménagement du territoire, par la préoccupation climatique et le besoin de reconquérir l'appareil productif dans des secteurs dont nous sommes absents, je ne confonds pas la relance et la reconquête. La relance est nécessaire, elle vise à souvenir des secteurs existants ; la reconquête, c'est la volonté de reconstruire des secteurs de production dont nous observons la disparition, ce n'est pas le même sujet. Il y a donc un besoin d'investissements considérables, qui s'ajoutent à ceux que nous connaissons pour les réseaux ferroviaires, numériques, pour la recherche de partenaires industriels.

C'est pourquoi j'ai soutenu l'idée d'un plan Marshall qui fait suite aux dépenses de guerre contre le virus, pour reprendre cette figure historique d'une reconquête après la guerre. Ainsi, je propose de réserver des sommes rendues accessibles par les conditions très favorables des banques centrales dans l'accès au crédit. Si nous ne le faisons pas, si nous n'avons pas cette exigence de reconquête dans ce cadre d'aménagement du territoire et écologique, alors nous avons le plus grand risque de voir s'effondrer le projet national français.

Avec qui le faire ? J'ai commencé à travailler avec le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et avec les commissions parlementaires. Je n'ai nulle prétention à quelque monopole que ce soit, nous sommes là pour enraciner des idées - car quand l'opinion se saisit d'une idée, c'est alors que le Gouvernement passe à l'action, c'est dans ce sens que les choses se passent et je suis convaincu que le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple n'a jamais autant été d'actualité qu'en ces temps médiatiques.

Je souhaite donc un travail construit et durable avec vous, pour flécher les investissements. Paul Valéry, après la Première Guerre mondiale, a écrit que désormais, les civilisations se savaient mortelles ; je crois qu'aujourd'hui, nous savons que notre modèle, celui de notre contrat social, ne survivrait pas à notre négligence. Je suis déterminé à prendre toutes vos réflexions, pour les mettre en activité - et que ces mines soient de nouveau en exploitation, c'est une nécessité pour les décennies à venir.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes tout à fait disposés à travailler avec vous. J'apprécie la distinction que vous faites entre relance et reconquête, la nuance est de taille. Vous pouvez compter sur nous et notre expérience de terrain pour vous aider dans vos travaux.

Mme Denise Saint-Pé. - Vous avez déclaré récemment que notre réseau ferroviaire avait donné la priorité à la grande vitesse en oubliant les réseaux de proximité et qu'il était scandaleux que la ligne entre Bayonne et Pau ne permette pas des transports rapides et ponctuels. Pensez-vous qu'il faille renoncer à un prolongement de la ligne à grande vitesse (LGV) jusqu'à Hendaye et Pau, et, à l'échelle nationale, pensez-vous que les LGV ne sont plus une priorité et qu'il faille se concentrer sur les petites lignes ? Quid, ensuite, des trains de nuit ? Pensez-vous qu'un train de nuit desservant Pau et Hendaye via Toulouse en haute période, soit satisfaisant pour les Pyrénées-Atlantiques ?

M. Frédéric Marchand. - En cette semaine où nous devrions être dans les allées du Salon de l'agriculture, vous avez évoqué le modèle agricole français et la centralité de la question de l'alimentation. Dans une note du 18 décembre dernier sur la souveraineté, vous dites qu'il est effarant de constater que notre pays soit devenu dépendant des importations pour les fruits et légumes. Avec nos collègues de la commission des affaires économiques, nous nous sommes saisis de cette question de l'alimentation durable et locale à l'aune de la reterritorialisation de l'alimentation et de l'aménagement du territoire et nous partageons avec le Cese l'objectif de construire de véritables politiques publiques à l'échelle des bassins de vie. Partagez-vous cette analyse et reprendriez-vous cette idée d'un plan Marshall à l'échelle de nos territoires pour accompagner cette reterritorialisation d'activité économique permettant une alimentation durable et locale pour toute notre population ?

M. Stéphane Demilly. - L'aménagement du territoire et le développement durable sont étroitement liés, merci de l'avoir souligné, et la crise sanitaire que nous traversons le démontre à l'évidence. Le Cese estime que les thématiques environnementales sont insuffisamment traitées : envisagez-vous de faire une nouvelle note spécifique sur ces questions ? Comment, ensuite, comptez-vous travailler concrètement, en particulier avec les territoires, pour assurer le plus de transparence aux choix politiques sur les grands enjeux que vous avez cités ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - La crise sanitaire nous invite à relocaliser la production de nos médicaments et de notre matériel médical, alors même que nos territoires ruraux ont été fragilisés par la réforme territoriale et la concurrence des métropoles, on le voit sur le plan démographique, scolaire et pour les services publics en général. La Dordogne souffre ainsi d'une désertification médicale qui nous fait craindre des difficultés croissantes d'accès aux soins : 0,8 médecin pour 1 000 habitants et un médecin sur deux proche de la retraite ; nous savons que cette désertification médicale ne sera pas compensée avant de nombreuses années par la suppression du numerus clausus, lequel, au passage, ne change rien au quota de formation dans les universités.

Sur les territoires, ensemble, nous faisons tout notre possible, avec le peu de moyens dont nous disposons, pour renforcer l'attractivité numérique, nous finançons une nouvelle navette ferroviaire, la création de maisons de santé, des bourses aux étudiants, des soutiens aux circuits agricoles courts, nous soutenons l'activité économique et les activités sportives et culturelles - chacun peut le constater, en particulier ceux qui viennent s'installer dans la ruralité, les « néoruraux », qui demandent souvent plus de local, d'agriculture biologique, d'activités. Comment comptez-vous prendre en compte toutes ces problématiques et convaincre qu'une nouvelle politique d'aménagement du territoire est nécessaire contre les inégalités territoriales criantes, contre le sentiment légitime d'abandon de la population, qui se traduit bien souvent par l'abstention et par le vote extrême lors des élections ? Ne pensez-vous pas que l'État doive garder la main sur ce que nous nommons nos biens communs, à savoir la santé, le transport, l'énergie, a fortiori dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique ?

Mme Marta de Cidrac. - Dans votre récente note sur les secteurs stratégiques, vous soulignez l'importance du secteur de l'énergie et le fait que le développement des énergies renouvelables, couplé à la réduction de la part du nucléaire dans notre production énergétique, suscite de nombreuses interrogations. Les énergies renouvelables sont en croissance forte, même si leur intermittence pose la question de la décarbonation de notre mix énergétique et, vous l'avez dit, celle de notre indépendance énergétique, un sujet sur lequel nous avons un avantage comparatif par rapport à nos voisins européens. La production énergétique n'a guère fait partie des travaux de la Convention citoyenne, nous l'avons constaté en audition, alors que ce secteur est primordial pour notre réussite dans la transition écologique. Un rapport du ministère de la transition écologique identifie plusieurs pistes pour améliorer le bilan environnemental des panneaux photovoltaïques, avec la relocalisation d'un grand nombre d'activités à la clé. Il propose de créer des filières à haute valeur ajoutée de recyclage, sachant que les 50 000 à 60 000 tonnes de panneaux mis sur le marché en France chaque année deviendront des déchets d'ici 20 à 30 ans. Il suggère un soutien public à l'ouverture de mines en France, pour privilégier une production nationale de matières première et secondaire, par exemple du silicium. Il préconise également de développer une vision de filières afin de relocaliser la fabrication des panneaux, en particulier des cellules. Quel regard portez-vous sur ces recommandations ? Le photovoltaïque pourrait-il constituer un axe important de la réindustrialisation française, sachant que 70 % de l'empreinte de la France est composée d'émissions importées et que la réindustrialisation de notre pays constitue un levier de diminution de notre empreinte environnementale ?

M. Pierre Médevielle. - Vous avez rappelé l'excellence française, notre capacité à être aux premiers rangs pour certaines technologies mais concernant le plan de relance, ne pensez-vous pas que nous allons devoir faire preuve d'humilité et d'adaptation ? Vous soulignez la situation de notre agriculture : nous avons perdu des places et nous sommes devenus importateurs. Je prendrai l'exemple de la viticulture, un domaine d'excellence française s'il en est, où nous disons parfois que nous sommes les meilleurs du monde ; mais, outre qu'on a eu la prétention de travailler moins que les autres, ce qui ne va pas sans conséquence, on refuse aussi un étiquetage standard avec les informations que demandent des consommateurs dans les pays anglo-saxons et à force de ne pas le faire, je pense par exemple à l'appellation d'Irouléguy, nous disparaissons des rayons de certains magasins scandinaves ou anglo--saxons, nous perdons des parts de marché...

M. François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan. - Je vais tenter de répondre avec l'humilité que vous nous demandez à tous. La question des lignes ferroviaires, dans le cadre actuel, paraît difficile à résoudre : sur les lignes secondaires, le kilomètre-passager coûte 1 euro aux régions, c'est la réalité. Je crois qu'il faut favoriser l'ouverture à des mutations technologiques, par exemple celle du matériel roulant léger, cela fera gagner beaucoup. Les lignes que vous évoquez, madame Saint-Pé, comme d'autres lignes non électrifiées, vont avoir la possibilité d'utiliser du matériel roulant à hydrogène, qui est très performant du point de vue écologique - nous l'avons constaté à Pau, en installant la première ligne de bus à hydrogène. Sur les petites lignes, nous avons à réfléchir aux mutations du matériel, au ferroviaire léger ou à l'ouverture des lignes à des trams ou trams bus, des solutions moins coûteuses que la remise en état des lignes ferroviaires. Faut-il renoncer aux LGV ? Non, c'est le corps principal d'un réseau. Quant à la « Palombe bleue », le train de nuit de Pau et Tarbes, elle suscite beaucoup d'interrogations - je suis pour ma part circonspect.

Monsieur Marchand, la relocalisation de la production agricole avec des conduites agronomiques biologiques se développe partout. Dans notre communauté d'agglomération, nous lançons le processus, par achat de terres, avec des néoruraux décidés à produire en maraîchage. Nous achetons leur production pour les cantines, nous recevons des visites d'autres agglomérations. Je suis certain que ces modes de production locaux, durables, représentent une perspective importante. Cela ne peut pas être une action individuelle, on redécouvre, y compris dans le monde agricole, les vertus du collectif partagé, entre agriculteurs et puissance publique, cela va avec le refus de l'artificialisation des sols.

Monsieur Demilly, je compte produire une à deux notes par mois, avec ma petite équipe... de 8 équivalents temps plein (ETP) - vous noterez que j'ai toujours cru aux petites équipes... Notre première note a posé cette question : « Et si le Covid durait ? ». Nous y avons examiné les conséquences stratégiques pour notre pays. La deuxième note a pris pour sujet les pénuries, de médicaments et de domaines stratégiques, avec cette question : comment préserver notre indépendance, ne pas être à la merci d'une rupture d'approvisionnement ? Notre troisième note a visé la dette du Covid et celle de la relance.

Je ne perds pas de vue la défense de notre patrimoine environnemental, la réhabilitation de notre environnement, je suis convaincu que nous pouvons faire beaucoup. À quelle strate territoriale agir ? Le labyrinthe territorial est l'une des faiblesses de notre action publique, c'est l'une de vos responsabilités, au Sénat, d'améliorer notre organisation territoriale, donc de vous mettre d'accord sur le sujet. La complexification croissante, surtout, est une faiblesse nationale - il m'arrive d'envier Napoléon dans sa capacité de simplification de l'action administrative... Le travail fait sur les communautés de communes et d'agglomération a été utile. Il y a, autour des bassins de vie, des bassins d'action publique, des réseaux d'acteurs qu'il faut harmoniser avec les régions, qui sont démesurées donc illisibles dans leur action. Aujourd'hui, la strate territoriale la plus adaptée me semble donc le réseau des communautés des communes et d'agglomération.

Madame Varaillas, la désertification médicale est le résultat d'une politique publique criminelle, qui s'est développée dans le temps. J'ai écrit un livre sur le sujet, que je n'ai pas publié, et qui s'intitulait « Un crime ». Car la régulation de la profession médicale a été sciemment voulue, avec la complicité des médecins et de leur organisation, c'est une des décisions les plus nuisibles qui ait été prise ces dernières décennies. Elle s'est accompagnée d'une évolution du travail médical, de ses horaires, de la place que le monde médical a réservée aux femmes. Cette politique a eu des effets néfastes dans notre pays, qui était l'un des plus avancés au monde pour la médecine.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, madame Varaillas, sur l'importance de l'action des collectivités territoriales et l'ampleur de la tâche à accomplir. L'État est-il légitime à protéger les biens communs que vous avez cités ? On parle d'État stratège, par contraste avec l'État spectateur que nous avons trop longtemps connu. Je pense que l'État doit être fédérateur, y compris des acteurs privés. On ne peut pas demander à un acteur privé de ne pas se préoccuper de son propre intérêt mais on peut lui demander de participer à une volonté collective. C'est sous cet angle que je place la question de la reconquête !

L'État doit être le fédérateur, l'entraîneur. Il doit motiver et placer les acteurs devant leurs responsabilités. Aujourd'hui, des chances s'ouvrent, j'ai le sentiment qu'on peut sauter dans le train. Nous sommes devant une mutation technologique massive et majeure. Avant, l'élément majeur était le coût de la main-d'oeuvre, on ne pouvait s'opposer à des sociétés où le travail était bien moins cher ; ceci change, car les modes de production changent avec la robotique, les données, l'impression 3D, laquelle fait fabriquer en quelques minutes des objets qui demandaient avant des jours d'usinage ; nous sommes en pointe sur ces domaines, notamment sur les algorithmes, voyez la chaire au collège de France. Nous devons nous inquiéter davantage du niveau des élèves en mathématiques. Une grande mutation des modes de production, des moyens d'investissements sans précédent, voilà qui incite à agir, et le rôle de l'État peut s'en trouver facilité.

Madame de Cidrac, vous avez raison d'alerter sur la production des panneaux et des cellules photovoltaïques. Les cellules au silicium demandent qu'on s'interroge sur deux aspects : la production de l'énergie qui permet la fusion du silicium - si cette énergie vient du charbon, le bilan carbone restera négatif quelle que soit la production photovoltaïque ; mais si l'électricité est décarbonée, alors le bilan est favorable. Des recherches sont faites sur le photovoltaïque organique, dont le bilan est bien plus favorable : alors qu'il faut vingt ans d'usage aux cellules photovoltaïques actuelles pour un bilan carbone équilibré, il faudrait seulement vingt jours aux cellules photovoltaïques organiques et ces cellules, qui ont moins de rendement, sont efficaces même à l'ombre.

Le génie humain ne va pas s'arrêter. Une société qui retrouve confiance dans sa capacité à innover se réconcilie avec son avenir, c'est pourquoi j'adhère à la vision de filières ; il y a des relocalisations de productions intéressantes, notamment en rendement de cellules, il y a des gains de 15 à 20 % à réaliser. De même pour le recyclage, pour les batteries.

Monsieur Médevielle, j'adhère à votre appel à l'humilité. Il n'entre pas dans ma compétence de réformer l'étiquetage du vin mais la question se pose depuis longtemps. Vous savez mieux que moi les blocages. Je crois que nous pourrions avancer tout en protégeant notre patrimoine, au bénéfice de notre commerce extérieur.

M. Hervé Gillé. - Pour planifier, il faut une administration agile efficace, dotée de moyens adéquats : pensez-vous que notre pays en dispose ? Cette question entre-t-elle dans le champ de votre mission ? Pour planifier, il faut également s'appuyer sur des acteurs de la décentralisation, qui soient impliqués et moteurs : après une longue attente, pensez-vous que la loi annoncée sera une réponse efficace pour impliquer l'ensemble des parties prenantes dans une stratégie de planification ? Enfin, pour planifier, il faut une capacité budgétaire et que les grandes orientations soient acceptées : quel est votre calendrier, sachant que le cadre du quinquennat est quelque peu contraignant ?

M. Rémy Pointereau. - Vous êtes chargé d'une mission qui a existé par le passé : elle avait été créée en 1963 par le général de Gaulle sous la dénomination de Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar), avec à sa tête Olivier Guichard - un grand aménageur du territoire -, qui était chargé de rééquilibrer l'activité et les richesses face à une période de grande transformation, avec une vision à long terme.

Nous voici quasiment revenus au point de départ, avec des défis non moins importants. Vous dressez des perspectives, assez généralistes, avec des axes que nous connaissons puisque nous y travaillons déjà, pour un développement plus équilibré des territoires. Mais, concrètement, quels sont les projets sur lesquels vous travaillez contre la désertification dans le monde rural, pour la réindustrialisation de notre pays, pour le retour de nos chercheurs, pour la relocalisation de la production de médicaments ? Et ce retour ne doit-il pas se faire, plutôt que dans les territoires les plus riches, d'abord dans ceux qui souffrent - parce que le fameux « ruissellement » se fait encore attendre...

Quels sont vos moyens pour agir concrètement ? Je ne parle pas du seul aspect financier, mais aussi de votre pouvoir d'agir auprès du Président de la République et du Gouvernement.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Dans la première note que vous avez publiée, vous envisagez les conséquences structurelles de la pandémie, avec une nouvelle forme d'intervention économique de la puissance publique, appelée à prendre durablement en charge le chômage partiel, à garantir des prêts. Comment passer d'un État stratège, qui réfléchit, à un État acteur, qui s'enracine dans l'action sur le long terme ?

Vous citez le plan Marshall au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La France s'est alors dotée d'une stratégie de filières en prenant appui sur de grands organismes comme le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le Centre national d'études spatiales (Cnes), le Centre national d'études des télécommunications (Cnet), parmi d'autres. Or, ces grands organismes paraissent à la peine et les grandes entreprises, voyez Danone, ont du mal à endiguer l'appétence voire l'avidité des marchés financiers pour le court terme. Comment, pour reprendre votre terme, l'État peut-il aider à ré-enraciner l'action dans le long terme ?

Mme Angèle Préville. - Nous avons connu des planifications vertueuses à bien des égards, pour le rail et l'électrification mais nous parlons désormais d'expérimentations, d'initiatives : comment les territoires peu pourvus en moyens peuvent-ils y participer ? N'y a-t-il pas un risque d'accentuer les écarts, avec un développement en mosaïque, voire en patchwork ? En réalité, l'écart se creuse entre les territoires. Une étude européenne a montré que nos régions ont été déclassées - on le constate dans l'accès aux fonds européens -, est-ce cela que nous voulons pour notre pays ?

La production d'électricité française est déjà décarbonée, mais comme nous devons fermer des centrales nucléaires, on voit se développer de façon désordonnée des parcs photovoltaïques et des unités de méthanisation, souvent par intérêt pécuniaire, tandis qu'en réalité, les Français sont peu au fait des tenants et des aboutissants de la production d'électricité : une planification ne serait-elle pas nécessaire, pour éviter le développement anarchique des parcs photovoltaïques, des parcs éoliens et des unités de méthanisation ?

S'agissant de la réindustrialisation, ne pensez-vous pas, enfin, que nous subissons le fait que notre pays se soit vu assigner un rôle de zone touristique à l'échelle du continent européen ? Comment concilier ce rôle avec l'implantation d'industries nouvelles ?

M. Ronan Dantec. - En écoutant ce débat passionnant, j'entends un fond de nostalgie des Trente Glorieuses et du Plan tel qu'animé par Olivier Guichard, avec des filières industrielles choisies par le général de Gaulle, mais rien sur le fait qu'on ait alors raté le tournant informatique et, qu'en matière énergétique, la France ait mis tous ses moyens dans le nucléaire, une énergie devenue marginale à l'échelle mondiale car très chère, avec un kilowatt-heure six fois plus onéreux que le photovoltaïque. J'y vois une sorte de pesanteur, une difficulté à prendre des tournants nécessaires et je crois que c'est en fait notre sujet, de savoir comment échapper à ces pesanteurs et aux intérêts particuliers, qu'il s'agisse du lobby des médecins, mais aussi, pour l'organisation de l'action publique, du lobby des sénateurs - je le dis au passage car vous savez comme moi que la Haute Assemblée n'est pas des plus allante pour confier les pouvoirs locaux aux communautés de communes et d'agglomération, qui forment pourtant un échelon très pertinent de la décentralisation. Pourrez-vous, avec votre petite équipe, lutter contre de telles pesanteurs ?

Une question sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) : ne pensez-vous pas que bien des engagements sont pris trop rapidement, pour des raisons de calendrier électoral, et qu'on assiste à un gaspillage de fonds publics en retenant des projets qui ne sont pas suffisamment mûrs et qui, en réalité, n'aident pas les filières qui ont le plus besoin d'être aidées, tout ceci sans renforcer la stratégie territoriale de la transition écologique ?

Enfin, vous n'avez pas évoqué l'Europe, alors que les filières industrielles ne sont plus à l'échelle nationale, c'est une différence avec les Trente Glorieuses, mais à l'échelle à tout le moins européenne.

M. Éric Gold. - Nous avons évoqué bien des sujets - l'énergie, la mobilité, le numérique, la santé -, il ne faut pas oublier la préservation de la ressource en eau, avec la multiplicité des usages et les conséquences du réchauffement climatique : je crois que nous ne devons pas occulter cet enjeu essentiel.

M. François Calvet. - Pour avoir constaté de longue date, comme élu local, combien l'État avait effectivement abandonné les territoires, j'apprécie d'entendre de nouveau parler d'État stratège. J'aimerais cependant vous entendre sur le tourisme dans notre pays et sur l'insuffisante qualité de notre hébergement : j'ai maints exemples où chacun pourrait constater combien notre hébergement laisse à désirer, c'est un problème dans certains de nos territoires, n'y a-t-il pas un domaine d'action pour la planification ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'ai apprécié vous entendre évoquer le besoin croissant d'électricité et constater que nos centrales nucléaires, productrices d'une énergie décarbonée, faisaient partie de la solution. Je vous soumets une question technique, qui se pose manifestement pour la centrale nucléaire du Bugey : le réchauffement de l'eau du Rhône, conséquence du réchauffement climatique, pourrait à terme avoir une incidence sur le fonctionnement de cette centrale nucléaire, sachant que le fleuve refroidit le réacteur. Cette problématique pourrait-elle se poser plus largement ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous appelez à « ré-enraciner » la politique dans le long terme, c'est une grande ambition, nécessaire quand on sait combien nous souffrons du court-termisme comme nous le constatons sur tous les sujets que nous suivons dans cette commission. Nous sommes inquiets sur le niveau d'endettement public, à 120 % du PIB : qu'en pensez-vous, sachant que vous avez pris position, de longue date, sur la question de la dette ? Quelle est votre position, ensuite, sur le poids de la technocratie française dans l'organisation territoriale ?

M. François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan. - Je commencerai par vous répondre sur la dette et la technocratie, monsieur Chevrollier, deux sujets sur lesquels, dans mon engagement politique, j'ai essayé de faire naître l'attention des citoyens pour les alerter. J'ai depuis longtemps qualifié de choquante la résignation à une dette chronique et toujours plus forte. Mais je crois qu'il faut distinguer une autre dette, qui naît d'investissements à long terme et qui, à ce titre, est acceptable. Pour construire une université, une autoroute, une voie ferrée, un réseau de satellites, il faut mobiliser des moyens et l'endettement est alors légitime, parce que le service sera utilisé aussi à l'avenir, un peu comme quand vous achetez une maison. Ce qui est anormal, c'est de s'endetter sans limite pour ses charges courantes, qu'on reporte alors sur les générations futures, c'est de faire payer notre sécurité sociale actuelle aux générations futures. Aussi devrait-on se faire une règle d'or : s'endetter pour investir, oui, mais pas pour régler ses charges courantes.

Un changement de fond opère avec la « dette Covid » : nous bénéficions du soutien d'une des principales banques centrales mondiales. Notre situation aurait été bien plus difficile si nous n'avions pas, lors du traité de Maastricht, choisi de nous placer dans ce cadre... - avec des taux d'intérêt particulièrement bas et alors que les États--Unis annoncent un nouveau plan de soutien de 1 900 milliards de dollars, ce qui porte le soutien à 20 % du PIB américain depuis le début de la pandémie. On peut dire qu'on doit investir pour faire face à une sorte de guerre : face au Covid, la survie de notre modèle national est en jeu, à quoi j'ajoute le plan de reconquête nécessaire pour financer le contrat social français.

Voilà pourquoi j'ai proposé de procéder en trois étapes. D'abord, identifier les dépenses liées précisément aux deux objectifs de notre modèle national et des reconquêtes nécessaires au financement de notre contrat social - j'ai proposé que la Cour des comptes préside à cet exercice. Pierre Moscovici, que j'ai rencontré hier, paraît disposé à s'y engager, c'est nécessaire pour qu'on se représente bien les choses, avec sérieux.

Deuxième étape, la technique financière et budgétaire pour assurer un différé d'amortissement à la dette identifiée comme liée à la crise sanitaire : je sais que, techniquement, l'ensemble de la dette relève de mêmes procédures de refinancement, mais je crois que politiquement, il y a une place pour le différé d'amortissement - ce qui est très différent que de ne pas rembourser, surtout pour un pays comme le nôtre qui, faute d'excédent primaire, se placerait à la merci de ses créanciers nécessaires à son fonctionnement et à sa relance.

Sur la technocratie française, je vous renvoie à la loi de Parkinson, du nom d'un grand sociologue britannique des organisations, qui montre que l'administration crée de l'administration et que tout travail finit par occuper le temps qui lui est imparti. Une administration est obligée de travailler pour justifier son existence, elle se crée du travail et affirme toujours ne pas disposer d'assez d'agents pour faire ce travail. Tout responsable qui a gouverné connaît ce phénomène et il n'a rien de léger.

Il y a aussi l'endogamie, le même moule, qui ne peut produire que de l'affaiblissement : le Président de la République a dit plusieurs fois qu'il fallait changer cet état des choses.

Enfin, il y a un décalage croissant entre « le haut de la pyramide », technocratique, qui crée des normes, qui connaît les codes, et « le bas de la pyramide », celle de la société qui n'a plus accès à ces codes et qui ne les maîtrise pas, alors qu'elle est dynamique, créative et qu'elle reçoit les normes et les contrôles comme autant de freins et de blocages.

Mises ensemble, ces trois considérations vous font mesurer l'intensité des problèmes à régler pour une meilleure organisation de notre action publique et administrative. monsieur Gillé, vos préoccupations ne sont donc pas du tout hors champ. Il s'agit sans doute d'une des faiblesses de notre pays à laquelle il faudra rapidement consacrer des travaux. Comme Mme Gourault, j'espère que le projet de loi 4D viendra bientôt en discussion.

Nous allons entrer dans une année cruciale pour la conclusion de ce quinquennat. Je n'ai qu'une ambition : faire figurer ces idées dans le débat. Au Gouvernement seul de décider : je prends grand soin de ne pas entrer en conflit ou en concurrence avec l'exécutif. Mon rôle est de semer des idées et, peut-être, de pousser à leur réalisation.

Monsieur Pointereau, j'aimais beaucoup Olivier Guichard. Toutefois, comme l'a souligné M. Dantec, nous avons changé d'époque : fut un temps où notre pays pouvait décider d'un certain nombre de choses à l'intérieur de ses propres frontières ; aujourd'hui, ce n'est plus possible. Ma mission consiste précisément à agir « auprès » du Président de la République et du Gouvernement. À moi de faire ressortir problématiques et lignes de force que je partagerai avec les décideurs de premier rang. Je suis plutôt du côté de ceux qui avertissent, de ceux qui cherchent à faire naître des idées dans la sphère de décision publique. C'est une tâche particulièrement précieuse, voulue par le général de Gaulle quand il a installé Jean Monnet dans ses fonctions, avant même la création de la Datar. Il souligne, à chaque page de ses mémoires, la réflexion de long terme que porte le Plan.

Comment relocaliser les chercheurs ? Nous consacrerons une étude à cette question. Je suis frappé par la parcellisation de l'organisation de la recherche en France. J'ai essayé de faire la cartographie de la recherche en virologie : il existe plus d'une dizaine d'organismes différents. Qui soutient, aide et articule ? Qui remplit le rôle de fédérateur ? C'est ce qui manque le plus en France.

À côté de ce travail d'organisation, une question simple demeure : pourquoi les chercheurs que nous avons éduqués, formés, promus et portés au niveau international partent-ils ? Tout simplement pour trouver ailleurs non seulement les moyens de travailler, mais aussi une reconnaissance matérielle. Si l'on ne veut pas regarder les choses en face, il nous reste les yeux pour pleurer. Si nous les avons laissé partir, c'est que nous les avons fait partir. Tout le reste est littérature.

Monsieur Houllegatte, vous posez une question absolument centrale. L'État doit être fédérateur et tenir compte de la diversité des participants, à savoir toutes les formes de puissance publique, les acteurs individuels et les entreprises. Il a pour mission de définir suffisamment clairement la stratégie et d'y faire participer l'ensemble de ces acteurs. Cela n'a pas été fait en France depuis près de cinquante ans. Les grands programmes remontent tous à plus d'un demi-siècle. Depuis, nous avons été prisonniers d'une idéologie selon laquelle l'intérêt général n'est pas autre chose que la somme des intérêts particuliers. Je crois que c'est faux : l'intérêt général peut être défini indépendamment des intérêts particuliers. C'est le rôle de l'État et des responsables politiques.

Nous devons faire partager à la communauté nationale des buts qu'elle ne saurait formuler sans vie démocratique. Vous aurez compris que je ne suis pas très favorable au tirage au sort : faire dépendre des décisions essentielles d'un tel aléa ne fait progresser ni le débat public, ni la conscience, ni la responsabilité.

Madame Préville, je pense comme vous que l'électricité - l'organisation de sa production et de son transport - peut être considérée comme un bien commun. Secteur public et secteur privé peuvent participer à l'organisation d'un bien commun - je vous remercie de ne pas m'avoir interrogé sur le projet Hercule... On a commis une grave erreur en laissant tomber cette tâche d'éducation civique et d'éducation populaire.

Je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait qu'une décision mystérieuse aurait été prise pour que la France devienne une simple réserve touristique. Je ne crois pas à l'existence d'une main noire. Toutefois, nous avons laissé faire, ce qui revient à accepter cette situation.

Pour avoir mené des combats acharnés sur la question du « produire en France » et en Europe, je maintiens qu'on a préféré laisser faire. La communauté d'intimité entre l'État et les grandes entreprises a peut-être également participé à cette résignation. Comment arrêter le déclin ? Par le débat public, par la prise de conscience et par le partage avec l'opinion publique de l'urgence de la situation et du risque mortel qui plane sur notre modèle de société.

Monsieur Dantec, je pense que la question n'est pas européenne, mais française. Les faiblesses que je décris, la prise de conscience nécessaire, la mobilisation que je voudrais voir naître ne se jouent pas à Bruxelles, mais chez nous. Si l'on perd la bataille, il ne faudra pas chercher très loin pour que « l'étrange défaite » de la Seconde Guerre mondiale trouve des échos dans la situation actuelle de notre pays. Je suis aussi profondément européen que vous pouvez l'imaginer mais c'est bien chez nous que tout se joue.

Ne regardons pas dans le rétroviseur. Nous faisons face à des temps nouveaux, tout en sachant que les temps ont toujours été nouveaux. Il existe une sorte de cyclodynamique : il n'est pas étonnant de retrouver des problèmes de l'après-guerre, car nous avons accepté notre déclassement à l'époque.

Je ne suis pas en désaccord avec vous en ce qui concerne les contrats de relance de transition énergétique. Nous agissons dans la précipitation. Ce que nous faisons est-il totalement fondé ? Je n'en suis pas certain... Où sont les lieux de réflexion ? Je ne lis jamais les rapports des commissions parlementaires sans me demander ce qu'il va en advenir. La réponse n'est malheureusement pas à l'avantage de notre démocratie française.

Monsieur Gold, vous avez parfaitement raison : la gestion de la ressource en eau doit être à la fois respectueuse de l'environnement et lucide. Moi qui vis au bord des gaves des Pyrénées, je suis convaincu que nous ne sommes pas au bout de nos ressources en hydro--électricité. Cela impose de sortir des schémas préétablis selon lesquels il ne faut plus toucher aux cours des rivières et des fleuves. C'est à la fois la régulation de la ressource en eau, notamment pour éviter les inondations, et une énergie gratuite, disponible et entièrement verte. Peut-être faudrait-il alors imaginer de nouveaux parcours hydro-électriques et bien réfléchir avant de prendre les décisions attendues par l'Union européenne. L'histoire de l'humanité - je pense à l'Égypte - c'est l'histoire de la gestion de l'eau. Notre mission historique, en tant que génération, n'est pas si différente de celles qui nous ont précédés depuis si longtemps. Nous pourrions travailler ensemble sur ces questions.

Monsieur Calvet, si l'UDF fonctionnait si bien à l'époque que vous évoquez, c'est qu'elle devait avoir un bon secrétaire général et un bon président... Je ne peux que vous donner raison, même si ni vous ni moi ne parlons ici de politique !

La question de l'hébergement touristique est une question de reconquête de notre appareil productif. Nous sommes un très grand pays touristique mais nous avons parfois l'impression que nos services ne sont pas tout à fait à la hauteur. Si nous ne réinvestissons pas en ce moment critique, ce sera un échec assez lourd. Nos concurrents et voisins ont su se créer les moyens de l'investissement. Et même s'ils ne le voient pas d'un oeil enthousiaste, notre développement leur permettra de profiter aussi de nouveaux clients. Si les États-Unis ont porté le plan Marshall, c'est en sachant qu'il leur offrirait de nouveaux débouchés.

Monsieur Devinaz, la question du refroidissement des centrales est essentielle. Les ingénieurs ne sont pas tous d'accord. Il faut suivre ces débats. Votre dernière interrogation sur le rôle de l'électricité comme clé d'avenir est intéressante mais il faut vous dépêcher de la faire entendre : aujourd'hui, la totalité des réflexions est centrée autour de la réélectrification, du chauffage des logements et du parc automobile - par batteries ou par hydrogène, même si la dernière option offre plus de chances pour l'avenir. L'orientation générale peut être interrogée mais elle tend vers l'électricité comme énergie propre - encore faut-il qu'elle le soit.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci de cet échange, monsieur le haut-commissaire. Nous avons devant nous un vaste chantier d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement. Ces sujets sont au coeur des préoccupations des Français et de notre commission. Le Sénat saura retenir vos propositions pour demain et les concrétiser, non pas en rapports qui finissent aux archives, mais le cas échéant en traductions législatives.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à lutter contre le plastique - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons maintenant à l'examen de la proposition de loi n° 164 visant à lutter contre le plastique, déposée par notre collègue Angèle Préville et plusieurs de ses collègues.

Ce texte est la traduction législative de plusieurs propositions du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacré à la pollution plastique, que Mme Préville et M. Bolo étaient venus nous présenter il y a quelques semaines.

Je profite de ce propos liminaire pour saluer une nouvelle fois Angèle Préville, dont le rapport constitue une véritable référence. Je salue également Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études Économie circulaire. Sur son initiative et grâce à son sens du compromis, notre commission avait largement amélioré le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) sur le volet des plastiques. J'espère que nous aborderons cette proposition de loi dans un même état d'esprit constructif et volontariste.

Mme Martine Filleul, rapporteure. - La proposition de loi visant à lutter contre le plastique est la traduction législative de propositions issues du rapport de l'OPECST consacré à la pollution plastique, dont Mme Préville était co-rapporteure et qui avait fait l'objet d'une audition passionnante par notre commission il y a quelques semaines.

Ce rapport faisait suite à une saisine de l'Office par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. C'est donc presque naturellement que nous nous retrouvons aujourd'hui pour débattre de ce texte.

Cette proposition de loi fait d'ailleurs écho à un texte qui a mobilisé notre commission il y a plus d'un an, la loi AGEC. Je salue à mon tour Marta de Cidrac, rapporteure de ce texte, qui s'était beaucoup investie sur ce sujet et qui avait permis à la commission, par son sens du compromis, de relever l'ambition des pouvoirs publics en matière de lutte contre la pollution plastique.

Je forme le voeu que nous travaillions sur ce texte dans le même état d'esprit transpartisan qui fait la force de notre commission et qui fera encore sa force lors de l'examen à venir du projet de loi Climat.

Comme vous le savez, la pollution plastique constitue un fléau environnemental majeur, présentant un risque très important pour les écosystèmes et la santé humaine. À l'échelle mondiale, 359 millions de tonnes ont été produites en 2018. Ce chiffre devrait doubler d'ici à 2050. Aujourd'hui, 81 % des plastiques mis en circulation deviennent des déchets au bout d'une année. Tout cela donne une idée de l'ampleur du problème.

Pour répondre à cette menace, des initiatives politiques majeures ont été engagées tant au niveau européen qu'au niveau national. Je pense bien évidemment à la loi AGEC, qui constitue une avancée intéressante à laquelle notre commission a largement contribué. Il faut cependant aller plus loin et plus vite pour s'attaquer le plus en amont possible aux sources de pollution plastique. C'est la philosophie de cette proposition de loi, qui constitue un prolongement de certaines dispositions introduites par la loi AGEC.

L'article 1er vise à renforcer l'obligation relative aux fuites de granulés de plastique dans l'environnement, introduite à l'article 83 de loi AGEC sur l'initiative du Sénat, mais dont la portée a été légèrement amoindrie par l'Assemblée nationale. La rédaction de l'article 1er est quasiment identique à celle adoptée initialement par le Sénat. Les rejets annuels dans l'environnement de granulés industriels sont estimés, à l'échelle européenne, à 25 000 tonnes de plastique : il est urgent de prévenir la fuite de ces granulés qui s'accumulent sur nos littoraux et dans nos mers et océans.

L'article 2 vise à interdire, sans délai de mise en oeuvre, l'ajout intentionnel de microbilles plastiques dans les détergents. Ce dispositif avait été adopté en première lecture du projet de loi AGEC par le Sénat, avant sa réécriture intégrale par l'Assemblée nationale. Je rappelle que les rejets annuels de plastiques intentionnellement ajoutés à des produits tels que les détergents s'élèvent à 36 000 tonnes en Europe.

L'article 3 vise à assimiler les lâchers de ballons de baudruche en plastique à l'abandon de déchets dans l'environnement.

Enfin, l'article 4 prévoit la remise, par le Gouvernement, d'un rapport au Parlement sur les impacts sanitaires, environnementaux et sociétaux de l'utilisation par l'industrie textile de fibres plastiques pouvant être à l'origine de microfibres dans l'environnement.

À titre liminaire, je vous proposerai de modifier l'intitulé de la proposition de loi de manière à mieux l'articuler avec son objet : la lutte contre la pollution plastique, plutôt que la lutte contre le plastique. Ce texte vise bien à s'attaquer à la pollution induite par cette matière, plutôt qu'à la matière elle-même.

Je vous présenterai ensuite plusieurs amendements visant à s'assurer de la bonne application des dispositions de la proposition de loi.

Tout d'abord, je vous proposerai un amendement de réécriture de l'article 1er afin de mieux l'articuler avec le dispositif issu de la loi AGEC et avec le projet de décret pris pour son application, très récemment publié. Ainsi modifié, cet article permettrait de contraindre les sites concernés à déclarer annuellement les pertes et fuites de granulés et à mettre en place des systèmes d'information par voie d'affichage.

Lors de l'examen de la loi AGEC, l'Assemblée nationale était revenue sur ces obligations, initialement présentes dans le texte adopté en première lecture par le Sénat. Ces éléments s'avèrent pourtant indispensables à la bonne application du cadre de prévention introduit par la loi AGEC.

À l'article 2, afin de laisser un temps raisonnable aux producteurs pour retirer les produits mis sur le marché et pour modifier les procédés de fabrication à grande échelle, je vous proposerai une date d'entrée en vigueur légèrement différée de l'interdiction des microbilles plastiques dans les détergents au 1er juillet 2022. Les différentes auditions confirment que cette disposition d'interdiction ne pose pas de difficultés particulières : les substituts aux microbilles plastiques existent pour les détergents. Certains producteurs ont déjà changé leurs modes de fabrication.

Enfin, à l'article 3, je constate que le code de l'environnement permet d'ores et déjà de considérer un lâcher de ballons intentionnel comme un abandon de déchets dans l'environnement. Toutefois, cet article contribuera à clarifier le droit en vigueur. Je vous présenterai deux amendements rédactionnels.

Je vous proposerai enfin deux articles additionnels pour alimenter notre débat sur des sujets très importants.

Le premier concerne les déchets liés aux repas livrés à domicile : 600 millions d'emballages à usage unique seraient ainsi générés chaque année. Le marché connaît une croissance forte de plus de 30 % par an, accélérée encore par la pandémie de Covid-19. Ce phénomène est jugé préoccupant par les collectivités territoriales qui observent, depuis le début de la crise sanitaire, un retour des déchets plastiques dans l'espace public.

Pour répondre à cette problématique, le Gouvernement a annoncé en février 2021 la signature d'une charte par les acteurs du secteur afin de réduire les déchets d'emballages. Si l'initiative du Gouvernement peut être saluée, il est permis de s'inquiéter du caractère non contraignant de la charte et de son manque d'ambition à moyen terme. La situation est pourtant très préoccupante pour nos territoires en charge du service public de gestion des déchets.

C'est la raison pour laquelle je présenterai un amendement visant à ce que les plateformes de livraison de repas à domicile soient tenues, à compter du 1er janvier 2025, de proposer au consommateur final la livraison dans un contenant réutilisable et consigné.

Il s'agit toutefois d'une proposition ambitieuse. Je retirerai donc cet amendement, en espérant que cette piste de travail pourra être reprise par notre commission dans le cadre de l'examen du projet de loi Climat.

Le deuxième amendement que je vous proposerai concerne les granulés de plastiques utilisés sur les terrains de sport synthétiques. Ils se dispersent dans la nature à raison de 50 kilogrammes par terrain chaque année, pour un rejet total de 16 000 tonnes à l'échelle européenne.

Issus du recyclage des pneus en fin de vie, ces granulés contiennent des substances susceptibles d'avoir des effets nocifs sur les organismes marins.

Deux solutions alternatives sont proposées par un rapport de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui devrait très prochainement paraître : soit une interdiction, soit la mise en place de mesures techniques de confinement des terrains de sport. Ces solutions seront prochainement soumises à l'arbitrage de la Commission européenne et des États membres. J'estime que les mesures de confinement proposées ne présentent qu'une garantie limitée en matière environnementale par rapport à une restriction d'usage.

De surcroît, rien n'indique que ces mesures de confinement seront moins coûteuses à mettre en place pour les collectivités territoriales.

Enfin, des alternatives aux granulés plastiques pourraient être développées, d'ici à l'échéance fixée, sous forme de liège ou de noyaux d'olives broyés.

Je vous proposerai donc un amendement visant à ce que l'emploi de ces granulés sur les terrains synthétiques soit interdit pour les nouveaux terrains de sport mis en service à compter du 1er mars 2026. La position que nous pourrions adopter aujourd'hui pourrait inviter le Gouvernement à la retenir dans le cadre des négociations qui se dérouleront dans les mois à venir au niveau européen. Elle est également suffisamment réaliste et pragmatique pour donner une perspective aux collectivités territoriales, puisque seuls les nouveaux terrains de sport seraient concernés.

Le sujet de la pollution plastique est vaste. Il mériterait de s'intéresser à de nombreux autres sujets. Malheureusement, le temps imparti pour l'examen d'une proposition de loi nous contraint à nous limiter à certains points. J'espère que le projet de loi Climat nous permettra de prolonger le débat que nous engagerons aujourd'hui.

Avant de conclure, nous proposons à la commission un périmètre pour l'établissement du texte au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du règlement du Sénat s'agissant des cavaliers. Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les sujets suivants : éducation et sensibilisation des citoyens à la pollution plastique ; prévention de la pollution plastique par la réduction de la production de déchets plastiques et par la prévention des fuites dans l'environnement ; soutien à la réutilisation et au réemploi afin de réduire la production de déchets plastiques ; recyclage du plastique.

M. Jean-François Longeot, président. - Avant d'examiner les articles, je donne la parole à Mme Angèle Préville, auteure de la proposition de loi.

Mme Angèle Préville. - Je remercie la rapporteure pour son excellent exposé, auquel je n'ai quasiment rien à ajouter. C'est un sujet qui me tient énormément à coeur depuis que j'ai découvert, en 2017 des granulés de plastiques industriels sur une plage de la dune du Pilat. C'est pourquoi j'ai tenu, à l'article 1er de la proposition de loi, à prévoir un encadrement de cette production et à faire en sorte qu'il n'y ait plus de fuites dans l'environnement.

Le problème du plastique est qu'il ne se décompose pas dans la nature. Il y reste des dizaines, voire des centaines d'années. L'accumulation des plastiques dans l'environnement génère d'énormes problèmes. Sur les microbilles vont se fixer des microorganismes et des microalgues qui se répandront sur toute la planète, parce que les plastiques ne disparaissent pas.

C'est lors de ma campagne pour les élections sénatoriales que j'ai découvert ce problème. Je me suis alors promis que, si j'étais élue, je ferais quelque chose pour réduire la pollution plastique et pour que nous prenions nos responsabilités par rapport aux générations futures, parce que c'est notre rôle.

C'est aussi à ce moment que j'ai découvert que l'on mettait des microbilles dans les détergents, qui partent ensuite dans les rivières et les océans.

J'avais déposé l'amendement sur les ballons de baudruche lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). J'ai découvert au cours des auditions que ces morceaux de plastique étaient très délétères pour la biodiversité, parce qu'ils sont ingérés par les mammifères marins ou les oiseaux. C'est pourquoi la proposition de loi assimile leur lâcher à l'abandon d'un déchet dans l'environnement.

J'avais présenté un amendement sur les microfibres plastiques lors de l'examen de la loi AGEC. On est en train de découvrir ce sujet, qui me tient à coeur. Ces quinze dernières années, la production textile a crû de manière exponentielle. Or les microfibres plastiques ne se décomposent pas non plus. Elles vont rester dans l'environnement pour longtemps. Au reste, ces microfibres, notamment des tissus polaires, sont relarguées dans l'air lorsque l'on porte ces vêtements, ce qui posera peut-être un problème de santé dans l'avenir. L'article 4 vise à mettre ce problème sur la table et que l'on réfléchisse à ce sujet.

Les articles additionnels qui ont été introduits me conviennent parfaitement.

Je tiens également à saluer Marta de Cidrac. Le Sénat a réalisé un excellent travail lors de l'examen de la loi AGEC : il a introduit de nombreuses dispositions très intéressantes et très importantes pour l'avenir.

M. Didier Mandelli- Nous sommes évidemment très sensibles à ces questions. Nous partageons l'esprit et le contenu de la proposition de loi.

Je veux remercier la rapporteure d'avoir pris en compte les remarques que nous avons formulées lors des travaux préparatoires. C'est une question de bon sens et de pragmatisme. Ce travail collaboratif nous permettra de voter l'ensemble des amendements.

EXAMEN DES ARTICLES

Intitulé de la proposition de loi

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à changer l'intitulé de la proposition de loi, de manière à mieux l'articuler avec son objet : il s'agit bien de lutter contre la pollution plastique, et non contre le plastique en tant que tel.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'article L. 541-15-11 du code de l'environnement, introduit par l'article 83 de la loi AGEC, encadre les pertes et les fuites de granulés de plastiques industriels dans l'environnement. Un projet de décret d'application de cet article a récemment été publié.

Deux obligations prévues par l'article 1er de la proposition de loi ne figurent pas à ce stade dans l'article du code ou dans le projet de décret : l'obligation d'apposition de la mention « Dangereux pour l'environnement » sur les contenants de granulés plastiques ainsi que l'obligation d'une déclaration annuelle des pertes et fuites de granulés. Ces obligations figuraient dans la version du projet de loi AGEC adoptée par le Sénat en première lecture.

L'amendement COM-4 vise à combler ces angles morts. Il tend, d'une part, à ce que les sites de granulés plastiques se dotent de systèmes d'information par voie d'affichage afin de prévenir les pertes et les fuites de granulés dans l'environnement. Ce système d'information sur le site présenterait l'avantage de ne pas poser de difficultés au regard du droit européen, au contraire de l'inscription de la mention « Dangereux pour l'environnement » sur les emballages, contraire au règlement européen CLP. D'autre part, l'amendement a pour objet que les sites déclarent chaque année les pertes et les fuites de granulés dans l'environnement. Cette obligation semble indispensable au suivi des règles inscrites dans la loi AGEC et dans son décret d'application. 

Mme Marie-Claude Varaillas- Cet amendement fait disparaître l'obligation de confinement, l'étiquette « Dangereux pour l'environnement », l'interdiction des contenants plastiques souples, ainsi que la sanction. Nous le regrettons. Pouvez-vous nous expliquer le sens de cette démarche ?

Mme Martine Filleul, rapporteure. - Les dispositions que vous évoquez sont pour l'essentiel présentes dans le décret d'application. Nous avons cherché à inscrire dans l'amendement ce qui n'apparaissait pas dans ce décret et qui était compatible avec le droit européen.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'amendement COM-5 prévoit une entrée en vigueur au 1er juillet 2022 de l'interdiction des microbilles plastiques dans les détergents.

Des solutions de substitution, qui ont permis à certains industriels de procéder au retrait de ces microbilles dans leurs détergents, sont d'ores et déjà disponibles. L'interdiction ne semble pas soulever de difficultés d'application particulières. Néanmoins, un délai de mise en oeuvre paraît indispensable afin de laisser aux producteurs le temps nécessaire pour retirer les produits mis sur le marché et pour modifier leurs procédés de fabrication. L'amendement COM-1 a le même objet : il vise lui aussi à retenir la date du 1er juillet 2022.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Pourquoi ne pas avoir retenu la date du 1er janvier 2022 ?

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'idée était de fixer un délai raisonnable, laissant aux industriels le temps de s'adapter.

L'amendement COM-5 est adopté ; l'amendement COM-1 devient sans objet.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 2

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise l'interdiction de l'emploi de granulés de plastiques sur les terrains de sport synthétiques.

Dans un rapport qui devrait être publié très prochainement et servir de fondement à une modification du règlement REACH afin d'interdire au niveau européen les microplastiques intentionnellement ajoutés, l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) préconise que soit encadré l'emploi de granulés de plastiques sur les terrains de sport synthétiques, sources d'une importante pollution plastique. Ces granulés se dispersent dans la nature à raison de 50 kilogrammes par terrain chaque année, pour un rejet total de 16 000 tonnes à l'échelle européenne. Issus du recyclage de pneus en fin de vie, ces granulés contiennent des substances nocives pour les milieux naturels et les organismes vivants.

Deux solutions alternatives sont proposées par l'ECHA : l'interdiction ou la mise en place de mesures de « confinement » au niveau des terrains de sport.

Les mesures de « confinement » présentent des garanties limitées sur le plan environnemental et risquent d'avoir un coût important pour les collectivités territoriales. Par conséquent, je propose d'interdire l'usage de granulés sur les terrains synthétiques. Cette mesure pouvant paraître radicale, je propose, par pragmatisme, qu'elle ne s'applique qu'au mois de mars 2026 et seulement pour les nouveaux terrains de sport. Je suis consciente que cette interdiction peut susciter beaucoup d'interrogations et des débats importants, mais c'est l'occasion, pour le législateur, d'anticiper l'encadrement qui sera imposé au niveau européen.

M. Jean-François Longeot, président. - L'échéance de 2026 a été retenue pour ne pas perturber la gestion des conseils municipaux actuels, dont le mandat s'achèvera cette année-là.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je ne suis pas en désaccord avec l'objectif de cet amendement, dont j'ai bien noté qu'il concernait les terrains futurs.

C'est l'échéance de 2026 qui me pose problème. Aujourd'hui, les solutions de substitution ne sont guère avancées. La date envisagée par l'Union des associations européennes de football (UEFA) est plutôt 2028.

J'entends bien que la date du 1er mars 2026 vise à tenir compte des échéances, mais l'absence de solutions de substitution posera des problèmes pour la pratique sportive dans les communes. L'échéance de 2028 me paraît plus adaptée.

M. Frédéric Marchand. - Je me félicite de cette proposition. J'ai une pensée émue pour notre ancienne collègue Françoise Cartron, qui avait été, en 2018, à l'initiative d'une proposition de loi sur les conséquences sur l'environnement et sur la santé de l'utilisation des granulés dans les terrains plastiques. Nous soutiendrons donc bien évidemment cet amendement.

M. Stéphane Demilly. - Je suis favorable à cette proposition de loi.

Néanmoins, si nous interdisons ce procédé en 2026, le remplacement de terrains auquel nous devrons procéder va coûter cher.

Mme Martine Filleul, rapporteure. - Je veux insister sur le fait qu'il existe aujourd'hui des alternatives aux granulés plastiques pour les terrains. Ces alternatives ne sont pas encore généralisées, mais, en posant une échéance, l'objectif est de susciter une accélération de la mise en oeuvre de ces possibilités.

Par ailleurs, l'agence européenne va elle-même proposer à la discussion des États membres la date de 2026, qui risque fort de s'imposer à nous rapidement.

En 2026, coexisteront sans doute deux types de terrains : de nouveaux terrains, conformes à des procédés écologiquement satisfaisants, et d'autres qu'il faudra, à terme, remplacer progressivement. Le confinement des billes plastiques pour éviter leur dispersion risque quant à lui d'être beaucoup plus coûteux.

Mme Marta de Cidrac. - Je trouve que cet amendement va vraiment dans le bon sens, puisqu'il permet une transition vers des systèmes beaucoup plus vertueux, tout en tenant compte des préoccupations des élus des territoires qui ont aujourd'hui des terrains synthétiques.

C'est sur mon territoire que s'entraîne le PSG... Le sujet est sensible !

Cette mesure permettra à nos élus d'anticiper les exigences à venir, en passant, dans leurs appels d'offres, des commandes qui seront beaucoup plus vertueuses pour l'environnement demain. Surtout, elle n'empêche pas la coexistence de deux types de terrain. Je remercie la rapporteure de cet équilibre judicieux.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

Article 3

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'article 3 vise à assimiler le lâcher de ballons de baudruche en plastique à l'abandon de déchets dans l'environnement, passible des sanctions prévues à cet effet par le code de l'environnement.

Les amendements rédactionnels COM-7 et COM-2, identiques, visent à préciser que les lâchers de ballons ne sont soumis à ce régime juridique que dans les cas où le lâcher est intentionnel.

Les amendements COM-7 et COM-2 sont adoptés.

L'amendement rédactionnel COM-8 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Article additionnel après l'article 4

Mme Martine Filleul, rapporteure. - L'amendement COM-9 a pour objet de mettre au débat la question des emballages plastiques pour la livraison de repas à domicile. Il s'agit de demander aux plateformes de portage des repas de permettre aux consommateurs de se faire livrer dans des contenants réutilisables et consignés.

Dans d'autres pays européens, en particulier en Suisse, des entreprises ont relevé ce défi. Ils y ont trouvé non seulement l'acquiescement des utilisateurs, mais également un équilibre financier.

En France, les plateformes sont suffisamment innovantes et déterminées pour trouver et mettre en oeuvre des solutions qui satisfassent tout le monde. Je retire l'amendement, mais il conviendra d'en débattre dans le cadre du projet de loi Climat.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie d'avoir ouvert ce débat.

L'amendement COM-9 est retiré.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Jean-François Longeot, président. - Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des membres de la commission.

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Proposition de loi visant à lutter contre le plastique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

3

Changement de l'intitulé de la proposition de loi.

Adopté

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

4

Réécriture de l'article 1er relatif aux fuites de granulés plastiques dans l'environnement.

Adopté

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

5

Interdiction des microbilles plastiques dans les détergents à compter du 1er juillet 2022.

Adopté

Mme HAVET

1

Interdiction des microbilles plastiques dans les détergents à compter du 1er juillet 2022.

Satisfait ou sans objet

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

6

Interdiction de l'emploi de granulés de plastiques sur les nouveaux terrains de sport synthétiques à compter du 1er janvier 2026.

Adopté

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

7

Assimilation des lâchers de ballons à l'abandon de déchets dans l'environnement dans les cas où le lâcher est intentionnel.

Adopté

Mme HAVET

2

Assimilation des lâchers de ballons à l'abandon de déchets dans l'environnement dans les cas où le lâcher est intentionnel.

Adopté

Mme FILLEUL, rapporteure

8

Amendement rédactionnel.

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 4

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme FILLEUL, rapporteure

9

Obligation pour les plateformes de livraison à domicile de repas de proposer au consommateur final la livraison dans un contenant réutilisable et consigné.

Retiré

Proposition de loi visant à la création d'une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d'époque - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous allons examiner la proposition de loi visant à la création d'une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d'époque. Je salue son premier signataire, notre collègue Jean-Pierre Moga. Son pouvoir de conviction est particulièrement remarquable, puisque nous sommes très nombreux à avoir cosigné son initiative... Il faut dire que, si le sujet des voitures d'époque a une dimension sentimentale pour certains, c'est aussi un enjeu d'animation territoriale pour les élus et une composante de la culture industrielle de notre pays.

Je remercie notre rapporteure Évelyne Perrot qui a accepté la délicate mission de prendre en compte toutes les facettes de ce texte y compris, bien entendu, son aspect technique et juridique.

Avant d'entendre son rapport, je passe la parole au premier signataire de cette proposition de loi, notre collègue Jean-Pierre Moga pour une brève présentation de trois minutes.

M. Jean-Pierre Moga, auteur de la proposition de loi. - On estime que notre pays compte actuellement 250 000 collectionneurs de véhicules d'époque. Les Français utilisent leurs véhicules de collection dans le respect du code de la route, pour effectuer une balade, transporter des mariés, participer à des rassemblements, des rallyes, des expositions, des salons...

La passion que suscitent ces véhicules n'est pas limitée à leurs propriétaires : des millions de sympathisants manifestent, lors de leur passage, leur attachement à ces véhicules de collection, qui constituent une composante essentielle de notre patrimoine historique et industriel et témoignent de la place de premier plan qu'a tenu la France depuis longtemps sur le plan industriel.

En outre, cette filière, constituée principalement d'artisans et de très petites entreprises, emploie plus de 24 000 personnes dans plusieurs secteurs d'activité de notre économie : la carrosserie, la mécanique, l'entretien... Cette activité est croissante, pour un chiffre d'affaires annuel évalué à 4 milliards d'euros, soit le double de celui des sports mécaniques.

Compte tenu de leur ancienneté, les véhicules de collection ne peuvent pas respecter les normes Crit'Air, qui n'existaient pas lorsqu'ils ont été fabriqués. Le risque est donc grand qu'ils ne puissent plus circuler si des mesures ne sont pas prises. Ces véhicules représentent 1 % du parc automobile français et roulent quinze fois moins que les autres véhicules. Leur impact en termes de particules fines est négligeable, puisqu'il est évalué à 1/100 000e des émissions totales de PM10 et à 1/20 000e des émissions d'oxydes d'azote (NOx). Leur limitation n'entraînerait aucune amélioration réellement chiffrable de la qualité de l'air dans les métropoles, ce qui est le but des zones à faibles émissions (ZFE).

La conservation de ces témoignages de notre histoire industrielle passe par leur circulation. Pour la maintenir, l'Allemagne a mis en place depuis douze ans une numérotation spécifique sur les plaques d'immatriculation. Ainsi, ces véhicules sont facilement reconnaissables, ce qui en facilite le contrôle éventuel par les forces de l'ordre et permet de les exempter des restrictions de circulation dans les zones équivalant aux ZFE. Malheureusement, il paraît extrêmement compliqué en l'état de reproduire l'exemple allemand en France.

Je propose la création d'une vignette « collection » apposée sur le pare-brise de ces véhicules, ce qui permettrait de les reconnaître aisément. Cette vignette serait délivrée aux propriétaires de véhicules disposant d'une certification d'immatriculation de collection. Cette solution permettrait, sans complication administrative particulière, de préserver l'avenir de ce patrimoine inestimable, auquel une large majorité de la population, toutes générations confondues, est très attachée et de garantir l'avenir d'une filière reposant en grande partie sur la transmission des savoirs par l'apprentissage.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Mes chers collègues, avant de vous soumettre mon rapport sur la proposition de loi, je veux dire combien ce travail a été lourd de questionnements pour moi, qui suis une admiratrice des 48 heures automobiles de ma ville de Troyes, mais qui suis avant tout membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et qui ai travaillé avec vous sur la loi d'orientation des mobilités (LOM). Je dois dire que les amendements reçus et les courriers m'ont confortée dans ma décision finale.

Ce texte vise à créer une vignette spécifique pour permettre aux véhicules d'époque de circuler dans les zones à faibles émissions (ZFE).

Les ZFE sont un outil visant à diminuer la pollution de l'air en zone urbaine. Rendu obligatoire dans une dizaine d'agglomérations par la LOM, ce dispositif permet au maire ou au président d'EPCI de restreindre la circulation des véhicules les plus émetteurs dans des zones très polluées. Pour cela, les véhicules sont classés en fonction de leur vignette Crit'Air, qui est attribuée à chaque véhicule sur la base de sa catégorie, de son niveau d'émissions et de son année de première immatriculation. Or les véhicules de collection, qui sont par définition anciens, ne peuvent pas prétendre à une identification Crit'Air. Au premier abord, cette situation semble donc susceptible de conduire à l'exclusion de ces véhicules des ZFE.

Il revient à la commission de proposer un périmètre au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du règlement du Sénat s'agissant des cavaliers. Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les sujets suivants : la définition d'un régime dérogatoire pour circuler dans les zones à faibles émissions applicable aux véhicules anciens ; la définition des véhicules de collection.

L'initiative sénatoriale que nous examinons aujourd'hui a réuni 80 signataires. Elle envoie un message positif non seulement aux 250 000 collectionneurs de voitures d'époque, mais aussi à des millions de sympathisants, aux territoires, qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an, et au dynamisme de toute la filière des voitures de collection, qui représente, en 2020, 24 000 emplois et 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

L'enjeu de la circulation des véhicules de collection est celui de la préservation d'un patrimoine industriel et de moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd'hui. Le passage des voitures de collection suscite l'enthousiasme ainsi que l'apaisement dans les grandes agglomérations, où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux-roues, les vélos, les trottinettes et les piétons.

Au moment où l'on souhaite relocaliser l'industrie sur nos territoires, il est essentiel de rappeler l'attrait des beaux objets et du design pour stimuler la montée en gamme de notre économie. Ce n'est pas un hasard si la puissance de l'industrie allemande s'appuie sur des centres de formation d'apprentis, avec une présence visible des voitures de prestige.

On nous fera observer qu'un certain nombre de jeunes urbains ne passent même plus leur permis de conduire et qu'ils consacrent leurs premiers salaires à d'autres achats qu'à celui d'une voiture. C'est tout à fait vrai, mais, bien souvent, la passion du design ou du « vintage » se porte alors sur d'autres objets roulants - je rappelle, par exemple, le prix élevé de certains vélos électriques, qui avoisine celui de nombre de véhicules de collection. Dans la plupart des cas, ce goût pour les beaux objets se distingue donc de l'élitisme, d'autant plus qu'un véhicule de collection n'est pas nécessairement un véhicule très onéreux.

Je veux dire un mot des émissions carbone des véhicules de collection. Ces véhicules représentent une très faible proportion du parc roulant - entre 0,5 et 1 % - et chaque voiture parcourt un petit nombre de kilomètres - environ 1 000 par an. La proportion de motorisations diesel est très faible, ce qui évite de générer des microparticules, mais leur consommation d'essence est souvent plus élevée que la moyenne et s'accompagne donc de plus fortes émissions de CO2, tout particulièrement en cas de mauvais réglage, avec une très grande hétérogénéité en fonction de l'âge du véhicule.

L'impact carbone des véhicules de collection est globalement assez faible. À la lumière de nos travaux sur le numérique, on pourrait même se demander, en poussant le raisonnement à l'extrême, si une promenade virtuelle en voiture de collection sur ordinateur ne serait pas moins bénéfique pour la planète en termes d'émission de gaz à effet de serre...

Les auditions que j'ai conduites en tant que rapporteure sont a priori rassurantes, puisque toutes les collectivités qui ont mis en place des ZFE prennent parfaitement en compte les éléments d'appréciation que je viens de vous résumer et ont d'ores et déjà prévu une dérogation pour les véhicules de collection. En effet, la loi prévoit trois types de dérogations à ces restrictions de circulation : ces dérogations peuvent être nationales, locales et individuelles. Toutes sont appliquées par voie réglementaire. Nos territoires sont ainsi sur la même ligne que les auteurs de la proposition de loi et ont tous accordé des dérogations locales pour permettre la circulation des voitures de collection. Il n'y a donc pas, à ce stade, d'urgence ni de menace immédiate, bien au contraire, comme en témoigne l'audition du vice-président de Grenoble-Alpes Métropole, chargé de l'air, de l'énergie et du climat, c'est-à-dire l'élu en charge de la ZFE de Grenoble.

Le ministère chargé des transports nous a d'ailleurs également confirmé que des discussions étaient en cours avec la Fédération française des véhicules d'époque pour inscrire les véhicules de collection parmi les dérogations nationales, au même titre que les véhicules de police ou de pompiers.

Dès lors, la question qui nous est aujourd'hui posée est de savoir si, au-delà du signal que nous envoyons, il nous faut voter une loi sur la libre circulation des voitures de collection. Voici les grandes lignes du raisonnement que je vous soumets.

À l'heure actuelle, nous n'identifions aucune difficulté juridique de nature à entraver la liberté de circulation des voitures de collection dans les ZFE déjà mises en place.

Certes, dans le passé, le Parlement a parfois légiféré dans le domaine réglementaire, comme en témoigne le degré de détail de certaines lois et le volume de la partie législative de certains codes. À l'inverse, le Conseil d'État protège de façon plus systématique le domaine législatif, et sanctionne les décrets qui s'aventurent dans le domaine de la loi. En l'occurrence, la loi renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.

Si le législateur intervient, il y aura une vraie dissymétrie ; d'une part avec une loi spécifique pour les voitures de collection, d'autre part avec un décret qui accorde des dérogations nationales pour tout le reste : voitures de police, de pompiers, etc. Avouons que l'on s'éloignerait juridiquement du « jardin à la française » bien ordonné.

J'ajoute que la Fédération française des véhicules d'époque (FFVE) est venue au Sénat présenter son argument le plus convaincant. Elle invite à suivre le modèle allemand, qui fonctionne à la satisfaction de tous depuis douze ans et facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers 85 zones écologiques. En toute rigueur et cohérence, il faudrait pour transposer cet exemple allemand emprunter la voie du décret. Il suffirait d'ajouter trois mots dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, à l'article R. 2213-1-0-1, qui dispose que l'on ne peut interdire l'accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.

Si l'on s'écarte de ce parallélisme des formes, on brise la cohérence juridique de l'outil ZFE.

Le Sénat, grand conseil et protecteur des territoires, reste plus que jamais attentif à la nécessité de différencier les solutions locales. Or c'est très exactement la philosophie des ZFE, qui ont été conçues comme des outils à la disposition des collectivités territoriales. Jusqu'à présent, l'intelligence territoriale a fonctionné à plein régime, en accordant aux voitures de collection la souplesse que nous préconisons.

Je conclus donc en adressant un message très positif pour la préservation d'un phénomène culturel, social et industriel. Toutefois, compte tenu des éléments de contexte que j'ai exposés devant vous, et par souci de cohérence avec les travaux législatifs passés et à venir ayant inspiré la philosophie des ZFE et les positions exprimées par notre commission, je vous propose de ne pas adopter ce texte qui pourrait en outre nous engager dans une mécanique juridique complexe.

Surtout, faisons confiance à l'intelligence territoriale ! Évitons d'agiter inutilement le chiffon rouge ou de susciter un raidissement de la part de certaines associations qui, à l'image de France nature environnement, craignent que l'on ouvre la « boîte de Pandore » des dérogations ! C'est d'ailleurs aussi la crainte exprimée par le Gouvernement, lequel ne semble pas avoir d'a priori favorable ou défavorable sur ce sujet.

Je tiens à dire à Jean-Pierre Moga combien je suis admirative de son engagement dans la Fédération, et de la passion qui l'anime. Mais ce qu'il a proposé mérite non pas un regard législatif, mais bien réglementaire. Nous en avons parlé tous les deux, et j'en ai eu confirmation lors des auditions.

M. Gérard Lahellec. - L'exposé des motifs de la proposition de loi m'inspire beaucoup de respect. Je me suis d'ailleurs souvent référé à la chanson de Charles Trenet À la porte du garage. C'est dire combien l'automobile est partie intégrante de notre culture et de notre patrimoine commun ; c'est aussi une question populaire qui n'intéresse pas que les gens fortunés. En ce sens, on ne peut que comprendre les motivations qui sous-tendent la proposition de loi.

Cependant, le dispositif me paraît un peu décalé au vu du contexte. Il conviendrait de tirer les enseignements de l'expérience que nous avons tous vécue à l'occasion du mouvement des gilets jaunes. Beaucoup d'entre eux disaient posséder des véhicules anciens dont ils ont besoin pour se déplacer, mais dont on sait que l'usage est parfois décrié. En outre, d'autres textes sont en débat, comme le projet de loi Climat, si bien que nous risquons d'être mal compris. Nous serons certainement amenés à avoir ce débat de nouveau, dans une autre instance que celle-ci. Je tenais en tout cas à vous faire partager le sens de ma réserve s'agissant de la proposition de loi elle-même. Je converge avec le choix proposé par Mme la rapporteure, ainsi qu'avec l'appréciation qu'elle a donnée de la situation.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Entre les plastiques dont nous avons discuté tout à l'heure et le sujet qui nous occupe maintenant, on peut dire que nos débats ont pour fil conducteur les travaux de Roland Barthes. En 1957, il consacrait, dans Mythologies, deux articles aux plastiques et aux automobiles - avec une référence à la fameuse appellation « DS » - chacun ayant marqué le XXe siècle. Mais nous sommes désormais au XXIe siècle, et le paradigme a changé.

Nous souscrivons donc complètement à l'avis de Mme la rapporteure. Premièrement, nous avons sans doute besoin d'envoyer un message positif aux collectionneurs, et de continuer à promouvoir ces véhicules qui font partie de notre patrimoine et de notre histoire industrielle et culturelle. Mais, à l'heure des débats sur le projet de loi Climat, nous risquons d'envoyer un autre message qui sera probablement mal perçu et serait susceptible de déconsidérer notre institution, au prétexte que nous nous intéressons à un sujet qui n'est pas si essentiel que cela.

Deuxièmement, vous avez signalé à juste titre le contexte réglementaire. Je pense en effet que chacun doit rester dans son pré carré.

Enfin, n'oublions pas que nous sommes l'assemblée des collectivités locales : ne les dépossédons donc pas de leurs prérogatives et, comme le disait Mme la rapporteure, faisons confiance à l'intelligence territoriale ! En définitive, nous ne sommes pas favorables à ce projet de loi, même s'il présente une forme de pertinence.

M. Frédéric Marchand. - Je rejoins les conclusions de Mme la rapporteure. Derrière ce débat, un autre sujet doit nous intéresser collectivement, à savoir la définition des véhicules de collection. Cette dernière est très large aujourd'hui, dans la mesure où il suffit qu'un véhicule ait trente ans. Si nous mettions le doigt dans l'engrenage en légiférant sur un sujet qui ressortit au domaine réglementaire, nombre de personnes pourraient bénéficier d'un effet d'aubaine compte tenu du parc de voitures de plus de trente ans, lesquelles ne sont pas toutes des véhicules de collection. Il serait temps de réfléchir à une définition qui soit un véritable référentiel.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je m'associe également aux conclusions de Mme la rapporteure, mais j'ai du mal à entendre que le message ne serait pas dans l'air du temps juste parce que l'on est en train d'examiner le projet de loi Climat. Il ne faut pas tout rapprocher de ce texte ! En matière d'écologie, les véhicules électriques paraissent être la panacée, mais on ne sait toujours pas comment recycler leurs batteries... Les moyens de mobilité prétendument innovants ne répondent pas toujours aux objectifs des textes environnementaux, et posent en tout cas certaines questions.

Lorsqu'ils étaient dans la rue, il y a deux ans, les gilets jaunes ont fait preuve d'une grande sympathie, à l'égard des véhicules de collection en leur ouvrant exceptionnellement le passage, j'en ai bénéficié avec ma DS de 1961 à Colmar ! Il y a véritablement un côté populaire des véhicules anciens de collection, qui constituent un patrimoine moins prétentieux que nostalgique.

Ne ramenons pas tout à des messages négatifs ! Dans le projet de loi Climat, il y a aussi des messages excessifs, qui ne correspondent pas du tout à la vie de nos classes populaires. L'organisation de grands évènements de sport mécanique ou cycliste est sans doute plus nocive pour notre planète qu'un véhicule de collection qui roule 1000 kilomètres par an !

M. Didier Mandelli. - Nous pouvons tout à fait comprendre et partager les préoccupations exprimées sur la préservation et l'exposition de notre patrimoine automobile et industriel. Sur un plan pragmatique, il faut s'en tenir au fait que tout cela concerne le domaine réglementaire : nous rejoignons donc la position de Mme la rapporteure.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Faisant partie d'un club de collectionneurs de 2 CV, je connais bien la voiture populaire également...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2 

L'article 2 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La réunion est close à 12 h 35.