- Jeudi 14 octobre 2021
- Voisinage et élargissement - Déplacement du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux en Macédoine du Nord, en Serbie et au Monténégro, du 12 au 17 septembre 2021 - Communication
- Institutions européennes - Déplacement en Slovénie du groupe interparlementaire d'amitié France-Slovénie du 28 septembre au 1er octobre 2021 - Communication
Jeudi 14 octobre 2021
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10
Voisinage et élargissement - Déplacement du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux en Macédoine du Nord, en Serbie et au Monténégro, du 12 au 17 septembre 2021 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons ce matin pour évoquer une zone de l'Union européenne (UE) particulièrement sensible : celle des Balkans occidentaux. Nous allons d'abord évoquer les trois pays candidats, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie, dans lesquels une délégation du groupe d'amitié présidé par notre collègue Marta de Cidrac s'est rendue il y a presque un mois. Je la remercie d'avoir proposé d'informer notre commission des enseignements qui peuvent être retirés de ce déplacement, au lendemain du sommet UE-Balkans occidentaux qui s'est tenu il y a une semaine, et trois ans après le rapport que nos collègues Jean Bizet, Claude Kern et Simon Sutour avaient présenté à notre commission au retour de leur mission en Serbie et au Monténégro.
Si les six pays des Balkans occidentaux bénéficient tous d'une « perspective européenne » reconnue par l'UE en 2003 au Sommet de Thessalonique, ils n'ont pas, à ce stade, atteint le même niveau d'avancement dans leur rapprochement européen, qui est fondé sur les « mérites propres » de chacun.
Le Monténégro et la Serbie sont les pays les plus avancés à cet égard, les négociations d'adhésion étant ouvertes depuis respectivement 2012 et 2013.
Concernant la Macédoine du Nord, comme l'Albanie, l'ouverture des négociations d'adhésion a été approuvée par le Conseil européen le 26 mars 2020. La Commission européenne a présenté les projets de cadres de négociations le 1er juillet 2020. Actuellement en cours de discussion au Conseil, ils doivent être approuvés à l'unanimité avant la tenue de la première conférence intergouvernementale (CIG) qui les adoptera formellement et lancera officiellement les négociations d'adhésion.
Pour leur part, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo ne sont encore que candidats potentiels à l'adhésion : ils sont de fait plus éloignés de la concrétisation de leur perspective européenne.
Comme vous le savez, la France a plaidé avec succès pour une réforme du processus d'élargissement. C'est pourquoi, en octobre 2019, elle s'est opposée, avec d'autres États membres, à l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. Une nouvelle méthodologie a donc été proposée par la Commission ; le Conseil l'a endossée en mars 2020, tout en décidant l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. Ces négociations butent toutefois sur le blocage bulgare. La présidence portugaise a, pour sa part, mené à bien les travaux sur l'application de la nouvelle méthodologie aux négociations d'adhésion avec le Monténégro et la Serbie, qui l'ont pleinement acceptée. Et la présidence slovène fait du sujet des Balkans occidentaux et de l'élargissement l'une de ses priorités. Elle a ainsi organisé le sommet du 6 octobre et la Commission doit bientôt publier son prochain « paquet élargissement ». Le sujet de l'élargissement est pourtant très éloigné des priorités politiques d'autres États membres et, le 6 octobre, l'Union s'est refusée à donner une date-butoir pour une adhésion des Balkans. Nous sommes donc particulièrement curieux de savoir comment la situation évolue dans les trois pays visités par le groupe d'amitié. Je laisse la parole à Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux. - Merci. Une délégation du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, que je préside, s'est rendue en Macédoine du Nord, en Serbie et au Monténégro, du 12 au 17 septembre dernier.
Cette délégation, que je conduisais, était composée de nos collègues Arnaud Bazin, Président délégué pour la Macédoine du Nord, Mickaël Vallet, Président délégué pour la Serbie, et Vincent Ségouin, Président délégué pour le Monténégro.
Cette visite a été particulièrement dense, avec des entretiens au plus haut niveau, notamment avec le Président de la République serbe, le Premier ministre monténégrin, le Vice Premier ministre macédonien, les ministres des affaires étrangères, les présidents des Parlements et les parlementaires. Je tiens à cet égard à remercier les ambassadeurs et leurs collaborateurs pour la bonne organisation de ce déplacement, malgré le contexte sanitaire.
L'objectif de cette mission était de faire le point sur la situation intérieure de ces pays, le processus de rapprochement avec l'Union européenne et leurs relations avec la France. J'évoquerai successivement ces trois points dans mon intervention.
Je débuterai mon propos par la situation intérieure. Comme nous avons pu le constater lors de notre déplacement, ces trois pays, issus de l'ex-Yougoslavie, restent des démocraties fragiles et demeurent confrontés à d'importantes tensions, tant sur le plan interne, que sur un plan externe.
La Macédoine du Nord qui compte 2 millions d'habitants, a fêté quelques jours avant notre arrivée, le 8 septembre 2021, le 30e anniversaire du referendum sur l'indépendance du pays. Les élections législatives du 15 juillet 2020 ont été remportées par le parti social-démocrate du Premier ministre Zoran Zaev, qui, avec le soutien du parti de la minorité albanaise, a fait de l'intégration à l'Union européenne sa priorité stratégique. Les relations entre la majorité slave et la minorité albanaise, qui représente environ 25 % de la population, demeurent aujourd'hui complexes.
En Serbie, où résident 7 millions d'habitants, le boycott par les principaux partis d'opposition des élections législatives du 21 juin 2020 a renforcé le poids du Président Aleksander Vuèiæ et de son parti SNS, qui domine le Parlement et la vie politique.
Au Monténégro, dont la population est de 600 000 habitants, dont 43 % de Monténégrins et 31 % de Serbes, les élections législatives du 30 août 2020 ont été marquées par la victoire de l'opposition, entraînant la première alternance depuis l'indépendance du pays en 2006. Comme nous avons pu le constater, les relations politiques entre la majorité et l'opposition sont très tendues et se cristallisent autour de l'autonomie de l'église orthodoxe monténégrine vis-à-vis de l'église orthodoxe serbe. Ainsi, l'intronisation du nouveau patriarche de l'église orthodoxe serbe a donné lieu à des affrontements violents, ayant fait plusieurs blessés.
Après avoir été relativement épargnés au début de pandémie de la Covid-19, ces pays ont été durement frappés par la crise sanitaire. Face à la pénurie de vaccins, certains pays, comme la Serbie, ont eu recours aux vaccins russe et chinois.
En matière économique, le PIB par habitant est de l'ordre de 39 % de la moyenne européenne en Serbie et en Macédoine du Nord et 50 % au Monténégro. La Serbie a plutôt bien résisté à la crise, contrairement au Monténégro, dont l'économie est très dépendante du tourisme.
Enfin, les trois pays sont confrontés à un défi démographique majeur, caractérisé par une baisse de la natalité et une émigration vers l'Union européenne. Ainsi, la Serbie pourrait perdre 20 % de sa population à l'horizon 2050.
J'en viens maintenant au processus d'élargissement. Depuis la fin des conflits nés de l'ex-Yougoslavie, il y a 25 ans, le chemin parcouru par les pays des Balkans n'a pas toujours été droit et aisé. Si la vocation des pays des Balkans à rejoindre l'Union européenne a été reconnue dès 2003, l'état d'avancement des négociations d'adhésion est très variable selon les pays.
D'abord, la Macédoine du Nord s'est vue reconnaître le statut de pays candidat dès 2005. La signature de l'accord de PRESPA en juin 2018 a permis de régler le différend avec la Grèce portant sur le nom du pays. L'ouverture effective des négociations d'adhésion se heurte toutefois au veto de la Bulgarie, comme l'a rappelé le Président, en raison d'un différend bilatéral au sujet de la langue, du nom du pays et des relations avec la minorité macédonienne en Bulgarie. Même si le contexte des futures élections présidentielles et législatives en Bulgarie ne semble guère propice, il faut espérer qu'un compromis satisfaisant puisse être trouvé rapidement avec la Bulgarie pour permettre l'ouverture des négociations d'adhésion de la Macédoine du Nord. En effet, outre la Macédoine du Nord, l'Albanie attend aussi l'ouverture des négociations d'adhésion, et un éventuel découplage entre ces deux pays serait très mal perçu par la Macédoine du Nord, qui frappe à la porte de l'Union européenne depuis 16 ans. Cette question risque de « perturber » la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022.
La Serbie, qui a ouvert 18 chapitres sur 36, espère en ouvrir de nouveaux sous présidence slovène ou française de l'Union européenne. Pour la Commission européenne, il reste toutefois d'importants progrès à faire en matière de pluralisme démocratique, d'État de droit et de réforme de la justice et de liberté de la presse. La réconciliation régionale reste aussi un défi, concernant notamment le dialogue avec le Kosovo. Je rappelle que l'indépendance du Kosovo n'est pas reconnue par la Serbie ni par cinq des vingt-sept États membres (Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie, Chypre) et que la situation au Kosovo demeure très tendue, malgré le dialogue entre Belgrade et Pristina mené sous l'égide de l'Union européenne.
Le Monténégro, qui a débuté les négociations en 2012, est le pays candidat le plus avancé. Il a ouvert tous les chapitres. Le nouveau gouvernement monténégrin a confirmé l'objectif prioritaire de l'adhésion à l'Union européenne.
À l'initiative de la France, le Président l'a indiqué, une nouvelle méthodologie a été adoptée par l'Union européenne en mars 2020 afin de rendre le processus de négociation plus crédible, avec un pilotage politique renforcé, incluant une possible réversibilité du processus. Comme l'a souligné la Commission européenne dans ses derniers rapports, les trois pays restent confrontés à de nombreux défis en matière de démocratie, de respect de l'État de droit et de lutte contre la corruption.
Dans le même temps, comme nous avons pu le constater sur place, face aux lenteurs du processus d'adhésion, un certain sentiment de lassitude et de découragement se développe dans ces pays, notamment au sein de la jeunesse, qui est tentée par l'émigration vers l'Union européenne. On constate aussi dans les Balkans un renforcement notable de l'influence de la Russie, de la Chine et de la Turquie, notamment sur le plan économique.
Lors du récent Sommet Union européenne-Balkans, qui s'est tenu à Brdo, en Slovénie, le 6 octobre dernier, les chefs d'État ou de gouvernement de l'UE ont confirmé leur soutien à la perspective européenne des Balkans occidentaux. Des divergences existent cependant entre les pays, comme l'Autriche ou la Slovénie, qui soutiennent une adhésion rapide, et d'autres, comme la France ou les Pays-Bas, qui sont plus prudents et qui mettent en avant l'approfondissement de l'Union avant l'élargissement.
Compte tenu des enjeux économiques, sécuritaires et migratoires et face à l'influence croissante de la Chine, de la Russie ou de la Turquie, je considère pour ma part que l'Union européenne devrait s'engager davantage dans la région des Balkans. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, d'associer les pays des Balkans à certains programmes communautaires, à l'image du programme Erasmus sur les échanges d'étudiants ?
Je terminerai mon intervention en évoquant la présence française dans les Balkans. Sous l'impulsion du Président de la République comme vous le savez, la France a adopté, en avril 2019, une « stratégie française pour les Balkans occidentaux », afin de manifester le retour de la France dans cette région. Celle-ci prévoit un renforcement des échanges politiques et une coopération renforcée en matière de sécurité et de défense. La traduction la plus visible a été le retour de l'Agence française de développement (AFD), qui a ouvert un bureau régional à Belgrade.
Si on peut se féliciter de cette volonté, nous avons toutefois constaté sur place qu'elle ne s'est pas traduite par une augmentation sensible des effectifs et des moyens de notre diplomatie, qui restent encore loin des ambitions affichées.
Ainsi, l'ambassade de France à Podgorica dispose de deux diplomates, contre sept pour l'Allemagne et 300 agents pour les États-Unis. Ses crédits de coopération s'élèvent à 30 000 euros par an pour la France, contre 60 millions pour l'Allemagne.
En matière économique, la présence des entreprises françaises demeure encore très modeste. Nos entreprises disposent pourtant d'une expertise reconnue dans des domaines comme les transports, l'énergie, l'eau et le traitement des déchets, où les besoins de ces pays sont très importants. Ainsi, en Serbie, malgré la concession de l'aéroport de Belgrade au groupe Vinci et la construction de l'usine de traitement des déchets de Suez à proximité de Belgrade, que nous avons visitée, la France ne figure qu'au sixième rang des partenaires de la Serbie, loin derrière l'Allemagne, la Chine, l'Italie, la Russie, l'Autriche et les Pays-Bas. La France espère toutefois obtenir le contrat de la construction du métro de Belgrade, face à la forte concurrence chinoise. Alors que la Serbie doit envoyer 80 militaires pour lutter aux côtés des soldats français contre les groupes terroristes au Sahel, les perspectives en matière d'armement sont aussi prometteuses, même si, dans ce domaine, à la lumière des évènements récents, il faut rester évidemment prudent.
Dans ces pays, la présence économique française mériterait d'être renforcée, notamment au niveau des PME. Un colloque économique sur les Balkans devrait être organisé prochainement au Sénat par notre groupe d'amitié pour inciter les entreprises françaises à s'intéresser davantage à cette région.
Concernant la coopération culturelle et linguistique, et malgré la présence de centres culturels et d'écoles françaises, la place du français recule loin derrière l'anglais, mais aussi l'allemand et l'italien. Les bourses délivrées aux étudiants de ces pays demeurent très modestes.
Notre pays devrait faire davantage pour encourager la francophonie, notamment pour former en français les cadres de l'administration, octroyer davantage de bourses d'étudiants et promouvoir la création de sections bilingues ou internationales dans l'enseignement.
À cet égard, nous avons insisté auprès de ses interlocuteurs sur l'intérêt de la diplomatie parlementaire et de la coopération interparlementaire pour renforcer le dialogue et les échanges.
Le Sénat français a ainsi été retenu comme chef de file du programme « Interpares » de l'Union européenne pour renforcer les capacités du Parlement monténégrin en matière de suivi de la politique étrangère, européenne et de défense.
Je suis convaincue que la diplomatie parlementaire, à travers notamment les commissions ou les groupes d'amitié, peut jouer un rôle utile pour favoriser les échanges.
M. Alain Cadec. - J'ai été pendant dix ans député européen et je suis de ceux qui ont toujours considéré que lorsque l'on regarde la carte de l'Europe, on voit cette « poche », qui se situe entre la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, la Croatie et la Hongrie. Cet espace géographique comprend cinq pays, désormais six avec l'Albanie. Autant je suis formellement opposé à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, autant je suis convaincu qu'il faut tout mettre en oeuvre pour faire entrer, autant que faire se peut, ces pays dans l'Union européenne. Effectivement, nous savons par avance que l'intégration de la Bosnie va être un processus compliqué et long. Toutefois, en ce qui concerne la Serbie et la Macédoine, j'estime, à titre personnel, que nous devons faire le maximum pour que ces pays entrent dans l'Union.
M. Claude Kern. - Je suis assez d'accord sur la nécessité d'ouvrir l'Union européenne à ces pays des Balkans. Toutefois, ces derniers doivent en retour fournir des efforts. Je m'y suis effectivement rendu lors de la précédente mandature ; nous avions pu constater, à la suite de discussions avec Aleksandar Vuèiæ, que ces pays ne respectaient pas l'ensemble des conditions requises pour intégrer l'Union européenne. Ces pays sont certes dans une démarche d'adhésion. Mais, par exemple, M. Vuèiæ ne voulait pas entendre parler du chapitre 36 que nous avions évoqué plusieurs fois avec lui et n'envisageait pas de réconciliation avec le Kosovo. Ce n'est qu'une fois ce travail fait, que la démarche d'adhésion pourra être enclenchée.
M. Didier Marie. - Effectivement, l'Union européenne est confrontée à un paradoxe dans cette affaire, la France au premier chef.
D'un côté, l'adhésion de ces pays semble souhaitable pour contrer l'influence de la Chine, qui a acquis toute une série d'infrastructures au sein de ces derniers dans le cadre des routes de la soie, ainsi que pour contrer les influences turque et russe qui se manifestent sur le plan économique. Par l'adhésion, il s'agirait également de renforcer le processus démocratique qui n'est pas tout à fait abouti dans l'ensemble de cette zone géographique.
En même temps, ces pays sont encore loin des critères européens tant sur le plan de l'État de droit que sur le plan économique. Sur le plan de l'État de droit, les choses peuvent éventuellement avancer. Sur le plan économique, je ne voudrais pas que cela se traduise par un « effet Grèce » c'est-à-dire une incapacité à assumer les convergences économiques et budgétaires, conduisant in fine à la mise en place de politiques austéritaires aux répercussions très négatives sur les populations.
Une question plus large se pose : celle de l'approfondissement de l'Union européenne et de ses modes de fonctionnement. Se déroule actuellement une Conférence sur l'avenir de l'Europe. Nous ne connaissons pas encore le fruit de cette dernière, mais un certain nombre de discussions sur la qualité actuelle des traités et leur modification éventuelle sont en cours. Il faut arriver à mener de front une réflexion sur l'Europe telle qu'elle existe et sur son fonctionnement, et une réflexion sur les processus d'élargissement qui me semble souhaitable, mais assez difficile à mettre en oeuvre aujourd'hui.
Je souscris à la conclusion : il faut que la France soit plus présente dans cette région du monde ; manifestement, elle y est actuellement faible. Il faut que notre pays soit acteur des convergences dans cette partie de l'Europe et à l'échelle de l'Union européenne, pour faire avancer le processus d'intégration.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je souhaiterais exprimer un point de vue un peu divergent. Je comprends bien les enjeux géostratégiques afférents à cette région et le fait que les Balkans se situent dans une zone européenne. Je peux également comprendre le souhait « d'arrimer » ces pays à l'ensemble de l'Europe sur le plan économique, y compris pour répondre aux préoccupations internes de ces derniers, portant principalement sur la fuite de leurs jeunes vers d'autres pays de l'Union européenne.
En revanche, l'adhésion de ces pays à l'Union européenne me paraît contre-productive. Je ne crois absolument pas que l'Union européenne soit prête à une nouvelle extension de son périmètre. Aujourd'hui, l'Union européenne ne fait plus face à de simples tensions entre ses membres mais est confrontée à un véritable mécanisme de dislocation. L'adhésion aux valeurs européennes me paraît avoir considérablement diminué pour plusieurs raisons. Je ne crois pas au double discours demandant à ces pays de fournir suffisamment d'efforts pour être intégrés. Je crois en revanche au discours de clarté, accordant à ces pays leur seule intégration économique au marché unique.
M. Jean-Yves Leconte. - Cette démonstration ne fonctionne pas. La Macédoine du Nord en est la preuve. En effet, elle a fait tous les efforts possibles pour entrer dans un processus de négociations, jusqu'à un accord avec la Grèce pour changer de nom. Malgré cela, son intégration est toujours bloquée. Ainsi, demander des efforts à ces pays n'est aujourd'hui plus crédible : depuis quinze ans, l'Union européenne a simplement renvoyé au lendemain les questions relatives à l'élargissement. Pour la crédibilité de ce que suggère Philippe Bonnecarrère, il faudrait pouvoir aujourd'hui reconnaître aux pays qui ont fait tous les efforts possibles, la capacité d'entrer en négociations. Je pense en particulier à la Macédoine du Nord.
Sur la question de l'élargissement, il existe aussi un sujet majeur avec la République serbe et le délitement de l'État de droit dans ce pays. Ce délitement tient aussi au fait qu'on allonge le processus de négociations. Pour cette raison, plus aucun effort n'est fourni de la part de la Serbie. Une forme de « jeu de dupes » s'installe progressivement et désespère ceux qui, dans cette zone, croyaient au projet européen pour leur pays. En même temps, aujourd'hui, nous ne disposons pas de réel moyen de pression sur l'évolution de l'État de droit en Serbie, alors même que la situation y est extrêmement préoccupante.
Depuis les années quatre-vingt-dix, il n'y a pas, en réalité, de débat entre élargissement et approfondissement : soit on est inspiré par les valeurs et le projet européen et l'on intègre au plus vite les candidats qui partagent ce projet, ce qui sert à la fois l'élargissement et l'approfondissement au service de l'idée européenne, soit l'ensemble du système ne fonctionne pas. De ce point de vue-là, il est nécessaire de donner à court terme des perspectives crédibles à ces pays, en obtenant notamment d'une manière ou d'une autre que la Bulgarie fasse tomber son véto concernant l'intégration de la Macédoine du Nord.
Depuis des années, le processus d'élargissement n'est plus dynamique : c'est aussi l'une des raisons du délitement du projet européen.
M. Pierre Laurent. - Je crois qu'effectivement d'un point de vue historique, il n'y aurait aucune logique à faire perdurer la situation actuelle selon laquelle une partie des pays se trouvant au coeur de l'Europe resterait exclue de l'Union européenne. Nous exigeons de ces pays qu'ils fournissent un certain niveau d'efforts, alors même qu'au sein de l'Union européenne, ces efforts ne sont pas toujours fournis. Tout cela conduit à s'interroger sur le modèle actuel de l'Union européenne.
Didier Marie l'a rappelé : la Conférence sur l'avenir de l'Europe n'a pas encore fourni de conclusions. Des questions de ce type doivent y être posées : il ne s'agit pas simplement de se demander s'il est opportun d'assouplir ou pas les procédures d'adhésion. Des questions lourdes sur la conception de la coopération et l'intégration au sein de l'Union européenne doivent être abordées. Ignorer ces questions pourrait conduire à l'accroissement des problèmes internes à l'Union européenne. Il est donc aujourd'hui indispensable d'approfondir les travaux dans le cadre d'une véritable Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui semble pour le moment à l'arrêt.
En dernier lieu, je souhaiterais évoquer avec vous une piste de réflexion, qui ne résout d'ailleurs pas la question de l'adhésion, concernant les moyens réels consacrés à la coopération avec ces pays. C'est un enjeu immédiat qui relève de la France : les chiffres que nous avons entendus sont éloquents. Ces derniers montrent que notre pays est absent de ces zones géographiques. Le niveau de notre présence politique et de notre présence en matière d'aide est infinitésimal, par rapport à ce qu'il serait nécessaire de fournir. Il s'agit là également de choix politiques nationaux et pas seulement européens.
Mme Marta de Cidrac. - Au fond, les avis des membres de la Commission des affaires européennes du Sénat ne sont pas si divergents, excepté celui de Philippe Bonnecarrère.
En tant que Présidente du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux et en tant que parlementaire française, je tiens à rappeler deux enjeux.
D'une part, nous faisons certes partie de l'Europe, mais nous sommes aussi français. À ce titre, nous avons des intérêts à défendre dans ces zones-là. Une chose m'a frappée durant notre déplacement : là où nous nous rendions, nous n'étions pas les premiers à nous adresser à ces pays, ni le premier choix de ces derniers (quand bien même nous étions reçus avec beaucoup d'égard). Sachez que nos collègues de l'Union européenne n'hésitent pas à s'entretenir bilatéralement avec ces pays, s'agissant des sujets économiques et d'influence au sein de cette zone géographique. Lors des différentes rencontres avec les autorités locales, les Allemands évoquent l'Allemagne et non l'Europe ; idem pour les Italiens et les Autrichiens. Or, les services diplomatiques et les ambassadeurs français présents sur place nous ont confié qu'a contrario, la France parlait avant tout d'Europe et moins de ses intérêts nationaux.
Je suis une européenne convaincue mais, selon moi, cette double lecture France/Europe est indispensable et ce, pour nos propres intérêts de parlementaires français. Je ne me substituerai jamais à notre exécutif et respecterai toujours notre politique en matière d'affaires étrangères. En revanche, c'est un message que je souhaitais porter ce matin.
Cela étant dit, j'ai l'intime conviction que ce qu'a relevé Alain Cadec est tout à fait pertinent. Personnellement je ne parle pas de « poche » mais de « zone grise », pour désigner cette partie de l'Europe. Cette « zone grise » est totalement méconnue des Français. Or, nous ne pouvons pas nous permettre de nous y désintéresser. C'est une zone d'instabilité, rassemblant des pays qui ont besoin d'être consolidés.
D'autre part, concernant la Serbie, je souhaiterais évoquer avec vous notre rencontre avec le Président Alexandre Vuèiæ. À la suite de cet entretien, nous avons pu constater que cette situation « d'entre deux », dans laquelle se trouve actuellement la Serbie vis-à-vis de l'Union européenne, qui lui demande des efforts sans la récompenser, arrange la politique intérieure de l'exécutif. Le Président serbe se sert du « rejet » de l'Union européenne pour promouvoir le mythe de la grande Serbie et assoir sa politique populiste.
Aussi, il faut être conscient de l'intérêt pour l'Union européenne de donner aux populations de ces pays une véritable perspective européenne. C'est notamment ce que disait Jean-Yves Leconte à propos de la Macédoine du Nord. Ce pays mérite qu'on s'y intéresse et qu'on le soutienne : de nombreux efforts ont été fournis sur des sujets parfois très prégnants (langue, nom du pays). D'ailleurs, j'ai sollicité notre collègue Loïc Hervé, Président du groupe d'amitié France-Bulgarie, afin que nous puissions rencontrer l'ambassadeur de Bulgarie, pour comprendre pourquoi ce pays bloque actuellement la procédure d'adhésion de la Macédoine du Nord.
Je ne pense pas qu'il soit pertinent de faire adhérer tout de suite ces pays à l'Union européenne. En revanche, il est nécessaire que nous puissions affirmer cette perspective européenne. Le discours doit être clair : nous souhaitons qu'à terme ces pays intègrent l'Union européenne, car leur avenir est à nos côtés, mais nous souhaitons également qu'ils présentent des garanties suffisantes avant d'être intégrés. Cette perspective ne sera possible qu'à l'horizon d'une dizaine d'années.
En attendant, il me semble qu'économiquement la France doit être proactive. Par exemple, sur le volet des déchets environnementaux, des entreprises françaises peuvent aider le Monténégro, qui, au lieu de choisir des entreprises chinoises, turques ou britanniques, choisirait nos entreprises nationales. Je ne veux pas être trop longue et je suis bien évidemment à votre disposition pour en parler plus amplement avec chacun d'entre vous, mais c'est une zone qu'il faut accompagner. Je l'ai dit clairement au Président Vuèiæ, qui nous parlait d'amour franco-serbe : « les preuves d'amour comptent, a fortiori lorsque ces dernières sont sonnantes et trébuchantes ». Enfin, je le redis : nous devons accompagner nos diplomates sur place.
M. André Reichardt. - J'aurais aimé poser une dernière question concernant les chiffres et les informations dont nous disposons concernant les flux migratoires à destination de l'Union européenne. En effet, je suis sénateur alsacien et à ce titre, je peux relayer l'information suivante : la connaissance de cette « zone grise » par mes concitoyens alsaciens est faible, à l'exception de la connaissance d'immigrés, en provenance de ces différents pays (auxquels on peut rajouter le Kosovo et l'Albanie). Ces derniers semblent plutôt nombreux, notamment en Allemagne, en Suisse et en Alsace. Est-ce que l'on pourrait obtenir de plus amples indications à cet égard ?
Mme Marta de Cidrac. - Je vais essayer d'obtenir de plus amples informations à ce sujet.
Historiquement dans les Balkans, il existe un tropisme naturel vers la Suisse, l'Allemagne et l'Alsace. Par ailleurs, la fuite de leur jeunesse constitue un véritable défi pour ces pays-là. Cette jeunesse ne perçoit aucun avenir pour elle au sein même de son propre pays. C'est une donnée à la fois pesante pour les pays de l'Union européenne, mais également pour les pays concernés car ils commencent à connaître des difficultés liées à leur démographie. C'est la raison pour laquelle Serbie et Macédoine du Nord enclenchent de véritables processus de recensement. Je vous ai donné quelques chiffres en matière de nombre d'habitants, pour mesurer ce que représente, pour la Serbie, la perte, ces dernières années d'environ deux millions d'habitants (entre natalité et émigration).
Mme Christine Lavarde. - Je souhaitais ajouter une remarque concernant les chiffres de population de chacun de ces pays. Dans le cadre d'un processus d'élargissement, est-ce que l'intégration de ces nouveaux pays ne doit pas conduire à s'interroger sur le mode de fonctionnement de l'Union européenne ? En effet, aujourd'hui au sein de l'Union européenne, un pays dispose d'une voix, indifféremment de son nombre d'habitants. Ainsi, comment un pays de 600 000 habitants comme le Monténégro peut disposer du même poids au sein de l'Union européenne que la France ou l'Allemagne, qui seront demain les pays les plus peuplés de l'Union européenne ?
Mme Marta de Cidrac. - C'est une remarque pertinente. Évidemment, cet élargissement nous amène à nous questionner sur le poids dont doit disposer chacun des États membres au sein des institutions européennes. C'est évident qu'en l'état actuel des traités, si demain le Monténégro faisait partie de l'Union européenne, il pèserait quasiment autant que la France, mais c'est déjà le cas pour Malte ou le Luxembourg.
Institutions européennes - Déplacement en Slovénie du groupe interparlementaire d'amitié France-Slovénie du 28 septembre au 1er octobre 2021 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant entendre notre collègue Colette Mélot qui s'est rendue en Slovénie il y a deux semaines avec quelques collègues du groupe d'amitié France-Slovénie qu'elle préside. La Slovénie, qui jouxte les Balkans occidentaux, a rejoint l'Union européenne en 2004. Elle assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l'Union Européenne et plaide pour relancer la dynamique d'élargissement. Je laisse la parole à Colette Mélot afin que cette dernière rende compte de ce déplacement devant notre commission, et je l'en remercie par avance.
Mme Colette Mélot, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France Slovénie. - Je me propose donc de vous présenter les enseignements que nous avons tirés du déplacement que le groupe d'amitié France-Slovénie a effectué du 28 septembre au 1er octobre. J'étais avec nos collègues Nicole Duranton et François Bonhomme. Comme vous le verrez, il y a un lien important avec la mission de Marta de Cidrac dans les Balkans occidentaux.
La Slovénie est certainement le meilleur exemple d'une intégration européenne réussie, à la suite de son entrée dans l'Union en 2004. Cette réussite, le pays la doit à une politique déterminée d'intégration européenne : dès 2007, il intégrait la zone euro et l'Espace Schengen ; et dès 2008, il exerçait sa première présidence de l'Union. Aujourd'hui, il exerce ce mandat pour la seconde fois.
La Slovénie propose un niveau de formation excellent pour ses étudiants et une qualité de vie que la capitale, Ljubljana, illustre parfaitement. Sous l'action de son maire - en poste depuis 2006 - la ville s'est transformée et dispose d'un centre entièrement piéton des plus charmants. La vie culturelle y est dynamique. Et la ville a gagné le statut de capitale verte de l'Union européenne en 2016. C'est la première fois qu'une ville de l'ancien bloc de l'est recevait cette distinction. Le maire, que nous avons rencontré, nous a déclaré que c'était la distinction dont il était le plus fier.
Un autre critère me paraît important : les jeunes actifs qui partent faire leur début de carrière à l'étranger font souvent le choix de revenir en Slovénie une fois leur situation plus établie. La qualité de vie et le dynamisme de l'économie sont des atouts qui évitent à la Slovénie de connaître le sort de son voisin hongrois, qui voit nombre de jeunes quitter le pays sans y revenir.
Concernant son économie, la Slovénie profite pleinement de sa situation géographique et de sa proximité avec l'Autriche et le nord de l'Italie. Mais c'est l'Allemagne qui est son premier partenaire économique. Les exportations constituent 67 % du PIB, et les trois quarts d'entre elles se font dans l'Union européenne. Le pays s'appuie sur une main d'oeuvre qualifiée, des entreprises innovantes et réactives et une qualité de production reconnue, à l'image des voitures produites dans l'usine Renault de Novo Mesto.
En outre, la Slovénie dispose d'un important port de commerce à Koper, au bord de l'Adriatique, où nous nous sommes rendus. Le principal partenaire du port est en effet le transporteur français CMA-CGM, 3ème acteur mondial du transport maritime. Et il nous paraissait important pour notre relation bilatérale de nous intéresser à ce port. Sa croissance est impressionnante : un million de containers et 600 000 voitures y transitent chaque année. Sa situation rend le transport entre l'Asie et l'Europe centrale bien plus rapide que des étapes par les ports de Hambourg ou Rotterdam. Enfin, les marchandises quittent le port et y arrivent principalement par le train, ce qui est plus conforme à des objectifs de développement durable. Actuellement, ils sont en train de double la ligne ferroviaire.
J'en reviens à l'Europe.
Nous avons été impressionnés par la qualité des travaux de l'Institut Josef Stefan, l'équivalent de notre CNRS avec lequel il a de nombreuses collaborations. Cet institut de recherche fête ses 70 ans et est donc né dans l'ancienne Yougoslavie. Pourtant, les programmes qui nous ont été présentés sont au coeur des programmes de recherche européens. Ils portent sur des sujets sur lesquels a déjà travaillé notre commission : le calcul à haute performance qui permet la simulation numérique et pour lequel la Slovénie dispose d'un modèle de dernière génération fabriqué par le français Atos ; l'Intelligence artificielle, pour laquelle nous avons pu assister à une démonstration impressionnante d'un observatoire en temps réel des publications dans le monde sur l'intelligence artificielle...
Les chercheurs que nous y avons rencontrés ont dressé un constat proche du nôtre, face au départ de chercheurs de talents formés en Europe : face à l'avance prise par les États-Unis et la Chine, il faut, d'une part, davantage d'investissements dans la recherche et, d'autre part, favoriser le transfert de la recherche vers l'innovation et donc vers l'entreprise. C'était très impressionnant de voir dans ce pays des avancées scientifiques aussi considérables.
Je terminerai mon propos en évoquant les Balkans occidentaux.
Lorsque nous nous sommes rendus dans le pays, nous étions à la veille du sommet européen sur les Balkans. Nos interlocuteurs au ministère des Affaires étrangères étaient dans les derniers préparatifs de ce sommet pour lequel la Slovénie s'était entièrement engagée.
C'est certes l'intérêt du pays d'avoir une région plus stable et plus prospère à ses frontières directes et dans laquelle elle investit beaucoup. C'est aussi une conviction profonde chez les Slovènes que l'Union européenne est une des constructions politiques les plus réussies de ces dernières années, que leur pays en bénéficie chaque jour et qu'ils souhaitent intégrer les autres slaves des Balkans à cette réussite.
Toutefois, nos interlocuteurs ont mesuré la difficulté d'obtenir une position constructive à 27. Ils se sont montrés inquiets des influences russes et chinoises dans les Balkans, mais aussi turques face à une élite politique qui pourrait se montrer sensible. Ils reprochent à l'Union européenne et à ses États membres de ne pas assez se poser la question de savoir que faire de cette région à l'avenir. Nous avons compris que la Slovénie souhaite que le sujet soit inscrit à la Conférence sur l'avenir de l'Union européenne, voulue par le Président de la République.
J'ai pu échanger avec l'ambassadrice de Slovénie en France et Clément Beaune à mon retour et les premières réactions sont positives. Je crois que l'inscription à la déclaration finale du terme « élargissement » est à mettre au crédit de la Slovénie. Il y avait une réelle inquiétude de nos interlocuteurs par rapport à l'allocution du Président de la République. Cependant, il n'a rien dit de plus que ce que nous constatons tous ce matin : il faut que les Balkans puissent progresser par rapport à certains critères pour arriver à atteindre les standards européens que nous connaissons.
Mme Marta de Cidrac. - Après cette rencontre avec Clément Beaune, Ministre des Affaires européennes, peut-on espérer que, sur le volet des Balkans occidentaux, la France lors de sa présidence reprenne cette thématique de l'élargissement ?
Mme Colette Mélot. - Il n'a pas évoqué ce sujet. Je ne peux pas répondre à la question.
M. Didier Marie. - Concernant la situation politique en Slovénie et le respect de l'État de droit, avez-vous eu des échanges sur ce sujet ?
Mme Colette Mélot. - Nous avons beaucoup entendu de critiques à cet égard. Nous n'avons pas rencontré une seule personne qui adhérait aux propos et aux positions du Premier ministre. Nous avons ressenti une véritable gêne de la part de nos interlocuteurs.
Le Premier ministre a été élu à la faveur d'un changement de majorité au Parlement national dans la mesure où un parti s'est retiré, mais sa position ne correspond pas - du moins l'ai-je ressenti comme tel - à l'opinion slovène majoritaire.
M. Philippe Bonnecarrère. - La Slovénie est un pays membre de l'Union européenne stable. À l'instar de nombreux pays, elle peut connaître de légers frémissements politiques. Mais globalement, ce pays est institutionnellement solide, économiquement bien organisé et doté d'un niveau de vie par habitant très raisonnable. Ceci s'explique aisément : chaque fois que nous avons l'occasion de nous rendre en Slovénie, nous nous rappelons que nous sommes dans l'ancien empire autrichien, avec une communauté de vie, culturelle et architecturale évidente.
Sur la question de l'élargissement, les risques actuels d'implosion paraissent tellement marqués que je renouvelle le caractère déraisonnable d'aller plus avant dans cette démarche.
Mme de Cidrac a rappelé la question des intérêts nationaux. Effectivement, la série de mécomptes qu'a connus notre pays sur la scène internationale récemment montre bien la nécessité de nous repositionner sur la base des intérêts nationaux, avant de vouloir intégrer de nouveaux pays. Sur ce point, force est de constater que les pays concernés sont sous influence économique allemande très marquée. Leur intégration conduirait à déséquilibrer encore davantage le tandem franco-allemand.
Pour terminer, je souhaiterais évoquer avec vous quelques références historiques. Il faut être d'autant plus modeste sur ces sujets qu'une partie des difficultés dans la fragmentation des Balkans vient de la reconnaissance immédiate de l'indépendance de la Slovénie par l'Allemagne. C'était notamment le reproche que faisait François Mitterrand à l'Allemagne. Les Allemands peuvent nous renvoyer le même exercice sur nos efforts pour consacrer l'indépendance du Kosovo par rapport à la Serbie.
M. André Reichardt - Quel est l'état de la situation économique du pays, particulièrement à l'aune de la crise sanitaire et de la baisse d'activité en matière de tourisme ? L'économie de la Slovénie est en effet majoritairement tournée vers le tourisme.
Mme Colette Mélot. - La Slovénie sort de la crise ; l'économie slovène devrait rebondir de 4,6 % en 2021, après une récession de 5,5 % en 2020. La mobilisation d'aides, à hauteur de 13 % du PIB en 2020 (pas moins de 8 paquets de soutiens votés en un an), a permis d'amortir le choc de 3 points de PIB et de contenir la hausse du chômage (5 % en 2020). En 2020, le déficit budgétaire a atteint 8,6 % et la dette publique 82,4 %. Il y a eu un programme massif d'investissements et, bien entendu, la Slovénie mise sur les fonds européens, estimés à 10 milliards d'euros sur la période 2021-2027 (cadre financier pluriannuel).
Les Slovènes restent confiants dans le dynamisme de leur économie. Cela les a amenés à ne solliciter le mécanisme européen de relance qu'avec modération. Ainsi, au titre de l'instrument européen de facilité de relance et de résilience, la Slovénie était éligible à une enveloppe pouvant atteindre 5,2 Mds€. Pourtant, le plan national qui a été adopté en Conseil ECOFIN le 27 juillet s'est élevé à seulement 2,5 Mds€.
Si la sortie de crise se passe sans trop de difficulté sur la plan économique, le pays a souffert sur le plan sanitaire. La Slovénie était plutôt sortie indemne de la première vague, mais elle a été très durement impactée à partir de l'automne 2020. Depuis le début de l'été, les taux de contamination remontent, sans impliquer toutefois, pour le moment, de nouvelles mesures restrictives.
En revanche, nous avons été étonnés de constater que de nombreux Slovènes restent opposés au vaccin contre la Covid-19. Durant notre mission, nous avons pu constater la tenue d'une manifestation « d'antivax ». Et seulement 40 % de la population y est vaccinée.
Par ailleurs, je tenais également à vous faire part d'une certaine inquiétude, concernant l'entreprise Renault, installée en Slovénie depuis un grand nombre d'années (pour y fabriquer notamment la Twingo). Dans le cadre de nouveaux projets sur les voitures hybrides, une restructuration a été décidée. Le départ de Renault pourrait avoir pour la Slovénie de très graves conséquences sur le plan économique. Toutefois, nous ne savons pas encore ce qu'il va advenir de l'entreprise sur ce territoire.
La réunion est close à 10 h 15.