Jeudi 18 mars 2021
- Présidence de M. Jean Hingray, président -
La réunion est ouverte à 10 h 35.
Audition de M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire
M. Jean Hingray, président. - Nous recevons aujourd'hui Monsieur Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale. Il est accompagné par Monsieur Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales. Je vous propose de commencer sans plus tarder. Au terme de votre intervention, nos collègues - en présentiel et en visioconférence - qui le souhaitent pourront vous interroger.
M. Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire. - Merci Monsieur le Président. Après une brève présentation, je répondrai autant que possible à vos questions.
Rappelons que la politique d'égalité des chances vise avant tout, d'une part à surmonter les contraintes sociales, financières et géographiques susceptibles d'entraver la réussite d'un élève, d'autre part à lui permettre de déployer toutes ses potentialités. L'ensemble des actions que je vous présente aujourd'hui forment un système très cohérent. L'objectif est d'offrir une réelle égalité des chances sur l'ensemble du cycle scolaire d'un élève, de 3 ans à 18 ans.
La construction du parcours et la réussite de l'élève dépendent principalement des conditions d'apprentissage proprement dites, de son environnement ainsi que de la libération des ambitions de l'élève. En termes d'égalité des chances, l'un des enjeux est de permettre à l'élève, au sens étymologique du mot « ambition », de voir autour et de voir plus loin.
Un certain nombre de dispositifs d'accompagnement existent à cet effet tout au long du parcours de l'élève.
Un premier élément d'évolution, consécutif à la loi pour une école de la confiance de 2019, réside dans l'instruction obligatoire entre 3 et 6 ans et l'obligation de formation entre 16 et 18 ans. Nous vivions avec le principe d'instruction obligatoire de 6 à 16 ans. Cette loi a augmenté de 50 % le temps d'instruction et de formation obligatoire. Un enfant intègre donc le système scolaire plus jeune. Sachant que toutes les bases en termes de diversification du vocabulaire se construisent entre 3 et 6 ans, cette évolution est essentielle. L'apprentissage, notamment de la lecture, est ensuite facilité.
À partir de la rentrée 2017-2018, le dédoublement des CP et des CE1 en REP et en REP+ contribue à améliorer les conditions d'apprentissage en réduisant le volume des classes à 12 élèves. Des évaluations nationales - menées en début de CP, en milieu de CP et en CE1 - ont montré une réduction progressive des écarts entre les élèves en zones d'éducation prioritaire et les élèves hors zones d'éducation prioritaire. De plus, le ministre est spécialement attaché à faire valoir une approche territoriale. La décision de ne pas fermer d'écoles sans l'accord du maire a été réaffirmée avec la crise du Covid et représente 1 248 équivalents temps plein réinvestis.
À l'école élémentaire puis au collège, l'élève est accompagné sur l'ensemble des activités à caractère scolaire, y compris pendant les congés. Un million d'enfants ont bénéficié de l'opération « Vacances apprenantes » l'été dernier. Environ 250 000 élèves, dont une majorité en école primaire, ont participé à « École ouverte » et aux stages de réussite. Ces stages se déroulent sur cinq jours, généralement pendant la dernière semaine du mois d'août. Il s'agit, en lui « remettant le pied à l'étrier », de permettre à l'élève de recommencer une année scolaire dans les meilleures conditions d'apprentissage, après des grandes vacances qui représentent souvent une perte d'apprentissage significative. Ils réduisent ainsi les écarts entre les élèves provenant des zones d'éducation prioritaire et les autres élèves. Au niveau collège, le dispositif pédagogique « devoirs faits » prend le relais. Un tiers des élèves en bénéficient. Grâce à cet accompagnement professionnel renforcé, l'élève s'affranchit des contraintes sociales qui l'empêchent de faire correctement ses devoirs.
Au lycée, d'autres éléments d'égalité des chances interviennent. La transformation de la filière professionnelle ainsi que la réforme du lycée général et technologique ont donné aux élèves un panel de choix de métiers beaucoup plus large. Le décrochage diminue ainsi, notamment en filière professionnelle, en dépit d'une rentrée 2020 difficile. Le même phénomène s'observe sur la voie générale ; le fait de ne pas être enfermé dans une filière a priori permet aux élèves de suivre ce qui leur correspond.
Enfin, au-delà du lycée, a été mise en place l'obligation de formation jusqu'à 18 ans.
D'autres dispositifs visent à réduire les inégalités d'origine sociale ou géographique.
Le Gouvernement a annoncé cette semaine le renforcement du dispositif « petit-déjeuner gratuit » qui avait profité à 156 000 élèves l'année dernière et qui visera 265 000 ou 300 000 élèves à partir de la rentrée prochaine. Un enfant avec le ventre vide apprend moins bien. La République tient donc ses promesses. Un enfant en éducation prioritaire doit ainsi pouvoir poursuivre sa scolarité dans des conditions améliorées puisqu'il rentre à l'école à 3 ans, que sa grande section, son CP et son CE1 sont dédoublés et qu'un petit-déjeuner lui est assuré. Un système de suivi plus personnalisé au collège et au lycée prend ensuite le relais pour libérer l'ambition de l'élève.
Plusieurs dispositifs cités ici pourront faire l'objet de discussions. Dans les « cordées de la réussite », un établissement supérieur s'encorde avec un collège et un lycée. L'élève est suivi dans un cadre à la fois collectif et individuel, de la 4ème jusqu'à la terminale, grâce à un système de mentorat. On constate en effet que plus on commence tôt, plus on libère les ambitions. Face à des élèves qui doutent de pouvoir réaliser leurs souhaits, l'école fait la promesse d'apporter les meilleures conditions possibles de réussite scolaire et les encourage activement à suivre leurs aspirations professionnelles. 200 000 élèves en bénéficient cette année et un tiers des établissements publics locaux d'enseignement sont encordés avec un établissement supérieur.
L'affranchissement des contraintes géographiques est un autre aspect. C'est notamment l'un des enjeux des internats d'excellence. Un appel à manifestation d'intérêt a été publié dans le cadre du plan de relance. La finalisation des différentes procédures et de dossiers est en cours. Plutôt que d'adapter ses projets à l'offre territoriale immédiate, nous conseillons au jeune de partir en internat d'excellence afin de suivre la formation qui lui convient avec un dispositif de bourse associé. Désormais, pour un boursier échelon 6, le départ en internat est gratuit pour sa famille.
Le système est donc très cohérent à la fois en termes de conditions d'apprentissage et de création d'un environnement porteur. Les différentes mesures prennent systématiquement le relais les unes des autres en fonction de l'âge et des attentes légitimes du jeune.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Vous avez énoncé un ensemble de dispositifs en matière de réduction des inégalités sociales et territoriales. Je les trouve, à titre personnel, pertinents, mais ils soulèvent quelques questions.
Le dédoublement des classes de CP et CE1 est une excellente initiative, mais il s'impose pourtant souvent au détriment d'autres dispositifs vitaux pour nos territoires. Par exemple, le dispositif « plus de maîtres que de classes » a été supprimé dans mon département. Les élus et les parents d'élèves des zones rurales partagent l'impression que le dédoublement des CP et CE1 profite plus aux zones défavorisées urbaines qu'aux territoires ruraux. Des postes d'enseignants sont supprimés et le nombre d'élèves par classe augmente à nouveau en raison d'un soi-disant sous-effectif d'élèves. Les difficultés en zones rurales sont pourtant bien présentes et diffèrent des problématiques rencontrées en zones urbaines très denses.
M. Édouard Geffray. - Je peux affirmer avec beaucoup de conviction notre obsession territoriale au moment de la définition de dispositifs.
Les situations varient d'un territoire à l'autre mais nous nous sommes engagés à améliorer le taux d'encadrement des élèves dans tous les départements. C'est le cas depuis trois rentrées consécutives. Le taux moyen national d'encadrement, c'est-à-dire le nombre de professeurs pour 100 élèves, est en progression constante depuis 2017. Il est ainsi passé de 5,54 à la rentrée 2017 à 5,84 à la rentrée 2020, soit +0,1 point par an, progression également attendue pour la rentrée 2021. La chute de la natalité est la deuxième réalité avec laquelle nous devons conjuguer. Ce constat est extrêmement préoccupant, en particulier dans certains départements.
La réponse apportée doit être globale et doit considérer l'ensemble du cycle. En zone urbaine et rurale, les cités éducatives et les territoires éducatifs ruraux sont respectivement mis en place, avec la volonté manifeste d'une alliance éducative entre les acteurs concernés (collectivités locales, services de l'État, tissu associatif, etc.) qui varie dans ses modalités pour des raisons de distance géographique. Les internats d'excellence se développent en zone rurale, l'enjeu étant d'offrir une perspective de formations, que le maillage territorial ne permet pas de couvrir intégralement.
Dans le cadre des « cordées de la réussite » et du mentorat plus généralement, la dimension territoriale est fortement présente. Les élèves qui vivent dans un environnement rural ont parfois tendance à ajuster leurs ambitions, faute de rencontres et de connaissances. 20 000 élèves concernés par les « cordées » résident en zone rurale. Les dispositifs de mentorat doivent être renforcés, au travers notamment du tissu associatif, pour mieux faire connaître aux jeunes le panel de débouchés possibles.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Puisque vous parlez de ces cités éducatives, avez-vous déjà des premiers retours ?
M. Édouard Geffray. - Les premiers retours très positifs concernent le fonctionnement des 80 premières cités éducatives. Les acteurs travaillent en plus étroite collaboration qu'auparavant et disposent de davantage de moyens, permettant d'articuler de mieux en mieux les différents temps du parcours de l'élève.
L'évaluation des effets des dispositifs d'apprentissage et pédagogiques est en revanche prématurée. L'idéal serait de suivre le chemin d'un élève qui rentre aujourd'hui à l'école dans une cité éducative puis de le comparer dix ans plus tard avec des élèves rentrés à l'école dix ans avant lui.
M. Laurent Burgoa. -En tant qu'élu urbain, adjoint à la politique de la ville d'une commune de 150 000 habitants il y a encore quelques semaines, je partage totalement vos propos. Issu d'un département comprenant aussi de nombreuses communes rurales, je rejoins également l'analyse de Madame la rapporteure. L'impossibilité de mettre en place les mêmes dispositifs que dans les quartiers REP ou REP+ est souvent perçue comme une injustice. Du fait de leur petite taille, 4 ou 5 communes doivent parfois se rassembler afin qu'un groupe scolaire puisse exister.
Tant l'État que les élus souhaiteraient approfondir la territorialisation de l'action publique. Dès lors, ne serait-il pas intéressant, d'un point de vue expérimental, de laisser les élus locaux ruraux décider du dédoublement des CP et des CE1 ? La charge d'investissement et de fonctionnement revient avant tout aux communes, qui seraient libres de l'accepter ou non. Les élus locaux ruraux se sentent un peu « stigmatisés ».
M. Édouard Geffray. - Les situations démographiques sont très variables. Le dédoublement des CP et CE1 en REP et REP+ concernent souvent des classes de 24-25 élèves. La question de diviser les classes se pose moins en zone rurale, celles-ci étant en revanche exposées à des risques de fermeture pour des raisons de sous-effectifs d'élèves. Dans certains départements ruraux, le taux d'encadrement atteint les 6,5, 7, 7,5 voire 8 professeurs pour 100 élèves comparativement à une moyenne nationale de 5,84. L'enjeu est donc plutôt le maintien de l'ouverture des classes et des élèves.
La proposition, ou l'hypothèse que vous formulez selon laquelle la collectivité pourrait éventuellement prendre en charge la décision du dédoublement ramène à des questions de compétences entre les collectivités locales. Il m'est difficile de me prononcer sur ce sujet. Il y a un effet d'attractivité forte autour de cette question du dédoublement du CP et du CE1 en REP et REP+ mais, en pratique, le taux d'encadrement est souvent assez favorable aux départements ruraux, malgré les autres difficultés auxquelles font face ces départements.
Mme Michelle Meunier. - Vous n'avez pas mentionné les propositions issues des états généraux du numérique, qui visent à développer et utiliser au mieux cet outil. La crise du Covid semble avoir favorisé, voire déclenché de fortes inégalités en matière d'accès et d'utilisation du digital. Je souhaite vivement vous entendre sur ce point.
M. Édouard Geffray. - La crise du Covid correspond à l'aspect conjoncturel. Face à cette crise, nos actions en matière numérique répondent aux difficultés liées aux fermetures d'écoles ou de classes. La mise en place d'une cellule d'appui numérique au niveau national en témoigne. Le premier déploiement massif de ce dispositif, avec plus de 400 ordinateurs fournis en moins de 24 heures, a eu lieu dans les Alpes-Maritimes au mois de décembre. Plusieurs dizaines voire centaines d'élèves ne pouvaient plus accéder à leur école.
Parallèlement, deux dispositifs plus structurels ont été lancés. Les territoires numériques éducatifs (TNE) sont expérimentés actuellement dans deux départements, l'Aisne et le Val d'Oise, l'un plutôt rural, l'autre urbain. Ce dispositif vise à équiper l'intégralité des écoles et à doter en équipements informatiques tous les professeurs nouvellement nommés dans ces départements. C'est une approche à 360 degrés ; ce n'est pas seulement une question d'équipements, c'est aussi une question de ressources numériques et de formation. L'intégralité du champ doit être investie. Notre logique consiste à équiper les professeurs mais aussi à les outiller intellectuellement. Ce dispositif a vocation à s'étendre à d'autres départements selon les résultats de ces expériences.
Le deuxième dispositif est le plan d'équipement des écoles primaires dans le cadre du plan de relance. Je laisse mon adjoint vous en dire un mot.
M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales. - Dans le cadre du plan de relance, la direction du numérique pour l'éducation pilote un plan visant à identifier les territoires les plus en difficulté et en retrait en termes d'équipements numériques. La mobilisation d'une partie des crédits du plan de relance garantit un appui de l'État aux collectivités concernées. Nous ne sommes pas encore dans la phase active, mais une ligne du plan de relance est prévue et sera activée progressivement, en collaboration les collectivités.
Mme Monique Lubin, rapporteur. - Dans mon département, les Landes, les élèves des collèges (3ème et 4ème) sont dotés en ordinateurs depuis 20 ans. Au départ, les enseignants y résistaient fortement, notamment en lien avec la question de la numérisation des livres des matières enseignées. Y a-t-il eu des améliorations en la matière ?
M. Édouard Geffray. - La transition culturelle est antérieure à la crise du Covid. La crise a cependant accéléré le changement avec l'introduction de nouveaux dispositifs tels que « ma classe à la maison » du CNED ou les cours en visioconférence. L'offre de service proposée est, à mon sens, unique dans sa diversité et dans sa complétude.
L'autre aspect porte sur les ressources et la formation. Nous avons un opérateur de formation continue pour le numérique, Canopé. Pendant le confinement, 125 000 professeurs se sont inscrits en auto-formation et plus de 200 000 professeurs se sont formés via cet opérateur entre mars 2020 et mars 2021, soit quasiment un professeur sur quatre. Le goût et l'appétence envers le numérique existent donc. Davantage de ressources numériques doivent être disponibles, notamment des logiciels. L'outil « apps éducation » permet aux professeurs de retrouver gratuitement une série de logiciels et de ressources directement utilisables en classe.
Trois piliers centraux sont à considérer : l'accès aux équipements, la formation et l'appropriation de nouvelles techniques pédagogiques liées au numérique, l'accès gratuit à des logiciels pour les professeurs. Telle est donc notre approche à ce jour. Je suis résolument optimiste sur ce point.
M. Jacques Grosperrin. - Ma première question concerne la loi sur l'école obligatoire à 3 ans. Je ne suis pas persuadé que ce changement sera significatif, sachant que 97 % des enfants concernés sont déjà scolarisés. Un vrai plan maternelle, qui s'inspire du modèle finlandais, paraît beaucoup plus pertinent. Le système scolaire français peine à prendre en charge efficacement les jeunes en grande difficulté. Le dédoublement est une idée intéressante mais insuffisante car tout est déjà joué avant 6 ans.
Par ailleurs, de nouvelles réflexions autour des indices en termes d'égalité des chances doivent être menées. Outre le classement des établissements scolaires permis par l'indice de position sociale (IPS), des facteurs tels que l'origine socioprofessionnelle, l'origine culturelle et la profession de la mère pourraient être considérés.
La réforme actuelle des concours de la fonction publique, entre autres de l'ENA et des lycées d'excellence, est intéressante. Les collèges d'excellence doivent aussi être généralisés partout en France afin de limiter au maximum l'effet de « plafond de verre ». Quelles sont les actions menées sur ce point ? Pourquoi le ministère de l'éducation nationale n'est-il pas sollicité sur cette réforme des concours ?
Enfin, ma dernière question concernait notre difficulté « endémique », soulignée par les enquêtes PISA de l'OCDE, à améliorer la prise en compte des élèves les plus en difficulté, alors que notre système scolaire a plutôt de bons résulats, en moyenne, par rapport aux autres pays.
M. Édouard Geffray. - Sur les 3-6 ans, le taux de 97 % d'élèves scolarisés qui ne sont pas concernés par l'obligation de scolarité induit que 30 000 à 40 000 élèves sont concernés. L'absence de cette obligation équivaudrait à fermer toutes les écoles maternelles dans des départements comme l'Oise ou la Haute-Savoie. Ce chiffre est significatif à l'échelle d'une génération. Nous voulons tenir cette promesse collectivement.
Je vous rejoins totalement sur l'importance du niveau « maternelle ». Les travaux commencés l'année dernière incluent la grande section, le CP et le CE1. Ils ont aussi porté sur les repères de progression en mathématiques, en français et en éducation morale et civique, du CP à la 3ème dans un but d'information auprès des parents. Statistiquement, une amélioration du niveau entre le CP et le CE1 apparaît. Les évaluations sur les 6ème montrent une amélioration constante des résultats depuis 3 ans, en dépit du Covid. Cette tendance longue est susceptible de réduire, et de vaincre à terme, cette fatalité des 20 % élèves arrivant en 6ème sans savoir parfaitement lire, écrire ou compter.
En revanche, jusque l'année dernière, le niveau d'entrée en CP ne connaissait que très peu de variation, notamment en éducation prioritaire. Le plan « je rentre en CP », lancé l'an dernier et déployé actuellement à grande échelle, vise à mieux partager les exigences pédagogiques et le type d'apprentissage en maternelle. Un ensemble de guides sont publiés par le ministère, dont l'un, le plus téléchargés sur le site d'Eduscol par les professeurs, a pour thème l'acquisition du vocabulaire en maternelle. Réfléchir à la manière de diversifier très tôt le vocabulaire d'un enfant pour l'aider à appréhender le monde à l'âge pertinent, constitue le plein coeur de notre travail. Le Conseil supérieur des programmes a émis la semaine dernière des repères sur les apprentissages en maternelle, qui seront mis en consultation et publiés en vue de la prochaine rentrée.
Les IPS sont un point extrêmement important. Les modèles d'allocation des ressources au niveau national dans les académies, les établissements et les écoles, ont été enrichis ces deux dernières années. Un indice d'éloignement a ainsi été intégré et prend en compte l'éloignement de la structure scolaire pour l'élève en termes de transports.
M. Christophe Géhin. - Nous pouvons citer également l'éloignement des infrastructures culturelles et sportives, ainsi que des établissements d'enseignement supérieur.
M. Édouard Geffray. - Ces critères permettent l'allocation de moyens supplémentaires, le renforcement des dispositifs et des ambitions.
Le Président de la République et le ministre souhaitent la généralisation des internats d'excellence avec, au minimum, un établissement par département.
Pour la réforme des concours de la fonction publique, et plus généralement de l'enseignement supérieur, nous ne sommes pas absents des réflexions interministérielles sans pour autant en être les pilotes. Des effets de rétroaction jouent. En effet, les jeunes dont nous avons la responsabilité seront les futurs candidats et ils doivent avoir la chance de se projeter très tôt sur des métiers, y compris des métiers de fonction publique.
Deux dispositifs sont mis en place par les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les parcours préparatoires au professorat des écoles seront ouverts dans les lycées de 24 académies à la rentrée 2021. Ces classes préparatoires sont en lien avec l'université, avec une transition progressive sur trois ans, dont une première année en lycée, une deuxième année mixte et une troisième année en université. Le but est d'accompagner des élèves manifestant le désir de suivre ce parcours mais en situation économique peu favorable.
La préprofessionnalisation a été lancée en 2019 et fonctionne très bien. Dès la 2ème année de licence, les étudiants boursiers peuvent découvrir le métier de professeur, à raison de 6 à 8 heures par semaine jusqu'au concours. Le parcours inclut l'observation, la participation aux « devoirs faits », une prise de responsabilité de groupes puis en classe. L'étudiant est rémunéré et cette rémunération est cumulable avec des bourses. La trajectoire est professionnellement accompagnée et financièrement sécurisée, potentiellement jusqu'à la fin de ses jours s'il rentre dans la fonction publique et reste professeur toute sa vie.
M. Laurent Somon. - Je souhaite d'abord souligner les efforts faits en matière de réussite scolaire et de ses dispositifs.
Madame Lubin et vous-même évoquiez votre attachement à la différenciation territoriale. Dans la Somme, les taux d'illettrisme sont largement supérieurs à la moyenne nationale. Malgré un rapport professeurs pour cent élèves supérieur à la moyenne nationale, la fermeture des classes donne souvent lieu in fine à des moyennes d'élèves par classe plus élevées qu'initialement. Il faudrait profiter d'une baisse de la natalité sur ces territoires pour, d'une part éviter la suppression de postes et de classes, d'autre part permettre le dédoublement systématique des CP-CE1 et de la grande section. Quels sont les traitements différenciés existants sur les territoires les plus marqués par ces problèmes d'illettrisme ?
Bien que les résultats scolaires en milieu rural soient aussi bons qu'en milieu urbain, les zones rurales connaissent un décrochage plus important après le collège. Nous avons deux internats d'excellence dans la Somme qui peinent à se remplir. Comment donc donner l'appétence à des jeunes venant de milieux sociaux en difficulté de poursuivre leurs études, d'aller en internat puis d'intégrer des formations qui correspondent à leur souhait propre ? Le mentorat est-il un dispositif réparti sur l'ensemble du territoire national ou est-il encore expérimental ?
Vous n'avez pas du tout évoqué les méthodes pédagogiques. Des réflexions sur des expérimentations qui marchent mieux et bien à l'étranger sont-elles menées au niveau territorial ou au niveau national ?
M. Édouard Geffray. - Il est d'usage de ne pas « reprendre la démographie », comme nous le disons dans notre jargon, c'est-à-dire de ne pas coller à une baisse démographique pour adapter le nombre de postes, d'où la situation critique actuelle. Dans le premier degré, des postes ont été créés dans toutes les académies alors même que certaines académies présentaient une démographie en chute libre. Le solde de création de poste est donc toujours positif. En mars-avril 2020, au moment du Covid, les révisions de la carte par le gouvernement ont abouti à la création de 1 248 équivalents temps plein en zone rurale au sens large, incluant toutes les villes de moins de 5 000 habitants et leurs alentours.
Les disparités en termes de résultats apparaissent principalement entre la fin du collège et l'entrée au lycée. Plusieurs leviers d'action permettent de créer l'appétence pour la poursuite des études.
Le panel d'offres de formations dans les lycées général et technologique a été repensé et élargi avec la mise en place de la carte des spécialités. 93 % des lycées proposent au minimum les sept spécialités les plus choisies. Dans l'ancien Bac, 84 % des lycées avaient seulement trois filières (S, ES, L).
Le deuxième levier est la carte de formation qui relève des régions, en lien avec le rectorat. Comment faire pour implanter des formations attractives de manière équilibrée sur un territoire ? Une « conférence diplôme » a été lancée afin de réexaminer les diplômes dans certains secteurs (aide à la personne, numérique, etc.), les mettre à jour et faire apparaître de nouveaux besoins (le numérique et le cyber) et permettre leur implantation sur le territoire.
Par ailleurs, je partage le constat sur la nécessité de remplir les internats. Le réel travail à accomplir est celui auprès des familles qui s'inquiètent de son coût financier. Le solde forfaitaire a été maintenu mais une part progressive a été renforcée en fonction de l'échelon de bourse. Un boursier échelon 6 ne coûte donc rien à sa famille s'il décide d'aller en internat. La bourse d'internat et les autres dispositifs existants prennent l'intégralité des dépenses en charge. Notre travail est à présent de faire connaître cette évolution.
L'accompagnement et le mentorat individuel doivent bénéficier à un maximum de jeunes car cette approche fonctionne. Des associations sont fortement impliquées dans le monde rural, à l'instar de l'association Chemins d'avenirs qui met en relation les jeunes avec des mentors dans le milieu professionnel.
La dimension pédagogique est essentielle pour l'acquisition des fondamentaux. Nous avons lancé un plan « mathématiques », dit « Villani-Torossian », et un plan « français ». Ils consistent, sur une période de 6 ans, à former tous les professeurs des écoles sur des approches pédagogiques en mathématiques et en français. Des constellations ou groupes de 6 ou 8 professeurs travaillent ensemble selon les besoins identifiés de leurs élèves ou les besoins révélés par les évaluations nationales en termes d'acquisition des compétences. Chaque année, 16 % des professeurs de français et 16 % des professeurs de mathématiques sont formés dans le cadre de ces constellations, dont les référents sont des conseillers pédagogiques de circonscription. Devenir référent en mathématique ou en français requiert 24 jours de formation. C'est un effort considérable avec des formations lourdes d'au moins 5 ou 6 jours dans l'année pour les professeurs. Cette dimension pédagogique est le levier principal et je ne peux que saluer l'investissement de ces professeurs.
M. Jean Hingray, président. - Je dois vous quitter, en raison d'une obligation, et remercie Laurent Burgoa, vice-président, d'assurer la présidence de la fin de notre réunion. Je vous remercie pour vos interventions très intéressantes et donne la parole à notre rapporteure.
- Présidence de M. Laurent Burgoa, vice-président -
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Vous avez évoqué la formation des professeurs. La situation des professeurs des écoles dans les zones urbaines sensibles reste un sujet très délicat.
J'ai reçu récemment un professeur des écoles qui travaille en région parisienne depuis environ 15 ans. Ses premières années dans des secteurs difficiles l'ont épuisé. Il aspire à une mutation professionnelle qu'il aura très difficilement du fait de la lourdeur des critères de mutation. Ces conditions contribuent à décourager des jeunes qui souhaiteraient aller vers le professorat des écoles mais auxquels des professeurs plus âgés expliquent la difficulté d'enseigner aujourd'hui. Quelque part, ils se sentent aussi dans une certaine solitude et cet ensemble de conditions décourage des vocations.
Quelles dispositions sont-elles prises afin d'accompagner ces professeurs des écoles qui commencent leur carrière pour la plupart dans des secteurs difficiles ? Je parle de motivations financières mais aussi d'accompagnement dans l'exercice de leur profession, dans leur relation avec les parents et avec des élèves jeunes et déjà en difficulté. Comment éviter qu'ils se sentent bloqués sur des zones géographiques dont ils aimeraient sortir ? Je ne me fais pas la porte-parole des enseignants mais chacun aspire à un parcours professionnel heureux. Ma question comprend donc deux volets, respectivement celui de l'accompagnement des élèves mais surtout des enseignants.
Vous le savez mieux que moi car vous êtes très bien investis de votre mission, c'est évident. Cependant certains nous racontent des parcours extrêmement difficiles. Il faut le dire.
M. Édouard Geffray. - Ce sujet est en effet loin d'être simple.
Deux représentations contradictoires se confrontent. La première montre la rapidité du turnover des professeurs et leur départ précipité des écoles les moins favorisées. La deuxième reflète la peur des jeunes professeurs de rester bloqués dans des zones sensibles.
La durée d'ancienneté moyenne en poste est un critère intéressant. L'écart n'est pas significatif entre les écoles des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les écoles hors QPV. Ainsi, la durée d'ancienneté est inférieure d'un an seulement pour les premières. Un équilibre doit être trouvé entre la stabilité de l'équipe et la mobilité personnelle.
En termes d'accompagnement des enseignants, la rémunération est importante. Un professeur en REP touche une prime de 2 400 euros par an, contre 4 400 euros en REP+, ce qui représente une reconnaissance intéressante pour des jeunes professeurs en début de carrière.
L'exercice dans des conditions difficiles, sur des missions particulières dans des environnements spécifiques, aura des conséquences à long terme sur la carrière. Ces professeurs feront partie du « vivier 1 » qui a vocation à intégrer la « classe exceptionnelle » en troisième partie de carrière, avec une perspective de carrière très ouverte en termes de rémunération et d'avancement.
Pour préparer les enseignants au face à face avec les élèves et les familles, un travail considérable est engagé depuis deux ans avec les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ) et la conférence des présidents d'universités, sur le thème de la formation initiale et continue des professeurs. À la suite d'une formation à l'INSPÉ et de la possibilité, pour l'étudiant, de réaliser un stage en alternance au sein de l'éducation nationale, le titularisé rentre ensuite immédiatement dans une logique de formation continue qui doit coïncider in fine avec la formation initiale. Par exemple, un besoin de complément de formation en gestion de conflit en formation initiale sera comblé grâce à la formation continue. La formation continue est ainsi adaptée et répond aux besoins. Nous mettons actuellement ce dispositif en place.
Enfin, les professeurs doivent disposer d'espaces de travail commun, quel que soit le niveau d'enseignement. Pouvoir travailler avec six ou huit collègues de manière dédiée durant cinq jours dans l'année, sur le modèle des plans « français » et « mathématiques », aller dans la classe des autres professeurs, faire venir le collègue dans sa classe, sont autant d'outils qui participent de cette construction.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - Il est réjouissant de voir que l'utilité d'une formation des maîtres d'école est reconnue à nouveau. Pendant plusieurs années, les maîtres étaient envoyés quasiment sans formation auprès des élèves, ce qui était catastrophique.
Mme Michelle Meunier. - Votre réflexion portant sur le langage en maternelle m'amène à souligner les inégalités d'apprentissage. Certains enfants, à 3 ans, maîtrisent trois cents mots quand d'autres en connaissent mille. Boris Cyrulnik souligne très bien l'importance du milieu de l'enfant qui est d'autant plus déterminante que l'apprentissage en lui-même. Notre mission devra s'intéresser à ces inégalités.
Mme Monique Lubin, rapporteure. - CE sera bien le cas. La présentation de ce matin m'a beaucoup apporté. Vous avez été très concret et vous avez développé plusieurs d'axes sur lesquels nous pouvons partager.
Cependant, malgré tous les dispositifs mis en place ces dernières années, le déterminisme social n'a jamais paru aussi présent et davantage d'enfants semblent être en grande difficulté.
M. Édouard Geffray. - Qualifier la situation actuelle est compliqué. En revanche, je peux vous certifier que cette lutte contre les déterminismes sociaux est notre combat. Un des enjeux majeurs est d'éviter les ruptures de continuité, d'où ma présentation en termes de parcours. L'élève a besoin de conditions d'apprentissage adaptées dès l'élémentaire, même si à ce stade, il ne se pose pas encore de questions sur son avenir. Il a besoin d'interlocuteurs en 4ème et en 3ème lorsqu'il commence à chercher sa voie. Il doit pouvoir choisir ce qui lui correspond au lycée. S'il décroche, il doit être rappelé à son obligation de formation et être soutenu. Si nous parvenons à raccrocher tous les wagons et à faire en sorte que l'élève ne s'aperçoive pas qu'il passe d'un wagon à l'autre, alors nous avons gagné. Chaque fois qu'un effort est nécessaire pour l'amener d'un wagon à l'autre, nous le perdons.
M. Laurent Burgoa, président. - Je tiens, au nom de tous, à vous remercier Monsieur le directeur général, ainsi que votre adjoint, pour votre présence et vos propos très constructifs qui enrichissent notre réflexion.
L'audition de Monsieur Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, délégué interministériel à la jeunesse, initialement prévue cet après-midi, a été annulée. Nous avons tous déjà reçu un rectificatif à la convocation.
La prochaine réunion plénière aura lieu le jeudi 1er avril à 11 heures. Nous entendrons l'Agence nationale de la cohésion des territoires sur ses actions en matière d'égalité des chances.
Madame Monique Lubin procédera à des auditions en format rapporteur mardi et jeudi après-midi de la semaine prochaine. Il est possible à tous les membres de la mission d'assister à ces auditions ou de les suivre en visioconférence. D'autres auditions en format rapporteur sont prévues au mois d'avril sur les thèmes que la mission a identifiés : les politiques de l'enfance et de soutien à la famille, les actions dans le domaine scolaire et l'orientation, l'encadrement et l'accompagnement des jeunes hors école et famille, l'insertion sociale et professionnelle. Le programme de ces auditions vous sera communiqué régulièrement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 45.