Jeudi 27 mai 2021
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Politique étrangère et de défense - Mission d'observation électorale de l'OSCE en Bulgarie le 4 avril 2021- Compte rendu de M. Pascal Allizard
M. Jean-François Rapin, président. - Notre collègue Pascal Allizard va nous rendre compte de la mission d'observation électorale qu'il a effectuée le mois dernier en Bulgarie, au titre de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Nous avons choisi d'informer notre commission des activités des sénateurs au sein des assemblées parlementaires européennes où ils étaient désignés pour siéger : c'est un bon réflexe, car la plupart de ces activités intéressent de près ou de loin notre commission. Je souhaite la bienvenue à nos collègues membres de ces assemblées qui n'appartiennent pas à notre commission et que j'ai invités à notre réunion. Nous sommes curieux de connaître l'appréciation portée par Pascal Allizard sur la manière dont se sont déroulées les récentes élections législatives en Bulgarie.
M. Pascal Allizard, responsable de la mission pour l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. - Je casse tout suspens : les élections législatives en Bulgarie devront être recommencées en juillet prochain.
Deux points importants étaient particulièrement à observer : la procédure électorale et son évolution dans un pays ayant accédé à la démocratie il y a trente ans - c'est peu à l'échelle historique ; et la manière dont un pays européen organisait une élection dans le contexte pandémique. La situation sanitaire était légèrement plus grave que la situation française, mais comparable en termes d'incidence, de risques, et de nombre de patients hospitalisés. Ces élections, très bien organisées, se déroulaient lors d'une troisième vague assez sévère. Les élections se sont tenues par la volonté du Gouvernement, malgré ce contexte sanitaire dégradé. Partout le masque était porté, les distances respectées même en cas de queue, les citoyens étaient très disciplinés.
Les moyens de surveillance étaient importants. Les bureaux de vote avaient tous six ou sept assesseurs et restaient ouverts de 7 heures du matin à 8 heures du soir. Chacun avait sa nouvelle carte d'identité - petit format numérisé à puce, le modèle qui sera disponible en France. Des forces de sécurité étaient présentes pour aider à la formation des files. Enfin, la plus grande sérénité régnait et peut-être aussi un peu de résignation. Partout, André Gattolin et moi-même avons été bien reçus.
Il était prévu de promener des urnes mobiles dans les hôpitaux, chez les malades et chez tous ceux qui étaient empêchés de se déplacer, mais cette idée généreuse demandait une logistique délicate et beaucoup de bras ; le nombre des volontaires n'était pas suffisant. En Bulgarie, le vote par procuration n'existe pas. En conséquence : on peut au dernier moment ajouter quelqu'un sur les listes électorales s'il peut prouver qu'il devait s'y trouver ou qu'il ne peut pas voter ailleurs - ce qui ne cesse de nous interroger... Ainsi, des étudiants se contentaient de monter leur carte d'étudiant ou leur carnet de notes en plus de leur carte d'identité et s'engageaient sur l'honneur à ne pas voter deux fois.
Le résultat des élections législatives bulgares confirme la victoire des conservateurs du Premier ministre sortant, Boïko Borissov, en place depuis près de quinze ans. Cependant, les caractéristiques propres à la proportionnelle intégrale, le nombre de partis en lice - trente - et l'ampleur du vote protestataire, divisé entre plusieurs petits partis nouveaux, donnent un résultat éclaté. C'est ainsi que s'est ouverte une période d'instabilité politique que le Premier ministre sortant croyait pouvoir exploiter à son profit. Il n'en est rien.
Son parti représente encore la première force politique du pays malgré un net recul de son électorat. Il veut tenir les rênes directement ou indirectement jusqu'à l'élection présidentielle de novembre, qui pourrait bien lui donner la présidence, à défaut d'un nouveau mandat de Premier ministre.
Le GERB (« Citoyens pour le développement au sein de l'Union européenne »), parti de M. Borissov, arrive donc en tête, mais il est suivi de près par un nouveau parti populiste dénommé « Il y a un tel peuple » ou plutôt « Le peuple existe » (ITP), fondé par le célèbre et étonnant présentateur de télévision nationale Slavi Trifonof.
Ce dernier a annoncé pendant la campagne qu'il ne ferait de coalition avec personne. À la publication du résultat, il s'est contenté de dire que le peuple avait gagné et qu'il reprenait enfin le pouvoir qu'on lui avait confisqué. Comprenne qui pourra. La réalité est que son électorat veut « dégager » le pouvoir en place sans pour autant avoir d'autre programme que ce « dégagisme ». Cette formation nouvelle de l'animateur télévisé satirique a créé une énorme surprise que les sondeurs n'avaient pas vue puisque cette formation devance largement les « socialistes ». Slavi Trifonof a également été plébiscité par les Bulgares de l'étranger qui l'ont placé en tête.
Le mouvement « Bulgarie démocratique de la droite citadine », composé de ceux qui avaient lancé les défilés antigouvernementaux de l'hiver dernier, fait aussi mieux que prévu. L'autre parti contestataire, « Levez-vous et mettez les mafieux dehors » (DMD, plutôt à gauche), a réuni près de 5 % des électeurs. Habituel faiseur de rois, le parti ethnique de la minorité turque MDL qui se veut un parti « ouvert à tous » n'arrive qu'en cinquième position, car il a été pénalisé par la mauvaise réputation du député oligarque Delyan Peevski, soupçonné de malversations et d'une grande influence sur la classe politique, sur le parquet et sur les médias dont il possède une partie non négligeable. MDL avait décidé de retirer le nom de ce député de ses listes. La manoeuvre n'a trompé personne.
Enfin, les nationalistes « macédoniens » du VMRO, qui faisaient partie du Gouvernement sortant, n'ont pas réussi à dépasser la barre des 4 % et quittent le Parlement. Les 25 autres partis n'ont récolté que quelques voix.
Ces résultats traduisent la profonde fragmentation de l'opinion et un profond malaise dans cette société qui ne voit toujours pas venir la prospérité qu'elle convoitait en intégrant le club européen. Une fois de plus, aucune majorité nette ne se dégage et le parti en place profite de la prime au sortant et du légalisme d'une partie de l'électorat, lequel se méfie du retour du communisme sous un autre nom.
Dans un geste de bonne volonté voire une manoeuvre tactique, le Premier ministre a d'abord tendu la main à ses opposants, mais les négociations sont apparues très difficiles. On tablait d'abord sur un gouvernement composé d'experts pour « traverser la crise de la covid-19 et aller de l'avant ». Ainsi s'exprimait M. Borissov, mais l'élection présidentielle prévue en novembre attise naturellement de nouvelles luttes et empêche certaines alliances. Le président en place, le « socialiste » Roumen Radev, ancien communiste pro-russe et très peu europhile, a soutenu les manifestants, n'a pas caché son mépris pour le gouvernement sortant et a déjà annoncé qu'il briguerait un nouveau mandat. Dans une déclaration qui est mal passée, il a déclaré le jour du vote qu'il s'apprêtait à voter « contre l'arbitraire et la corruption », affichant sa confiance dans un « retour à la normalité ». Personne n'a compris à quelle normalité il se référait.
Actuellement, six partis et coalitions politiques dépassent la barre des 4 % nécessaire pour entrer au Parlement : les sortants du GERB/UFD (coalition sortante dirigée par l'actuel Premier ministre Boïko Borissov) ont obtenu 26,18 % des suffrages et 75 sièges, soit 20 de moins qu'auparavant ; « Il y a un tel peuple », le nouveau parti de l'animateur Slavi Trifonov, a obtenu 17,66 % des suffrages et 51 sièges ; le PSB (parti socialiste anciennement communiste) a obtenu 15,01 % des suffrages et 43 sièges, contre 80 auparavant ; MDL a obtenu 10,49 % des suffrages et 30 sièges, soit 4 de plus ; « Bulgarie démocratique » a obtenu 9,45 % des suffrages et 27 sièges ; « Levez-vous et mettez les Mafieux dehors ! » a obtenu 4,72 % des suffrages et 14 sièges. Les autres partis n'ont aucun représentant.
Ainsi 3 254 899 électeurs ont voté, soit un taux de participation de 49,88 %, chiffre non négligeable compte tenu du découragement de la population et de la situation sanitaire.
Le 7 avril 2021, juste après les élections, le Premier ministre Boïko Borissov (GERB) a tenu en Conseil des ministres un discours qui se résume en cinq points : GERB est la première force politique et doit donc proposer la formation d'un gouvernement, mais elle ne peut pas avoir de majorité au Parlement, qui voulait « tout sauf Borissov » ; Boïko Borissov a demandé en conséquence à Slavi Trifonov de ne pas déserter et de former un gouvernement, mais il a reçu une fin de non-recevoir ; il a affirmé ensuite qu'il était « prêt à donner des députés à Trifonov » pour lui assurer un soutien au Parlement dans le cas où il formerait un gouvernement ; il s'est dit convaincu que de nouvelles élections n'apporteraient pas de solution et seraient un gaspillage d'argent et de temps, tandis que le Président de la République affirmait exactement le contraire ; il a suggéré enfin de profiter de cette législature pour tenter une union nationale et préparer la convocation d'une assemblée constituante qui adopterait une nouvelle Constitution, afin de changer le mode de scrutin au profit d'un scrutin uninominal, ce que refusent tous les autres partis.
On pensait alors que le Premier ministre sortant, qui s'est toujours montré d'une grande habileté politique, réussirait à tirer son épingle du jeu ; mais l'hostilité de ses adversaires et ses ennuis de santé qui l'ont conduit à l'hôpital ont joué contre lui, et son parti a suscité une profonde réaction de rejet au Parlement. Aucune coalition ne s'est avérée possible.
Boïko Borissov, vainqueur sans majorité absolue, a ainsi mandaté sans succès le nouveau parti populaire anti-élite « Il y a un tel peuple » pour former une coalition ; puis il a tenté de se rapprocher du parti socialiste, troisième parti le plus important du Parlement, sans succès là aussi. « La Bulgarie a besoin d'une alternative politique avec une volonté forte, chose que le Parlement actuel n'a pas réussi à produire », a déclaré le Président Roumen Radev après le refus du parti socialiste, troisième et dernière tentative de former un gouvernement.
Les textes bulgares prévoient qu'après trois tentatives avortées, le Président de la République reprend la main. Le 5 mai, ce dernier a décidé de procéder à de nouvelles élections le 11 juillet prochain. La semaine dernière, il a annoncé la désignation de son secrétaire à la défense au poste de Premier ministre par intérim. Âgé de 61 ans, Stefan Yanev est un proche du Président Radev. Sa tâche, d'ici aux élections législatives du 11 juillet, sera de juguler l'épidémie de coronavirus et de garantir l'organisation d'un scrutin équitable, et bien sûr d'assurer la réélection de son mentor en novembre.
En conclusion, je tiens à nouveau à saluer le courage du Gouvernement bulgare qui a pris le risque d'organiser ces élections dans des conditions exceptionnelles - en France, nous étions en train de débattre sur la tenue ou non des élections régionales et départementales. Je tiens aussi à souligner à quel point les électeurs bulgares semblent désabusés au vu de la situation générale du pays qui reste aux mains de clans qui n'ont pas d'autres projets que de gérer leurs affaires tandis que ceux qui pourraient accéder au pouvoir et les remplacer ne savent pas comment s'y prendre. La proportionnelle intégrale n'arrange pas les choses et ne permet pas de dégager une majorité pour gouverner. Pourtant, il n'y a pas de consensus pour changer ce mode de scrutin. Enfin, je dois souligner le découragement du peuple bulgare qui a tant attendu de son appartenance à l'Union européenne et qui ne croit plus aussi aveuglément à la solution communautaire. C'est un message que nous devrions entendre, à Paris comme à Bruxelles. Contrairement à la Roumanie, la Bulgarie n'a pas profité de la manne européenne pour différentes raisons - dont la corruption.
Je ne retournerai pas en Bulgarie le 11 juillet puisque le Secrétaire général de l'OSCE m'envoie en Moldavie ce jour-là.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci de cette synthèse. Lorsque nous avons reçu les autorités bulgares en France, le taux d'incidence était de 700 pour 100 000 habitants. Globalement, malgré cette difficulté, j'entends que les élections se sont tenues dans de bonnes conditions.
Avec notre collègue Laurence Harribey, nous travaillons en vue de la Conférence sur l'avenir de l'Europe sur les sujets institutionnels, notamment sur la future loi électorale de l'Union européenne. On voit ici le problème d'avoir un processus électoral européen non unifié : le vote par procuration n'est pas autorisé en Bulgarie, mais on y promène les urnes dans les hôpitaux, ce qui n'est pas permis en France.
M. Pascal Allizard. - Au sein de l'Union européenne et au-delà, il y a des différences profondes sur les modes d'organisation des scrutins. Soyons humbles et réalistes. Ce n'est pas parce que leur organisation est différente de la nôtre qu'elle est moins efficace. Les procédures de vote et de contrôle sont très bien organisées et verrouillées. Les risques inhérents au scrutin ne se situent pas aux mêmes endroits de la chaîne de vote qu'en France.
On pourrait s'interroger sur l'opportunité d'un mode de scrutin supranational pour le Parlement européen. On peut certes constituer des listes supranationales communes, mais l'organisation du vote est plus complexe.
M. Jean-François Rapin, président. - Je n'ai pas voulu dire que notre système était le meilleur, mais des différences perdurent.
M. Jean-Yves Leconte. - La situation politique en Bulgarie est similaire à celle d'autres pays européens. On constate un émiettement des votes dans de nombreux pays, bloqués par un processus électoral reposant sur la proportionnelle - nous vivons le contraire en France, mais ce n'est pas mieux.
Même dans les pays ayant connu la démocratie avant 1989, la considération des partis politiques est beaucoup moins forte dans l'opinion publique. Il y a un certain nombre de partis bizarres en Europe centrale. Dans ces pays, il n'y a pas de tradition de militantisme politique, mais des mobilisations sociales plus ponctuelles.
La Bulgarie et la Roumanie sont entrées dans l'Union européenne juste avant la crise de 2008, ce qui les a empêchées de profiter de quelques années de croissance à l'instar des autres pays entrés en 2004.
Alors que ces peuples étaient totalement mobilisés durant vingt ans pour rentrer dans l'Union européenne, où est désormais leur projet ? Il y a une absence de réponse ou des mauvaises réponses. À l'Union européenne de reconstruire un projet européen. Pour cela, il faut élever le débat politique au niveau européen, quelles que soient les différences de mode électoral ou de financement des partis politiques. Pour éviter un risque d'émiettement total qui serait dommageable, débattons ensemble à l'échelle européenne.
M. André Reichardt. - Compte tenu de la proximité géographique entre la Bulgarie et la Turquie, le résultat de la liste ethnique est intéressant. Quelles sont les relations entre la Bulgarie et la Turquie, alors que la population bulgare a des difficultés à reconnaître les avantages de l'adhésion à l'Union européenne ?
M. Pascal Allizard. - Les relations sont contrastées. Chef de la mission de l'OSCE, j'ai passé six jours en Bulgarie, durant lesquels j'ai échangé avec de nombreux responsables politiques et médiatiques.
La Turquie est un voisin puissant, et la communauté turque est nombreuse. Il est impossible pour la Bulgarie d'afficher des difficultés avec la Turquie ; elle fait preuve de modération apparente, mais les tensions sont fréquentes. Il y a une communauté turque vivant en Bulgarie, mais de nombreux Turcs font des allers-retours entre la Bulgarie et la Turquie.
On observe une réaction nationaliste contre la communauté turque et ce vote a exacerbé les positions des uns contre les autres, ce qui ne crée pas un climat apaisant pour former des coalitions. Ce parti minoritaire turc était un faiseur de rois. Malgré quatre députés supplémentaires, il a perdu ce rôle.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Nous attendons donc votre future mission en Moldavie.
(La réunion, suspendue à 9h50, reprend à 10 heures.)
Questions sociales, travail, santé - Audition de M. Nicolas Schmit, Commissaire européen à l'emploi et aux droits sociaux
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le commissaire, un grand merci d'avoir accepté notre invitation pour échanger sur l'Europe sociale. Nous aurions préféré vous accueillir à Paris, mais cela n'a pas été possible en raison de la pandémie : nous espérons pouvoir vous recevoir un jour ici au Sénat, au Palais du Luxembourg.
Notre commission est très soucieuse de rapprocher l'Union européenne de ses citoyens. À ce titre, la construction d'une Europe sociale représente un enjeu majeur, car elle peut contribuer à renforcer la solidarité entre les peuples européens et à rendre plus concrète la plus-value de l'Europe pour chaque citoyen. Aussi, notre commission prête la plus grande attention aux suites données au socle européen des droits sociaux, proclamé en 2017. Le sujet est devenu particulièrement sensible en raison de l'impact social de la crise économique découlant de la pandémie de covid-19. C'est ce qui a motivé la tenue du Sommet social de Porto il y a trois semaines : les trois objectifs pour 2030, présentés par la Commission dans son plan d'action, en matière d'emploi, de formation, et de réduction de la pauvreté, ont ainsi été validés. Ce sommet a permis aux chefs d'État ou de gouvernement européens de confirmer l'élan pour accélérer la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux. Comment comptez-vous décliner concrètement cet élan ? Nous saluons déjà l'initiative prise par la Commission de proposer une directive sur le salaire minimum, mais d'autres impulsions sont attendues sur des sujets sensibles pour nous comme la coordination des systèmes de sécurité sociale, le régime d'assurance-chômage européen... La diversité des modèles économiques et sociaux du nord au sud et d'est en ouest rend la tâche très difficile : dans ce contexte, croyez-vous que vous parviendrez effectivement à renforcer la convergence sociale de l'Union ?
La transition verte et numérique qui oriente les plans de relance ne doit laisser personne de côté et s'appuyer aussi sur un volet social. Les plans nationaux de relance et de résilience sont soumis pour examen à la Commission. Entend-elle vérifier l'ambition sociale des États membres, dans le cadre de cet examen, afin d'en faire un levier pour avancer sur ces sujets importants d'inclusion ?
Enfin, alors que la Conférence sur l'avenir de l'Europe vient d'être lancée, en espérez-vous des évolutions favorables à la consolidation de l'Europe sociale ?
M. Nicolas Schmit, Commissaire européen à l'emploi et aux droits sociaux. - Je vous remercie de votre invitation, même à distance. J'espère que nous pourrons nous rencontrer prochainement pour évoquer l'Europe sociale, les résultats du sommet informel de Porto et le plan d'action fondé sur le socle européen des droits sociaux.
Je vais revenir sur la plus-value de l'Union européenne en matière sociale. Certains défendent que le social est une compétence presque exclusivement nationale. Qu'est-ce que l'Europe peut alors faire ? Les citoyens européens ont compris qu'une Union européenne détachée du social ne serait pas à leur service. Nous en avons fait l'expérience lors de la précédente crise. Pour neuf Européens sur dix - et neuf Français sur dix -, une Europe plus sociale est importante pour eux personnellement. Cette plus-value européenne en matière sociale est très bien perçue.
Dans une période de sortie de crise sanitaire, il est nécessaire que la dimension sociale soit ancrée dans les plans de relance, qui traduit la solidarité européenne.
Le socle européen des droits sociaux constitue un changement non négligeable pour les politiques européennes. L'adoption de ce socle après la crise financière précédente a établi vingt principes fondamentaux. La Commission européenne a annoncé qu'elle adopterait un plan d'action pour mettre en oeuvre le socle et qu'elle l'intégrerait dans toutes les politiques européennes. C'est un changement substantiel, une annonce novatrice faite avant la crise, mais qui devient encore plus indispensable après. Il faut ancrer le social dans les politiques européennes comme un élément pleinement intégré et non accessoire.
Je reviens avec optimisme du sommet social de Porto, où nous avons assisté à une vraie relance de l'Europe sociale. Nous avons pris un engagement clair sur la nécessité de mettre en oeuvre une politique sociale active.
Nous avons défini des grands objectifs, synthétiques, qui résument toute une gamme d'objectifs indispensables, et qui nous obligent à regarder plus loin.
Nous voulons d'abord augmenter le taux d'emploi à 78 % en moyenne en Europe. Nous devons aussi créer des emplois de qualité. C'est pourquoi les politiques de relance actuelles et les politiques industrielles sont une priorité. Le commissaire à l'industrie travaille sur les différents écosystèmes pour voir comment maintenir ou renforcer la compétitivité de secteurs clés pour que l'Europe ne décroche pas.
Le taux d'emploi des femmes me tient particulièrement à coeur. Dans certains pays, il reste très faible. Les femmes sont souvent très bien formées, mais en raison notamment d'une politique de garde d'enfants insuffisante, elles ne sont pas encouragées à travailler. Il faut changer cela.
Ensuite, nous voulons davantage former. Nous sommes dans une période de grande transformation : transition écologique, lutte contre le changement climatique, développement du numérique se diffusent dans toutes les activités et transforment le monde du travail. La formation est un aspect clef des politiques de l'emploi.
La formation, c'est aussi l'éducation. Nous avons développé un agenda des compétences et émis des propositions sur la formation professionnelle.
Nous devons miser sur la formation continue. Ce n'est pas un sujet nouveau, mais il est urgent de le mettre en oeuvre. Nous devons atteindre activement, de façon plus ciblée, mais à une plus large échelle, l'objectif de 60 % d'adultes formés chaque année. La formation continue doit concerner tout le monde, et notamment les moins bien formés qui verront souvent leur emploi évoluer. Avec le commissaire à l'industrie, nous travaillons beaucoup sur l'écosystème de la formation continue, la requalification, l'investissement dans les compétences : upskilling (la montée en compétences) et reskilling (le renouvellement des compétences).
Enfin, nous voulons renforcer la cohésion sociale. Nous assistons à une évolution inquiétante : de plus en plus de personnes décrochent et tombent dans la pauvreté, qui touche plus de 100 millions d'Européens - dont certains travaillent pourtant. C'est souvent lié à un manque de formation et d'intégration au marché du travail. Lutter contre la pauvreté est une obligation sociale et a aussi un intérêt économique. Nous devons aider ces personnes à avoir une activité permettant de mener une vie décente.
Voilà trois objectifs devant lier les politiques européennes et qui nécessitent de plus vastes approches.
Nous n'avons pas attendu Porto pour travailler sur l'Europe sociale et sur des mesures concrètes. Nous avons pris l'initiative en créant un agenda des compétences et en lançant un pacte sur les compétences réunissant les entreprises, les secteurs et les partenaires sociaux. Je me réjouis de votre soutien à notre proposition de directive sur le salaire minimal, qui met le doigt sur un problème majeur en Europe. L'Europe a besoin de convergence économique pour assurer une cohérence politique et être soutenue par ses citoyens. Il faut aussi de la convergence sociale. Les écarts sociaux - et notamment de salaires - sont énormes. Les écarts vont d'un à sept entre les salaires minimums des différents pays. Ce n'est pas bon économiquement ni socialement. Le moment choisi pour notre proposition est particulièrement approprié : nous sortons de la crise, avec une relance forte soutenue par le fonds de relance européen. Cette relance doit être juste. Le partage des fruits d'une croissance retrouvée - même si nous changeons de modèle - doit être équitable. Nous voulons créer un cadre pour le salaire minimum - et non un salaire minimum européen, ce qui serait illusoire et impossible - afin de faire converger vers le haut les salaires minimums. Nous devons aussi lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres. Cette directive est en cours de négociation.
Dans cette directive, nous voulons aussi soutenir les négociations collectives. Soit celles-ci se sont amoindries, soit elles sont à un niveau extrêmement faible.
Nous sommes également sur le point de trouver un accord sur nos recommandations de lutte contre la pauvreté des enfants. La pauvreté des enfants reflète celle des familles. Pour casser ce cycle infernal, il faut travailler aussi sur l'enfance, dès le plus jeune âge. J'en ai discuté avec votre ministre de l'éducation nationale : il faut scolariser tôt, créer des structures de garde d'enfant, soutenir l'école et la nourriture à l'école - car c'est parfois le seul endroit où les enfants mangent correctement.
De nouveaux modèles d'organisation du travail sont apparus ces dernières années, liés pour beaucoup aux plateformes numériques, qui se traduisent par une plus grande précarité pour les travailleurs, en particulier sous la forme de l'autoentreprise. La France a pris des mesures pour mieux protéger les travailleurs des plateformes, mais ce n'est pas le cas partout, et je crois que nous avons besoin de règles communes sur le continent, car les plateformes sont transnationales. La Commission se soucie de la précarisation du travail.
Nous avons lancé, dès juillet 2020, un programme pour soutenir l'accès à l'emploi des jeunes, nous sommes convaincus que c'est une priorité décisive, qui passe en particulier par le renforcement de l'apprentissage. La priorité à l'emploi des jeunes fait l'objet du point 11 de la Déclaration de Porto, nous allons encourager les États membres dans ce sens.
Sur la sécurité sociale, nous avons besoin de plus de coordination, du fait de la mobilité des travailleurs, mais c'est aussi une question d'équité. La précédente Commission a fait des propositions dans ce sens, ainsi qu'en matière d'indemnisation des chômeurs transfrontaliers, mais elles n'ont pas abouti en trilogue. L'assurance chômage est dans le programme de l'actuelle Commission. La crise sanitaire nous a conduits à mobiliser, sous forme de prêts, 100 milliards d'euros au titre du chômage partiel, - la France n'y a pas recouru parce qu'elle a eu des conditions plus avantageuses en s'adressant directement aux marchés financiers - : notre enveloppe a été quasiment toute dépensée, évitant le chômage dans bien des États membres.
Nous allons aussi faire une proposition sur les comptes personnels de formation, avec l'objectif que chacun puisse se former, à l'instar du dispositif que vous avez en France. Je pense aussi à l'économie sociale, que vous connaissez bien en France et sur laquelle se tient ces jours-ci une grande conférence en Allemagne, à Mannheim - où la Commission va présenter un plan de soutien : c'est un domaine utile à la création d'emplois et qui répond à des demandes sociales, en particulier pour la prise en charge des personnes vulnérables.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette synthèse de votre travail. La crise sanitaire a considérablement accru le développement des emplois liés aux plateformes numériques, parce que le consommateur y a trouvé un confort, et ce développement pose la question des conditions d'emplois que cela implique, d'où l'importance d'un consensus européen et d'une accélération des travaux, car les choses vont très vite. Ces conditions précaires d'emploi, avec des temps partiels et une rémunération horaire faible, sont communes à d'autres domaines d'activité, comme l'aide à domicile, dont nous aurons probablement de plus en plus besoin à l'avenir. Il faut donc y travailler en urgence, c'est une question d'importance pour les années à venir.
Mme Pascale Gruny. - Je vous remercie pour votre présence et votre implication. Je souhaite revenir sur le plan d'action : ce dernier est ambitieux et difficile à mettre en oeuvre, non seulement parce que tous les États membres ne sont pas en phase avec la convergence sociale mais aussi parce que ce plan ne dispose pas d'un fonds dédié : comment comptez-vous avancer, dans ces conditions ? Par ailleurs, je souhaitais vous demander quelles étaient vos attentes concernant la prochaine présidence française. Sur la coordination des régimes de sécurité sociale, le Parlement européen a adopté, le 20 mai, un rapport demandant à la Commission européenne de présenter une proposition pour instaurer un numéro de sécurité sociale européen ; ce numéro unique est très attendu en raison de la mobilité des travailleurs et de la lutte contre la fraude : quelle suite comptez-vous donner à cette demande et quels sont les blocages ?
Je constate, enfin, que la prévention au travail ne figure pas dans votre plan d'action, quelles sont les orientations sur ce sujet à l'échelon européen ? La prévention est essentielle, y compris en matière de risques psychosociaux : nous le constatons y compris dans des pays où l'on est réputé vivre heureux, je l'ai constaté au Danemark.
M. Didier Marie. - Je vous remercie, monsieur le Commissaire, pour votre présence et le message que vous adressez. La présidence portugaise a eu le mérite d'avoir inscrit le social au rang des priorités, c'est un message politique important, mais qui pêche par manque de mesures concrètes. Les négociations sont difficiles, des États membres ne souhaitant pas que l'Union se mêle de règles sociales, au point que la déclaration finale a écarté des thématiques comme l'égalité des genres ou encore la perspective d'une assurance chômage européenne : comment faire revenir ces thèmes dans les discussions ? La crise sanitaire a accentué les inégalités. Nous avons besoin d'une relance économique et sociale, mais le plan d'action ne contient pas de dispositions contraignantes : comment l'expliquer ? Enfin, pensez-vous que la conférence sur l'avenir de l'Europe puisse être un levier pour mieux prendre en compte la dimension sociale de l'Europe ? Dans le cadre de cette conférence, nous allons également évoquer la question des règles budgétaires. Pensez-vous possible de réviser les pratiques budgétaires en excluant les investissements sociaux du calcul des déficits budgétaires ?
Mme Laurence Harribey. - Je vous remercie, monsieur le Commissaire, pour votre propos qui témoigne effectivement d'un changement de référentiel : l'Europe sociale était certes inscrite dans les textes depuis au moins la conférence de Messine, en 1955, mais il a fallu attendre le traité de Lisbonne pour qu'elle prenne de la consistance : cette nécessité de convergence sociale semble se réaffirmer au fur et à mesure. Vous avez bien dit qu'il y avait une plus-value sociale et que les citoyens l'avaient compris. Je ne peux donc pas m'empêcher de faire un parallèle entre le désamour des Européens pour les institutions européennes et le fait que neuf sur dix soient favorables à une Europe sociale : les institutions européennes ne sont pas perçues comme protectrices mais plutôt comme une menace et je suis convaincue que le projet européen doit être social pour réconcilier les citoyens avec l'Europe.
Cependant, le point 5 de la Déclaration de Porto démontre la difficulté institutionnelle, puisque les États membres y précisent que la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux doit se faire « dans le plein respect des compétences respectives et des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». Le cadre juridique est certes posé, mais si la dimension sociale est reconnue comme fondamentale, ce cadre n'est-il pas un obstacle - et pensez-vous qu'il soit intangible ? On voit que la Commission tente de le contourner, puisque vous insistez sur la dimension d'intégration sociale de toutes les politiques, vous évitant d'afficher une politique sociale, difficile à mettre en oeuvre dans le cadre juridique actuel. Comment vous organisez-vous ? Car en réalité, vous insufflez du social dans les politiques européennes, vous êtes un peu comme un délégué interministériel au sein de la Commission, en étant le représentant de la convergence sociale dans toutes les politiques publiques. Cependant, je m'interroge sur votre influence sur les politiques industrielle, commerciale, d'emploi mises en oeuvre. L'Europe vise un taux d'emploi de 78 %, mais pour quels types d'emplois ? Vous l'avez justement relevé dans votre propos. Si c'est pour des emplois « ubérisés », ce n'est certainement pas l'objectif de la convergence sociale.
La dimension législative de l'Europe sociale est faible : le cadre d'action actuel vous paraît-il suffisant pour atteindre vos objectifs ambitieux, auxquels je souscris ? Pour une fois, la Commission est presque en avance par rapport aux États membres. Nous avons eu des échanges hier avec des Suédois dans le cadre du groupe d'amitié France-Suède, ils tiennent à leur modèle social fondé sur le dialogue, plutôt que sur la loi - c'est effectivement un moyen d'arriver à des résultats sans blocage. Votre propos, en tout cas, monsieur le Commissaire, est très encourageant, encore faut-il que vous ayez les moyens d'arriver à des actions concrètes.
M. André Reichardt. - Comme sénateur alsacien, donc d'une terre frontalière où nous connaissons bien les différences de règles selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la frontière, j'insiste sur l'importance de l'Europe sociale pour réconcilier les Européens avec l'Union européenne. Nous avons commencé à travailler avec nos voisins allemands sur l'apprentissage transfrontalier - c'est d'autant plus utile que l'Allemagne pâtit d'un déficit démographique important alors que la demande de main d'oeuvre y est élevée - , mais nous n'avons pas abouti. C'est d'autant plus regrettable que le contrat d'apprentissage est un très bon accès à l'emploi.
Ensuite, il faut agir contre la fraude transfrontalière aux prestations sociales ; ce problème est connu, étudié, en particulier par des rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale : comment avancer plus vite ?
M. Jacques Fernique. - Merci pour votre propos et votre engagement. Voici des décennies qu'on parle de la formation continue, sans que les choses ne progressent à l'échelon européen : quels sont les leviers pour changer la donne ? Sur le salaire minimum, une partie du problème vient de ce que les Européens voient l'Europe sociale comme une menace, qui fragilisera leur condition plutôt qu'elle ne les protègera contre la précarité et le dumping salarial. On ne doit donc pas s'engager sur un salaire minimum sans avoir défini le salariat, de façon à en exclure les formes précaires d'emploi, en particulier le faux travail indépendant.
La crise sanitaire a vu la mise en place de mesures fortes de chômage partiel. L'Europe a soutenu l'assurance chômage : ce mécanisme sera-t-il pérennisé, sous quelle forme et avec quel financement ?
M. Nicolas Schmit, commissaire européen. - Merci pour votre soutien. Effectivement, la Commission s'applique à changer de paradigme et à donner une dimension sociale à l'Union européenne.
Nous n'avons pas de fonds dédié au plan d'action. Cependant, l'Europe dispose de moyens pour cette politique : il y a, dans le budget européen même, le fonds social européen qui s'élève à 8 milliards d'euros sur sept ans pour les projets en matière sociale ; il y a le fonds de relance et de résilience, une partie des 700 milliards devrant aller à l'emploi des jeunes, à la formation ; enfin, il y a quelque 40 milliards d'euros utilisables, dans le cadre de REACT-UE, pour des projets sociaux sur deux ans, ainsi qu'une enveloppe de prêts de 2,8 milliards d'euros qui peuvent faire levier sur des projets sociaux. C'est maintenant aux États membres de s'en saisir, la Commission ne peut guère faire davantage qu'en recommander le recours.
Je vois avec optimisme la présidence française, d'autant que le Président de la République a annoncé que la dimension sociale en serait une priorité. Nous y travaillons avec le gouvernement français, par exemple sur le salaire minimum sur lequel je pense que nous pourrions aboutir ; sur la sécurité sociale, il y a un besoin de coordination et de coopération ; le numéro de Sécurité sociale unique européen est un résultat peut-être encore un peu lointain, mais nous avons proposé un passeport européen comportant la possibilité d'inscrire un identifiant social, ce qui sera utile à la personne en mobilité pour qu'elle défende ses droits, facilitera la coopération entre organismes de Sécurité sociale et, bien entendu, évitera bien des fraudes.
La santé au travail m'est très chère, je le dis pour avoir été ministre du travail pendant 9 ans. La Commission définit une stratégie en la matière, c'est un sujet déjà ancien dans les institutions européennes. Nous allons faire une proposition de stratégie, mais c'est aux États que la mise en oeuvre reviendra : l'Union n'a pas d'inspecteur du travail, elle ne peut faire que coordonner les contrôles, mais pas contrôler directement. Nous allons commencer un trilogue sur de nouvelles règles en matière de substances dangereuses : pour protéger les salariés, nous sommes très actifs. Idem pour les risques psychosociaux, autre sujet d'importance qui est à l'origine d'une partie de l'absentéisme dans les entreprises. Ce volet n'est pas facile mais les choses avancent. Un rapport d'initiative vient d'être adopté sur le droit à la déconnexion : vous l'avez en France, je plaide pour un tel droit sur tout le continent.
Sur l'égalité des genres, je peux dire que la négociation a été faite de manière honteuse par des pays qui remettent en cause des valeurs fondamentales de l'Europe. Cette Commission est très engagée sur l'égalité, c'est un sujet fort et personnel pour la présidente. Nous avons une proposition sur la transparence salariale : 16 % de différence de salaire. Aucun des pays européens n'a atteint l'égalité salariale entre les sexes : nous avons besoin de nouveaux outils pour assurer cette égalité, on ne peut se contenter de la renvoyer aux générations futures - et nous avons une proposition législative.
L'assurance chômage n'est pas retenue pour le moment ; elle a été évoquée dans le cadre de l'union monétaire pour amortir les chocs entre pays aux évolutions économiques divergentes, mais il faut des ressources pour la rendre effective et la priorité est aujourd'hui à la relance, à la création d'emplois. Cependant, nous n'abandonnons pas cette perspective.
Un plan d'action n'est jamais contraignant, il donne des orientations de politiques sociales et de politiques intégrées, et c'est aux États de les mettre en oeuvre ; l'Europe doit avancer sur la coopération, le dialogue, la persuasion. Nous avons un semestre européen, avec une place importante donnée au social, dont nous suivons aussi la mise en oeuvre, et c'est une façon d'intervenir dans le débat national.
Le débat sur le futur de l'Europe, pour intéresser les citoyens, doit traiter des sujets qui les concernent directement, en particulier les salaires, les protections, donc le social. Si les règles européennes de maîtrise budgétaire avaient été maintenues pendant la crise sanitaire, nous aurions plongé nos sociétés dans une catastrophe, cela démontre bien que s'il faut des règles - il est illusoire de penser qu'une union monétaire se passe de règles - , il faut savoir aussi adapter ces règles au contexte, ce sera le débat des mois à venir. Quelles règles choisir pour la stabilité monétaire, économique, et pour accompagner la relance, relever les immenses défis climatiques, éducatifs, numériques ? C'est de tout cela que nous devons parler.
Le social est une compétence partagée, je m'en félicite, il est donc naturel de respecter pleinement les compétences étatiques et le principe de subsidiarité ; cependant, un changement de traités est toujours possible.
Nous sommes très sensibilisés à « l'ubérisation » des emplois, c'est bien pourquoi nous travaillons sur les conditions de travail des plateformes.
J'admire les systèmes sociaux nordiques, fondés sur le dialogue social. Les responsables d'Europe du nord craignent qu'on leur impose un salaire minimum légal, alors qu'ils le fixent par la négociation : cela se comprend et demande du dialogue.
La Commission a pris des initiatives sur l'apprentissage, nous voulons promouvoir l'Erasmus des apprentis, et j'espère des avancées sous la présidence française. Les questions transfrontalières sont importantes, mais les règles diffèrent entre pays membres. Je connais bien la question de l'apprentissage transfrontalier : c'est aussi aux États membres de faire évoluer leurs pratiques, la Commission n'a pas la main.
La directive du 28 juin 2018 sur le travail détaché est très importante parce qu'elle permet de combattre les abus, pour plus de convergence. Les États membres doivent veiller à son respect, ceux sont eux qui en ont la responsabilité, notamment par leur inspection du travail.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour toutes ces précisions, monsieur le Commissaire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 10.