Mercredi 14 avril 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de loi n° 469 (2020-2021) renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues.

La commission désigne Mme Françoise Gatel et M. Mathieu Darnaud rapporteurs sur le projet de loi (2020-2021) relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, sous réserve de sa transmission.

Communications

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous propose d'organiser un déplacement à Calais le 6 mai prochain sur la question de l'immigration clandestine. En effet, cinq ans après le démantèlement de la « jungle », la pression migratoire perdure, à laquelle s'ajoutent la situation sanitaire et le Brexit.

En raison des contraintes sanitaires, je propose qu'un seul représentant de chaque groupe puisse participer à ce déplacement, en souhaitant que nos rapporteurs budgétaires de la mission « Immigration, asile et intégration », Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, y trouvent une place.

Proposition de loi relative à la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons maintenant les amendements de séance sur la proposition de loi relative à la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je vous rappelle que la commission n'a pas établi de texte et que la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi déposée par le groupe RDSE. Comme je vous l'avais indiqué lors de l'examen du texte en commission, je vous propose de supprimer la plupart des dispositions prévues dans ce texte, car soit elles relèvent du domaine réglementaire, soit elles sont satisfaites dans la pratique. Par voie de conséquence, nombre des amendements déposés n'auront plus d'objet.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

L'amendement de suppression n°  41 est adopté.

Article 2

L'amendement de suppression n°  42 est adopté.

Article 3

L'amendement de suppression n°  43 est adopté.

Article 4

L'amendement de suppression n°  44 est adopté.

Article 5

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  45 prévoit que le droit à l'erreur s'applique également lorsque celle-ci est commise par un tiers agissant dans l'intérêt ou pour le compte de la personne en cause.

L'amendement n° 45 est adopté.

Article 6

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  46 procède à une harmonisation rédactionnelle et supprime la référence aux modalités de saisine alternative. Ce principe semble en voie d'être satisfait par le développement des Maisons France Services et la généralisation, dans la plupart des procédures, d'une voie de contact téléphonique.

L'amendement n° 46 est adopté.

Article 7

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  47 vise à maintenir le montant de la sanction à 25 000 euros, car elle est déjà passée de 5 000 à 25 000 euros en 2018. En outre, l'article 7 tendrait désormais à sanctionner les manquements aux règles relatives à l'accessibilité numérique et non plus la seule absence de mention indiquant si ces règles sont respectées.

L'amendement n° 47 est adopté.

Article 8

L'amendement de suppression n°  48 est adopté.

Article 9

L'amendement de suppression n°  49 est adopté.

Article 10

L'amendement de suppression n°  50 est adopté.

Article 11

L'amendement de suppression n°  51 est adopté.

Article 12

L'amendement de suppression n°  52 est adopté.

Article 13

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  53 vise à supprimer l'alinéa 2.

L'amendement n° 53 est adopté.

Article 14

L'amendement de suppression n°  54 est adopté.

Article 15

L'amendement de suppression n°  55 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  3.

Article 5

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  29 tend à supprimer la condition selon laquelle le droit à l'erreur prévu par le code des relations entre le public et l'administration ne s'applique que si l'erreur est commise pour la première fois. Cette modification ne concerne pas la forme numérique de la démarche et l'amendement conduirait à ne plus sanctionner les erreurs répétées. Retrait ou avis défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 29 et, à défaut, y sera défavorable.

Article additionnel après l'article 5

La commission demande le retrait de l'amendement n°  1 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 6

La commission demande le retrait des amendements identiques nos  12, 19 rectifié bis et 26 et, à défaut, y sera défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  8 et, à défaut, y sera défavorable.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  30 en application de l'article 41 de la Constitution.

Article 8

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Les amendements identiques nos  13 et 20 rectifié bis ainsi que l'amendement n°  5 précisent le contenu des aides prévues à l'article 8 en y incluant des dispositions spécifiques pour l'achat ou la location de terminaux reconditionnés. Par cohérence avec l'amendement de suppression que nous avons adopté, mon avis est défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 13, 20 rectifié bis et 5.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  9, de même qu'à l'amendement n°  32.

Article 9

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos  14 et 21 rectifié bis.

Article 10

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité des amendements identiques nos  15 et 22 rectifié bis en application de l'article 41 de la Constitution.

La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n°  33 en application de l'article 41 de la Constitution.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  10.

Article additionnel après l'article 10

La commission demande le retrait de l'amendement n°  34 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 11

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  2 et 35, de même qu'aux amendements identiques nos  16 et 23 rectifié bis.

Article additionnel après l'article 11

La commission demande le retrait de l'amendement n°  4 et, à défaut, y sera défavorable.

Article 12

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  11.

Article additionnel après l'article 12

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement n°  38 tend à introduire la lutte contre l'illectronisme dans le champ de la formation professionnelle mise en place par les régions, au même titre que l'illettrisme. La connaissance des outils numériques de base est certes devenue une clé indispensable pour accéder au marché de l'emploi. Même si cet amendement n'est pas un cavalier, j'ai toutefois quelques doutes sur la possibilité de prendre en compte cette nouvelle problématique dans le champ de la formation professionnelle, et les travaux que j'ai conduits ne me permettent pas de juger du bien-fondé de cet ajout. Aussi, je vous propose de nous demander l'avis du Gouvernement.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 38.

Article 13

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - L'amendement no  6 ainsi que les amendements identiques nos  17 et 24 rectifié bis visent à modifier l'alinéa 2 que j'ai souhaité supprimer. Mon avis est défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6, de même qu'aux amendements nos 17 et 24 rectifié bis.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  40.

Article additionnel après l'article 13

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n°  39.

Article 14

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  7, de même qu'aux amendements identiques nos  18 et 25 rectifié bis.

Article additionnel après l'article 14

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je vous propose de déclarer l'amendement n°  27 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Guy Benarroche. - Pourquoi ?

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Il n'entre pas dans le périmètre que nous avons défini la semaine dernière.

M. Guy Benarroche. - Pourtant, il prévoit la fourniture d'équipements informatiques et de télécommunications aux personnes qui en ont besoin. À ce titre, il a un lien au moins indirect avec le texte qui nous est proposé.

L'amendement n° 27 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er
Rapport biannuel sur l'exclusion numérique et référentiel des compétences numériques

M. MOHAMED SOILIHI

41

Adopté

Article 2
Test d'évaluation des compétences numériques lors de la Journée défense et citoyenneté

M. MOHAMED SOILIHI

42

Adopté

Article 3
Création d'un droit au guichet permettant aux usagers de réaliser
physiquement leurs démarches administratives

M. MOHAMED SOILIHI

43

Adopté

Article 4
Choix des modalités de correspondance et de paiement

M. MOHAMED SOILIHI

44

Adopté

Article 5
Reconnaissance d'un droit à l'erreur numérique

M. MOHAMED SOILIHI

45

Adopté

Article 6
Référentiel unique des sites internet publics

M. MOHAMED SOILIHI

46

Adopté

Article 7
Renforcement de l'accessibilité des services de communication au public en ligne
aux personnes en situation de handicap

M. MOHAMED SOILIHI

47

Adopté

Article 8
Création d'une aide aux ménages pour financer l'acquisition ou la location d'équipements numériques et l'institution d'un fonds de lutte contre l'exclusion numérique

M. MOHAMED SOILIHI

48

Adopté

Article 9
Financement du fonds de lutte contre l'exclusion numérique et
révision de la stratégie nationale d'orientation de l'action publique 2018-2022

M. MOHAMED SOILIHI

49

Adopté

Article 10
Compétences de l'agence nationale de la cohésion des territoires

M. MOHAMED SOILIHI

50

Adopté

Article 11
Désignation d'un référent en charge de l'inclusion numérique
au sein de chaque EPCI

M. MOHAMED SOILIHI

51

Adopté

Article 12
Prise en compte de l'illectronisme parmi les priorités nationales

M. MOHAMED SOILIHI

52

Adopté

Article 13
Formation continue des enseignants au numérique

M. MOHAMED SOILIHI

53

Adopté

Article 14
Création d'un crédit d'impôt pour stimuler la formation aux outils numériques
dans les petites et moyennes entreprises

M. MOHAMED SOILIHI

54

Adopté

Article 15
Entrée en vigueur différée de la proposition de loi

M. MOHAMED SOILIHI

55

Adopté

La commission a donné les avis suivants aux autres amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er
Rapport biannuel sur l'exclusion numérique et référentiel des compétences numériques

M. CANEVET

3

Défavorable

Article 5
Reconnaissance d'un droit à l'erreur numérique

M. DURAIN

29

Défavorable

Article additionnel après l'article 5

M. BONHOMME

1

Demande de retrait

Article 6
Référentiel unique des sites internet publics

Mme PRÉVILLE

12

Demande de retrait

M. MARCHAND

19 rect. bis

Demande de retrait

M. DOSSUS

26

Demande de retrait

M. MOUILLER

8 rect.

Demande de retrait

M. DURAIN

30

Saisine du Président du Sénat au titre de l'article 41 de la Constitution

Article 8
Création d'une aide aux ménages pour financer l'acquisition ou la location d'équipements numériques et l'institution d'un fonds de lutte contre l'exclusion numérique

Mme PRÉVILLE

13

Défavorable

M. MARCHAND

20 rect. bis

Défavorable

M. GOLD

5

Défavorable

M. MOUILLER

9 rect.

Défavorable

Mme Martine FILLEUL

32

Défavorable

Article 9
Financement du fonds de lutte contre l'exclusion numérique et
révision de la stratégie nationale d'orientation de l'action publique 2018-2022

Mme PRÉVILLE

14

Défavorable

M. MARCHAND

21 rect. bis

Défavorable

Article 10
Compétences de l'agence nationale de la cohésion des territoires

Mme PRÉVILLE

15

Saisine du Président du Sénat au titre de l'article 41 de la Constitution

M. MARCHAND

22 rect. bis

Saisine du Président du Sénat au titre de l'article 41 de la Constitution

Mme Martine FILLEUL

33

Saisine du Président du Sénat au titre de l'article 41 de la Constitution

M. MOUILLER

10 rect.

Défavorable

Article additionnel après l'article 10

Mme Martine FILLEUL

34

Demande de retrait

Article 11
Désignation d'un référent en charge de l'inclusion numérique
au sein de chaque EPCI

M. BONHOMME

2

Défavorable

M. DURAIN

35

Défavorable

Mme PRÉVILLE

16

Défavorable

M. MARCHAND

23 rect. bis

Défavorable

Article additionnel après l'article 11

M. BENARROCHE

4

Demande de retrait

Article 12
Prise en compte de l'illectronisme parmi les priorités nationales

M. MOUILLER

11 rect.

Défavorable

Article additionnel après l'article 12

Mme Martine FILLEUL

38

Avis du Gouvernement

Article 13
Formation continue des enseignants au numérique

M. GOLD

6

Défavorable

Mme PRÉVILLE

17

Défavorable

M. MARCHAND

24 rect. bis

Défavorable

M. OUZOULIAS

40

Défavorable

Article additionnel après l'article 13

Mme Martine FILLEUL

39

Sagesse

Article 14
Création d'un crédit d'impôt pour stimuler la formation aux outils numériques
dans les petites et moyennes entreprises

M. GOLD

7

Défavorable

Mme PRÉVILLE

18

Défavorable

M. MARCHAND

25 rect. bis

Défavorable

Article additionnel après l'article 14

M. BENARROCHE

27

Irrecevabilité au titre de l'article 45
de la Constitution

Proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d'expropriation de biens en état d'abandon manifeste - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à moderniser et faciliter la procédure d'expropriation de biens en état d'abandon manifeste.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article unique

M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement n°  4 précise que la déclaration d'état manifeste d'abandon ne peut être prononcée que pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) détenant une compétence habitat ou aménagement correspondant aux opérations justifiant l'expropriation.

L'amendement n° 4 est adopté.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement n°  2 rectifié ter, qui modifie les conditions d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), me semble irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement n° 2 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article unique

M. BONHOMME

4

Adopté

La commission a donné l'avis suivant à l'autre amendement de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article unique

Mme VERMEILLET

2 rect. ter

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement - Audition de Mmes Clara Gonzales, juriste auprès de Greenpeace France, et Marie-Anne Cohendet, présidente du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Mes chers collègues, dans le cadre de l'examen du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, nous recevons aujourd'hui Mmes Clara Gonzales et Marie-Anne Cohendet, qui représentent respectivement Greenpeace France et la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme.

J'indique à la commission que nous avions sollicité deux autres associations, WWF France et France Nature Environnement, qui ont préféré se consacrer au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, en cours d'examen par le Parlement.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est également présent.

Nous arrivons au terme de nos auditions sur ce projet de révision constitutionnelle. Nous avons auditionné beaucoup de juristes. L'enjeu concerne certes la protection de l'environnement, mais il s'agit d'abord de droit et de la traduction de cet objectif dans la Constitution. Nous avons également entendu des associations de toute nature, ainsi que des élus locaux, et sommes aujourd'hui très intéressés par votre audition, mesdames.

Mme Clara Gonzales, juriste auprès de Greenpeace France. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de votre invitation.

Vous faisiez référence au projet de loi sur le climat. Greenpeace France est en effet plus actif dans son plaidoyer à ce sujet. Cependant, nous avons déjà été auditionnés par l'Assemblée nationale sur le projet de révision constitutionnelle. Je ne suis pas constitutionnaliste, mais nous souhaiterions vous faire passer un certain nombre de messages.

Je commencerai par une rapide présentation de ce qu'est le pôle juridique de Greenpeace France. L'association est structurée autour de thématiques - pétrole, océan, agriculture et forêt, énergie, climat, transports -, à propos desquelles nous développons un certain nombre de tactiques. Nous sommes connus pour des actions non violentes qui expliquent notre forte activité juridique en défense. Néanmoins, nos campagnes mobilisent d'autres tactiques, comme la sensibilisation, la publication de rapports ou le plaidoyer. D'autres ressources peuvent toutefois être mobilisées en interne - rapports scientifiques, expertise financière, cartographie, enquêtes. Le pôle juridique a deux rôles principaux, être proactif en matière de stratégies de campagne en proposant des opérations contentieuses contre l'État ou les acteurs économiques privés, et contribuer aux plaidoyers, comme aujourd'hui.

Notre autre rôle est également de garantir la défense de Greenpeace en tant que personne morale, de nos militants et de nos activistes. À ce titre, nous nous engageons aussi dans la protection de la liberté d'expression contre des projets de réformes que nous estimons attentatoires aux libertés ou qui renforcent la répression contre les activistes, notamment environnementaux, que ce soit la création de la cellule Déméter il y a quelques années ou l'adoption de textes tels que le projet de loi confortant le respect des principes de la République ou la proposition de loi relative à la sécurité globale.

S'agissant du projet de révision constitutionnelle, je souhaite aborder le sujet en deux temps. J'insisterai d'abord sur l'urgence de cette révision pour la protection du climat et de l'environnement, avant d'évoquer les limites de la mesure proposée et de formuler des recommandations.

Tout d'abord, l'urgence de la protection de l'environnement suppose aujourd'hui une réponse à la hauteur des enjeux, tant face au dérèglement climatique qu'à l'heure de la sixième grande extinction du vivant, avec un minimum d'effectivité à court terme des mesures proposées par le Gouvernement et adoptées par le Parlement afin de garantir une meilleure protection de l'environnement.

Sous l'angle de l'effectivité, nous nous montrons assez critiques vis-à-vis du bilan du Gouvernement, surtout s'il venait à se clôturer uniquement sur cette proposition de révision constitutionnelle qui, comme cela a été rappelé il y a peu dans la presse, n'a a priori pas toutes ses chances d'aboutir devant le Sénat ou, en tout cas avec un réel risque d'affaiblissement dans la formulation.

On constate aujourd'hui un affaiblissement général et une régression de toutes les barrières censées protéger l'environnement que sont la dissuasion, les autorités de sanction, la régulation, la Commission nationale du débat public (CNDP), les commissaires enquêteurs, qui seraient voués à disparaître si l'on suit la ligne du Gouvernement actuel, qu'il s'agisse de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) ou de la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), avec des expérimentations de suppression des enquêtes publiques.

Pour Greenpeace, d'un point de vue politique, ce projet de loi constitutionnelle a un caractère dilatoire, alors même que nous n'avons aucune assurance que la loi référendaire aboutisse. Nous ne voudrions pas que cette réforme masque le fait que le Gouvernement a renié sa promesse de transmettre « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ce sont témoigne le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui arrivera bientôt devant vous. À ce titre, il est important de rappeler que la Convention citoyenne pour le climat a conçu sa proposition de révision constitutionnelle comme le complément des autres propositions qu'elle a formulées. En tant que sénateurs et sénatrices, en tant que membres de la commission des lois, vous êtes surtout attendus sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, car c'est là que vont résider les réels enjeux des débats parlementaires, en tout cas du point de vue de l'effectivité à court terme.

Je m'adresse donc à vous aujourd'hui pour vous demander de vous engager à soutenir les amendements permettant d'améliorer le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, ceux des associations mais pas uniquement, afin de répondre à l'urgence réelle et à la promesse de transmission « sans filtre », qui vous oblige aussi.

S'agissant du projet de révision constitutionnelle, il nous semble impossible d'affirmer aujourd'hui qu'il constitue une révolution juridique. Greenpeace a essayé d'imaginer ce qu'une telle inscription dans la Constitution aurait réellement changé à nos demandes et à nos actions ces dernières années. D'autres associations l'ont fait. Force est de constater qu'en termes d'effets, elle n'aurait quasiment rien modifié.

J'insiste sur cet aspect des choses pour illustrer à quel point la réforme ne répond pas à l'urgence de l'effectivité, que ce soit à propos des autorisations de projets polluants, de la responsabilité des entreprises ou de la sûreté nucléaire.

France Nature Environnement, qui a une expérience significative en matière de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), considère que la révision constitutionnelle, si elle n'intégrait pas le principe de non-régression, se réduirait à une démarche politique et communicationnelle traduisant un manque d'ambition politique.

Il existe une affaire dans laquelle il aurait été intéressant de mesurer la portée de cette révision, c'est l'Affaire du siècle, dont nous sommes l'un des initiateurs. À cet égard, il est intéressant de noter que le tribunal administratif n'a pas attendu son inscription explicite dans la Constitution pour dégager une obligation incombant à l'État de lutter contre le réchauffement climatique. Notre argumentaire s'est appuyé sur des obligations implicites contenues dans la Charte de l'environnement et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans sa décision, le tribunal administratif fait explicitement référence à l'article 3 de la Charte de l'environnement pour dégager cette obligation.

À cet égard, on peut dire que, par rapport au droit positif, cette inscription dans la Constitution, même si elle est bienvenue, arrive un peu tard dans le sens où, selon nous, l'obligation existe déjà. Elle vient d'être reconnue par le tribunal administratif et a pu être dégagée à partir de deux catégories d'obligations qui existent déjà dans le droit positif, l'une générale, qui serait issue de la Charte de l'environnement et de la CEDH, et l'autre spécifique, avec les directives de l'Union européenne et, au niveau national, la transposition du paquet énergie-climat et la stratégie nationale bas carbone, qui engagent l'État.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur une responsabilité qui vous incombe pour la protection de l'environnement, soulignée  par l'ensemble des experts et des spécialistes : c'est de refuser toute remise en cause régressive des dispositions existantes de la Charte de l'environnement, notamment toute atteinte au principe de précaution.

Greenpeace soutient bien entendu le renforcement de la protection constitutionnelle de l'environnement, qu'il s'agisse de la biodiversité ou du climat et, en particulier, le renforcement des obligations des acteurs publics. Nous identifions deux apports principaux dans la rédaction actuelle.

Le premier consiste à passer de l'équivoque à l'univoque s'agissant de l'obligation de lutter contre le changement climatique. S'il est évident pour certains que l'environnement intègre la biodiversité et le climat, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et l'ajout de la mention explicite du climat permettra de clore certains débats. Elle devrait permettre de sortir de la conception naturaliste du terme « environnement » encore présente, notamment dans les analyses qu'en fait le Conseil constitutionnel.

Malgré la marge d'interprétation importante dont dispose le Conseil constitutionnel, avec sa possibilité d'invoquer des moyens d'office, il a eu jusqu'à présent du mal à dégager de la Charte de l'environnement des obligations générales définies, comportant un contenu. Il existe des obligations spécifiques, par exemple en matière de droit à l'information et à la participation, comme l'article 7, mais pas d'obligations générales définies dans leur portée. Même si le climat a été mentionné dans les travaux préparatoires de la Charte de l'environnement, le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu que celle-ci le protégeait.

Autre exemple qui démontre l'intérêt d'intégrer la mention de la biodiversité : il résulte des considérants de la Charte que « les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité » et que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ». Or dans une décision très récente sur les produits phytopharmaceutiques, le Conseil constitutionnel s'est refusé à déterminer la portée de ce considérant en ce qui concerne la protection de la biodiversité.

Par ailleurs, l'emplacement prévu pour les nouvelles dispositions nous semble le bon. L'article 1er de la Constitution définit l'identité de la République. Sa portée symbolique est évidente.

Le projet a le mérite de clarifier l'existence d'une obligation de portée générale relative tant au climat qu'à la biodiversité, même si, aujourd'hui, rien ne nous garantit que le Conseil constitutionnel lui donnera sa pleine dimension.

Le deuxième apport principal de la réforme réside dans un levier supplémentaire pour le Conseil constitutionnel en matière d'appréciation de la constitutionnalité des textes qui lui sont soumis et dans un processus potentiel d'acculturation pour les juridictions. On va ainsi pouvoir, en sortant d'une approche naturaliste, élargir le champ des sujets concernés et permettre le contrôle constitutionnel des législations relatives à des secteurs particulièrement polluants.

Surtout, cette révision doit permettre de mieux définir les obligations. Il me semble que c'est ici que vous devez être particulièrement vigilants concernant les tentatives d'affaiblir le texte. Le Conseil d'État a recommandé d'utiliser le verbe « favoriser ». Or « favoriser » ne permet pas de dégager une obligation et un droit à une liberté garantie par la Constitution, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Employer le verbe « favoriser » priverait la phrase de toute portée. Elle n'ajouterait rien par rapport à la Charte de l'environnement, et il nous semble que soumettre au peuple par voie référendaire un projet de révision constitutionnelle cosmétique serait une grave erreur. A minima, il faudra conserver l'emploi des termes « garantir » et « lutter ». Je laisserai Marie-Anne Cohendet développer ce sujet.

Certains estiment qu'il s'agirait d'une obligation de moyens renforcée, d'autres d'une obligation de résultat. Je crois comprendre que c'est un débat de constitutionnalistes. Une obligation de moyens renforcée constitue déjà un élément engageant pour le Gouvernement et les acteurs publics, et donne une marge de manoeuvre au Conseil constitutionnel.

À cet égard, si les propositions de révision constitutionnelle qui ont été faites ces cinq dernières années ont pu être jugées superfétatoires par certains professeurs de droit, a  priori, et étant donné les récentes décisions du Conseil constitutionnel, il n'en irait pas de même de ce nouveau texte. A minima, il aurait le mérite de clarifier la place du climat et la portée de l'obligation des acteurs publics.

Cette réforme obligera le législateur à se poser la question de la protection de la biodiversité et de l'obligation de lutte contre le dérèglement climatique à l'occasion de chaque nouveau texte. Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel seront particulièrement intéressantes dans les années à venir, si la réforme est adoptée : dans le cadre du contrôle de l'incompétence négative, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer sur la question de savoir si le législateur a bien mis en place tous les moyens nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui correspondrait à un contrôle d'une obligation de moyens renforcée.

Les effets de la réforme seront également intéressants selon nous à propos de certains secteurs d'activité très émetteurs, où le pouvoir législatif est susceptible d'intervenir. Il en va ainsi de l'énergie - notamment du secteur nucléaire - et des transports. Il nous semble à cet égard qu'une interprétation favorable du Conseil constitutionnel pourrait permette, à terme, de renforcer non seulement les obligations des acteurs publics mais aussi celles des entreprises dans les secteurs polluants.

Le dernier point concerne l'acculturation des juridictions. Greenpeace se bat depuis de nombreuses années pour obtenir la création de juridictions spécialisées, dont on entrevoit l'embryon avec le projet de loi sur la justice pénale spécialisée récemment adopté, avec des juges et des enquêteurs mieux formés. Cela suppose une augmentation des moyens de la justice, mais avant tout que les acteurs se sentent concernés par les enjeux. À ce titre, la portée symbolique de l'inscription des termes proposés dans la norme suprême n'est pas à négliger.

Je pondère ces apports positifs potentiels en rappelant que, dans de nombreux domaines, les décisions du Conseil constitutionnel se sont jusqu'à présent montrées très décevantes, du point de vue des droits humains ou de la protection de l'environnement. Il peut donc se passer un certain temps avant que les mesures produisent leurs effets.

L'avis du Conseil d'État montre bien que l'évolution de nos institutions prend un certain temps. Le Conseil d'État avait rendu le même avis en juin 2019 concernant le projet de révision constitutionnel de l'époque, qui était assez similaire.

En conclusion, la réforme serait selon nous plus ambitieuse si le principe de non-régression y était intégré. Ce principe aurait une utilité dans le cadre de lois de portée générale, mais aussi sectorielles. Elle pourrait notamment être intéressante en matière de participation du public, l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l'article 7 de la Charte de l'environnement étant selon nous insuffisante aujourd'hui. Il en irait différemment si l'article 7 était couplé à un principe de non-régression. J'évoquais en préambule les lois Essoc et Asap, qui ont détricoté les règles relatives à la participation du public et au rôle de la CNDP. Un principe de non-régression aurait par ailleurs pu avoir un effet très concret sur l'usage de produits phytopharmaceutiques.

J'insiste sur le fait que, seule, cette mesure aura une portée limitée. Il est urgent d'agir, notamment en n'autorisant pas le détricotage de la démocratie environnementale, mais aussi en s'assurant que les atteintes à l'environnement puissent être correctement sanctionnées par les magistrats. Je fais ici référence à la création de deux délits prévue par le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que les juges et nous attendons depuis longtemps, et dont il conviendra de vérifier qu'ils peuvent être qualifiés dans un nombre suffisant de situations pour être utiles, ce que la rédaction du Gouvernement ne permet pas.

Ces débats arriveront devant vous dans un second temps, mais ils sont intrinsèquement liés au projet de révision constitutionnelle que vous étudiez en ce moment.

M. François-Noël Buffet, président. - La commission des lois est toujours sensible à l'avis des personnes qu'elle auditionne, mais elle est aussi très sensible à sa liberté. Vous avez cité Boileau. Je citerai Montesquieu, si vous me le permettez : on ne peut modifier la Constitution que d'une main tremblante... Nous nous tiendrons à ce principe, pour ce qui nous concerne. Par ailleurs, ce que dit la presse n'est pas toujours la vérité...

Mme Marie-Anne Cohendet, présidente du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme. - J'interviens ici en tant que présidente du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme. Je suis également professeure de droit constitutionnel et de droit de l'environnement à l'université Paris I - Panthéon Sorbonne. Il se trouve que je travaille depuis plus de trente ans sur les questions de droit constitutionnel de l'environnement. J'étais allée pour cela au sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992. Je tiens par ailleurs une chronique dans la Revue juridique de l'environnement depuis des années et suis l'auteure d'un manuel de droit constitutionnel et de plusieurs autres livres, dont un Droit de l'environnement chez Dalloz et un Droit constitutionnel de l'environnement, qui va paraître le 13 mai prochain. Ce sont donc des questions que j'étudie très sérieusement depuis une trentaine d'années.

Cette convergence du droit constitutionnel et du droit de l'environnement est très importante au niveau national, mais également pour l'ensemble de la planète. J'ai été récemment consultée par David Boyd, rapporteur spécial de l'Organisation des nations unies (ONU), qui m'a demandé de réaliser une expertise pour la France. J'ai également été consultée par des députés allemands, très intéressés de voir les apports du droit français sur ces questions, et également par des collègues et autorités du Chili, pays qui révise actuellement sa Constitution et envisage d'y intégrer des normes environnementales.

À l'échelle de la planète, le fait de protéger l'environnement dans la Constitution n'a rien d'une élucubration. Vous êtes, monsieur le président, très sensible à Montesquieu. C'est également mon auteur juridique préféré. En 1748 déjà, il affirmait que « l'État doit à chacun des conditions de vie qui ne soient point contraires à sa santé. » Il me semble indispensable aujourd'hui de considérer que la protection de l'environnement est nécessaire à la protection de notre santé, qui figure dans le préambule de 1946 et, plus largement, à la préservation de nos conditions de vie.

On observera que cette protection de l'environnement est non seulement garantie par les constitutions du monde entier, mais également par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme ayant le pouvoir de condamner la France comme les autres États s'ils ne respectent pas suffisamment ces droits.

Actuellement, environ 170 constitutions contiennent des dispositions relatives à la protection de l'environnement. C'est énorme ! Une centaine d'entre elles mettent en avant les droits de l'homme en matière d'environnement et imposent un devoir de protection de l'environnement. Nous ne sommes donc pas des originaux en protégeant l'environnement dans la Constitution : c'est une chose qui est assez répandue.

Cependant, la France peut s'enorgueillir d'avoir une Charte particulièrement claire, cohérente et complète. En matière de protection de l'environnement, c'est un des textes les plus sophistiqués au monde. D'autres, qui sont plus complets, plus modernes aussi, protègent la nature elle-même, alors que notre vision reste anthropocentrique. Nous sommes donc bien placés dans le monde, mais nous ne sommes pas seuls à protéger l'environnement dans la Constitution.

En ce qui concerne le droit international et la Convention européenne des droits de l'homme, le texte du Conseil de l'Europe date de 1950, époque à laquelle on n'évoquait pas beaucoup ces questions environnementales. Pour autant, la Cour de Strasbourg a eu recours à des droits classiques, en particulier le droit de propriété, pour protéger l'environnement. Elle a en effet constaté que si l'environnement n'est pas bien protégé, la propriété des sols ou de l'eau peut être gravement affectée. De même, la CEDH a jugé que la protection de l'environnement peut être nécessaire à la protection du droit à la vie, garanti par l'article 2 de la Convention. Elle a aussi utilisé l'article 8 sur le droit à une vie privée et à une vie familiale normale. La CEDH condamne aujourd'hui les États qui ne protègent pas suffisamment l'environnement, comme on l'a vu dès sa décision Lopez Ostra contre Espagne, de 1994.

La protection de l'environnement est une obligation qui nous incombe en droit international, mais que nous avons également consacrée dans la Charte de l'environnement.

Une des grandes questions qui se pose et qu'ont soulevée certains collègues qui connaissent soit le droit de l'environnement, soit le droit constitutionnel - on ne peut tout étudier, et nous avons tous nos spécialités - et de savoir si le texte proposé va servir à quelque chose, puisque la Charte de l'environnement existe déjà. La question n'est pas impertinente. De fait, la Charte de l'environnement affirme le droit de l'homme à un environnement sain.

Il est donc bien évident que le texte que vous examinez n'a rien de révolutionnaire.

Avant d'entrer dans le détail de l'analyse juridique, voyons comment le projet de révision est perçu pour l'instant. Le texte que vous examinez a fait l'objet de critiques de part et d'autre. Certains trouvent qu'il ne va pas assez loin, d'autres qu'il va trop loin. Il me semble que ce texte a adopté une voie raisonnable intermédiaire.

Nous venons de l'entendre à l'instant - et je suis d'accord avec la quasi-totalité des propos qui viennent d'être tenus par Clara Gonzales - ce texte ne constitue pas une révolution, nous sommes tous d'accord sur ce point. Cependant, il n'est pas inutile.

Les protecteurs de l'environnement le critiquent en disant qu'on enjolive la Constitution mais que, de l'autre main, on détricote le droit de l'environnement, et cela génère une certaine colère chez certains. Cette critique est parfaitement compréhensible et légitime. Pour autant, ce n'est pas parce que le texte n'est pas révolutionnaire qu'il est inutile.

Dans le détail, puisque le droit de l'homme à un environnement sain existe déjà, cela va-t-il apporter quelque chose de dire que la France garantit la protection de l'environnement, de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques ? Oui, cela va apporter quelque chose. Tout d'abord, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Si l'on réalise une interprétation extrêmement sérieuse et approfondie de la Charte et de ses considérants, il est évident que la notion de protection de l'environnement inclut l'action contre les changements climatiques et la protection de la biodiversité. À cet égard, l'analyse du Conseil d'État ne me paraît pas pertinente, lorsqu'il estime qu'il pourrait y avoir une forme de contrariété entre l'article 1er et l'article 34. La protection de l'environnement, en général, inclut la biodiversité et l'action contre le changement climatique. C'est évident pour qui connaît un peu les questions environnementales.

Pourquoi le préciser ? Certains, notamment parmi les protecteurs de l'environnement, se sont dit qu'on allait favoriser l'action contre le changement climatique et oublier le reste. Pas du tout ! Dès lors que le texte réaffirme - et c'est absolument indispensable - la protection de l'environnement en général, c'est tout l'environnement qui doit être protégé.

Pourquoi faire référence précisément à l'action contre le changement et pour la biodiversité ? Dominique Bourg l'a fort bien rappelé, et il était important que ce soit lui qui le rappelle, car il a participé à la rédaction de la Charte de l'environnement. Par rapport à 2004, époque de la rédaction de la Charte, les changements majeurs qui ont affecté l'environnement sont les changements climatiques, qui se sont accélérés de manière phénoménale, ainsi que la réduction dramatique et très rapide de la biodiversité.

Il est donc tout à fait pertinent de protéger l'environnement en général et de préciser ces deux points. Ce n'est pas contradictoire. En effet, cette réforme vise à réaffirmer et à préciser la volonté du peuple.

Selon une interprétation sérieuse et cohérente de la Charte, je l'ai dit, on devrait déjà protéger l'environnement en général, y compris agir contre le changement climatique et protéger la biodiversité. Mais, comme cela a été très justement rappelé par Clara Gonzales, jusqu'à présent la jurisprudence est très timide. Le juge administratif, par exemple, dans de très nombreux cas, recherche les normes de référence pour protéger l'environnement dans le droit européen, en particulier en matière de pollution de l'air, comme si l'Europe était plus protectrice que la France en matière d'environnement. C'est ennuyeux, car nous avons une Charte de l'environnement. Mais les juges ne l'appliquent pas comme ils devraient le faire. Ils traitent du droit de l'homme à un environnement sain comme d'une vague pétition de principe, alors que c'est un droit tout aussi important que le droit à la liberté ou à l'égalité.

Notons au passage que la protection de la dignité est très liée à celle de l'environnement. On le voit notamment dans de nombreux textes internationaux et dans la jurisprudence étrangère. On peut observer que, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel protège la dignité, mais ne fait pas le lien entre la dignité et l'environnement.

Il s'agit de réaffirmer la volonté du peuple de protéger le droit à un environnement sain. Pourquoi la réaffirmer ? Parce que les juges et le législateur ne l'appliquent pas assez - nous y reviendrons. Il appartient donc au peuple, lorsque les pouvoirs publics et les juges ne respectent pas sa volonté, de taper du poing sur la table en disant sa volonté. Ce n'est pas une innovation : il avait déjà fallu réviser la Constitution à propos de la parité, parce que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les quotas par sexe excluait la possibilité de réserver des quotas de femmes pour les élections. De même, en matière de droit d'asile, il avait fallu réviser la Constitution pour surmonter la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il n'est donc pas choquant d'adopter cette réforme pour réaffirmer et préciser la Charte de l'environnement.

Préciser la volonté du peuple sur ces deux éléments qui ont beaucoup évolué - changement climatique et biodiversité - renforcerait symboliquement la protection de l'environnement. Là encore, Clara Gonzales l'a très bien dit.

Arrêtons-nous un instant sur ce point. Beaucoup d'auteurs ont estimé que ce serait une bonne chose, notamment Bastien François. Ils ont raison, car le symbolique est très important en droit, et l'article 1er de la Constitution énonce les bases de notre République - laïcité, égalité, etc. Il s'agit des valeurs fondamentales qui nous unissent, la protection de l'environnement y a tout à fait sa place.

Toutefois, cette réforme n'est pas seulement symbolique : elle pourrait avoir des effets juridiques puisque les juges devront la respecter. Ces effets juridiques ont pu faire un peu peur, et on a craint, notamment le Conseil d'État, que le verbe « garantit » ne soit trop fort.

Je m'arrête ici un instant. Certains auteurs ont dit que cette réforme constitutionnelle n'apporterait rien du tout. Le Conseil d'État a démontré le contraire puisque, dans ses avis, il craint que le terme « garantit » ou « assure » ne soit trop fort et veut les remplacer par le terme « favorise ». Bien sûr, cela renforcera la protection de l'environnement, même si ce n'est pas une révolution puisque le seul fait qu'il existe un droit de l'homme dans l'environnement fait qu'on a obligation de le protéger. C'est simplement une obligation rappelée, réaffirmée, précisée et renforcée.

Dominique Rousseau, avec qui j'étais sur les ondes il y a peu, affirmait que cette révision ne changerait rien du tout, puisque le Conseil constitutionnel a jugé que, dans certains cas, il faut limiter la liberté d'entreprendre pour garantir la protection de l'environnement. C'est tout à fait juste, et cela peut rassurer ceux qui craignent qu'on ne limite la liberté d'entreprendre à cause de cette réforme : c'est déjà le cas - et c'est tout à fait normal. La liberté d'entreprendre n'est pas toute-puissante ni au-dessus des autres droits. Tous les droits de l'homme sont égaux, et il appartient aux juges, notamment au Conseil constitutionnel, d'en assurer la meilleure conciliation.

De ce point de vue, il n'y aura pas de révolution. Cependant, cela renforcera la protection juridique de ce droit, notamment par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), c'est-à-dire du contrôle des lois en vigueur. Pour l'instant, et sous réserve d'une évolution incertaine, le Conseil constitutionnel estime que les considérants de la Charte ne peuvent être invoqués en QPC. Or on constate que, dans le texte actuel de la Charte, la biodiversité n'est invoquée que dans les considérants. Si un texte de loi existant porte gravement atteinte à la biodiversité, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel écarte ce grief. Le texte qui vous est donc soumis apportera un vrai progrès puisqu'il permettra un meilleur contrôle.

Je tiens à souligner que ce texte ne sera pas, pour le législateur, un carcan mais une ressource. Même si le Conseil constitutionnel doit veiller à ce que le législateur respecte la Constitution et l'applique effectivement, l'analyse de sa jurisprudence, dans tous les domaines, jusqu'à aujourd'hui, montre fort bien qu'il ne reproche pratiquement jamais au législateur de ne pas avoir apporté de garanties suffisantes. On l'a vu par exemple dans la décision récente sur la dérogation à l'interdiction des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière. Il a considéré que cette exception était ponctuelle, limitée dans le temps, dans son objet, etc., et qu'il n'y avait pas d'atteinte fondamentale aux principes.

Ce ne sera donc pas un carcan, parce que le Conseil constitutionnel ne réalise qu'un contrôle de l'erreur manifeste, du caractère manifestement inapproprié de telle ou telle législation par rapport à l'objectif.

En revanche, ce sera un moyen d'assurer votre propre survie. La dégradation atteint en effet un tel niveau qu'il ne s'agit plus seulement de nos enfants, de nos petits-enfants, mais aussi de nous-mêmes. On annonce 55 degrés dans les prochaines années à Paris, et beaucoup de gens n'y survivront pas car, soumis à de telles températures, le système respiratoire ne fonctionne plus.

Si nous voulons assurer notre propre survie et celle des générations futures, il nous faut des ressources supplémentaires. Or ce texte vous en fournira, ainsi qu'aux juges administratif et constitutionnel, qui pourront assurer plus efficacement la conciliation entre la protection de l'environnement et les autres droits fondamentaux.

S'agira-t-il d'une obligation de moyens ou de résultats ? Il y a eu des débats sur ce point. Je suis d'accord avec le Conseil d'État lorsqu'il estime qu'il existera une quasi-obligation de résultat. Tout comme le législateur et le juge doivent protéger le principe d'égalité, ils devront protéger l'environnement, notamment sur ces points-là.

Cependant, cela ne signifie pas que, demain, des torrents de contentieux vont déferler à la moindre pollution ou à la moindre dégradation de l'environnement. Le terme « garantit » - revenons-y un instant - fait un peu peur. Pourtant, il est déjà utilisé huit fois dans la Constitution.

Le Conseil d'État estime que le terme est trop fort et conseille de le remplacer par le terme « favorise ». Je suis en désaccord total avec le Conseil d'État sur ce point !

En effet, l'analyse de l'ensemble de la jurisprudence de tous les tribunaux démontre que le Conseil d'État est complètement à côté de la plaque ! Son analyse ne me paraît pas du tout justifiée, en particulier s'agissant du contentieux constitutionnel. À huit reprises, la Constitution affirme déjà que tel ou tel élément doit être garanti, six fois dans le Préambule, deux fois dans les articles. Dans le préambule de 1946, à l'alinéa 11, la Nation « garantit » la protection de la santé. Cela n'a absolument pas généré des flots de contentieux, cela n'a absolument pas paralysé l'économie ni l'industrie. Cela n'a absolument pas bloqué le principe d'innovation - qui est d'ailleurs réaffirmé dans la Charte de l'environnement. Toutes les craintes qui ont pu être exprimées sur ce point me paraissent donc totalement déraisonnables au regard de la jurisprudence actuelle, en particulier du Conseil constitutionnel.

Il me semble tout à fait utile d'adopter cette révision et indispensable de ne pas en réduire la portée. Il serait extrêmement dangereux de toucher à la Charte de l'environnement, qui est un texte symbolique, cohérent sur le plan du contenu, intéressant et qui apporte beaucoup de choses. Il faut néanmoins le compléter par cette révision.

Comme la plupart de mes collègues, et comme Clara Gonzales, j'estime que ce serait un progrès d'y affirmer le principe de non-régression et peut-être une très belle occasion pour le Sénat de se montrer l'ami de l'environnement, car on a parfois pu se demander si c'était toujours le cas. Il trouverait là une belle occasion de le montrer, soit en adoptant cette réforme telle quelle, soit en prouvant qu'il veut la renforcer avec le principe de non-régression, marquant ainsi le fait que l'institution vit dans son époque, qu'elle est ouverte à l'évolution de la société et soucieuse de protéger le présent et l'avenir.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Sur ce dernier point, auriez-vous un doute ?

Mme Marie-Anne Cohendet. - Oui, et un vrai doute !

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Quel dommage ! Vous ne connaissez pas assez le Sénat ni les sénateurs.

Mme Marie-Anne Cohendet. - Il y a beaucoup de sénateurs formidables et soucieux de protéger l'environnement !

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Madame Cohendet, vous avez dit que le texte n'était pas révolutionnaire mais avait une portée symbolique. Vous avez par ailleurs indiqué que 170 constitutions dans le monde font état de l'environnement, et qu'une centaine comportent un droit à l'environnement. Quelles sont les formulations choisies ? La sémantique est importante dans cette révision. Le mot « garantit » figure-t-il dans certaines constitutions ? Comment les choses se passent-elles pour ce qui est ensuite de l'interprétation des juges constitutionnels de ces pays ? Y a-t-il eu un avant et un après ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets sur le sujet ? Par ailleurs, la France serait-elle la seule à employer le verbe « garantir » ?

Mme Cécile Cukierman. - Merci, mesdames, pour votre présentation.

Je tiens tout d'abord à vous rassurer : nous sommes toutes et tous conscients des conséquences du dérèglement climatique. Nous en avons d'ailleurs vu les résultats dans beaucoup de nos régions, avec les floraisons précoces qui ont eu lieu et les conséquences catastrophiques du gel pour la viticulture et l'arboriculture de notre pays.

Avec beaucoup d'humilité, je vous rappelle qu'il existe inévitablement des réponses politiques différentes en démocratie, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, comme dans la société toute entière. Avoir des désaccords entre nous ne veut pas dire que nous sommes toutes et tous inconscients et regarderions la planète brûler sans rien faire.

Nous sommes en effet obligés en tant qu'élus, mais non par le
Gouvernement ou par telle ou telle proposition : nous sommes obligés par les femmes, les hommes qui vivent, travaillent dans nos départements, celles et ceux que nous rencontrons, nos électrices, nos électeurs, à travers nos différents mandats. Ce sont parfois des gens avec des priorités différentes.

Je rencontre régulièrement des personnes qui estiment que, si la Constitution garantit beaucoup, concrètement, elle ne garantit plus leurs droits. Vous avez rappelé que la Constitution garantit la santé. Beaucoup de femmes et d'hommes, aujourd'hui, voient s'éloigner de chez eux l'accès à la santé... Il ne s'agit donc pas seulement d'inscrire un principe dans la Constitution. Il s'agit de savoir quelle ambition politique on se donne pour y répondre.

On parle beaucoup de l'article 1er de la Constitution. Lorsqu'on le relit, il pose les bases - vous l'avez évoqué - de ce qui permet aux femmes et aux hommes de « faire République » ensemble. Dès lors que l'on y rajoute de nouveaux principes, au demeurant fort légitimes, n'ouvre-t-on pas la boîte de Pandore ? Ne risque-t-on pas, demain, de voir ajouter des orientations et des choix d'action qui ne concernent pas simplement la façon dont nous décidons de vivre ensemble et de « faire République » ?

M. Jean-Yves Leconte. - Personne ici ne souhaite réduire la portée de l'objectif constitutionnel de défense de l'environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Toutefois, il existe plusieurs principes constitutionnels, et plus les principes peuvent avoir des effets contradictoires, plus on dessaisit le législateur de sa capacité d'arbitrer au profit du juge.

Vous avez parlé d'un principe de non-régression. Cela peut sembler très intéressant. On pourrait aussi estimer qu'il faudrait poser un principe de non-régression en faveur des libertés individuelles. Nous y serions sans doute tous favorables, par principe. Toutefois, face à la pandémie, qu'aurait-on fait depuis un an ? Ce principe peut sembler intéressant, mais il n'est peut-être pas très pragmatique par rapport à tout ce qui peut arriver.

Par ailleurs, vous avez dit que le juge constitutionnel ne reproche jamais au législateur de ne pas fournir de garanties. J'ai quand même le sentiment, en particulier s'agissant des déclarations d'état d'urgence, que de nombreuses dispositions votées en 2015 et 2016 ont été censurées faute de garanties. On ne peut donc pas dire que, si le législateur n'assortit pas les droits fondamentaux de garanties suffisantes, le juge ne le sanctionne pas.

Toute la question est de savoir si l'on ne transfère pas le pouvoir au juge en inscrivant trop d'exigences constitutionnelles parfois contradictoires, qui ne seront plus arbitrées par la représentation nationale.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - De votre point de vue, quelles seraient les conséquences de l'usage du verbe « garantir » sur l'application du principe de développement durable, qui associe la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Cet équilibre ne serait-il pas remis en cause ?

Mme Marie-Anne Cohendet. - Monsieur Chevrollier, en ce qui concerne le droit comparé, je vous renvoie aux ouvrages de James May et Erin Daly, Global Environmental Constitutionalism, et aux ouvrages de David Boyd, rapporteur spécial à l'ONU sur les droits de l'homme et l'environnement. Ils démontrent les uns et les autres qu'il existe une assez grande diversité dans les termes employés dans les constitutions des différents pays et qu'il faut manier ces comparaisons avec beaucoup de prudence, un même terme n'étant pas forcément interprété de la même manière d'un pays à l'autre. Par exemple, en France, nous connaissons le principe suivant lequel, en droit, l'indicatif vaut impératif. Toute disposition rédigée à l'indicatif dans notre Constitution vaut obligation, ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs.

Ces auteurs ont observé une très grande gradation dans les énoncés. Certains sont peu contraignants, d'autres au contraire le sont extrêmement. Il existe donc une gamme très variée. On ne peut dire que les termes retenus par le projet de loi constitutionnelle soient ni trop forts ni trop faibles. Il existe également sur ces sujets un ouvrage de Jochen Sohnle sur l'effectivité du droit constitutionnel de l'environnement dans certains pays.

Cette notion de la garantie, il faut l'apprécier par rapport à notre droit français, par rapport aux autres dispositions de la Constitution qui contiennent ce terme, et en observant si cela a généré ou non des flots de contentieux.

Je vous signale que plusieurs constitutions sont plus exigeantes que la Constitution française et reconnaissent des droits plus forts que le droit français. Par exemple, il existe dans le droit brésilien, le droit sud-africain ou à Saint-Domingue des exigences constitutionnelles extrêmement précises et fortes. Dans ce domaine, on ne peut craindre que la France ait un régime très dur et que les autres aient un régime très doux. Cela dépend beaucoup des pays.

Vous soulevez la question très importante de savoir si la France peut garantir seule la protection de l'environnement. On sait très bien que la protection de l'environnement doit se faire à l'échelle de la planète et que c'est l'action de tous les pays qui est importante. Si nous, Français, nous nous imposons des exigences très fortes alors que les Chinois ou d'autres n'ont pas d'exigences et font n'importe quoi, on risque de mettre en péril notre économie, alors que les autres massacreront l'environnement.

Je me suis rendue à un colloque en Chine il y a quelque temps. J'ai été stupéfaite de constater qu'on ne trouve plus à Pékin que des deux-roues électriques et plus du tout de deux-roues à essence, à cause de la pollution. Les Chinois ont un niveau de pollution épouvantable : le nuage couvre des milliers de kilomètres, ce qui prouve qu'ils auraient dû se réveiller plus tôt. Le nombre de morts de ce fait est énorme. Cependant, il ne me paraît pas réaliste de croire que les Chinois ne s'en soucient pas. Je pense au contraire qu'ils mènent des actions extrêmement fortes en faveur des énergies renouvelables, notamment en matière de fabrication de voitures électriques, où ils font des efforts gigantesques.

Nous ne devons pas rester immobiles au prétexte que d'autres pays ne font rien. Il est vrai que, sous le mandat de M. Trump, les États-Unis ont détricoté toute leur législation. Ce n'est plus le cas depuis l'arrivée de M. Biden, et je pense que son élection va renforcer la protection de l'environnement à l'échelle mondiale.

Je suis surtout convaincue qu'il existe des débouchés économiques et industriels énormes en matière de protection de l'environnement. Notre survie alimentaire dépend aussi de la protection de l'environnement agricole. Marc Dufumier, si vous le consultez, vous montrera comment les États-Unis, pendant des années, ont stérilisé des milliers d'hectares en recourant à des pratiques agricoles abusives, alors qu'on peut très bien nourrir la planète avec une agriculture respectueuse de l'environnement. Cela offrira plus d'emplois. C'est une question de volonté. On peut garantir notre alimentation et une économie solide et durable tout en protégeant l'environnement.

Madame Cukierman, je comprends votre inquiétude : si l'on touche à l'article 1er, ne va-t-on pas y mettre ensuite un peu tout et n'importe quoi ? L'argument est sérieux, mais je tiens à vous rassurer : l'article 1er a déjà été modifié au moins à deux reprises, en particulier pour y introduire la décentralisation. Ce n'est pas un problème du tout. Il ne faut pas non plus qu'une Constitution soit une vieille chose qui n'est plus du tout adaptée à la société actuelle. Au contraire, il me semble important qu'une constitution sache s'adapter à l'évolution de la société. Le contrat social qu'établit la Constitution entre nous tous en 2021 n'est évidemment pas le même qu'en 1789. Ce serait une bonne chose d'introduire ce nouveau principe, et je ne pense pas que l'on ouvre ainsi une boîte de Pandore : c'est toujours le peuple qui décidera en dernier ressort, soit directement par référendum, soit par votre intermédiaire, du contenu qu'il souhaite donner à notre pacte républicain.

Monsieur Leconte, je comprends très bien votre argument, on ne peut plus sérieux, d'un risque de transfert du pouvoir de décision du législateur au juge. Néanmoins, je pense que le risque n'existe pas en France actuellement. Quand je disais tout à l'heure que le juge trouve toujours que les garanties offertes par la loi sont suffisantes, je parlais d'environnement. Cela ne s'applique pas à tous les domaines du droit, et si je vous ai fait croire le contraire, c'est que je me suis mal exprimée.

Pour l'instant, le juge n'est absolument pas prêt à aller vérifier sur le terrain si, dans le détail, la préservation de l'environnement est garantie sous tel ou tel aspect. Le juge vérifie si, grosso modo, les mesures adoptées vont ou non dans le sens de ce qui a été affirmé comme étant la volonté du peuple. Il ne sanctionne généralement que l'erreur manifeste. Je pense donc que le transfert du pouvoir de décision du législateur au juge ne constitue pas un vrai sujet de préoccupation aujourd'hui en France. Il faut veiller à ce que cela ne le devienne jamais, et c'est bien parce que les juges n'ont pas respecté la volonté affirmée par le peuple dans la Charte de l'environnement que cette révision constitutionnelle s'impose aujourd'hui.

Monsieur le président, l'emploi du terme « garantit » ne remettrait pas en cause l'équilibre interne du développement durable. D'autres articles de la Constitution - notamment le Préambule - contiennent le mot « garantit », qui ne génère pas une hiérarchie dans la valeur des droits. En d'autres termes, l'emploi de ce mot ne placerait pas la protection de l'environnement au-dessus d'autres droits et libertés. Certains ont toujours peur que la protection de l'environnement porte atteinte à la liberté ou à la propriété. Au contraire, notre dignité, notre droit de propriété, notre liberté, notre droit à la protection de la santé ne peuvent être préservés que si l'on garantit la protection de l'environnement.

Mme Clara Gonzales. - S'agissant du principe de non-régression, il n'implique pas que la réglementation environnementale ne puisse plus évoluer et que toute norme environnementale soit créée de manière définitive. Le principe de non-régression concernera le niveau de protection qui ne pourra plus être abaissé. Comme l'a rappelé Marie-Anne Cohendet, différentes garanties à valeur constitutionnelle existent aujourd'hui et n'empêchent pas l'innovation, la liberté d'entreprendre, etc. Le principe de non-régression consiste à garantir le fait que la protection ne sera pas abaissée, sans se priver de la capacité d'adaptation nécessaire pour atteindre ce résultat.

Je pense qu'il faut s'en remettre à l'intelligence, au professionnalisme et aux exigences du Conseil constitutionnel dans l'interprétation et l'équilibre des normes. Les principes de non-régression, de lutte contre le réchauffement climatique ou de protection de l'environnement seront toujours à appliquer de manière proportionnée, en particulier si cela engendre des atteintes à d'autres libertés ou droits fondamentaux garantis constitutionnellement. De ce point de vue, il n'existe pas de hiérarchie, comme l'a rappelé Marie-Anne Cohendet, entre les droits et libertés garantis constitutionnellement. La notion d'équilibre est fondamentale.

Les mêmes débats ont eu lieu à propos du principe de précaution. Marie-Anne Cohendet a rappelé que la santé est notamment garantie par la Constitution : ces principes n'ont pas engendré de blocage ni un contrôle renforcé des mesures que le législateur a adoptées. Il faut donc s'en remettre à la sagesse du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel qui, il faut le rappeler, s'est montré assez frileux dans l'interprétation de certaines normes de la Charte de l'environnement.

L'inscription dans la Constitution nous obligera à l'échelle nationale puis, potentiellement, à soutenir l'adoption de normes internationales dans le cadre des relations interétatiques ou au sein de l'Union européenne. Nous resterons cependant soumis aux contingences des politiques internationales, c'est évident. Éric Dupond-Moretti, quand il a présenté le projet de réforme, a dit qu'il instituait un principe d'action des pouvoirs publics. Ce principe s'applique avant tout à l'échelle nationale. Cela ne changera pas la face de la politique des autres pays du monde, mais cela nous placera en position d'avant-garde dans la défense et la protection de l'environnement, ce qui, je pense, est voulu par le Gouvernement et un certain nombre d'élus.

Monsieur le président, vous avez rappelé à juste titre la liberté qui est la vôtre et le fait que la seule chose qui vous oblige, c'est votre fonction de représentants du peuple. Loin de moi l'idée de le remettre en cause. Heureusement, aucun intérêt privé, quel qu'il soit, ne vous oblige, ni le nôtre ni celui des autres personnes que vous avez auditionnées. J'essayais simplement de rappeler dans ma présentation que la préservation de l'environnement, objectif à valeur constitutionnelle, vous oblige et nous oblige tous. C'est pourquoi que je me permettais de faire référence aux différents textes dont vous aurez à débattre d'ici la fin de la mandature.

M. François-Noël Buffet, président. - Tous les sénateurs, et pas seulement les membres de la commission des lois, ont été élus locaux et assumé des responsabilités - maires, présidents de conseils départemental ou régional, d'intercommunalité. Même si nous avons des engagements politiques différents, je crois que nous nous accordons aujourd'hui très largement, pour ne pas dire unanimement sur la nécessité de la protection de l'environnement. Notre responsabilité, notamment au sein de la commission des lois, est d'écrire la loi et, en la circonstance, de jouer notre rôle de constituants. Nous sommes donc, par principe, à l'écoute de tout le monde et prudents dans nos analyses. Nous prendrons naturellement nos responsabilités mais, sur le fond, sachez que nous sommes convaincus de la nécessité de préserver notre environnement. Nos prédécesseurs ont d'ailleurs voté la Charte de l'environnement, qui fait désormais partie du bloc de constitutionnalité. Nous nous inscrivons dans la continuité de ce processus.

Il me reste, mesdames, à vous remercier pour vos contributions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.