- Mardi 7 décembre 2021
- Mercredi 8 décembre 2021
- Audition de M. Julien Boucher, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)
- Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne - Désignation des candidats de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris - Examen des amendements
- Proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement - Examen des amendements
- Nouvelle carte nationale d'identité - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
- Audition de M. Éric Doligé, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Éric Doligé aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs
Mardi 7 décembre 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne - Examen des amendements au texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DE LA RAPPORTEURE
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement n° 30 vise à remédier à un défaut d'actualisation de l'article 807 du code de procédure pénale afin d'assurer une bonne application du texte outre-mer.
L'amendement n° 30 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Chapitre Ier : Création
d'une infraction relative aux pratiques
visant à modifier
l'orientation sexuelle ou l'identité de genre
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous avons déjà émis la semaine dernière un avis défavorable à l'amendement no 1 rectifié bis, pour plusieurs raisons que je ne crois pas utile de rappeler ici puisque nous aurons le débat en séance. Je maintiens mon avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Même avis défavorable à l'amendement no 2 rectifié bis, de même qu'à l'amendement no 3 rectifié bis, qui poursuit le même objet.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié bis, de même qu'à l'amendement no 3 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements nos 26, 29, 18 et 25 visent à élargir le champ de l'infraction définie à l'article 1er de la proposition de loi. Les amendements nos 26 et 29, dont la rédaction est très proche, sont contraires à la position de la commission, celle-ci ayant rejeté un amendement similaire la semaine dernière. Les amendements nos 18 et 25 sont des amendements de repli : avis défavorable aux quatre amendements.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 26, 29, 18 et 25.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 24 rectifié tend à alourdir les peines prévues à l'article 1er. Il a été déposé par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires et pourrait recevoir le soutien du Gouvernement, sous réserve de la décision qui doit être prise en réunion interministérielle sur le sujet. Néanmoins, je vous suggère de conserver le quantum de peine retenu par l'Assemblée nationale. Nous pourrions envisager un avis de sagesse, mais, à ce stade, il est plus raisonnable d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 24 rectifié.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 17 est satisfait sur le fond par la disposition interprétative que la commission a introduite dans le texte : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 17.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements identiques nos 13 et 15 rectifié visent à supprimer l'alinéa relatif aux invitations à la prudence et à la réflexion que je vous ai proposé d'ajouter. L'amendement no 9 rectifié bis tend à supprimer les termes « identité de genre » : ces amendements étant contraires à la position de la commission, je vous suggère d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 13, 15 rectifié et 9 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 4 rectifié bis supprime les termes « identité de genre » : avis défavorable à ce dispositif, qui a été redéposé par Mme Eustache-Brinio en vue d'être débattu en séance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 19 prévoit le rétablissement de la rédaction initiale du texte concernant l'application de circonstances aggravantes. Or nous avions supprimé ces dispositions, car elles seraient facteur de confusion en laissant au juge la possibilité de retenir la qualification de violences aggravées ou d'appliquer la nouvelle infraction autonome créée par l'article 1er de la proposition de loi. D'ailleurs, la Chancellerie partage notre analyse sur ce point. Donc avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 19.
Chapitre II : Interdiction des pratiques
visant à modifier l'orientation sexuelle
ou l'identité de
genre dans le système de santé
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 5 rectifié bis vise à supprimer les termes « identité de genre » : avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous aurons le débat en séance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Même avis défavorable à l'amendement no 6 rectifié bis, qui tend à supprimer les termes « identité de genre ».
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié bis.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 7 rectifié bis interdit les pratiques visant le changement de sexe pour les mineurs. Les amendements nos 20 et 27 interdisent les traitements irréversibles ou les actes de chirurgie précoces visant à la définition des caractéristiques sexuelles ou à la conformation de l'apparence au sexe déclaré. Les questions sont légitimes, mais nous travaillons aujourd'hui essentiellement sur la lutte contre les thérapies de conversion. Il ne nous appartient pas, à l'occasion de ce texte, d'encadrer les pratiques médicales en la matière ; de plus, le sujet des personnes intersexes a déjà été tranché dans la loi Bioéthique. C'est pourquoi j'émettrai un avis défavorable aux trois amendements.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 7 rectifié bis, 20 et 27.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous aurons le débat en séance.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements identiques nos 14 et 16 tendent à la suppression des dispositions interprétatives relatives aux invitations à la prudence et à la réflexion que j'avais proposé d'ajouter à l'article 3. L'amendement no 12 rectifié bis vise à supprimer les termes « identité de genre ». Ces amendements étant contraires à la position de la commission, j'y suis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 14, 16 et 12 rectifié bis.
Article additionnel près l'article 3
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements nos 28, 21 et 22 sont très éloignés de la question des thérapies de conversion et de leur répression dans le code pénal. Ils tendent à la modification du code de l'éducation, qui n'entre pas dans le champ de la présente proposition de loi. C'est pourquoi je vous propose de les déclarer irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous voyais venir avec de gros sabots...
M. François-Noël Buffet, président. - Cette proposition est cohérente avec le périmètre défini par la commission, qui est centré sur le coeur du texte.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - À savoir créer une infraction pénale pour lutter contre les thérapies de conversion.
Les amendements nos 28, 21 et 22 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Article additionnel avant l'article 4
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 23 prévoit une demande de rapport dressant un état des lieux des besoins humains de la médecine scolaire. Même si ce sujet mérite débat, de telles dispositions sont très éloignées de l'objet du texte et tombent également sous le coup de l'article 45.
L'amendement n° 23 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement no 10 rectifié bis, de même que l'amendement no 11 rectifié bis, vise à supprimer les termes « identité de genre » : avis défavorable ; nous aurons le débat en séance.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos10 rectifié bis et 11 rectifié bis.
Intitulé de la proposition de loi
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement no 8 rectifié bis, qui supprime les termes « identité de genre ».
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié bis.
M. François-Noël Buffet, président. - Ce texte sera examiné aujourd'hui en séance à 15 h 30. Auparavant, nous auditionnerons à 14 heures M. Didier Reynders, commissaire européen à la justice, qui a souhaité présenter devant la commission des lois les grands objectifs de sa mission.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission a donné les avis suivants sur les autres amendements de séance :
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois -
La réunion, suspendue à 9h50, est reprise à 14 heures
Audition de M. Didier Reynders, commissaire européen à la justice
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur le commissaire, nous sommes heureux de vous accueillir pour vous permettre de nous présenter les projets que vous portez au nom de la Commission européenne, d'autant que la France s'apprête à prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne.
Certains de ses principes sont contestés par des États membres ; aussi, vous nous indiquerez comment la Commission entend réagir.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le commissaire, nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui. Vous avez en charge la justice et la protection des consommateurs, ce qui vous place à double titre au coeur du projet européen, fondé à la fois sur le partage de valeurs communes et sur le marché unique.
Sur le volet des valeurs communes, vous avez reçu la mission délicate de garantir la défense de l'État de droit, alors même que la pandémie oblige à de nombreuses restrictions de libertés et que certains États membres prennent leurs distances avec les principes d'indépendance de la justice ou de pluralisme des médias.
En juillet dernier, dans son second rapport sur l'État de droit, la Commission n'a pu que constater l'aggravation de la situation, malgré les condamnations de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Notre commission des affaires européennes a adopté au printemps dernier un rapport sur ce sujet : elle y constate que l'Union européenne semble malheureusement bien démunie face à ces dérives et se heurte à l'inefficacité des mécanismes de suivi et de sanction prévus par les traités.
Les condamnations sous astreinte prononcées par la Cour ne suffisent apparemment pas à infléchir le cours des choses. En octobre, le tribunal constitutionnel polonais a même été jusqu'à écarter l'application de certains articles des traités européens jugés contraires à la Constitution polonaise. Pensez-vous qu'avec le nouveau mécanisme de conditionnalité « État de droit » qui a été mis en place lors de l'adoption du plan de relance européen - le président Larcher et moi-même avons évoqué ce sujet avec la présidente von der Leyen lors de notre entrevue la semaine dernière -, et devrait bientôt être consolidé par une décision de la CJUE, l'Union s'est enfin dotée d'un outil qui pourrait changer la donne ?
Nous aimerions aussi vous interroger sur le Parquet européen, dont le Sénat a activement accompagné la mise en place. Alors qu'il fonctionne depuis à peine six mois, est-il possible d'en tirer un premier bilan ? Certains projettent déjà d'étendre ses compétences aux infractions environnementales les plus graves, et non plus au terrorisme transfrontière, comme envisagé. Ce projet nous inquiète, car il nous semble précipité : pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous serions aussi intéressés de vous entendre sur plusieurs autres sujets : la mise en place du devoir de vigilance pour des entreprises, la perspective d'un possible code européen des affaires pour simplifier les règles du jeu pour les entreprises actives sur notre continent, les défis du numérique, qu'il s'agisse de l'application effective du règlement général sur la protection des données (RGPD), de la protection des consommateurs en ligne prévue par l'acte sur les services numériques - le Digital Services Act (DSA) -, ou encore de la régulation éthique de l'intelligence artificielle.
Nous espérons enfin que vous pourrez évoquer devant nous l'avancement des propositions législatives en cours - sécurité des produits, commercialisation à distance de services financiers, etc. -, mais aussi le contenu et le calendrier des prochaines initiatives législatives de la Commission, notamment en matière de liberté des médias, de transmission des procédures pénales entre États membres, ou de reconnaissance de la parentalité entre les États membres.
M. Didier Reynders, commissaire européen à la justice. - Je suis heureux de pouvoir échanger avec vous sur les thèmes prioritaires du portefeuille dont j'ai la charge au sein de la Commission européenne : le respect de l'État de droit ; la numérisation dans le domaine de la justice ; la protection des données ; le certificat covid numérique européen.
Quelques mots sur l'État de droit.
L'Union européenne est avant tout une communauté de valeurs fondamentales, en particulier le respect de l'État de droit, qui est inscrit à l'article 2 de son traité et que nous avons cru acquis. Au cours des dernières années, malheureusement, il est apparu que ce n'était pas le cas dans certains États membres, et cela s'est même aggravé. En réaction, nous avons développé un certain nombre d'instruments, alors que nous avions sans doute trop longtemps été préoccupés par la convergence économique et sociale, la mise en place du semestre européen et le suivi budgétaire.
Premier instrument : le rapport annuel sur l'État de droit, publié pour la première fois le 30 septembre 2020, sa deuxième édition l'ayant été le 20 juillet dernier. Nous attendons des réponses des États membres sur les remarques qui y sont formulées, sur certains projets de réformes, l'objectif étant d'améliorer la situation de l'État de droit dans l'Union, à tout le moins d'éviter toute régression. Mes services, avec d'autres, préparent la troisième édition du rapport, qui sera publiée en juillet prochain.
Ce rapport se veut avant tout préventif : il vise essentiellement à éviter que des difficultés n'émergent et ne s'aggravent, et à installer une culture de l'État de droit. Cette évaluation se base sur une multitude de consultations. Nous en débattons avec les ministres au sein du Conseil Affaires générales, au sein du Conseil Justice, au Parlement européen, mais il est important que les États membres et leurs assemblées parlementaires se saisissent également de ce sujet, précisément pour développer une culture de l'État de droit. D'ailleurs, une large majorité d'entre eux, sur la base de nos observations, ont à coeur d'engager des réformes pour améliorer la situation.
En tant que gardienne des traités, la Commission doit parfois se montrer plus coercitive, notamment en lançant des procédures d'infraction contre des États membres pour protéger un certain nombre de principes, en particulier l'indépendance de la justice, qui conditionne le respect des valeurs inscrites à l'article 2 et la protection de la démocratie et des droits fondamentaux.
Ainsi, la Commission a lancé un certain nombre de procédures contre la Pologne au regard du respect de l'indépendance de la justice. De fait, ce pays n'a pas pleinement mis en oeuvre les récentes décisions de la CJUE en la matière, même si l'on note des évolutions, notamment en ce qui concerne la retraite des magistrats polonais. Nous avons d'ailleurs demandé à la CJUE d'infliger des sanctions financières à la Pologne pour assurer le respect d'une ordonnance de référé relative au régime disciplinaire applicable aux juges. Ainsi, le 27 octobre dernier, la CJUE a infligé à la Pologne 1 million d'euros d'astreinte journalière tant que cette ordonnance du 14 juillet 2021 ne sera pas pleinement exécutée.
La CJUE nous a donné à plusieurs reprises raison dans ces différents recours.
Autre voie d'action, lorsque les atteintes à l'État de droit prennent de l'importance : saisir le Conseil. La précédente Commission avait engagé une procédure au titre de l'article 7 du traité à l'encontre de la Pologne, et le Parlement européen a fait de même en 2018 à l'encontre de la Hongrie. Ces deux procédures sont en cours et contribuent à maintenir la pression politique sur ces États membres. Je crois qu'il est dans les intentions de la présidence française de poursuivre cette démarche.
Dernier outil en date dont dispose la Commission : le règlement sur la conditionnalité « État de droit », qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Ce règlement vise de possibles violations de l'État de droit, mais aussi des violations portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Nous sommes en train d'identifier les cas litigieux, et nous avons ainsi demandé des clarifications à la Hongrie sur des réformes en matière de lutte contre la corruption et à la Pologne sur l'indépendance de sa justice. Les informations recueillies détermineront les suites que donnera le Conseil aux procédures engagées. Au préalable, il importe de connaître la décision définitive de la CJUE sur le recours introduit par la Hongrie et la Pologne à l'encontre du règlement : l'avocat général vient de se prononcer pour son rejet.
Nous avons fixé des lignes directrices pour garantir une application équitable et objective de ce mécanisme à tous les États membres et pour protéger les citoyens bénéficiaires ultimes. Par exemple, si le versement de fonds devait être suspendu, il ne faudrait pas pénaliser les agriculteurs bénéficiaires d'un certain nombre de subventions agricoles ou des associations chargées de promouvoir l'État de droit.
Nous avons également déployé d'autres instruments pour protéger l'État de droit dans l'Union. Dans le cadre du semestre européen, cycle annuel d'alignement des politiques économiques et budgétaires, la Commission a formulé plusieurs recommandations par pays, devenues recommandations du Conseil, sur les réformes conduites par certains États membres, en particulier dans le domaine de la justice.
La protection de l'État de droit passe aussi par les plans nationaux de reprise et de résilience, d'un montant compris entre 670 et 700 milliards d'euros, selon le mode de calcul retenu. Nous demandons aux États membres de consacrer 30 % de leurs investissements à la transition écologique, dans le cadre du Pacte Vert ou Green Deal, 20 % au moins à la transition numérique, mais aussi de mettre en oeuvre les réformes spécifiques qui ont été recommandées à chaque État dans le cadre du semestre européen.
Ce traitement est parfaitement équitable puisque la plupart des plans prévoient des conditions très strictes. Par exemple, l'Italie est en train de mener un vaste chantier de réformes dans le domaine de la justice selon des conditions fixées dans le plan.
Une large part du rapport annuel est consacrée à la pandémie. Nous sommes conscients que des mesures nécessaires et urgentes s'imposaient au début de la crise, mais nous souhaitons qu'un contrôle tant parlementaire que judiciaire s'impose sur les décisions prises, qui devaient être limitées dans le temps, nécessaires et proportionnelles à l'objectif recherché.
Toutefois, la pandémie a mis à mal la résilience de nos systèmes judiciaires : certains citoyens ont été empêchés d'exercer leurs droits et des retards ont été constatés, ce qui nous a conduits à accélérer la numérisation de la justice. Un effort important a été mené afin que le numérique rende la justice plus accessible, plus efficace et plus résiliente face aux crises futures. Je salue à cet égard le programme ambitieux de transformation numérique de la justice, mené par le gouvernement français. C'est l'une des priorités de la Commission européenne, et je me réjouis que plusieurs États membres prennent la même direction.
Sur mon initiative, la Commission a adopté un paquet législatif ambitieux visant à moderniser l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union européenne.
Nous entendons introduire le canal numérique comme moyen de communication privilégié entre les entreprises, les citoyens et les autorités compétentes, dans le domaine des procédures civiles, commerciales et pénales transfrontalières.
Nous souhaitons également faciliter l'échange d'informations en matière de lutte contre le terrorisme, notamment entre les États membres et Eurojust, l'agence située aux Pays-Bas facilitant les coopérations transfrontalières. Les équipes communes d'enquête, à l'instar de celle qui a été créée entre la France et la Belgique après les attentats du 13 novembre 2015, constituent un autre outil efficace.
Notre proposition législative vise à créer une plateforme de collaboration informatique sécurisée facilitant les échanges entre les États membres, qui doivent également développer leurs propres outils législatifs dans ce domaine. Je compte sur la présidence française à partir du 1er janvier 2022 pour progresser rapidement sur ces questions.
Monsieur le président, vous avez évoqué le sujet de la protection des données, consacré par une charte au sein du RGPD. Ce règlement et la directive relative à la protection des données en matière de police et de justice offrent une protection effective. Trois ans après son entrée en vigueur, la mise en oeuvre de ce règlement est un succès : il a permis aux personnes concernées d'accéder au contrôle de leurs données et de faire valoir leurs droits auprès des autorités nationales compétentes, telles que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en France.
Le règlement a fait montre de sa capacité d'adaptation face à la situation exceptionnelle née de l'épidémie de covid-19. Pas moins de 740 millions de certificats européens, qui constituent désormais un standard mondial, ont été émis. Nous sommes en lien avec cinquante-deux États sur les cinq continents, de la Nouvelle-Zélande au Togo, en passant par le Salvador.
Notre priorité consiste à développer un cadre juridique harmonieux pour l'application du RGPD. Le dialogue avec les États membres doit être poursuivi. Toutefois, nous sommes parfois contraints d'introduire des recours en manquement devant la CJUE. Nous avons ainsi agi contre une législation visant la protection des données en Pologne et en Hongrie, mais aussi contre l'indépendance insuffisante accordée à l'autorité belge de protection des données. Nous intervenons partout à travers l'Union européenne.
À cet égard, il est primordial que les autorités nationales utilisent pleinement les pouvoirs qui leur ont été conférés par le règlement général. Les amendes infligées à WhatsApp et Amazon, pour un montant d'un milliard d'euros, sont emblématiques. Toutefois, des améliorations sont toujours possibles, comme nous l'avions déjà signalé dans le rapport d'évaluation du règlement général, publié en juin 2020.
Nous devons également veiller à la diffusion et à l'application de la protection des données dans l'ensemble des politiques de l'Union européenne. Cela concerne notamment la régulation de l'intelligence artificielle et la valorisation de l'usage des données. Nous vérifions ainsi dans quelles conditions les données peuvent être échangées avec le Japon, notre premier partenaire en la matière, le Royaume-Uni après le Brexit, ou encore avec la Corée du Sud. En outre, nous travaillons à la rédaction d'une nouvelle décision d'adéquation avec les États-Unis, car le Privacy Shield a été invalidé par la CJUE.
Pour ce qui concerne le certificat covid-UE, nous avons déposé une nouvelle proposition visant à faciliter la libre circulation au sein de l'Union européenne, laquelle tient compte de l'accélération de la vaccination depuis la dernière mise à jour des règles de voyage avant l'été. Nous souhaitons que le rappel de vaccination - la troisième dose - puisse être administré entre six et neuf mois à l'ensemble des citoyens ; à défaut, le certificat ne sera plus valide. Cette mesure entrerait en vigueur le 1er février. Nous ne sommes pas sortis de la pandémie et les mesures de protection telles que la vaccination et le respect des gestes barrières doivent être maintenues. Les vaccins ne sauraient tout résoudre à eux seuls, même s'ils sont l'arme la plus utile dans la lutte contre la covid-19. Le certificat se fondera sur la situation individuelle de chaque personne. Si la situation devait s'aggraver, des mesures complémentaires pourraient être prises.
La libre circulation des personnes, qui représente un droit fondamental, suppose de coordonner les règles applicables aux voyages entre les États membres. Bien sûr, les gouvernements peuvent prendre des décisions spécifiques en fonction de la situation de chaque pays.
Par ailleurs, nous nous réjouissons de la création du Parquet européen le 1er juin dernier, lequel fonctionne déjà de manière très efficace : tous les procureurs délégués ont été désignés, et pas moins de 350 dossiers d'enquête ont été ouverts, ce qui pourrait aboutir au recouvrement de 4,5 milliards d'euros, mais nous devons être prudents et vérifier les sommes disponibles à l'issue des procédures. Je ne suis pas opposé à l'extension des compétences du Parquet européen, notamment en matière de terrorisme ou d'atteintes à l'environnement. Cependant, une évaluation de son efficacité est nécessaire au préalable.
Pour revenir au sujet de l'État de droit, nous sommes inquiets quant aux décisions du tribunal constitutionnel polonais, dont l'indépendance avait déjà fait l'objet de la procédure de l'article 7 du traité pour manquement à l'État de droit. Nous comptons en outre introduire des recours devant la CJUE, au regard de la primauté du droit européen sur la législation nationale et du caractère contraignant des décisions de la Cour, qui dispose d'une compétence exclusive d'interprétation du droit européen. Nous avions déjà réagi à des décisions des cours constitutionnelles allemande et roumaine, mais, en Pologne, la justice souffre d'un manque d'indépendance. C'est là une différence fondamentale.
Comme vous le savez, Thierry Breton et moi-même avons engagé l'initiative relative au devoir de vigilance des entreprises multinationales, en matière de protection de l'environnement et de respect des droits humains. J'espère que nous pourrons présenter cette proposition, qui fait écho aux développements de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) en France, lors du premier conseil de l'Union européenne consacré à la compétitivité, au mois de février 2022. Sont également prévus une révision de la directive relative au crédit à la consommation, ainsi que le passage à un règlement pour la sécurité des produits. Nous entendons apporter une meilleure information aux consommateurs en matière d'obsolescence programmée ou de droit à la réparation des produits.
Enfin, le rapport relatif à l'État de droit fait mention de la crise que traversent les médias, qui souffrent d'une atteinte à leur liberté et à leur indépendance. De nombreux journalistes souffrent de pressions - comme les associations ou les représentants de la société civile d'ailleurs - et la pluralité des médias est remise en cause. Nous proposerons l'année prochaine un acte législatif visant à répondre à ces problèmes.
M. Jean-Yves Leconte. - Dans votre rapport spécifique à la France, vous dénoncez l'adoption de procédures accélérées pour le vote de lois sensibles au Parlement. Cette mention nous va droit au coeur.
Le concept de l'État de droit est en constante évolution. Il ne saurait se résumer au seul respect du droit européen ; celui-ci constitue toutefois un préalable nécessaire. À cet égard, les contestations des décisions de la CJUE, notamment en Pologne, sont préoccupantes. Par ailleurs, comment percevez-vous le débat autour du bouclier constitutionnel en France ?
Vous avez évoqué la procédure de l'article 7 du traité pour manquement à l'État de droit. Toutefois, même lorsque la procédure est engagée, un accord politique au sein du Conseil est quasiment impossible à obtenir pour voter des sanctions, sinon au prix de marchandages sur d'autres sujets. Dans ces conditions, comment analysez-vous l'efficacité de l'article 7 ?
Des outils sont-ils à votre disposition pour suivre le respect de l'État de droit et l'utilisation des subventions accordées par l'Union européenne à des partenaires étrangers ?
Enfin, je tiens à souligner que, s'ils sont identiques sur la forme, les certificats covid-UE ne sont pas respectés d'un pays à l'autre, compte tenu des exigences divergentes en matière de vaccination. Les Européens se rendent compte de l'imperfection de la situation.
M. Philippe Bonnecarrère. - Sur quels fondements la Commission européenne s'occupe-t-elle de la question de la numérisation de la justice ? Quelle plus-value pourrait-elle apporter sur ce point par rapport aux actions possibles au niveau national ?
Par ailleurs, j'ai cru vous entendre dire que la primauté du droit européen s'appliquait également aux questions constitutionnelles. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Plusieurs signaux de tension s'observent au sein de l'Union européenne. Ainsi, dix pays ont écrit à la présidente de la Commission européenne pour solliciter le financement par l'Europe de la construction de murs à leurs frontières, ce qui est manifestement contraire au droit européen. Nous croulons en outre en France, dans la précampagne présidentielle, sous les propositions de bouclier constitutionnel. L'arrêt de la CJUE sur le temps de travail des militaires a constitué par ailleurs une véritable déflagration dans le ciel politique français. N'y aurait-il pas une forme de régulation ou de dialogue à inventer entre le système judiciaire européen et les opinions publiques nationales, ou à tout le moins les parlements nationaux - qui ont le sentiment d'être dépossédés d'une partie de leurs attributions par le fait que les juges créent de la norme ?
Si l'État de droit me paraît solide en Europe, je crains pour l'Europe elle-même au vu de toutes ces tensions, dont je redoute qu'elles ne s'exaspèrent.
M. Didier Marie. - Les dérogations aux règles européennes du droit d'asile proposées par la Commission européenne le 1er décembre aux frontières de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie ne sont-elles pas à la limite du respect de l'État de droit tel qu'il a été établi par les traités ? Elles comprennent en effet une extension des délais d'enregistrement des demandes d'asile - de trois à quatre semaines -, la possibilité de traiter toutes les demandes d'asile, y compris la phase de recours, dans un délai maximal de seize semaines, la possibilité pour les États concernés de créer des campements ou des hébergements temporaires ainsi que l'utilisation de procédures nationales simplifiées pour accélérer le retour des migrants déboutés de l'asile.
Par ailleurs, pourquoi la Commission européenne tarde-t-elle à présenter un projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales ? En effet, alors que le projet de directive sur ce sujet a été reporté à février ou mars 2022, le programme de travail de la Commission pour 2022 ne semble pas en faire mention. Y a-t-il des divergences au sein de la Commission sur ce sujet ? Le niveau de responsabilité attendu de la part des entreprises ou le niveau de sanction prévu posent-t-ils question ? Pourriez-vous vous engager sur un calendrier prévisionnel permettant l'examen de cette proposition de directive dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne ?
M. Didier Reynders. - La définition de la notion d'État de droit que nous avons employée dans le rapport sur l'État du droit dans l'Union a pour références l'article 2 du traité sur l'Union européenne, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux sur le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, ainsi que la jurisprudence de la CJUE et de la Cour européenne des droits de l'Homme, et plusieurs décisions du Conseil de l'Europe. Nous demandons en outre aux États membres de consulter la commission de Venise pour qu'elle s'assure du respect des standards européens dans leurs projets de réforme importants.
Si, en Pologne, c'est l'indépendance de la justice qui est en cause de manière systémique, les débats sur la primauté du droit européen sur les droits nationaux qui s'ouvrent dans d'autres situations portent plutôt sur certaines décisions d'institutions - par exemple, la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe. Nous n'en sommes pas moins très attentifs à cette question.
Nous avons rappelé à plusieurs reprises cette primauté du droit européen, qui vaut aussi - j'y insiste - à l'égard des constitutions nationales. De même, le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice s'impose aux autorités nationales, y compris les cours et tribunaux, cours suprêmes et cours constitutionnelles. S'il en allait autrement, nous travaillerions « à la carte » et pourrions à tout moment décider de nous éloigner de telle ou telle politique européenne, ce qui contreviendrait au principe de l'application uniforme du droit de l'Union européenne sur l'ensemble du territoire européen ainsi qu'au principe de confiance entre les États membres.
Nous réagissons aux décisions prises par les autorités nationales, moins aux propos tenus par les candidats aux élections. Néanmoins, chaque fois que l'on envisage de mettre de côté le droit européen ou la jurisprudence de la Cour de justice, nous nous inquiétons. Chaque fois que cela s'est traduit dans une décision, nous avons réagi. Dans le cas allemand, la procédure est désormais terminée. À la suite de la mise en demeure que nous avons envoyée au gouvernement allemand, ce dernier s'est engagé clairement à respecter la primauté du droit européen. De plus, la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe n'a eu aucun impact sur la politique monétaire de la BCE ou de la Bundesbank. Nous restons toutefois vigilants.
Les tensions que vous avez évoquées sont effectivement préoccupantes. Comme l'a souligné la présidente de la Commission européenne, le rôle de la Commission n'est pas de construire des murs, mais des ponts. Nous sommes désireux néanmoins de protéger les frontières extérieures de l'Union. Nous avons d'ailleurs proposé que des agences européennes comme Frontex participent à des démarches en ce sens et soutenu le déploiement d'équipements numériques.
Pour réguler la situation à l'avenir, je crois plutôt au dialogue. Je me suis ainsi rendu à Budapest et à Varsovie dans le cadre de nos dialogues avec les États membres concernés. Les parlements nationaux doivent aussi échanger entre eux et avec le Parlement européen. Je propose également que les cours organisent ce même dialogue. Des contacts sont déjà noués entre les cours suprêmes et constitutionnelles et les deux cours de Luxembourg et de Strasbourg. En outre, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d'État organiseront des réunions entre les présidents des juridictions les plus élevées des différents États membres.
Ce dialogue est important pour évoquer les modalités de traitement des questions préjudicielles par la Cour de justice et sa compréhension des questions qui lui sont soumises. Nous continuerons par ailleurs à tenter de faire respecter nos principes fondamentaux, dans la ligne du rôle de la Commission, gardienne des traités.
Nous sommes attachés à ce que la mise en oeuvre de l'article 7 se poursuive à travers les deux procédures en cours concernant la Hongrie et la Pologne, car cela constitue une forte pression politique. Il est néanmoins difficile d'atteindre une majorité des quatre cinquièmes pour décider d'un risque de violation de l'État de droit, et plus encore d'obtenir l'unanimité pour décider de la suspension des droits de vote des deux membres concernés. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la conditionnalité portant sur les outils financiers de l'Union a pu être mise en place, car elle requiert une majorité qualifiée au Conseil de l'Union européenne. Il s'agira donc d'une solution plus simple à mettre en oeuvre. De plus, la pression budgétaire et financière a toujours un impact sur les comportements.
Nous travaillons beaucoup sur la question des subventions étrangères, à travers notamment des outils comme l'Office européen de la lutte antifraude (OLAF). En outre, le Parquet européen conclura de plus en plus d'accords avec des pays tiers pour suivre la gestion des programmes financiers. Il est vrai toutefois que les moyens d'action varient selon que l'on se trouve en dehors ou à l'intérieur de l'Union.
Les États membres ont été soucieux de bénéficier de financements dans le cadre de la numérisation des services publics en général, et de la justice en particulier. D'après les dernières évaluations, 1,6 milliard d'euros sont prévus dans les plans nationaux sur cette question. Nous déployons en outre des formations, visant à former les praticiens du droit au droit européen et aux nouveaux outils technologiques, et mettons en place des outils transfrontaliers comme e-Justice Communication via Online Data Exchange (e-CODEX). De plus, trois propositions législatives tendant à renforcer les échanges dans ce domaine seront soumises au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne. De manière générale, nous devons développer la numérisation sur le plan national comme à l'échelle européenne, à travers des plateformes ou via de nouveaux investissements.
S'agissant du devoir de vigilance des entreprises, il existe très peu de textes en Europe. Nous proposons une initiative horizontale couvrant l'ensemble des secteurs sur l'ensemble du continent. Un important travail de sensibilisation est requis pour convaincre tous les États membres d'aller dans cette voie. Les études d'impact que nous avons menées ont entraîné effectivement un certain retard dans l'élaboration du projet de directive. Nous essayons d'être prêts pour le premier Conseil « compétitivité » de la présidence française, la proposition devant être adoptée par la Commission en février 2022.
Il existe évidemment des points de vue différents sur ce sujet. L'essentiel est de parvenir à une solution ambitieuse sur la capacité des entreprises à prendre en compte les risques que nous connaissons pour l'environnement et les droits humains. Cette initiative doit d'ailleurs rester concomitante de celle de Nicolas Schmit portant sur le travail décent.
Dans le cadre de la proposition de la Commission d'utiliser le paragraphe 3 de l'article 78 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concernant les possibilités de dérogation aux dispositifs existants en matière d'asile, nous avons bien rappelé que le droit d'asile était garanti, qu'il n'y aurait pas de refoulement et que la Charte des droits fondamentaux devait être respectée.
Je rappelle toutefois qu'il ne s'agit pas d'une crise migratoire classique, mais d'un trafic d'êtres humains organisé par un dictateur pour faire pression sur l'Union européenne, en réponse aux sanctions que nous avons imposées au régime de Minsk. La Commission s'est efforcée de stopper ce flux, en menaçant notamment les compagnies aériennes qui y participaient de ne plus pouvoir opérer sur le territoire de l'Union. Nous continuerons à oeuvrer en ce sens, tout en restant vigilants sur la situation des personnes victimes de ce trafic. Il faut s'assurer notamment de garder un accès ouvert aux frontières, notamment de la Pologne, aux organisations humanitaires et aux journalistes.
Mme Gisèle Jourda. - Je souhaite évoquer le partenariat oriental et les contrats d'association souscrits avec la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, qui souhaitaient entrer dans l'Union, mais dont l'adhésion n'a pas été jugée prioritaire.
Pour m'être rendue dans certains pays du Partenariat oriental, au nom de la commission des affaires européennes, je puis dire que, en règle générale, les normes relatives à l'État de droit requises par les contrats d'association sont respectées. Cependant, force est de constater que les réformes de la justice s'y traduisent par des régressions démocratiques - je pense notamment à la Géorgie.
Quand on voit comment la Chine ou la Russie ont repris pied dans la région, jusqu'à compromettre le poids de la puissance européenne, il faut plus que jamais que nous soignions la politique de voisinage, essentielle pour nos équilibres géostratégiques.
Au sein de la commission des affaires européennes, je suis également chargée, avec mes collègues Pascal Allizard et André Gattolin, de suivre les relations avec la Chine. Après un premier rapport sur les nouvelles routes de la soie, il y a quatre ans, nous avons, en septembre dernier, rendu un rapport sur la puissance chinoise en Europe, parce qu'il nous semblait important de faire le point. Si notre premier rapport avait reçu un accueil très silencieux de l'Europe, le second a bénéficié d'une plus large audience, ce dont nous sommes satisfaits.
Ce dernier s'articule autour de quatre axes : comment faire face aux moyens mis en oeuvre par la Chine pour déployer sa puissance en Europe ? Comment réagir à l'avance technologique prise par ce pays ? Comment trouver le chemin d'une relation commerciale équitable avec lui ? Enfin, comment définir une stratégie géopolitique répondant aux enjeux du XXIè siècle chinois ?
Dans le monde actuel, instable et dangereux, l'Union européenne voit la Chine multiplier les marqueurs de puissance, au point de devenir probablement plus vite qu'escompté la prochaine puissance mondiale. Dans le même temps, elle assiste à la poursuite de la politique égoïste américaine, plus soucieuse de l'America First que de la stabilité mondiale. L'Union européenne doit s'affirmer comme la puissance stratégique et stabilisatrice qu'elle doit être. Pour cela, elle doit notamment développer son régime de sanctions politiques et économiques et envisager cet outil de puissance géo-économique sous toutes ses facettes : les sanctions, le droit extraterritorial européen, le contrôle des exportations, notamment pour ce qui concerne les technologies de rupture, la lutte contre la corruption et le contrôle des investissements.
Monsieur le commissaire, vous avez récemment donné à la justice européenne une dimension d'autorité et d'efficacité, attendue depuis de nombreuses années, par votre fermeté envers la Pologne. Que pensez-vous du développement des sanctions politiques et économiques que je viens d'évoquer pour servir la puissance géo-économique européenne ?
Mme Marta de Cidrac. - Je suis très heureuse que cette audition ait lieu aujourd'hui, parce qu'il se trouve que le groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, que je préside, a reçu ce matin Mme Majlinda Bregu, secrétaire générale du Conseil de coopération régionale pour les Balkans, lequel a tenu sa conférence annuelle hier à Paris. L'État de droit fait bien évidemment partie des sujets qui ont été évoqués à l'occasion de la conférence.
Vous avez parlé de votre préférence pour les ponts plutôt que pour les murs. Je partage pleinement cette idée.
Comment la Commission européenne travaille-t-elle avec le Conseil de coopération régionale pour les Balkans ? Quel est votre regard sur l'élargissement aux pays de cette zone ? Au sein de la commission des affaires européennes, Didier Marie et moi-même avons reçu pour mission d'organiser un certain nombre d'auditions sur ce sujet.
M. André Gattolin. - Monsieur le commissaire, c'est toujours pour moi un très grand bonheur d'écouter vos réponses limpides et précises.
Je veux souligner la pertinence de votre réflexion concernant la Biélorussie. Lorsque voilà trois mois j'ai dit au Conseil de l'Europe qu'il fallait vraisemblablement créer un crime de « traite humaine de masse », on m'a regardé un peu de travers...
Je veux revenir sur la gestion de l'État de droit en Europe, dont on sent bien que ce n'est pas la base fondamentale de l'adhésion européenne. L'Union européenne s'appuie beaucoup sur les institutions du Conseil de l'Europe, sur la Commission de Venise et sur la Cour européenne des droits de l'homme.
Je me suis beaucoup préoccupé du respect d'un droit à mon sens fondamental : celui de la liberté académique. L'Europe s'est aussi construite autour de ses universités, de leur autonomie, de la liberté de recherche et de la liberté de pensée. Or, en ce domaine, on a l'impression que les instruments juridiques dont dispose l'Union sont assez faibles. Au-delà de l'article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, on a beaucoup de mal, comme je le disais encore hier au parlementaire européen Christian Heller, à faire entrer cette notion dans les textes et traités.
Or, quand il a fallu juger de la fermeture de l'université d'Europe centrale en Hongrie, la CJUE a dû recourir à un succédané d'accord du GATT, quand le Conseil de l'Europe, dans sa gêne, a évoqué un simple avatar de la liberté d'expression, alors qu'il s'agit de bien autre chose.
Je déposerai très prochainement, devant la commission des affaires européennes, une proposition de résolution pour une véritable reconnaissance et mise en oeuvre de la liberté académique au niveau européen. Si l'Europe, à travers le plan Horizon Europe, a le premier plan de financement public de la recherche au monde, il a fallu livrer une bataille incroyable pour faire entrer, dans le règlement, la notion de « liberté académique ». Il y va de la protection de nos valeurs européennes et de la nature de la construction démocratique que nous voulons.
M. Didier Reynders. - Notre travail sur l'État de droit à travers le rapport annuel, vise bien entendu à vérifier la situation dans les 27 États membres. Il vise aussi à asseoir notre crédibilité lorsque nous débattons, en dehors du territoire de l'Union, de l'État de droit, de la démocratie, des droits fondamentaux.
J'ai récemment participé à la « Nuit du droit » au Conseil constitutionnel, aux côtés de la candidate à l'élection présidentielle en Biélorussie et du Dr. Mukwege, prix Nobel de la paix qui répare les femmes dans l'est du Congo. Je devais moi-même évoquer l'État de droit dans l'Union. Bien évidemment, par comparaison, le premier réflexe pourrait être de dire que tout va très bien chez nous ! Cependant, nous devons demeurer vigilants sur le respect de l'État de droit. Si les « pères fondateurs de l'Union européenne » avaient déjà conçu la construction européenne autour des valeurs, nous avons fort probablement trop souvent considéré que c'était un acquis, que les régressions n'étaient pas possibles et qu'un État qui entrait dans l'Union respectait ces valeurs. Or on a malheureusement vu, ces dernières années, que la régression était tout à fait possible.
J'étais vendredi dernier encore à Ljubljana avec les ministres de la justice des six pays candidats des Balkans. Il est évident que nous disposons, dans notre stratégie relative à ces pays, de toute une série d'instruments : investissements, travaux avec un certain nombre d'organes chargés de suivre la situation... Quoi qu'il en soit, l'État de droit sera déterminant dans les discussions avec ces pays : nous voulons être certains que, si un jour ces pays entrent dans l'Union, ce soit avec un niveau de respect des valeurs fondatrices de l'Union européenne comparable à celui qui est demandé aux États membres. Nous ne voulons pas avoir à remettre en place des mécanismes comme le mécanisme de coopération et de vérification (CVM) pour la Bulgarie et la Roumanie, ou à connaître de nouveaux retours en arrière.
Comme je l'ai expliqué, les réformes en matière de justice sont des éléments importants. Concernant le Partenariat oriental, un certain nombre d'États, comme la Géorgie ou la Moldavie, ont engagé des réformes encourageantes. Ils doivent les poursuivre et les mettre en oeuvre effectivement pour se rapprocher des standards européens. Nous devons entreprendre la même démarche dans le cadre de la politique de voisinage. Je ne dirai pas que nous avons la même démarche à l'égard de la Chine, mais, j'y insiste, si l'on veut être crédible dans les débats sur la démocratie, les droits de l'Homme et l'État de droit à travers le monde, nous devons d'abord démontrer que nous faisons le travail « à la maison ». Cela ne nous empêche pas de prendre un certain nombre de mesures concrètes relatives à la Chine ou de mener notre propre réflexion sur la place de l'Europe dans le monde.
En matière commerciale, lorsque la commissaire Cecilia Malmström était chargée de cette matière, nous avions mis en place des outils de protection contre des investissements dans des secteurs stratégiques. Cela explique le débat important que nous avons eu avec nos collègues américains sur certains investissements chinois, notamment sur la 5G : en effet, peut-on accepter des investissements dans nos secteurs stratégiques sans vérification, sans protection ?
Vous savez que des sanctions politiques ont déjà été décidées à l'égard de certains responsables russes, dans l'affaire Navalny, mais aussi à l'égard de responsables chinois, s'agissant du travail forcé des Ouïghours au Xinjiang. Ces dernières ont provoqué des sanctions en retour, y compris à l'égard de parlementaires en Europe, lesquelles bloquent d'ailleurs la discussion sur le projet d'accord euro-chinois sur les investissements. On ne peut donc pas dire que nous ne réagissons pas, mais la spécificité européenne consiste à essayer de passer par la voie du dialogue, avec, de temps en temps, des réactions qui doivent être plus fortes.
Nous venons de débattre, au sein de la Commission, sur la façon, pour l'Union européenne, d'être présente dans le monde. Nous essayons très souvent de faire en sorte que les actions de l'Europe et celles des États membres soient regroupées - c'est ce que l'on appelle la « Team Europe », l'équipe européenne. Cependant, à certains endroits du monde, des drapeaux nationaux passent parfois devant le drapeau européen, et nos entreprises sont parfois en compétition sur les marchés internationaux.
Au début de la pandémie, nous nous sommes rendus à Addis-Abeba pour rencontrer la Commission de l'Union africaine. Je peux vous dire que l'Union européenne investit beaucoup plus que la Chine en Afrique, en particulier dans cette partie de l'Afrique. Or, s'il y avait des publicités sur les investissements chinois un peu partout dans la ville, la visibilité européenne était beaucoup moins forte... Il y a peut-être là une réflexion à avoir. Ma collègue Jutta Urpilainen travaille beaucoup sur ce volet du développement.
De temps en temps, nous parvenons à collaborer avec les Chinois. Dans le dernier dialogue entre l'Union européenne et la Chine, mon département a mis en avant l'idée de la sécurité des produits et d'un plan d'action commun, parce que 70 % des produits non sûrs dans l'Union européenne viennent de l'extérieur de celle-ci. Nous avons pu avancer avec la Chine sur un plan d'action sur la sécurité des produits. Je pense que c'est lié à un effet réputationnel - si des produits ne sont pas sûrs, ils seront de plus en plus rejetés par les consommateurs -, mais peut-être aussi à l'émergence d'une classe moyenne en Chine, qui souhaite elle aussi une évolution. Au reste, il ne vous surprendra pas que la Chine ait demandé une réciprocité... Il faut prendre conscience que la relation avec ce pays a changé.
Concernant la liberté académique, je peux également citer l'exemple de la loi hongroise de protection des mineurs, que nous considérons comme discriminatoire à l'égard de la communauté LGBTIQ. La précédente Commission européenne avait déjà pu obtenir une condamnation de la Hongrie en matière notamment de liberté académique. Aux termes de la charte européenne des droits fondamentaux, pour être invoquée, la discrimination doit être caractérisée par le droit européen, et vous savez comme moi que l'Union n'a pas une grande compétence en matière d'éducation... Nous avons donc dû chercher des critères de rattachement dans les règles européennes pour poursuivre la Hongrie. Avec mon collègue Thierry Breton, nous avons considéré que nous pouvions agir sur le fondement de l'atteinte à la libre circulation des livres ainsi que du traitement réservé aux services audiovisuels. Nous pouvions dès lors introduire un avis motivé auprès de la Cour de justice.
Certaines violations créent une sorte de malaise intuitif, mais nous sommes bien obligés de constater le caractère purement national de certaines problématiques lorsque nous ne parvenons pas à les raccrocher à une compétence européenne. Ainsi, pour réagir politiquement à une régression du droit à l'avortement en Pologne, nous devons démontrer que cette réaction se fonde sur le droit européen. Même si on nous le reproche régulièrement, nous sommes tout autant attachés au respect de la primauté du droit européen et des décisions de la Cour qu'à celui des compétences spécifiques des États membres qui ne nous ont pas été transférées.
À cet égard, je comprends votre préoccupation concernant la liberté académique, mais, pour l'instant, nous sommes un peu démunis, l'éducation en tant que telle n'étant pas la première des compétences de l'Union européenne.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Merci beaucoup, monsieur le commissaire, de vos réponses précises. Vous êtes toujours le bienvenu au Sénat.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 25.
Mercredi 8 décembre 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Julien Boucher, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)
M. François-Noël Buffet, président. - Nous entendons ce matin Julien Boucher, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Dans le contexte actuel, il nous a semblé utile de bénéficier d'un point de situation sur l'activité et les perspectives de l'Office. Notre audition est retransmise en direct sur le site du Sénat.
M. Julien Boucher, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. - La pandémie a eu une incidence forte sur l'évolution de la demande d'asile.
En 2019, nous enregistrions 133 000 demandes, soit une hausse de 8 % par rapport à 2018. Cette évolution s'inscrivait dans la poursuite de la hausse décennale observée depuis 2008 - mis à part un palier en 2014. L'Afghanistan a conservé en 2019 sa place de premier pays de provenance - acquise en 2018 -, suivie de l'Albanie et de la Géorgie.
La crise sanitaire est à l'origine d'une brutale inflexion à la baisse du nombre de demandes en 2020 : seules 96 000 ont été enregistrées, en chute de 30 % par rapport à 2019, un phénomène comparable à ce qui a été observé dans l'ensemble de l'Union européenne. L'année 2020 a été contrastée : après avoir observé le prolongement de la tendance à la hausse de l'année précédente, le premier confinement, entre mars et mai, a conduit à un effondrement de la demande en raison de la fermeture des guichets des préfectures ; le second semestre a vu la reprise de la demande, mais à un niveau plus faible qu'auparavant, compte tenu de la persistance de mesures restrictives aux déplacements dans le monde. Le classement des dix premiers pays d'origine est resté globalement stable, avec toutefois un renforcement de la position relative de l'Afghanistan.
Au début de l'année 2021, le nombre de demandes est resté à un étiage relativement faible, de l'ordre de 6 500 à 8 000 demandes mensuelles, contre 10 000 à 11 000 en 2019. Il s'agit là des chiffres d'introduction de demandes à l'Ofpra, qui peuvent être un peu différents de ce que l'on constate dans les guichets uniques des préfectures, car les personnes qui, à l'issue de l'enregistrement de leur demande en préfecture, sont considérées comme relevant du règlement de Dublin ne peuvent introduire de demande devant l'Ofpra dans l'immédiat. À compter du printemps, nous avons observé une tendance à l'augmentation régulière de la demande, qui ne retrouve cependant pas son niveau d'avant-crise, à l'exception toutefois du mois de septembre en raison de l'évacuation d'Afghans dans le cadre de l'opération Apagan.
Sur l'ensemble de l'année, la demande globale devrait s'établir autour de 100 000 demandes, en légère hausse par rapport à 2020, mais encore loin du niveau de 2019. La place de l'Afghanistan a continué de se renforcer : ce pays représente 14 % des premières demandes d'asile, suivi de la Côte d'Ivoire, du Bangladesh, de la Guinée et de la Turquie. On constate également, dans la période la plus récente, le retour dans les dix premiers pays d'origine de l'Albanie et de la Géorgie.
La demande d'asile en France reste néanmoins marquée par son importante dispersion entre un nombre de nationalités important, contrairement à l'Allemagne par exemple, où la Syrie a représenté en 2020 environ un tiers du total des demandes d'asile.
Il est bien évidemment difficile de prévoir l'évolution de la demande dans les mois à venir, compte tenu de l'imprévisibilité de la pandémie et des mesures restrictives qui l'accompagnent, ainsi que de l'incertitude traditionnelle des évolutions géopolitiques et des parcours migratoires. Toutefois, les déterminants de la migration de refuge n'ont pas disparu avec la pandémie qui, au contraire, a pu aggraver certaines situations déjà instables. Nous retenons donc comme hypothèse de travail un retour progressif en 2022 au niveau d'avant-crise.
Sur le plan de son activité décisionnelle, l'Office a rendu en 2019, comme en 2018, plus de 120 000 décisions, un niveau historiquement élevé. En dépit de cette activité importante, qui repose sur la forte productivité de ses agents instructeurs, l'Office a accumulé un stock croissant de demandes en instance. En effet, pendant le confinement de 2020, l'activité d'accueil du public s'est interrompue. Près de 12 000 décisions ont néanmoins pu être prises au cours de cette période, dans le cadre du télétravail, sur la base des entretiens réalisés avant le début du confinement. Mais l'interruption des entretiens s'est mécaniquement traduite par une baisse d'activité, de l'ordre d'un quart environ, avec tout de même près de 90 000 décisions rendues sur l'ensemble de l'année 2020. Le stock des demandes en instance a repris sa tendance à la hausse en sortie du premier confinement et a culminé à près de 90 000 dossiers à la fin du mois d'octobre.
Cette tendance s'est toutefois inversée dès la fin de l'année 2020, grâce notamment aux mesures que nous avons prises afin d'éviter de nouvelles interruptions de l'accueil du public. Permettez-moi de saluer l'engagement et le sens du service public des agents de l'Ofpra. Nous avons également pu mener à bien, en 2020, l'ensemble des 200 recrutements autorisés par la loi de finances pour 2020, dont 150 destinés à renforcer l'instruction des demandes d'asile. Ces recrutements ont donné à l'Office - il compte désormais un millier d'agents - une dimension nouvelle. Nous avons créé deux nouvelles divisions géographiques et nous sommes étendus sur notre site de Fontenay-sous-Bois. Dès la fin de l'année 2020, notre activité décisionnelle a retrouvé son niveau d'avant-crise.
Depuis le début de l'année 2021, nous avons dépassé ce niveau, malgré la persistance de difficultés liées à la situation sanitaire. Sur l'ensemble de l'année 2021, l'Ofpra devrait ainsi avoir rendu environ 140 000 décisions, contre 120 000 en 2019, ce qui place la France au premier rang européen, au coude-à-coude avec l'Allemagne. Conjugué au maintien de la demande à un niveau inférieur à celui d'avant-crise, cela a permis une réduction drastique du stock de demandes en instance, qui est passé de 90 000 environ à la fin du mois d'octobre 2020, à environ 50 000 en ce mois de novembre 2021.
C'est un préalable nécessaire à l'atteinte des objectifs de l'Ofpra en matière de délais de traitement. Ces délais, qui étaient en moyenne de l'ordre de cinq mois et demi en 2019, sont passés à huit mois et demi en 2020. L'effort soutenu de réduction du stock, entrepris depuis la fin de l'année 2020, maintient à ce jour les délais à un niveau élevé de l'ordre de huit mois du fait du traitement par priorité des dossiers les plus anciens, mais une baisse importante de ce délai est attendue dans les prochains mois. D'ores et déjà, près de 40 % de nos dossiers en stock sont en instance depuis moins de deux mois.
Derrière l'aridité de ces statistiques, n'oublions pas les dizaines de milliers d'entretiens réalisés chaque année par nos officiers de protection, au cours desquels se recueillent des récits de vies marquées par l'exil et souvent la souffrance. L'Office a continué d'approfondir son expertise et de la transmettre à ses nouveaux collaborateurs, qu'il s'agisse de la prise en compte des vulnérabilités des demandeurs, de la connaissance approfondie des pays d'origine ou encore de la vigilance sécuritaire que nous impose la loi et qui est l'une des conditions de la confiance dans l'institution.
S'agissant des modalités de traitement de la demande d'asile, sachez que l'Ofpra a considérablement développé son action territoriale, par l'organisation de missions foraines sur le territoire national. Depuis le début de l'année, nous avons ainsi organisé 45 missions, soit en moyenne une par semaine, sur le territoire métropolitain - notamment à Lyon, Metz, Toulouse, Aix-en-Provence, Bobigny, Bordeaux, Évry, Lille, Nanterre, Nantes, Strasbourg et même Paris -, mais aussi outre-mer - Guadeloupe, Martinique, Guyane et Mayotte. Ces missions assurent une présence territoriale à géométrie variable qui s'adapte à l'évolution rapide de la demande. C'est ainsi qu'en Guyane, nous avons pu compléter l'action de l'antenne de Cayenne confrontée à des arrivées significatives de ressortissants syriens. À Mayotte, nous avons pu diviser presque de moitié le stock des demandes en instance et y réduire drastiquement les délais d'instruction.
En application de la loi du 10 septembre 2018, nous avons développé un portail numérique pour communiquer par voie dématérialisée avec les demandeurs d'asile, notamment en ce qui concerne la convocation à l'entretien et la notification de la décision de l'Ofpra. Cette disposition visait notamment à fiabiliser les relations entre l'Ofpra et les demandeurs d'asile et à réduire les délais interstitiels.
Ce portail déployé depuis l'été 2020 en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine dote l'usager d'un coffre-fort sécurisé qui contient les courriers de l'Ofpra, notamment la convocation et la notification de la décision. Il offre aussi aux structures associatives un suivi en temps réel des courriers distribués - sans accès à leur contenu -, qui leur permet d'assurer pleinement leur mission d'accompagnement des demandeurs.
Depuis l'été 2020, nos bilans réguliers démontrent une bonne appropriation de l'outil et un accès plus rapide, plus systématique et plus sûr aux courriers, des délais de notification raccourcis et, plus généralement, une traçabilité accrue des opérations.
Nous avons aussi corrigé les derniers problèmes techniques. Nous envisageons une généralisation du portail dans le courant du premier semestre 2022.
Je voudrais enfin dire un mot sur l'activité de protection administrative et juridique de l'Ofpra, qui consiste principalement à délivrer aux bénéficiaires du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire les documents d'état civil qu'ils ne peuvent plus obtenir auprès des autorités de leur pays d'origine. C'est cette mission qui fait souvent dire que l'Ofpra est la mairie des réfugiés. C'est important, car disposer de documents d'état civil est un prérequis pour que les réfugiés accèdent à un certain nombre de droits et débutent du bon pied leur intégration.
L'accroissement du nombre de personnes protégées dans la période récente crée des tensions dans l'exercice de cette mission, en particulier dans les délais d'établissement des actes d'état civil.
Afin d'y remédier, une importante transformation du service en charge de cette mission a été engagée et sera pleinement effective au début de l'année prochaine. La mobilisation accrue des moyens de communication numériques améliorera le service rendu aux usagers en matière d'état civil.
Nous avons aussi décidé de créer un service spécifique de suivi du statut, qui consiste à examiner si le statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire doit être maintenu ou retiré après un signalement de retour de la personne protégée dans son pays d'origine ou d'une menace pour l'ordre public.
M. Alain Marc. - Avec le président Buffet et Stéphane Le Rudulier, nous nous sommes rendus en mission à Mayotte.
Monsieur le directeur général, vous avez beaucoup évoqué le contexte géopolitique, l'Afghanistan et la Syrie, mais vous n'avez parlé que furtivement de l'outre-mer. À Mayotte, combien de dossiers avez-vous en stock ? Les estimations vont de 30 000 à 150 000.
Mme Nathalie Goulet. - Quels sont vos besoins budgétaires et en termes de ressources humaines ? Quels besoins sont les plus criants ? Avez-vous des chiffres précis sur les Afghans auxiliaires de l'armée française, par exemple les traducteurs qui rentrent au compte-goutte et pour lesquels nous n'avons pas de décompte exact ?
M. Jean-Yves Leconte. - Quelles sont vos actions à Calais ? Avez-vous connaissance de missions foraines britanniques à Calais ? Pouvez-vous évaluer le nombre d'Afghans protégés en attente de regroupement familial ? Quel est le délai de reconstitution des états civils ? Quelles sont les implications pour l'Ofpra de l'accord sur l'Agence de l'Union européenne pour l'asile ? Les propositions de la Commission européenne sur l'assouplissement des délais de traitement des demandes d'asile aux pays proches de la Biélorussie sont-elles acceptables et conformes à la convention de Genève ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Les territoires d'outre-mer et essentiellement de Guyane et de Mayotte faisaient beaucoup parler d'eux pour l'immigration classique. Depuis quelques années, ils sont également fortement concernés par l'arrivée de réfugiés.
En Guyane, ces réfugiés viennent principalement de Syrie. À Mayotte, de la région des Grands Lacs et des Comores.
Vendredi dernier, je me suis entretenu avec Mme Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui mène une mission foraine à Mayotte actuellement. Pouvez-vous développer davantage sur la question des réfugiés outre-mer et dans ces deux territoires en particulier ?
M. André Reichardt. - Monsieur le directeur général, vous nous avez parlé de la Turquie, troisième pays en nombre de ressortissants demandant l'asile en France. De quels profils parle-t-on ? De Kurdes ? De personnes en disgrâce politique ?
La Cour des comptes a constaté le faible taux de départ du territoire français des déboutés du droit d'asile. Vos équipes ne sont-elles pas un peu fatiguées de tout ce travail qu'elles réalisent pour rien ?
Mme Muriel Jourda. - Monsieur le directeur général, vous avez expliqué que le stock de dossiers avait pu être en partie apuré. Combien de temps faudra-t-il pour l'apurer totalement, si les arrivées augmentent de nouveau ? Vous avez aussi expliqué que votre personnel était extrêmement tournant.
Mme Brigitte Lherbier. - Je suis Nordiste. De véritables drames se déroulent à Calais. Recueillez-vous des informations sur les passeurs lors des entretiens avec les réfugiés ?
M. Alain Richard. - Les temps de traitement des dossiers à la CNDA sont partiellement influencés par le temps que les parties, dont l'Ofpra, mettent à fournir les éléments relatifs au litige.
La procédure permet-elle un traitement équitable, sans bataille de retardement ?
Mme Esther Benbassa. - Quel est le nombre, ou le taux, d'arrivants à Calais qui y déposent un dossier de demande d'asile en France ?
M. Julien Boucher. - À Mayotte, la demande a augmenté significativement ces dernières années. Traditionnellement, elle a deux composantes : des ressortissants des Comores et des ressortissants des Grands Lacs. Le dynamisme de la demande est surtout porté par les premiers, qui représentent 80 % des dossiers.
En 2020, nous avons reçu un peu moins de 2 300 demandes d'asile à Mayotte, contre 3 600 sur les onze premiers mois de l'année 2021.
Nous avons beaucoup intensifié notre activité décisionnelle grâce à la visioconférence - nous avons trois ponts qui fonctionnent en permanence - et aux missions foraines quasi mensuelles que nous organisons depuis le printemps. Nous avons rendu beaucoup plus de décisions qu'auparavant, avec 4 500 décisions depuis début 2021, ce qui a divisé le stock par près de deux, depuis le début de l'année.
À Mayotte, les délais de traitement sont inférieurs à trois mois.
En Guyane, la situation est un peu différente. La demande y est principalement haïtienne, mais, depuis un an, nous constatons une diversification. Ainsi, nous voyons apparaître une demande de Syriens passés préalablement par le Brésil.
Nous avons une antenne permanente à Cayenne pour le traitement rapide des demandes. Nous organisons également des vidéoconférences en tant que de besoin, et des officiers de protection spécialisés sur la Syrie interviennent dans le cadre de missions foraines ; il y a également une demande palestinienne. En Guyane, nous traitons la demande au fil de l'eau, à mesure qu'elle arrive. Nous nous rendons aussi à la Guadeloupe, à Saint-Martin ou en Martinique en fonction de la demande, qui est très volatile.
Madame Goulet, ma réponse va peut-être vous surprendre, mais l'Office possède, à mes yeux, les moyens humains pour accomplir sa mission, grâce aux 200 emplois supplémentaires ouverts par la loi de finances pour 2020. L'enjeu est plutôt que tous nos nouveaux collaborateurs soient formés pour que l'établissement atteigne ses objectifs.
Nous avons également les moyens nécessaires pour faire appel à des interprètes dans le cadre de marchés publics : là aussi, l'enjeu réside surtout dans la capacité des organismes d'interprétariat à recruter des interprètes pour répondre à l'évolution de la demande.
Je n'ai pas de données sur les demandes les plus récentes présentées par des auxiliaires afghans de l'armée française. Nous avons reçu un peu plus de 600 demandes de ressortissants évacués préventivement au printemps par les autorités françaises, qui avaient travaillé pour le consulat ou l'ambassade. Nous avons statué sur la quasi-totalité de ces demandes, en accordant dans l'immense majorité des cas le statut de réfugié.
Monsieur Leconte, l'Ofpra n'est pas directement impliqué à Calais : nous n'intervenons que si les personnes s'engagent dans une procédure de demande d'asile en France, ce qui, comme vous le savez, n'est pas toujours le cas.
Les Afghans bénéficiaires de la protection internationale ont un droit spécifique à la réunification familiale, non subordonné à des conditions de ressources ou de logements. Un nombre significatif de demandes est en instance, parce que la réunification suppose un accès à des postes consulaires français pour obtenir la délivrance des visas. L'Ofpra n'intervient que pour certifier la composition familiale. Des dispositions ont été prises par les ministères de l'Europe et des affaires étrangères et de l'intérieur pour renforcer la capacité des postes diplomatiques et consulaires, notamment au Pakistan.
J'accorde une grande importance à la mission d'état civil de l'Ofpra, qui est fondamentale dans le parcours d'intégration. Les réformes entreprises produiront leurs effets au début de l'année prochaine. L'objectif est de réduire le délai moyen d'établissement des actes, qui est de huit mois.
L'évolution du Bureau européen d'appui en matière d'asile - EASO dans son acronyme anglais - vers une agence européenne de l'asile va se concrétiser dans les prochaines semaines. L'une des fonctions essentielles de cette agence sera de favoriser la convergence des systèmes d'asile en Europe, avec l'élaboration de lignes directrices communes dont l'entrée en vigueur du règlement européen sur l'Agence renforcera l'autorité. L'Ofpra restera très impliqué dans les travaux de cet organisme, notamment sur l'information sur les pays d'origine, pour que la convergence se fasse selon les meilleurs standards.
Je ne connais pas le détail des propositions formulées par la Commission européenne pour assouplir les délais de traitement des demandes d'asile des pays voisins de la Biélorussie. Le cadre du régime d'asile européen commun est pleinement respectueux des principes fondamentaux en matière d'asile et vise à l'application dans l'espace européen de la convention de Genève.
Monsieur Reichardt, la Turquie figure, sur les onze premiers mois de 2021, au sixième rang des pays d'origine des premières demandes d'asile avec, au total, un peu moins de 3 700 demandes, une hausse significative par rapport à 2020. Ce chiffre recouvre des demandes de ressortissants d'origine kurde et d'opposants, en particulier en raison de leur affiliation réelle ou supposée au mouvement güleniste.
Les suites données aux décisions de refus de l'Ofpra ne relèvent pas de la compétence de l'Office. Nos agents exercent leurs missions avec une grande implication et un grand sens des responsabilités. L'objectif de réduction des délais d'examen des demandes vise aussi à assurer l'effectivité des décisions, quel que soit leur sens. Plus le temps passé dans l'attente est long, plus le parcours d'intégration est compliqué.
Madame Jourda, le délai de résorption du stock dépendra de l'évolution de la demande. Cependant, l'Office conservera une capacité de déstockage significative, même si la demande retrouvait en 2022 son niveau de 2019. Dans ces conditions, le déstockage s'achèverait courant 2022.
Le turn-over des agents est une réelle problématique. Le métier de la protection est difficile, et la pratique, le savoir-être y tiennent une grande part. L'établissement travaille à fidéliser ses collaborateurs, même si une certaine mobilité est bienvenue. Le corps des officiers de protection a ainsi été intégré dans le corps interministériel des attachés afin de leur ouvrir des perspectives de carrière.
Madame Lherbier, madame Benbassa, le parcours des demandeurs est pris en compte dans les entretiens, même si ceux-ci sont d'abord destinés à évaluer la réalité des craintes en cas de retour dans le pays d'origine. Cependant, au-delà de la consolidation de l'expertise interne, cela ne fait pas de l'Ofpra une source d'information sur ces parcours : d'abord parce que nous ne sommes pas en mesure de consolider cette information au niveau de l'établissement, ensuite à cause de l'exigence de confidentialité de la demande d'asile. Je ne puis donc pas vous éclairer de manière pertinente sur le profil des personnes passées par Calais, ni sur leur nombre.
Monsieur Reichardt, il est difficile pour l'Ofpra de se prononcer sur l'évolution souhaitable de la CNDA, qui est son juge... Je puis cependant vous dire que les échanges sont fluides : ainsi, grâce à des dispositifs d'échange électronique, le dossier entier de l'Ofpra est mis instantanément à la disposition de la Cour en cas de recours.
M. François-Noël Buffet, président. - Quelles seraient les conséquences éventuelles pour l'Ofpra du nouveau pacte sur la migration et l'asile présenté par la Commission européenne ?
Mme Éliane Assassi. - Selon nombre d'observateurs, l'application des accords de Dublin est défaillante : beaucoup d'États de première entrée n'instruiraient pas correctement les demandes d'asile. Cela a-t-il des conséquences sur les missions de l'Ofpra ?
M. Julien Boucher. - L'important, pour l'Ofpra, est d'obtenir une information aussi fiable que possible sur le parcours des personnes que nous recevons au sein de l'Union européenne : par quels pays sont-elles passées, y ont-elles déposé des demandes d'asile ?
Tout cela est prévu dans le cadre du règlement Dublin. Nous avons fait en sorte que nos systèmes d'information, en lien notamment avec les préfectures, puissent accéder à l'ensemble des constatations réalisées sur le fondement des relevés d'empreintes effectués via la base Eurodac, dont la vocation est justement de permettre ce suivi.
Des progrès doivent encore être réalisés, notamment pour accéder aux décisions de nos homologues - pour connaître, par exemple, la raison pour laquelle une demande d'asile a été rejetée dans un autre État et comprendre ce qui a déjà été fait. Cela est effectivement un point d'attention.
Nous nous assurons, lorsque cela est possible, de disposer de l'ensemble des éléments relatifs au parcours antérieur de la personne, pour pouvoir statuer sur sa demande en toute connaissance de cause. Par exemple, une demande de protection est irrecevable si l'on apprend que la personne a déjà été protégée dans un autre État. De même, nous nous efforçons de connaître les motifs des décisions de rejet.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur les impacts possibles sur l'Ofpra du projet de pacte sur l'asile. Ils sont multiples, en fonction des compromis qui seront trouvés.
La création de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile est un pas important vers la convergence des systèmes d'asile.
Dans l'équilibre entre solidarité et responsabilité qui est recherché au travers du pacte, l'Ofpra aura naturellement un rôle important à jouer sur le volet solidarité, notamment sur la question des relocalisations. Nous avons, ces dernières années, réalisé un travail important en la matière chaque fois que les autorités françaises se sont engagées sur des relocalisations par solidarité avec les États de première entrée. Par exemple, cette année, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises en Grèce pour auditionner des demandeurs d'asile dans le cadre des engagements qui ont été pris par le Gouvernement, notamment à la suite de l'incendie du camp de Mória. Le pacte propose de fixer une nouvelle ambition sur ces questions, avec des mécanismes de solidarité renforcés.
L'évolution des procédures d'asile pourrait aussi avoir une incidence sur l'activité de l'Ofpra, en particulier en ce qui concerne la procédure à la frontière prévue dans le cadre du pacte. La France a d'ailleurs, sur ce sujet, une certaine expérience, puisque la mission de l'asile aux frontières de l'Ofpra, installée actuellement à Roissy, se prononce sur les demandes d'admission sur le territoire au titre de l'asile. Cet avis lie le ministre de l'Intérieur, sauf menace pour l'ordre public.
Sur ces différents points, le pacte pourrait avoir une incidence sur le fonctionnement très concret de l'Ofpra, indépendamment, bien sûr, de l'évolution des règles qui prendraient le relai de celles de Dublin et qui concernent l'ensemble des acteurs de l'asile.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le directeur, je vous remercie d'être venu ce matin nous apporter l'ensemble de ces précisions sur le fonctionnement de l'Ofpra.
Je rappelle que deux membres de la commission des lois siègent au conseil administration de l'Ofpra : Éliane Assassi et Henri Leroy.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Jérôme Durain rapporteur sur la proposition de loi n° 761 (2020-2021) relative au port du casque à vélo et dans le cadre d'autres moyens de transport, présentée par M. François Bonneau et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne - Désignation des candidats de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, Mme Dominique Vérien, Mme Agnès Canayer, M. Stéphane Le Rudulier, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Hussein Bourgi, M. Thani Mohamed Soilihi, comme membres titulaires, et Mme Jacqueline Eustache-Brinio, Mme Catherine Belrhiti, Mme Claudine Thomas, M. Philippe Bonnecarrère, M. Didier Marie, M. Jean-Yves Roux et Mme Éliane Assassi, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne.
Proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris - Examen des amendements
M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, trois amendements ont été déposés sur la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris.
Notre collègue rapporteure, Valérie Boyer, est retenue aujourd'hui à Marseille pour cause de force majeure. Je m'exprimerai en son nom.
Par cohérence avec la position de la commission, qui n'a pas adopté de texte lors de notre réunion de la semaine dernière, la rapporteure vous propose de donner un avis négatif aux trois amendements.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur, en remplacement de Mme Valérie Boyer, rapporteure. - L'amendement n° 2 de M. Bennaroche vise à prendre en compte les événements antérieurs à la date du 17 octobre 1961.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - L'amendement n° 1 tend à reconnaître la répression de la manifestation comme un crime d'État.
M. François Bonhomme. - La rédaction de l'amendement relance la discussion que nous avons eue sur la nécessaire séparation entre Histoire et mémoire lors de notre précédente réunion. Nous sommes véritablement à la confluence de la mauvaise conscience nationale et de la repentance mémorielle.
À cet égard, je ne souscris pas à l'expression de « crime d'État » : elle entretient une confusion qui n'est pas favorable à la séparation de l'Histoire et de la mémoire et ne va pas dans le sens de l'apaisement recherché par la proposition de loi.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - L'amendement n° 3, déposé par Mme Benbassa, prévoit l'accès de tous les citoyens aux archives de la période. Notre rapporteure y est défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
La commission a donné les avis suivants :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article 1er |
||
M. BENARROCHE |
2 |
Défavorable |
M. BENARROCHE |
1 |
Défavorable |
Article additionnel après l'article 2 |
||
Mme BENBASSA |
3 |
Défavorable |
Proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement - Examen des amendements
Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - L'amendement n° 2 tend à supprimer l'article 1er. Puisque nous avons décidé de ne pas adopter cette proposition de loi, j'émets un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 2.
Article 2
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 4.
Article additionnel après l'article 2
Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Si je peux comprendre l'intérêt de l'amendement n° 1, son dispositif n'entre pas dans le périmètre du texte arrêté par la Commission au titre de l'article 45 de la Constitution.
En effet, il élargit la procédure d'inscription d'office sur les listes électorales aux personnes âgées de moins de 26 ans domiciliées à une autre adresse que le domicile familial. Or ce texte ne traite que de la majorité électorale.
L'amendement n° 1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 4
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 3.
La commission a donné les avis suivants :
La réunion, suspendue à 10 h 50, est reprise à 16 h 30
Nouvelle carte nationale d'identité - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
M. François-Noël Buffet, président. - Madame la ministre, nous vous accueillons aujourd'hui pour faire un point sur le déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité, qui a débuté par trois départements pilotes en mars 2021 et s'est généralisé depuis le mois d'août dernier, conformément à la réglementation européenne, qui prévoyait cette date.
Cécile Cukierman a examiné ce sujet dans le cadre de son rapport d'information sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », mais, pour des raisons de calendrier, madame la ministre, nous n'avions pu vous entendre à cette occasion.
Au-delà de la nécessité juridique de développer une nouvelle forme de pièce d'identité, il y avait aussi un impératif de sécurité à le faire, tant la version en vigueur de la carte était susceptible d'altération ou de falsification, compte tenu du développement des technologies dont profitent aussi les faussaires en tout genre. Néanmoins, renouveler plusieurs millions de titres d'identité est une entreprise de grande envergure. Vous nous indiquerez comment le déploiement de cette carte se déroule aujourd'hui.
Cependant, le choix de cette carte est contesté. La décision d'y faire figurer la langue anglaise a été mis en cause, et les choix technologiques de conception de la carte sont mis en doute, au motif qu'ils ne seraient pas à même de garantir contre les risques de falsification. De très récents articles de presse s'en sont fait l'écho.
Je vous laisse la parole, madame la ministre.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j'ai le plaisir de représenter ici le ministère de l'intérieur et, plus globalement, le Gouvernement, pour échanger, à votre demande, sur la question de la nouvelle carte nationale d'identité électronique, dite « CNIe ».
Comme chacun sait, la carte nationale d'identité est l'un des attributs de la citoyenneté. Elle est utilisée tout au long de la vie pour des démarches de la vie courante, pour justifier de son identité, répondre à un contrôle d'identité, mais aussi pour effectuer des démarches comme l'inscription dans une école ou une faculté, déposer un dossier de logement, voyager à l'intérieur de l'Union européenne ou au-delà et, enfin, pour pouvoir attester de son identité à la demande des services de l'État. Ce sont quelques exemples parmi d'autres.
Nous faisons entrer la carte d'identité dans la modernité grâce à des évolutions de forme et de fond, concernant son format et les dispositifs de sécurisation qui y sont intégrés. Notre volonté est de la rendre plus sûre, pour rendre plus sûrs les droits et les libertés qui lui sont attachés.
Le règlement du 20 juin 2019 du Parlement européen et du Conseil a fixé les critères de sécurisation, mais aussi et surtout l'objectif de généralisation du nouveau titre d'identité au 2 août 2021. La France a saisi cette occasion pour moderniser le format précédent, qui datait de 1995. Depuis lors, la carte nationale d'identité n'avait pas été revue dans son format ni dans sa sécurisation.
La première chose qui saute aux yeux avec la nouvelle carte, c'est son format, plus conforme à nos habitudes d'aujourd'hui. Nous avons tous eu des portefeuilles ou des porte-cartes trop petits pour que notre carte identité y entre. C'est désormais de l'histoire ancienne. D'un point de vue purement pratique, la nouvelle carte est aussi robuste et inclusive, avec son format de carte de crédit, mais aussi avec des éléments en relief, à l'intention des personnes malvoyantes.
Elle comporte aussi la possibilité d'indiquer deux adresses au verso. Cette évolution bénéficiera notamment aux enfants ou aux adolescents en résidence alternée. La nouvelle carte a donc pour vocation de s'adapter aux nouvelles réalités de la vie quotidienne des Français.
Elle permet surtout de mieux les protéger. Pour lutter contre la fraude et l'usurpation d'identité, l'Union européenne s'est dotée d'une ambition commune. Ce nouveau titre doit être conforme aux normes de sécurité en vigueur et comporter, dans un composant électronique hautement sécurisé, des données biométriques, notamment des empreintes digitales et une photographie.
Plus de 33 000 Français sont victimes chaque année d'usurpation d'identité. Je ne doute pas que vous avez toutes et tous été sollicités par des citoyens et des citoyennes qui se retrouvent à devoir payer des crédits qu'ils n'ont pas contractés ou à acquitter des amendes alors qu'ils n'ont absolument rien à se reprocher, parce que quelqu'un a usurpé leur identité. Au reste, ce drame les touche non seulement financièrement, mais aussi psychologiquement : les Français que nous avons reçus nous ont expliqué à quel point cette usurpation d'identité les avait marqués, puisqu'elle attentait à leur identité, à leur prénom, à leur nom.
En 2020, nos forces de sécurité ont intercepté près de 9 000 personnes porteuses de faux papiers et ont démantelé une trentaine de filières criminelles qui prospéraient sur ces derniers. Ces usurpations sont non seulement une atteinte à la sécurité des Français, mais aussi à leur citoyenneté. Leur coût financier, pour les victimes comme pour la collectivité, est considérable.
Grâce aux technologies qui sont employées dans la nouvelle carte d'identité, il sera désormais plus simple de faire une demande de renouvellement en cas de perte ou en cas de vol. En effet, les informations sécurisées faciliteront ces démarches. À l'inverse, il sera particulièrement difficile, voire, dans certains cas, impossible, d'utiliser une carte dérobée, notamment en cas de contrôle ou lors d'une sortie du territoire.
L'objectif de déploiement était de parvenir à une généralisation sur tout le territoire au 2 août 2021. Dès le 28 juin 2021, les 101 départements et collectivités d'outre-mer ont été éligibles à la commande et à la distribution de la nouvelle carte, qui a été rendue accessible, quelques jours plus tard, aux Français résidant à l'étranger.
Les Français se sont approprié cette nouvelle carte. D'après les retours que nous avons, ils la trouvent plus pratique, plus jolie - ce point est forcément plus subjectif. Ils peuvent être fiers qu'elle intègre des éléments d'une identité européenne.
Le nombre de commandes de titres, par rapport aux années précédentes, nous laisse croire à un engouement pour ce nouveau format. Au 6 décembre 2021, 3 millions de demandes avaient été déposées dans les mairies, dont 2,65 millions ont été validées par les préfets. À ce jour, plus de 2,25 millions de nouvelles cartes nationales d'identité ont été remises à leur titulaire.
Nous avons souhaité que le remplacement par la nouvelle carte se fasse de manière progressive. Par conséquent, l'ancienne carte au format de 1995 est toujours valide, et ce jusqu'à 15 ans après sa délivrance pour les majeurs. Pour prévenir un afflux trop important de demandes qui pourrait risquer de mettre en péril la distribution des titres, mais aussi pour responsabiliser les détenteurs d'une carte, qui est un objet et qui a donc une valeur et un coût, un timbre fiscal de 25 euros est demandé s'il ne s'agit pas d'un renouvellement pour péremption.
Pour parvenir à ce résultat, une bonne coordination de tous les acteurs a été nécessaire, suivant un calendrier exigeant. Plusieurs services et plusieurs directions du ministère de l'intérieur se sont mobilisés en ce sens. Je tiens à les saluer pour ce travail remarquable. Le secrétariat général du ministère, notamment la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) et la direction du numérique ainsi que l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ont travaillé étroitement et de longue date, en concertation avec l'Imprimerie nationale, les préfectures ainsi qu'avec les maires, via l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). Je veux souligner que d'autres acteurs ont également été impliqués : je pense au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, à la direction interministérielle du numérique ou encore aux forces de sécurité intérieure. Un comité de pilotage, qui réunit de façon très régulière l'ensemble de ces intervenants, a suivi les dernières étapes de mise en production et de déploiement, ce qui a permis de surmonter les difficultés ponctuelles, inévitables lorsqu'on lance un projet d'aussi grande ampleur.
Lorsque j'ai pris mes fonctions au ministère de l'intérieur en juillet 2020, un excellent travail de conception et d'architecture logistique avait d'ores et déjà été planifié et très bien accompli. Les travaux de conception ont tenu compte des obligations portées par le règlement européen et de la cible de sécurité définie par le ministère de l'intérieur et par l'ANTS. La carte étant un objet destiné à un usage courant, les services ont organisé des sessions avec des panels de Français pour qu'ils puissent partager leur ressenti. De petits groupes ont été constitués pour sortir d'une vision technique et parvenir à enrichir la réflexion autour de la carte de remarques pratiques. De ces échanges est né le prototype final, qui m'a été présenté par les services. Celui-ci a intégré des améliorations notables. Je pense notamment à la présence du braille, qui permet aux personnes déficientes visuelles de différencier aisément la carte d'identité d'une autre carte de même format, comme la carte Vitale.
Les aspects techniques étant réglés, il fallait également apporter des modifications à deux décrets en Conseil d'État : celui qui régit le traitement des données du fichier des titres électroniques sécurisés (TES), dont nous avons déjà débattu ici, ainsi que le décret de 1955 sur les cartes nationales d'identité. Ce grand chantier réglementaire s'est achevé le 13 mars 2021, pour une publication du décret au Journal officiel le 14 mars 2021, c'est-à-dire en même temps que l'avis favorable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Dès le lendemain, l'Oise a été nommée officiellement premier département pilote. La Seine-Maritime et La Réunion ont ensuite intégré le plan pilote de déploiement le 29 mars 2021. Entre avril et mai, les services ont agrégé les retours d'expérience de ces départements et ont réalisé des modules de formation pour l'ensemble du territoire national, à destination essentiellement des agents préfectoraux et des agents municipaux. Entre le 17 mai et le 28 juin 2021, le déploiement de la nouvelle carte s'est généralisé sur l'ensemble du territoire par blocs régionaux. Au 8 juillet, les nouveaux titres ont été disponibles pour les Français de l'étranger dans les postes diplomatiques et consulaires compétents.
Le sondage réalisé par l'ANTS auprès des maires et des centres d'expertise et de ressources titres (CERT) sur les conditions de déploiement de la nouvelle carte d'identité fait apparaître un taux de satisfaction supérieur à 80 % chez les agents. Nous y voyons le signe d'une réforme qui s'est bien déroulée, jusqu'à l'agent final en charge de délivrer la carte.
Le déploiement de la nouvelle CNI fait l'objet d'une attentention continue pour bien prendre en compte les difficultés techniques qui pourraient remonter du terrain. Des évolutions du système d'information et des dispositifs de recueil sont programmées très régulièrement. Elles incluent notamment le lancement, en 2022, d'un plan de renouvellement des dispositifs de recueil. Une rencontre avec l'AMF, les communes ayant formé le premier groupe de travail sur la nouvelle CNI et les collectivités a eu lieu le 30 novembre dernier pour faire un point d'étape concret. La prochaine rencontre est programmée pour le premier semestre 2022, dans un objectif d'échanges continus, fluides et réguliers.
Par ailleurs, le ministère de l'intérieur et l'ANTS poursuivent leurs travaux visant à adapter les spécifications techniques de la nouvelle carte, au regard des contraintes liées à son format réduit. Je pense notamment à la difficulté que peut poser la longueur du nom de la commune de naissance ou d'habitation ou du nom d'usage. Ces cas particuliers sont, certes, très peu nombreux, mais ils méritent bien évidemment une solution. L'une des solutions techniques adéquates consiste tout simplement à ce stade à réduire la police de caractère. Dans les cas les plus complexes, les services reviennent directement vers l'usager et trouvent de nouvelles solutions.
Vous le constatez, les services de l'État mettent tout en oeuvre pour faciliter la transition vers le nouveau titre pour les Français et le travail des lieux de délivrance que sont les mairies, soutenues par les préfectures.
Dans le contexte très particulier de la crise mondiale liée à la covid, la maîtrise des délais de délivrance de la nouvelle carte nationale d'identité fait l'objet d'une vigilance particulière de la part du ministère de l'intérieur. Pour les années 2020 et 2021, plusieurs restrictions ont frappé les territoires à l'international, et, de fait, l'opportunité d'un renouvellement de passeport ou de carte d'identité a été moindre. La levée des restrictions sur les déplacements et la nouvelle disponibilité des services, qui n'étaient plus confinés, a entraîné un phénomène de rattrapage des demandes non effectuées en 2020 sur le début de l'année 2021.
En outre, le déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité a engendré une hausse de la demande de titres au troisième trimestre 2021, entraînant une augmentation des délais de délivrance de titres tant dans les mairies, qui sont chargées du recueil et de la remise, que dans les services préfectoraux, chargés de l'instruction des demandes.
En octobre 2021, le délai moyen entre la demande et l'obtention d'un titre d'identité était de 25 jours au plan national. Ce délai inclut le temps d'instruction, le temps de fabrication et le temps d'acheminement jusqu'à la mairie. À cela s'ajoutent les délais de prise de rendez-vous, qui sont très variables selon les communes, comme chacun le sait. Ils s'élèvent en moyenne à 24 jours selon les derniers chiffres dont dispose le ministère de l'intérieur, mais sont plus longs dans les communes les plus urbaines.
Par anticipation de cette hausse de la demande, le ministère de l'intérieur a d'ores et déjà mis en oeuvre un certain nombre de mesures : une communication destinée aux usagers, afin de les inciter à anticiper leur demande et à recourir à la prédemande en ligne sur le site de l'ANTS ; l'extension, dès le printemps 2021, du dispositif d'authentification par les empreintes, qui permet d'alléger le travail des agents des CERT, en plaçant les titres à renouveler dans une file d'instruction simplifiée ; la reconfection à l'identique pour les titres perdus, volés ou détruits avant la remise à leur titulaire, dès le mois d'octobre 2021. Ce dispositif permet d'éviter de faire revenir le demandeur en mairie et procéder à une nouvelle instruction, ce qui offre un gain de temps certain.
Pour réduire les délais de rendez-vous en mairie, le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT) va adresser, dans les prochains jours, une note aux préfets pour leur demander de poursuivre l'accompagnement des communes de leur département, via des échanges réguliers avec les mairies, afin d'harmoniser et d'optimiser les conditions de recueil des demandes et de remise des titres.
Au cours du premier trimestre 2022, une rencontre sera organisée par chaque préfecture de département avec les communes équipées de dispositifs de recueil. Cet accompagnement pourra se fonder sur les axes d'évolution identifiés par l'Inspection générale de l'administration, laquelle a réalisé une analyse de l'activité de délivrance des titres en mairie, conformément à la demande de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et du ministre de l'intérieur, dans son rapport de février 2021.
Enfin, un renfort des effectifs des CERT est en cours de préparation, toujours pour contribuer à raccourcir ces délais de délivrance.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'identité des citoyens est également plus que jamais un enjeu essentiel de souveraineté nationale. L'État est le garant exclusif de la sécurisation et du contrôle de l'état civil des citoyens français à travers la protection de l'identité civile, des libertés individuelles et de la vie privée.
Ce devoir de protection est d'autant plus essentiel que ce droit fondamental de jouir d'une identité reconnue et protégée peut être attaqué à tout moment par des dispositifs de plus en plus innovants et de plus en plus agressifs. Il est donc de la responsabilité de l'État de mettre tout en oeuvre pour faire face aux risques de détournement ou d'usurpation de l'identité des citoyens. C'est ce que nous avons fait avec cette nouvelle carte nationale d'identité, qui est une réussite et dont les services de l'État peuvent être fiers, à l'instar de tous les Français.
Au-delà des enjeux de sécurité, nous avons également voulu répondre à des enjeux d'avenir : les évolutions techniques utilisées sont robustes. Elles font de cette carte nationale d'identité une réussite industrielle, qui présente des signes de sécurité conformes à l'état de l'art. La nouvelle carte d'identité s'inscrit résolument dans cette ambition du Gouvernement et du pays.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, maintenant et dès que vous le souhaiterez.
Mme Cécile Cukierman. - Il nous a semblé important, dans le rapport d'information consacré à la mission budgétaire « Administration générale et territoriale de l'État », de revenir sur les différentes étapes de la mise en oeuvre de la nouvelle carte nationale d'identité et sur les différents acteurs impliqués. De fait, nous avions été alertés, à la sortie de l'été, sur l'augmentation très forte des délais de délivrance pour un certain nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens.
Comme vous le savez, le fait que la carte d'identité ne soit plus délivrée dans la commune de résidence suscite une certaine émotion. Au-delà du symbole, on ne peut pas éluder le lien entre citoyenneté et lieu de résidence.
Effectivement, la CNIe est une réussite, à en juger du moins par le nombre de demandeurs et de titres délivrés. Mais un article faisant état d'un certain nombre d'interrogations sur la confection de ce titre est paru hier dans un grand quotidien national.
Pouvez-vous revenir précisément sur les relations et les rôles respectifs de l'ANTS et d'IN Groupe, opérateur industriel de l'Imprimerie nationale, notamment dans la détermination de la solution technologique ? En particulier, qui définit en pratique le cahier des charges qui permet de retenir un modèle de titre sécurisé plutôt qu'un autre ?
Le régime juridique monopolistique actuel permet à l'Imprimerie nationale de déroger à certaines règles de la commande publique, notamment à la sélection par appel d'offres. Cette dérogation vous paraît-elle à même de garantir le meilleur choix, notamment en ce qui concerne le niveau de sécurité des documents régaliens ? Quels étaient les autres choix possibles ? Le Gouvernement entend-il faire évoluer cette situation, notamment pour favoriser une mise en concurrence plus systématique des acteurs du marché ?
Enfin, le modèle retenu pour la nouvelle carte d'identité utilise des encres fabriquées en Suisse et comprend une photographie en tons de gris qui nécessite des équipements de gravure laser produits notamment par une entreprise américaine. Comment s'est opérée la sélection de ces technologies ? Quels avantages présentent-elles, notamment en termes de sécurité, par rapport aux autres technologies disponibles ? Ce recours à des technologies étrangères pour la fabrication de nos titres régaliens n'est-il pas susceptible de poser problème pour notre indépendance stratégique ?
M. Alain Marc. - Je veux relayer deux questions de mon collègue Dany Wattebled.
Est-ce l'Imprimerie nationale qui a rédigé le cahier des charges de l'appel d'offres pour la CNIe ?
Dans ce dossier, quel rôle a joué l'ANTS ? À quoi a-t-elle servi et avec quels moyens ? D'après mon collègue, on a le sentiment que les choix faits relèvent de l'Imprimerie nationale, et non des directives parties de l'ANTS. Aussi est-il important de savoir si l'ANTS est intervenue en tenant pleinement son rôle ou si elle a subi cet appel d'offres.
M. Christophe-André Frassa. - Merci, madame la ministre, des explications que vous nous avez données.
Lorsque l'on est passé de la carte d'identité papier à l'actuelle carte nationale d'identité sécurisée, il s'est passé un certain temps avant que les Français établis hors de France puissent en disposer, pour des raisons techniques et surtout parce que l'on a tendance à les oublier, bien qu'ils soient 3,4 millions.
Compte tenu du caractère beaucoup plus sécurisé de la nouvelle carte et de la plus grande centralisation de sa fabrication, comment le Gouvernement envisage-t-il le recueil des données relatives aux Français de l'étranger, leur transmission et l'envoi des nouvelles cartes dans les différents consulats généraux ? Je pense notamment à ceux qui résident au sein de l'Union européenne - ils représentent tout de même la moitié des Français en Europe -, qui sont les plus grands utilisateurs de cartes nationales d'identité, les autres détenant plus souvent des passeports.
M. Alain Richard. - Le nombre de demandes augmente, et l'on peut s'attendre à un pic dans à peu près trois mois.
Il semble que le nombre de communes équipées d'un dispositif de recueil n'a pas augmenté depuis plusieurs années. J'ignore si le ministère, via les préfectures, en a fait le bilan. Quoi qu'il en soit, dans le département que je représente, le Val-d'Oise, l'absence de création de nouveaux lieux de recueil depuis des années aboutit à une pression réelle, compte tenu de la croissance de la population.
Cela crée un certain effet pervers : en raison d'une espèce de bourse qui circule sur internet, les communes qui répondent aux demandes dans les meilleurs délais attirent désormais des personnes issues des quatre coins de la région. Il serait à mon avis assez judicieux de prévoir une petite soupape pour augmenter le nombre des dispositifs de recueil.
Il y a quarante-deux ans, Christian Bonnet, le ministre de l'intérieur de l'époque, que nous respections beaucoup, nous annonçait triomphalement, à la commission des lois de l'Assemblée nationale, une carte d'identité infalsifiable. Or, comme Mme la ministre l'a rappelé tout à l'heure, trois ou quatre générations de cartes plus tard, il y a toujours des falsifications... J'observe donc avec intérêt que, cette fois, le Gouvernement n'emploie plus le terme « infalsifiable ». À l'impossible, nul n'est tenu.
M. François Bonhomme. - Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur les modalités d'accompagnement de la mise en oeuvre de la nouvelle carte d'identité, notamment s'agissant des modalités de recueil et d'instruction ainsi que sur l'accompagnement financier.
En 2016, un décret a mis un terme à l'obligation de recueillir sa carte nationale d'identité dans sa commune de résidence. Ce changement majeur a suscité beaucoup d'interrogations pour les populations concernées comme pour les communes qui, par la grâce d'un arrêté préfectoral, se sont retrouvées désignées « communes équipées d'un dispositif de recueil » et ont dû organiser ce nouveau dispositif.
La question des conditions de l'accompagnement financier s'était déjà posée à l'époque. Dans beaucoup de communes, on s'est aperçu que le temps d'instruction estimé par l'État ne correspondait pas forcément à la réalité sur le terrain. Quelle dotation annuelle envisagez-vous pour compenser le coût de fonctionnement supplémentaire induit par ce nouveau dispositif ?
Il était question d'améliorer le maillage territorial des lieux de recueil, par l'intermédiaire de bus France services. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le calendrier de déploiement ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Dans certains territoires d'outre-mer, les paramètres de sécurité entourant la nouvelle carte d'identité vont à la fois rassurer et déplaire aux auteurs de fraudes. Pouvez-vous formuler un retour d'expérience sur les modalités concrètes de déploiement de la nouvelle carte en outre-mer ?
Les autorités françaises ont souhaité ajouter un certain nombre de dispositifs aux règles de sécurité imposées par le règlement européen, afin de garantir une protection optimale des données à caractère personnel qui y figurent. Quelles sont ces garanties supplémentaires ? Dans quelle mesure sont-elles de nature à permettre une protection effective des données de nos concitoyens ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Monsieur le sénateur Alain Richard, comme vous le savez peut-être, mon mentor en politique était le sénateur-maire du Mans, Jean-Claude Boulard. Celui-ci m'a appris que, entre deux mots, il fallait choisir le moindre et qu'il ne fallait jamais dire « 0 % », « 100 % », « infalsifiable » ou « inviolable »... J'ai retenu sa leçon : je ne m'engage jamais sur l'avenir en ces termes.
Madame la sénatrice Cécile Cukierman, vous avez tout à fait raison de souligner que, en raison de l'engouement pour la carte nationale d'identité électronique, les délais d'instruction des demandes sont désormais un peu plus importants - d'environ 25 jours. Le ministère de l'intérieur a donc décidé de mobiliser des moyens humains pour réussir à réduire les délais d'instruction dont la responsabilité lui incombe. Un plan de renfort de 12 ETP, ce qui correspond à 144 mois vacataires, a ainsi été mis en oeuvre à partir de juin 2021, au bénéfice des 15 centres d'expertise. Compte tenu du niveau élevé du stock, nous avons aussi voulu mettre en place un plan de renfort des effectifs des CERT à compter du 1er janvier 2022, à hauteur de 97 ETP. Cet effort important représente environ 20 % des effectifs des CERT en poste en septembre et doit permettre de traiter le stock, mais aussi de diminuer le délai d'instruction dans les mois à venir.
Au cours du premier trimestre 2022, des rencontres territoriales seront organisées, autour des préfets, avec les communes équipées de dispositifs de recueil. Leur accompagnement pourra se fonder sur les axes d'évolution qui auront été identifiés par l'inspection générale de l'administration, laquelle a réalisé une analyse de l'activité de délivrance des titres en mairie, à la demande de la ministre de la cohésion des territoires et du ministre de l'intérieur.
Pour ce qui concerne la délivrance, celle-ci s'effectue dans la commune où la demande a été déposée, qui peut être la commune dans laquelle on réside. À ce jour, 2 380 communes sont équipées d'un dispositif de recueil. Il est possible que davantage de communes s'engagent, notamment via le dispositif France services, dès lors qu'un agent peut être disponible pour cet accompagnement - cela se fait sur proposition du préfet.
Pour répondre à la question de l'accompagnement financier, une prime de 4 000 euros est versée depuis 2017 aux communes équipées d'un nouveau dispositif de recueil sur un nouveau site. L'idée est de venir en appui aux collectivités et de financer les petits aménagements des locaux des communes.
J'en viens aux étapes de déploiement et au rôle de chacun dans ce dossier. Les travaux de conception de la carte ont tenu compte des obligations que j'évoquais dans mon introduction, avec la volonté d'atteindre la cible de sécurité définie par le ministère de l'intérieur et l'ANTS, une vigilance étant portée notamment sur le visuel. Le volet relatif à la production de la carte relève de l'ANTS, en lien étroit avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques et le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale. Une convention détermine précisément les rôles respectifs de l'ANTS et de l'Imprimerie nationale - chacun a bien respecté son rôle. Le déploiement de la CNI exigeait aussi la révision de deux textes réglementaires, que j'ai détaillés dans mon propos introductif. Enfin, pour ce qui est de la conduite du changement, nous nous sommes beaucoup appuyés sur les retours des trois départements pilotes.
Ces étapes différentes de déploiement ont été coordonnées et évaluées par un comité de pilotage, présidé par le secrétaire général du ministère de l'intérieur et réunissant l'ensemble des acteurs, entre 2019 et 2021.
L'attribution de marchés à IN Groupe est encadrée à la fois par le législateur et par la jurisprudence. La loi prévoit le monopole de l'Imprimerie nationale pour la réalisation des documents à mesures particulières de sécurité, comme les titres d'identité. L'article 2 de la loi du 31 décembre 1993 relative à l'Imprimerie nationale dispose en effet que celle-ci « est seule autorisée à réaliser les documents déclarés secrets ou dont l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité, et notamment les titres d'identité, passeports, visas et autres documents administratifs et d'état civil comportant des éléments spécifiques de sécurité destinés à empêcher les falsifications et les contrefaçons. »
C'est sur le fondement de ces dispositions très explicites que le Conseil d'État a jugé, en 2006, en référé, que, pour un marché de fourniture de passeports électroniques sécurisés et au regard du monopole confié par la loi à l'Imprimerie nationale, le ministère de l'intérieur ne pouvait pas confier à une autre entreprise un marché consistant en la fourniture du composant électronique permettant de stocker sous forme numérique des données relatives aux titulaires des passeports, la fourniture du livret vierge, la personnalisation du passeport électronique, c'est-à-dire la prestation qui consiste à remplir l'imprimé avec les informations relatives aux titulaires des passeports, mais aussi à activer les sécurités logicielles du composant électronique, et, enfin, la distribution des passeports personnalisés.
Le commissaire du gouvernement au Conseil d'État avait d'ailleurs plaidé que tant les évolutions technologiques qu'une meilleure sécurité justifiaient également une telle vision du monopole, afin que toutes les étapes de fabrication, de l'impression à la personnalisation, soient confiées au même opérateur pour plus de sécurisation et moins de falsification.
C'est donc bien au titre de la sécurité des titres et de celle de la procédure de fabrication de ces derniers que le législateur a voulu réserver la production d'un certain nombre de documents, dont les CNI, à l'Imprimerie nationale.
Sur la question de l'encre et des composants, je veux rappeler quelques informations factuelles. IN Groupe est une société à participation exclusivement publique ; elle est donc, en tant que telle, soumise aux règles de la commande publique. Le code de la commande publique ne permet pas de dérogations, sauf si la sécurité ou la protection des documents sécurisés ne peuvent pas être garanties par d'autres moyens. Je crois que le législateur a voulu soumettre l'Imprimerie nationale à un régime spécifique pour protéger les intérêts de l'État sur des problématiques d'une extrême sensibilité, comme l'identité des citoyens.
Pour ce type de documents, le code de la commande publique prévoit des procédures adaptées aux exigences de secret et à la nécessité de l'application des mesures de sécurité. En effet, en vertu de l'article L. 2512-3 du code de la commande publique, sont soumis à ces procédures « les marchés qui exigent le secret ou dont l'exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité conformément aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l'État l'exige, à condition que cette sécurité ou cette protection ne puisse pas être garantie par d'autres moyens. » Cette facilité a donc été utilisée pour des composants qu'une large publication des spécifications exposerait à des risques. Ainsi, certains fournisseurs ont pu être sélectionnés sur le fondement de cette procédure ad hoc dans l'intérêt de l'État et des citoyens. C'est le cas, par exemple, des puces intégrées à la CNI, qui contiennent un certain nombre d'informations. Les exigences liées à ces informations, à la personnalisation de chaque carte d'identité, aux fonctionnalités et aux règles de sécurisation et de chiffrement justifient le choix de limiter la mise en concurrence.
Pour autant, trois fournisseurs, et non un seul, ont été retenus et, au global, 70 % de la valeur du titre résulte de la mise en oeuvre des procédures de droit commun en termes de concurrence, notamment sur le polycarbonate, les encres, le dispositif holographique et les composants électroniques.
Je reviens sur la répartition des rôles, qui sont vraiment différents : l'Imprimerie nationale a la responsabilité de la fabrication des titres et l'ANTS est l'opérateur du ministère de l'intérieur qui définit les cibles sur lesquelles l'Imprimerie doit agir. Elle le fait bien sûr avec la DLPAJ, qui a fourni un travail énorme de préparation.
Pour ce qui concerne les fonctions nouvelles sur le plan de la protection des données personnelles, la nouvelle carte n'a pas seulement vocation à être plus petite, plus pratique ou plus facile à ranger. Elle a aussi vocation à être plus sécurisée, avec la photo incluse dans la puce et le chiffrement des données.
Pour l'heure, 2 millions de cartes ont été d'ores et déjà délivrées et plus de 3 millions de demandes de cartes ont été formulées. Je puis affirmer sans imprudence que, à ce stade, le ministère de l'intérieur n'a eu connaissance d'aucune falsification. La carte nationale d'identité apparaît donc vraiment robuste et sécurisée.
D'ailleurs, si l'un ou l'autre d'entre vous dispose d'éléments concrets ou de témoignages plaidant pour une amélioration, je vous invite à les faire passer au ministère de l'intérieur ou à l'ANTS. Pour ma part, je n'en ai pas. Le taux de satisfaction est, pour le moment, très élevé, et tous les tests de sécurité, de lutte contre la falsification ou contre l'usurpation ont été probants.
Je rappelle que le fichier TES, qui a pu susciter des débats nourris par le passé, contient aujourd'hui l'intégralité des 29 millions de dossiers de demande de passeport biométrique et, bientôt, toutes les demandes liées à la CNI. C'est un coffre-fort numérique unique. Il ne sert qu'à dupliquer les données biométriques pour un renouvellement de titre d'identité sécurisé, à la suite de sa péremption, de sa perte ou de son vol.
Aucune démarche de renseignement territorial n'est accolée à TES. Le déploiement de la CNI exigeait la révision de textes réglementaires, dont l'un concerne TES : il s'agissait de permettre l'utilisation du fichier des titres électroniques sécurisés pour la CNI.
Il est possible de refuser de déposer ses empreintes sur TES. Nous avons ainsi enregistré 6 085 refus de centralisation d'empreintes de la part des demandeurs de passeport - sur plus de 8,7 millions de demandes, ce qui représente 0,069 % des demandes.
La protection des données est assurée par le chiffrement des données incluses dans TES, la signature par l'agent en mairie, les conditions de conservation des empreintes, la surveillance réalisée par le centre de surveillance et des dispositifs comme la puce, le polycarbonate, les empreintes et les éléments d'identité de la République française. Un important travail a été effectué par les services pour disposer d'éléments de sécurisation supplémentaires, au-delà de la puce, du format, des bases chiffrées et de la deuxième photo, avec notamment des bords transparents personnalisés dotés de motifs en relief. Ces derniers illustrent le savoir-faire français, mais sont aussi extraordinairement difficiles à contrefaire. Je me suis d'ailleurs rendue sur le site de l'Imprimerie nationale à l'occasion du lancement de la CNI et ai pu observer son processus de fabrication. J'ajoute qu'à ce stade, aucune falsification n'a pu être réalisée.
On a enregistré 2 660 demandes de CNI avec refus de conservation des empreintes, pour 3 055 837 demandes de cartes nationales d'identité déposées, soit 0,09 % des demandes.
M. Christophe-André Frassa. - Je n'ai pas entendu de réponse à ma question.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Les Français de l'étranger relèvent du droit commun. Les demandes se font de la même manière.
Nous travaillons également à réduire les délais d'obtention de leurs cartes d'identité, même s'il existe évidemment des délais incompressibles d'expédition depuis l'Imprimerie nationale jusqu'aux postes consulaires à l'étranger.
M. Christophe-André Frassa. - La transmission des données depuis la section consulaire de Wellington jusqu'à l'Imprimerie nationale et l'envoi de la carte, surtout s'il n'y a plus qu'un seul centre de fabrication, va prendre un certain temps. Peut-on s'attendre à la même mise en place que pour la carte nationale sécurisée ou l'entrée en vigueur sera-t-elle différée du fait de différentes complications techniques ?
Bien évidemment, le droit commun s'applique aux Français de l'étranger, mais je parlais ici des questions logistiques et techniques - ce sont toujours des problèmes de cette nature qui se posent pour les Français de l'étranger.
Je veux vous en donner un exemple concret : quand on est passé de la carte d'identité papier à l'actuelle carte d'identité sécurisée, des Français de l'étranger se sont fait interpeller et arrêter par des agents de la police aux frontières parce que c'était toujours la carte papier qui était délivrée à l'étranger, alors que la carte nouveau format avait été mise en place depuis un an et demi.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Monsieur le sénateur, merci de ces éléments de précision.
Le nouveau système de la carte nationale d'identité est déjà déployé depuis le 8 juillet. À ce stade, nous n'avons pas eu connaissance de difficultés concernant des demandes de carte nationale d'identité électronique par des Français de l'étranger : la transmission des données s'opère de manière dématérialisée, comme partout ailleurs.
C'est le sens de la réponse que je vous ai faite en évoquant le droit commun : il n'y a pas de procédure particulière pour les Français de l'étranger.
M. Christophe-André Frassa. - Y a-t-il déjà des postes qui délivrent la CNIe ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Oui. Les titres peuvent être remis par un consul honoraire ou par l'autorité de délivrance au cours d'un déplacement dans sa circonscription.
Si vous avez eu écho de problèmes, n'hésitez pas à nous les faire remonter pour que nous puissions effectuer les ajustements nécessaires. Je répète que, pour l'heure, il semble qu'il n'y ait rien à signaler.
Mme Cécile Cukierman. - Madame la ministre, heureusement que, trois mois après la généralisation du déploiement de la CNI, il n'y pas encore de nombreux cas de falsification ! Sinon, cela aurait été un fiasco, et non la grande réussite que vous évoquez.
Je ne remets pas en cause vos propos, mais, aujourd'hui, le rôle et l'organisation d'IN groupe, ses financements et son rapport avec certains fournisseurs sous-traitants ou d'entreprises qui ont été rachetées et intégrées suscitent un certain nombre d'interrogations, dont certaines ont été rendues publiques.
Nous sommes dans un État de droit, il n'appartient donc pas aux parlementaires de se prononcer sur les choix techniques et d'interroger directement l'ANTS sur ces questions. En revanche, nous nous devons de vous interpeller sur la sécurisation de ce nouveau titre. Nous avons voulu vous auditionner au sujet de la nouvelle carte d'identité et formuler des propositions, à charge pour vous d'en tirer les enseignements.
M. François Bonhomme. - Le montant forfaitaire pour chaque station de recueil a bien été revalorisé au 1er janvier 2018, consécutivement à la décision de mettre fin, en 2017, au principe de la délivrance de la CNI dans les communes de résidence. Mais je vous ai interrogée sur la charge que ce nouveau titre représente pour les communes : quel temps celles-ci consacrent-elles à l'ensemble de ces opérations ? Il semble avoir été accru. Quel accompagnement prévoyez-vous pour faire face à cette croissance de volume et de temps ? Je n'ai pas entendu de réponse à ce sujet.
Vous évoquez la possibilité de nouveaux accueils mobiles, grâce à des bus France services. Sous quelle forme, selon quel calendrier ? Il faut un meilleur maillage territorial.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Madame Cukierman, je ne remets pas en cause le fait de venir devant le Parlement. Selon la Constitution, le Gouvernement rend compte de son action devant le Parlement. Je me rends devant vous à chaque fois que vous me le demandez, avec plaisir et honneur. Je tâche de répondre à toutes les questions.
À ce stade, il n'y a aucune falsification - et non « peu » de falsification. Je salue le travail de tous les agents de l'Imprimerie nationale, du ministère de l'intérieur et de l'ANTS, réalisé avec un grand professionnalisme et une excellente coordination. Ce travail préexistait à mon arrivée au ministère.
La nouvelle carte nationale d'identité a une sécurité parfaitement robuste, quasiment « infalsifiable », selon certains. Il s'agit d'un produit multicouches par thermofusion. Les données personnelles comme la photographie ou le nom sont gravés sur une couche profonde de la carte. Une tentative d'effacement à des fins de modification ne pourrait pas être réalisée sans altérer les impressions. Les bords transparents entourant le titre sont conçus pour lutter contre les attaques par abrasion. C'est un élément de sécurité important, qui complique énormément la tâche du potentiel faussaire. Un numéro de document unique permet de s'assurer, lors de contrôles, que la carte présentée n'est pas celle qui a été volée ou perdue. Une image diffractive recouvre la photo de l'usager, dispositif anticopie efficace. Il y a aussi divers éléments de personnification, notamment la technique dite « de l'abrasion ». La photo est présente à la fois au recto et au verso - en miniature -, et gravée au laser. Le cachet électronique visible, à savoir un QR code gravé dans le polycarbonate de la carte, concerne des mentions essentielles apposées sur celle-ci, tout en assurant son intégrité et son origine. Il peut être lu uniquement par les équipements des forces de sécurité intérieure, en cas d'impossibilité d'accéder aux données de la puce. Enfin, la puce électronique contient des mentions apposées sur la carte, sous forme de caractères alphanumériques, ainsi que la photographie - de bonne définition - du titulaire et ses empreintes digitales.
Je n'ai pas proposé aux parlementaires de faire des propositions d'évolutions technologiques. Certains font référence à des articles de presse ou à des sous-entendus. Je ne suis pas à la tête d'IN Groupe, et n'ai pas d'informations sur tel ou tel élément. Si vous avez des questions précises, nous pouvons y répondre, mais je suis là en tant que ministre déléguée à la citoyenneté, qui représente le ministère de l'intérieur.
Les éléments de sécurisation de cette carte sont robustes. L'intégralité des marchés a été passée dans le profond respect des lois de la République votées par le Parlement. Nous respectons le code de la commande publique et le monopole de l'Imprimerie nationale.
Les évolutions possibles concernent à la fois les maisons France services et les bus mobiles France services, qui pourront être dans cette démarche d'« aller vers ».
M. François-Noël Buffet, président. - J'évoquais, dans mon propos liminaire, un article d'Étienne Jacob paru dans l'édition d'hier du journal Le Figaro. Je vous le ferai parvenir pour que vous puissiez nous répondre.
Je vous remercie de votre venue.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 17 h 35, est reprise à 18 heures.
Audition de M. Éric Doligé, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs
M. François-Noël Buffet, président. - En application de l'article L.567-1 du code électoral, nous allons procéder à l'audition de notre ancien collègue Éric Doligé dont la nomination est envisagée par le Président du Sénat pour siéger comme personnalité qualifiée au sein de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.
Cette audition est publique et sera suivie d'un vote qui se déroulera dans cette salle, à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement, à l'issue de l'audition.
Le Président du Sénat ne pourrait pas procéder à cette nomination si les votes négatifs au sein de notre commission représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Nous ne sommes pas dans le cadre de l'article 13 de la Constitution. Les délégations de pouvoirs sont autorisées.
M. Éric Doligé, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. - Je vous remercie de votre accueil.
Je remercie le Président du Sénat, Gérard Larcher, qui m'a proposé d'assumer cette responsabilité, si ma nomination est validée.
Je suis né à Paris à la fin de la guerre ; j'ai étudié à l'Edhec. Après mon service militaire, j'ai intégré une entreprise à l'âge de 25 ans. J'ai dirigé une entreprise, avant de la racheter et d'en prendre la présidence. Je l'ai cédée lorsque j'ai été élu président du conseil général du Loiret, pour éviter tout conflit entre mes fonctions d'élu et celles de responsable économique.
Je me suis lancé en politique en 1977 en concourant dans une liste à Meung-sur-Loire, commune du Loiret de 4 500 habitants. Chef d'entreprise, j'étais agacé par les impôts, normes et autres modifications législatives. On avait l'impression que, tous les mercredis, après le conseil des ministres, le gouvernement de Raymond Barre nous rajoutait de nouvelles contraintes. Je voulais essayer de faire évoluer les choses. Mais, quarante ans après, la situation est plutôt pire... Il faut toutefois rappeler qu'à l'époque, nous étions aussi soumis au contrôle des prix.
J'ai commencé mon mandat municipal comme adjoint aux finances. J'ai ensuite été maire, à partir de 1983 et durant dix-huit ans, puis conseiller général -je le suis resté durant trente ans - et président du conseil général - je le suis resté vingt ans.
En 1988, j'ai été élu député, mandat que j'ai exercé jusqu'en 2001, puis je suis devenu sénateur, pendant dix-sept ans. J'ai donc derrière moi quarante ans de mandats, qui se sont superposés. Je les ai abandonnés au fur et à mesure des nouvelles lois de décentralisation. J'ai quitté le Sénat en 2017.
Parallèlement, j'ai présidé l'Établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents (Epala), à la suite de Jean Royer, durant dix-sept ans. L'Epala a été transformé en établissement public territorial de bassin (EPTB). J'ai présidé l'Association française des EPTB, avant de présider le Centre européen de prévention et de gestion des risques d'inondation (CEPRI), ce qui m'a donné une vision européenne et internationale du sujet. J'ai notamment beaucoup travaillé sur l'Allemagne et l'Angleterre.
En 2020, le Président Gérard Larcher m'a nommé au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), structure intéressante, très technique, qui rassemble à 90 % des représentants de la haute administration, et peu de personnalités externes. Je suis la voix de l'élu et du citoyen extérieur.
J'ai présidé la Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS), ce qui m'a permis de bien connaître la répartition des sapeurs-pompiers, qui sont très importants dans l'aménagement du territoire.
M. François-Noël Buffet, président. - Vous avez présidé aussi la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l'évaluation interne du Sénat et avez été rapporteur de plusieurs textes.
Que retenez-vous de votre expérience comme vice-président, en 2014, de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif notamment à la délimitation des régions ? Ce sujet avait beaucoup intéressé le Sénat.
M. Éric Doligé. - Cette commission spéciale avait un rapporteur de grande qualité : François-Noël Buffet ! Le projet de loi nous est arrivé dans la précipitation. La commission spéciale et le Sénat se sont prononcés très rapidement. Nous avons travaillé sur les limites des régions et des départements, ainsi que sur la fusion éventuelle des départements et des régions...
Avec Jean-Pierre Sueur, nous avons réussi, en dernière lecture, à transformer la région Centre en Centre-Val de Loire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Au moins, on voit désormais où elle se situe !
M. Éric Doligé. - Des journées de débat pour ce grand résultat... Nous avons eu de nombreux échanges. J'en retiens l'extrême complexité du sujet, lorsqu'on veut changer les limites administratives et l'organisation des territoires. Nous avons soulevé ces points, même si nous n'avons pas forcément été suivis. Nous en voyons les conséquences actuellement. Nous avons vécu les lois de décentralisation et la loi de 2013 sur le découpage des cantons et la création des conseillers départementaux à la place des conseillers généraux, avec des découpages savants.
La commission avait regardé les objectifs des lois proposés. Il fallait simplifier, rendre plus claire et moins coûteuse cette organisation, et créer la parité. En dehors de la parité, je vous laisse juges des résultats obtenus dans les autres domaines... C'était passionnant. J'ai rassemblé alors 7 000 recours, que j'ai présentés au Conseil d'État. Cela prouve bien qu'il y avait des difficultés dans les découpages présentés. Ils n'ont pas changé grand-chose, hormis la parité.
M. Alain Richard. - Je me permets de vous présenter des éléments de réflexion. Il n'y a pas eu de modification des circonscriptions depuis deux législatures. Je n'ai pas vérifié quels étaient les écarts de population créés entre circonscriptions. Il me paraît vraisemblable que l'écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne a dû être dépassé dans certains départements, donnant droit à des demandes ou à des décisions législatives de modification des circonscriptions après 2022.
Nous avons un précédent : le projet de loi déposé par le gouvernement d'Édouard Philippe en 2018, qui prévoyait, sur le modèle de l'ordonnance portée par Alain Marleix en 2009, de conserver les cantons entiers pour former des circonscriptions, sauf s'ils dépassaient 60 000 habitants. Or, la taille moyenne d'une circonscription étant d'environ 130 000 habitants, un canton de 59 000 habitants forcément affecté à une circonscription plutôt qu'à la voisine risque de créer des différences assez fortes. Auparavant, la même règle existait, mais avec un seuil de 35 000 habitants. La rigidité était donc moindre. Avec le basculement vers des cantons binominaux, donc deux fois plus gros, on a fait monter le seuil de partage de cantons à un niveau très élevé. Je ne pense pas que la commission sera consultée sur un projet de loi d'habilitation de découpage, mais ce chiffre, qui constituera un précédent, posera des difficultés.
En 1986, quand on a commencé à fixer des règles à ce sujet, on a voulu garder le découpage au sein du département. On ne fait jamais de comparaison entre la population de la circonscription la plus petite et celle de la plus grande au niveau national. Dans les départements, notamment ceux qui ont peu de sièges, le basculement de deux à trois crée des différences de représentativité assez importantes. Nous sommes contraints par la tradition constitutionnelle voulant que le découpage se fasse par département. Mais, en réalité, à l'échelle des circonscriptions, les inégalités sont assez prononcées.
M. Éric Doligé. - La commission est compétente pour le découpage des circonscriptions législatives et le nombre des députés et des sénateurs. Les circonscriptions sénatoriales sont départementales ; la commission n'a pas à intervenir à leur sujet. Cela peut poser un problème à terme, car rien ne dit que les circonscriptions départementales seront toujours les circonscriptions d'élection des sénateurs. Nous l'avons vu dans certains projets de textes proposant une élection des sénateurs à l'échelle régionale. En théorie, la commission ne pourrait pas se prononcer sur ce sujet.
Si nous avions eu plus de recul sur le découpage des régions et si la commission avait été compétente, nous aurions pu mener une réflexion plus approfondie. La Constitution est ainsi faite, mais la difficulté existe.
Comme l'élection est faite en fonction du nombre d'habitants, et non par territoire, la limite de 100 000 habitants, plus ou moins 20 %, pose des problèmes dans certains territoires. Il sera toujours difficile d'éviter des différences entre territoires. Je pense notamment au cas des territoires ultramarins. À Saint-Barthélemy, pour élire un sénateur, il faut 25 grands électeurs... Il ne peut y avoir une égalité parfaite. Dans ce cas, on tient compte des territoires.
Pour les critères de population, il est problématique de regarder séparément les différentes élections. Un regroupement de cantons emporte des conséquences sur les autres élections. Il en est de même en cas de fusion de départements. J'y suis favorable si les départements sont volontaires, et en fonction de certains critères. Mais cela a des conséquences sur les élections à d'autres échelons, par exemple pour élire les députés, car certains cantons peuvent vouloir se regrouper ou se rattacher à d'autres régions. Le Sénat a abordé ces sujets à de nombreuses reprises.
M. François-Noël Buffet, président. - Comment est garantie l'indépendance de la commission prévue à l'article 25 de la Constitution ?
M. Éric Doligé. - L'indépendance est inscrite dans la dénomination de cette commission, mais il faut aussi que ses membres soient indépendants des pouvoirs gouvernemental, politique et médiatique.
Participe de cette indépendance le fait que les six membres sont d'origines totalement diverses, étant respectivement nommés par le Président du Sénat, le Président de l'Assemblée nationale, le Président de la République, le président du Conseil constitutionnel, le vice-président du Conseil d'État... Ils sont a priori indépendants les uns par rapport aux autres. En général, les membres de cette commission ont une certaine expérience des collectivités territoriales, des territoires et de la vie publique. Plus on avance en âge, plus on est indépendant d'esprit et plus on est critique ! Certes, on dépend toujours de son origine et de sa culture. Cela dit, mes présidents de groupe et de parti ont parfois regretté une certaine indépendance de ma part, qui ne s'est pas améliorée avec le temps...
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie. Nous allons donc désormais procéder au vote sur votre candidature.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Éric Doligé aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs
M. François-Noël Buffet, président. - Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 21
Bulletin blanc : 1
Bulletin nul : 0
Nombre de suffrages exprimés : 20
La majorité des trois cinquièmes est de 12.
Pour : 20
Contre : 0
La commission donne un avis favorable à la nomination, par le Président du Sénat, de M. Éric Doligé aux fonctions de membre de la commission indépendante prévue à l'article 25 de la Constitution et chargée de se prononcer par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés et la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.
La réunion est close à 18 h 30.