Jeudi 6 janvier 2022
- Présidence de M. Serge Babary, président -
Audition de M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan, à la suite du rapport « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur »
La réunion est ouverte à 8h30.
M. Serge Babary, président de la délégation aux entreprises. - Monsieur le Haut-commissaire au Plan, nous avons pris connaissance de votre dernier rapport intitulé « Reconquête de l'appareil productif : la bataille du commerce extérieur », alors même que nous venions de lancer nos propres travaux sur les difficultés des PME et ETI en matière de commerce extérieur. En effet, PME et ETI sont en quelque sorte les « cibles » privilégiées des travaux de notre Délégation aux entreprises, instance parlementaire unique en France, créée à l'initiative du Président du Sénat, Gérard Larcher, fin 2014. Nous nous attaquons aux sujets sur desquels les dirigeants d'entreprise nous alertent sur le terrain, afin d'aider les entreprises à se développer et à créer de la richesse et des emplois.
La dégradation continue de la balance commerciale française et la comparaison avec notre voisin allemand nous obligent aujourd'hui à nous saisir du sujet. En outre, la crise sanitaire a révélé notre état de dépendance dans la production de nombreux biens, ainsi que les incohérences des importations pourtant nuisibles à la transition écologique recherchée par ailleurs. Par ailleurs, je retiens l'affirmation très forte dans l'introduction de votre rapport, selon laquelle ce déclassement, sans cause liée à notre capacité, est purement et simplement inacceptable.
Je vais vous donner la parole afin que vous puissiez nous présenter vos travaux et nous expliquer le choix de votre méthode de travail, notamment avec l'identification des 914 postes ou produits devant figurer au coeur de la reconquête stratégique de la France.
Nous aimerions également connaître votre analyse de la situation des PME et ETI françaises, qui souvent regrettent que les grands groupes ne « chassent pas en meute » comme leurs voisins européens pour conquérir de nouveaux marchés à l'étranger. Comment envisagez-vous leur rôle dans cette reconquête ? À quelles difficultés seront-elles confrontées à la fois pour mieux exporter et pour contribuer à cette réappropriation de la production que vous proposez ? Par ailleurs, pensez-vous que l'action de la Team France Export suffira à redresser la situation ?
Enfin, comment analysez-vous la stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur, présentée à Roubaix le 23 février 2018, et sa mise en oeuvre ?
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Si nous avions des voeux à formuler en ce début d'année, voilà un sujet qui devrait être central.
La déploration de la situation de désindustrialisation d'un certain nombre de secteurs et de la balance commerciale de la France est commune. La dégradation s'est produite au cours des vingt dernières années : en 2000, la France devançait encore l'Allemagne. Vingt ans plus tard, le déficit du commerce extérieur français atteint en moyenne 70 à 90 milliards d'euros, l'Allemagne affiche un excédent de 200 à 250 milliards, et cet écart ne se réduit pas. Oserais-je rappeler le slogan que j'avais choisi pour une campagne présidentielle, « Produire et instruire » ? Pour développer une vision stratégique, il faut en passer par cet insupportable et scandaleux constat que la situation et les résultats de la France sont acquis à notre détriment.
Nous sommes un grand pays industriel et agricole. Nous produisons aussi des logiciels et des services culturels de qualité. Nous avons un niveau technologique qui nous permet de construire des satellites, des lanceurs, des bateaux parmi les plus beaux du monde, des sous-marins, y compris nucléaires. Dois-je rappeler qu'un sous-marin nucléaire constitue un arsenal parmi les plus sensibles qu'on puisse trouver sur la planète, comportant une centrale nucléaire, une base de lancement de fusées, l'équivalent de toute une ville dans un tube de 100 mètres de long ? Notre pays produit parmi les meilleurs avions de la planète, les hélicoptères les plus performants, des voitures qui n'ont pas à rougir... Et si je regarde le versant agricole, comment un pays doté des meilleures terres d'Europe, animé par une passion agronomique qui remonte au 16e siècle, d'Olivier de Serres à Henri IV, peut-il se satisfaire d'être ainsi « largué » en matière de commerce extérieur ?
Bien sûr, nous sommes soumis aux lois de la fatalité géologique : nous ne pouvons qu'être déficitaires en matière d'hydrocarbures. Nous avons eu des ressources, notamment un très beau bassin de production de gaz à Lacq, mais elles sont épuisées, et dans le cas très improbable où nous en découvrions d'autres, il serait sans doute impossible de les exploiter face à la mobilisation des associations et des forces anti-industrielles.
Face à tous ces constats, nous avons choisi d'aborder cette question par une analyse fine et détaillée de la situation du commerce, poste par poste, afin d'être en mesure d'élaborer une stratégie. Nous avons isolé 914 postes d'échanges dans lesquels nous sommes déficitaires de plus de 50 millions d'euros, et nous avons apporté un éclairage sur certains postes : par exemple, notre analyse sur les cinq légumes qui composent la ratatouille a montré un déficit de 650 ou 680 millions, soit, tout de même, deux tiers de milliard.
Nous avons tout simplement pensé que si nous réussissions à changer les conditions de la mobilisation du pays sur ces sujets, alors peut-être pourrions-nous rassembler les forces pour que, sur tous les postes où nous pouvons intervenir, il y ait une action nationale. Les compétences sont là, tant en matière de bureaux d'étude que de connectique ou de logiciels, et nous ne saurions pas produire une machine à laver ? Nous savons bien, hélas, que les Français achètent de préférence de l'électroménager allemand. Pourtant, les conditions de production en Allemagne ne sont pas sensiblement différentes des conditions de production françaises. Pendant des années, à longueur d'antenne et de réunions publiques, on nous a opposé deux arguments : premièrement, un coût du travail trop élevé, et, deuxièmement, une monnaie trop chère. Or, avec la robotisation, lorsqu'elle est possible, la part du coût du travail dans le coût de revient du produit s'effondre. Quant à l'euro, regardez les différences d'efficacité sur les marchés entre la France et l'Allemagne, les Pays-Bas, ou l'Italie.
Si nous voulons construire une stratégie sur ce sujet, il faut probablement envisager une mobilisation forte de l'État, associé aux grandes entreprises. C'est précisément l'objet de notre réflexion : construire une stratégie, sans laquelle le modèle de société français risque d'être rapidement mis en cause. Vous disiez tout à l'heure qu'une telle stratégie permettrait à la fois de diffuser de l'emploi et d'améliorer les résultats de notre production nationale. C'est davantage que cela : c'est la condition sine qua non pour conserver le contrat social le plus généreux au monde. La santé, l'éducation et autres services publics sont gratuits, la retraite est garantie à tous, et nous avons une assurance-chômage : tout ceci n'est durable et supportable qu'en fonction de notre démographie et de notre capacité à financer ce modèle. Mais si nous acceptons durablement nos difficultés de production et la sanction qui s'exprime à travers les résultats de notre commerce extérieur, nous ne pourrons tout simplement plus le financer.
Combien de paradoxes inacceptables dans notre pays ! Nous sommes le premier exportateur mondial de pommes de terre mais nous importons des chips et des flocons de purée, comme si cette technologie était hors de notre portée. Nous sommes les premiers exportateurs de bois ronds, c'est-à-dire de bois abattus avant toute transformation (grumes, billes, rondins...) et nous importons la quasi-totalité des produits que nous consommons et, notamment, les produits en bois d'équipement de la maison... Tous les jours, nous perdons des batailles que nous avons la capacité de gagner - capacité technologique, logicielle, algorithmique, robotique - : comment ne pas s'en indigner ?
Peu à peu, nous nous sommes écartés de la préoccupation nationale de la production. Ce qui a été perdu pendant 20 ou 25 ans, c'est une bataille idéologique économique : un certain nombre de décideurs ont tout bonnement considéré qu'une entreprise sans usine était préférable à une entreprise avec usine. On allait acheter sur un rayon, c'était plus facile ! Ce faisant, on oubliait une chose essentielle : lorsque l'on perd un produit, on ne perd pas seulement la production contemporaine du produit et les emplois qui vont avec, on perd également tout l'avenir du produit et tout son historique. On perd la recherche, le design, la commercialisation et peu à peu, on se laisse déporter hors du sillon de la production. Pendant les deux dernières décennies, on a considéré que les technologies nucléaires appartenaient au passé. Ainsi, le savoir-faire de toute une génération de techniciens et de soudeurs a disparu. Notre note sur le sujet a fait un peu de bruit et commencé à changer la manière d'aborder cette question, je m'en réjouis naturellement.
La deuxième raison de cette dérive est d'avoir considéré, philosophiquement et politiquement, que l'intérêt général se résumait à la somme des intérêts particuliers, ce qui signifie qu'en matière économique, l'intérêt général de la nation se résumait à l'intérêt stratégique de chaque entreprise : chacun décidait pour lui-même et « les vaches seraient mieux gardées ». Or, nous nous sommes lourdement trompés, en témoignent certaines aventures industrielles qui se sont achevées dans ce que Marc Bloch appelait une « étrange défaite ». Je pense à Alstom, mais on pourrait faire le tour d'autres grands choix qui ont été faits, en espérant que certains d'entre eux seront rattrapables. Pour ma part, je serais très heureux que les turbines adaptées à la production d'électricité d'origine nucléaire puissent revenir un jour dans le patrimoine national.
Voilà l'idéologie qui a dominé tous les courants d'opinions, y compris à gauche. Il est vrai que l'Union européenne, dominée par la pensée anglo-saxonne, a été terriblement favorisante à cet égard. Nous avions à Lacq la seule usine d'acide acétique en Europe. Elle a été vendue à des Américains, qui ont signé tout ce que nous leur avons demandé de signer : pas de licenciements avant cinq ans, défense de l'usine, etc. Cinq ans et un jour plus tard, l'usine a été fermée et les carnets de commande captés pour une production en Arabie Saoudite. Dans un contexte de tensions internationales, nous voici singulièrement exposés par l'absence d'usine d'acide acétique en Europe. La préoccupation nationale et européenne, du point de vue de la défense et de la simple souveraineté, est aussi gravement mise en cause. Avec l'Académie des sciences, que l'on devrait consulter plus souvent, nous avons fait plusieurs réunions sur ce sujet. Nos grands concurrents, au premier rang desquels les États-Unis, développent de véritables armes dans le combat économique mondial. Leur force de frappe judiciaire, - l'extraterritorialité des décisions judiciaires américaines, la gestion des brevets et des modèles de design, etc. - est telle qu'il est très difficile à une start up française, aussi novateur ou breveté soit son produit, de supporter cette guerre. Il y a vingt ans, un de mes amis avait inventé la carte à puce Gemplus. Il a suffi à quelques intérêts américains de rentrer dans le capital de sa société pour déclencher une guerre juridique et économique qui s'est terminée par la cession de son entreprise aux Américains. Cette histoire, il l'a raconté dans un livre, mais il y en a d'autres : il est probable que les décisions judiciaires américaines mettant en cause, et jusqu'en prison, des dirigeants d'Alstom ont joué un rôle dans le désarmement auquel nous avons consenti.
Si nous suivions cette méthode d'analyse, nous devrions arriver à la définition d'une stratégie nationale de réarmement des capacités de production et commerciales de notre réseau d'entreprises. Nous avons de grandes entreprises qui ont de très grandes capacités parce qu'elles détiennent des brevets, parce qu'elles ont l'habitude des process compliqués, parce qu'elles maîtrisent des logiciels et des algorithmes et qu'elles ont des réseaux commerciaux dans le monde. Simplement, cela ne sert qu'à elles. La notion de partage, l'idée qu'une PME puisse faire appel à la capacité commerciale d'une grande entreprise, est inexistante, du moins dans la pratique. Chacun chasse pour lui-même, au lieu de chasser en meute, alors même que l'intérêt national devrait nous imposer de réunir et rassembler nos forces pour réarmer notre réseau de production. Un État qui déciderait d'être à la fois stratège et fédérateur, c'est-à-dire de réunir autour de la table les 40 à 50 grands secteurs, avec comme objectif de s'intéresser à tous les postes accessibles, pourrait changer la donne, mais il faudrait que cela devienne une obsession nationale pour tout le monde. Je le répète, ce qui est en cause est la durabilité et l'efficacité du modèle de société français.
Bien sûr, cela ne se fera pas par la puissance publique seule, qui n'a plus les grands instruments. Et cela ne se fera pas davantage par le secteur privé seul, parce qu'évidemment, chacun s'intéresse à son résultat et au profil de son résultat dans l'avenir. La capacité d'un État fédérateur à convier les acteurs à s'asseoir autour d'une table et à faire naître cette volonté de reconquête est pour moi une des clés de l'avenir.
Il y a dix ans, je n'aurais pas pu soutenir cette thèse, pour les raisons que j'indiquais, concernant à la fois l'évolution scientifique et technique des conditions de production, et simplement du fait que l'attention de la société ne se portait pas sur ces questions. Vous avez évoqué, monsieur le Président, la question très actuelle des circuits courts, liés à la préoccupation écologique concernant le transport à très longue distance des produits pondéreux ou volumineux. Désormais, la société reconnaît cet enjeu : nous sommes donc exactement au moment où un nouveau train va partir de la gare et ma hantise, c'est que ce train soit le dernier. Nous ne pouvions pas dire cela il y a dix ans, mais je crains que dans dix ans on ne puisse plus le dire. Il est encore temps d'essaimer des compétences en France ou en Europe, de chercher sous d'autres latitudes, comme les Chinois l'ont fait, s'il n'y a pas des capacités industrielles ou agro-industrielles que nous pourrions convaincre à développer des unités chez nous. Vous savez qu'on ne peut pas produire en Chine si on n'a pas de joint-ventures avec les Chinois, et qu'ils n'ont pas fait autre chose que d'aller rechercher des unités à acclimater chez eux. Ma conviction est que la France et l'Europe ne doivent pas écarter l'idée de faire la même chose : nous n'allons pas sur tous les sujets réinventer le fil à couper le beurre ! Pour cela, une condition : il faut que cela devienne une préoccupation nationale, et ce n'est pas aux élus très expérimentés que vous êtes que je vais apprendre que dans notre pays, c'est l'opinion qui dirige. Il faut que cela devienne une question d'électorat, une question de conscience pour chaque citoyen, de son pays et de sa famille, quand on aura compris que tout en dépend. Alors, peut-être, pourrons-nous inverser ce rapport de force implicite qui fait que pendant longtemps, nous avons accepté l'étrange défaite de notre capacité productive. C'est une question vitale et d'urgence nationale.
M. Serge Babary, président. - Nous sommes sensibles, Monsieur le Haut-commissaire, à ce cri d'alarme, et vous en remercions.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Vous avez montré, Monsieur le Haut-commissaire, que des courants idéologiques avaient conduit à penser que, finalement, on n'avait plus besoin d'industrie. J'ai constaté cela en tant qu'enseignante, avec la disparition de la matière « stratégie industrielle », qu'on enseignait à mes débuts, dans les années 90. Je partage l'idée qu'il faut retrouver cette volonté de se réarmer, ainsi qu'un sens du collectif que nous avons aussi perdu au bénéfice d'un individualisme effréné. Dans l'Ain, le département de la plasturgie, de nombreuses entreprises innovantes ont été rachetées à la fin des années 90 par des Américains qui en réalité ne s'intéressaient qu'aux brevets. Nous devons en effet nous projeter dans l'avenir en intégrant le changement de paradigme lié à la transition écologique : comment penser le développement du commerce extérieur avec cette volonté de circuits courts ? Comment protéger les souverainetés, nationale et européenne ?
S'agissant de notre commerce extérieur, il y a une compétitivité coût et hors coûts, et il me semble que ces dix dernières années, la compétitivité coût s'est rapprochée de celle de l'Allemagne. Ce sujet, à mon avis, n'est pas essentiel.
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Il l'est moins !
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Puis, il y a la compétitivité hors coûts, c'est-à-dire notre capacité à innover et à nous positionner sur les secteurs d'avenir, mais aussi la question du savoir-faire et du savoir vendre. Il y a eu des erreurs stratégiques, vous en avez mentionné, pour ma part je déplore que Renault ait perdu son avance en matière de véhicule électrique. Quant au savoir vendre, vous évoquez le « chasser en meute », il y a aussi la question de la formation initiale et notamment un manque de masters enseignant le « savoir vendre » à l'étranger. Comment travailler avec l'Éducation nationale et l'enseignement supérieur pour améliorer nos formations ?
M. Vincent Segouin, rapporteur. - S'attaquer au sujet du commerce extérieur, c'est aussi s'attaquer au sujet sur la place de l'industrie en France. Au problème extérieur correspond un problème intérieur. Dans mon département, la grande entreprise qu'était Moulinex a périclité du fait de la mondialisation. Peu à peu, tous les secteurs ont été touchés : les produits agricoles, la chimie, la pharmacie... On ne chasse pas en meute, déplorez-vous. Pour ma part, je regrette que l'État, lorsqu'il lance de nombreux chantiers et les appels d'offres qui vont avec, oriente systématiquement ses choix vers le moins cher et le low cost. C'est là une approche tout à fait antinomique avec nos choix en matière de politique de protection sociale. Ma question est simple : la Chine, les États-Unis et l'Allemagne, si je ne m'abuse, ont mis en place un patriotisme économique sous forme de taxes - en Allemagne, existe notamment une TVA sociale qui diffère de la TVA pratiquée dans les autres pays européens. Peut-on imaginer que l'inversion de la courbe de notre balance commerciale se fera demain en pratiquant ce patriotisme économique à caractère fiscal ?
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Vous avez absolument raison, Madame Blatrix-Contat, il y a un problème de formation et en particulier de choix des filières de formation nécessaires. Vous évoquez le savoir vendre, la question des masters et je suis absolument persuadé qu'il y a là une des clés de notre avenir. Poursuivons l'exploration de nos faiblesses : nous venons de nous apercevoir qu'il y avait 20 000 emplois à pourvoir dans les métiers d'art, y compris des emplois publics, et qu'on avait le plus grand mal à recruter, parce que les filières de formation ne sont plus adaptées. Pourtant, ces métiers sont valorisants et très bien rémunérés. Attention, ce sont des métiers de la main et nous savons, pour l'avoir tous constaté au cours des dernières décennies, qu'ils n'ont guère été valorisés en France, où les métiers intellectuels ont été hyper valorisés au détriment de tout ce qui touche à la main. Mais 20 000 emplois, c'est tout de même 200 emplois par département, en moyenne, 20 000 emplois très bien payés qui ne trouvent pas preneurs faute de formation adéquate !
Monsieur Segouin, la taxation est-elle la solution ? À condition qu'elle soit envisagée sous l'angle européen, cela est probable. La construction d'un équilibre en miroir des conditions de production et de commercialisation est pertinente. Il y a un grand impératif selon lequel aucun produit ne devrait entrer en Europe s'il ne respecte pas les normes de production que nous imposons à nos producteurs : c'est vrai en matière agricole et c'est vrai en matière industrielle. Évidemment, on en parle, mais qui est décidé à agir ? Or, cette réciprocité, cette symétrie obligatoire et impérative entre ce que nous demandons aux nôtres et ce que nous acceptons des autres devrait être une préoccupation de tous les instants. À cet égard, je crois pouvoir dire que le Président de la République en a une conscience aigüe et il a raison. Si je lis bien entre les lignes, notre capacité à intervenir sur les décisions européennes s'exprime actuellement sur le nucléaire. Amener nos partenaires à constater qu'il constitue la méthode de production d'énergie électrique la moins émettrice de gaz à effet de serre est une victoire de la France. Des taxes nationales iraient-elles dans ce sens-là ? Je n'en suis pas sûr. Au sujet de la TVA allemande, elle est, que je sache, un peu plus basse que la TVA française. Et vous connaissez le mot qu'avait soufflé Alain Madelin à Jacques Chirac : « Tu peux bien mettre une taxe sur les vaches, ce ne sont pas les vaches qui la paieront ». Mais en effet, il y a une préoccupation à introduire dans les esprits, concernant l'importance à la fois pour le contrat social et pour le respect de l'impératif écologique de la réduction du périmètre de transport des marchandises, qui fait qu'une taxe carbone aux frontières de l'Europe aurait tout son sens. Ce n'est pas encore fait, parce que vous voyez bien les changements que cela induirait dans l'équilibre production-importation-consommation, mais si nous voulons de nouvelles conditions de production et de commercialisation, cela passera nécessairement par une capacité d'imposition.
M. Vincent Segouin, rapporteur. - Je souhaiterais revenir sur les appels d'offres.
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Je suis d'accord avec ce que vous dites : pour l'avenir et l'équilibre de la société française, le moins disant n'est pas le mieux disant. Une preuve parmi d'autres : une partie de la recherche pharmaceutique et de notre capacité d'innovation a été terriblement fragilisée parce que les économistes de la sécurité sociale, travaillant avec leur propre cadre de référence, choisissent systématiquement les molécules les moins chères. Cela fragilise terriblement notre recherche et notre innovation pharmaceutique : d'une part, en baissant constamment le prix d'acquisition des molécules, on appauvrit la capacité de recherche et, d'autre part, le prix à l'exportation se calcule à partir de l'habilitation-prix des produits pharmaceutiques. Ce qui signifie que lorsque les prix sont bas à l'intérieur des frontières, il n'est pas possible de les augmenter à l'exportation. Par conséquent, vous avez deux fois raison.
Mme Annick Billon. - Mardi dernier, nous auditionnions la Fabrique de l'exportation, et identifiions un certain nombre de freins : le déficit d'attractivité des métiers de l'export, qui m'a d'ailleurs beaucoup surpris, le barrage de la langue, la nécessité de chasser en meute, et donc, cette culture du collectif qui fait parfois défaut. Comment, à partir de ces constats, aider les PME et les ETI à développer leurs activités d'export ? En Vendée, d'où je viens, les grands chantiers navals exportent bien 80 à 90 % de leur production.
Deux points m'ont interpellée dans votre rapport. Les investissements directs à l'étranger sont réalisés à 75 % dans les régions, et 71 % des projets le sont dans des villes de moins de 20 000 habitants, indiquez-vous. Sachant que les métropoles captent la moitié du produit intérieur brut (PIB), comment expliquer cette attraction pour les villes moyennes ? D'autre part, il y a en France une difficulté à s'adapter aux besoins, ce qu'on appelle un déficit d'agilité. Vous citez l'exemple des kiwis, dont 40 % sont produits en France, ce qui prouve bien que l'on maîtrise cette production. Pourtant, nous importons plus de la moitié de notre consommation. Pourquoi notre agriculture ne s'adapte-elle pas aux changements de consommation ?
Enfin, quel rôle joue le poids de l'administration et des normes dans les difficultés des entreprises françaises à l'exportation ?
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Votre première question s'adresse sans doute à l'ancien ministre de l'Éducation nationale ! La question de la maîtrise des langues étrangères est en effet brûlante s'agissant de nos performances à l'exportation, et je pense que la réflexion sur la démarche pédagogique dans l'apprentissage des langues va s'imposer. Il faut travailler davantage sur cet aspect, de même que s'interroger sur une difficulté propre à la langue française, cet accent tonique situé sur la dernière syllabe, quand la plupart des autres langues (romanes, anglo-saxonnes) possèdent un accent dit remontant. La mélodie de la phrase s'en trouve bouleversée et c'est un point à travailler.
Il nous manque également un instrument de formation continue. Les États-Unis se sont construits grâce aux cours du soir et à la formation tout au long de la vie. Pendant la guerre, les services secrets d'Israël ont mis au point des programmes de formation rapide à la maîtrise d'une langue. Ces chantiers-là doivent être repris à partir de zéro chez nous. Il y a, en France, des gens qui savent faire cela. Il n'est pas rare qu'un enseignant fasse progresser ses élèves trois à quatre fois plus vite que son collègue de la classe voisine. Il n'est pas rare qu'un enseignant du premier degré apprenne parfaitement à lire à ses élèves, quand son voisin de classe aura beaucoup de mal à y parvenir. Pourquoi ne s'intéresse-t-on pas à eux ? La peur de la sanction nous interdit de prendre en compte ce critère et, ce faisant, on s'interdit la progression de masse qui caractérisait la IIIème république. À l'époque, on apprenait dans les écoles normales à composer un tableau noir de façon à ce que l'élève puisse s'y repérer. C'est ce type de travail, humble et nécessaire, qui est à reprendre. Depuis trente ans, ma conviction n'a pas changé : les réussites sont nombreuses, et la révolution accessible, à condition qu'on cesse de les ignorer. Dans les années 90, j'écrivais dans un livre que, dans trente ans, nous aurions tous un micro à la boutonnière et une oreillette à l'oreille qui traduirait instantanément le Chinois, le Japonais, le Coréen ou la langue Thaï. Nous y sommes ! N'êtes-vous pas épatés par la qualité de la restitution de la dictée vocale sur nos téléphones ? Rien qu'en un an, les accords ont formidablement progressé ! Si le génie de l'enseignant ne sera jamais remplacé, la technologie fournit une aide précieuse.
Pourquoi les investissements se dirigent-ils vers des villes de moins de 20 000 habitants ? Il y a un an, nous publiions le premier rapport du plan nouveau : « Et si le Covid durait ? ». Personne n'envisageait cette hypothèse et c'était la première étude en Europe sur ce thème. Or, nous avions tout de même vu beaucoup de choses, notamment un basculement que j'appellerais une « démétropolisation » des localisations de production et d'investissement. Peut-être les investisseurs s'aperçoivent-ils que parmi les facteurs de production, le bon équilibre logement-travail-agrément de vie constitue un atout. Ne plus prendre les transports en commun en période épidémique devient un argument pour les investisseurs, et je pense que c'est ce basculement que nous sommes en train de vivre.
S'agissant des kiwis, vous savez que les Pyrénées-Atlantiques sont un département de production extrêmement efficace. Comme pour les légumes de la ratatouille, nous avons absolument tout ce qu'il faut. Vincent Segouin estimerait-il que nous sommes à égalité de chances avec nos concurrents du point de vue des conditions et normes de production et d'emploi ? Probablement pas, mais cela est votre affaire, en tant que législateurs. Malheureusement, vous savez bien ce qui se passe : chaque vague électorale entend répondre à la pression de l'opinion publique, qui induit une exigence croissante de normes, puis on se plaint après de ce que l'équilibre n'y est pas... C'est vrai et c'est le travail d'une délégation comme la vôtre, n'est-ce pas ? Pardon, Monsieur le Président, d'être un peu vif, mais cela n'entache en rien le respect et la considération que je vous porte. La question du poids des normes est votre affaire ! Un peu celle de l'exécutif, mais vous avez la haute main sur l'exécutif !
M. Jacques Le Nay. - Partout où elle se rend, la délégation aux entreprises fait le même constat : les chefs d'entreprise ont des idées, l'envie d'aller de l'avant, nos ingénieurs sont brillants, le savoir-faire est là, et pourtant, derrière, « ça ne suit pas ». Et pourquoi ça ne suit pas ? Tout simplement parce qu'il y a un décalage entre nos jeunes formés à l'école et la réalité du travail, qui se modifie sans cesse avec les nouvelles technologies et la robotisation. Résultat, les carnets de commande sont pleins mais la main d'oeuvre fait défaut. Je visitais récemment dans mon département les établissements Bernard, qui travaillent sur la construction d'une navette de secours en mer avec 30 personnes : ils étaient 90 il y a dix ans ! Le lendemain, j'apprenais que les établissements Piriou, à Concarneau, rachetaient une usine en Roumanie avec 300 salariés... Et on pourrait multiplier les exemples. Le déphasage entre la formation et la réalité de l'entreprise va jusqu'à interdire à un apprenti de monter sur une échelle ou sur un tracteur. Comment allons-nous former les couvreurs dont nous avons cruellement besoin s'ils ne peuvent pas monter sur une échelle ?! Ces non-sens sont difficiles à vivre pour les chefs d'entreprise.
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Jacques, ces questions devraient devenir obsédantes, et notamment pour ceux qui ont la charge des législations. Ils doivent être pénétrés de cette certitude qu'il n'existe aucune possibilité de sauver notre contrat social si nous ne résolvons pas ces questions-là. Nous connaissons par coeur ce discours généreux de normes sociales, qui produit ces histoires d'échelle et de tracteurs, et en effet, cela est décourageant.
Dans le village où je suis né, une entreprise faisait le meilleur poulet bio des quatre ou cinq cantons alentours. Son dirigeant, un agriculteur jeune et dynamique, pouvait créer quatre emplois tout en leur transmettant l'entreprise. Quatre emplois, et il n'a trouvé personne et a dû fermer l'entreprise. Et pourquoi n'a-t-il trouvé personne ? Et bien, l'entreprise se situe à une quinzaine de kilomètres de Pau et il n'y a pas de moyens de transport. Ensuite, les jeunes refusaient de se lever de bonne heure et de prendre le risque de la transmission d'entreprise.
Tout cela, vois-tu, est lié à de profonds changements sociologiques et dans une démocratie, je ne connais comme moyen d'agir que l'engagement des élus. Nous avons demandé au CNAM (Centre national des Arts et Métiers) d'étudier les déterminants de la localisation des entreprises. La réponse était claire : la localisation dépend du dynamisme de l'écosystème dans lequel les élus jouent un rôle majeur. Le leadership joue un rôle majeur ! Et l'administration ne peut pas assumer ce leadership, nous le savons bien, nous qui avons ou avons eu en charge des collectivités.
M. Serge Babary, président. - Je vous propose de rester en Bretagne avec M. Michel Canévet.
M. Michel Canévet. - Le déficit croissant de la balance commerciale est effectivement un fort sujet de préoccupation. Je me réjouis que, pour une fois, nous soit proposée par le Haut-commissariat au Plan une approche différente que celle qui consiste à déplorer notre déficit. Nous avons encore beaucoup à faire, notamment avec la question pandémique, où l'on s'aperçoit que nous nous sommes approvisionnés en Chine et autres pays en Asie pour les équipements de protection. Il y avait une usine en Bretagne, trois ont été construites, et aujourd'hui elles ont des difficultés puisque la commande publique continue de se diriger vers les équipements les moins chers. Il faudrait un sursaut pour consommer français ! C'est bien la sécurité sociale qui finance tout cela.
Deuxième difficulté, le bois. Nous avons la chance d'avoir une forêt ! Voir tout le bois partir à l'étranger quand nous ne couvrons pas nos besoins de construction, subir la hausse des coûts qui se répercute sur l'accès au logement, tout cela est vraiment problématique. Le bois est une richesse, un investissement dans le temps long : pourquoi n'est-il pas protégé par un agrément autorisant son exportation ? Si nous ne faisons rien, notre bois va disparaître et nous finirons par devenir totalement dépendants de l'étranger, ce n'est pas acceptable.
Autre chantier sur lequel il reste beaucoup à faire, l'économie circulaire. Serons-nous capables de fabriquer les outils nécessaires à la transformation des produits de seconde main ? La demande est de plus en plus forte, mais nous importons l'essentiel des produits recyclés : je cherche la logique.
Enfin, ne pensez-vous pas qu'une approche infranationale, au niveau de la région ou même en dessous, serait préférable à une stratégie nationale ? Chacun ses problématiques : à Dijon, les moutardiers souffrent de l'augmentation du prix des grains au Canada, où ils se fournissent.
Enfin, l'approche de Business France vous paraît-elle de nature à accélérer le développement des entreprises françaises à l'étranger ?
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - S'agissant de Business France, je me suis fixé une règle, conforme aux préceptes développés par Jean Monnet dans ses Mémoires : pas de concurrence avec l'exécutif, et par conséquent, je m'abstiens de tout commentaire, c'est une question de survie de ma fonction. Ma mission consiste à bâtir une stratégie pour les dix à trente années à venir. Cette stratégie doit-elle s'exercer au niveau infra-régional ? Honnêtement, je ne sais pas. La question centrale pour moi, c'est la prise de conscience de l'opinion, car si l'opinion est engagée dans cette prise de conscience, elle gouvernera les gouvernants. Jamais autant que maintenant l'affirmation du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple - qui est dans la Constitution - n'a été aussi vraie, parce que si un sujet est important alors les réseaux sociaux, les reportages sur les chaînes en continu, transmettent une pression sur les gouvernants qui emporte tout sur son passage. La question est donc : cette préoccupation existe-elle ? Le bois est un excellent exemple de l'économie sous-développée dans laquelle nous nous sommes enfermés. Quand j'étais dans les petites classes au lycée, on étudiait dans les classes d'histoire-géo l'économie des pays qu'on appelait « sous-développés » : ils étaient caractérisés par le fait qu'ils produisaient des matières premières et achetaient des produits finis. La valeur ajoutée était donc captée. Voici où nous en sommes aujourd'hui : nous produisons le bois brut et nous achetons des meubles produits avec le même bois à l'autre bout du monde. Mais chez nous, on a voulu monter une scierie importante sur la forêt pyrénéenne, à quelques kilomètres de Pau, et il y a eu une mobilisation des associations contre la scierie, qui n'a pu se faire.
Il y a cette question d'acceptabilité de l'industrie ; il faut apporter des réponses, par exemple l'assurance d'une remise en état du site après exploitation. Nous sommes confrontés au Nimby anglais : « Not in my backyard », mais les mêmes personnes réclament aussi des circuits courts !
Mme Martine Berthet. - La crise sanitaire a amplifié la prise de conscience du consommateur et en cela, elle aura eu de bons côtés. Les Français veulent consommer local pour des raisons environnementales et privilégient les productions bleu blanc rouge dès que possible. Si le consommateur continue à acheter des produits qui viennent de l'extérieur, c'est que la différence de coût est souvent flagrante. Vous dites que ce n'est ni le coût social du travail ni les taxes qui en sont responsables ; je pense pour ma part que les impôts de production restent élevés en France et que nos entreprises ne sont pas du tout sur un pied d'égalité avec les entreprises étrangères : il y aurait là un travail et des propositions concrètes à faire.
Il est vrai, comme vous l'avez montré, que certaines productions ne sont plus acceptées, notamment aux abords des villes : c'est le cas des usines de chimie pharmaceutique, alors que nous étions un des leaders mondiaux. Je pense aussi à nos entreprises métallurgiques en Savoie qui s'étaient installées à côté des cours d'eau et de l'hydroélectricité afin de bénéficier de coûts de production compétitifs : ce n'est plus le cas maintenant, parce l'on n'a pas fait ce qu'il fallait pour qu'elles puissent conserver leur compétitivité. Commençons déjà par protéger ces industries : Ferropem qui produit du silicium dont nous avons besoin pour nos panneaux photovoltaïques, les entreprises qui produisent du sodium et du lithium, protégeons nos entreprises familiales et notamment lorsqu'il s'agit de transmission parce que là aussi nous sommes très mauvais, nous laissons racheter ces entreprises par des entreprises étrangères qui ne font que prendre les savoir- faire et les ferment ensuite.
M. Pierre Cuypers. - Je vous remercie pour votre rapport mais vais être très franc avec vous : nous tournons en rond depuis des décennies ! Notre pays est dépendant à 85 % de ses besoins en protéines, et si le Sénat n'était pas intervenu l'année dernière nous serions totalement dépendants en sucre et en alcool pour les trois années qui viennent. Si nous ne faisons rien, nous allons être complètement dépendants en matière énergétique, alors qu'on prône le développement des énergies renouvelables. Vous dites que tout dépend du législateur, mais j'aimerais connaître les préconisations que vous faites au sujet de la ratatouille évoquée tout à l'heure pour devenir compétitifs. Notre industrie alimentaire se dégrade tous les jours, et pour moi, c'est à la présidence de l'Europe de prendre des dispositions pour que tous les pays aient les mêmes normes et les mêmes contraintes. Pourquoi payer de la TVA sur les taxes ? Et je suis sûr que la main d'oeuvre en France est beaucoup plus chère qu'ailleurs ! Je m'arrête là, mais on pourrait aussi évoquer l'aéronautique.
M. Daniel Salmon. - La France et l'Allemagne évoluent en effet dans le même contexte mondial avec des résultats très différents. Poussons la comparaison un peu plus loin : la France est un pays centralisateur, jacobin ; l'Allemagne, un pays fédéral, avec des Länder très présents. Nous avons la métropolisation, ils ont un tissu de villes petites et moyennes. La France cherche des leaders et de grands champions, l'Allemagne gagne avec des ETI des PME. Nous avons le nucléaire centralisé, les Allemands ont fait le choix des énergies renouvelables, de l'éolien et ils vendent des turbines... Je bouscule un peu mais je pense qu'il y a des points qu'il faut regarder. Nous contemplons beaucoup le monde d'avant, il va peut-être falloir se pencher sur le monde d'après. Circuits courts, école, économie circulaire : comment pouvons-nous nous engager en s'inspirant des modèles qui réussissent à l'extérieur ?
M. François Bayrou, Haut-commissaire au Plan. - Est-ce que tout tient à la centralisation ? Nous sommes près de 70 millions, une taille comparable à celle d'un certain nombre de grandes régions dans d'autres parties du monde, et puis nous avons une tradition nationale, cela ne changera pas de sitôt parce que cela tient à notre histoire. Il y a une chose que je tiens à dire : les législateurs, c'est vous ! Vous avez dit, à très juste titre, que vous étiez intervenus dans le domaine des sucres et des alcools. C'est bien la preuve que vous avez du pouvoir : si vous vous entendez, le pouvoir, il est ici. C'est vous qui votez les budgets. C'est vous qui votez les lois, c'est vous qui contrôlez les normes ! Je dis cela amicalement mais derrière votre question et sa formulation « on tourne en rond », il y a l'idée que le pouvoir, c'est l'exécutif, et que c'est l'exécutif qui ne fait pas ce qu'il faut. Mais il n'y a pas une décision de l'exécutif qui ne passe par votre filtre. C'est comme quand le gouvernement français disait « l'Europe, c'est vous » : il n'y a pas une décision importante de l'Europe qui soit prise contre le gouvernement français. Vous avez toute la capacité d'influence et même parfois de chantage. Personne ne passe, si vous n'êtes pas d'accord. L'Assemblée et le Sénat ensemble, vous êtes la clé. Pour ma part, j'allume les phares pour qu'on essaie d'y voir plus clair sur le chemin.
Pour répondre à Martine Berthet, la question de la transmission est absolument essentielle pour un très grand nombre d'entreprises françaises, mais là encore, c'est vous qui définissez les conditions de la transmission. Précisément, hors des frontières du sujet, je pense qu'un des problèmes de la France est que le Parlement ne mesure pas son pouvoir. Il se plaint de n'en avoir pas assez, mais il n'utilise pas celui qu'il a. Je le regrette beaucoup parce que le Parlement a une capacité très importante d'écoute et de compréhension de la société qui l'a élue. Mais il peut se contenter d'être le parlement de la déploration, il doit pratiquer l'intervention directe. Je reconnais avec vous que les exécutifs successifs ne voient pas ça d'un très bon oeil. Mais vous avez le devoir de défendre et de réinventer le principe anglo-saxon de l'équilibre des pouvoirs, le check and balances. Si vous êtes actifs et l'Assemblée aussi, l'exécutif est obligé de vous suivre. On a perdu l'habitude de cette action directe du Parlement. Et pourtant, comme vous l'avez montré, vous êtes parfaitement conscients et vous êtes des capteurs extrêmement fins, avertis ; simplement, il faut transformer cela en pression. Je vous assure que lorsque vous êtes au gouvernement, vous faites attention à ce que les Chambres vous disent. Pardon de cette mise en cause !
M. Serge Babary, président. - Monsieur le Haut-commissaire, je vous remercie de la part de tous mes collègues de ce très vaste débat. Je rappelle à chacun que le document très intéressant, sur lequel nous devons nous pencher dans les prochaines semaines est disponible. Merci d'avoir éclairé notre route !
Nominations de rapporteurs
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises - Le dernier point de notre ordre du jour nous conduit à désigner des co-rapporteurs pour les deux prochaines missions de la délégation.
Pour la mission portant sur le thème de la transmission d'entreprises, me sont parvenues les candidatures de trois de nos collègues : Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann.
S'il n'y a pas d'autre(s) candidature(s), je vous propose de les désigner. Il en est ainsi décidé.
Nous débuterons également une mission conjointe de contrôle avec la délégation aux collectivités territoriales sur le thème « Revitalisation des centres villes et des centres-bourgs » (suivi du rapport de 2017 de MM. Pointereau et Bourquin).
Gilbert-Luc Devinaz et moi-même nous sommes portés candidats.
Y a-t-il d'autre(s) candidature(s) ? Il en est donc ainsi décidé.
La réunion est close à 10 h 25.