Jeudi 25 mars 2021
- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures 35.
Audition de M. Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d'État
Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le Vice-président, je vous adresse mes chaleureux remerciements pour avoir répondu positivement à mon invitation. Je suis heureuse de vous accueillir pour cette audition. Je salue M. Rémi Bouchez, président de la section de l'administration, et M. Francis Lamy, président adjoint de la section de l'Intérieur du Conseil d'État, qui vous accompagnent. Notre délégation cite régulièrement le Conseil d'État dans les discussions et nous sommes ainsi ravis de vous recevoir.
Comme vous le savez, le président et le bureau du Sénat nous ont confié la mission de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Cette mission, qui nous tient à coeur ainsi qu'aux élus, est sans borne et n'est pas simple. Notre collègue Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation, en est le principal responsable. Nous cherchons ainsi à identifier, évaluer et faire progresser la norme. En effet, une société ne peut évoluer sans normes et sans règles, mais elles doivent être justes et pertinentes.
Des travaux sur le sujet ont déjà été menés, notamment la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme, portée par Rémy Pointereau à la suite d'un rapport sur les dispositions en matière d'urbanisme. À l'heure actuelle, environ 80 % des dispositions émises dans la proposition de loi sont intégrées dans le corpus juridique. De plus, le Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs avait été voté à l'unanimité par le Sénat. Par ailleurs, un certain nombre de dispositions de simplification ont été injectées dans la loi ELAN. Via la rédaction d'un rapport et d'une résolution du Sénat, nous avons encouragé le Gouvernement à élargir significativement le droit de dérogation aux normes des préfets. Nous avons adressé récemment un courrier au Premier ministre pour connaître les avancées de ce travail, mais nous n'avons pas reçu de réponse à ce jour.
Nous avons également réalisé un sondage sur les priorités des élus locaux, conçu sur la base d'un échantillon représentatif. Ce sondage confirme que la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales est une des préoccupations des élus.
Ce dossier de simplification des normes doit être rouvert autour de deux axes. Premièrement, nous devons privilégier des mesures systémiques plutôt que des mesures ponctuelles, souvent peu visibles et ayant peu d'impact sur la nature du problème. Nous souhaitons mettre en place une culture de la fabrique de la loi, du règlement, de la précaution, de la solution et de la capacité à mener des actions, plutôt qu'une culture de la loi contraignante contrevenant aux besoins d'action et d'intérêt général. Deuxièmement, nous souhaitons privilégier l'amont de la production normative plutôt que l'aval. Nous manquons de pertinence quant à l'évaluation préalable de la norme.
De son côté, le Conseil d'État a mené divers travaux - remarquables - sur l'étude annuelle de la simplification du droit. Nous attendons vos retours sur le bilan de la mise en oeuvre de cette étude, qui comportait vingt-sept propositions autour de la responsabilisation des acteurs publics, de la maîtrise de l'emballement de la production normative et de la facilitation de l'application de la norme. De plus, avec le secrétariat général du Gouvernement (SGG), vous avez produit un référentiel de la mesure de la norme. Nous serions ravis de connaître les actions menées en lien avec vos autres propositions et les observations liées au bilan.
Je pense notamment à votre idée de soumettre les politiques de simplification à des examens indépendants et transparents, avec une certification indépendante des études d'impact, ou la création d'un conseil unique d'évaluation des normes, doté de trois collèges représentant les usagers, les entreprises et les collectivités territoriales.
Je pense aussi à votre recommandation sur l'évaluation ex post des textes, en faisant appel aux clauses de réexamen pour les lois et ordonnances.
En somme, nous disposons d'un certain nombre d'outils qui permettraient de nous améliorer collectivement. Toutefois, une culture tacite nous empêche d'avancer sur la formulation de normes vertueuses.
Je termine cette introduction en rappelant notre consultation nationale réalisée auprès d'élus locaux, autour des cinquante propositions du Sénat adressées en faveur des libertés locales. Cette consultation a rencontré un vif succès (plus de 3 000 réponses) et place cette étude en seconde position des consultations effectuées par notre délégation. Toutes nos propositions recueillent des résultats positifs à hauteur de 75 %. Les propositions de simplification des normes sont les plus plébiscitées, puisqu'elles sont approuvées à plus de 90 %.
Je rappelle deux éléments ayant recueilli un plébiscite :
- l'intégration, dans les programmes de formation des élèves fonctionnaires de l'ENA, de modules sur la simplification législative, réglementaire et administrative. Nous aimerions ainsi introduire une culture de l'efficacité et de la norme « utile ». Nous recevrons le 6 mai prochain les directeurs de l'ENA et de l'INET à ce propos ;
- la mise en place d'une instance de concertation, permettant d'arbitrer au niveau local les décisions des services de l'État, qui sont parfois contradictoires et ralentissent les acteurs.
Nous devons partager tous ensemble une haute ambition en matière d'efficacité et de sécurité de l'action publique. Cette sécurité ne peut toutefois contrarier la nécessité d'agir.
Enfin, je vous rappelle que cette audition est filmée et diffusée sur le site internet du Sénat. Compte tenu des diverses obligations, certains collègues suivront la réunion par visioconférence.
M. Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d'État. - Merci, Madame la présidente. Le Conseil d'État se réjouit de discuter avec vous au sujet de la simplification des normes, et notamment des normes applicables aux collectivités territoriales.
Le Conseil d'État est confronté à l'empilement et l'obscurité des normes au cours de ses missions. Il occupe :
- la fonction de juge suprême de la juridiction administrative. Le Conseil d'État traite en dernier ressort les litiges entre les personnes privées et publiques. 10 000 requêtes lui sont transmises chaque année, dont 15 % directement envoyées au Conseil pour des actes importants. Par ailleurs, la jurisprudence, qui définissait des principes, devient de plus en plus interprétative. Ainsi, le Conseil d'État doit donc confronter les normes, lisser les contradictions, et éclairer les zones d'ombre, afin de déterminer le sens de la norme et dégager un mode d'emploi concret ;
- la fonction consultative. Le Conseil d'État examine les ordonnances, les projets et les propositions de loi (depuis la réforme constitutionnelle de 2018). En tant que conseil indépendant, il donne un avis sur la conformité des initiatives gouvernementales ou parlementaires au droit ;
- la fonction d'étude, de propositions et de diagnostics, qui me tient à coeur. Le Conseil d'État accumule de l'expérience. Il peut ainsi faire le diagnostic de ce qui fonctionne ou non dans la gouvernance publique et dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Suite à cette étude, il peut émettre des propositions ;
- la fonction de gestionnaire de l'ensemble de la juridiction administrative (42 tribunaux administratifs, bientôt 9 cours administratives d'appel et la Cour nationale du droit d'asile). Le Conseil est confronté à la réalité vécue par les tribunaux administratifs et à l'interprétation locale de la norme. Cette interprétation est d'ailleurs souvent discutée lors des visites de juridiction que j'effectue mensuellement.
La simplification du droit est une préoccupation constante du Conseil d'État. Au titre de sa fonction d'étude, le Conseil d'État a publié trois rapports.
Le premier fait suite à un rapport publié vingt-cinq ans auparavant, célèbre pour l'utilisation du terme « lois bavardes », et une autre étude annuelle publiée dix ans auparavant consacrée à la sécurité juridique.
En 2016, le Conseil d'État a réfléchi à la simplification et la qualité du droit, puisque ce sujet est également démocratique. En effet, notre démocratie est en perpétuelle recherche de confiance. Sans la possibilité de déterminer les responsables, les Français ne sont pas en mesure d'apprécier l'action de ces personnes publiques et donc d'avoir confiance. Pour cultiver la confiance, la norme doit être claire, lisible et doit orienter les comportements des Français.
En toute transparence, je crois profondément que nous vivons une crise de la norme, alors que la France est un des pays croyant le plus aux vertus de la norme, à son rôle dans la conduite des politiques et dans l'orientation des comportements. C'est un trait culturel français. Aujourd'hui, la norme n'a plus la capacité de réguler notre pays et orienter les comportements.
Par exemple, si nous souhaitons améliorer la qualité des services rendus dans les établissements publics (écoles, établissements de santé et autres), nous pourrions produire une norme instaurant un standard de qualité minimale. Ce faisant, nous devrions mettre en place un contrôle avec des inspecteurs, pour vérifier le respect de ces normes dans chaque établissement. Toutefois, ce processus est coûteux et peu visible.
De plus, aujourd'hui, avec l'open data, un site pourrait comparer et publier les performances des divers établissements grâce à une collecte des données. La publication de ce benchmark complet est plus efficace que les normes pour orienter les comportements et stimuler la qualité des services.
L'accumulation de normes et la perte de leur lisibilité réduisent l'influence de la norme sur les comportements. Les Français n'ont plus confiance dans la stabilité de la norme compte tenu de son changement incessant. Alors que la société nécessite des normes et des règles pour fonctionner, la norme est concurrencée par une série de méthodes et d'actions publiques parfois plus efficaces.
L'étude annuelle 2016 reposait sur un constat. Des efforts indéniables ont été menés et résultent de la construction de dispositifs pérennes, avec notamment un effort de rationalisation des procédures normatives. Des programmes de simplification ont été lancés en ce sens. Un membre du gouvernement est ainsi chargé de la simplification des normes. De plus, des dispositifs facilitant l'accès au droit ont été mis en place, le processus de codification a été renforcé et les téléservices ont également été installés.
Toutefois, dès 2016, le Conseil d'État a constaté le bilan décevant de ces efforts. Face à ce constat et pour réaliser ce « changement de culture normative », le Conseil d'État a émis vingt-sept propositions autour de trois objectifs :
- responsabiliser les décideurs publics, qui sont les acteurs de la simplification. Chaque décideur doit s'approprier cette culture et cet objectif de la simplification des normes ;
- maîtriser l'emballement de la production normative, en disciplinant les procédures normatives (ordonnances de simplification et programmation plus stricte du travail gouvernemental) ;
- faciliter l'application de la norme en allant plus loin dans la codification à droit constant, en étendant les dispositifs de guichet unique et en renforçant les procédures de dialogue entre l'administration et le public.
Cinq ans après cette étude, nous pourrons dresser un bilan des propositions.
En 2019, faisant suite à un groupe de travail, un rapport sur les expérimentations a été publié, avec pour réflexion principale : « Comment innover dans la conduite des politiques publiques ? ». La France expérimente ses normes de manière considérable. Avant sa publication, une norme est expérimentée sur un échantillon représentatif, puis est évaluée, voire éventuellement corrigée avant de la généraliser. Deux types d'expérimentation sont menés, respectivement des expérimentations normatives et des expérimentations éloignées de la norme.
Cette étude dresse, pour la première fois, le bilan de toutes les expérimentations menées en France. La variété des sujets expérimentés est mise en avant, puisque presque toutes les politiques publiques sont expérimentées. Dans cette étude, nous proposons un guide pratique pour tirer le meilleur parti des expérimentations. Nous avons également consacré une partie de l'étude à l'expérimentation au niveau local. D'après le Conseil, l'expérimentation représente un gisement de simplification ou d'amélioration des normes. Nous sommes convaincus que les collectivités territoriales peuvent contribuer à la simplification ou l'amélioration des normes, si elles ont la possibilité de mettre en place leurs propres expérimentations.
L'étude de 2020, « Conduire et partager l'évaluation des politiques publiques », s'intéresse à l'évaluation des politiques publiques avant, pendant et après leur mise en oeuvre. Cette étude émet une série de propositions, puisque des progrès sont à mener dans l'évaluation préalable. En effet, une fois que nous constatons un problème en France, nous avons tendance à nous réfugier dans la norme. Notre solution aux problèmes est de changer, adapter, corriger la norme, alors que très souvent nous faisons face à un problème de moyens ou à un manque d'informations.
Ainsi, nous recommandons d'étudier les options (comparaison des avantages et inconvénients de chaque solution), au lieu de se précipiter vers la solution normative. Nous avons émis des propositions pour renforcer l'évaluation ex post, c'est-à-dire vérifier a posteriori que les objectifs ont été atteints. Cette action prend appui sur une mise en réseau plus efficace des personnes contribuant à l'évaluation, en définissant des programmes d'évaluation. En outre, à mon avis, nous devrions réaliser moins d'évaluations, mais qu'elles soient plus pertinentes. De plus, nous devrions peut-être choisir les sujets pour lesquels nous expérimentons au lieu de nous disperser.
La simplification guide le Conseil d'État dans ses activités consultatives. Lorsque nous examinons des décrets, des projets de loi et des ordonnances, nous attachons une attention particulière à la clarté, la précision des termes, l'intelligibilité, l'accessibilité et la cohérence de la norme (son intégration dans l'ordre juridique), ainsi qu'à sa capacité à atteindre les objectifs recherchés.
Nous examinons attentivement les études d'impact, leur qualité, complétude et sincérité pour savoir si les études éclairent le législateur. En outre, une fois la loi délibérée par le Conseil des ministres, nous vérifions également la présence d'indicateurs. En effet, pour évaluer, nous devons connaître les objets à évaluer et la temporalité pendant laquelle les données seront mesurées.
Toutefois, nous faisons face à un problème. Le Conseil d'État examine de moins en moins de normes. En effet, en 2021, en France, le coefficient multiplicateur (i.e. la différence entre la loi adoptée par le Conseil des ministres - et donc soumis au Conseil d'État - et la loi publiée) s'élève à 3,3 contre 1,2 pour les grandes démocraties parlementaires européennes. Ainsi, pour vingt lois adoptées par le Conseil des ministres, soixante-cinq seront publiées dans le Journal Officiel. Or, les quarante-cinq articles supplémentaires ne sont pas soumis à la même discipline de sécurité juridique et d'examen du Conseil d'État, puisqu'ils ne sont pas étudiés par le Conseil.
Pour pallier le problème, la révision constitutionnelle de 2008 a permis aux parlementaires, avec l'accord du président de leur chambre, de nous soumettre des propositions de loi. Ces dernières sont étudiées comme un projet de loi. Par exemple, nous venons d'examiner une proposition de loi de Mme Laure Darcos sur l'économie du livre. Le dialogue mené entre les parlementaires et du Conseil d'État renforce cette activité du conseil au service du parlement, je m'en réjouis.
Par ailleurs, aujourd'hui, le gouvernement n'est pas le seul acteur majeur de la fabrication de la norme.. Ainsi, en ajoutant les ordonnances aux projets et propositions de loi, le Conseil d'État examine 50 % de la production normative. Il ne peut ainsi exercer son travail de simplification sur l'ensemble de la norme.
En outre, s'agissant de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, je me réjouis de vos réflexions. La première a trait au principe de libre administration des collectivités territoriales. Vous tenez à ce principe, tout comme le Conseil d'État et les Français. Ce principe est intégré dans notre Constitution et fonde la démocratie locale. Toutefois, il modifie la répartition des compétences entre la loi et le règlement, et conduit à la hausse de la part respective de la loi.
Ce gonflement normatif s'est accompagné d'une complication des textes législatifs relatifs aux collectivités territoriales, qui entrent davantage dans le détail et complexifient les textes. Le code général des collectivités territoriales en est la preuve.
Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) peut jouer un rôle dans la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Le Conseil d'État veille à recevoir l'avis du CNEN avant d'examiner les textes. Nous regrettons parfois qu'une partie de ces avis ne soit pas motivée. Sur certains sujets, le CNEN produit un effort important de motivation de l'avis. Toutefois, faute de moyens et de temps, l'avis est souvent bref et peu motivé, et ne permet pas de comprendre ou définir des solutions alternatives.
Concernant les collectivités territoriales, il est également difficile de concilier l'objectif de simplification de la norme, avec leur demande de liberté et de plus grande différenciation. Les collectivités territoriales souhaitent être moins limitées par la réglementation nationale. Je le conçois. La diversité des territoires doit être visible dans la norme. Le Conseil d'État a rendu plusieurs avis en ce sens, comme :
- l'avis du 7 décembre 2017 au sujet de la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie. Grâce à cet avis, en donnant une plus grande souplesse dans la modulation des compétences des collectivités territoriales, le principe de subsidiarité gagnerait en effectivité. La démocratie locale en serait également renforcée ;
- l'avis du 20 juin 2019 sur le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique ;
- l'avis du 16 juillet 2020 sur le projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution. Ce projet de loi fait suite à l'avis de 2017 et à l'étude sur l'expérimentation. Il est en cours d'examen par le Conseil constitutionnel. Dans cet avis, le Conseil d'État a rappelé que le principe d'égalité est différent du principe d'uniformité, qu'il ne fait pas obstacle à des adaptations de la norme pour des réalités territoriales diverses, et qu'une expérimentation préalable n'est pas toujours obligatoire.
Enfin, l'assemblée générale du Conseil d'État a rappelé que les expérimentations permettent de mettre en mesure le législateur et le gouvernement de faire évoluer les dispositions régissant l'exercice des compétences des collectivités territoriales, pour donner une portée effective au principe de subsidiarité.
Pour finir, j'attire votre attention sur la distinction entre la simplification et la différenciation. Parfois, la règle unique est plus courte, alors que la règle différenciée - en distinguant les cas, les catégories et les collectivités - sera plus complexe. Les objectifs et le point de vue adopté lors de la simplification doivent être clairs. La simplification n'a pas la même portée, s'il est question d'un usager, d'une entreprise ou d'une collectivité territoriale. La difficulté réside dans l'atteinte d'un équilibre le plus satisfaisant entre ces deux objectifs.
Je m'excuse pour ma longue présentation. Je vous remets les études. Mes collègues et moi sommes à disposition pour répondre à vos questions.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie pour votre propos. Nous partageons tous le désir et la volonté d'être utiles. Nous souhaitons accompagner l'efficacité et la réussite de l'action publique.
J'admets que la loi est bavarde, alors que sa sobriété garantit parfois une meilleure efficacité. Vous avez souligné la différence de longueur entre un texte proposé par le Conseil des ministres et le texte publié. Toutefois, le texte nous étant soumis est parfois lacunaire et nous le complétons à bon escient.
Par ailleurs, lors des débats au Sénat sur le projet de loi relatif à l'expérimentation, nous avons été particulièrement exigeants quant à la procédure d'évaluation. Nous avons réintroduit l'évaluation dans le projet de loi, puisque l'évaluation après l'expérimentation est indispensable. Ces deux éléments garantissent une meilleure réussite de la loi, puisque l'évaluation étudie l'impact réel de la norme.
En outre, nous connaissons les grandes qualités du CNEN et de son président. Toutefois, l'évaluation pour examen par le CNEN est produite par des ministères réalisant la loi. Ce conflit d'intérêts - moral - pose quelques difficultés.
M. Rémy Pointereau. - Le Sénat se préoccupe de l'accumulation des normes depuis sept ans, puisque le président Larcher a donné en 2014 cette compétence d'étude de la norme à notre délégation. Avec des collègues, nous avons réalisé la simplification de la loi de l'urbanisme. Nous avons également suivi le texte sur la transition écologique. Me concernant, j'ai proposé une loi constitutionnelle, puisque je pense que nous n'aurons pas d'autre recours pour imposer la simplification. Cette loi porte trois principes :
- « one in one out » : la création d'une norme s'accompagne de la suppression d'au moins une norme ;
- « qui décide paie » ;
- interdiction des surtranspositions européennes.
Le législateur a une part de responsabilité, puisque nous triplons le nombre d'articles des textes nous étant soumis. Toutefois, l'exécutif propose de légiférer deux à trois fois plus que les pays européens. Ainsi, nous multiplions d'autant plus le volume de lois. Nous devons nous interroger sur le nombre de projets de loi soumis. Le principe de précaution a probablement influencé cette euphorie normative. Il a ajouté de la norme à la norme. Nous devons trouver une solution pour réduire ce processus.
En outre, la norme provient également de la haute administration. Ces acteurs ont besoin de formation à la simplification. Un changement dans la culture professionnelle des administrations centrales doit être opéré. En effet, ces acteurs ne doivent pas seulement produire de la norme. Ainsi, comment pouvons-nous réduire la propension des fonctionnaires de l'administration centrale à normer et réglementer ? Comment faire évoluer cette culture professionnelle marquée par le juridisme ? Comment adapter les cursus de formation ?
Par ailleurs, par les cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, nous proposons de renforcer les pouvoirs du CNEN, de telle sorte que le gouvernement serait obligé de tenir compte d'un avis défavorable sur un projet de loi ou une série de normes, soit en justifiant précisément son maintien, soit en le modifiant. Dans le cadre de notre consultation nationale des élus locaux, nous avons demandé aux élus locaux leur avis à ce sujet. 79 % sont favorables à cette disposition, seuls 9 % y sont défavorables. Qu'en pensez-vous ? Quel serait le vecteur juridique le plus pertinent pour parvenir à cette modalité ?
Enfin, dans son étude de 2016, le Conseil d'État s'est engagé à élever son niveau d'exigence en matière de simplification et de qualité du droit, notamment sur les études d'impact et les dispositifs complexes. Estimez-vous que cet engagement est tenu ?
Par ailleurs, l'analyse des avis rendus par le Conseil d'État - notamment ceux sur le projet de loi contre le dérèglement climatique ou le projet de loi complétant l'article premier de la Constitution relatif à la préservation de l'environnement -, montre qu'ils ne détaillent pas l'impact de ces textes sur la complexité croissante de l'environnement et l'accroissement des normes. Les futurs textes sur le climat, le projet de loi constitutionnelle, l'environnement génèreront de nombreuses normes. Dans ce contexte, comment pouvons-nous réduire la formulation de normes ?
M. Bruno Lasserre. - La responsabilité de l'emballement normatif est partagée. Nous avons tous une addiction à la norme. Pour preuve, ces dernières semaines et ces derniers mois, des événements ont tourmenté la société française. Or qu'avons-nous fait ? Nous nous sommes tournés vers l'État.
Toutefois, l'État ne peut plus aujourd'hui agir sur l'ensemble des champs. Par souci de prise en compte de cette demande d'action de la population, la tentation est donc d'annoncer un changement de la norme pour que cette situation ne se reproduise pas. Il est plus facile de changer la norme que de changer la réalité sur le terrain. Les hauts fonctionnaires, qui sont formés pour produire rapidement la norme, l'ont rédigée. Toutefois, la nouvelle norme ne donne pas les résultats attendus et les événements surviennent à nouveau. Ainsi, malgré la création d'une nouvelle norme, les Français n'observent pas de changement. C'est un cercle vicieux ! Ces éléments favorisent la crise de confiance. Chacun doit donc admettre ses responsabilités, pour pouvoir sortir de ce cercle vicieux.
Par ailleurs, à mon avis, les managers de l'action publique doivent pouvoir conduire des projets sur le terrain, en travaillant avec divers acteurs et en évaluant l'action menée. Le bon fonctionnaire n'est pas celui qui rédige la meilleure note sur une question juridique ou le texte le plus élaboré. Il doit plutôt pouvoir déployer le projet sur le terrain et changer la réalité le plus efficacement possible. Je peux vous affirmer que la direction de l'ENA et son conseil d'administration ont bouleversé le déroulement de la scolarité. L'acquisition de compétences professionnelles de terrain est devenue une priorité. Pour preuve, tous les étudiants de l'ENA sont partis en stage dans des petites et moyennes entreprises, et non au sein d'entreprises du CAC 40.
M. Rémi Bouchez, président de la section de l'administration du Conseil d'État. - Le conseil d'État attache une grande importance aux nombreux avis du CNEN. Nous essayons de tirer parti de ces avis. Toutefois, les avis motivés, circonstanciés et portant d'éventuelles contrepropositions, sont minoritaires.
Concernant le pouvoir renforcé du CNEN, des dispositions en ce sens existent déjà pour certains textes réglementaires. Toutefois, je ne pense pas que l'effet ait été important sur la qualité et la quantité des textes. L'administration est contrainte dans son action, sa rédaction et la poursuite de ses réflexions. Le passage des textes devant le CNEN vise notamment à élever le niveau d'exigence en matière d'évaluation et de justifications apportées par les administrations. Néanmoins, nous devons faire attention aux voies de contournement possibles. L'administration peut formuler des amendements ou des propositions législatives qui, elles, sont soumises à d'autres règles. Ainsi ces textes ne sont pas étudiés par le CNEN.
Le CNEN peut permettre d'approfondir les réflexions. Le problème réside dans l'appropriation insuffisante (dans le temps et l'énergie) de la préoccupation de la frugalité normative. Nous devons en priorité promouvoir cette culture de la simplification et l'appliquer sur un temps long.
Nous observons néanmoins des progrès. Nous recevons des études d'impact assez satisfaisantes, bien que la qualité soit variable. Les efforts doivent être poursuivis, au même titre que la discussion en amont et en aval sur les évaluations. D'ailleurs, nous avons introduit - dans tous nos avis sur les projets de loi - des paragraphes sur l'évaluation préalable.
M. Bruno Lasserre. - J'insiste sur cette proposition. Nous devrions commencer la rédaction de la norme sur l'évaluation de l'étude d'impact (état du droit étranger, autres solutions imaginées, données statistiques, indicateurs évalués, etc.).
Le parlement peut agir sur l'évaluation. Le parlement français légifère abondamment, mais n'évalue et ne contrôle pas assez par rapport aux autres parlements étrangers. Cette faible implication dans l'évaluation est liée à la perception des Français sur le travail des parlementaires. Pour eux, les parlementaires assistent aux séances publiques ou déposent des amendements. Cette mission d'évaluation et de contrôle n'est pas visible et valorisée par les Français.
Le président Larcher nous a parlé du budget débloqué pour l'évaluation. J'encourage et félicite les parlementaires investissant dans l'évaluation préalable et ex post. Toutefois, je ne crois pas que le parlement puisse tout faire. Il ne peut évaluer toutes les politiques publiques. Il pourrait établir des contrats avec des acteurs (laboratoires, universités) pour faire ces évaluations, en formulant des cahiers des charges.
M. Francis Lamy, président adjoint de la section de l'Intérieur du Conseil d'État. - Le CNEN souhaite formuler des avis motivés. Par exemple, au sein de la loi confortant les principes républicains, des parties d'avis étaient motivées. Le CNEN a même fait une proposition de simplification sur une des dispositions relatives au contrôle de l'État, sans remettre en cause les équilibres de décentralisation. Notre Conseil doit toutefois disposer de temps et de moyens pour exprimer son avis.
En outre, la politique contractuelle entre l'État et les collectivités territoriales soulève le sujet des normes centrales trop précises. Dans le domaine de la sécurité, de l'éducation, du développement durable, etc., les accords politiques sont utiles pour adapter les politiques et financements au territoire. Or, dans certains domaines, les ministères imposent des conditions très détaillées. Nous devons offrir plus de liberté aux acteurs et déconcentrer plus fortement.
M. Franck Montaugé. - Je vous remercie pour la densité de ces propos. Le Sénat a progressé sur le sujet à partir des travaux que j'avais proposés. Le règlement du Sénat a évolué. Aujourd'hui, les rapporteurs initiaux des projets de loi ou des sénateurs nommés à cet effet peuvent procéder à des évaluations in itinere des lois votées, rentrées en application. Par exemple, pour la loi EGalim, nous avons procédé à une évaluation la plus rigoureuse possible.
Nous devons faire des progrès sur l'acculturation des parlementaires et de nos administrations au sujet des évaluations des politiques et des normes publiques. Le Sénat doit en particulier poursuivre ces travaux dans ce domaine. Nous devons notamment expérimenter des démarches d'évaluation plus structurées.
Par ailleurs, devrions-nous préciser en début de code civil que : « La loi précise ceux de ces objectifs qui donnent lieu à évaluation. Elle définit les modalités de cette évaluation à laquelle sont associés le parlement, les collectivités territoriales et les citoyens » ? Le code civil forme la constitution civile de la France. Les premiers articles du code influencent toutes les lois. Ce faisant, l'évaluation ne devrait-elle pas être intégrée dans cette partie du code civil ?
M. Laurent Burgoa. - Avant de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales, devrions-nous simplifier les collectivités territoriales, et réduire notamment les strates administratives ? Un conseiller territorial ne devrait-il pas être remis en place ? De plus, en tant que législateurs, devons-nous mieux légiférer pour donner des compétences propres et définies à des collectivités ? Par exemple, les compétences sur le domaine du tourisme sont partagées, si bien que les collectivités ne connaissent pas le rôle de chaque acteur.
M. Cédric Vial. - Je vous remercie une nouvelle fois de la qualité de vos propositions. Lors de votre présentation, vous avez mis en avant des problèmes qui sont au coeur de notre réflexion, notamment sur la distinction entre simplification et différenciation.
Je suis un sénateur récent. Une fois que nous arrivons dans cette institution, nous nous demandons comment nous pouvons agir et être utiles au pays et à l'institution. Nous nous réfugions dans la norme et par tropisme, nous nous demandons si nous légiférons assez, quand nous devrions nous demander si nous ne légiférons pas trop abondamment.
La norme est un contrôle a priori, et nous souhaitons contrôler au maximum l'action publique. Si nous supprimons la norme, alors nous devrons trouver une alternative pour légiférer les résultats et objectifs, peut-être en mettant en place des contrôles a posteriori. Avez-vous des propositions à nous faire en ce sens ?
En France, nous avons tendance à formuler toujours plus de normes, mais nous devrions plutôt à réfléchir à leur efficience sur le terrain. Comment mettre en place cette capacité à émettre des objectifs au niveau national tout en laissant aux territoires le choix des moyens ? Nous craignons qu'en reculant sur la norme, le juridisme prenne le pas et la jurisprudence avance, en sachant que notre société se judiciarise déjà. Nous avons peur que la loi soit alors émise par les tribunaux et non par le parlement. Avez-vous des pistes de travail à nous proposer ?
M. Bruno Lasserre. - Monsieur le Sénateur Montaugé, je vous remercie pour votre aide dans la réalisation de l'étude annuelle sur l'évaluation des politiques publiques. Je suis d'accord avec l'objectif de votre proposition, mais je le suis moins avec le véhicule. En effet, le code civil n'est pas le bon vecteur pour contraindre le législateur. Ce code régit la vie des Français et a une simple valeur législative. La Constitution contraint les législateurs. Cette obligation d'évaluation doit y figurer. Elle ferait suite à la réforme de 2008, ayant marqué une étape dans l'inscription de cette exigence au niveau constitutionnel. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a refusé de faire d'une insuffisance de l'évaluation préalable un motif d'inconstitutionnalité de la loi présentée.
Monsieur le Sénateur Burgoa, vous posez une question éminemment importante. La simplification de la norme doit-elle débuter par la simplification de l'attribution des responsabilités, notamment au sein des collectivités territoriales ? Le premier devoir n'est-il pas d'éclairer la manière dont les collectivités assument leurs responsabilités ? Aujourd'hui, les responsabilités de chacun dans les collectivités territoriales sont floues, ce qui crée un sentiment de dilution des responsabilités. Dans l'avis de 2017, nous avions montré l'importance de simplifier et de répartir clairement les responsabilités. Pour ce faire, il faut simplifier le millefeuille territorial. L'attribution des responsabilités laisserait néanmoins la possibilité aux collectivités territoriales de s'associer à d'autres collectivités. Par exemple, le regroupement lycée - collège - école pourrait être un élément positif pour mener à bien des projets communs ensemble.
Enfin, Monsieur le Sénateur Vial, je vous remercie pour votre question. Tout d'abord, il serait intéressant de réaliser des séances consacrées à l'évaluation au sein du Sénat. Les sujets sur la fiscalité et le logement peuvent par exemple très bien se prêter à l'exercice politique. En France, nous avons mis en place une fiscalité pour financer la dépense publique, et une fiscalité incitative pour influencer les comportements des ménages et des entreprises vers des modèles plus vertueux. Or, ces outils n'ont jamais été évalués et ces taxes sont renouvelées, sans vérifier l'atteinte des objectifs. Un travail indépendant sur le comportement réel des Français et entreprises devrait être effectué, pour étudier les retombées de ces taxes. Les résultats pourraient nous surprendre. Par ailleurs, la France consacre des moyens considérables à la politique du logement. Pourtant, nous observons des tensions entre les besoins de logement et l'offre de logements. Il serait intéressant d'évaluer l'atteinte des objectifs par rapport aux moyens attribués à cette politique.
En outre, vous avez raison sur le rôle du juge et du législateur. Toutefois, vous n'avez pas mentionné la responsabilité pénale des acteurs publics, qui s'est immiscée en pleine gestion de crise. Les acteurs doivent rendre des comptes sur leur gestion de crise, alors qu'elle n'est pas achevée. Les ministres, directeurs d'Ehpad, d'école, de prison, etc. prennent en compte le risque pénal dans leurs décisions (sortie des résidents, suivi des impératifs sanitaires, etc.). Souvent, ils souhaitent être couverts par des normes. Ils sont précautionneux et demandent à leur tutelle de les guider de manière précise pour échapper à la responsabilité pénale.
Ce sujet doit être abordé. Pour que la démocratie fonctionne et que les décisions soient prises correctement, les décideurs doivent accepter de prendre des risques, sans avoir peur du risque judiciaire.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie, Monsieur le président.
La fin de vos propos soulève le coeur du sujet. Certains de nos membres ont évoqué le terme « incontinence normative » pour définir notre système.
Tout ce qui est produit par la loi est le reflet d'une société. Or, nous sommes dans une société sûre d'elle, pensant tout maîtriser. Si un accident arrivait, nous penserions qu'il est le fait d'un responsable. Nous avons oublié la fragilité de l'être humain.
Cette société d'assurance développe une culture de la norme « miraculeuse », qui prévient, qui empêche et qui guérit. Toutes ces lois d'émotion ont été prises comme si les citoyens pensaient que la norme pouvait être un médicament. Or, la norme n'empêche pas. Nous avons développé des excès de prudence et de protection. En tant que parlementaires, nous pouvons évaluer les normes et être moins bavards. Toutefois, il faut instituer de la confiance et de la responsabilisation dans la société. Chaque citoyen doit croire en cette nouvelle manière d'appréhender les normes. L'enjeu n'est pas mince.
M. Rémy Pointereau. - Le principe de précaution inscrit dans la Constitution n'a-t-il pas favorisé la démultiplication des normes ?
M. Bruno Lasserre. - À titre personnel, je ne suis pas opposé au principe de précaution et à son inscription dans la Constitution. Néanmoins, toute société doit prendre des risques pour avancer. Tous les changements sociologiques, économiques et technologiques se sont accompagnés de prises de risque. Ces risques doivent être calculés, anticipés, assumés et évalués. La précaution vise à protéger les acteurs, si nécessaire. Une société qui protège sans prendre de risque est une société conservatrice. La précaution est un élément de balance dans le couple précaution/risque dont les deux plateaux doivent être équilibrés. Le service public doit pouvoir s'adapter.
Mme Sonia de La Provôté. - Monsieur le Vice-président, nous assistons à un problème d'interprétation des normes entre les services de l'État et le terrain. Par exemple, les questions sur l'aménagement dans les territoires complexes sont diverses en fonction des acteurs : direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), police de l'eau, police de l'environnement, etc. Sur le terrain, il est difficile de porter des projets quand les avis sont contradictoires. De plus, la norme « incendie » pose question. Sa contrainte varie de un à trois d'un département à un autre.
Ainsi, quand il est question de la simplification de la norme, la différence entre les territoires se fonde sur une interprétation différente en fonction des interlocuteurs. La simplification de la norme ne passe-t-elle pas par une plus grande lisibilité et intelligibilité, pour garantir une compréhension uniforme par tous les acteurs ?
M. Francis Lamy. - Madame la Sénatrice, vos questions portent notamment sur des normes techniques mises en oeuvre dans les territoires par la direction des territoires. Les préfets ont pour mission de trouver la plus juste application de la loi, conciliant les impératifs de sécurité et de développement par exemple. Si nous voulons une amélioration de la norme, alors les administrations centrales doivent laisser plus de liberté aux acteurs locaux, et notamment davantage déconcentrer. Sur le terrain, le préfet pourra ainsi trouver les meilleures solutions avec les élus dans un esprit de concertation.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Les acteurs sont confrontés à de nombreuses normes, parfois incompatibles. Le Sénat, dans le cadre de ces cinquante propositions, a proposé d'instaurer une commission qui formerait une instance de concertation et de résolution des incompatibilités et conflits. En effet, le préfet n'a pas autorité sur tous les services de l'État. Cette instance viserait donc à concerter les services, les élus et le préfet pour trouver une solution. Nous souhaiterions que cette proposition soit mise en place.
Je suis extrêmement heureuse de cette audition et du dialogue entretenu. Nous partageons, dans des prismes différents, ce souci de l'efficacité de l'action publique. La vie des hommes et de la société évolue, nous devons nous adapter, sans pour autant mettre en danger la société. La norme peut asphyxier, tuer l'action publique et être contre-productive. Nous devons définir le chemin à prendre. Nous devons surtout apprendre aux législateurs et hauts fonctionnaires à avancer avec sagesse sans bloquer la norme.
Je vous invite à vous procurer les études du Conseil d'État. L'ouvrage sur les expérimentations a attiré mon attention. Je me réjouis que le Conseil d'État s'intéresse à ces questions. Pour le dernier texte examiné sur la sécurité publique et l'élargissement des compétences des polices municipales, nous avons été extrêmement attentifs et exigeants en matière d'évaluation (leur rythme, leur contenu et leur généralisation sur d'autres sujets). Je me réjouis que notre philosophie soit partagée.
Je vous remercie, Monsieur le Vice-président.
M. Bruno Lasserre. - Je vous remercie. Nous avons apprécié cet échange.
Audition de Mme Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement
Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous auditionnons à présent Mme Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement. Dans les échanges que nous venons d'avoir avec le premier vice-président du Conseil d'État, nous avons évoqué l'inflation normative et la nécessité de corriger ce mal français qui fait confondre la norme et l'efficacité de l'action publique. Nous sommes heureux de vous recevoir pour vous entendre sur le sujet.
Le Sénat a déjà largement oeuvré pour la simplification des normes en matière d'urbanisme, où l'excès de règles nuit à notre capacité de répondre au besoin de logements de nos concitoyens ; nous avons contribué à la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) et nous voulons une nouvelle étape de la simplification, au bénéfice de l'action publique. Nous entendons privilégier des mesures systémiques et définir une approche globale, autant en amont, pour éviter de produire trop de normes, qu'en aval, pour s'assurer de la pertinence des normes en vigueur. La norme est utile, mais son excès est un frein. La contribution du Secrétariat général du Gouvernement (SGG) à la mise en oeuvre des normes et à leur simplification nous intéresse : nous avions rencontré votre prédécesseur, Marc Guillaume, que nous avions interrogé en particulier sur le dispositif du « deux pour un », par lequel toute norme nouvelle doit désormais être accompagnée de la suppression de deux normes existantes. Quel en est le bilan, en particulier pour les collectivités territoriales ?
Nous nous interrogeons aussi sur l'application de l'article 34 de la Constitution, qui définit le domaine de la loi et donc celui du Règlement, en particulier au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales. Car si le législateur est bavard, imparfait parce qu'humain, nous sommes surpris des ajouts parfois complexes de la réglementation ; j'en ai eu un exemple sur mon territoire, où j'ai fini par dire au représentant de l'État que le législateur assidu que j'étais n'avait pas du tout eu l'idée que la loi aurait la conséquence que mon interlocuteur prétendait obligatoire... Il y a donc parfois loin entre la norme que nous pensons adopter et son application par l'administration.
Quelles pistes voyez-vous pour limiter le flux et sur le stock de normes ? En novembre dernier, avec Rémy Pointereau, nous avons écrit au Premier ministre pour qu'il donne instruction motivant la dérogation de normes. Nous n'avons pas de nouvelles, ce qui n'est pas toujours synonyme bonne nouvelle... Nos collègues de l'Association des maires de France et de l'Assemblée des départements de France partagent notre attente, et je déplore que nous attendions encore la réponse du Premier ministre.
Mme Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement. - Je partage votre préoccupation de contenir l'inflation normative, dont l'effet mécanique d'inertie risque effectivement de bloquer l'action publique. Même si la réduction du nombre de normes représente un effort énorme pour un résultat souvent décevant, le simple fait de limiter l'augmentation est profitable.
La crise sanitaire met en lumière des signes inquiétants d'inflation normative, car elle a été une source de règles nouvelles : 7 projets de loi, 130 ordonnances, un décret du 29 octobre 2020 qui fait suite à celui du 16 mars 2020 et à ceux qui l'ont complété. Les événements de ce week-end autour de l'attestation de déplacement illustrent ces difficultés. L'effet « boule de neige » de notre réglementation s'explique par notre tradition juridique où l'on définit une norme pour toute obligation nouvelle : toute prescription est écrite, surtout quand elle est assortie d'une sanction. Il y a aussi des effets de catégorisation : dès lors qu'on assortit l'interdiction de dispositifs d'accompagnement, la demande sectorielle est très forte de faire d'entrer dans le giron de l'aide. Enfin, l'inflation normative est très liée au besoin de protection contre la mise en cause de la responsabilité, pénale et administrative en général. Tout le monde veut être couvert, même ceux qui réclament plus de liberté et de souplesse, c'est un paradoxe - mais plus on établit des obligations de sécurité, plus il y a de sanctions en cas de manquement, ce qui donne l'impression que la machine normative s'emballe.
Je constate aussi que la crise sanitaire rappelle aux agents publics que quand on priorise l'action publique, avec un objectif précis, des freins disparaissent et ce qui était impossible hier, devient possible : les agents publics découvrent, dans la crise, que la transformation et l'accélération sont possibles. Ce côté des choses est un peu caché par l'impression d'un emballement normatif, mais il y a des points positifs dans la simplification des chaînes hiérarchiques, la transversalité entre administrations, la mobilisation administrative dans des géométries nouvelles. En réalité, on s'est souvenu que des circonstances exceptionnelles permettent de s'extraire du droit de paix ; nous avons eu raison de faire ainsi primer l'action et je crois que nous n'y avons pas pris de risque juridique, car le juge administratif comprend et accepte la notion de circonstances exceptionnelles. Je crois qu'il en restera quelque chose, nous y avons travaillé sur les ordonnances pour les faire entrer dans le droit plus pérenne et dans la pratique.
Les mots d'ordre du Président de la République et du Premier ministre, liés au grand débat et à la crise des « gilets jaunes », contiennent une vision fructueuse pour la simplification, avec un rapport renouvelé au terrain. On revalorise les acteurs de terrain, la territorialisation ; l'objectif est de réarmer les territoires, d'y affecter davantage d'agents publics, et de laisser plus de marges de manoeuvre aux acteurs de terrain dans la conduite des politiques publiques, en particulier avec la déconcentration des ressources humaines, la déconcentration budgétaire : ce sont autant de sources d'inspiration pour la simplification à travers la pratique managériale elle-même. Le pilotage par le résultat est également une voie fructueuse : l'idée est bien que la simplification ne procède pas par un grand plan venu d'en haut, depuis l'administration centrale, mais qu'elle part de l'expérience des usagers et des agents publics sur le terrain - c'est aussi l'objectif de l'engagement n° 7 du comité interministériel de la transformation publique (CITP).
Cette nouvelle vision ne signifie pas qu'on abandonnerait les outils ayant fait leurs preuves. Le SGG procède à un travail structurel, au quotidien, pour rendre les normes plus intelligibles et plus simples - sans beaucoup de moyens et en étant à notre place, un peu en bout de chaîne, l'impulsion venant du politique, et d'abord des ministres qui ont naturellement tendance à vouloir laisser leur marque sur les réformes. Je sais que les juristes ont bien des défauts, mais ils ont aussi la qualité de vouloir des textes clairs et ils ne sont en réalité pas les premiers responsables de l'inflation normative. Aussi, le SGG cherche à conforter les directions juridiques des ministères pour que les textes qui en émanent prennent bien en compte le droit existant et que les normes nouvelles soient nécessaires et intelligibles.
Parmi les outils que nous utilisons pour la simplification, il y a le « deux pour un », que vous avez cité. Marc Guillaume y tenait beaucoup, l'utilité de cet outil se confirme : il réduit le flux des décrets pris isolément. Son application ne concerne pas toute l'action publique, y échappent en particulier les décrets que le Gouvernement est obligé de prendre, ou encore les domaines comme la procédure pénale et l'organisation de l'administration centrale ; mais pour les collectivités territoriales, l'application de cet outil représente une économie évaluée à 75 millions d'euros depuis le 1er septembre 2017. Dans la pratique, le SGG a pour mission de bloquer tout décret qui n'est pas accompagné de la suppression ou de la simplification de deux autres normes, cela donne lieu à une véritable négociation.
Pour avoir vécu une telle négociation lorsque j'étais secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale (SGSDN), je peux témoigner de l'exigence du SGG sur la qualité de la compensation ; j'ai repris le flambeau que m'a transmis Marc Guillaume : nous analysons sur le fond la compensation proposée et demandons qu'elle soit d'importance équivalente. Il arrive cependant que le cabinet du Premier ministre considère qu'une norme doive échapper à cet outil et la norme nouvelle est alors acceptée sans compensation.
Un autre outil consiste à introduire des indicateurs d'impact dans les études d'impact préalables à la norme, pour aider à son évaluation ex post et donc relier mieux l'intention, l'objectif, et l'effet de la norme.
Enfin, j'insisterai sur la « chasse » que nous avons menée aux circulaires inutiles ou redondantes. Nous avons examiné le corpus des circulaires publiées sur le site www.circulaires.gouv, c'est le stock sur lequel nous avons la main : nous sommes ainsi passés de 30 000 à 10 000 circulaires en vigueur et nous tenons cet étiage. Nous n'en avons pas réduit pour autant notre effort d'expliquer les normes, pour les rendre accessibles, nous avons même multiplié les fiches pratiques, en particulier sur les démarches administratives et sur les droits des usagers - les sites service-public.fr et vie-publique.fr en portent un témoignage très vivant.
M. Rémy Pointereau. - Notre délégation s'intéresse particulièrement à la question de l'inflation normative depuis sept ans maintenant, à la demande du président Larcher, et nous échangeons régulièrement avec Alain Lambert. Se posent à la fois une question de stock - certes, il faudra des dizaines d'années pour le résorber convenablement... - et une question de flux - sur ce sujet, nous devons travailler au quotidien.
Il est clair que les responsabilités de cette inflation sont partagées entre le législateur et la haute administration et que deux éléments s'ajoutent à la difficulté : un phénomène de société et l'application du principe de précaution.
Parmi les indicateurs de suivi de l'action normative présentés par le SGG, il en est un qui porte sur le nombre total de circulaires mises en ligne par année. Or, ce nombre serait passé de 1809 en 2012 à 151 en 2020. L'image d'une réussite exceptionnelle se dessine... Est-ce une véritable baisse ou y a-t-il un biais statistique ? Est-ce que certaines normes ne se seraient pas déportées sur d'autres supports ? Ce moindre nombre s'explique-t-il par une plus grande longueur pour les circulaires restantes ? Comment justifier un nombre dix fois plus élevé auparavant ? Qu'est-ce qui a permis cette chute ?
De manière plus générale, nos voisins ont produit de considérables efforts pour encadrer la production normative. Nous avons notamment examiné les cas allemand et britannique. Globalement, l'exemple des pays européens montre que l'organe central de simplification comporte souvent un secrétariat de haut niveau et étoffé. C'est le cas du Normenkontrollrat allemand, dont le secrétariat compte seize hauts fonctionnaires qui lui sont exclusivement attachés. En comparaison, notre Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), quelle que soit la qualité de son président et de ses membres, fait pâle figure avec des personnels très réduits et relevant en fait de l'une des administrations les plus pourvoyeuses de textes, la direction générale des collectivités locales (DGCL).
J'estime que la situation française est loin d'être satisfaisante et qu'il nous faut un CNEN avec de véritables moyens et disposant d'une autonomie vis-à-vis de l'administration. Le minimum à mes yeux serait qu'il soit rattaché au Parlement, tout spécialement au Sénat en tant que chambre représentant, selon la Constitution, les collectivités territoriales. L'idéal serait qu'il constitue ainsi le noyau d'une huitième commission spécialement chargée de l'évaluation des lois et des normes, voire des études d'impact.
Toujours sur les normes applicables aux collectivités territoriales, je voudrais savoir si vous imaginez des progrès pour mieux associer les destinataires de la norme, c'est-à-dire les collectivités, en ce qui concerne la mise en oeuvre des politiques publiques partagées ou transférées. Très souvent, les administrations centrales continuent de réglementer comme au temps de la tutelle et du pouvoir hiérarchique. Il faut donc inventer un mode coopératif et partenarial sur ce sujet. Il faudrait que le CNEN puisse, notamment pour le domaine réglementaire, obliger à une plus grande traçabilité du débat, afin de connaître les motifs de refus opposés à des aménagements proposés. Je note qu'en février 2020 le président du Sénat avait souhaité, devant le Conseil d'État, que des avancées soient réalisées en la matière.
Sur un sujet qui me tient à coeur, les surtranspositions des textes européens, la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires avait annoncé le lancement d'une mission d'inspection chargée de faire l'inventaire des surtranspositions. Une fois identifiées, ces surtranspositions devaient faire l'objet d'un « réalignement ». C'était l'objet du projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français déposé au Sénat le 3 octobre 2018 et adopté par lui le 7 novembre 2018. Malheureusement, ce texte n'a jamais été examiné par l'Assemblée nationale. En connaissez-vous les raisons ? Quelles sont les perspectives en la matière ?
Sur la culture de la simplification, le Conseil d'État avait proposé en 2016 la constitution d'un réseau interministériel d'appui à la simplification, dont le SGG serait le chef de file, qui s'inscrivait dans l'idée de professionnaliser les acteurs de la simplification et de la qualité du droit. Qu'en est-il ? A-t-il été créé ? Si c'est le cas, avec quel impact ?
Enfin, ne pensez-vous pas que la politique de simplification gagnerait à être plus transparente et présentée de manière plus large aux acteurs de la société ? Je voudrais prendre exemple sur l'Agence de simplification administrative belge qui non seulement est l'acteur central clairement identifié de la simplification dans tous ses aspects, mais, surtout, publie ses référentiels d'évaluation, ses méthodes d'évaluations et ses analyses.
Mme Claire Landais. - Voilà de nombreuses questions ! Certaines ne relèvent pas directement de ma compétence. Par conséquent, je me permettrai de vous adresser des contributions écrites le cas échéant. En outre, comme je vous le disais, je suis récemment installée dans mes fonctions, mais je dois dire que ce type d'auditions est très intéressant pour moi : les préparer me permet de me familiariser plus vite avec certains sujets.
Il est vrai que la réduction du nombre de circulaires ne reflète peut-être pas aussi exactement l'évolution de la situation que les chiffres le laissent penser. Il peut en effet exister un effet de fuite vers d'autres modes de diffusion, comme les bulletins officiels. Néanmoins, l'administration a clairement pris en compte le fait que la circulaire n'était pas faite pour expliquer la loi ou rappeler la norme, mais pour donner des instructions de politique publique ou managériales.
Il faut savoir que le SGG joue effectivement son rôle de verrou et qu'il refuse la publication de certaines circulaires, ce qui montre bien l'effet des décisions qui ont été prises, d'autant que la publication d'une circulaire vaut opposabilité - une absence de publication peut donc avoir des conséquences pour l'administration concernée.
Le nombre important des circulaires venait en partie du fait que l'administration centrale estimait nécessaire de rappeler la norme aux destinataires.
M. David Sarthou, chef du service de la législation et de la qualité du droit du Secrétariat général du Gouvernement. - Dans le filtre qui est opéré, on distingue trois types de circulaires.
Pour les circulaires de commentaire de la norme, les ministères ont été clairement invités à changer de support de diffusion au profit de sites publics qui permettent aux administrations et aux citoyens de connaître la façon dont la norme est interprétée. Les administrations jouent le jeu de ce point de vue, puisque sur les sites des ministères apparaissent des outils d'accompagnement de la norme.
Les circulaires d'organisation des services déconcentrés, qui étaient très nombreuses, ont été proscrites.
Enfin, les dernières circulaires qui sont autorisées à être publiées sur le site de Légifrance sont des circulaires de politique publique qui fixent des objectifs à atteindre et des indicateurs de mesure de l'action des services déconcentrés. Les circulaires que nous recevons sont relativement courtes, souvent de deux ou trois pages.
Où sont passées les autres circulaires ? Il y a sans doute un effet de report vers les bulletins officiels des ministères. Un autre élément est à l'oeuvre : auparavant, il existait une forme de sédimentation des circulaires, le flux augmentant le stock ; depuis la mise en oeuvre du nouveau dispositif, des circulaires sont retirées, parce que considérées par exemple comme obsolètes, si bien que le stock diminue. Dorénavant, il y a des entrées et des sorties, si je peux me permettre cette expression, ce qui n'était pas vraiment le cas avant. Dans ces conditions, nous réussissons à maintenir un stock de circulaires en vigueur autour de 10 000 - nous étions à trois fois plus il y a quelques années...
On assiste vraiment à un changement de pratique des administrations centrales qui ont renoué le dialogue avec les administrations déconcentrées plutôt que de simplement leur adresser des circulaires. C'était l'un des objectifs du Gouvernement.
Mme Claire Landais. - Nous dialoguons quasiment quotidiennement avec le CNEN. Il ne me revient évidemment pas de répondre à vos questions concernant son organisation ou son rattachement.
M. Rémy Pointereau. - Vous pouvez appuyer l'idée...
Mme Claire Landais. - En tout cas, la présence d'une structure comme le CNEN au sein de l'administration est précieuse, car elle sert aussi d'aiguillon pour elle. En outre, le CNEN intervient également au moment de la conception de la norme ; sa place au sein de l'administration est importante pour cela.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Ce sujet est extrêmement important pour notre délégation et le Sénat dans son ensemble. La qualité du travail du CNEN repose assez largement sur la pugnacité et la conviction de son président. Sincèrement, le CNEN doit beaucoup à Alain Lambert : il questionne de manière concrète et exigeante les fonctionnaires, avec un seul souci - l'efficacité de l'action publique. Pour autant, sans aucunement remettre en cause le travail du CNEN, il peut arriver que les fonctionnaires qui en assurent le support se trouvent quelquefois dans une situation où ils sont à la fois juges et parties. Cette organisation tend naturellement, indépendamment des personnes, à ce que la norme soit fabriquée dans une forme d'entre-soi ; il n'y a pas de confrontation de cultures.
Mme Claire Landais. - Je comprends vos arguments, mais en tout état de cause, si le CNEN devait être rattaché à une instance, par exemple le Sénat, il nous faudrait reconstituer au sein de l'administration une structure équivalente. J'ajoute que les représentants des collectivités locales peuvent y faire valoir les difficultés qu'ils perçoivent. Enfin, nous essayons d'améliorer les délais de saisine du CNEN pour celui-ci puisse examiner les textes dans un temps convenable.
M. David Sarthou. - Nous avons beaucoup réduit le nombre de textes examinés en urgence.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Il faut effectivement noter les progrès réalisés en la matière.
Mme Claire Landais. - Je discute régulièrement avec Alain Lambert ; c'est une personnalité importante. Il faut que la même envie et la même exigence soufflent dans l'ensemble des structures concernées.
Il ne me paraît pas anormal que la DGCL assure le secrétariat du CNEN. Cela se justifie par son expertise et par les synergies ainsi dégagées.
Vous avez aussi évoqué la question de l'association des collectivités et de l'élaboration d'un mode de travail coopératif et partenarial. Si nous réussissons à mettre en oeuvre notre idée de territorialisation, de confiance dans les acteurs de terrain et de remontée des expériences des usagers pour rétroagir sur la manière dont l'administration centrale pense les choses, nous irons de fait dans le sens que vous souhaitez.
M. David Sarthou. - En ce qui concerne les surtranspositions, le Gouvernement a fait le choix de ne pas poursuivre l'examen du projet de loi que vous évoquez. En revanche, les surtranspositions qui avaient été identifiées par le rapport d'inspection ont été traitées par d'autres vecteurs législatifs, principalement la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, la loi d'orientation des mobilités, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et, plus récemment, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP).
Il nous reste à traiter un bloc de surtranspositions qui concerne le secteur des télécommunications ; nous allons le faire dans le cadre d'une ordonnance visant à transposer une directive, l'Union européenne ayant elle-même toiletté les dispositions applicables en matière de communications électroniques.
Pour les surtranspositions relevant du pouvoir réglementaire, le choix a été fait de ne pas utiliser un vecteur unique, mais de traiter la question au fil de l'eau, au fur et à mesure de l'adoption de nouveaux textes. Avec la crise sanitaire, cette posture s'est révélée être de sagesse.
En tout cas, nous n'avons pas laissé ce sujet de côté et nous effectuons le travail de toilettage qui avait été identifié par le rapport d'inspection.
M. Laurent Burgoa. - Mme Wargon, ministre déléguée chargée du Logement, a récemment annoncé, avec les acteurs du secteur, la production de 250 000 logements dans les deux années à venir. Ne serait-il pas utile de réaliser une évaluation de cette politique publique qui regroupe de nombreuses aides de l'État ?
Mme Françoise Gatel, présidente. - C'est une question obsédante pour nous !
Mme Claire Landais. - Je n'aimerais pas jouer mon joker sur la dernière question ! Je suis persuadée que cette politique mérite une évaluation, mais il ne s'agit pas tout à fait d'une question de production normative. Elle ne relève donc pas franchement du secteur de compétences du SGG. Néanmoins, et de manière générale, il est vrai que l'évaluation ex post des politiques publiques manque souvent dans la culture administrative française.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Vous le voyez, la chasse à la quantité de normes est pertinente - elle est d'ailleurs ouverte toute l'année et il n'y a pas de régulation des espèces ! Mais il est tout aussi utile d'évaluer la pertinence de la norme, sa qualité. Le sujet pour nous est l'efficacité de la norme.
Nous avons le souci que soit mis en place un pilotage par les résultats, et pas par les normes. Comment atteindre l'efficacité de l'action publique ? Je ne prendrai que deux exemples récents pour illustrer mon propos : l'attestation de sortie diffusée au début du week-end dernier, puis retirée ; le protocole pour la réouverture des écoles.
La réunion est close à 12 h 10.