Mercredi 6 octobre 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Contrôle budgétaire - Protection des épargnants - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin une communication de MM. Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier sur la protection des épargnants.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous vous présentons effectivement ce matin les conclusions de nos travaux de contrôle sur la protection des épargnants. Ces travaux ont été initiés au début de l'année 2020, en ma qualité de rapporteur général. La crise sanitaire et ses conséquences économiques ayant bousculé le programme de travail de notre commission, je n'ai pas pu les mener à leur terme avant le dernier renouvellement sénatorial. Jean-François Husson et moi-même sommes convenus de les poursuivre ensemble, ce qui a été acté par notre commission en janvier dernier. L'essentiel des auditions a ainsi été conduit au cours du premier semestre 2021.
Ces travaux de contrôle ont tout d'abord été motivés par le contexte du marché de l'épargne français. Celui-ci est marqué par la persistance d'un environnement de taux bas, qui, conjugué à une inflation en hausse, érode considérablement le rendement des produits d'épargne les plus « sécurisés » et liquides, comme les livrets d'épargne. Cette faiblesse des rendements rend, aux yeux des épargnants, plus attractifs les produits risqués. En outre, la crise sanitaire s'est traduite par la constitution d'une épargne « forcée », qui est venue accroître le flux d'épargne sur un marché déjà très dynamique en France.
Dans cette perspective, nous avons entendu le sujet de la protection des épargnants comme l'ensemble des mesures permettant d'assurer aux épargnants les conditions nécessaires pour faire fructifier leur épargne. Il s'agit d'un véritable enjeu de pouvoir d'achat : la rémunération et les conditions d'exercice des intermédiaires financiers ont des conséquences déterminantes sur la performance servie pour les épargnants. Ainsi, la protection des épargnants s'entend comme la possibilité de leur offrir le meilleur accompagnement pour le rendement le plus performant.
Par conséquent, nous avons exclu du champ de nos travaux les thématiques liées à la protection des publics bancaires, qui ont déjà été largement abordées par notre commission, ainsi que les enjeux liés aux règles prudentielles, qui sont assez éloignés de la protection de la clientèle en tant que consommateurs de produits financiers ; nous avons aussi volontairement exclu la question du fléchage de l'épargne vers le financement de l'économie, qui est essentielle à nos yeux, mais s'éloignait du sujet, même si les épargnants y prêtent une attention croissante.
Le champ ainsi défini nous a amenés à entendre des économistes, des spécialistes de l'épargne, des administrations, des associations de professionnels, des autorités nationales et européennes de supervision. Nous avons également adressé deux questionnaires à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Cela nous a permis de dresser un état des lieux de l'épargne en France du point de vue de la protection des épargnants, et de formuler des propositions.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il me revient de vous présenter tout d'abord un état des lieux du marché de l'épargne en France. On identifie trois sujets : la protection normative des épargnants, la structuration du marché de l'épargne et le niveau des frais.
Premier constat, la protection normative des épargnants s'est considérablement étoffée ces dernières années. En particulier, les exigences en matière d'information de la clientèle et du devoir de conseil ont été renforcées sous l'effet de la réglementation européenne. En outre, les règles en matière d'encadrement des rémunérations continuent de diverger entre celles qui sont applicables aux assureurs et à leurs intermédiaires et celles qui sont applicables aux autres intermédiaires financiers. En effet, il est important de rappeler que ces deux catégories d'acteurs relèvent de deux corpus normatifs différents : la directive sur la distribution d'assurances, dite « DDA », pour le secteur assurantiel, et la directive concernant les marchés d'instruments financiers, dite « MIF 2 », pour les intermédiaires financiers.
En parallèle, les dispositifs d'alerte et de supervision ont été davantage développés, notamment avec l'entrée en vigueur des dispositions de la loi « Sapin 2 ».
Enfin, ce « bouclier normatif » s'est également adapté aux nouveaux produits d'épargne. Ainsi, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », a étendu le pouvoir de blocage de l'accès aux sites internet par l'AMF à de nouveaux prestataires. Dans leurs champs de compétences respectifs, l'AMF et l'ACPR s'adaptent continuellement aux nouvelles arnaques et à la multiplication des offres frauduleuses, telles celles concernant les diamants, les cryptoactifs, les grands crus ou encore les fausses sociétés civiles de placement immobilier.
Deuxième constat, la structuration du marché de l'épargne est peu propice à l'amélioration de la performance servie aux épargnants, en dépit d'un taux d'épargne parmi les plus élevés d'Europe.
D'abord, le modèle historique de la « bancassurance », très implanté en France, a contribué à la success story de l'assurance vie depuis les années 1980. Or, l'assurance vie renforce l'intermédiation du marché de l'épargne français, ce qui a des conséquences très concrètes pour les frais acquittés par les épargnants. En effet, aux frais propres au support d'investissement s'ajoutent les frais de gestion du contrat de l'assureur.
Ensuite, le marché français présente un encours moyen par fonds plus faible que celui constaté dans d'autres pays européens, de l'ordre de 168 millions d'euros en France en 2018, contre 467 millions d'euros au Royaume-Uni. Or cette multiplication des « petits » fonds ne permet pas d'économies d'échelle et pèse nécessairement sur les frais.
Enfin, les auditions ont témoigné du fort attachement des épargnants à la culture du conseil. Or, et c'est tout le paradoxe de l'épargnant français, celui-ci est dans le même temps réfractaire à l'idée de rémunérer la fourniture de conseil sous la forme d'honoraires. Ce constat entraîne deux conséquences pour le marché de l'épargne. D'une part, la rémunération des intermédiaires repose sur la pratique des rétrocessions de commissions, à savoir une rémunération du distributeur par une partie des frais de gestion du support, par exemple une société de gestion, qui la lui reverse. Or cette pratique emporte un risque élevé de conflit d'intérêts, car le distributeur est incité à orienter l'épargnant vers le produit dont le taux de commissionnement est le plus élevé. D'autre part, cette préférence des épargnants explique le faible développement de la gestion passive en France, contrairement à d'autres pays européens, au bénéfice de la gestion active, aux frais plus élevés.
Troisième constat, la performance des produits d'épargne est pénalisée par des frais élevés. Le marché de l'épargne est resté dynamique en 2020, en dépit de la crise sanitaire et économique. Nos travaux, centrés sur les frais appliqués aux produits destinés à une clientèle non professionnelle, ont toutefois montré que ce dynamisme ne profitait pas pleinement aux épargnants.
En effet, la performance brute des produits est diminuée de nombreux frais : frais de gestion du fonds, frais de courtage, éventuellement commissions de surperformance, frais d'entrée et de sortie. À cette première couche de frais, liés au fonds lui-même, s'ajoutent les frais liés au support de l'investissement, par exemple une assurance vie. Par conséquent la France se situe dans la moyenne haute des pays de l'Union européenne, en particulier quand on tient compte du fait que la détention de parts de fonds est le plus souvent indirecte, avec ces deux couches de frais.
Nous avons donc voulu évaluer l'impact de ces frais sur la performance nette servie à l'épargnant. Sur les simulations et les comparaisons qui seront proposées dans le rapport, trois éléments doivent être rappelés.
En premier lieu, il n'existe pas de base de données unique et consolidée, recensant l'ensemble des frais pratiqués. Nous avons donc utilisé les données de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), sur 10 ans, en les extrapolant sur des durées de 20, 30 et 40 ans. Les données de l'ESMA s'appuient par ailleurs sur le pays de domiciliation du fonds et ne recouvrent que les frais courants, les frais d'entrée et les frais de sortie. En deuxième lieu, pour les comparaisons européennes, nous nous sommes appuyés sur un portefeuille « composite », avec différents produits : actions, obligations et produits diversifiés. En troisième lieu, nous avons voulu prendre comme exemple un montant d'épargne accessible, avec un versement initial de 5 000 euros et des versements mensuels de 100 euros. Les chiffres sont frappants. Après 10 ans, sur un fonds diversifié, 17 % de la performance sera captée par les frais en France, contre 11 % aux Pays-Bas ou 15 % au Royaume-Uni. Après 40 ans, c'est 57 % de la performance qui sera « perdue », contre 36 % aux Pays-Bas, 51 % au Royaume-Uni et 55 % en moyenne dans l'Union européenne.
Nous avons estimé les effets d'une baisse de 0,3 point des frais de gestion pour le même portefeuille : un épargnant gagnerait environ 500 euros à 10 ans, puis 2 500 euros à 20 ans, 8 500 euros à 30 ans et près de 19 000 euros après 40 ans. Les écarts les plus significatifs sont, à cet égard, ceux que l'on peut constater entre gestion active et gestion passive. En investissant dans un fonds indiciel en actions, produit qui se distingue par ses frais beaucoup plus faibles qu'un même fonds en actions à gestion active, un épargnant accroîtra son rendement d'environ 16 % au bout de 30 ans, soit 44 500 euros dans notre cas-type.
Face à ce panorama, nous avons souhaité proposer des solutions concrètes pour mieux protéger les épargnants. Nous avons formulé 17 recommandations, réparties en quatre axes : l'encadrement des frais, la transparence, l'adaptation des produits et le contrôle des intermédiaires.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - La question des frais est centrale. Notre premier axe consiste à renforcer l'encadrement de certaines catégories de commissions.
Au préalable, il convient d'indiquer que la question de la suppression des rétrocessions de commissions, comme aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, a jalonné l'ensemble de nos auditions. En effet, plusieurs arguments plaident pour une suppression de ce système : il impose une asymétrie d'information entre les souscripteurs et les distributeurs ; il encourage la souscription de produits avec un niveau de frais élevé, indépendamment du profil ou du besoin de l'épargnant - en ce qui concerne l'assurance vie, le taux de rétrocession des frais perçus par les gestionnaires d'actifs est ainsi de l'ordre de 57 %, ce qui est très important - ; le rendement pour l'épargnant est potentiellement plus faible en raison d'un processus de sélection des frais fondé sur la part de rétrocessions, et non sur la performance réelle.
Sur ce sujet, les assureurs et leurs intermédiaires, d'une part, et les intermédiaires financiers, d'autre part, ne sont pas logés à la même enseigne. En effet, si la directive « DDA » autorise la conservation des rétrocessions de commissions dès lors qu'elles n'ont pas d'impact négatif sur la qualité du service, la directive « MIF 2 » l'interdit pour le conseil indépendant, et l'autorise sous certaines conditions pour le conseil dit « non indépendant ». Dans cette dernière hypothèse, les conditions pour les conserver sont toutefois un peu plus exigeantes que pour les assureurs, dans la mesure où la directive prévoit que la rémunération par rétrocession doit permettre d'améliorer la qualité du service rendu. Ainsi, il n'est pas étonnant qu'un seul prestataire de services d'investissement ait choisi d'opter pour le statut d'indépendant en France.
Toutefois, au terme de nos travaux, nous avons exclu à ce stade une suppression sèche des rétrocessions, pour plusieurs raisons. L'expérience néerlandaise montre que leur suppression peut se traduire par une offre de produits plus limitée pour l'épargnant, les distributeurs ne vendant plus que les produits gérés par le groupe financier auquel ils appartiennent. Il y a aussi une dimension culturelle. Comme cela a été précédemment souligné, les épargnants français sont réfractaires à la pratique des honoraires, seule alternative à la rémunération en l'absence de rétrocessions. Enfin, la suppression des rétrocessions uniquement pour les intermédiaires financiers qui en bénéficient aujourd'hui augmenterait encore les divergences réglementaires entre ceux-ci et les assureurs.
En contrepartie de ce maintien à court terme, nous vous proposons plusieurs mesures visant à mieux encadrer les frais et la rémunération des intermédiaires.
Nous recommandons ainsi d'interdire les commissions de mouvement, c'est-à-dire les commissions perçues, en plus des frais de transaction, lors d'opérations d'achat ou de vente. Cette pratique correspond à une double charge pour les épargnants, et peut inciter les gestionnaires à « faire tourner » les portefeuilles, sans intérêt économique.
Il nous paraît aussi souhaitable de renforcer l'encadrement des commissions de surperformance, ces frais correspondant à une part variable des frais de gestion lorsque le fonds dépasse un indice ou un seuil déterminé. Si cette rémunération peut inciter la société de gestion à optimiser sa gestion du fonds, elle ne doit pas être pratiquée abusivement, a fortiori si le fonds a affiché des sous-performances les années précédentes. Par conséquent, il nous semble nécessaire de garantir l'application des recommandations de l'ESMA, à savoir que la commission de surperformance ne doit être exigible que si les sous-performances constatées au cours des cinq dernières années ont été compensées.
Les auditions ont fait état de divergences réglementaires importantes entre le secteur assurantiel et les intermédiaires financiers. Or ces divergences encouragent une concurrence réglementaire entre les produits, sans lien avec la performance servie à l'épargnant. Dans cette perspective, nous recommandons d'aligner les règles applicables aux intermédiaires financiers aux assureurs en ce qui concerne la conservation des rétrocessions pour le conseil non indépendant. De plus, nous recommandons de préciser le cadre législatif du mandat d'arbitrage en assurance vie, les sociétés de gestion de portefeuille étant aujourd'hui soumises par l'AMF à des règles plus strictes que les assureurs, en l'absence d'un cadre législatif dédié.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Notre deuxième axe vise à permettre à l'épargnant de faire un choix plus éclairé.
En effet, si l'information de l'épargnant n'a jamais été aussi étoffée et précise, les auditions ont souligné que ce « millefeuille » d'informations pouvait être contre-productif. Notre objectif principal est d'orienter les épargnants vers les produits qui sont les plus avantageux pour eux, ce qui implique qu'ils disposent d'informations claires sur l'ensemble de la gamme de produits qu'ils peuvent souscrire.
Dans cette perspective, nous souhaitons rendre obligatoire le référencement de produits indiciels à bas coûts dans tous les produits d'épargne fiscalement avantagés. Ces produits, basés sur la gestion passive, ne sont pas assez souvent proposés aux épargnants. Une visibilité accrue de ceux-ci permettrait d'encourager une saine concurrence avec les produits basés sur la gestion active.
En outre, le coût complet de l'assurance vie reste difficile à déterminer pour l'épargnant, en raison des différentes « couches » de frais qui caractérisent ce produit. Il serait souhaitable que l'ACPR propose, à échéance régulière, un comparateur public des frais moyens d'assurance vie.
Notre troisième axe consiste à développer et à adapter les produits existants aux nouvelles contraintes du marché de l'épargne. Le marché de l'épargne est concentré autour de quelques produits phares, qu'il nous semble possible d'améliorer afin de servir une meilleure performance aux épargnants.
Premièrement, s'agissant du plan d'épargne en actions (PEA), nous nous sommes interrogés sur la limite géographique actuellement en vigueur. Seules les actions cotées de l'Union européenne sont en effet aujourd'hui éligibles. Or l'avantage fiscal attaché au PEA se justifie pleinement par la volonté d'orienter l'épargne des Français vers le financement de l'économie nationale ou européenne. Nous avons donc écarté la suppression de cette limitation. En revanche, il nous semble important d'apporter des améliorations en cas d'acquisition d'une action inéligible. Ainsi, il conviendrait d'imposer aux banques de bloquer immédiatement l'achat par leurs clients d'actions inéligibles, et, en cas de litige ou de défaut d'information de l'épargnant, de prévoir un dédommagement partiel de celui-ci.
Deuxièmement, il nous semble indispensable d'augmenter la taille des fonds fiscaux, ceux qui permettent d'investir dans des sociétés non cotées en bénéficiant d'un avantage fiscal. Cela permettra de réaliser des économies d'échelle, qui se répercuteraient nécessairement sur le niveau de frais facturés aux épargnants.
Troisièmement, l'évolution du modèle de l'assurance vie est désormais une évidence, dans un contexte de baisse du rendement des fonds euro depuis plusieurs années.
Dans cette perspective, la question de la transférabilité ne peut plus être évitée. S'il est vrai que la loi « Pacte », dont j'ai été corapporteur pour ce sujet notamment, a élargi les possibilités de transférer son contrat en conservant l'antériorité fiscale, cette évolution n'a constitué qu'un tiède compromis par rapport aux dispositions qu'avait adoptées le Sénat en première lecture, à l'initiative de notre collègue Christine Lavarde. En effet, la transférabilité n'est aujourd'hui possible qu'au sein d'une même compagnie d'assurance, alors que nous avions proposé une transférabilité totale au bout de huit ans.
À l'époque, on nous avait répondu qu'un tel dispositif était de nature à compromettre la stabilité du secteur et le financement de long terme de l'économie. En effet, la perspective d'une fuite importante des contrats inciterait l'assureur à investir sur des obligations à duration moins longue, moins rémunératrice pour l'épargnant, contrairement aux produits de fonds propres des entreprises. En outre, un principe de transférabilité totale paraissait opposé à la logique des avantages fiscaux attachés à l'assurance vie, ceux-ci étant justifiés par le fait de maintenir son épargne « bloquée » sur une longue période... Cet argument est d'ailleurs assez contestable, dans la mesure où les rachats avant huit ans sont possibles.
En tout état de cause, nos travaux nous ont convaincus que la transférabilité totale entre assureurs était nécessaire afin d'accroître la concurrence entre les acteurs, et pour permettre aux épargnants de migrer vers des contrats plus performants, sans être « captifs » d'un cadre fiscal avantageux.
Pour ce faire, nous vous proposons deux recommandations. D'une part, nous suggérons de clarifier dans la loi les modalités de transfert au sein d'un même assureur afin de permettre d'aller vers une automaticité des demandes des épargnants. En effet, aujourd'hui, les assureurs semblent appliquer chacun leur politique d'acceptation des transferts, même si un engagement de place a récemment été pris pour remédier à la difficulté. D'autre part, nous souhaitons proposer à nouveau la transférabilité totale entre assureurs, sous réserve que le contrat ait été souscrit depuis plus de huit ans. Un plafond annuel de transfert pourrait également être prévu afin d'éviter des migrations massives, avec des rachats en catastrophe, et de sécuriser le secteur. Ces deux « garde-fous » nous semblent constituer un bon compromis avec le secteur, qui peine encore parfois à s'ouvrir à la concurrence.
Enfin, s'agissant du plan d'épargne retraite (PER), sa simplification par la loi « Pacte » lui a permis de rencontrer un franc succès. Fin 2020, l'encours total des PER représente 270 milliards d'euros, soit 12 % de plus qu'en 2019, et, pour la première fois, les épargnants considèrent que le PER constitue le meilleur placement pour la retraite, avant l'assurance vie. Ces évolutions nous semblent aller dans le bon sens, en particulier dans un contexte marqué par un avenir compromis pour les fonds euros.
Dans cette optique, nous proposons d'encourager la migration de l'assurance vie vers les PER en prorogeant au-delà du 1er janvier 2023 le bénéfice de l'incitation fiscale mise en place par la loi « Pacte ».
En outre, si le marché des PER est en pleine croissance, celui-ci n'est pas assez concurrentiel. En effet, il se caractérise par une prépondérance des PER souscrits sous forme de contrats d'assurance vie, alors que la loi « Pacte » a justement prévu qu'ils puissent prendre la forme d'un compte-titres, dans l'objectif d'ouvrir le marché aux sociétés de gestion et d'accroître ainsi la concurrence.
Si l'importance de ce produit d'épargne doit croître dans le financement de la retraite, il est nécessaire de s'assurer qu'un produit performant et peu onéreux soit également disponible pour tous les épargnants. En effet, bien trop souvent, les avantages fiscaux à l'entrée du PER sont à l'origine d'une « cécité fiscale » des épargnants, qui sont moins regardants sur le niveau de frais. Ainsi, nous proposons le déploiement d'un PER dont le fonctionnement reposerait uniquement sur des fonds indiciels et la gestion passive, afin de limiter les frais et de garantir une performance satisfaisante à l'épargnant. Sur le modèle du « NEST » britannique, qui correspond à un fonds de pension public, ce produit pourrait être géré par une entité publique, telle que, par exemple, la Caisse des dépôts et consignations. Un tel produit agirait sur le marché comme un « révélateur » de la performance accessible à peu de frais, et stimulerait la concurrence.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Le quatrième axe consiste à accentuer le contrôle des acteurs du marché de l'épargne, notamment des cagnottes en ligne. Celles-ci sont en plein « boom », avec une collecte multipliée par quatre en cinq ans, à 630 millions d'euros en 2020. Les cagnottes en ligne représentent un vrai risque au regard des pratiques de blanchiment et de financement du terrorisme. Nous proposons ainsi une obligation annuelle de « reporting » auprès de l'ACPR de la part de l'ensemble des acteurs du financement participatif.
En outre, il serait opportun de confier à l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias) le contrôle de l'honorabilité des dirigeants et des salariés immatriculés auprès de ce registre. À l'heure actuelle, l'Orias exerce seulement un contrôle sur les dirigeants, grâce à un accès direct au casier judiciaire national. Le contrôle des salariés relève quant à lui de l'employeur et s'exerce sur le fondement d'une attestation sur l'honneur ou d'une copie d'un extrait de casier judiciaire. Or il est aisé de se procurer un faux extrait de casier judiciaire sur internet. Il serait dès lors préférable qu'un « tuyau » direct permette de contrôler les salariés de façon automatisée, ce qui éviterait d'ailleurs des charges supplémentaires. Il s'agit là de reprendre un apport de notre commission lors de l'examen de la proposition de loi sur la réforme du courtage en début d'année qui n'avait pas été retenu par la commission mixte paritaire.
Ensuite, s'agissant des conseillers en investissements financiers (CIF), ils font l'objet d'une corégulation via un système d'adhésion obligatoire à des associations professionnelles agréées par l'AMF, qui contrôlent elles-mêmes leurs adhérents. Ces associations devraient être soumises à un contrôle régulier, d'autant que l'AMF transmet désormais des signalements aux associations, en fonction des risques identifiés sur les CIF.
Enfin, nous proposons d'étendre le champ d'intervention de l'AMF au contrôle des investissements défiscalisés dans le logement locatif, notamment en matière de publicité. Nous avons tous à l'esprit le succès du « dispositif Pinel » : s'il encourage l'investissement immobilier en promettant des rendements garantis, il n'est pas sans risque pour les épargnants, lesquels peuvent être soumis à redressement fiscal alors qu'ils ont souscrit de bonne foi à des produits défiscalisés. Ces publicités ne sont pas toutes contrôlées. Les scandales sont malheureusement nombreux et des épargnants se trouvent ainsi ruinés.
Les Français n'aiment guère payer trop d'impôts et, quelquefois, la « carotte » fiscale est telle que les épargnants en oublient le rendement de leurs produits. Par le passé, j'ai été conduit à prescrire l'interdiction de publicités mirifiques pour des produits extrêmement risqués et sujets à escroqueries. Bref, il est indispensable que l'AMF puisse, en s'appuyant sur son expertise, contrôler les publicités pour ces produits atypiques.
L'épargne des Français est abondante. Les rendements sont faibles alors que l'inflation remonte. Mieux rémunérer l'épargne des Français, telle est l'ambition de ce rapport.
M. Roger Karoutchi. - En résumé, heureusement que les Français sont épargnants parce qu'ils ont peur, parce qu'ils ne sont sinon ni rémunérés ni reconnus. Entre la force des taxes et les frais de gestion, je me demande ce que l'on gagne à épargner aujourd'hui...
L'opinion publique - j'en fais partie - est captive. Les Français ne sont pas spécialistes des produits de placement. Ils épargnent donc sur les produits les plus reconnus, qui ne rapportent rien ou pas grand-chose ; ils sont assommés de taxes et de frais de gestion. Quand valorisera-t-on enfin l'épargne des Français ?
Bercy prépare un texte sur les droits de succession, en vertu duquel les bénéficiaires de contrats d'assurance vie verraient leurs avantages progressivement supprimés. Quand il ne restera plus aucun avantage, soit les Français dépenseront pour consommer - c'est d'ailleurs peut-être l'objectif visé -, soit ils se tourneront vers la pierre ou d'autres placements plus concrets.
Avez-vous des informations sur cette réforme de l'assurance vie, qui vise à supprimer les avantages en matière de droits de succession ? Ne faudrait-il pas aller au-delà des simples éléments techniques de transférabilité, pour enfin valoriser l'épargne des Français ?
M. Vincent Delahaye. - Rediriger l'épargne vers l'économie est un enjeu majeur, d'autant que cette épargne est particulièrement importante. Plus l'épargne est risquée, plus elle peut rapporter - ou coûter. En contrepartie des garanties sur l'argent épargné, la rémunération est moindre ; faire croire aux gens qu'ils peuvent épargner sans aucun risque et bénéficier d'une rémunération intéressante revient à les berner complètement.
Étant partisan de la liberté et de la responsabilité, je ne suis pas très favorable à l'encadrement. En revanche, il est effectivement essentiel de renforcer l'information et la transparence : l'épargnant doit pouvoir comparer les produits et faire son choix. En outre, je soutiens l'idée d'une facilitation des transferts : il faut éviter les produits captifs.
J'insiste, privilégions la responsabilité de l'épargnant. D'ailleurs, l'épargnant « de base » n'attend pas forcément un gain extraordinaire ; il veut seulement être assuré de pouvoir récupérer son argent en cas de difficulté.
M. Vincent Segouin. - Je rejoins les propos de mes collègues. Il y a quelques années, le taux de rémunération des contrats d'assurance vie pouvait atteindre 7 %, quand l'inflation était de l'ordre de 8 ou 9 %, ce qui impliquait une perte du pouvoir d'achat. Aujourd'hui, le taux est de 0,80 % une fois la totalité des frais prélevée.
En réalité, ce sont les prélèvements de l'État qui pèsent le plus. La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ne cessent d'augmenter. Or votre rapport n'en parle pas. Avec un taux établi à 0,80 % et une inflation de 0 %, les Français gagnent aujourd'hui à épargner.
Vous recommandez de réglementer les intermédiaires. Cela me gêne particulièrement. Comme toujours, on considère que l'épargnant est crédule, qu'il est victime. En conséquence, on privilégie une protection de l'épargne au lieu de valoriser le travail et sa rémunération.
Si le PER fonctionne mieux que l'assurance vie, c'est parce que les versements à l'entrée sont déductibles fiscalement et socialement. Au terme, l'épargnant récupère un capital, ce qui était impossible par le passé. Le problème, c'est le prélèvement fiscal. Nos rapports devraient y accorder plus d'attention.
Si les avantages en matière d'abattements sur les droits de succession étaient supprimés, l'assurance vie n'aurait plus lieu d'être. N'oublions pas que 25 % de la dette de l'État est supportée par l'assurance vie. Sans cette dernière, comment l'État pourrait-il assurer sa crédibilité ?
M. Michel Canévet. - L'épargne est un sujet essentiel dans notre pays ; on ne cesse de rappeler combien elle est significative. Il serait temps de la réorienter davantage vers les entreprises et les fonds propres.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue Vincent Segouin : la fiscalité est plutôt claire et peu confiscatoire, grâce au prélèvement forfaitaire unique (PFU) notamment. Il faut bien que l'État constitue ses ressources ! On ne peut pas constamment imposer de réduire les prélèvements obligatoires et mener des actions tous azimuts. Reste que les prélèvements doivent demeurer raisonnables.
Les banques imposent des frais assez élevés, mais leur situation n'est pas si mauvaise. Les recommandations en faveur de la transparence me paraissent donc positives.
En ce qui concerne le PER, quelles actions pourrait-on mettre en oeuvre, au-delà du « NEST », de manière à orienter l'épargne vers l'investissement des entreprises ? Le PER rencontre un succès relatif ; il se développe petit à petit, grâce aux incitations. Si l'on considère que le PER constitue à l'avenir une perspective d'investissement pour les épargnants, autant l'orienter vers les entreprises.
L'épargne accumulée pendant la crise est estimée à un peu plus de 150 milliards d'euros. Comment l'orienter de façon efficiente ? Des initiatives complémentaires en ce sens sont-elles envisagées ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour ces travaux fort intéressants. Mes chers collègues, vous appelez de vos voeux la réorientation de l'excès d'épargne constitué pendant la pandémie vers l'économie. Dois-je vous rappeler que j'avais déposé une proposition de loi en ce sens il n'y pas très longtemps ? J'espère que cette idée fait son chemin et que nous parviendrons à surmonter les obstacles.
Par la recommandation n° 9, vous suggérez de rehausser la taille des fonds fiscaux, qui permettent d'investir dans des entreprises non cotées. Cela signifie-t-il aussi réévaluer le ticket moyen à l'entrée pour souscrire une part de fonds ? Je vois mal comment cela pourra être réalisé : le montant investi par un souscripteur est en baisse constante. Vouloir constituer d'importants fonds est une bonne chose. Mais, plus les fonds sont gros, plus il est difficile de sortir des taux de rentabilité interne (TRI). Bref, votre recommandation vise-t-elle la taille du fonds ou le montant même de la souscription ?
M. Claude Raynal, président. - La définition des épargnants pose question. De quoi parle-t-on ? Combien de personnes sont-elles concernées ? Il convient de distinguer l'épargne de précaution et le placement proprement dit, réalisé dans une perspective de rentabilité. Il nous faudrait dresser une typologie des épargnants.
Vous avez évoqué à de multiples reprises le prétendu succès du PER. Certes, il y a eu un appel d'air, mais les frais sont tellement élevés que l'État lui-même semble avoir mis en cause le succès de ce produit. Le PER devrait être moins « chargé » pour que son efficacité globale soit améliorée.
M. Vincent Capo-Canellas. - Je rejoins les propos du président Raynal au sujet du PER. Certes, ce produit jouit d'un certain succès, mais il constitue aussi une déconvenue, compte tenu des frais qui affectent sa rentabilité.
Vous recommandez d'interdire les commissions de mouvement. Qu'en est-il également des frais d'arbitrage, par exemple quand un épargnant veut passer d'une gestion prudente de son PER assurantiel à une gestion plus dynamique ? Entendez-vous les réduire eux-aussi ?
L'avantage fiscal du PER, que vous proposez de proroger au-delà du 1er janvier 2023, était au départ conçu comme une incitation temporaire. Je ne suis pas certain que beaucoup de personnes aient conscience que l'avantage va s'arrêter aussi vite. Qu'en pensez-vous ?
M. Christian Klinger. - Les banques en ligne se développent progressivement. Bien qu'elles proposent des commissions moindres, elles ne fournissent aucun conseil. Que pensez-vous du développement de la fintech, qui capte de plus en plus de flux financiers et propose des produits virtuels, tels que les bitcoins et des fonds non diversifiés sur des actions ? Cette tendance est-elle, selon vous, en augmentation ?
M. Patrice Joly. - Doit-on conclure définitivement que le rendement net de la gestion passive est supérieur à celui de la gestion active ? Votre rapport cible l'échelle européenne ; au regard des frais que l'on constate en France, l'écart est encore plus net. Cela semble surprenant, voire scandaleux.
M. Thierry Cozic. - L'épargne ressemble à une sorte de jungle qui compte énormément de dispositifs. N'y aurait-il pas une volonté du monde de la finance de contourner les recommandations et de créer davantage d'entraves pour l'accès à l'épargne ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - La question de notre collègue Patrice Joly est très éclairante. La gestion indicielle, qui se contente de suivre l'indice, sans stratégie sur les actifs, offre une performance supérieure à la gestion pilotée d'un portefeuille. En pratique, il est très difficile de battre l'indice à long-terme. Cela explique le succès des produits uniquement indiciels aux États-Unis.
Tout travail mérite salaire ; il est bien sûr tout à fait normal qu'un intermédiaire financier soit rémunéré. Cependant, en France, la rémunération pèse sur le rendement et certaines formes de rémunération sont très contestables. Rémunérer le conseil ne fait pas partie de la culture française. C'est pourquoi nous n'avons pas proposé de prohiber les rétrocessions de commissions, contrairement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
Les intermédiaires perçoivent une rémunération au titre des commissions de mouvement. Ce n'est pas forcément très sain, car ils vont chercher à multiplier les opérations d'achat et de vente de façon à consolider leur rémunération. Aussi, les commissions de mouvement peuvent être contreproductives et peser sur le rendement.
Quant aux frais, ils doivent être mieux encadrés. Les pays qui ont choisi d'interdire les commissions ont leurs raisons. La transparence a ses limites en ce qui concerne les commissions de mouvement : dans certains cas, il est préférable de privilégier un encadrement réglementaire et législatif.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'épargne des Français est multiple. Certains placements d'épargne sont peu liquides, par exemple en matière immobilière. D'autres au contraire sont hyperliquides, comme les comptes courants : leur solde bénéficiaire est très important, sans aucune perspective de rémunération. C'est un phénomène que l'on observe depuis quelques années et qui s'est renforcé. Peut-être les Français ne trouvent-ils pas assez d'intérêt à certains produits d'épargne ? Ce qui me frappe, c'est le déni et l'absence de réponse des acteurs, notamment de la part du marché de l'assurance.
Nous avons tenté d'identifier précisément les épargnants. Cependant, nous n'avons pas de données claires et consolidées sur le recours aux divers produits d'épargne selon les profils d'épargnants, je regrette cette opacité.
Souvent, les bénéfices immédiats d'avantages fiscaux l'emportent sur la volonté de gagner en rentabilité année après année. C'est un fait dont nous ne saurions nous contenter, d'autant que, dans le même temps, les Français souhaitent accroître la rémunération de leur épargne.
Je ne suis pas non plus un adepte de la surrèglementation, monsieur Delahaye. Mais il faut oser stimuler la concurrence - ce ne peut être que profitable ! Si l'on ne fait pas bouger les choses, l'épargnant aura une rémunération moindre, alors qu'il faut aussi renforcer sa confiance. L'assurance vie demeure par ailleurs très dynamique : nous avons certes constaté une décollecte sur les contrats d'assurance vie en 2020. Cependant, une collecte de plus de 10 milliards d'euros sur les huit premiers mois de l'année 2021 a ensuite été réalisée.
Il faut aussi se préoccuper des PER sous forme de comptes-titres, car ils présentent une possibilité de rémunération plus forte. Au sein de l'assurance vie, les unités de compte connaissent par ailleurs un fort développement et représentent 38 % de la collecte au cours des derniers mois.
En matière de fiscalité, une visibilité à long terme est nécessaire, de même qu'un respect de l'engagement initial. Il y a quelques années, des contrats offraient la faculté de récupérer un capital ou une rente, avec des frais, certes, mais aussi avec des avantages fiscaux et des taux garantis pouvant aller jusqu'à 4,5 %. L'État doit être attentif à ne pas changer les règles trop souvent : de nouvelles dispositions plus avantageuses risquent d'entraîner une décollecte ; des dispositions moins avantageuses risquent de rendre l'épargnant prisonnier de l'engagement qu'il a tenu.
Monsieur Karoutchi, les Français ont intérêt à réaliser des placements d'épargne qui financent l'économie.
M. Roger Karoutchi. - Cela va-t-il perdurer ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est trop tôt pour le savoir, nous ne disposons pas encore d'informations sur cette réforme à venir. L'assurance vie est, comme le prix des carburants, un sujet sensible et révélateur du niveau de confiance des Français. Bousculer les choses avec excès risquerait de provoquer une vive opposition. Ceux qui épargnent moins en moyenne seront davantage affectés : pour eux, la parole de l'État doit être tenue. Quant à ceux qui ont plus de moyens, ils trouveront les conseils appropriés pour faire migrer leur épargne.
Nous continuerons d'avoir des débats sur la fiscalité avant le printemps 2022 et bien après. L'État devra probablement, de toute façon, trouver le moyen de constituer des recettes nouvelles, sous forme de taxes ou d'impôts - je ne crois pas aux recettes exceptionnelles.
M. Vincent Segouin. - C'est terrible !
M. Jean-François Husson, rapporteur -Madame Paoli-Gagin, les fonds de plus petite taille sont plus pénalisants en moyenne, puisque les économies d'échelle y sont par définition moins importantes. Les opérateurs doivent rogner sur la masse de frais qui grèvent les produits. Sur le principe, les fonds de proximité sont une bonne idée, mais relèvent peut-être d'un phénomène de mode, avec l'idée de « circuits courts », y compris en matière d'épargne financière. Nous parlons bien par ailleurs dans notre recommandation de la taille globale du fonds, sans montant minimal par souscripteur.
Enfin, et nous insistons sur ce point, davantage de transparence et de conseil ne pourra que renforcer le choix des épargnants. Ainsi, Monsieur Cozic, même si je suis plutôt favorable aux idées libérales, je pense qu'il faut un cadre, afin que les dispositifs soient réglementés et, si possible, justement réglementés, de manière à avoir de la stabilité et de la visibilité.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - L'épargne des Français est globalement abondante. Il s'agit non pas de sur-réglementer, mais d'encadrer et d'inciter à aller vers de nouveaux produits. À mon sens, avec le retour de l'inflation, cela va devenir de plus en plus essentiel.
La commission autorise la publication de la communication des rapporteurs sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Situation et action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à la présentation des résultats des travaux de contrôle budgétaire sur la situation et l'action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire, conduits par les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail et emploi », Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Nous vous présentons ce matin, avec Sophie Taillé-Polian, les conclusions de nos travaux de contrôle budgétaire sur la situation et l'action des missions locales dans le contexte de la crise sanitaire.
Le rapport que nos collègues François Patriat et Jean-Claude Requier avaient remis en 2017 sur les missions locales dressait un bilan plutôt favorable de l'action de ces dernières en faveur de l'insertion des jeunes les plus en difficulté. Bien que ces travaux soient assez récents, nous avons considéré que la crise sanitaire, dont les jeunes sont parmi les premières victimes, justifie de se pencher de nouveau sur le sujet. Cela a constitué pour nous l'occasion d'assurer un suivi de certaines recommandations formulées par nos prédécesseurs et d'en émettre de nouvelles.
Les missions locales ont été créées en 1982. Elles constituent, avec Pôle emploi et les Cap emploi, l'un des trois principaux réseaux du service public de l'emploi. Elles ont vocation à accueillir tout jeune de 16 à 25 ans rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi ; il y en avait 1,3 million fin 2020.
L'action des missions est spécifiquement tournée vers ceux qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, soit la majorité des jeunes accueillis. Elle s'articule autour du parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea). La Garantie jeunes, mieux connue, constitue la modalité la plus intensive de ces parcours et présente la particularité de permettre le bénéfice d'une allocation mensuelle.
Les missions locales, constituées sous forme associative ou de groupement d'intérêt public (GIP), bénéficient de multiples sources de financement, au risque d'ailleurs d'un certain éclatement. L'État reste de loin leur principal financeur. Sa contribution, qui s'élevait à 339 millions d'euros en 2020, est très fortement dynamique, du fait de la montée en puissance de la Garantie jeunes, dont près de 90 000 jeunes bénéficiaient fin 2020. Néanmoins, cela masque une attrition des moyens structurels de fonctionnement des missions locales depuis 2018. Nous recommandons que ces moyens structurels soient désormais stabilisés, afin que les nombreuses missions qui leur sont confiées puissent continuer d'être exercées dans de bonnes conditions. C'est d'autant plus important que l'épreuve de la crise est particulièrement brutale pour les jeunes aux plans matériel, moral, sanitaire comme au plan de l'accès à l'emploi. Les missions locales paraissent donc plus indispensables que jamais.
Dans l'ensemble, en dépit des confinements, les missions locales sont parvenues à maintenir le contact avec les jeunes qu'elles suivaient. Selon une enquête de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de mai 2020, près d'une mission locale sur deux assurait être parvenue à maintenir le contact avec au moins 80 % des jeunes qu'elle accompagnait. Seulement une mission locale sur dix déclarait n'avoir pu maintenir le contact qu'avec 10 à 50 % d'entre eux.
La qualité du lien d'accompagnement s'est cependant nettement dégradée du fait du recours imposé à des modalités d'accompagnement à distance. Ont ainsi été constatées certaines difficultés liées à des carences d'équipements, à des problèmes de connexion, à un manque de connaissance de ces outils ou à des conditions de confinement mal adaptées. Ces difficultés étaient le plus souvent liées à la situation du jeune, mais parfois également à l'équipement des conseillers des missions locales.
Du fait de la fermeture de nombre de structures, les entrées en Pacea et en Garantie jeunes se sont pratiquement interrompues au printemps 2020. Un rattrapage a eu lieu à l'automne. Les résultats ont finalement été proches de ceux de l'année 2019.
Désormais, nous attendons que les missions locales participent pleinement à la mise en oeuvre du plan de relance. Des objectifs extrêmement ambitieux, notamment un doublement des entrées annuelles en garantie jeunes, ont été fixés. Ils ne paraissent que difficilement atteignables, mais contribuent à enclencher une dynamique positive.
Des moyens exceptionnels ont été alloués, représentant une rallonge budgétaire d'environ 50 % de leur dotation annuelle. Nous alertons sur le fait que leur utilisation pourrait être source de problèmes de gestion pour les missions locales. Celles-ci ont en effet dû procéder à des recrutements en contrats à durée déterminée, voire à des agrandissements temporaires de locaux. Ainsi, une trop brusque « réduction de la voilure » budgétaire pourrait les fragiliser financièrement. Nous recommandons donc de dresser dès que possible un bilan de l'utilisation de ces moyens supplémentaires exceptionnels, afin d'adapter progressivement l'enveloppe allouée aux missions locales en fonction des contraintes de gestion que le surcroît d'activité imposé par la crise a générées.
Nous dénonçons également la multiplication des dispositifs et des acteurs du plan « 1 jeune, 1 solution », au risque d'une certaine dispersion de l'action publique.
Outre la Garantie jeunes, le plan de relance prévoit de développer massivement les contrats aidés.
Nous relevons un risque réel de concurrence entre les dispositifs, source de perte d'efficacité. Le dispositif d'accompagnement intensif des jeunes (AIJ) de Pôle emploi et le Pacea sont très proches et leurs modalités d'articulation sont inutilement complexes. Nous préconisons de clarifier la répartition des publics entre Pôle emploi et les missions locales, en réservant la prise en charge des jeunes ayant des difficultés particulières d'insertion sur le marché du travail à ces dernières, qui disposent de la plus grande expertise à l'égard des publics concernés.
De ce point de vue, on peut relever que le « revenu d'engagement » pour les jeunes annoncé par le Président de la République, dont les contours précis sont encore totalement inconnus, pourrait limiter les phénomènes de concurrence, en harmonisant les conditions d'accès à une aide financière pour les jeunes en parcours d'insertion, afin de leur permettre de s'orienter plus facilement vers l'acteur du service public de l'emploi ou le dispositif le plus adapté à leurs besoins et projets.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - L'analyse de la situation des missions locales nous a conduits à porter des observations plus structurelles sur leur gouvernance et leur mode de financement.
La gouvernance nationale du réseau des missions locales a connu des évolutions profondes au cours de la dernière décennie, avec le remplacement en 2016 du Conseil national des missions locales (CNML) placé auprès du Premier ministre par le délégué ministériel aux missions locales (DMML), placé auprès du secrétariat général des ministères sociaux. Ce dernier a été supprimé à son tour en 2018, l'essentiel de ses attributions ayant été reprises par l'Union nationale des missions locales (l'UNML) et par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). La plupart des acteurs auditionnés ont regretté cette suppression, qui s'est faite sans aucune évaluation préalable. Le DMML constituait en effet un interlocuteur bien identifié et précieux par chaque mission locale, notamment pour remonter les revendications au Gouvernement.
L'UNML a su trouver sa place et a indéniablement renforcé son action d'animation du réseau. Néanmoins, l'accroissement de son champ d'intervention n'est pas exempt de limites : toutes les missions locales n'y sont pas forcément adhérentes. Certains syndicats critiquent le fait que l'UNML assure un double rôle d'organisation patronale et de représentant et d'animateur du réseau. Selon nous, une concertation doit s'engager entre l'ensemble des parties prenantes pour remettre à plat la gouvernance et réinstaurer une instance publique nationale, si possible interministérielle, d'animation et de pilotage du réseau.
La question des modalités de financement des missions locales est cruciale. Le financement par l'État des missions locales intègre une logique de performance, réformée en 2019.
Jusqu'en 2018, les missions locales recevaient un financement, au titre de l'accompagnement des publics en garantie jeunes, indexé sur le nombre d'entrées dans le dispositif, sur la base d'un forfait de 1 600 euros par jeune. Depuis 2019, cette logique a été abandonnée au profit d'une logique de performance plus large. Les nouvelles directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) sont désormais tenues d'organiser chaque année un dialogue de gestion avec chaque mission locale relevant de leur zone géographique, pour faire un bilan de l'année précédente et déterminer les objectifs de l'année en cours sur 10 indicateurs clés. L'atteinte des objectifs dans ce cadre conditionne l'attribution d'une part variable de leur dotation annuelle, soit 10 % de l'enveloppe. Cette part peut sembler faible mais elle n'est pas négligeable compte tenu du budget très serré des missions locales.
Ce dispositif soulève un certain nombre de critiques.
La démarche de performance repose sur la classification des missions locales du réseau en vingt groupes homogènes, sur la base de critères objectifs. Ce système a évidemment sa légitimité, car il permet de fixer des objectifs pertinents et réalistes aux structures. Cependant, de nombreux acteurs auditionnés ont relevé que ce système avait également pour effet pervers d'induire une forme de mise en concurrence entre les missions locales. Sans revenir sur le principe de classification, nous préconisons tout de même que le dialogue de gestion s'attache à laisser davantage de place, en parallèle et dans une logique plus individualisée, à la prise en compte des progrès réalisés au fil du temps par une même mission locale.
Le principal problème est néanmoins ailleurs. Pour la plupart des acteurs auditionnés, la liste des indicateurs retenue tend à privilégier exagérément les objectifs de retour immédiat à l'emploi. Cela ne reflète qu'imparfaitement la vocation historique des missions locales : proposer un accompagnement plus global des jeunes, dans un objectif d'autonomie et d'émancipation. Une tension grandissante se fait jour entre l'esprit initial de création des missions locales et une conception de plus en plus stricte de l'insertion professionnelle, au risque de faire évoluer le modèle original de la mission locale vers une forme de « Pôle emploi jeunes ». D'ailleurs, cela se reflète dans le mode de gouvernance. Ce constat est d'autant plus problématique que la crise sanitaire et économique a fragilisé la situation des jeunes. Ceux-ci ont plus que jamais besoin d'un accompagnement global partant de leurs besoins concrets, impliquant de mobiliser l'ensemble des ministères sociaux.
L'évaluation de l'efficacité de l'action des missions locales doit aussi se fonder sur une approche plus large. Cela vaut, par exemple, pour l'évaluation des « sorties positives » du parcours d'accompagnement. En l'état, sont considérées comme positives les seules sorties en emploi ou en alternance, à l'exclusion de toute sortie en formation professionnelle. Selon le ministère, la formation professionnelle faisant partie des outils à mobiliser durant le parcours, elle ne saurait être considérée comme une sortie positive. Cette approche est contestable : la formation professionnelle peut difficilement être appréhendée comme un bloc monolithique. Pour un jeune ayant suivi avec succès une formation dite « préqualifiante » ou « de premier niveau » lors de son Pacea, l'accès à une formation qualifiante de nature à permettre d'accéder à un emploi stable et de qualité doit assurément être considéré comme une sortie « positive ».
Le dispositif de performance appliqué aux missions locales constitue une forme de dévoiement de l'esprit de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), puisque la logique de résultats est ici conjuguée à une approche strictement ministérielle, à rebours de l'approche interministérielle, décloisonnée et organisée par politiques publiques que la LOLF a entendu impulser.
En effet, le ministère du travail tend à adopter une vision restrictive de la politique de l'emploi. Concernant les publics jeunes, la levée des freins périphériques à l'emploi, par un accompagnement en matière de santé, de logement ou de mobilité, est absolument décisive. C'est la raison pour laquelle la mesure de la performance des missions locales doit laisser une place à l'évaluation de leurs actions en la matière. Nous proposons une évaluation du dialogue de gestion. En ce sens, la question du financement rejoint celle de la gouvernance.
Il convient de tirer parti de la création des Dreets afin de mieux croiser les approches de l'insertion sociale et de l'insertion professionnelle.
Il faudrait également, comme l'avaient préconisé François Patriat et Jean-Claude Requier, généraliser à l'échelon local la tenue de conférences des financeurs, pour créer les conditions d'un dialogue de gestion où chaque collectivité concernée apporterait ses compétences : la région en matière d'orientation et de formation, les départements en matière d'action sociale.
On le voit aujourd'hui, le financement des missions locales reste encore très dépendant du financement des collectivités territoriales. Un tour de table général permettrait aux missions locales d'aborder leur développement de manière plus apaisée et assurerait à toutes les collectivités locales la possibilité de créer, sur leurs compétences propres, les clés de la convergence, en vue d'accompagner les jeunes vers l'autonomie.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Ce rapport nous permet de faire un point d'étape avant l'examen du projet de loi de finances (PLF). Concernant la Garantie jeunes, pour laquelle les objectifs d'entrée ont été doublés dans le cadre du plan de relance, le dimensionnement des structures a souvent posé question et nécessitait quelquefois d'être adapté.
Certaines des structures mises en place sur le territoire ont plus de places que de jeunes, notamment l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), dont le fonctionnement a d'ailleurs un coût significatif. Vous affirmez que le revenu d'engagement est mort-né. Je ne sais pas s'il est mort ; en tout cas, il n'est pas né ! Il semble souhaitable de maintenir a minima un lien en matière financière, de sorte que les dispositifs ne se fassent pas concurrence, ce qui porterait préjudice aux jeunes.
Enfin, les dispositifs mis en oeuvre par les missions locales soulèvent certaines questions. Hier, j'ai échangé avec les représentants du groupe Burger King France. Alors que l'entreprise crée 3 000 emplois de plus chaque année, elle peine à recruter, notamment les jeunes. Selon les représentants du groupe, les missions locales ne constituent pas forcément le meilleur dispositif ; l'aide à l'apprentissage, entre autres, est préférable, en ce qu'elle facilite le recrutement.
Un arbitrage doit être fait, notamment sur les fonds accordés aux missions locales, dans la perspective d'une dégressivité lente des aides apportées dans le cadre du plan de relance, visant à amortir le choc de la sortie de crise. J'espère que, lors de l'examen du PLF, nous trouverons un accord avec les rapporteurs de la commission des finances.
M. Claude Raynal, président. - Trop de consensus tue la politique, madame !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je veux remercier Mme Taillé-Polian et M. Capus de ce rapport. Il y a quelques années, le modèle des missions locales a pu parfois être remis en cause. Finalement, il n'en est rien, et les missions locales ont même été renforcées.
Beaucoup de structures coexistent : Pôle emploi, les missions locales et, pour ce qui concerne la formation, les régions. Dans la région Grand Est, bon nombre de jeunes passent à côté des dispositifs ou n'y sont pas éligibles. N'existe-t-il pas des dispositifs plus « courts » permettant de garantir l'accès à l'emploi des jeunes éloignés du travail ? Des dispositifs de ce genre peuvent être proposés dans les régions ; ils sont plus ciblés et offrent des formations suivies d'emploi. Il est nécessaire de procéder à des arbitrages : la surabondance des dispositifs nuit à leur efficacité et consomme beaucoup d'argent public.
M. Claude Raynal, président. - Votre rapport ne fait pas état de difficultés financières particulières. J'entends vos préoccupations quant aux modalités d'articulation des apports des départements et des régions avec les crédits de l'État, et les difficultés générées par ces circuits de financements fonctionnant « en silo ». Ce sujet du multi-financement revient sans cesse...
Lors de l'examen du PLF de l'an dernier, ma collègue Agnès Canayer et moi-même avions défendu l'augmentation des fonds dévolus aux missions locales. Votre rapport n'aborde pas ce point. Cela signifie-t-il que le Gouvernement, in fine, a eu raison de passer outre notre demande ?
M. Antoine Lefèvre. - Je souscris aux propositions de nos rapporteurs, notamment à celles qui visent à stabiliser les dispositifs existants ; il est temps d'y mettre de l'ordre. Je veux, moi aussi, souligner le rôle essentiel qu'ont joué les missions locales à l'occasion de la crise sanitaire, d'autant que cela a été peu médiatisé. Beaucoup de ces missions ont tenu à l'organisation de leurs activités en présentiel, tandis que Pôle emploi a privilégié le télétravail.
Il faut revenir à une gouvernance plus centralisée. Je souscris à la proposition des rapporteurs de confier la gestion de l'ensemble des dispositifs ciblés sur les jeunes en difficulté d'insertion aux missions locales : cela apporterait de la lisibilité.
Quel est l'avenir du revenu d'engagement ? Je m'interroge sur les effets de seuil qui pourraient conduire certains jeunes à quitter leurs formations pour en bénéficier. Nous devons rester très attentifs à ce sujet. Avez-vous de la visibilité sur le contenu de ce revenu ? Le plan de relance a permis de doubler les places en garantie jeunes. Qu'en sera-t-il à l'avenir ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Je remercie également les rapporteurs de la qualité de leurs travaux. Les missions locales ont été créées en 1982 pour répondre à un besoin conjoncturel qui, en fin de compte, est devenu structurel. Les missions locales ont vocation à accueillir les jeunes en difficulté d'insertion dans l'emploi. Ces jeunes, avant de se trouver dans cette situation, étaient en difficulté scolaire. Dès lors, un apprentissage dédié aux jeunes de moins de seize ans ne pourrait-il pas être expérimenté sur certains territoires ? Il permettrait aux jeunes concernés de saisir la chance de se professionnaliser directement via l'apprentissage, sans passer par les missions locales.
M. Éric Jeansannetas. - Je veux rendre hommage aux missions locales, qui, même lors du premier confinement, ont tout fait pour maintenir le lien entre les jeunes. N'oublions pas que les jeunes ciblés sont très éloignés de l'emploi. Le travail demandé aux conseillers est donc considérable.
Pendant le premier confinement, les missions locales n'avaient d'autre choix que de prendre en charge les difficultés globales des jeunes - logement, cohabitation familiale ou sociale difficile... -, revenant ainsi à l'essence du rapport Schwartz de 1981.
Beaucoup d'entre nous sont présidents de missions locales. Nous pouvons parfois avoir le sentiment que celles-ci sont instrumentalisées à la fois par l'État, pour afficher des sorties positives en emploi, et par les régions, pour des sorties en formation. Par le passé, on a même vu l'association Régions de France revendiquer la mainmise sur les missions locales. L'État et les régions ont fini par trouver un consensus...
Certes, il existe beaucoup de dispositifs, mais nous avons tout de même bien éclairci les choses. Votre rapport met en exergue un élément indispensable : la nécessité d'une visibilité sur l'avenir. Le nombre de conseillers des missions locales a augmenté, notamment au titre du plan de relance. On peut s'en réjouir, mais ces conseillers sont recrutés de façon précaire - ils signent parfois des contrats à durée déterminée (CDD) de six mois -, alors qu'ils travaillent eux-mêmes au service de jeunes en grande précarité.
Il sera nécessaire de suivre l'évolution des fonds exceptionnels. Un stop and go mettrait à mal la motivation et l'engagement des conseillers. Or le propre des missions locales, c'est justement de cultiver l'engagement et le militantisme de ces derniers, en faveur des jeunes en difficulté.
Les missions locales restent le dernier endroit on l'on accueille des jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET). Je remercie une fois de plus les rapporteurs de leur avoir rendu hommage ; leur action a été déterminante durant la crise.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je salue à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux et pour reconnaître ainsi l'engagement des conseillers des missions locales. Je connais bien la mission locale de Dole, dans le Jura ; j'ai rencontré des conseillers absolument brillants, qui ont un réseau formidable avec les entreprises et un contact exceptionnel avec les jeunes.
Aujourd'hui, l'heure est à la reprise. Pourtant, on entend beaucoup de chefs d'entreprise se plaindre de ne pas pouvoir recruter de la main d'oeuvre. Au fond, notre pays est-il prêt à accueillir des jeunes ? Beaucoup de jeunes, qu'ils soient ou non diplômés, manifestent le désir de travailler et de trouver un emploi. Nos entreprises auraient-elles du mal à leur faire confiance ?
Mme Christine Lavarde. - On constate qu'un grand nombre d'emplois demeurent non pourvus, notamment dans des domaines qui ne nécessitent pas un niveau d'études supérieures important et pour lesquels une insertion et une formation peuvent être assurées en parallèle - Je pense notamment à des emplois dans les crèches ou encore dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
Quelque chose bloque... Le nombre de structures vouées à endosser une fonction sociale d'insertion et d'accompagnement est-il insuffisant ? Il n'y a sans doute pas assez de conseillers capables de jouer ce rôle de tuteur. Au-delà des compétences pratiques et techniques, il faut donner à ces jeunes les codes qui leur permettent de devenir des acteurs du marché du travail. J'ai le sentiment que l'on se préoccupe beaucoup de l'encadrement, sans apporter de réponse concrète aux tensions du marché de l'emploi.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale. - Nous partageons tous cette volonté d'encourager les agents et les élus qui, via les missions locales, oeuvrent quotidiennement en faveur de publics en grande difficulté.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème de nombre. À la fin de l'année 2020, on comptait 1,5 million de jeunes NEET. Même si l'on parvenait à pourvoir les quelque 300 000 emplois vacants, selon l'estimation de la Banque de France, la question serait encore loin d'être réglée. Je rejoins les propos de Mme Vermeillet : un certain nombre d'entreprises semblent ne pas vouloir faire confiance aux jeunes, alors même qu'ils ont un bon niveau de qualification.
Nous parlons de jeunes qui sont en situation de rupture, souvent avec le système éducatif, parfois avec leur famille. Ils souffrent souvent de difficultés d'accès aux soins ou au logement. Beaucoup de dispositifs existent, mais ils se font concurrence, notamment parce que les missions locales doivent répondre à des objectifs très élevés. Dès lors, il conviendrait de désigner la mission locale comme chef de file, afin de mieux orienter les jeunes vers le dispositif adéquat.
Si les contours du « revenu d'engagement » restent flous, j'espère au moins que des mesures seront prises pour harmoniser les dispositifs, de sorte que chaque jeune puisse trouver une solution appropriée sans être contraint de choisir entre une formation adaptée et une aide financière.
S'agissant du dispositif de performance, les missions locales se trouvaient en difficulté dès lors qu'aucune sortie positive vers l'emploi n'était possible. Quelquefois, les missions, convaincues du risque d'absence de sortie positive, s'abstenaient de remplir l'ensemble de leurs objectifs. Nous sommes passés d'une logique forfaitaire à une logique d'indicateurs ; c'est une bonne nouvelle. Cependant, les indicateurs choisis sont trop restrictifs.
Certaines structures associatives sont assez fragiles, ne disposant pas de beaucoup de trésorerie ou des moyens qui permettent de gérer les situations de crise - leurs fonds structurels de gestion sont réduits chaque année. De ce fait, bon nombre de missions locales hésitent à embaucher et à mettre en oeuvre le plan « 1 jeune, 1 solution ». Nous devons faire en sorte que ces associations bénéficient, dans un contexte territorial d'échange, d'une plus grande visibilité, pour construire des politiques sur la durée. Elles doivent être consolidées pour être à l'écoute des territoires et des situations individuelles des jeunes, car la nécessité d'un accompagnement global de ces publics mise en avant par le « rapport Schwartz » de 1982 reste d'actualité.
Pour conclure, il est nécessaire de maintenir une palette de solutions pour répondre aux difficultés de la jeunesse, qui sont très diverses.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Nous partageons beaucoup de points, Madame Puissat, notamment en ce qui concerne la Garantie jeunes et la complexité du système d'accompagnement des jeunes en insertion. Si les informations dont nous disposons ne permettent pas de porter une appréciation précise du « revenu d'engagement », nous considérons à tout le moins que, s'il devait être mis en place, il constituerait l'occasion de simplifier le système et d'harmoniser ce maquis de dispositifs.
Certes, la question de l'allocation des moyens entre les différents dispositifs de la politique de l'emploi mérite toujours d'être posée dans le cadre du débat budgétaire. Cependant, je ne suis pas certain que les jeunes faisant appel aux missions locales soient les premiers concernés par l'aide à l'apprentissage et à l'embauche, compte tenu des difficultés diverses qu'ils rencontrent en matière de scolarité, de logement, de santé, de mobilité. Ces dispositifs paraissent donc souvent plus complémentaires que substituables.
Le rapporteur général a également souligné le nombre important de dispositifs et leur complexité. C'est justement parce que nous partageons ce constat que nous recommandons d'orienter en priorité les jeunes très éloignés de l'emploi vers les missions locales, qui agissent comme un guichet unique.
Lors de nos auditions, monsieur le Président, nous avons eu peu de remontées qui indiqueraient que les crédits exceptionnels du plan de relance seraient insuffisants pour atteindre les objectifs fixés dans ce cadre. La tension réside plus sur les moyens structurels des missions locales, que nous proposons de stabiliser. Mais sur les crédits « exceptionnels », l'enjeu est avant tout celui de la capacité des missions locales à les consommer. D'autre part, comme j'ai eu l'occasion de le dire, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de « casse » à la sortie de la crise. Ainsi, nous préconisons de faire un bilan de l'utilisation des moyens humains et immobiliers qui ont été déployés pour adapter l'évolution des crédits en conséquence.
Monsieur Mizzon nous interrogeait sur une éventuelle ouverture de l'apprentissage aux jeunes de moins de 16 ans : pourquoi pas ? Toutefois, nous avons centré notre rapport sur l'action des missions locales pendant la crise. Le public étudié est donc celui de populations en situation d'extrême précarité. Il ne nous appartenait pas, dans le cadre de notre rapport, d'étudier les raisons de cette précarité.
Monsieur Jeansannetas, nous partageons la même analyse. C'est pourquoi nous proposons de confier la prise en charge des jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion sur le marché du travail aux seules missions locales. Nous recommandons aussi de dresser un bilan de l'utilisation de leurs moyens par les missions locales, ce qui devrait aboutir à leur donner plus de visibilité sur l'avenir.
Je ne sais pas si je suis capable de répondre aux questions de Mmes Vermeillet et Lavarde sur la capacité de notre pays à faire confiance à nos jeunes. Le chômage des jeunes n'est pas qu'une problématique française : il est beaucoup plus élevé en Espagne, par exemple. Cette question, vaste, dépasse le cadre d'un contrôle budgétaire et financier sur les missions locales. Notre rapport consistait à souligner leur rôle pour réinsérer les jeunes éloignés de l'emploi. Il ne nous revenait pas d'étudier les politiques de l'emploi et de l'apprentissage dans leur ensemble.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La commission donne acte de leur communication aux rapporteurs spéciaux et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 40.