Jeudi 18 mars 2021
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Audition de Mme Isabelle Liberge, présidente de la Fédération nationale des groupements d'employeurs (FNGE)
M. Serge Babary, président. - Bonjour à toutes et à tous. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions dans le cadre de notre mission sur les nouveaux modes de travail et de management. Madame Salima Benhamou nous a prévenus hier qu'elle devait annuler son audition. La situation due au Covid pose toujours des problèmes d'organisation et cela n'est pas fini.
Nous débutons donc directement par l'audition de Madame Isabelle Liberge, présidente de la Fédération nationale des groupements d'employeurs.
Madame, nous sommes heureux de vous entendre ce matin pour évoquer le sujet des groupements d'employeurs. Ce mode d'organisation des entreprises, qui vise à mutualiser les procédures d'embauche de salariés, nous apparaît particulièrement intéressant, bien que relativement peu développé.
Nous avons récemment entendu le témoignage de groupements, en particulier l'association Clef Job qui effectue un travail remarquable, permettant aujourd'hui à 600 salariés de bénéficier de CDI. Ces derniers travaillent chez plusieurs employeurs et occupent différents emplois grâce à des formations leur offrant des compétences très variées. Ce dispositif assure flexibilité pour les employeurs et sécurité pour les salariés.
Pourtant, comme le souligne le rapport du CESE de 2018, nous parvenons à dénombrer tout au plus 6 500 groupements, dont une très grande majorité relèvent du secteur agricole. Nous aimerions connaître les défis auxquels votre Fédération fait face et recueillir votre analyse de la situation afin de comprendre les freins au développement des groupements d'employeurs.
Je vous propose dans un premier temps de livrer votre analyse pendant 15 minutes, donnant ensuite la parole aux rapporteurs de notre Délégation : Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay. Les autres collègues membres de la délégation pourront également vous poser des questions.
Je rappelle que notre réunion est mixte avec certains sénateurs membres de notre délégation présents dans cette salle et d'autres en visioconférence. Cette audition sera diffusée en direct sur notre site internet puis disponible en vidéo à la demande. Comme à chaque fois, je rappellerais à chacun de tenter d'être bref pour permettre à tous nos collègues de s'exprimer.
Madame, je vous remercie encore de votre présence et je vous donne la parole.
Mme Isabelle Liberge, présidente de la Fédération Nationale des Groupements d'Employeurs. - Merci Monsieur le président. La FNGE se sentait un peu éloignée des débats depuis ce rapport prometteur du CESE de 2018. Pourtant force est de constater que peu de mesures ont suivi. Toutefois, j'ai relevé, sans lien direct avec les groupements d'employeurs, un assouplissement de mesures sur la fiscalité qui sera mis en application début 2023.
Aujourd'hui je suis assez pessimiste. Je m'occupe des groupements d'employeurs depuis 2008. Je suis moi-même à l'initiative d'un groupement d'employeurs en Vendée, créé en 2008. J'ai mené des actions collectives pour le Centre de Ressources des Groupements d'Employeurs des Pays de la Loire (CRGE PDL) que je préside depuis 2009. Enfin, je suis à l'origine de la création de la Fédération Nationale des Groupements d'Employeurs en 2014.
Des actions structurantes ont été menées pour aider au développement des groupements d'employeurs qui existent à l'origine dans le monde agricole depuis 1985 :
- le diplôme d'université « Manager de Groupement d'Employeurs » pour professionnaliser cette activité ;
- une bourse de l'emploi, Job GE, qui sert également d'annuaire des groupements d'employeurs ;
- un site institutionnel d'informations, RH Info GE, dédié aux différentes parties prenantes des différents groupements d'employeurs.
Depuis 2014, la FNGE mène ses actions avec des moyens très limités, soit 60 000 euros par an pour gérer informations et services à nos adhérents ainsi que le maintien des outils collectifs. Pour les demandes de financement, nous sommes à chaque fois renvoyés vers les régions. Cependant, elles n'ont pas vocation à supporter les frais liés aux actions nationales.
Par ailleurs, nous constatons que l'intérim a gagné du terrain sur ce qui était notre particularité : la création de parcours sécurisé des salariés des GE. L'intérim a récemment mis en place le CDI intérimaire.
Je reviens sur les chiffres de présentation des groupements d'employeurs. Vous avez cité 6 600 groupements d'employeurs. L'étude GESTE de 2016, la seule étude statistique menée depuis 1985, révélait à peine 5 000 groupements d'employeurs dont une très forte majorité de groupements agricoles. Les groupements d'employeurs non agricoles actifs sont au nombre de 711. L'ensemble des groupements représente 46 000 salariés, y compris ceux du monde agricole. Environ 16 000 salariés sont recensés pour les GE hors agriculture.
Le législateur a progressivement levé les freins et ouvert à tous les milieux, tous les métiers et tous les secteurs d'activité. Ainsi, tout type de structure, quelle que soit sa taille et son secteur d'activité, peut adhérer à un groupement d'employeurs. Toutefois, nous relevons une grande disparité. Certains sont multisectoriels, d'autres monosectoriels. Certains sont fermés (des entreprises se réunissent, mais ne sont pas ouvertes vers l'extérieur) et d'autres, les plus visibles mais les plus rares, sont mieux structurés et professionnalisés.
Comme vous l'avez souligné, ce dispositif est très vertueux. Il a été créé pour donner de la flexibilité aux entreprises. C'est un réel levier de compétitivité, notamment pour les petites entreprises qui ne peuvent s'offrir des experts à temps complet. Pour les salariés, c'est l'occasion d'offrir des parcours sécurisés pour construire des CDI. L'étude GESTE avait dénombré 70 % de CDI au niveau national. Les groupements d'employeurs contractualisent des CDI dès qu'ils le peuvent. Certains le crée d'entrée de jeu et d'autres, plus prudents commencent par un CDD avant d'entreprendre la pérennisation du parcours.
Une vidéo sur notre site internet expose la diversité des groupements d'employeurs et leurs réalités. C'est un monde majoritairement associatif. Les groupements d'employeurs peuvent être constitués en association ou en coopérative. Toutefois, seule une dizaine de groupements sont créés sous forme de coopérative, type société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Les entreprises d'un territoire ou d'une filière se réunissent à partir d'une problématique de compétences à partager, créant ainsi entre eux un mini Pôle Emploi.
Le sujet de la non-lucrativité, imposée par la loi aux groupements d'employeurs, reste encore mal compris. Nos adhérents assimilent non-lucrativité à absence de résultat. Cette incompréhension occasionne parfois un modèle économique très fragile. La non-lucrativité consiste en la non-distribution des résultats aux administrateurs des entreprises adhérentes du groupement d'employeurs. En revanche, en bon père de famille, il est indispensable que le groupement possède une trésorerie et un fonds de roulement pour faire face aux périodes plus difficiles.
Avez-vous des questions sur les aspects généraux des groupements d'employeurs ?
M. Serge Babary. - Merci Madame la Présidente pour cette présentation générale. Je passe la parole à nos deux collègues rapporteurs qui sont en visioconférence.
Mme Martine Berthet, rapporteure. - Merci Monsieur le Président. Effectivement, lors d'une dernière audition d'un groupement d'employeurs, ce mode de travail particulier qui répond à de nombreux besoins avait attiré notre attention.
Vous avez soulevé la question du financement, notamment par les régions. Ce point est-il uniforme sur tout le territoire national ou certaines régions donnent-elles plus de moyens aux groupements d'employeurs ? Par ailleurs, qu'en est-il de la formation au sein des groupements d'employeurs ? A-t-elle besoin d'être développée ?
De façon générale, quelle est l'implication des collectivités territoriales dans la création des groupements? Lors de mon premier mandat d'élue, j'étais adjointe dans une commune qui avait été à l'initiative de la création d'un groupement d'employeurs pour répondre aux besoins des entreprises, mais aussi dans le but de réduire le chômage dans la commune. Cette initiative avait d'ailleurs été un succès. Quelle est l'implication actuellement des collectivités territoriales, en particulier des communes dans les groupements d'employeurs ?
Mme Isabelle Liberge. - Merci Madame Berthet de votre intérêt pour les groupements d'employeurs. Puis-je vous demander quelle est cette commune ?
Mme Martine Berthet. - Il s'agit d'Ugine, en Savoie, à côté d'Albertville. Et cela date des années 2000.
Mme Isabelle Liberge. - Effectivement, c'est une belle initiative. Mon propre groupement d'employeurs en Vendée a été initié par des chefs d'entreprise, mais reste très soutenu par la collectivité Terres-de-Montaigu. Des maires peuvent en effet être à l'origine de la création de ces groupements. Cela a été le cas de FORVAL à Beaufort-en-Vallée près d'Angers. Mais généralement, les collectivités territoriales sont davantage présentes en soutien.
Par ailleurs, la question de la fiscalité se pose lorsque les collectivités veulent recruter du personnel à temps partagé à travers un groupement d'employeurs. C'est un sujet récurrent qui oblige les groupements à créer une autre entité pour accueillir des adhérents assujettis et d'autres non assujettis à la TVA. Ce choix occasionne des difficultés en termes d'administration et des frais supplémentaires. Votre exemple démontre que de très beaux projets peuvent être portés avec les collectivités territoriales. Cependant ce type d'initiative n'est pas très fréquent. Les collectivités territoriales sont souvent en soutien, mais rarement aux premières loges.
Concernant la question du financement, les réalités sont hétéroclites au sein des groupements d'employeurs. Les régions les plus impliquées sont : la Nouvelle Aquitaine et l'Occitanie, qui dotent richement les centres de ressources des groupements d'employeurs. L'effet pervers est la création de baronnies. En Nouvelle Aquitaine, alors que la FNGE est une structure nationale, le CRGE de la région a des moyens si élevés que nous avons du mal à collaborer avec cette structure. Ses moyens s'élèvent à 300 000 euros lorsque nous disposons de 60 000 euros. Une autre région dynamique, même si elle ne propose pas de financement, mais participe activement à la création des actions collectives, est celle des Pays-de-la-Loire. Beaucoup d'actions innovantes ont été initiées dans cette région : Job GE, RH Info GE, le diplôme d'université. La Bretagne est également très active. Globalement, nous pouvons dire que la façade Grand Ouest fait preuve de dynamisme. Pour les autres régions, le démarrage est plus lent, voire même inexistant.
Enfin, les groupements d'employeurs sont peu subventionnés. Ceux qui sont les plus accompagnés relèvent de la culture et du sport (qui bénéficie d'un fonds mutualisé depuis 2018). Néanmoins, d'une manière générale les groupements d'employeurs sont autonomes financièrement. Ceux qui sont aidés sont ceux dont les adhérents relèvent de structures extrêmement fragiles et d'utilité sociale.
M. Serge Babary. - Merci Madame la Présidente. Je donne la parole à Fabien Gay.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Merci pour votre propos introductif. Les groupements d'employeurs ont été à l'initiative du secteur agricole et appartiennent au monde des TPE. Si ce dispositif venait à entrer dans le monde des très grandes entreprises, un risque d'externalisation de certains métiers (ménage, comptabilité) pourrait apparaître. J'aimerais savoir quelles sont les potentialités à développer selon vous et vers quel secteur vous tourner pour avoir de la saisonnalité (monde de la montagne ou de la mer dans le tourisme, évènementiel et salons).
Mme Isabelle Liberge. -Pour les petites entreprises, les vertus des groupements d'employeurs sont évidentes. Nous sommes très heureux lorsqu'une entreprise majeure intègre un groupement. Toutefois, le réel intérêt demeure principalement pour les petites structures. Une entreprise de 300 personnes possède tous les moyens nécessaires pour recruter un DRH à temps complet, un webmaster, un spécialiste de la cybersécurité ou de la communication. Son seul intérêt d'utiliser un groupement serait pour y employer des personnels qui passeront d'une filiale à l'autre. C'est le cas par exemple d'une grande structure de l'humanitaire qui va intégrer un groupement d'employeurs pour passer d'une communauté à une autre et éviter ainsi les problèmes de fiscalité et de risque social. Fondamentalement, ce levier de compétitivité est surtout intéressant pour les TPE et les PME. Ce sont ces dernières, davantage que les grandes entreprises, qui ont besoin des groupements d'employeurs.
Pour répondre à Monsieur Gay, la question de la saisonnalité s'est fortement effacée. C'est le cas dans l'agroalimentaire qui, avec l'évolution de la robotisation et de la mécanisation, n'a plus cette nécessité de trouver des compétences chaque année. En revanche, la question a du sens dans le domaine du tourisme, pour des saisonniers qui passent de la mer à la montagne. Cette logique s'applique déjà entre Noirmoutier et les Pyrénées par exemple.
M. Fabien Gay. - Je vois le risque que les grandes entreprises aient recours à vous. À partir du moment où une entreprise compte 50 ou 100 salariés, je considère qu'elle a la capacité d'avoir un certain nombre de métiers en interne. Le risque est l'externalisation pour une question fiscale. Dans ce cas, vous seriez à côté des valeurs fondatrices que vous portez. Qu'un expert en cybersécurité puisse être employé par 20 ou 30 TPE et travaille pour chacune d'entre elles, cela me semble convenable. En revanche, qu'une très grande entreprise de 500 personnes fasse appel à vous pour externaliser des questions autour du ménage et de la propreté, je ne trouve pas cette démarche cohérente.
Mme Isabelle Liberge. - Je partage votre vision. Pour autant, certaines exceptions sont intéressantes à étudier. Je pense à une société industrielle qui a mis en place une nouvelle ligne de production. Elle a fait appel à un groupement d'employeurs pour sa phase de test. Dans une phase de mutation ou de développement, passer par un groupement peut avoir du sens.
M. Fabien Gay. - Les contrats de travail sont déjà assez souples. Il existe de l'intérim, les CDD, les missions. Le code du travail offre déjà beaucoup de possibilités pour l'employeur.
Mme Isabelle Liberge. - Je partage globalement votre point de vue.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur un point très alarmant qui apparaît : la concurrence de l'intérim. Intérim et groupement d'employeurs avaient chacun leurs vertus et leurs actions spécifiques. L'intérim intervenait en remplacement de salariés. L'intérimaire était immédiatement en capacité d'apporter la compétence à une entreprise qui en avait besoin. Le groupement d'employeurs, avec ses administrateurs autour de la table, cherchait plutôt à répondre à des besoins pérennes à temps partagé ou sur une saisonnalité, avec des modalités très différentes, mais sans une réactivité du jour au lendemain, ce qui est le coeur de métier de l'intérim. L'intérim a mis en place récemment le CDI intérimaire. Cet aspect était notre marque de fabrique. Les surfaces financières des groupements d'employeurs et de l'intérim ne sont pas égales. Depuis le CDI intérimaire, les structures d'intérim ont même proposé des contrats à prix coûtant pour faire face aux difficultés de la crise.
Par ailleurs, les aides liées à la crise de Covid dont a pu bénéficier l'intérim ont creusé l'écart. J'ai transmis un article de novembre 2020 qui rapporte le refus d'attribution de ces aides aux groupements d'employeurs multisectoriels, au motif qu'ils ne répondaient pas aux critères d'éligibilité du fait de leurs conventions collectives. Je signale une distorsion et une iniquité évidente.
Ajouté à cela l'absence de convention collective spécifique pour les groupements d'employeurs multisectoriels, l'absence de code NAF spécifique, et désormais l'absence d'opérateur de compétences (OPCO) de l'interprofessionnel pour soutenir les groupements multisectoriels, le système court à la catastrophe.
J'avais démontré déjà en 2016 que les groupements d'employeurs mettent en place une politique de formation très dynamique consacrant jusqu'à 6 % de la masse salariale à la formation. Avec le prélèvement des fonds de formation par l'URSSAF en 2022, nous allons automatiquement être rattachés à l'OPCO lié à notre convention collective, donc l'OPCO de branche. Et si demain un groupement appartenant à la branche de la boulangerie, par exemple, souhaite bénéficier d'une prise en charge pour un diplôme d'université « Manager de groupements d'employeurs », l'OPCO refusera la prise en charge. En conséquence, la question de la formation est un sujet majeur. J'ai mis en place des formations pour professionnaliser les groupements d'employeurs et nous risquons de ne plus être soutenus pour le financement de ces formations. Nous avons tenté de solliciter France Compétences pour flécher les groupements vers un OPCO qui serait dédié. Je suis démunie sur ce sujet.
Enfin, un observatoire des bonnes pratiques et des statistiques est capital pour suivre l'évolution des groupements d'employeurs. Cependant, il reste très complexe à réaliser. De ce fait, aujourd'hui je suis incapable de vous donner les chiffres de l'impact de la Covid sur ces structures en 2020.
M. Serge Babary. - Merci Madame la Présidente pour votre sincérité quant à vos difficultés. Nous notons le sujet de la formation que vous soulevez. J'aurais quelques questions sur les problèmes fiscaux et d'effectifs. Je passe la parole à Michel Canévet.
M. Michel Canévet, rapporteur. - Merci Madame la Présidente pour vos explications. Effectivement lorsque nous avons auditionné le groupement d'employeurs de Seine-Saint-Denis, il nous est apparu que ce modèle était particulièrement vertueux, notamment car il permet d'apporter une réponse plus appropriée aux besoins d'un certain nombre d'entreprises qui ne nécessitent pas forcément du personnel à temps plein et pour lesquels il convient d'apporter la formation et de sécuriser le temps de travail. À cet égard, je voudrais vous demander si vous avez des indications sur le temps de travail dont peuvent bénéficier de manière générale les salariés des groupements d'employeurs.
Vous avez évoqué tout à l'heure les groupements d'employeurs sur la façade Atlantique. Pourriez-vous nous indiquer comment s'opère la couverture sur l'ensemble du territoire national ? Existe-t-il des secteurs géographiques où l'implantation des groupements est extrêmement faible. Quelle peut être la raison à cela ?
Mme Isabelle Liberge. - Selon la genèse de la création des groupements d'employeurs, ils sont plutôt implantés en secteur rural. Les grandes métropoles sont très mal couvertes car les essais d'implantation ne sont pas concluants. L'Île-de-France est l'exemple type. L'Est de la France et le Centre peinent à se développer. La zone Rhône-Alpes, malgré quelques tentatives, ne connaît pas de développement.
Selon moi, dans les grandes métropoles, les questions de solidarité et de proximité entre les entreprises sont moins fortes.
M. Michel Canévet. - Les temps de travail sont-ils proposés sur la base du temps plein ou du temps partiel subi ?
Mme Isabelle Liberge. - Le travail des groupements d'employeurs est de répondre à l'attente des salariés. Certains souhaitent un temps de travail partiel choisi, d'autres un temps complet. Lors d'une étude, nous avions constaté qu'il fallait en moyenne un an de petits temps partiels pour construire un temps complet. Certains groupements comme le mien créent directement des temps complets.
Je mentionnais précédemment la concurrence de l'intérim et la saisonnalité. Nous avons travaillé sur des modèles avec des salariés partagés à 6 mois dans une entreprise de l'agroalimentaire et les 6 autres mois dans une autre entreprise de l'agroalimentaire. Les agences d'intérim n'iront pas sur ce type de modèle car ce n'est pas lucratif. Certains groupements d'employeurs, généralement ceux issus du monde associatif, proposent une personne à temps complet (ménage dans les crèches ou assistante maternelle) pour 10 structures utilisatrices. Cela occasionne d'importants coûts de gestion. Ce dispositif est très vertueux mais également très coûteux. Une fois de plus, ce type de missions n'intéresse pas l'intérim.
Je suis dans l'incapacité de vous répondre sur le nombre d'emplois à temps complet. J'en prends toutefois note.
M. Michel Canévet. - Parmi vos difficultés, nous avions identifié le fonds de roulement pour assurer chaque mois la rémunération de l'ensemble des salariés. Confirmez-vous ce point ?
Nous avons relevé aussi la question de la TVA. Ce point était soulevé dans le rapport du CESE de 2018. Pouvez-vous nous dire aujourd'hui ce qui est taxable ou non, ainsi que les améliorations que vous en attendez.
Mme Isabelle Liberge. - Pour vous répondre sur la question du fonds de roulement, les groupements d'employeurs sont administrés par des chefs d'entreprise qui savent traiter en bon père de famille les aspects de trésorerie. En effet, un fonds de roulement est mis en place lors de la création d'un groupement. Les structures adhérentes fondatrices avancent cette trésorerie, ce qui permet de sécuriser le démarrage du groupement. Puis nous créons une réserve avec la provision défiscalisée que nous avons fait passer à 2 % en 2016. Les experts comptables ne sont d'ailleurs pas trop au fait de cette possibilité fiscale. Comme indiqué dans le rapport du CESE, nous souhaiterions aller plus loin en créant un fonds mutualisé. La question de la non-lucrativité est aussi mal comprise par les groupements eux-mêmes, donnant lieu à un mauvais modèle économique, que par les institutionnels (comme les inspecteurs du travail) au motif qu'ils ne facturent pas au prix coûtant en facturant des frais de gestion. Ceci est un point de litige potentiel.
Quant au sujet de la TVA, nous appelons cela la mixité fiscale. Un même groupement d'employeurs peut avoir des adhérents soumis à la TVA et d'autres qui ne le sont pas. Alors le problème apparaît. C'est la contamination fiscale. Je vous ai préparé un dossier technique avec les règles à ce sujet. Un assouplissement de la TVA pourrait intervenir à partir du 1er janvier 2023. Cette mesure permettrait de mixer les adhérents sans avoir des comptages très compliqués : collectivités territoriales et associations non assujetties à la TVA, et entreprises assujetties. Les groupements d'employeurs ont besoin de plus de souplesse.
M. Serge Babary. - Ma question porte sur l'URSSAF et l'évaluation des effectifs des groupements. Nous souhaiterions comprendre cette difficulté que vous rencontrez. Il existe le comptage du personnel propre au groupement et celui du personnel facturé aux entreprises. Le problème du comptage est important vis-à-vis du groupement d'employeurs lui-même, mais aussi vis-à-vis des entreprises qui peuvent compter ou non les effectifs de personnel qui leur est délégué. Dans ce cas, cela pourrait mettre en difficulté certaines entreprises au moment de la demande d'aides, surtout dans cette période compliquée. Pourriez-vous nous présenter cela ?
Mme Isabelle Liberge. - Pour être très synthétique, je vous adresse un dossier complet. C'est un sujet qui a généré énormément de litiges et d'incompréhensions auprès des URSSAF. En 2016, un nouvel élément législatif a modifié le comptage des effectifs. La complication est extrême.
Un groupement d'employeurs doit chaque mois calculer quatre effectifs. Les entreprises utilisatrices doivent effectuer trois calculs d'effectifs pour les salariés mis à disposition des groupements. Cette étape est très complexe.
Si seuls les effectifs des permanents des groupements d'employeurs sont retenus, le nombre n'est plus de 15 000 hors secteur de l'agriculture, mais sans doute autour de 500.
M. Stéphane Artano. - Je souhaite aborder la question de la santé au travail. Les groupements d'employeurs sont-ils un relais auprès des TPE qui sont assez absents des dispositifs nationaux en matière de santé au travail ? Identifiez-vous le besoin d'avoir un référent au sein des groupements qui pourrait être une sorte de personne relais avec les services de santé au travail ? Voyez-vous une tendance se dégager ou une telle possibilité de point relais ?
Mme Isabelle Liberge. - C'est une belle suggestion. Personnellement, mon attention n'a pas été attirée par des initiatives de la sorte. Il s'agit néanmoins d'une ressource intéressante à partager, tout comme la cybersécurité. Je partage avec vous un autre exemple de cette mutualisation. Nous avons accompagné récemment une start-up qui nous a délégué tout le démarrage de la mise en place de ses ressources. Nous avons progressivement intégré un directeur des affaires financières, un chargé du développement commercial, un chef produit, une chargée de communication. Une équipe compétente a été mise en place. La start-up est en train de les embaucher au fur et à mesure. C'est un très bel exemple d'accompagnement. Concernant la santé au travail, votre suggestion est à retenir. Nous devrions en faire la promotion au sein de la CNGE comme étant une bonne pratique.
M. Jean-Pierre Moga. - Je viens en témoignage appuyer vos dires sur le fait que les groupements d'employeurs se développaient davantage dans les départements ruraux. Je suis sénateur d'un département rural : le Lot-et-Garonne. Nous avons notamment à Marmande, un groupement qui fonctionne très bien depuis une vingtaine d'années. Cela a été une réussite à la fois pour les salariés et pour les employeurs qui ont plus de flexibilité. La directrice, Madame Gauthier, confirme vos propos précédents en attestant que très souvent, quand le plan de charge augmente, les entreprises embauchent les salariés du groupement. Les groupements ont effectivement un turn-over très important, mais dû au fait que les entreprises embauchent. Cela donne un espoir au salarié d'obtenir un CDI à temps complet. Je signale que le groupement du Lot-et-Garonne, malgré la Covid, a embauché 55 personnes dans les 6 derniers mois. Même en période de crise, dans les zones rurales, le groupement d'employeurs peut faire face aux demandes momentanées d'emploi.
Mme Isabelle Liberge. - Merci. C'est un bon exemple. En effet, Madame Gauthier travaille dans ce secteur d'activité depuis très longtemps. C'est une professionnelle aguerrie. J'insiste sur la nécessité pour le groupement de reposer sur des équipes professionnalisées, avec un modèle économique assis, des moyens pour faire face et de la trésorerie. Nous avons besoin de faire monter en compétence les groupements d'employeurs. Certes, certains groupements sont vertueux mais, malheureusement, ce n'est pas le cas de tous. Pour se développer, il faut penser à une notion d'agrément ou de label pour avoir un niveau de compétence garanti avec un niveau d'engagement et des résultats satisfaisants.
M. Serge Babary. - Merci Jean-Pierre pour ce témoignage. Merci Madame pour votre conclusion.
Mme Isabelle Liberge. - J'aurais aimé conclure en appelant à la grande sagesse des législateurs pour passer ce cap difficile. Nous avons besoin de remédier à un déficit de communication. Il nous est difficile d'investir dans de la communication, or nous avons besoin d'être connus pour nos vertus. Par ailleurs, nous avons besoin d'un observatoire statistique des bonnes pratiques. Il nous faudrait davantage de dénominateurs communs, se faire rattacher à un OPCO, obtenir un code NAF ou un sous-code NAF dédié aux groupements d'employeurs, un financement national, des actions collectives, des outils numériques - ils risquent d'être abandonnés faute de moyens. Nous avons besoin d'être visibles, de gérer l'actualité et les informations institutionnelles de notre site RH Info GE, de soutenir la formation avec le diplôme universitaire (DU) de « Manager de Groupement d'Employeurs » (350 heures de formations en e-learning mises en place sur une plateforme). Il faut également traiter les urgences, l'absence d'aides Covid, imaginer un parcours spécifique pour les CDD afin de les sécuriser et avoir un turn-over positif. L'exonération de charges sociales pour un contrat de travail dans un groupement serait un modèle vertueux. Enfin il faudrait préciser ce but non lucratif. Voici les points forts de mon réquisitoire.
M. Serge Babary. - Merci Madame la Présidente de toutes ces voies de réflexion. Je pense que nos rapporteurs vont s'en emparer. J'indique par ailleurs à mes collègues que nous nous retrouverons jeudi prochain à 9 heures en réunion plénière pour une table ronde sur la cybersécurité.
Merci à tous pour votre participation.
La séance est levée à 11 heures.