Mercredi 3 mars 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Catherine MacGregor, nouvelle directrice générale d'Engie, pour évoquer avec elle la stratégie de ce groupe en pleine transition.
Avec 150 000 salariés et 60 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2018, Engie est le principal fournisseur de gaz en Europe et le second fournisseur d'électricité en France. Il possède notre distributeur de gaz - GrDF - et notre transporteur de gaz - GRTgaz. Un quart de son capital et un tiers de ses droits de vote sont encore détenus par l'État, qui a donc son mot à dire au sujet d'une société aussi importante.
Madame la Directrice générale, vous avez pris vos fonctions le 1er janvier dernier, après le départ de Mme Isabelle Kocher, à l'issue de ce que la presse a pu qualifier d'une « crise de gouvernance ».
Votre nomination intervient dans un contexte économique morose pour l'ensemble des énergéticiens, durement affectés par les répercussions de la crise sanitaire que nous connaissons : jeudi dernier, votre groupe a ainsi annoncé un impact de 1,2 milliard d'euros sur son résultat net.
L'un de vos nombreux défis va être de mener à bien une profonde réorganisation d'Engie. En effet, le président-directeur général du groupe, M. Jean-Pierre Clamadieu, que nous avons auditionné le 4 novembre dernier, a annoncé une stratégie de recentrage le 31 juillet dernier.
Cette stratégie vise à orienter Engie vers la « neutralité carbone », en simplifiant son organisation, en clarifiant ses activités et en dégageant des financements vers les énergies renouvelables et les infrastructures.
Dans ce cadre, Engie a engagé une « revue stratégique » de ses solutions clients : le devenir des deux tiers de ses activités de service, de la moitié de son personnel et d'un cinquième de son chiffre d'affaires est posé.
Selon la presse, certaines solutions clients d'Engie, regroupées dans un ensemble provisoire dénommé « Bright », pourraient être « mises à distance », c'est-à-dire cédées à des tiers ou introduites en bourse.
Le groupe a d'ailleurs annoncé un programme de rotation d'actifs de 8 milliards d'euros d'ici 2022.
Le projet est tel que certains partenaires sociaux évoquent une scission du groupe : après le projet « Hercule » de l'électricien EDF, ils s'émeuvent du projet « Bright » du gazier Engie !
Vous aurez l'occasion, devant nous, de démêler les enjeux de ce projet et de répondre aux inquiétudes formulées, car elles sont très nombreuses.
Je rappelle que la stratégie de recentrage d'Engie a justifié la cession par le groupe de ses participations dans Suez, cession que je pourrais qualifier de rapide, voire de précipitée, pour laquelle notre commission et celle du développement durable ont institué un comité de suivi.
Le même sort pourrait être réservé à deux entreprises de pointe : GTT, société d'ingénierie équipant les méthaniers à travers le monde, et Endel, société de services assurant la maintenance de nos centrales nucléaires.
De plus, M. Jean-Pierre Clamadieu a indiqué ici même, cet automne, qu'Engie pourrait céder une part de son capital dans GRTgaz, tout en laissant inchangé celui dans GrDF.
Face à cette situation, madame la directrice générale, mes questions sont simples : où en est la « revue stratégique » d'Engie ? Quelles activités le groupe envisage-t-il de mettre à distance ? Quels en sont le montant et le calendrier, mais aussi les répercussions sur les salariés ? Nous confirmez-vous le désengagement du groupe de GTT et d'Endel et, dans une moindre mesure, de GRTgaz ? Quels seraient les repreneurs des participations d'Engie et quel est le point de vue de l'État actionnaire sur cette profonde réorganisation ?
Dans le contexte très perturbé que nous traversons dans le secteur de l'énergie, les parlementaires que nous sommes attendent des réponses précises, car la stratégie de recentrage d'Engie suscite des interrogations sur le maintien, en France, d'activités et de compétences qui nous semblent essentielles pour garantir notre souveraineté et notre transition énergétiques.
Avant de vous laisser répondre, je vous propose d'entendre notre rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie », Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. - Madame la Présidente, Madame la Directrice générale, mes chers collègues, tout comme notre présidente, je suis très préoccupé par la stratégie de recentrage d'Engie, et en particulier par ses répercussions sur l'emploi, dans un contexte social et économique déjà très dégradé.
Tout d'abord, pourriez-vous revenir sur l'impact de la crise de la Covid-19 sur l'activité d'Engie ? Quelles sont les activités affectées par la baisse du résultat net de 1,2 milliard d'euros, évoquée par la présidente ? Je rappelle que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a évalué à 3 % la chute de la demande de gaz naturel liée à cette crise en 2020.
Par ailleurs, pourriez-vous préciser l'incidence de la sortie de la Belgique du nucléaire d'ici 2025 sur l'activité d'Engie ? Comment vous préparez-vous à cette échéance ? Quel est le manque à gagner pour le groupe ? Je précise qu'Engie est actionnaire à 100 % de la société Electrabel, qui exploite les sept centrales nucléaires de ce pays.
Autre sujet d'importance : les énergies renouvelables. Engie, qui dispose de 31 gigawatts d'actifs renouvelables, s'est fixé un objectif de 9 gigawatts de capacités installées entre 2019 et 2021.
Sur 3 gigawatts installés en 2020, 2 gigawatts l'ont été en Amérique du Nord, 0,9 en Europe et 0,3 en Amérique du Sud : pourquoi ne pas avoir investi davantage sur le continent européen ?
Parmi les énergies renouvelables développées par Engie figure l'hydroélectricité : le groupe détient en effet la SHEM et, pour partie, la CNR.
Le président de la SHEM a indiqué par voie de presse que le regroupement des activités hydroélectriques d'EDF dans la quasi-régie « EDF Azur », dans le cadre du projet « Hercule », poserait une difficulté car il l'empêcherait d'être candidat aux concessions d'EDF, tout en l'obligeant à remettre en concurrence les siennes. Quelles sont les conséquences de ce projet sur les activités d'Engie ?
Autre vecteur énergétique d'avenir : l'hydrogène. Il y a quelques jours, Engie a annoncé avoir signé un protocole d'accord avec Equinor pour développer des chaînes de valeur autour de l'« hydrogène bleu », en France et en Europe. Il s'agirait d'un hydrogène produit à partir du gaz et associé à une méthode de captage et de stockage ou de réutilisation du CO2. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce projet ?
Dernier point sur lequel je travaille actuellement et à propos duquel je rendrai très prochainement mes conclusions : les nouvelles normes de performance énergétique des bâtiments, dite RE2020.
Les nouveaux seuils d'émissions proposés par le Gouvernement conduiront à l'exclusion de facto des chaudières à gaz des logements neufs dès 2022, et des logements collectifs, en 2024. Quel est votre point de vue sur les conséquences de cette réforme ? Ne pourrait-on pas réserver une place à part au biogaz ?
Mme Catherine MacGregor, directrice générale d'Engie. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui pour vous parler d'Engie et évoquer les enjeux du monde de l'énergie et les défis majeurs, passionnants, extraordinaires, que nous avons devant nous pour atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon 2050.
Je me propose d'articuler mon propos autour de trois parties.
En premier lieu, je vous parlerai d'Engie et de son virage dans la transition énergétique, qui a été amorcé il y a quelque temps. J'apporterai ce faisant quelques éléments de réponse à vos questions.
Je reviendrai également sur les orientations stratégiques annoncées en juillet 2020 par le conseil d'administration et son président, M. Jean-Pierre Clamadieu, pour mieux vous expliquer leurs objectifs.
Enfin, je partagerai avec vous quelques réflexions sur les enjeux de cette transition et ce qu'elle représente pour nos territoires et notre société.
Je suis à pied d'oeuvre - depuis ma prise de fonctions il y a deux mois - avec mes équipes pour traduire des orientations stratégiques assez générales en feuille de route détaillée, que nous allons partager en mai 2021, lors de notre présentation des résultats du premier trimestre.
Un certain nombre de sujets sont encore en réflexion, et si j'ai l'honneur d'être invitée à nouveau par votre commission, je pourrai peut-être vous en faire partager les résultats.
Avant toute chose, je voudrais également saluer l'ensemble des collaborateurs d'Engie, en particulier pour leur exemplarité, leur travail exceptionnel, leur engagement au cours de l'année 2020, durant laquelle ils ont accompli leur mission de service auprès de nos clients. Je leur en sais gré. J'ai été extrêmement impressionnée par leur engagement afin d'assurer le maintien de l'approvisionnement énergétique, service essentiel pour notre Nation, le bon accomplissement des services et le bon fonctionnement des infrastructures, notamment dans les bâtiments critiques, comme les hôpitaux. Ils n'ont jamais failli à la mission qui est la leur, allant souvent bien au-delà.
Je suis ingénieure de formation. J'ai fait mes études à l'École Centrale Paris (ECP), maintenant CentraleSupélec. J'ai ensuite consacré vingt-trois ans de ma carrière au monde de l'énergie dans le secteur privé, d'abord chez Schlumberger, puis plus récemment chez TechnipFMC, où j'ai notamment piloté la préfiguration de l'entité centrée sur l'ingénierie Technip Énergies, qui vient d'être récemment introduite en Bourse à Paris. J'avais alors placé la transition énergétique au coeur de la stratégie. C'est donc un grand plaisir pour moi d'assister à la naissance de cette nouvelle entité.
De ces expériences, je conserve une vraie passion pour le monde de l'énergie et la forte conviction qu'il doit effectuer sa mue.
C'est pour moi un grand bonheur, une grande fierté de prendre aujourd'hui la direction d'Engie. Sa raison d'être, la transition énergétique, est due à l'action de mes prédécesseurs, qui ont voulu qu'Engie accélère sa transition vers la neutralité carbone et l'ont inscrit dans ses statuts l'année dernière.
Engie est vraiment un groupe précurseur en matière d'enjeux de transition. C'est pourquoi je voudrais encore une fois rendre hommage à nos collaborateurs qui ont une vraie conviction à propos de ces sujets, sont exigeants et veulent qu'on aille toujours plus vite.
Quiconque a une question sur un aspect de la chaîne de valeur de l'énergie trouvera toujours, au sein d'Engie, quelqu'un pour lui apporter la réponse, souvent à la virgule près, tant la précision et la compétence sont là.
Permettez-moi de revenir sur le groupe Engie, que j'apprends encore à découvrir. Engie est un leader mondial de l'énergie, un fleuron de l'industrie française, ancré dans les territoires, l'opérateur historique du gaz en France. C'est également le premier gestionnaire de réseaux de gaz d'Europe qui fournit chaque année de l'énergie à plus de 10,5 millions de foyers.
Engie produit également de l'électricité, à hauteur de 100 gigawatts, opère sur de nombreux réseaux de chaleur et de froid et s'est beaucoup développé, voire diversifié dans les activités de service.
En France, Engie compte plus de 80 000 collaborateurs et son chiffre d'affaires s'élève à plus de 20 milliards d'euros.
Engie est un employeur très engagé, attentif à la situation des jeunes qui, en 2020 en particulier, est devenue très préoccupante. En 2020 donc, année de crise, nous avons embauché 5 000 alternants. Aujourd'hui, en France, nous comptons 7 % d'alternants dans nos effectifs, avec l'objectif d'atteindre 10 %.
En termes de diversité, 25 % de nos cadres sont des femmes. Nous souhaitons arriver à 40 %, projet auquel je suis personnellement très attachée et auquel je vais m'atteler.
Ces dernières années, le groupe a accéléré son virage dans la transition énergétique. Aujourd'hui, Engie est le premier producteur d'électricité éolienne et solaire en France, avec 3,8 gigawatts de capacités sur le territoire, le plus possible en partenariat avec les parties prenantes locales.
Nous conservons une forte dynamique de croissance dans le monde depuis 2019 et, fin 2021, nous aurons réussi à y ajouter 9 gigawatts.
Nous adaptons nos infrastructures et injectons aujourd'hui du biométhane sur nos réseaux de transport et de distribution du gaz, à hauteur de 1 % de la consommation totale en France. Cela commence à compter. Nous avons accompli beaucoup de progrès et mille projets de biométhane sont aujourd'hui à l'étude ou en construction dans nos territoires. Ils vont contribuer à verdir le gaz naturel que nous transportons tous les jours dans nos infrastructures.
En matière de fourniture d'énergie, nous sommes le premier énergéticien en France à proposer à ses clients une offre d'électricité 100 % renouvelable, à base de biométhane.
Nous fournissons 40 % de la chaleur urbaine en France. Nos réseaux sont alimentés à 60 % par des énergies renouvelables, notre souhait étant de parvenir à 100 %. Fin 2022, nous avons pour ambition de mettre en service un réseau de chaleur à Châlons-en-Champagne, avec une offre 100 % décarbonée. Ce sera une première en France, ce dont nous sommes très fiers.
Quant aux services rendus aux usagers finaux, nous opérons aujourd'hui sur 140 stations d'avitaillement pour la mobilité gaz en France, ainsi que sur 2 500 points de recharge d'électricité, avec un premier contrat de concession pour le déploiement et la gestion de 1 000 bornes de recharge dans la métropole de Strasbourg.
Nous opérons également sur 700 000 points lumineux dans les villes en France, générant jusqu'à 60 % d'économies d'énergie pour les communes. C'est une offre très importante, appelée Smart City, pour laquelle nous proposons un socle d'offres digitales, par le biais de la plateforme Livin', qui va générer beaucoup d'efficacité dans la gestion des villes du futur. Ce virage est spectaculaire si l'on observe l'attractivité opérée par Engie sur les talents. En quelques années, le nombre de curriculum vitæ reçus par Engie est passé de 250 000 à 800 000.
L'année 2020 a été absolument cruciale en termes d'enjeux énergétiques du fait de la crise sanitaire qui l'a caractérisée. Elle a révélé un besoin de résilience de nos territoires et de réindustrialisation avec, en parallèle, une dynamique d'accélération de la transition vers la « neutralité carbone » qui semble maintenant porter un caractère presque irréversible. Ceci a été renforcé par les plans de relance annoncés au second semestre, qui ont renforcé ce caractère d'irréversibilité. Pour les entreprises, il s'agit d'une opportunité de s'aligner et d'accélérer ce mouvement. Les attentes de l'ensemble des parties prenantes, y compris les investisseurs, sont maintenant très fortes.
C'est dans ce contexte que nous nous sommes posé la question que toute entreprise doit se poser : les ressources n'étant pas infinies, où doit-on affecter celles-ci pour créer le plus de valeur pour l'ensemble des parties prenantes ?
Nous avons pour cela analysé nos points forts, qui se nourrissent les uns les autres. Il s'agit des énergies renouvelables et des infrastructures énergétiques. Ce sont des expertises clés pour lesquelles nous disposons de savoir-faire uniques, pour lesquels nous voulons et pouvons établir une différence, question très importante pour nous.
Ces deux piliers requièrent une capacité à financer, à concevoir et à opérer des systèmes complexes dans la durée. Quand on regarde l'histoire du groupe, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un héritage de notre histoire, au cours de laquelle la Compagnie de Suez, la Société Générale de Belgique, Tractebel, Electrabel et Gaz de France ont toujours accompagné le financement et l'exploitation des infrastructures de toutes les grandes modernisations économiques.
Il s'agit pour nous d'affecter davantage de capital à ces points forts. Pour cela, il nous faut dégager des marges de manoeuvre pour investir. Nous avons conduit une revue stratégique de nos activités de service, dite de solutions clients, qui constituent en fait un portefeuille agrégé au fur et à mesure de la croissance de notre groupe au cours de la dernière décennie. Une part de ces activités est directement liée aux énergies renouvelables et aux infrastructures. Ce sont nos priorités. Ces activités de service ont vocation à rester au sein du groupe et vont faire l'objet d'investissements et d'une attention prioritaire.
D'autres activités en sont plus éloignées, et peu de synergies ont finalement émergé. Il s'agit notamment de l'installation et de la maintenance de systèmes qui consomment de l'énergie, par exemple dans le domaine de la gestion des chaînes de froid, dans l'industrie agroalimentaire ou encore dans l'électrification du transport ferroviaire.
Nous voulons valoriser ces activités au sein d'une organisation plus adaptée, attachée à nos infrastructures, avec un périmètre cohérent, de meilleures opportunités de croissance, une gouvernance autonome, adaptée à ces métiers spécifiques, très différents de ceux dont j'ai parlé, et avec des modèles économiques principaux reposant sur des projets d'installation et des services récurrents.
Cette entité sera présente dans dix à quinze pays. Elle emploiera plus de 74 000 collaborateurs, dont 28 000 en France. Elle sera leader en Belgique et numéro 2 en France. Ce sera une des entreprises dans ce secteur de premier plan en Europe, comparable à Spie ou à Vinci Énergies, avec des compétences très fortes, de belles marques dans les domaines du génie électrique, du génie électronique, du génie climatique, ou du génie informatique, au service des bâtiments, des infrastructures et des industries.
Ce projet a été présenté aux instances représentatives du personnel, le 18 février dernier. J'ai personnellement contribué à cette présentation. Les consultations se poursuivront au cours du premier semestre, dans la tradition du dialogue social soutenu que j'ai découverte chez Engie et que je trouve d'une grande qualité. Nous investissons beaucoup de temps dans ce dialogue, car c'est un facteur clé pour le succès de ce projet. Nous espérons la création juridique de cette nouvelle entité au sein du groupe le 1er juillet 2021.
Je voudrais à présent partager avec vous quelques réflexions sur les enjeux de la transition carbone. Il est absolument crucial que nous développions un mix énergétique bas-carbone, résilient et abordable. Pour cela, je pense qu'il faut insister sur la complémentarité des vecteurs que sont l'électricité, le gaz, la chaleur et le froid.
S'agissant de l'électricité, le développement des énergies renouvelables est crucial pour notre pays. Je salue les ambitions fortes de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) dans le développement des énergies renouvelables électriques, qui sont souvent sources d'emplois.
Je voudrais cependant souligner la difficulté de développer ces projets et de les mener à bien. Un projet éolien offshore nécessite en France entre sept et dix ans. En Allemagne, il faut trois à cinq ans. Il nous faut donc rester compétitifs et être plus rapides dans le développement de ces projets, tout en entraînant les parties prenantes et en comprenant bien les enjeux locaux, afin de travailler sur les obstacles qui peuvent se présenter, car il faut arriver à accélérer le développement.
Quant au gaz, naturel aujourd'hui, renouvelable demain, il a vocation à évoluer et à passer d'une source de production d'électricité à une source plutôt de flexibilité, très importante pour la résilience du système électrique.
Il faut se rappeler que le gaz est stockable, économique et possède une forte densité économique. Une canalisation de gaz de taille moyenne est aujourd'hui enterrée et se voit à peine, mais permet de véhiculer une puissance de 10 gigawatts, soit dix tranches nucléaires.
C'est un apport très important à notre système énergétique. Le gaz reste la meilleure alternative pour remédier à l'intermittence intersaisonnière de l'éolien et du solaire.
Aujourd'hui encore, son rôle est absolument critique dans le système énergétique français. En hiver, un jour de pointe, le réseau du gaz livre aux clients entre 1,3 et 1,5 fois la puissance de tout le réseau électrique. Il représente également une filière d'excellence : environ 150 000 emplois sont aujourd'hui associés à l'exploitation du gaz.
Nous devons cependant aussi nous assurer que le verdissement des usages finaux, en particulier la chaleur et la mobilité, s'appuie sur un mix de solutions. Il faut donc se garder d'une électrification excessive des usages car, si l'on suit certains scénarios, nous pourrions voir augmenter la pointe électrique de plus d'un tiers, avec un vrai surcoût et un risque d'approvisionnement, comme nous le voyons déjà dans certaines régions. Les réseaux de chaleur ont donc un rôle majeur à jouer.
Nous devons bien évidemment continuer à les verdir. J'ai cité des exemples sur lesquels nous travaillons. C'est une solution très efficace du point de vue énergétique, avec un impact carbone très attractif.
Avec le biométhane, on est dans une logique d'« économie circulaire ». Il crée de l'emploi dans les territoires ruraux et possède un rôle absolument fondamental dans le verdissement du gaz. Aujourd'hui, le biométhane est la seule source renouvelable qui dépasse ses objectifs. Il s'agit d'un vrai engouement, dont nous saluons le progrès. Les avancées de la réglementation environnementale RE2020 ont laissé la porte ouverte au dispositif « Méthaneuf », un des mécanismes extrabudgétaires permettant d'accélérer le développement du biométhane.
En parallèle, nous continuons à développer des solutions plus compétitives. Engie souhaite produire 1,1 TWh de biométhane d'ici 2023. C'est le but par exemple du technocentre de méthanisation, qui a pour objectif de travailler sur la compétitivité du biométhane, projet que nous développons en partenariat avec l'Agence de la transition écologique (Ademe) et la communauté urbaine d'Arras.
Enfin, l'hydrogène suscite à raison bien des espoirs pour l'industrie et la mobilité. Nous saluons la création du Conseil national de l'hydrogène, auquel nous participons. Le plan de développement d'une filière soutenue par un plan dédié, de 7 milliards d'euros, constitue une avancée majeure. L'hydrogène représente une formidable opportunité pour l'ensemble des activités de nos groupes, car nous avons quelque chose à apporter sur toute la chaîne de valeur, qu'il s'agisse de la production, du stockage, de la liquéfaction, des infrastructures, des stations de recharge. Engie a tout à gagner dans le développement d'hydrogène.
Nous représentons aujourd'hui un acteur important. Nous gérons une vingtaine de stations d'avitaillement, pour les véhicules lourds ou collectifs. Nous avons signé un accord de coopération avec Total pour développer et exploiter le projet Masshylia qui, potentiellement, sera le plus grand site de production d'hydrogène renouvelable en France en région PACA, avec un parc solaire dédié de 100 mégawatts pour produire environ 5 millions de tonnes par jour d'hydrogène renouvelable. Nous développons des tests d'injection d'hydrogène dans nos réseaux, à Dunkerque, et des stockages en cavité saline, en région PACA.
Enfin, il me faut évoquer l'importance d'une baisse significative des consommations d'énergie pour parvenir à cette « neutralité carbone ». Il y a là un levier extrêmement important à activer, en matière d'efficacité énergétique. Cela va également permettre de limiter le coût supporté par la collectivité. La rénovation énergétique des bâtiments a évidemment un rôle important à jouer. Nous préconisons d'ailleurs une approche intégrée, avec une combinaison de travaux et d'exploitations permettant d'aligner les opérateurs sur des objectifs d'efficacité énergétique sur lesquels nous nous engageons. Les contrats de performance énergétique sont de bons mécanismes pour atteindre ces objectifs.
Nous avons, par exemple, dans la région Centre-Val de Loire, un contrat dans le cadre duquel nous rénovons plus de soixante lycées, avec des engagements très concrets de baisse de consommation d'énergie. Il s'agit d'un positionnement important, en particulier sur le tertiaire public et les logements collectifs.
En conclusion, je voudrais dire que la transition énergétique représente des opportunités majeures pour toutes les activités d'Engie, que nous voulons positionner comme un énergéticien de premier plan, tourné vers l'avenir.
Pour mieux saisir ces opportunités, nous avons décidé de recentrer le groupe sur ses activités au plus près de son savoir-faire et de ses expertises clés, que sont les énergies renouvelables et les infrastructures centralisées et urbaines, en créant, autour des services multitechniques, un ensemble cohérent qui sera amené à gagner en autonomie grâce à ses propres leviers de croissance dans ses propres marchés.
Dans son futur périmètre, j'ai la conviction que le groupe continuera à jouer un rôle majeur auprès des territoires. C'est en effet là où nous arrivons à être innovants, où nous sommes dans le concret, où nous parvenons à livrer de vrais projets, souvent en partenariat avec les acteurs locaux et le soutien des élus pour faire avancer cette transition énergétique qui nous tient tant à coeur.
S'agissant des questions du rapporteur et de l'impact de la crise sur nos activités, nous avons été, l'année dernière, très impactés dans certaines de nos activités liées aux services, nos clients ayant tout arrêté.
Nous avons par contre observé une certaine résilience d'autres activités liées aux infrastructures. L'impact lié à la Covid a été d'environ un milliard d'euros en 2020, mais nous avons pu observer au deuxième semestre une reprise de l'activité, nos clients ayant, tout comme nous, appris à vivre avec la Covid-19.
Même si nous avons constaté une reprise, certains secteurs continuent à être affectés, en particulier les domaines liés aux aéroports ou à l'hôtellerie.
J'ajoute qu'Engie a été pionnier dans le domaine du télétravail et l'a intégré, en tout cas dans les bureaux. Il a certes fallu s'organiser, mais c'est une pratique qui nous était déjà familière. Cela nous a permis de maintenir la continuité de nos services durant cette période très compliquée.
S'agissant de la Belgique, nous opérons aujourd'hui sur sept centrales, dont cinq ont vocation à s'arrêter en 2025 voire avant, certaines devant être mises hors de fonctionnement à partir de la fin 2022. Nous avons annoncé une opération comptable d'impairment assez significative pour deux centrales supplémentaires, que nous avons reportée dans nos comptes 2020.
Vous avez également posé une question au sujet d'un projet d'hydrogène bas-carbone en partenariat avec Equinor. Notre contribution concerne la commercialisation de cet hydrogène. Le plus important pour nous dans ce domaine réside dans la multiplication des usages de l'hydrogène bas-carbone et l'établissement d'un marché.
L'hydrogène bas-carbone peut avoir été produit à partir de gaz dans lequel on a enlevé une majeure partie du CO2. Il devient alors un « hydrogène bleu », selon la nomenclature en vigueur. L'hydrogène peut être issu de l'électricité produite à partir du nucléaire. Ce n'est plus de l'hydrogène renouvelable, mais de l'hydrogène bas-carbone. Notre priorité est donc l'hydrogène renouvelable, produit à partir d'électricité renouvelable. En termes de production, c'est sur ce secteur que nous allons concentrer nos efforts.
L'établissement d'un marché hydrogène bas-carbone est très important pour nous et pour la transition que j'ai évoquée. En cela, nous pouvons accueillir tout type d'hydrogène, tant qu'il est bas-carbone.
L'une de vos questions, monsieur le rapporteur, concernait nos investissements dans les énergies renouvelables en France. J'espère y avoir répondu. C'est une source de fierté d'être si bien positionné par rapport à nos pairs. Nous continuons à remporter des appels d'offres. Nous avons gagné la semaine dernière celui de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui portait sur le solaire.
Nous sommes très volontaires mais conscients des enjeux d'acceptabilité que représentent ces marchés. Nos équipes travaillent pour surmonter les obstacles liés à l'acceptabilité et réduire le temps de développement de certains projets. Ceci est important pour les ambitions que nous nous sommes fixées en termes d'énergies renouvelables.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, madame la directrice générale. La parole est aux commissaires.
M. Jean-Claude Tissot. - Madame la Directrice générale, l'Europe de l'énergie, au même titre que l'Europe sociale, tarde à se mettre en place. Ce retard représente un véritable frein à la souveraineté énergétique européenne et rend plus difficile le chemin que devront emprunter l'Union européenne et la France pour être leaders dans la transition énergétique.
Nous avons aujourd'hui des énergéticiens puissants en Europe : Enel en Italie, Iberdrola en Espagne, RWE en Allemagne. Toutefois, la concertation entre les acteurs est souvent délaissée par rapport aux logiques concurrentielles. Selon vous, quel rôle devrait pouvoir jouer la France pour favoriser cette Europe de l'énergie et y jouer un rôle puissant ? Comment Engie peut-il participer à ce cheminement ?
Par ailleurs, quelles sont vos intentions concernant les salariés du groupe Engie, s'agissant de la réorganisation que vous avez évoquée dans votre propos liminaire ? On évoque 100 000 départs de salariés sur les 150 000 du groupe à moyen terme. Quelles sont vos intentions à l'endroit de ces salariés ?
Enfin, le groupe Engie a annoncé la mise en vente de sa filiale Endel, spécialisée dans la maintenance industrielle, notamment dans les centrales nucléaires du groupe EDF. Où en est cette cession ? Pouvez-vous nous préciser vos relations avec le groupe EDF ?
M. Franck Menonville. - Madame la Directrice générale, je voudrais revenir sur le nucléaire belge. Est-ce pour votre groupe la fin d'une ambition et d'un engagement dans cette filière ? Y voyez-vous des enjeux stratégiques pour votre groupe, éventuellement en lien avec EDF ?
Par ailleurs, Engie et le groupe PSA ont récemment créé une société commune pour développer la mobilité électrique. Quelles sont vos ambitions dans ce secteur ?
M. Jean-Marc Boyer. - Madame la Directrice générale, l'objectif de neutralité carbone et de transition énergétique doit bien entendu évoluer vers de nouvelles énergies, qui requièrent l'acceptabilité non seulement des élus, mais aussi de la population.
On voit les problèmes que cela soulève avec l'éolien sur le plan de la protection du patrimoine, des paysages et de la biodiversité. La géothermie fait également partie de vos projets dans le domaine des énergies renouvelables. Si l'on veut aboutir, une concertation en amont est indispensable afin d'obtenir l'aval de la population.
Ainsi, des élus ont découvert qu'un forage géothermique à 3 600 mètres de profondeur, « dans les tuyaux » depuis 2015, vient de faire l'objet d'une enquête publique. Malgré le faible impact foncier de ce projet de 5 mégawatts, qui va permettre de desservir 9 000 foyers, il est contesté localement faute de lisibilité et d'une information suffisante en amont - certains collectifs évoquant un risque sismique, une protection de l'environnement non évaluée, un risque de pollution... Ceci va générer un contentieux et le chantier va prendre un retard énorme. Il convient donc de favoriser la concertation si l'on veut avancer rapidement.
M. Bernard Buis. - Madame la Directrice générale, la vente de vos activités de service dénommées « Bright » attise la convoitise de nombreux fonds d'investissement. Ces activités de service, sans grande cohérence avec les autres, qui vont du réseau de chaleur à la climatisation, en passant par l'entretien des bâtiments et la gestion des parkings, touchent plus de 74 000 salariés, qui craignent des restructurations assez sévères.
Vous avez indiqué rester dans le capital de « Bright » à hauteur de 20 à 25 % pendant deux ou trois ans, d'après un article paru dans Les Échos. Qu'en sera-t-il après ? Certains syndicats s'alarment. D'autres, plus pragmatiques, souhaitent toutefois être rassurés. Quels sont les engagements et les garanties que vous pouvez apporter aux salariés du groupe, inquiets d'un éventuel démantèlement ?
M. Fabien Gay. - Madame la Directrice générale, je tiens à vous féliciter pour votre désignation. Vous êtes à la tête d'un groupe qui, il y a dix-sept ans, était une entreprise publique, GDF, groupe intégré qui disposait d'un monopole naturel. C'est à présent un groupe totalement privé.
On sait la « casse sociale » que cela a représenté dans l'entreprise. Elle a laissé des traces. Cette entreprise sécurise les dividendes des actionnaires - c'est le numéro 2 français dans ce domaine - et le prix du gaz a explosé. On nous avait garanti que la libéralisation du marché allait faire baisser les prix. Or c'est le contraire qui s'est produit dans le secteur de l'énergie, avec plus 70 % pour le gaz.
La première étape du remodelage actuel du paysage industriel, dans le monde de l'énergie, a été la vente des parts d'Engie dans Suez à Veolia. À présent, vous vous attaquez en interne au remodelage et au démantèlement de l'entreprise - ce qu'on appelle le « plan Clamadieu ». Peut-être l'appellera-t-on bientôt le « plan Clamadieu-McGregor » ? Il s'agit du même projet de démantèlement que mène EDF avec « Hercule » en vue de vendre au secteur privé.
Vous l'avez dit, nous avons des dettes qui résultent de choix historiques, et il nous faut donc vendre des actifs pour créer un champion européen et mondial. « Bright » sera toutefois très vite trop petit et nécessitera un regroupement. Cela va provoquer de la « casse sociale » parmi vos 74 000 salariés.
Quid du capital de GrDF dans tout cela ? Va-t-il rester public à 100 % ? Quel est l'avenir des filiales SHEM et CNR dans le débat européen sur la gestion des concessions des barrages hydroélectriques ?
Enfin, quel est l'avenir de la filière gazière, avec la fin du tarif réglementé en 2023 pour les usagers ? Les collectivités et les usagers ont payé l'addition de l'Europe libérale durant ces vingt dernières années dans le secteur énergétique, alors que le gaz vient encore d'augmenter de cinq points dans un contexte de crise sociale.
M. Patrick Chaize. - Madame la Directrice générale, je voudrais revenir sur vos choix de développement en matière d'énergies renouvelables. Je souhaiterais que vous puissiez nous éclairer à propos des filières qui vous semblent les plus résilientes en la matière.
Pouvez-vous par ailleurs nous préciser vos projets en matière de stockage ? Je suis élu d'un département qui possède un site important à Étrez. Le stockage étant une des clés de la résilience en matière d'énergie, celui-ci est-il amené à se développer, et sous quelle forme ?
Par ailleurs, quelle est la politique en matière d'hydrogène ? Les sites existent-ils déjà ou d'autres vont-ils se développer ? Avez-vous des perspectives en la matière ?
M. Laurent Duplomb. - Madame la Directrice générale, si je comprends bien les choses, l'évolution de la réglementation RE2020, qui va aboutir à un décret qui devrait être signé dans un mois, implique des solutions entièrement électriques et l'interdiction des chaudières à gaz, qui devrait entrer en vigueur en 2021 pour les maisons individuelles et en 2024 pour les logements collectifs.
Les maires qui construisent des lotissements se posent la question de savoir s'ils doivent continuer à rallonger les réseaux de gaz ou s'ils doivent stopper leur extension. Tous les investissements réalisés dans les communes durant des dizaines d'années ont coûté des millions d'euros à la collectivité comme à GDF, et on est en droit de se poser la question de savoir si les réseaux existants vont continuer à être entretenus.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la Directrice générale, vous avez annoncé votre décision de sortir du charbon en Europe d'ici 2025 et en 2027 dans le reste du monde. Combien de sites sont concernés ? Que vont devenir ceux qui vont cesser leur activité ? Comment allez-vous compenser les pertes ?
M. Daniel Salmon. - Madame la Directrice générale, je vous remercie pour votre présentation et votre volonté affirmée de développer les énergies renouvelables en vous engageant dans un processus de sobriété énergétique. C'est très louable... On n'entendait pas cela il y a encore une dizaine d'années.
Concernant le démantèlement des centrales nucléaires belges, qu'est-il prévu pour les déchets notamment en matière de provisionnement ? Ce sont là des questions cruciales.
Le biogaz, avez-vous dit, concerne aujourd'hui 1 % de la consommation de gaz. La méthanisation constitue une grande partie de la production à venir. Existe-t-il d'autres voies en la matière ?
Enfin, qu'en est-il de la sécurité informatique en matière énergétique ? Un livre, Black-out, est paru à ce sujet en 2012. Huit ans plus tard, les cyberattaques sont de plus en plus nombreuses. Qu'en est-il aujourd'hui, alors qu'on ne compte plus les smart grids ?
M. Franck Montaugé. - Madame la Directrice générale, vous nous avez dit que des feuilles de route allaient être mises en oeuvre : des rapprochements stratégiques sont-ils envisagés avec EDF, et dans quels domaines ? Existe-t-il des discussions entre vos deux entreprises et le Gouvernement, qui est actionnaire et a aussi son mot à dire ?
Comment appréhendez-vous la concurrence ou la coopération avec le groupe Total, qui réoriente profondément sa stratégie vers la décarbonation, et ce du point de vue de l'intérêt national, voire de la souveraineté nationale en matière d'énergie ?
Enfin, Teréga est présent dans quinze départements du Sud-Ouest. Vous l'êtes également par l'intermédiaire de vos réseaux. Vous avez indiqué vouloir vous développer dans le domaine de l'hydrogène, tout comme Teréga. Faites-vous partie des dix opérateurs européens qui soutiennent le projet de « dorsale hydrogène » développé par cette entreprise ?
Mme Sylviane Noël. - Madame la Directrice générale, vous avez évoqué votre souci de maintenir un lien fort avec les élus et les territoires et d'être à leur écoute. De nombreux territoires touristiques connaissent aujourd'hui une baisse de fréquentation importante en raison de la crise sanitaire. Cette diminution brutale de la fréquentation n'est pas sans conséquence sur la baisse de tonnage des usines d'incinération.
Or, de nombreuses usines de ce type ont des contrats spécifiques de rachat d'énergie avec des énergéticiens comme Engie. Beaucoup d'élus m'ont fait part de leur souci du maintien des primes fixes, qui sont calculées en fonction des collectes sur une année classique. Engie a-t-il prévu une mesure de solidarité en faveur de ces territoires ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Madame la Directrice générale, comme je vous le disais dans mon propos liminaire, nous nous inquiétons sur le devenir de GTT et d'Endel, deux très belles sociétés, dont l'une intervient dans le secteur stratégique des centrales nucléaires et l'autre dans le domaine des méthaniers. GTT, entreprise des Yvelines à laquelle je suis particulièrement attachée pour des raisons historiques, est à l'origine de la formation de spécialistes qui ont fréquenté les mêmes écoles que vous. Elle compte 450 ingénieurs et constitue une société leader dans le monde.
Quel va être le sort de ces entreprises qui me semblent stratégiques ? Et quelle est la position du Gouvernement à leur égard ?
Mme Catherine MacGregor. - De nombreuses questions concernent notre volonté de devenir leader dans le domaine des services. Un amalgame a cependant été réalisé avec les réseaux de chaleur, qui constituent une offre de services liée aux infrastructures, décentralisées et urbaines, qui ont vocation à demeurer au sein d'Engie.
En revanche, nous voulons intégrer les autres types de services, qui nécessitent beaucoup moins d'investissements initiaux, dans un ensemble cohérent en leur donnant un vrai projet industriel.
C'est un des engagements que nous avons pris avec nos partenaires sociaux, que vous avez rencontrés hier. Nous souhaitons créer une véritable entité à vocation industrielle. Il y a aujourd'hui de la place pour Spie, Vinci Énergies, et il y en aura pour « Bright », qui n'est qu'un « nom de code » qui n'a rien à voir avec celui que portera cette entité.
Nous avons recruté une personne très expérimentée, Jérôme Stubler, qui vient du monde de la construction et qui connaît très bien ces métiers. Il a été engagé pour gérer ce projet de réorganisation et sera amené à terme à en prendre la direction. Il s'implique beaucoup et apprend la cohésion de ces métiers.
Nous travaillons sur la « carte d'identité », la nature, la raison d'être de cette entité, l'idée étant de créer un véritable projet industriel.
Certaines de vos questions portaient également sur le futur. L'idée est aujourd'hui de créer cette entité au sein du groupe Engie, puis de suivre l'évolution de l'actionnariat qui pourrait se présenter. Notre souci principal, qui nourrit le dialogue avec nos partenaires, est de conserver un périmètre et de donner des perspectives de croissance et un véritable avenir à cette entité. C'est pour le moment compliqué à réaliser.
Chaque groupe, à un certain moment, a du mal à dégager de la croissance dans des métiers très différents les uns des autres. Nous avons tellement à faire dans les domaines des énergies renouvelables et des infrastructures que nous pensons que les 74 000 salariés, qui vont composer cette nouvelle entité, bénéficieront d'un meilleur avenir, de meilleurs leviers de croissance et d'une plus grande attention managériale dans une entité dédiée, avec son propre projet d'entreprise.
Le terme de « démantèlement », je le rejette. Il ne s'agit pas de « démanteler » Engie, mais de se concentrer sur des marchés en croissance, difficiles et compétitifs. Nous sommes un acteur historique et devons être un leader dans le domaine des énergies renouvelables. Il faut y consacrer beaucoup d'attention. Il s'agit donc de maintenir Engie sur le devant de la scène, dans ces métiers où nous devons être les meilleurs.
Quant à Endel, il s'agit d'une entreprise très importante, en particulier dans tous les services touchant aux activités nucléaires. EDF est un de ses très gros clients. Nous avons annoncé que nous étudions le futur d'Endel au sein d'Engie. Nous n'avons pas établi de calendrier. Nous sommes extrêmement soucieux des parties prenantes, en particulier de notre client EDF, et sommes absolument convaincus qu'il s'agit d'une activité très sensible et absolument stratégique, à propos de laquelle nous dialoguerons avec les parties prenantes et l'État actionnaire.
Quant à GTT, nous l'avions cité comme un élément à regarder dans le cadre de notre revue stratégique. Je partage votre enthousiasme pour cette entreprise, madame la présidente. J'ai eu l'occasion de la visiter dans une vie précédente. C'est un petit « bijou » de technologie, avec beaucoup de talents. Encore une fois, si Engie doit faire quelque chose avec GTT, ce sera dans l'intérêt de l'entreprise, dans le respect de toutes les parties prenantes, et avec la conviction que GTT détient des technologies très différenciées, un modèle d'affaires absolument remarquable et un marché associé au gaz que l'on continue à considérer comme porteur, avec des applications globales.
Pour l'instant, nous ne disposons pas de calendrier à partager avec vous sur ces deux exemples.
L'une de vos questions concernait la sortie du charbon. Nous avons annoncé notre sortie du charbon vendredi dernier. C'est un mouvement qu'Engie a entamé il y a quelques années. Nous étions, de mémoire, à environ 15 gigawatts de production électrique à partir du charbon. Fin 2020, nous étions à 4,3 gigawatts, soit à peu près 4 % de notre production totale. C'est encore trop, et nous avons décidé de nous fixer un calendrier ambitieux, en arrêtant 2025 comme date de sortie du charbon en Europe. Nous avons inclus la partie de certains de nos réseaux de chaleur qui, de manière partielle, peuvent encore utiliser du charbon. Nous avons à chaque fois un plan très détaillé pour atteindre cet objectif.
Pour le reste du monde, nous nous sommes engagés à sortir du charbon à l'horizon 2027. Ceci peut avoir des impacts financiers, mais nous considérons cette ambition comme un levier de notre politique volontariste.
Que va-t-on faire de ces centrales à charbon ? Nous privilégions le plus possible leur conversion à la biomasse renouvelable ou au gaz quand le pays a besoin de ces centrales, sachant qu'on réduit l'impact carbone de moitié. Cela constitue donc un progrès.
La deuxième possibilité est de fermer ces centrales purement et simplement, ce qui est le mieux en termes d'impact carbone. Nous n'envisagerons une cession que dans quelques cas, pour des secteurs très spécifiques où existe une dépendance énergétique ou socio-économique à propos de laquelle un Gouvernement ou un régulateur peut nous demander de nous engager sur une cession plutôt qu'une fermeture. Ce n'est pas le scénario que nous privilégions, mais nous pourrons l'envisager pour un petit nombre de nos actifs.
S'agissant de l'hydrogène et des partenariats, j'ai évoqué l'exemple d'un gros projet industriel de production d'« hydrogène vert » en coopération avec Total. Nous collaborons dès que nous le pouvons avec d'autres secteurs industriels. Les enjeux de ce secteur demeurent majeurs. L' « hydrogène vert » est encore trop cher. Nous envisageons pour l'instant une convergence entre le prix de l'hydrogène très carboné que nous connaissons aujourd'hui et l'« hydrogène vert » aux alentours de 2030, en fonction les scénarios. Nous avons donc besoin de travailler ensemble, d'industrialiser la filière. C'est sur la totalité de la chaîne de valeur qu'il nous faut jouer et intervenir. J'insiste sur le fait qu'Engie est presque partout dans le domaine de l'hydrogène.
Concernant l'infrastructure, nous travaillons, à travers notre filiale GRTgaz, sur une infrastructure dédiée à l'hydrogène. Nous avons des projets de partenariat et contribuons à la « dorsale », qui pourrait servir à transporter l'hydrogène, sachant que l'« hydrogène vert » pourra être produit dans un endroit où il y a beaucoup de soleil ou de vent, mais qu'il devra être consommé ailleurs. L'enjeu des infrastructures et du transport est donc important. Nous avons bien sûr un rôle à jouer avec notre filiale GRTgaz.
Vous m'avez interrogée sur le rapprochement stratégique, la concurrence, la coopération avec EDF et Total. Mes relations avec EDF sont très bonnes. L'enjeu étant mondial dans le domaine des énergies renouvelables, nous pensons qu'il y a suffisamment d'opportunités pour tout le monde et nous voyons d'un bon oeil le développement de trois acteurs français. Le fait que Total voit aussi le potentiel des énergies renouvelables nous renforce dans notre conviction qu'il s'agit de marchés importants, dans lesquels nous pensons avoir de l'avance.
L'une de vos questions avait trait à la Belgique et au nucléaire. La décision d'arrêter les travaux d'extension des deux tranches supplémentaires signifie que nous n'opérerons plus sur des centrales nucléaires en Belgique ou dans le monde après 2025. Nous n'avons pas vocation à développer du nucléaire, hormis ce qui existe aujourd'hui en Belgique. L'énergie nucléaire n'est pas du tout au centre de nos priorités.
En revanche, nous ne sortirons pas du nucléaire pour autant, car les projets de démantèlement sont de vrais projets industriels, qui prennent beaucoup de temps et emploient un certain nombre de personnes. Ce sont des projets critiques, que nous devons considérer très sérieusement, avec le même souci du détail opérationnel que celui que nos équipes démontrent tous les jours en opérant sur ces centrales. C'est un domaine dans lequel nous continuerons à faire preuve d'une forte responsabilité. Ces projets étant très longs à mettre en oeuvre, nous ne sortirons pas totalement du nucléaire tant que nous aurons à les gérer.
Enfin, pour rester sur ce thème, nous avons en effet prévu des provisions très importantes, liées aux opérations de démantèlement et à la gestion des déchets. Nous travaillons avec le régulateur belge, qui définit des scénarios techniques sur ces deux aspects des opérations.
S'agissant de nos concessions hydrauliques, la SHEM constitue une très belle entreprise d'environ 780 mégawatts de production. C'est un actif qui jouit d'un véritable ancrage territorial. Nous y sommes attentifs, car il existe des discussions dans le cadre du projet Hercule et du dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Nous veillons à être mis sur un pied d'égalité afin que la SHEM ne soit pas la seule à subir les pressions. Ce serait un « effet de bord » que nous déplorerions et auquel nous sommes attentifs.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous aussi !
Mme Catherine MacGregor. - Nous sommes par ailleurs convaincus que le biométhane a un rôle important à jouer. Le biométhane représente la même formule que le gaz naturel, mais il est renouvelable et s'inscrit dans une logique d'« économie circulaire », avec un impact carbone très faible et le souci de s'intégrer dans les territoires, sans avoir une taille trop importante du point de vue de la logistique ou des transports. Il faut donc avoir une approche locale et mener l'opération comme il convient.
Il existe d'autre part une question critique autour des scénarios que le livre Black-out décrit fort bien. Le risque de cyberattaque est un risque universel que tous les secteurs connaissent et auquel nous sommes très sensibles. Le conseil d'administration, dont c'est le rôle, nous demande régulièrement de lui expliquer comment nous nous protégeons.
Le sujet de la cybersécurité n'est jamais clos. Il évolue constamment, et il s'agit donc d'avoir les bonnes expertises, les bons outils, les bons systèmes, les bons tests et les bonnes formations. Il est très important de rappeler que, dans le domaine de la cybersécurité, le maillon faible provient souvent d'une erreur humaine. Nous menons un important travail à ce sujet au sein d'Engie, que je me propose d'ailleurs de renforcer en formant les collaborateurs pour qu'ils évitent de cliquer sur n'importe quel lien qui apparaît dans le corps d'un mail. C'est un sujet majeur, vous avez raison de le souligner.
Une question portait sur la RE2020. Je me suis exprimée sur le risque de la solution tout électrique. Une trop forte demande électrique va poser des questions sur la résilience de nos systèmes. Nous pensons que le gaz constitue un bon complément à cette électrification, que nous soutenons évidemment. La RE2020, avec ses aménagements autour du biométhane, va dans le bon sens par rapport au projet initial. Nos équipes sont mobilisées pour s'assurer que le biométhane et les gaz renouvelables conservent une place dans le système énergétique français.
Enfin, la géothermie est potentiellement une très bonne solution en matière d'énergie renouvelable locale, mais elle nous oblige en effet à mener des concertations en amont de façon anticipée. En général, nos équipes y parviennent assez bien, mais nous devons continuer à progresser sur ce point.
Mme Sophie Primas, présidente. - Madame la Directrice générale, le groupe Engie a signé en 2017 un accord de financement avec le groupe russe Novatek sur le projet Nord Stream 2. Où en êtes-vous ? Quelle part de gaz naturel provient-elle de la province de Yamal, question géopolitique en soi ?
Mme Catherine MacGregor. - C'est un projet sur lequel nous avons engagé un financement à une hauteur assez significative. La construction du gazoduc n'est pas achevée à 100 %. Nous pensons que la diversification de l'approvisionnement en gaz est un sujet important pour l'Europe.
Mme Sophie Primas, présidente. - N'est-ce pas contradictoire avec votre nouvelle stratégie ?
Mme Catherine MacGregor. - Non. Nous pensons que le gaz a un rôle à jouer dans la transition énergétique, et qu'il sera amené à se verdir. Énormément de pays comptent encore aujourd'hui sur le charbon dans le monde. En France, nous sommes en avance et nous pensons que nous pouvons le verdir, le transformer en gaz renouvelable à des horizons relativement proches. C'est l'ambition que nous avons, mais les enjeux de chaque pays sont différents et les calendriers ne sont pas tous les mêmes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il était important que vous finissiez sur cette note.
Merci pour cette première audition. Nous vous entendrons à nouveau dans quelques mois.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de création d'une section d'études « Animal et société »
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, j'ai été récemment saisie d'une demande de notre collègue Arnaud Bazin tendant à créer une section d'études « Animal et société » qui serait consacrée à la question du bien-être animal. Comme vous le savez, une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale a été adoptée il y a quelques semaines à l'Assemblée nationale.
Ainsi que le prévoit la procédure de création d'une section d'études, j'ai recueilli l'avis de notre collègue Marie-Christine Chauvin, présidente du groupe d'études « Élevage » auquel serait rattachée cette section. Il revient désormais à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette demande. En cas d'approbation, le Bureau du Sénat prendra acte de la création de la section d'études, qui sera appelée à se reconstituer très prochainement.
Je vous remercie.
La proposition de création de la section d'études a été adoptée.
La réunion est close à 11 h 30.