- Mercredi 8 juin 2022
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Mercredi 8 juin 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -
La réunion est ouverte à 10 h 50.
Mission conjointe de contrôle sur le financement de l’audiovisuel public – Présentation du rapport d’information
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. – Nous avons le plaisir d’accueillir le président Laurent Lafon et nos collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pour une séance de restitution des travaux de nos deux rapporteurs sur le financement de l’audiovisuel public.
Comme vous le savez, notre rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », M. Roger Karoutchi, et notre collègue rapporteur de la commission de la culture, M. Jean-Raymond Hugonet, ont conduit, à la demande de nos deux commissions, une mission conjointe de contrôle sur ce thème.
Ce type de travaux conjoints entre nos deux commissions n’est pas un exercice inédit, puisque, déjà, en 2015, notre ancien collègue Jean-Pierre Leleux et notre collègue André Gattolin s’étaient associés pour travailler ensemble et faire des propositions sur ce même sujet. Malheureusement, la question n’est toujours pas réglée et il nous revient de remettre l’ouvrage sur le métier.
La mission de nos rapporteurs est d’autant plus importante que le Gouvernement a annoncé vouloir inscrire dans le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR), que nous devrions examiner en juillet, la suppression de la redevance audiovisuelle. Cette suppression pose de très nombreuses questions auxquelles nos rapporteurs tenteront d’apporter des réponses.
Avant de leur donner la parole pour qu’ils nous fassent part de leurs analyses et recommandations, je laisse la parole au président Laurent Lafon.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Avant toute chose, je tiens à remercier le président Claude Raynal et le rapporteur général Jean-François Husson d’avoir accepté le principe de cette mission conjointe de contrôle consacrée au financement de l’audiovisuel.
Comme vient de le rappeler le président Raynal, il s’agit là d’une étape de plus dans la longue et fructueuse collaboration que nos deux commissions entretiennent depuis plusieurs années sur les sujets relevant de leurs domaines de compétences, et au sein desquels l’audiovisuel public tient une place de choix.
Ainsi, je rappellerai qu’en 2010 nos collègues Catherine Morin-Desailly et Claude Belot présentaient déjà, de concert, un rapport consacré aux comptes de France Télévisions.
Plus près de nous, ainsi que l’a souligné le président Raynal, André Gattolin et Jean-Pierre Leleux proposaient 27 mesures destinées à refonder un audiovisuel public dont ils jugeaient la gouvernance, l’organisation et le financement à bout de souffle. Ils recommandaient de remplacer la contribution à l’audiovisuel public (CAP) par une taxe universelle payée par chaque foyer, solution qui présentait l’avantage de moderniser l’assiette de la CAP en tenant compte des nouveaux modes d’accès aux services audiovisuels.
Après des années de réflexion, d’aucuns diraient de tergiversations, le Président de la République en a décidé autrement. Il a annoncé son intention de supprimer la redevance dès 2022 sans pour autant préciser la nature des ressources qui contribueraient, à l’avenir, à garantir un niveau de financement adéquat à l’audiovisuel public.
À l’issue du conseil des ministres officialisant cette suppression, Bruno Le Maire s’est contenté d’indiquer que « le financement de l’audiovisuel public serait assuré dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d’indépendance des médias ».
Faute de précisions supplémentaires concernant les modalités de ce financement, il nous a semblé nécessaire de confier à nos rapporteurs respectifs, avant l’examen du prochain PLFR, le soin d’examiner les différentes possibilités qui s’ouvrent à nous en ce domaine et d’évaluer les marges de manœuvre restant à notre disposition.
Je remercie par conséquent Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet d’avoir accepté cette mission conjointe et d’avoir travaillé aussi rapidement et efficacement sur ce sujet au cours des semaines écoulées.
Nous sommes impatients, chers collègues, de connaître votre diagnostic sur cette question stratégique, tant pour le financement de l’audiovisuel que pour l’état de nos finances publiques.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. – Nous sommes exceptionnellement rassemblés aujourd’hui pour examiner les conclusions d’un rapport conjoint de contrôle sur le financement de l’audiovisuel public. Ce rapport arrive à point nommé après que le Président de la République a annoncé pendant la campagne électorale son intention de supprimer la contribution à l’audiovisuel public au nom de la défense du pouvoir d’achat.
Une réforme de la CAP était certes nécessaire, le Sénat l’a dit régulièrement depuis 2015, notamment par le biais du rapport de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin. L’évolution des usages a, en effet, tendance à réduire la possession de téléviseurs qui sert de base au paiement de la CAP. La suppression complète de la taxe d’habitation en 2023 condamnait cette ressource et nécessitait d’en trouver une autre. Je rappelle que le Sénat avait fait part de sa préférence pour la création d’une taxe universelle sur le modèle allemand. Cette taxe aurait permis d’assurer la prévisibilité des ressources dans la durée et d’éviter les ajustements intempestifs. Par ailleurs, il me semble que le fait de devoir payer pour bénéficier d’un service ne constitue pas un mauvais principe tant on peut considérer que « ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur ». En supprimant la CAP, c’est le lien entre les Français et l’audiovisuel public qui risque de s’affaiblir.
Nous prenons acte de la décision du Président de la République, qui a fait de la suppression de la CAP un engagement devant les Français. Cette suppression aura lieu dans la prochaine loi de finances rectificative (LFR) et l’enjeu est moins de savoir si nous y sommes ou non favorables que de déterminer les garanties qui pourront entourer la nouvelle ressource publique appelée à financer l’audiovisuel public.
Mais au-delà de la nature et du montant de cette ressource, nous pensons également que la question des missions et de l’organisation du service public de l’audiovisuel doit être à nouveau posée : quels moyens pour quelles missions ?
Face à la révolution numérique en cours dans le secteur des médias, à la « plateformisation » et aux rapprochements engagés entre les médias privés, c’est l’avenir de l’audiovisuel public qui est en jeu. Ses programmes doivent rester attractifs et accessibles.
Pour différentes raisons, la réforme de l’audiovisuel public n’a pu aboutir lors du précédent quinquennat, alors même que le projet de loi Riester promettait des avancées importantes. Le temps perdu ne se rattrape pas, le retard de l’audiovisuel public ne s’est pas réduit au cours des dernières années, bien au contraire. Si Radio France et Arte ont fait preuve d’initiatives pertinentes dans le numérique, on ne saurait en dire autant de France Télévisions avec Salto. Par ailleurs, les mutualisations menées « par le bas » ont très vite trouvé leurs limites. Comme l’ont indiqué plusieurs de nos interlocuteurs, il est difficile pour l’État d’arbitrer lorsque les entreprises n’ont pas envie de travailler ensemble.
C’est la raison pour laquelle nous considérons que la question de la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public constitue un aspect incontournable de son avenir et des moyens qui lui seront consacrés. Alors que le regroupement de l’audiovisuel public semblait utopique en 2015 lorsque le Sénat a proposé la création d’un holding public, il est aujourd’hui considéré comme inéluctable par la plupart des acteurs. Nous proposerons d’avancer dans cette direction de manière plus déterminée, car il n’est plus temps de tergiverser.
Je laisse la parole à Roger Karoutchi pour présenter les aspects budgétaires et financiers de nos conclusions.
M. Roger Karoutchi, rapporteur. – Je dirai les choses sans détour : nous sommes mis brutalement devant le fait accompli et sans négociation préalable. Lors de la campagne électorale, le Président de la République a annoncé la suppression de la redevance audiovisuelle dès cette année. On imaginait qu’elle aurait lieu à l’horizon d’un an, après un débat parlementaire sur une éventuelle réforme de l’audiovisuel. Or la suppression est prévue dès l’adoption de la loi de finances rectificative au mois de juillet, avec le remboursement des versements effectués depuis le mois de janvier par les contribuables mensualisés.
J’aurais de loin préféré un projet de réforme audiovisuelle, examiné dans le cadre d’un débat parlementaire sur les missions et le périmètre du service public. C’était le minimum. Mais la messe est dite...
Nous avons auditionné presque tous les présidents de chaînes de radio et de télévision publiques. Ils nous ont demandé non pas de s’arc-bouter sur la taxe universelle, mais de préserver la prévisibilité et le niveau des crédits publics, ainsi que les moyens de travailler ensemble.
Sur le plan financier, on nous annonce de manière inédite que l’État se dispensera des 3,1 milliards d’euros – 3,7 milliards avec les dégrèvements – que rapportait la redevance. Mais par quoi tout cela sera-t-il compensé ? Pour l’heure, ce sera seulement par le déficit et la dette. Le Président de la République a très clairement évoqué une mesure de pouvoir d’achat. C’est humiliant pour l’audiovisuel public, qui avait besoin de soutiens et de financements.
À la place de la suppression pure et simple de la redevance, plusieurs options étaient possibles ; mais elles ont toutes été refusées par le Gouvernement. Nous les avons également étudiées. Ainsi, la mise en place d’une taxe sur les 12,5 milliards d’euros de ventes de téléviseurs, portables ou autres supports électroniques, imposerait l’application d’un taux de 30 %. Cette mesure ne serait évidemment pas favorable au pouvoir d’achat.
Certains rêveraient que l’audiovisuel public bénéficie d’un prélèvement sur recettes et soit ainsi placé au niveau de l’Union européenne ou des collectivités locales. La dotation accordée serait ainsi garantie sans aucune remise en cause ultérieure par des gels ou réductions de crédits. Cette solution nous paraît impossible, sous peine d’entraîner dans son sillage l’hôpital, l’éducation ou l’armée.
Comment peut-on trouver des garanties pour le financement ? La mission budgétaire détaillera chacun des budgets des différentes chaînes concernées. L’intégration des crédits dédiés à l’audiovisuel public au sein d’une mission budgétaire permettra, en outre, d’inclure ce financement dans la trajectoire pluriannuelle des finances publiques et de répondre ainsi à un impératif de prévisibilité. S’agissant de la garantie, je le rappelle, la contribution actuelle n’en était pas une, et le Parlement avait en théorie la main sur son niveau. D’ailleurs, la diminution d’un euro de la contribution a donné lieu à un vrai débat dans l’hémicycle. Néanmoins, aucune modification substantielle n’a été enregistrée depuis un certain temps, nonobstant, sur la période 2018-2022, les économies de 190 millions d’euros, dont l’essentiel a été réclamé à France Télévisions. Cet objectif a été respecté par les chaînes publiques.
Pour renforcer la garantie de financement, nous proposons également de créer une autorité habilitée, indépendante de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Cette autorité supérieure de l’audiovisuel public – ASAP –, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, compterait quatre personnalités qualifiées nommées par les commissions des finances et de la culture de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’autorité supérieure devra donner au Parlement un avis éclairé pour les votes futurs, en présentant les défis en matière de financement, les évolutions nécessaires sur le montant du financement permettant à l’audiovisuel public d’accomplir ses missions de service public. Les moyens alloués doivent pour le moment être maintenus au niveau existant. Ils seront ajustés en cas de modification du périmètre.
Un débat parallèle s’est tenu sur la ressource complémentaire que représente la publicité. Celle-ci oblige à des efforts d’audimat, parfois étrangers au service public. Pour y remédier, d’aucuns suggèrent d’augmenter la contribution étatique. Nous proposons raisonnablement de maintenir la publicité dans la journée, pour une recette à hauteur d’environ 350 millions d’euros, d’engager les programmes dès 20 h 30, et non pas 21 h 10, et de supprimer tous les parrainages sur France Télévisions et Radio France, qui atteignent environ 70 millions d’euros. Quoi qu’il en soit, un dialogue devra être engagé avec les chaînes publiques. Leurs patrons sont prêts à une redéfinition du service public.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. – J’en viens maintenant à la question des structures et de la gouvernance.
Les différentes sociétés de l’audiovisuel public ont des identités fortes et leurs publics ne se confondent pas nécessairement. L’objectif n’est donc pas de fusionner les offres et d’imposer une seule ligne éditoriale. L’intérêt d’un regroupement est de rassembler les moyens pour être plus efficace, plus innovant et plus puissant, en particulier sur le numérique. Les coopérations entre les entreprises de l’audiovisuel public n’avancent pas, car elles nécessitent de trancher des différends entre les diverses directions et de faire arbitrer les différentes tutelles. Il aura fallu quatre ans pour mettre en place les matinales communes à France 3 et à France Bleu ; plus de cinq ans après sa création, France Info ne dispose toujours pas d’une rédaction commune, tandis qu’en matière d’éducation France Télévisions et Arte ont lancé des offres concurrentes faute de pouvoir se mettre d’accord.
Le temps est venu de mettre un terme à une exception française. Seules la France et la Suède disposent aujourd’hui d’un audiovisuel aussi dispersé entre radio d’un côté et télévision de l’autre.
Depuis 2015, les coopérations menées ont eu pour mérite de rapprocher les équipes et d’inscrire dans les esprits l’horizon du rapprochement. Il n’est donc plus indispensable de passer par l’étape transitoire que constituait la holding que nous proposions en 2015. C’est une fusion de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) que nous proposons aujourd’hui : un seul dirigeant, un seul conseil d’administration, une seule stratégie déclinée sur différents supports pour atteindre tous les publics.
La création d’une entreprise unique doit permettre de concentrer les moyens et de supprimer les nombreux doublons. Elle devra certes s’accompagner d’une convergence des statuts des personnels, mais celle-ci pourra se faire dans la durée, notamment en proposant un nouveau statut commun pour les nouveaux embauchés. Nous proposons que cette entreprise unique soit créée au 1er janvier 2025, ce qui laisserait deux années pour voter un texte de loi et préparer le rapprochement des structures.
La création de cette société unique de l’audiovisuel public national, qui pourrait reprendre le nom de « France Médias », n’aurait pas de conséquences sur le statut d’Arte France et de TV5 Monde, qui conserveraient leur spécificité et leur autonomie.
Trois chantiers prioritaires pourraient être lancés par cette nouvelle société concernant le numérique, l’information et l’offre locale.
Concernant tout d’abord le numérique, nous pensons essentiel de mieux positionner l’offre de programmes publics sur les interfaces des distributeurs et sur les télécommandes des téléviseurs avec une touche spécifique qui donnerait accès à l’univers des programmes publics. L’objectif ne serait pas nécessairement de créer une offre unique, mais il s’agirait de mieux coordonner l’accès aux offres publiques à travers un portail commun.
La création de la société unique permettrait cependant à France Télévisions de créer une nouvelle offre numérique à la suite de la sortie de Salto en agrégeant des programmes du groupe de télévision, de l’INA et des captations de Radio France.
Concernant l’information, nous préconisons d’inverser la logique qui existe aujourd’hui. Au lieu de conserver des structures séparées et exceptionnellement de réunir des moyens pour poursuivre des objectifs communs, il s’agirait de créer une véritable newsroom, c’est-à-dire une structure commune réunissant l’ensemble des journalistes de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde, qui pourrait être organisée en trois pôles distincts couvrant respectivement l’international, le national et le local. Ces pôles seraient chargés d’alimenter les différents supports et antennes qui pourraient conserver leur identité. L’existence d’une telle newsroom francophone permettrait de supprimer les doublons, de renforcer l’expertise et de favoriser la réactivité. Les rédactions en langues étrangères seraient maintenues et développées au sein du pôle international, tandis que le pôle local aurait pour mission de développer le maillage régional et ultramarin sur l’ensemble des supports.
Enfin, concernant précisément l’offre locale, l’enjeu aujourd’hui est de créer un véritable média de service public territorialisé qui puisse décliner son offre éditoriale sur tous les supports. C’est la raison pour laquelle nous proposons de réunir France 3 et France Bleu dans une même filiale de la société unique qui pourrait être dénommée « France Médias Régions ». Cette structure aurait pour mission de réorganiser à la fois l’offre et la présence territoriale de France 3 et de France Bleu pour proposer des programmes conçus au plus près des territoires en partenariat avec les collectivités territoriales. Cette fusion de France 3 et de France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs.
Voilà, brièvement, les contours du projet d’avenir que nous proposons pour un audiovisuel public regroupé, conforté et repensé. La suppression de la CAP crée une incertitude, voire des craintes de la part des responsables de l’audiovisuel public. Nous proposons donc de changer de cap pour mettre fin à l’éparpillement des moyens et des initiatives.
Un projet ambitieux tourné vers l’avenir et le numérique avec une offre éditoriale recentrée sur les valeurs du service public constituera, à notre sens, la meilleure façon d’obtenir de la part de l’autorité indépendante dont nous proposons la création – l’ASAP – un niveau de financement suffisant.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. – Merci, messieurs les rapporteurs, pour cette synthèse de votre mission conjointe. Nous passons à la séquence des questions-réponses.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. – À mon tour de remercier les deux rapporteurs spéciaux. Nos débats d’aujourd’hui anticipent ceux que nous aurons lors du prochain PLFR. Indépendamment du bien-fondé de la contribution à l’audiovisuel public, la suppression brutale de cette contribution représentera 3 milliards d’euros en moins pour les finances de l’État. Ce n’est pas négligeable, d’autant que ce sujet n’a fait l’objet d’aucun travail préparatoire. Comme l’a signalé Roger Karoutchi, c’est la politique du fait accompli.
Faute de recettes nouvelles, pourrait-on réaliser des économies en supprimant des doublons et, si oui, dans quelles proportions ?
M. David Assouline. – Comme l’a dit Roger Karoutchi, la suppression de cette redevance est une décision historique, et non un simple ajustement. Celle-ci conforte notre exception française, puisque ce mode de financement est dominant dans tous les grands pays démocratiques européens. Non seulement nous ne l’avons pas modernisé comme l’ont fait nos voisins, mais il va être supprimé ! Conséquence : le lien qui existe entre les Français et l’audiovisuel public – « l’actionnariat populaire », selon les termes de Jack Ralite – sera rompu, entraînant inéluctablement une perte de visibilité. Je connais cette pente : c’est le premier pas vers la privatisation de l’audiovisuel public ou de certaines de ses composantes.
Une telle suppression exige un vrai débat parlementaire, une réelle concertation. Elle est sortie du chapeau durant la campagne présidentielle, et selon M. Karoutchi, on ne pourrait pas faire autrement. Auriez-vous déjà abdiqué ? Nous avons la main sur les questions budgétaires, et même si le combat paraît perdu d’avance, le Parlement exercera au moins son devoir de débat et de remise en cause de cette décision qui est tout sauf anodine.
J’appelle l’ensemble de mes collègues à continuer à défendre la redevance, en vertu de notre consensus sénatorial et du rapport de M. Leleux, qui préconisait de créer une contribution universelle à l’instar de l’Allemagne.
Enfin, une inflation de 5 % représente 125 millions d’euros, qui devront être ajoutés pour que l’audiovisuel dispose des mêmes moyens qu’avant. Sinon, bien que masquée, la baisse sera nette. Compte tenu des difficultés financières déjà existantes, les prévisions concernant le financement du secteur ne sont plus garanties. De « bonnes âmes » invoqueront la privatisation, qui ne coûterait rien aux contribuables. En réalité, les 3,7 milliards d’euros seront payés d’une autre façon. Mais cela fragilisera un édifice ancien garant de notre audiovisuel public de qualité !
M. Philippe Dominati. – Je remercie les rapporteurs de ce coup d’éclairage sur l’audiovisuel public. Sachant que notre pays est le deuxième le plus fiscalisé d’Europe, la suppression d’une redevance ou d’une taxe ne me chagrine pas. J’avais d’ailleurs proposé à plusieurs reprises des amendements en ce sens.
Le prérequis est de savoir quel est le domaine de l’audiovisuel public ? Actuellement, il y a sur la mosaïque plus de chaînes de télévision que de boulangeries. Faut-il pour autant des redevances pour financer les commerces traditionnels ? Je ne le pense pas. Mais il faut redimensionner le périmètre, qui est beaucoup trop large. Le fait de supprimer la redevance au lieu de provoquer la réforme n’est pas nécessairement négatif.
Nous n’avons pas évoqué la concentration. En défenseur de la concurrence, je ne suis pas favorable à une grande société. Or ce débat semble masquer la fusion problématique de deux chaînes privées. Effectuée dans l’indifférence générale, elle est destinée à obtenir 75 % des recettes publicitaires.
M. Pierre Ouzoulias. – Merci aux deux rapporteurs pour leur important travail, réalisé à chaud. Depuis longtemps, la culture finance essentiellement ses nouvelles missions par de la fiscalité affectée. Avec la suppression de la redevance, le Gouvernement fait machine arrière afin de remettre dans le budget général le financement d’un service public. Il aurait fallu qu’il expliquât sa doctrine budgétaire en la matière.
Comment financer le service public de la culture ? Jusqu’à présent, on considérait que la solution provenait des utilisateurs. Un autre moyen de financement pourrait émaner du budget général de la Nation. Avant tout, il faut s’interroger sur la nature du service public de l’audiovisuel. À quoi sert-il ? Je regrette que la question ait été abordée ainsi ; l’audiovisuel méritait mieux...
M. Marc Laménie. – Merci aux présidents, aux rapporteurs, et à tous ceux de nos collègues qui participent à ce débat complexe. Quel est le rôle du Parlement ? Nous avons le sentiment d’être mis devant le fait accompli ; n’oublions pas l’histoire de l’audiovisuel public. Comment compenser les 3,7 milliards d’euros de moindres recettes fiscales ? Que faire pour remédier à ce nombre pléthorique de chaînes ? Quid du rapport de nos collègues de 2015 ? Comment faire pour qu’il ne reste pas lettre morte ?
Mme Sylvie Robert. – Merci à nos rapporteurs pour cette mission de contrôle. Je vois dans ce rapport une question de forme et de fond. Le fait d’acter la suppression de la CAP entraînera des conséquences très importantes. Plusieurs hypothèses auraient pu être envisagées, et le rapport de M. Leleux de 2015 appelait une réflexion approfondie.
Nous serons le premier pays européen à supprimer le dispositif, bien que sa fragilité ait été encadrée. L’Allemagne a au contraire augmenté la taxe – fixée à 220 euros – et l’a modernisée. La suppression de la CAP pose aussi la question de l’avenir d’Arte France ; c’est un travail commun très performant, notamment sur sa plateforme numérique. Cette décision historique interroge sur la capacité de la France à maintenir le financement de l’audiovisuel public et de Arte. Elle est extrêmement dangereuse en termes de concentration et risque d’appauvrir toute la filière, notamment le cinéma.
M. Jérôme Bascher. – Merci aux rapporteurs. Je n’ai pas du tout le même ressenti sur le rapport. Il s’agit selon moi d’un travail prospectif en cas de suppression de la CAP. Il n’est nullement question « d’acter », et nous avons tous à cœur que le Parlement vote les recettes et les dépenses.
On peut s’interroger tous les ans sur le montant de la redevance ou sur la dépense publique au profit de l’audiovisuel public, mais cela ne change rien au résultat dans la loi de finances. Certes, nous n’avons pas eu le courage de moderniser les choses depuis vingt ans, mais Bercy n’est pas le seul responsable. L’influence des grands promoteurs de l’internet a aussi joué un rôle.
Les gains de productivité résultant de la fusion ont-ils été chiffrés ? L’objectif est-il juste de prélever des recettes sur le dos du privé ?
M. Michel Laugier. – Je remercie les présidents et les rapporteurs. Cette suppression est inattendue, mais nous commençons à être habitués à cette pratique depuis la disparition de la taxe d’habitation, dont les 24 milliards d’euros n’ont jamais été compensés.
Le Sénat a toujours été proactif dans ce domaine – je citerai à mon tour le rapport de Jean-Pierre Leleux. Devant le fait accompli, le Sénat vient encore en première ligne pour formuler des propositions intéressantes sur la réforme de l’audiovisuel public. À l’ère du numérique, la réforme est indispensable. Comment financer cette nouvelle organisation du secteur ? Et pour quel montant ?
M. Éric Bocquet. – Je n’ai pas bien compris l’origine de la ressource qui financerait cette nouvelle mission budgétaire. Cette annonce de suppression de la redevance au détour d’une campagne électorale témoigne d’un véritable mépris des missions de service public. À ce propos, je partage l’appel de David Assouline à se mobiliser.
Dans les années 1980, la privatisation de TF1 avait été engagée au nom du « mieux-disant culturel ». Peut-on s’en remettre à la loi du marché pour réguler la situation ? L’enjeu est politique. Il est urgent de résister, de porter une autre ambition pour le service public. Et le lien indéfectible entre la Nation et son service public octroie un droit de regard. Souvenons-nous des questions posées dans le rapport de la commission d’enquête relative à la concentration dans les médias au sujet de la crédibilité de l’information et de la déontologie.
M. David Assouline. – Une question a surgi dans l’actualité concernant le sport, qui est de plus en plus rare à la télévision publique du fait des coûts élevés des droits de retransmission et de la disparition de la publicité sur le service public de l’audiovisuel après 20 heures. Ce phénomène touche particulièrement le football, le Tour de France et Roland Garros, où un match important a été diffusé le soir sur Amazon. Avez-vous envisagé la possibilité d’autoriser la publicité tardive pour des retransmissions sportives importantes ?
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. – À titre personnel, je pense que le présent rapport reste prudent, à une époque où un certain nombre de budgets sont soumis à des baisses régulières. En définitive, comme on l’a vu à d’autres occasions, les diminutions d’impôts se répercutent sur la dette. Le gouverneur de la Banque de France a lui-même déclaré qu’il fallait arrêter de diminuer les impôts. Quant à la mission des inspections, il faudrait disposer de ses analyses pour adopter une position. A cet égard, il me semble que notre mission se prononce un peu tôt dans le débat politique qui doit s’ouvrir sur ce sujet.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Je tiens à signaler la qualité des travaux réalisés et le bien-fondé du calendrier des propositions. Nous sommes le 10 juin, le processus de suppression de la CAP sera achevé à la fin du mois de juillet. Il fait partie d’un ensemble de mesures populaires en ce qu’elles portent sur le pouvoir d’achat. Le risque est de remplacer le débat par une approbation pure et simple et d’affaiblir le levier public. C’est pourquoi j’approuve les propositions de nos deux rapporteurs, qui abordent aussi la question sous l’angle structurel. La proposition de fusion vise en effet à réorienter le débat vers une réflexion plus stratégique. C’est peut-être autour de ces notions que pourrait se dégager le consensus sénatorial.
M. Roger Karoutchi, rapporteur. – Les déclarations du Président de la République lui appartiennent, et je ne suis pas celui qui a annoncé que la suppression de la redevance audiovisuelle passerait en conseil des ministres ce mois de juin, puis devant le Parlement au mois de juillet. J’entends que les législatives puissent changer la donne, mais tant que ce gouvernement est là et fait des propositions, nous nous devons de réagir et d’agir. Le débat sur la taxe universelle, évoqué par le président Lafon, est bien sûr légitime et nous pouvons nous faire plaisir en faisant valoir notre position, mais ce n’est pas ce que propose le Gouvernement. Or, jusqu’à preuve du contraire, il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale...
Tous les présidents de chaînes nous ont mis en garde : « Si vous vous arc-boutez sur la défense de la redevance alors qu’elle sera de toute façon supprimée, vous ne nous protégerez pas par ailleurs. » Nous devons donc avancer et profiter du débat qui aura lieu au mois de juillet pour demander des garanties et des ajustements tenant compte de l’inflation. Tant qu’une réforme d’ampleur de l’audiovisuel redéfinissant le périmètre des missions de service public ne sera pas sur la table, les moyens actuels dont dispose l’audiovisuel public doivent être assurés.
Je tiens par ailleurs à rassurer mes collègues en ce qui concerne Arte et TV5 Monde, qui sont protégées par des traités internationaux. Elles disposent de plusieurs actionnaires européens et ne sont pas tributaires d’une simple réforme budgétaire à l’échelle de la France. Nous souhaitons que ces chaînes bénéficient d’un effort budgétaire, notamment en direction de la plateforme numérique d’Arte, qui constitue un réel succès. TV5 et l’ensemble des chaînes de France Médias Monde ont également besoin de moyens supplémentaires, car la présence de la France dans la francophonie et dans le monde est une nécessité de service public. Je suis un ferme défenseur du service public. Nous pouvons discuter des missions et du périmètre de l’audiovisuel public, mais il n’est pas question de le remettre en cause ; nous devons au contraire le protéger. Si nous souhaitons la création d’une autorité, qui serait en réalité à la main du Parlement, lequel nommera quatre des cinq membres qui la composent, c’est bien pour qu’il soit amené à jouer un rôle essentiel dans la définition des moyens actuels et futurs accordés à l’audiovisuel public.
Si on se contente d’afficher notre désaccord sur la suppression de la CAP, la position du Gouvernement ne changera pas et nous n’obtiendrons aucune garantie lorsque le texte sera examiné. La mission budgétaire doit être garantie, en liaison avec l’ensemble des responsables de chaînes publiques.
S’agissant de la fusion des différentes chaînes, qui pourrait aboutir à terme à des économies comprises entre 5 % et 10 %, même les présidents de chaînes qui y sont très favorables estiment que dans l’immédiat, il y aura un coût.
Notre position est simple : nous n’avalisons pas la suppression de la redevance par plaisir, mais nous souhaitons que le Parlement ne soit pas mis devant le fait accompli en juillet. Pour ne pas perdre la main et pour éviter que les gels et réductions de crédits soient décidés sans contrôle, nous devons définir des seuils et mettre en place une autorité indépendante qui protégera l’audiovisuel public.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. – Je souscris aux propos de mon collègue.
En réponse à Sylvie Robert, concernant la situation d’Arte France, je tiens à rappeler que son rythme budgétaire est par nature différent de celui des autres chaînes de l’audiovisuel public, car il s’agit d’une chaîne franco-allemande. À ce titre, Arte France est davantage tributaire d’une vraie relation d’État à État entre la France et l’Allemagne que de la redevance audiovisuelle. Bruno Patino, son président, estime avoir besoin de 30 millions d’euros pour le développement de la plateforme numérique, dont le succès est avéré. Les Allemands sont prêts à abonder, la France est à la traîne.
Notre collègue David Assouline a mis l’accent sur le sport. Le sport est rare, et donc cher… C’est une responsabilité de l’État, qui accorde une délégation de service public aux fédérations sportives, d’imposer que des matches soient diffusés sur des chaînes gratuites. À partir du moment où des lots sont affectés à l’issue d’appels d’offres avec l’assentiment de l’État, c’est le plus offrant qui emporte la mise. Mais il est scandaleux qu’Amazon ait récupéré gratuitement des données par milliers à l’occasion de la diffusion d’un match de tennis.
Enfin, pour répondre au président Raynal, qui jugeait notre rapport plutôt prudent, disons qu’il s’agit d’une sagesse sénatoriale. Quant à l’attente des rapports d’inspection, sincèrement, de qui se moque-t-on ? Depuis 2017, nous savons que la taxe d’habitation sera supprimée et que la contribution à l’audiovisuel public, qui y est adossée, le sera par conséquent également. Nous disposons d’excellentes administrations, à Bercy ou ailleurs, pour réfléchir à ces sujets. Le fait de créer deux missions d’inspection n’a convaincu personne ; la décision sera validée.
Marc Laménie l’a dit tout à l’heure, nous devons à nos prédécesseurs, notamment André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, un historique et une compétence particulière sur l’audiovisuel. Nous avons donc un rôle moteur à jouer au Sénat, en nous montrant à la fois prudents et avant-coureurs.
Les recommandations des rapporteurs sont adoptées.
La commission des finances et la commission de la culture autorisent la publication du rapport d’information.
La réunion est close à 12 h 00.
Jeudi 9 juin 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Philippe Diallo, vice-président, Mme Florence Hardouin, directrice générale, M. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles et M. Didier Pinteaux, responsable sécurité de la Fédération française de football (FFF)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur les dysfonctionnements intervenus lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier, en recevant cet après-midi une délégation de la Fédération française de football conduite par son vice-président, Philippe Diallo, et sa directrice générale, Florence Hardouin. Je vous remercie, madame, messieurs, d’être venus cet après-midi répondre aux questions des membres des commissions des lois et de la culture du Sénat.
Cette finale ne fut pas seulement une occasion heureuse de voir deux des plus belles équipes européennes, le Liverpool Football Club et le Real Madrid, s’affronter. Elle fut aussi une expérience malheureuse pour de nombreux supporteurs, qui dénoncent des violences commises à proximité du stade ou dans les transports en commun.
Nous souhaitons comprendre l’origine de ces dysfonctionnements – deux ans avant les jeux Olympiques de Paris 2024, ils ont été constatés par des millions de téléspectateurs à travers le monde – et en tirer tous les enseignements.
La Fédération française de football étant chargée d’organiser cet événement avec l’Union européenne des associations de football (UEFA), nous voudrions connaître précisément les informations dont vous disposiez sur les risques en termes de sécurité publique. La grève du RER B avait-elle été suffisamment anticipée ? Quels furent la teneur des réunions de préparation et le degré de coordination entre les différents acteurs ? De manière plus générale, quelle est votre interprétation du déroulement de cette soirée ?
L’une de nos difficultés est de savoir exactement qui décide de quoi et qui fait quoi dans cette organisation somme toute assez complexe, sans parler de tentatives pour se « renvoyer la balle ». La semaine dernière, devant nous, le ministre de l’intérieur déclarait ainsi : « Madame la ministre des sports et moi-même n’organisons pas les matchs de football en France, nous ne tenons pas la billetterie, nous n’embauchons pas les stadiers, nous ne contrôlons pas les billets et nous ne touchons pas l’argent qui va avec... La responsabilité est donc à tout le moins partagée dans cette affaire. » C’est bien ce partage que nous aimerions analyser. Quelle est votre part de responsabilité dans les dysfonctionnements constatés ? Quelles sont les erreurs que vous identifiez avec quinze jours de recul ?
Je vous laisse à présent la parole pour un quart d’heure maximum, avant que les sénatrices et les sénateurs présents ne vous interrogent.
M. Philippe Diallo, vice-président de la Fédération française de football. – Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de donner l’occasion à la première fédération sportive française de livrer ses éléments objectifs d’appréciation des incidents qui ont eu lieu lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier.
Je veux commencer par exprimer, au nom de la Fédération française de football, des regrets très sincères sur ces graves incidents, et dire aux fans de Liverpool et du Real Madrid, qui étaient venus en grand nombre supporter pacifiquement leur équipe, que nous condamnons avec une extrême fermeté les actes qui ont été commis par des individus qui se sont comportés comme des délinquants, et dont le sort relève désormais de la justice. Le football est un jeu, assister à un match est un plaisir ; il doit le rester.
Vous le savez, c’est en raison de la guerre en Ukraine que l’UEFA a décidé d’exclure les clubs russes des compétitions et de délocaliser la finale de la Ligue des champions, initialement prévue à Saint-Pétersbourg. Le 25 février, l’UEFA a choisi la France et le Stade de France. Dans l’urgence qui était la sienne, l’UEFA a considéré que la France et la FFF présentaient les garanties nécessaires pour accueillir un événement d’une telle ampleur.
Depuis l’inauguration du Stade de France en janvier 1998, la Fédération française de football a organisé très régulièrement des matchs à guichets fermés dans cette enceinte, c’est-à-dire avec plus de 75 000 personnes présentes. Ces rencontres se sont déroulées dans des conditions optimales de sécurité pour les acteurs du jeu comme pour les spectateurs. En vingt-quatre ans, nous n’avons eu à déplorer que deux très graves incidents : en 2001, avec l’envahissement du terrain à l’occasion du match France-Algérie et, bien sûr, le 13 novembre 2015, lors du match France-Allemagne, où le Stade de France a été le théâtre d’une attaque terroriste, causant la mort d’une personne et en blessant 56 autres.
Dans ces circonstances extrêmes, dramatiques, l’action concertée des services de l’État, du Stade de France et de la Fédération française de football a permis d’éviter un bilan plus lourd encore. En matière de grandes rencontres rassemblant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, nous ne sommes donc ni des novices ni des amateurs.
L’organisation de l’Euro en 2016 et de la Coupe du monde féminine en 2019 sont d’autres exemples du savoir-faire français en matière d’accueil des grandes compétitions. Plus récemment, le 8 mai dernier, la finale de la Coupe de France s’est parfaitement déroulée, alors que le match était pourtant classé par la préfecture de police à un niveau de risque 4 sur une échelle de 5.
Enfin, le 3 juin, la Fédération a accueilli dans de parfaites conditions de sécurité près de 80 000 personnes pour le match France-Danemark. C’est donc avec la conviction de notre capacité à faire que nous avons accueilli la décision de l’UEFA de confier à la France l’organisation de cette finale de Ligue des champions.
Si la fierté et l’enthousiasme étaient les sentiments dominants, nous avions aussi conscience du défi qui était le nôtre : plus grand match de clubs dans le monde, la finale de la Ligue des champions suscite chaque année un intérêt planétaire, qui conduit plus de 300 millions de personnes à regarder le match à la télévision. Quant aux spectateurs, nous avons reçu plus d’un million de demandes de billets pour un stade de 75 000 places. Pour faire face à cet engouement et pour respecter le cahier des charges de l’UEFA, il faut habituellement dix-huit mois de préparation pour un tel événement. Nous en avons eu seulement trois…
Pourtant, sans la grève du RER B, la multiplication des faux billets et les comportements délictueux, nous aurions relevé ce défi. J’en veux pour preuve les deux « fan zones », organisées sur le cours de Vincennes à Paris et à Saint-Denis en moins de dix jours, qui ont accueilli plusieurs dizaines de milliers de supporteurs sans que nous ayons à déplorer d’incident majeur.
Toutefois, bien évidemment, nous ne serions pas devant vous cet après-midi si tout s’était déroulé comme nous l’espérions.
Pour conclure, et avant de laisser la parole aux autres membres de notre délégation, je voudrais souligner que la finale de la Ligue des champions constitue à nos yeux une très regrettable exception dont nous tirerons tous les enseignements pour nous améliorer et continuer d’accueillir à l’avenir des tournois finaux de grandes compétitions, comme nous avons su le faire avec succès par le passé.
Mme Florence Hardouin, directrice générale de la Fédération française de football. – Mesdames, messieurs, je souhaite appuyer les propos de notre vice-président Philippe Diallo. Au nom de la Fédération française de football, nous regrettons sincèrement les graves incidents qui ont eu lieu au Stade de France le 28 mai dernier. Nous ressentons un sentiment mêlé de tristesse, de colère et d’indignation. Tout le monde attendait cette finale. Elle aurait dû être la fête du football européen, mais elle a été gâchée. Nous devons tous ensemble tirer des enseignements de ce qui s’est passé pour que cela ne se reproduise plus.
Pour organiser les finales de coupe d’Europe, l’UEFA demande toujours de l’aide aux pays et fédérations hôtes, qui agissent sous le contrôle et la validation de cette dernière.
En l’occurrence, en quoi consistaient les missions des différents acteurs ?
Le Stade de France était chargé de mettre à disposition le stade et d’assurer la sécurité incendie de l’événement, l’accompagnement dans l’élaboration et la validation des dossiers de sécurité ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs de contrôle d’accès et la restauration grand public.
La première mission de l’UEFA est de commercialiser la billetterie et les prestations d’hospitalité. Elle livre également la rencontre sportive, les contreparties des partenaires télé et marketing, les animations sur le parvis et dans l’arène, la signalétique directionnelle à l’intérieur et aux abords du stade et l’habillage de l’enceinte.
Quant à la FFF, sa première mission est d’assurer la sécurité privée, c’est-à-dire la mise en place du dispositif de stadiers et d’agents d’accueil aux points de préfiltrage, aux portes du stade et à l’intérieur du stade, de concevoir le plan d’acheminement des spectateurs, le recrutement et la gestion des volontaires, et d’assurer les relations avec les villes hôtes, le Gouvernement et la sécurité publique. Les villes hôtes se chargent pour leur part d’organiser l’animation dans leurs communes.
La FFF a analysé quatre types de difficultés, situées essentiellement à l’extérieur du stade, qui ont conduit aux incidents constatés lors de la soirée du 28 mai, ces derniers ayant été aggravés par une succession de dysfonctionnements.
La première difficulté tient à l’arrivée aux abords du stade d’un nombre de spectateurs nettement supérieur à la capacité de l’enceinte et à la présence de faux billets : 110 000 personnes ont ainsi été acheminées au Stade de France, pour une capacité de 75 000 places. Selon les données fournies par la RATP, 6 200 personnes sont arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Selon les données de la FFF, 450 cars ont acheminé 20 905 personnes aux abords du stade. Enfin, selon les données de la préfecture de police, 6 680 personnes sont venues en taxi et 4 111 en véhicules légers. Cet afflux massif a créé une situation inédite d’engorgement des dispositifs de contrôle en préfiltrage et aux portes du stade.
Initialement, l’UEFA devait exclusivement commercialiser sa billetterie sous forme électronique, avec un système de blockchain non falsifiable. Cependant, à la demande des clubs, elle a accepté que Liverpool obtienne 20 000 tickets au format papier – c’est-à-dire la totalité de ses billets –, le Real de Madrid 6 000, la ville de Saint-Denis 600 et celle de Paris 280. Or ces titres papier ont permis la fabrication de faux billets. Nous savons que 2 471 billets ont été scannés aux tripodes du stade avec un résultat inconnu, ce qui est la marque d’un code-barre frauduleux.
À titre d’exemple, pour de grands événements comme des concerts internationaux, il est arrivé que l’on identifie jusqu’à 300 faux billets. Le 28 mai, leur nombre était beaucoup plus élevé. Entre 18 heures et 21 h 35, 57 faux billets ont été scannés toutes les cinq minutes, et 66 % d’entre eux l’ont été sur les trois portes X, Y et Z, situées dans le secteur sud dédié aux supporteurs de Liverpool. Par ailleurs, sur ces fameuses trois portes, qui permettaient de faire entrer 15 000 personnes dans le stade, un billet sur dix était faux, avec pour conséquence un engorgement des portes.
Il est toutefois très difficile aujourd’hui d’évaluer avec précision le nombre de faux billets qui ont circulé. Il convient en effet d’ajouter aux faux billets scannés aux tripodes ceux qui ont été identifiés au niveau du préfiltrage et dans les « fan zones ». Une enquête de police est en cours. L’on sait déjà qu’une personne a été prise avec un sac de 50 faux billets à la « fan zone » du cours de Vincennes et que l’on a identifié environ 250 faux billets lors du préfiltrage. Par ailleurs, certaines personnes ont pu entrer dans le stade sans billet à la faveur des incidents.
La deuxième difficulté tient à la gestion des flux de spectateurs en provenance des transports en commun. Le mouvement de grève de la RATP sur le RER B a conduit à reporter une très grande partie des spectateurs sur le RER D, occasionnant des congestions très significatives entre la sortie de celui-ci et la zone de préfiltrage, qui ne compte à cet endroit que 10 couloirs de palpation, contre 20 à la sortie du RER B. Ces congestions ont bien entendu été aggravées par l’afflux de personnes dépourvues de billet ou munies d’un faux billet. Le RER D a ainsi vu transiter 36 000 personnes, au lieu de 10 000 à 15 000 d’ordinaire pour une manifestation de ce type, alors que la ligne B n’a été utilisée que par 6 000 personnes, contre 30 000 habituellement. Ce déport massif a été aggravé, dès la fin de l’après-midi du 28 mai, par des messages en gare qui indiquaient de ne pas utiliser la ligne B, mais plutôt la ligne D pour se rendre au stade, alors même que 4 trains sur 5 fonctionnaient sur la première. Cette situation a essentiellement concerné les supporteurs de Liverpool. À 21 h 00, heure du coup d’envoi théorique, seuls 63 % d’entre eux étaient assis en tribune. En revanche, 99 % des supporteurs de Madrid, qui étaient majoritairement venus par la ligne 13, étaient installés à leur siège.
Nous avons rencontré une troisième difficulté, touchant, d’une part, à la vérification des billets aux points de préfiltrage par les agents de sécurité et, d’autre part, au positionnement, en soutien, des forces de l’ordre. La FFF, le soir de la finale de la Ligue des champions, a proposé un dispositif de 1 680 agents de sécurité privée. Cela représentait 17 % de personnes en plus par rapport au 8 mai dernier, où 1 400 agents étaient déployés pour la finale de la Coupe de France, match classé au niveau de risque 4 sur une échelle de 5. Comme pour chaque match, ce dispositif est validé par la préfecture de police. Parmi ces 1 680 agents, 258 étaient répartis aux points de préfiltrage, avec deux missions distinctes. La première était la palpation, conformément au plan Vigipirate, la seconde la vérification de la validité des titres d’accès, effectuée soit via un stylo chimique, pour les billets papier, soit via une carte électronique, pour ceux qui souhaitaient activer le QR code sur leur téléphone. Nous n’avons connu aucun problème de fiabilité quand les stylos étaient passés sur l’étiquette. Cette double tâche demandée aux agents de sécurité, sans mentionner les flux massifs de personnes à certains endroits, les a mis en difficulté, à tel point que le préfiltrage au niveau du RER D a été « relâché » pendant quinze minutes pour éviter des écrasements de personnes. « Relâché » signifie qu’il n’y avait plus de contrôles et que tout le monde pouvait pénétrer sur le parvis, aux abords du stade. Les agents de sécurité, aussi nombreux et formés soient-ils, ne peuvent pas contenir une telle pression de la foule sans être assistés par les forces de l’ordre ; c’est pourquoi un dispositif complémentaire a été mis en place par la préfecture de police, comme pour la finale de la Coupe de France. Cependant, les forces de l’ordre, placées, en majorité, derrière les stadiers, n’ont pas eu la possibilité d’agir efficacement.
La quatrième difficulté touchait aux agressions et intrusions. De très nombreux délinquants ont profité de cette finale pour se rendre au Stade de France, dans le seul but de pénétrer dans l’enceinte sans billet, de voler et d’agresser les supporteurs des deux clubs présents aux alentours. Nous n’avions jamais vu cela. Nous avons tous vu, à la télévision, sur les réseaux sociaux, des images et des témoignages, comme ceux de salariés de la FFF qui, je les cite, ont eu « la peur de leur vie ». Le centre d’accréditation de l’UEFA placé à proximité immédiate du Stade de France a été envahi par des délinquants, à tel point que nos collègues ont dû s’enfermer dans leur bureau et sont restés bloqués pendant quatre heures. Pourquoi s’en prendre à ce centre ? Tout simplement pour voler des accréditations, afin d’entrer dans l’enceinte... La présence très importante de ces délinquants a obligé les forces de l’ordre à intervenir à de nombreuses reprises, mais cela les a détournées de leur mission de sécurisation des points de préfiltrage et des accès. Ces actes inacceptables ont contribué à créer des engorgements de personnes aux portes du stade et ont semé la peur parmi les spectateurs.
M. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles de la Fédération française de football. – Comme l’ont dit mes collègues, ces événements sont regrettables. Nous avons préparé du mieux que nous le pouvions, dans les trois mois qui nous étaient impartis, la finale du 28 mai. Nous avons mené de très nombreuses réunions avec le préfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris, avec M. Cadot et ses équipes de la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges), le préfet de police de Paris, le préfet du département de Seine-Saint-Denis et l’ensemble des acteurs.
Il faut en tirer les enseignements et se demander comment, collectivement, nous pouvons progresser, dans la perspective de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques, pour faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas et pour organiser au mieux l’accueil des spectateurs.
Notre première recommandation est en lien avec le plan de mobilité. Nous insistons sur la nécessité de le définir conjointement et d’avoir, au sujet des flux de personnes qui viennent au Stade de France, une communication en temps réel entre l’organisateur que nous sommes, la préfecture de police et les opérateurs de transports publics.
Dans le cas de la finale de la Ligue des champions, la FFF a organisé, en lien avec l’UEFA, un plan de mobilité relatif au dispositif d’accueil et d’orientation. Cela signifie que nous avons pris en compte l’acheminement de l’ensemble des spectateurs en provenance des deux clubs finalistes dès le moment où ils posaient le pied sur le sol français jusqu’aux différents lieux où ils pouvaient être amenés à se retrouver. Pour les autocars, nous avons défini, avec l’aide du Stade de France, de la ville de Saint-Denis et de Plaine Commune, un dispositif d’accueil pour séparer les supporteurs. Schématiquement, la partie nord du Stade de France était dédiée à ceux du Real Madrid, la partie sud à ceux de Liverpool et aux personnes invitées par l’UEFA et les différents partenaires de la compétition. Nous avons travaillé sur ce plan pendant trois mois, sous l’égide de la préfecture de Seine-Saint-Denis, qui nous a fortement accompagnés pour le mettre en œuvre. Une fois ce plan élaboré, nous avons défini l’accueil et l’orientation des personnes qui venaient par les aéroports, principalement Beauvais, Charles-de-Gaulle et Orly.
Dans le cas des supporteurs de Liverpool, nous avions trois typologies. « Je suis supporteur de Liverpool, avec un billet, je veux me rendre au Stade de France » était l’une d’entre elles. Dans ce cas, dès l’arrivée dans un aéroport ou dans une gare, un plan d’acheminement était défini, car nous avons contractualisé, avec les différents opérateurs, Aéroports de Paris, l’aéroport de Beauvais, la RATP et la SNCF, un dispositif d’accueil et d’orientation. Nous sommes allés jusqu’à proposer des plans pour arriver à destination, toujours avec la contrainte très forte consistant à différencier les flux et à faire en sorte que les supporteurs de Liverpool ne croisent jamais les supporteurs de Madrid. Nous avons également pris en considération la capacité d’emport du RER B par rapport au RER D, la taille des flux et des couloirs de palpation pour inciter les supporteurs à s’orienter majoritairement vers le RER B. Nous avons travaillé avec la RATP et la SNCF pour les orienter en diffusant des annonces dans les stations, en anglais et en français.
Autre typologie : « Je suis supporteur de Liverpool, je n’ai pas de billet, mais je veux me rendre dans la fan zone ». Quel que soit votre emplacement dans Paris, vous aviez des informations pour vous y rendre. De même, pour le Real Madrid, nous avons fait en sorte d’avoir un maillage dans la plupart des stations, dans Paris, que ce soit à travers des messages sonores, des hôtes et hôtesses ou des plans.
J’insiste sur la communication en temps réel. À partir du moment où a été prise la décision de réorienter les flux, nous aurions dû avoir l’information pour pouvoir faire preuve de souplesse ; par « nous », j’entends le Stade de France, la FFF pour l’accueil des spectateurs, la préfecture de police, mais également la RATP et la SNCF pour l’orientation. Si nous avions eu l’information, en milieu d’après-midi, que le flux du RER B était poussé vers le RER D, nous aurions pu avoir le temps de repenser notre dispositif. Avec l’accord de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), nous aurions pu faire évoluer le positionnement des forces mobiles et repenser notre dispositif d’accueil au niveau des couloirs de palpation.
Voilà pour nous l’enseignement important : nous avons beau construire des dispositifs pour accueillir et acheminer les spectateurs dans les meilleures conditions, si certaines personnes prennent des décisions sans en référer aux autres acteurs concernés, cela ne fonctionne pas.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Pouvez-vous préciser votre pensée ?
M. Erwan Le Prévost. – Nous n’avons pas eu l’information que le flux du RER avait été dévié par la RATP.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – La préfecture de police ne vous a pas prévenus non plus ?
M. Erwan Le Prévost. – La préfecture de police n’avait pas non plus l’information. Aux alentours de 18 h 30, nous avons connu un afflux massif de supporteurs en provenance du RER D, alors que le dispositif que nous avions mis en œuvre prévoyait une capacité d’accueil maximum orientée vers le RER B.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – La RATP ne vous a pas prévenus ?
M. Erwan Le Prévost. – Exactement.
Pour terminer mon propos, nous sommes allés jusqu’à prévoir la signalétique du dernier kilomètre. Certaines personnes ont dit qu’il n’y avait aucune signalétique aux abords du Stade de France : évidemment, c’est complètement faux. Avec l’UEFA, nous avons balisé ce dernier kilomètre, prévoyant un dispositif pour orienter les spectateurs en fonction de leur arrivée par la ligne 13, le RER B ou le RER D. Nous sommes allés jusqu’à prévoir une procédure permettant, en cas d’engorgement, aux supporteurs en provenance du RER D de se diriger vers l’arrivée du RER B, où l’avenue est plus large, pour accéder au Stade de France et aux couloirs de palpation.
Un autre enseignement que nous souhaiterions mettre en avant concerne la coordination. Organiser un événement, c’est évidemment coordonner toutes les parties prenantes ; organiser une finale de Ligue des champions est un événement à part. Cela ne revient pas uniquement à prendre en compte le Stade de France et ses dix-huit portes d’accès, mais aussi l’ensemble des flux piétons, véhicules, autocars et transports en commun qui y donnent accès. Nous recommandons vivement qu’à l’avenir nous nous coordonnions avec la préfecture de police de Paris pour construire le dispositif d’accueil et de sécurité de l’événement.
Vous avez, sur un événement comme celui-là, 75 000 personnes à acheminer. Notre métier est de les prendre en charge aux points de préfiltrage et aux portes du Stade de France ; le métier de la RATP et de la SNCF est de nous amener ces spectateurs ; la compétence de la DOPC est de nous aider à encadrer ces personnes pour qu’elles soient accueillies dans les meilleures conditions de sécurité. Le samedi 28 mai, la RATP, à travers les lignes B et D du RER, nous a envoyé un flux de supporteurs ininterrompu sur lequel nous n’avions pas d’information. Le RER B ou D, c’est huit trains par heure, avec pour chacun une capacité d’emport de 1 600 à 2 000 personnes qui sont acheminées vers le Stade de France sans information sur la situation à la sortie de la gare, que nous devons faire entrer en nous assurant qu’elles ont un titre d’accès valable, qu’elles respectent les consignes du plan Vigipirate et qu’elles sont au bon endroit. Quand vous nous poussez entre 12 600 et 20 000 personnes par heure, la chose devient extrêmement compliquée dès que vous rencontrez des difficultés d’engorgement. Il faudra faire en sorte, demain, que nous co-construisions nos dispositifs, pour que les forces de sécurité privée et leur positionnement soient en adéquation avec les forces de sécurité publique. Le dernier France-Danemark en est le meilleur exemple : cela a fonctionné parce que nous nous sommes parfaitement coordonnés. La FFF portait la responsabilité de l’organisateur, la DOPC nous a accompagnés pour prendre en compte l’ensemble des supporteurs et leur permettre d’accéder au Stade de France dans les meilleures conditions.
Un troisième enseignement a trait à la billetterie dématérialisée. Le sujet est simple : un billet papier est falsifiable. L’enquête qui est menée aujourd’hui, pour laquelle nous avons été auditionnés jeudi dernier, pour laquelle l’UEFA va être prochainement auditionnée par la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), est en train de prouver que la fraude était massive, organisée par des imprimeurs professionnels. C’est à l’issue de cette enquête que nous connaîtrons le nombre de faux billets qui ont été dupliqués et imprimés. La certitude que nous avons, c’est qu’aucun e-billet n’a pu être falsifié. Nous recommandons vivement, pour les prochains événements, si le Gouvernement donne son accord, que l’accueil ne se fasse qu’à la stricte et unique condition qu’aucun billet ne soit en version papier. Cela évitera un nombre considérable de fraudes, de faux billets et permettra de fluidifier les accès au Stade de France.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Votre dernier propos attire mon attention. Alors que ce n’était pas la règle pour ce type de compétition, pourquoi avons-nous accepté les billets papier pour le club de Liverpool ? On se rend compte que les supporteurs sans billets papier, notamment madrilènes, ont accédé sans trop de difficultés au stade.
Ma question est donc celle-ci : pourquoi avoir accepté le recours aux billets papier sachant que les risques de falsification sont réels ?
J’aurai une deuxième question. M. Diallo nous a rappelé les circonstances ayant conduit la France à se porter candidate pour organiser le match de football à Paris, tout en précisant qu’il faut habituellement dix-huit mois pour préparer un tel événement. Pourquoi dix-huit mois ? Du fait de notre expérience assez grande, nous, Français, avons répondu positivement pour l’organiser en trois mois. À quoi sont utiles ces dix-huit mois ? Qu’a-t-il manqué, dans les trois mois qui étaient impartis, pour remplir la mission correctement ?
Troisièmement, vous avez en charge les stadiers, notamment ceux qui vont accueillir le public. Vous en avez prévu plus que d’habitude, il n’y a aucun doute sur ce point. Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous les recrutez, la formation qu’ils reçoivent ? Si moi, demain, je veux être stadier au Stade de France, comment dois-je procéder ? Qu’allez-vous me demander ?
Enfin, je peux noter, il me semble, une petite contradiction entre ce que vous indiquez et ce que nous a dit le préfet de police ce matin. Ce dernier a précisé qu’il s’était concentré sur le risque terroriste. La gestion de l’événement aurait été abordée de cette manière, prenant également en compte, pour éviter tout problème majeur, le risque d’écrasement des gens. Dans le même temps, la sécurité en tant que telle, à l’égard de ceux qui ont perpétré des actes de délinquance, aurait été laissée un peu de côté. Je parle sous le contrôle des collègues qui étaient là ce matin… Toutefois, à l’instant, vous semblez dire l’inverse : que l’obligation pour les forces de l’ordre d’intervenir contre les délinquants était absolument essentielle, d’où leur moindre présence aux lieux de filtrage.
Nous avons besoin de comprendre : deux avis différents, deux positions différentes, pour des gens qui ont travaillé ensemble sur l’organisation de cet événement. Ce n’est pas suffisamment clair.
Mme Florence Hardouin. – Concernant les billets papier, comme je vous l’ai dit en préambule, l’unique instance qui a la main sur la commercialisation de la billetterie est l’UEFA. Au départ, tout était prévu pour que l’ensemble du public puisse avoir des billets électroniques. Face à la forte demande des clubs, l’UEFA a autorisé Liverpool et le Real Madrid à disposer de billets papier. Madrid n’en a demandé que 6 000, alors que Liverpool a demandé sous ce format la totalité de ses billets. C’est factuel. L’instance qui a autorisé la délivrance et la possibilité d’avoir des billets papier, c’est l’UEFA, qui est seule responsable de la commercialisation de la billetterie.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Je ne dis pas que c’est vous : ce qui m’intéresse est de comprendre le mécanisme. De fait, les supporteurs madrilènes avaient un billet papier pour certains ?
Mme Florence Hardouin. – Oui.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Et, là, il n’y a pas eu de difficultés ?
Mme Florence Hardouin. – Non.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Pour être clair, il n’y a donc pas eu de fraude, de ce point de vue.
M. Erwan Le Prévost. – Liverpool a demandé qu’on lui permette de commercialiser 22 000 billets pour l’ensemble de ses supporteurs. Ils ont l’habitude de le faire en version papier. La demande de Madrid, elle, visait à répartir les flux ; leurs 6 000 billets papier étaient pour des clients internes du club : les partenaires, les sponsors, les familles. Les autres billets étaient pour les supporteurs. Effectivement, il n’y a eu aucune falsification de billets du côté madrilène.
Au sujet de votre question sur le délai de dix-huit mois, c’est l’un des requirements de l’UEFA. Quand vous candidatez pour organiser une finale de championnat, vous candidatez trois ans avant la date de l’événement. Vous répondez à un cahier des charges de l’UEFA, qui prévoit, quand vous avez été choisi, qu’à dix-huit mois de la manifestation vous devez mettre en place un comité d’organisation local, en lien avec l’association européenne. Les huit premiers mois, vous devez lui proposer un cadre d’organisation dans lequel vous faites appel aux différentes parties prenantes. La première des parties prenantes d’une finale de Ligue des champions, c’est l’État. Vous demandez à ce dernier un certain nombre de garanties concernant cette manifestation, apportant des éléments d’appréciation qui permettent d’assurer que vous accueillerez la manifestation dans les meilleures conditions. Il s’agit par exemple de faciliter les formalités douanières, l’accueil du public, mobiliser les transports et l’ensemble des acteurs du territoire qui concourent à la manifestation. Vous rentrez ensuite dans la dernière année : un an consacré à l’organisation, qui s’oppose aux trois mois que nous avons eus. Nous ne sommes pas capables de vous dire si un an est un délai suffisant ; nous pouvons cependant affirmer qu’en trois mois, exception faite du jour de la finale, avec le concours de l’ensemble des acteurs, nous avons rempli les obligations que nous imposait l’UEFA : les différentes lettres de garantie, la capacité de mobiliser les aéroports d’Orly et Charles-de-Gaulle, avec une capacité à voler de nuit, ce qui normalement n’existe pas. Nous avons obtenu des accords, que ce soit pour permettre le transport des supporteurs au moyen de différents bus et autocars ou pour mobiliser des parkings aux abords du Stade de France, en concertation avec la ville de Saint-Denis et le groupement Plaine Commune.
Je vais vous donner un élément de comparaison. Nous parlions de la finale de la Coupe de France : avec deux publics de 20 000 supporteurs respectivement, cela a engendré 180 autobus. Pour la finale de la Ligue des champions, nous en avions 450. Ce n’est pas le même événement !
Ce que nous avons également réussi à construire en trois mois, c’est un dispositif d’organisation générale qui a fonctionné. Ce qui a manqué, c’est du temps pour préparer l’imprévu. Si la manifestation est allée à son terme, c’est en partie parce que nous avons rempli nos obligations. Nous avons su faire en sorte que le Stade de France accueille 75 000 personnes et pas plus. Si des groupes de supporteurs, finalement repoussés, avaient enfoncé des portes, comme cela a pu être évoqué ce matin par M. le préfet de police, nous nous serions retrouvés dans l’enceinte du stade avec une capacité largement supérieure à celle qui est autorisée. La décision que nous aurions alors dû prendre, c’est de ne pas autoriser la rencontre, ce qui aurait eu des conséquences bien plus dommageables en matière de troubles à l’ordre public.
Oui, nous avons manqué de temps pour nous assurer, avec l’ensemble des parties prenantes, que la grève des transports n’entraînerait qu’une perturbation minimale du trafic, et n’aurait pas pour conséquence un déport des flux. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu nous tourner vers la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) pour nous assurer qu’elle partageait la façon dont nous avions conçu notre dispositif, notamment le préfiltrage.
En revanche, nous n’aurions jamais pu prévoir, croyez-en mon expérience – j’ai travaillé pendant dix ans au Stade de France –, un tel afflux de délinquants.
Le dispositif prévoyait douze points de préfiltrage venant compléter l’environnement du Stade de France, qui a beaucoup évolué depuis 1998 : lorsque j’ai commencé à y travailler, je voyais des champs depuis mon bureau ; aujourd’hui, la zone est devenue complètement urbaine, elle est saturée par les immeubles. Didier Pinteaux, qui a fait un travail remarquable, et moi-même avons mis en place des points de préfiltrage pour rendre l’enceinte hermétique.
Florence Hardouin prenait l’exemple de gens qui se sont introduits à travers le centre des accréditations ; j’ai d’autres exemples à vous donner pour montrer à quel point cette manifestation était hors norme en matière de délinquance. Des gens sont passés à travers des restaurants pour entrer dans le périmètre protégé. D’autres ont fracturé les accès à une école qui constituait une barrière naturelle autour du Stade de France : ils ont cassé la grille et ont déverrouillé la porte de l’intérieur pour pénétrer dans le périmètre d’accès protégé. Dans le cadre de Paris 2024, une passerelle est en train d’être construite pour relier le Stade de France à la piscine olympique. Ce chantier se trouve 4,80 mètres en contrebas du parvis du stade. Les gens y sont entrés par effraction et se sont fait la courte échelle pour accéder au parvis.
Nous convenons tous que nous aurions pu anticiper et prévoir la grève, les faux billets et cet afflux massif de supporteurs, si nous nous étions mieux coordonnés. En revanche, une telle délinquance n’aurait jamais pu être prévue.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Et qu’en est-il de la formation des stadiers ?
M. Didier Pinteaux. – Pour gérer cette manifestation, la FFF a fait appel à dix sociétés : huit sociétés de sûreté et deux sociétés d’accueil. Depuis le covid, nous avons beaucoup de difficultés à trouver du personnel compétent dans le domaine de la sûreté. Ces huit sociétés nous ont fourni environ 1 650 personnes, détenant toutes un certificat de qualification professionnelle délivré par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Des formations au matériel sont ensuite organisées sur le terrain. Nous travaillons avec ces sociétés depuis trois ans ; elles connaissent donc parfaitement le matériel mis à disposition au Stade de France. La particularité de cet événement était la mise en place d’un contrôle de billet en amont du préfiltrage avec, comme l’a dit Florence Hardouin, soit le contrôle du billet papier par un stylo chimique, soit celui du billet sur les téléphones avec une carte électronique qui active le billet, change la couleur affichée sur l’écran et produit un code-barre. Concernant cette nouvelle fonction, les responsables de billetterie à chaque poste ont reçu une formation spécifique organisée par l’UEFA.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Je vous remercie de la clarté de vos propos. Vous parlez beaucoup du délai très court et des difficultés d’anticipation et de préparation. Concrètement, deux réunions de préparation ont été organisées le 25 et le 27 mai sous la présidence du préfet de police ; y étiez-vous ? Toutes les parties prenantes que vous avez citées — RATP, SNCF — étaient-elles également présentes ? L’impact de la grève sur les flux et la complexité que cela entraîne pour les organisateurs ont-ils été étudiés à ce moment-là ? Le dialogue nécessaire entre transporteurs et organisateurs s’est-il tenu lors de ces réunions, alors que le préavis de grève avait été déposé ?
La note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), qui décrivait assez bien ce qui allait se passer, était connue le 27 mai. En avez-vous eu connaissance ? En avez-vous débattu ?
Enfin, on se souvient que, pour France-Kazakhstan, la FFF avait demandé de déplacer le match au Parc des Princes. Avez-vous fait une demande similaire, non de déplacement, mais de report du match, compte tenu des risques que vous anticipiez ?
M. Erwan Le Prévost. – Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai, sur les thématiques que vous évoquez. Lors de la réunion du 23 mai, le plan de mobilité que nous vous avons présenté a été validé par l’ensemble des parties prenantes. Cela inclut la demande de déporter les flux du RER D vers le RER B en cas de grève. C’est ce qui a été fait à partir du moment où des problèmes ont été constatés, ce qui pour nous était trop tard. Le 26 mai, la RATP a publié un communiqué de presse nous informant de l’ampleur du mouvement de grève : jusqu’à 17 h 00, quatre trains sur cinq seraient en circulation, puis cinq trains sur sept. Nous avions également demandé à la RATP, qui avait validé auprès de nous le dispositif mis en place, de communiquer massivement auprès des supporteurs de Liverpool pour les inciter à prendre le RER B.
Concernant la note de la DNLH, notre réponse va être très simple : non, nous n’avons pas été mis au courant de cette note.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Vous n’en avez donc pas débattu en réunion.
M. Erwan Le Prévost. – Non.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Et il n’y a pas eu de réunion le 27 mai ?
M. Erwan Le Prévost. – Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai. En trois mois, nous avons eu plus de 130 réunions avec l’ensemble des parties prenantes, mais je pense que les réunions auxquelles vous faites référence sont celles du 23 et du 25 mai.
M. David Assouline. – C’est la réunion cachée !
M. Laurent Lafon. – Je précise que les dates nous ont été données par le ministre de l’intérieur.
M. Michel Savin. – Permettez-moi tout d’abord de remercier M. Diallo et Mme Hardouin d’avoir présenté des excuses et exprimé leurs regrets et leur tristesse auprès des supporteurs anglais qui ont été victimes d’actes de délinquance. Vous venez de préciser une nouvelle fois, après l’avoir écrit dans un communiqué, que 110 000 personnes se trouvaient aux abords du stade le soir du match. Ce chiffre nous interpelle depuis le début des auditions. Ce matin, M. le préfet de police a été assez flou dans sa réponse : les 35 000 à 40 000 personnes supplémentaires évoquées n’étaient plus à proximité du stade, mais dans les environs du stade. Une photo prise à 20 h 58, deux minutes avant le début prévu du match, montre qu’il n’y avait pas un tel nombre de personnes à l’extérieur du stade. Or leur présence est la raison invoquée par le ministre de l’intérieur pour expliquer les événements. S’ils n’étaient pas là, comment expliquer les débordements ? Quelle est la position de la FFF sur ces chiffres ?
Vous avez par ailleurs évoqué votre souhait de coconstruction : ne pensez-vous pas que le préfet de Seine–Saint-Denis, qui connaît bien le terrain, notamment en matière de délinquance, devrait avoir à l’avenir un rôle plus important dans la préparation de ce type de rencontres ?
Enfin, nous avons compris que le Président de la République avait poussé très fort pour accueillir cette finale à Paris malgré le court délai ; avez-vous été associé à cette décision ?
M. Jean-Jacques Lozach. – Concernant les moyens qui ont été mobilisés, que le ministre de l’intérieur a jugé largement suffisants — c’était un peu plus flou du côté de la préfecture de police —, jugez-vous les effectifs de forces de l’ordre déployés suffisants pour ce type de rencontre à risque ?
La FFF, dans un communiqué, a estimé à 110 000 le nombre de personnes se trouvant à proximité du Stade de France en donnant comme source « des opérateurs publics et privés ». Confirmez-vous qu’il s’agit uniquement des transporteurs — RATP, SNCF et taxis privés en particulier ?
Nous sommes par ailleurs encore dans le flou au sujet de cette note de la DNLH, entre ceux qui ont été destinataires et l’ont bien eue, ceux qui ont été destinataires, mais ne l’ont pas lue, ceux qui n’ont pas été destinataires du tout…
La FFF est-elle propriétaire des images captées par la vidéosurveillance à l’intérieur du Stade de France ? Si oui, des éléments vidéo ont-ils été transmis aux autorités qui en auraient fait la demande — je pense notamment aux services du ministère de l’intérieur ?
L’UEFA s’est exprimée sur la question du dédommagement des spectateurs munis de billets n’ayant pas pu accéder au stade ; la FFF va-t-elle être sollicitée ?
Enfin, un arbitrage va devoir être pris. D’un côté, le préfet de police nous dit que la doctrine a bien été appliquée et ne saurait être remise en question ; de l’autre, Mme Hardouin nous a présenté un ensemble de préconisations et de propositions qu’il serait bon d’intégrer dans une stratégie sécuritaire relative aux événements de ce type.
M. Stéphane Piednoir. – Ma question porte sur les missions et les prérogatives de la FFF dans l’organisation de ce match. Je m’interroge sur la proportionnalité des mesures déployées et, plus précisément, le nombre de stadiers. Le ministre de l’intérieur a comparé cet événement à la finale de la Coupe de France qui s’est tenue dans le même stade quelques semaines plus tôt et aurait été classé 4 sur 5 sur une échelle de risque. Qui établit cette échelle ? Tient-elle compte de l’attractivité d’une rencontre ? Je n’ai rien contre les supporteurs de Nantes et de Nice, mais cet événement revient chaque année alors qu’une finale de Ligue des champions sur le sol français est beaucoup plus rare et suscite une exposition médiatique bien plus importante. Cela entraîne un flux de circulation autour du stade plus dense, comprenant des étrangers moins habitués aux formes de communication que nous employons, notamment dans les stations de métro et de RER. Avec un délai de préparation aussi faible, il aurait fallu, si j’ose dire, mettre le paquet pour faire face à l’imprévu. Pour cela, rien de mieux que du contrôle physique et donc des stadiers. Vous avez évoqué le chiffre de 17 % de stadiers supplémentaires. Était-ce, compte tenu de tous ces éléments, suffisant ?
M. Erwan Le Prévost. – Sur les flux de spectateurs, nous pouvons être précis, mais seulement sur ce que nous maîtrisons : les bus — nous en avons acheminé 450 avec les supporteurs des deux clubs et l’ensemble des populations invitées — et les véhicules légers qui ont stationné dans le parking du Stade de France. Pour les transports en commun, les chiffres que nous avons donnés sont ceux qui nous ont été communiqués par la RATP le soir du match : 6 200 personnes arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Au total, cela représente 110 000 personnes acheminées au Stade de France. Nous sommes bien incapables de vous dire ce que sont devenues ces 110 000 personnes, hormis les 72 000 qui sont entrées dans le stade et ont assisté à la rencontre. Quant aux 35 000 autres, 2 583 d’entre elles sont arrivées jusqu’aux grilles du Stade de France et ont été refoulées parce que leur titre d’accès était faux. Grâce à l’action des services de l’UEFA et des équipes de sécurité de Didier Pinteaux aux points de préfiltrage, nous avons récupéré près de 300 faux billets. Comme nous vous l’avons présenté sur la carte du stade, le périmètre ne comporte pas uniquement le parvis et la proximité immédiate du Stade de France et de ses 18 portes d’accès.
La zone qu’il faut regarder représente un périmètre extrêmement large à partir des stations de RER et de la ligne 13. L’entité qui peut répondre précisément à votre question – c’est une question que nous nous posons également – est la RATP : elle peut vous fournir sa capacité d’emport et le nombre de trains qui, à partir de 17 h 00, sont repartis vers le centre de Paris ou vers les aéroports avec un flux de spectateurs supérieur à celui qui est habituellement constaté. Certains agents de la RATP nous ont confirmé qu’à partir de 21 h 00 le flux était suffisamment important pour que des trains soient ajoutés en direction de Paris, ce qui constitue un élément important d’appréciation.
À propos de l’organisation de cet événement et du rôle de la préfecture de Seine-Saint-Denis, le préfet, Jacques Witkowski, et son directeur de cabinet, Frédéric Poisot, nous ont apporté une aide considérable. Il ne nous revient pas d’établir le cadre légal ou réglementaire d’intervention de la préfecture de police et des autres préfectures, mais il nous semble que la connaissance du terrain est essentielle dans ce type d’événement, en particulier dans ce département où les nuits sont agitées... Ils nous ont poussés dans nos retranchements concernant le plan de mobilité et nous ont alertés sur un ensemble de risques qu’il fallait prendre en compte.
M. Didier Pinteaux. – La finale de la Coupe de France et celle de la Ligue des champions sont deux manifestations totalement différentes.
La première a été classée au niveau 4 en raison d’importants risques d’affrontements entre les supporteurs des deux clubs concernés – ils sont connus pour s’affronter lors des rencontres de championnat. De plus, nous disposions d’informations selon lesquelles des supporteurs parisiens se mêleraient à ceux de ces deux clubs. Le classement au niveau 4 se justifiait donc du fait d’un risque élevé de trouble à l’ordre public à l’extérieur du Stade de France.
Concernant la finale de Ligue des champions, le risque était totalement différent. Nous savions que les supporteurs anglais avaient l’habitude de venir avec de faux billets, sans pour autant connaître le nombre de personnes concernées. Le dimensionnement du dispositif a été renforcé pour faire face à cette situation. Nous avons notamment ouvert plus de points de préfiltrage – douze au lieu des huit habituels – et donc multiplié le nombre d’agents. Nous avons aussi augmenté l’effectif de ce que nous appelons les équipes d’intervention, qui sont des personnels mobiles à l’intérieur du stade prêts à intervenir en cas de troubles : nous sommes passés de 40 à 112 agents.
Ai-je correctement dimensionné le dispositif ? J’aurais eu tendance à répondre oui, même si a posteriori j’aurais plutôt tendance à répondre non ! Pour autant, je ne suis pas sûr qu’augmenter les effectifs aurait changé quelque chose. En effet, le principal problème était la présence, à certains points de préfiltrage, d’un nombre important de personnes : cela créait un blocage et rendait impossible l’accès des spectateurs munis de billets.
M. Erwan Le Prévost. – Je voudrais apporter une précision au sujet des faux billets. Lors de grands concerts ou de manifestations importantes, il est habituel de constater que des gens achètent de faux billets pour des sommes très élevées par rapport à la valeur faciale de ces billets : des gens payent de 1 000 euros à 5 000 euros un billet qui en vaut quelques centaines. À l’occasion de la finale de la Ligue des champions, nous nous sommes rendu compte qu’un trafic de faux billets a été organisé, mais qu’ils ont été vendus à des personnes informées de leur nature frauduleuse. Tous les éléments d’information à ce sujet figurent dans la note de la FFF adressée à Michel Cadot.
Ainsi, sur les réseaux sociaux, des billets ont été vendus au prix de 50 livres sterling, soit moins cher que leur valeur faciale, les vendeurs expliquant précisément aux acheteurs qu’ils pourraient éventuellement passer le préfiltrage en faisant pression sur nos agents, mais qu’ils n’avaient aucune chance d’entrer dans le Stade de France munis de tels billets. C’est pour cette raison que le chiffre de 2 583 billets interceptés aux portes du stade est élevé.
Il est important d’avoir conscience que le nombre de personnes venues au Stade de France, en sachant pertinemment qu’elles possédaient un faux billet et que leur seule possibilité d’entrer était de saisir le moment opportun – celui où les portes céderaient et où les barrières seraient enfoncées – pour se précipiter dans l’enceinte, était bien plus élevé que celui des personnes qui, de bonne foi, pensaient avoir acheté un vrai billet.
Je voudrais apporter un élément de réponse à la question sur la vidéosurveillance posée par M. le sénateur Jean-Jacques Lozach. Les images sont disponibles pendant sept jours et sont automatiquement détruites ensuite. Une réquisition aurait été nécessaire pour déroger à cette règle.
En tout cas, j’ai passé la journée au PC sécurité et je peux vous dire que les images étaient extrêmement violentes.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Aucune réquisition n’a eu lieu, alors que la justice a été saisie dès le samedi soir ?
M. Erwan Le Prévost. – La justice a été saisie, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, au sujet de la fausse billetterie.
M. Didier Pinteaux. – En ce qui concerne le niveau de risque d’une rencontre, c’est la DNLH qui propose au préfet un classement.
M. David Assouline. – Ce qui vient d’être dit par M. Le Prévost est très important, voire grave, et il aurait été particulièrement intéressant d’entendre le préfet de police sur ce point. Des images que vous jugez très violentes ont été détruites, parce qu’aucune réquisition n’a été faite avant l’expiration du délai de sept jours et alors même qu’une procédure a été engagée au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Des preuves ont ainsi été détruites du fait de ce que l’on pourrait qualifier au minimum d’incompétence – je n’ai pas envie de penser que cela a été fait exprès. C’est grave et c’est une responsabilité très importante de l’autorité publique.
Je souhaite vous interroger sur le préfiltrage. Il était réalisé au moyen de stylos. Il semblerait que des stadiers se soient beaucoup interrogés sur le taux particulièrement élevé de rejet – il atteignait 90 % ! – et qu’ils estimaient que cela provenait d’un dysfonctionnement des fameux stylos – M. le ministre de l’intérieur s’est beaucoup amusé de cet aspect des choses... Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
Si nous nous tournons maintenant vers l’avenir, ne pensez-vous pas que, lors de manifestations de ce type suscitant un fort engouement auprès d’un public populaire, la répartition des places – 28 000 billets destinés à des personnalités ou à des VIP, 7 000 pour le grand public et 20 000 pour chaque club – constitue un problème ?
J’ai assisté une fois à une finale de Ligue des champions – elle opposait Arsenal à Barcelone au Stade de France. Il y avait déjà une pénurie de billets et j’ai été effaré de voir des personnes de condition défavorisée détenir dans leurs poches des centaines, voire des milliers, d’euros en liquide pour acheter une place. Des supporteurs étaient prêts à dépenser leur paye pour cela ! Lorsqu’on crée une telle situation, qu’on incite en permanence les gens à consommer du football, ne peut-on pas s’attendre à ce que les pickpockets soient là et pas ailleurs ?
S’assurer que les billets soient vendus à un prix abordable, ne pas créer une situation de rareté telle qu’elle pourrait produire de la délinquance : ces questions sont importantes en vue des prochains jeux Olympiques.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Je veux tout d’abord remercier les représentants de la FFF de leur transparence et de la clarté de leurs propos. En particulier, il n’y a pas eu de déni de leur part au sujet des problèmes de billetterie ou de délinquance qui ont suscité la stupeur des Français. Je regrette d’ailleurs que nous ne parlions que des problèmes de sécurité et de violence et pas de la victoire du Real Madrid !
J’espère en tout cas, madame la directrice générale, que vos propos ne seront pas qualifiés de nauséabonds – c’est ce qu’a fait le ministre de l’intérieur, lorsque j’ai évoqué des problèmes de délinquance...
Dès lors que le Président de la République a décidé que ce match se déroulerait à Paris, est-ce qu’une réunion a été organisée en urgence par les ministères concernés avec l’ensemble des partenaires afin de les mobiliser et d’organiser correctement, en trois mois, cet événement pour qu’il soit une belle fête du football ? Combien de réunions ont eu lieu en présence de tous les partenaires – la FFF, la RATP, la SNCF, les responsables du Stade de France, etc. – pour anticiper les dysfonctionnements éventuels que l’on a finalement constatés ?
Enfin, comment avez-vous pu estimer le nombre de personnes détenant de bonne foi un faux billet et les autres ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Vous avez détaillé la fréquentation des différentes lignes de transport et regretté le basculement des usagers du RER B vers le RER D comme le manque d’informations sur ce point, qui explique peut-être la présence d’un plus grand nombre de stadiers à l’arrivée du RER B.
Un point m’intrigue : la grève était annoncée et, deux jours avant l’événement, des messages préconisaient de prendre le RER D. Je comprends qu’il puisse exister un problème de coordination ou de circulation de l’information, mais vous n’aviez pas besoin qu’on vous informe de cette situation, car elle était de notoriété publique.
Ensuite, était-il possible, selon vous, d’organiser de manière satisfaisante cette manifestation en trois mois ou l’accident était-il prévisible ?
Enfin, qui pilotait l’ensemble de l’opération ? La Diges, le préfet de police ? Qui était responsable du pilotage d’ensemble ?
M. Jacques Grosperrin. – Lors des nombreuses réunions qui ont eu lieu, avez-vous alerté la préfecture de police ou une autre autorité sur les risques que présentait ce match, puisqu’on sait que les supporteurs du club de Liverpool se déplacent en nombre et souvent sans billet ou avec de faux billets ?
Pouviez-vous, sous couvert de l’UEFA, interdire cette manifestation, étant donné les risques engendrés par l’utilisation de billets papier ?
Enfin, le préfet de police, Didier Lallement, nous expliquait ce matin que ce n’était pas un match à risque. Or Philippe Diallo vient de nous dire qu’il avait reçu une note selon laquelle le risque de ce match était classé au niveau 4 sur une échelle de 5. Faisait-il référence à la note concernant la finale de la Coupe de France dans laquelle jouait Nantes ou à une note de la préfecture de police qu’il aurait reçue au sujet de la finale de la Ligue des champions ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Le Président de la République vous a-t-il consultés, avant de prendre sa décision, sur notre capacité à recevoir cette finale dans les conditions que vous avez évoquées ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – À quel moment avez-vous eu les chiffres de la RATP et de la SNCF concernant les flux de voyageurs ? Est-ce dès le samedi soir ou quelques jours plus tard ?
M. Erwan Le Prévost. – Nous les avons reçus en temps réel le samedi soir.
M. Didier Pinteaux. – Je vais répondre à la question portant sur les stylos. Chaque point de préfiltrage est géré par un responsable et, le soir de la manifestation, l’un d’entre eux nous a appelés pour nous demander de nouveaux stylos, car il pensait que ceux dont il disposait ne fonctionnaient plus. Nous avons donc envoyé le responsable billetterie de l’UEFA sur le site : il a constaté que les stylos fonctionnaient très bien et qu’il s’agissait en réalité de faux billets. Je le répète, les stadiers de ce point de préfiltrage ont cru que les stylos ne fonctionnaient pas, mais le problème venait des nombreux faux billets
M. Erwan Le Prévost. – L’UEFA nous a fourni des stylos neufs, dont le bon fonctionnement a été testé le matin du match. Lorsqu’un stylo fonctionne correctement, l’encadré figurant au dos du billet devient rose lors du passage du stylo ; s’il reste blanc, le billet est faux. Dès 17 h 00, le PC sécurité a été alerté sur le fait que les stadiers avaient un problème avec les stylos, car la couleur rose n’apparaissait pas sur les billets. Nous avons alerté l’UEFA qui a envoyé une équipe sur les différents points de préfiltrage avec de nouveaux stylos. Cette équipe a pris un échantillon de dix billets par point de préfiltrage : en moyenne, de quatre à sept étaient faux.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – À partir de quelle heure le stade est-il ouvert pour que le public puisse prendre place à l’intérieur ?
M. Erwan Le Prévost. – Il y a deux niveaux. Le premier, c’est l’activation du préfiltrage, qui était prévue à midi ; elle a eu lieu à 11 h 50. Le deuxième, c’est l’ouverture des portes du Stade de France, qui a été prévue à 18 h 00 et qui a eu lieu à 18 h 00.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Le Président de la République vous a-t-il consultés ? Soyons clairs, je comprends que la réponse est non...
M. Erwan Le Prévost. – Je souhaite vous apporter des réponses sur l’organisation générale. La décision a été prise le 28 février. Le 4 mars, nous avons eu la première réunion de coordination organisée par le délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), c’est-à-dire le préfet Michel Cadot ; elle a regroupé l’ensemble des acteurs et des parties prenantes. En moyenne, nous avions environ une réunion par semaine sur les différentes thématiques, qu’il s’agisse des transports, des fan zones, avec les villes de Paris et de Saint-Denis, ou de la sécurité, avec la préfecture de police. Les équipes du préfet Michel Cadot étaient présentes à chacune de ces réunions. La coordination générale de l’événement s’est donc faite sous l’égide du Diges et de ses équipes. Cela a permis de construire l’événement. Même si la forme n’est pas celle que nous attendions, les acteurs ne se sont jamais autant mobilisés à nos côtés, malgré les délais contraints, pour surmonter les écueils que nous rencontrions.
Ce qu’il faut avoir en tête, c’est la particularité de cette finale. Vous évoquiez cette problématique connue des supporteurs qui se déplacent en très grand nombre. C’est pour cela que nous avons mis une pression certaine sur les villes de Paris et de Saint-Denis. Nous avons ainsi pu accueillir 44 000 personnes sur la fan zone de Paris et 6 000 personnes à l’instant t, mais, en définitive,12 000 personnes sur celle qui était prévue pour Madrid. Il était important pour nous de prendre en compte ce nombre substantiel de spectateurs.
J’insiste sur le fait que la coordination a mobilisé l’ensemble des services de l’État. L’ensemble des ministères ont travaillé à nos côtés et à ceux de l’UEFA, qui était présente à chaque réunion pour organiser cet événement dans ce que nous pensions être les meilleures conditions. En définitive, c’est un échec pour nous tous.
Comme l’ont indiqué M. le vice-président et Mme la directrice générale, ce que nous en tirons en tant que FFF, c’est un sentiment de tristesse, compte tenu de l’investissement consenti par toutes les personnes mobilisées autour de l’événement. Au regard de tout le travail de coordination que nous avons effectué avec l’ensemble des parties prenantes, ce n’est pas cette fin-là que nous attendions.
Je vous rejoins. Il y a des moments où nous aurions dû prendre le temps de poser certaines questions. A-t-on bien compris notre demande ? La restitution qui en est faite est-elle la bonne ? En prenant telle décision, assumons-nous le risque correspondant ou préférons-nous faire en sorte de l’écarter, afin de nous concentrer sur notre objectif premier, c’est-à-dire accueillir et organiser la manifestation ?
M. Michel Savin. – Madame la directrice, vous avez indiqué tout à l’heure qu’il y avait eu des retours importants dans les transports après 21 h 00. Or, dans son communiqué, la SNCF précise qu’aucun afflux particulier ou plus important que d’habitude n’a été enregistré dans l’autre sens après le début du match. Il y a là une contradiction. Une de plus. Vous comprenez que nous puissions nous interroger.
M. Erwan Le Prévost. – La SNCF pourrait-elle communiquer ses flux montants et ses flux descendants au Stade de France sur la journée du 28 mai ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Nous allons auditionner la SNCF.
M. David Assouline. – Je trouve totalement aberrant que les images aient été détruites sous prétexte qu’elles n’ont pas été réquisitionnées dans les sept jours. Qui devait faire la réquisition et agir pour qu’elles ne soient pas détruites ?
M. Didier Pinteaux. – Nous ne les avons pas détruites. Elles se sont écrasées toutes seules. C’est automatique.
M. David Assouline. – Certes. Mais j’aimerais avoir la réponse à ma question. Qui devait prendre la décision ?
M. Didier Pinteaux. – Il faut une réquisition judiciaire.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – En effet. La réquisition des images de vidéoprotection relevant d’une décision judiciaire, il appartenait au procureur de la République de la demander. S’il ne le fait pas dans le délai imparti par la loi, les images s’écrasent.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Nous avons compris que les discussions avec la RATP ne fonctionnaient pas de manière opérationnelle lorsque vous avez eu connaissance du préavis de grève.
Vous avez laissé les points de filtrage tels qu’ils avaient été envisagés, c’est-à-dire l’essentiel des points de filtrage côté RER B alors que l’on pouvait imaginer un phénomène de report sur la ligne D. Finalement, le jour du match, malgré le préavis de grève, quatre RER B sur cinq fonctionnaient. Néanmoins, en raison des annonces préalables, les spectateurs, notamment les Anglais, ont tout de même utilisé le RER D. Il y a donc eu un afflux sur les points de filtrage du RER D. À ce moment-là, il n’y avait pas de liaison entre la RATP et vous pour réorienter sur les points de filtrage. Mais, lors de l’annonce du préavis de grève, il n’y a pas eu modification de votre part sur la répartition des points de filtrage en anticipant un phénomène de report sur le RER D ou en prévoyant un cheminement orientant vers les points de filtrage du RER B. C’est bien cela ?
M. Erwan Le Prévost. – Je confirme exactement ce que vous venez dire. Les différentes réunions que nous avons menées avec l’ensemble des parties prenantes sur l’organisation de cet événement et le plan de mobilité nous ont amenés à proposer un plan, en faisant notamment appel à la RATP et la SNCF, pour orienter les spectateurs vers le RER B. Ce plan a été validé. Un communiqué de presse diffusé le 26 mai informait qu’il y aurait une grève le 28 mai, mais en précisant que le trafic ne serait pas loin d’être optimal, avec quatre trains sur cinq, puis cinq trains à partir de dix-sept. Et nous avons découvert dans l’après-midi du match que la RATP, notamment dans les hubs de Châtelet et de Nation, incitait les personnes à se rendre au stade en utilisant le RER D.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Madame, messieurs, nous vous remercions de votre venue et des éléments que vous avez portés à la connaissance de nos deux commissions.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 05.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Didier Lallement, préfet de police
La réunion est ouverte à 10 h 00.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale. – Monsieur le préfet, le président Lafon et moi-même avons souhaité vous entendre sur les événements qui ont eu lieu, il y a quelques jours, au Stade de France, à l’occasion de la finale de la Ligue des champions. Cette audition est retransmise en direct par la chaîne Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Nous avons entendu, la semaine dernière, le ministre de l’intérieur ainsi que la ministre des sports au sujet de ces mêmes événements. Vous étiez, ès qualités de préfet de police, en charge de la surveillance et de l’organisation de cet événement. Je tiens à vous dire, de la manière la plus directe possible, que l’objectif de nos deux commissions est de comprendre ce qui s’est réellement passé afin de pouvoir ensuite apporter les réponses qui conviennent. Ceux qui sont présents dans cette salle ne sont en quête de rien d’autre que de la vérité.
En ce qui concerne, tout d’abord, les conditions d’accès au stade et les raisons qui ont conduit au blocage et à la dispersion de la foule par l’usage des gaz lacrymogènes, le ministre a insisté, la semaine dernière, sur l’ampleur d’une fraude aux billets, qui selon lui n’était pas prévisible, et sur le nombre inattendu, semble-t-il, de supporters de l’équipe de Liverpool présents. Plusieurs questions demeurent quant à cette imprévisibilité alléguée et aux chiffres, qui devront incontestablement être mieux établis.
À cet égard, les remontées d’informations dont vous disposiez, non seulement sur la grève des transports, mais aussi grâce à la note des services de renseignement du 25 mai dernier sur la présence de supporters ainsi que sur les billets d’accès sous forme papier vous ont conduit, légitimement, à mobiliser des forces de police en quantité importante pour organiser cet événement. Il reste à savoir quelle doctrine d’emploi et quelle organisation avaient été définies pour que ces forces de police puissent répondre à la situation telle qu’on pouvait probablement, en partie, la prévoir.
Une autre question porte sur la situation quelque peu surprenante dans laquelle s’est retrouvé un public somme toute passif, ou du moins calme et plutôt familial, contre lequel on a fait usage de bombes lacrymogènes, comme l’ont montré des images qui ont circulé à la télévision. Comment comprendre, en effet, que des gens qui attendaient patiemment aient pu recevoir un jet de gaz lacrymogène ? Il faut nous expliquer ce qui s’est vraiment passé.
Ensuite, nous souhaitons revenir sur la séquence qui relève non pas du maintien de l’ordre mais de la sécurité publique. De nombreuses agressions ont eu lieu autour du stade : on entend dire que 400 ou 500 personnes auraient agressé des supporters ou, du moins, des gens qui se rendaient au stade, en leur faisant les poches ou en les attaquant physiquement, comportements qui relèvent de la délinquance pour nommer les choses par leur nom.
Or nous n’avons que peu d’éléments sur la gestion de ces incidents, sur les suites qui leur ont été données, voire sur les possibilités de leur anticipation. Nous ne comprenons donc pas bien ce qui s’est passé. On ne peut réduire la situation, nous semble-t-il, aux difficultés que des supporters auraient rencontrées pour accéder au stade ; nous devons la clarifier parfaitement en établissant les faits d’agression commis par des délinquants contre les supporters.
La dernière question qui en découle porte sur la nature du dispositif de sécurité publique prévu à l’issue du match. Estimez-vous que ce dispositif a fonctionné ? Quelles améliorations possibles avez-vous envisagées pour d’autres événements de cette ampleur, comme la Coupe du monde de rugby qui doit avoir lieu l’année prochaine, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et d’autres manifestations qui pourront se tenir au Stade de France ?
Monsieur le préfet, nous ne sommes pas contre la police, loin de là. Nous comprenons ses difficultés et nous la soutenons. Cependant, au sujet de ces événements, nous cherchons à savoir pourquoi 400 millions de téléspectateurs ont vu, ce soir-là, une telle situation au Stade de France, à l’occasion d’un événement sportif majeur. Cela relève pour nous de l’incompréhensible et c’est la raison pour laquelle nous voulons que vous nous éclairiez.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. – Comme l’a dit le président Buffet, dans le cadre de notre exercice de contrôle, notre rôle est de comprendre ce qui s’est réellement passé. Nous le devons à ceux qui ont été victimes de ces incidents. En outre, il nous faut tirer tous les enseignements de cette finale de la Ligue des champions, en vue de la préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Monsieur le préfet, tel est l’état d’esprit dans lequel s’inscrit cet échange avec vous, qui nous permettra d’obtenir des réponses à un certain nombre de questions qui se posent encore.
M. Didier Lallement, préfet de police. – Je vous remercie pour votre invitation qui permettra, je l’espère, de clarifier les points qui doivent l’être.
Avant toute chose, je voudrais vous dire qu’en tant que préfet de police, je suis le seul responsable opérationnel de l’ordre et de la sécurité publics dans l’agglomération parisienne, c’est-à-dire à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Je ne suis d’ailleurs pas le préfet de police « de Paris », mais le préfet de police tout court. Par conséquent, puisque le sujet concerne la Seine-Saint-Denis – je veux être très clair sur ce point –, les préfets des départements de la petite couronne n’ont aucune compétence en matière d’ordre et de sécurité publics. Les fonctionnaires de police et les militaires de gendarmerie interviennent sous mon autorité directe ou sous celle que je donne par délégation à des hauts fonctionnaires, qu’ils soient du corps préfectoral ou de la police.
J’assume donc en totalité la responsabilité de la gestion policière de la journée du samedi 28 mai et – je le répète encore une fois – j’en suis non seulement devant vous, mais également devant le pays, le seul comptable opérationnel.
Ceux qui ont agi l’ont fait sous mon commandement et je veux d’abord les saluer. Policiers ou gendarmes, ils ont fait preuve d’une énergie et d’une volonté, ce soir-là comme à l’accoutumée, que je voudrais ici souligner. Sans eux, un drame aurait pu se produire. Je leur fais donc part publiquement, comme je l’ai fait plus indirectement, de ma reconnaissance pour leur action et de ma fierté de les avoir sous mes ordres. Ils ne sont pas pour moi des « troupiers » – expression d’un siècle passé, que l’on associe plutôt au mot « comique », même si elle ne me fait pas rire –, mais des collègues ou des camarades d’une grande valeur professionnelle et morale.
N’éludant pas mes responsabilités, je regarde, ou du moins j’essaye de regarder avec la plus grande lucidité possible ce qui s’est passé autour du Stade de France ce soir-là. C’est à l’évidence un échec, car des personnes ont été bousculées ou agressées alors que nous leur devions la sécurité. C’est un échec aussi, car l’image du pays – vous l’avez souligné, monsieur le président – a été ébranlée. Mais je dois insister, au delà de cet échec, sur le fait que, face à une crise d’ampleur, dans un contexte dégradé et difficile, nous avons fait en sorte que le match se tienne et surtout qu’il n’y ait aucun blessé grave ni aucun mort. Qui plus est, dans Paris intra muros, tant dans les zones de circulation des supporters que dans la fan zone, ou bien hors de Paris, dans les aéroports de Roissy et d’Orly, il n’y a eu aucun incident significatif.
Je vous disais avoir conscience que l’image de la France a été atteinte : c’est une blessure pour moi, car l’amour de la patrie et l’honneur du drapeau comptent plus que tout.
À nos hôtes étrangers, qu’ils soient espagnols ou anglais, qui ce soir-là n’ont pas tous trouvé les conditions sûres d’un accueil, ainsi qu’à l’ensemble de nos concitoyens français, je veux dire également mes regrets sincères.
Comme le ministre de l’intérieur l’a demandé, des pré-plaintes sont disponibles en ligne et des fonctionnaires de la préfecture de police sont présents à Liverpool et à Madrid pour aider, si besoin est, ceux qui le souhaitent à les remplir. J’encourage donc non seulement l’ensemble de nos concitoyens, mais également les ressortissants anglais et espagnols à porter plainte – c’est extrêmement important – pour que nous puissions retrouver et poursuivre leurs agresseurs. Je les encourage également à porter plainte si jamais ils ont acheté des faux billets, car il est essentiel que nous ayons une vision claire de la situation en la matière. Je leur promets donc à tous que nous ferons tout pour retrouver les coupables et les présenter à la justice.
Je ne reviendrai pas longuement sur les causes de ce qui s’est passé ce soir-là, les ministres ayant dans leurs auditions déjà largement détaillé l’analyse que l’on peut en faire. Je veux toutefois insister sur deux décisions que j’ai eu à prendre et sur les conséquences qu’elles ont eues.
D’abord, la levée du barrage de pré-filtrage dit « de l’avenue Wilson », vers 19 heures 45. Notre rôle, sur les barrages, est d’assurer une protection antiterroriste grâce à des véhicules faisant fonction d’« anti-béliers », pour reprendre notre terminologie, et grâce à la présence d’effectifs munis de ce que l’on appelle des « armes longues », destinées à parer une attaque terroriste. Vous vous souvenez tous que le Stade de France a été l’objet d’une attaque terroriste ; on peut donc considérer que cette protection relève non pas de la gesticulation, mais d’une absolue nécessité face à une menace qui est toujours existante.
Les « forces de sécurité intérieure » – sous ce vocable je vise, bien évidemment, tant les policiers que les gendarmes que j’avais sous mon autorité – n’étaient pas chargées de la vérification des billets, pas plus que la préfecture de police n’était l’organisateur de l’événement. La prérogative de vérification des billets était de la responsabilité de l’organisateur. D’ailleurs, si notre dispositif lors des événements sportifs a toujours prévu des pré-filtrages, c’est-à-dire des contrôles de personnes, cela n’était que la deuxième fois depuis 2016 que des contrôles de billets étaient réalisés à ce niveau.
Il se trouve qu’en raison de l’arrivée tardive et plutôt massive des supporters, peut-être due aux difficultés de transport, ce contrôle s’est embolisé. En effet, les personnes rejetées pour absence de validité de leur titre essayaient de passer à tout prix ou bien ne pouvaient plus reculer, en raison du nombre toujours plus grand de personnes se trouvant derrière elles.
Nous avons aidé les personnes chargées du contrôle à maintenir ce barrage mais, à un moment, toutes les indications qui remontaient jusqu’à moi m’ont fait craindre un drame par écrasement, c’est-à-dire une bousculade de plusieurs milliers de gens. Nous constations en effet, au-delà de la file d’attente au barrage de pré-filtrage, la présence de plus en plus importante de personnes dont le plus grand nombre semblaient être des supporters. Il est à noter que si la préfecture de police disposait d’informations précises sur le nombre et les trajets des supporters venant d’Espagne, transmises par l’Union des associations européennes de football (UEFA), cela n’était pas le cas concernant les supporters de Liverpool, incités par leur club à se rendre massivement à Paris, même dépourvus de ticket, sans que nous ayons d’indications précises sur une organisation de ce déplacement au niveau du club. Il y a donc eu une série de déplacements individuels, voire collectifs, non organisés, à l’inverse de ce qu’étaient les déplacements des supporters de Madrid.
Les premiers éléments venant des opérateurs de transport confirmaient ces arrivées et ont été à l’origine du chiffre de 30 000 à 40 000 personnes évoluant aux alentours du stade. C’est moi qui ai donné ce chiffre au ministre et je l’assume totalement. On peut discuter l’exactitude du chiffre qui figure dans les tableaux présentés par le ministre, car lorsque je parle de « 30 000 à 40 000 personnes », il s’agit en réalité de 34 000 individus, sur la base des indications qui nous ont été données ce soir-là par les opérateurs de transport et du constat que nous pouvions faire. J’observe que les enquêtes de presse qui ont été menées aboutissent à un chiffre légèrement inférieur, d’à peu près 24 000 personnes.
Cependant, sur le plan opérationnel, au-delà de plusieurs milliers de personnes évoluant en périphérie des barrages, l’ampleur exacte du chiffre n’était pas essentielle et ne l’est toujours pas. Le risque qu’une masse supplémentaire de personnes s’ajoute aux 10 000 à 15 000 individus déjà présents dans cette « queue Wilson » – si vous me permettez de la dénommer ainsi – était en soi une menace extrême qui, en se superposant à la difficulté d’une situation déjà grave, accroissait en quelque sorte le risque de perte de vies et de blessures graves.
Je veux vraiment souligner cet élément, car il a été le fil rouge de notre attitude tout au long de la soirée : sauver des vies et sauver des personnes.
Oui, j’ai donné l’ordre de lâcher le barrage et de laisser passer la foule sans s’y opposer par des manœuvres de police. Une nouvelle fois, publiquement devant vous, j’assume cet ordre. Ce faisant, je laissais l’accès libre à l’espace autour du stade, alors qu’au moment de toutes les compétitions précédentes, il était filtré et donc inaccessible à des personnes aux intentions douteuses. C’est, à mon avis, ce qui a permis à 300 ou 400 individus – peut-être légèrement plus – de se livrer à des vols et à des dégradations, pendant que d’autres se tenaient en périphérie des gares, le dispositif ne présentant plus l’étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols.
En levant ce barrage, nous avons aussi levé progressivement les autres, puisque le public arrivait dans le dos des barrages nord et est, en venant du sud, et pouvait accéder au parvis du stade que l’on désigne aussi comme un mail. La foule pouvait y pénétrer largement, indépendamment de tout contrôle. Il fallait donc forcément lever les barrages qui ne servaient plus à rien.
Bien évidemment, les supporters anglais et d’autres se sont concentrés autour des portes d’accès au stade, par lesquelles ils devaient passer. Des incidents ont donc eu lieu aux portes Y, Z et A, qui ont été largement documentés. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets, du moins selon la vision qui est la nôtre, à savoir celle de la police, car je ne sais pas exactement ce qui s’est passé en ce qui concerne les contrôles de billets. Ces portes ont menacé de lâcher et ont même parfois été franchies par des gens qui n’ont pas hésité à sauter par-dessus les portillons, voire par-dessus les grillages.
J’ai donc pris une seconde décision, celle de replier une grande partie du dispositif à l’intérieur du stade pour éviter son envahissement par des milliers de personnes, dont je ne savais pas si elles étaient autorisées ou non à y entrer. Si ces milliers de personnes étaient entrées dans le stade sans avoir le billet nécessaire, il n’y aurait tout simplement pas eu de match. Ce que nous avons fait, c’est permettre le match.
Ce qui m’intéressait, dans une vision policière, c’est bien évidemment que le match se tienne au niveau sportif, mais surtout que l’on ne se retrouve pas avec 70 000 personnes extrêmement mécontentes, qui auraient pu elles-mêmes provoquer, à ce moment-là, des mouvements de foule. Il est absolument nécessaire, quand un stade est plein, que le match se joue, pour éviter des évacuations et de nouvelles bousculades, c’est-à-dire pour éviter d’ajouter du désordre au désordre.
Afin de diminuer la pression de la foule sur les grilles et les tourniquets, il fallait faire reculer les gens. En effet, le sujet était encore et toujours le même : la pression, la pression, la pression ! Nous avons donc demandé aux gens de reculer, et force est de constater qu’il ne s’est rien passé. Alors, nous avons utilisé – vous l’avez mentionné, messieurs les présidents, et je l’assume aussi complètement – du gaz lacrymogène, seul moyen, à notre connaissance policière, pour faire reculer une foule, sauf à la charger. J’insiste sur ce point et je considère que cela aurait été une erreur grave de charger les gens.
L’utilisation du gaz lacrymogène a fonctionné. J’ai bien conscience que, ce faisant, ont été gazées des personnes de bonne foi – car il y avait des personnes de bonne foi prises dans cette foule – et parfois même des familles. J’en suis totalement désolé au nom de la préfecture de police, mais, je le redis, il n’y avait malheureusement pas d’autres moyens.
Cette action de police impérative n’interroge en rien la doctrine de maintien de l’ordre. Il me semble en effet, dans ce que j’ai vu des commentaires de presse, qu’il peut y avoir une confusion en la matière. Le débat sur la doctrine porte sur le fait de savoir si, dans une manifestation à risque, les forces de sécurité intérieure doivent se tenir à distance ou bien être au contact. Tout le débat sur le schéma national du maintien de l’ordre tournait autour de cet élément-là.
Depuis que je suis en poste – ma position est parfaitement claire sur le sujet et je l’ai exprimée publiquement –, je préconise, dans le cas où le risque de trouble à l’ordre public est fort, d’être au contact. Je me souviens des images du 1er mai 2018 sur lesquelles on voit que lorsqu’un espace est laissé aux casseurs, ceux-ci n’hésitent pas à l’occuper, à l’utiliser et à provoquer des destructions. Je défends donc effectivement cette nécessité d’être au contact et je l’ai recommandée dans le schéma national du maintien de l’ordre qui a été ainsi arrêté par le ministre.
En l’espèce, tel n’était pas le problème puisque nous étions d’ores et déjà au contact ; c’était même là toute la difficulté : être beaucoup trop au contact d’une foule qui nous pressait. Il ne s’agissait donc pas d’un débat de doctrine sur le maintien de l’ordre, mais tout simplement d’un problème de manœuvre dans le maintien de l’ordre. Par conséquent, le sujet de la doctrine ne me paraît pas avoir de rapport avec les interrogations qui se posaient à nous, le seul mot d’ordre, qui prévalait absolument, étant de sauver des vies.
Une fois le match commencé, nous avons évacué ce que j’appelle le « parvis », c’est-à-dire les alentours du stade qui étaient protégés par notre système de barrages, en chassant les gens qui s’y trouvaient, notamment les 300 à 400 indésirables que j’évoquais précédemment. Nous avons effectivement utilisé pour cela des moyens intermédiaires de diverses natures, en particulier des grenades lacrymogènes. Toutefois, n’étaient pas concernés par cette évacuation les spectateurs qui entre-temps avaient pu entrer dans le stade, puisque celle-ci est intervenue une fois le match commencé.
À l’évidence – c’est du moins le sentiment que j’ai –, le groupe de ces « indésirables » – je les qualifie comme tels, mais l’on peut trouver d’autres noms, si vous le souhaitez – ne s’est pas dispersé et est resté aux alentours, dans la périphérie du stade.
Je vous confirme donc que la cause de la situation décrite tient au nombre très élevé de billets rejetés par les contrôles et vraisemblablement faux pour la plupart, sauf bien sûr si les organisateurs nous indiquaient une défaillance de leur système de contrôle, dont je n’ai pas connaissance, qu’elle porte sur les stylos chimiques utilisés aux barrages ou sur les dispositifs de tourniquet à l’entrée du stade. Je reconnais donc que, dès lors que nous avons levé le périmètre sécurisé, des troubles et des délits ont pu avoir cours aux abords du stade, puisque le dispositif qui avait été opérant à l’occasion de tous les matchs précédents ne l’était plus, pour la raison indiquée. Je revendique – et je me permets d’insister peut-être un peu lourdement sur ce point – le fait que les décisions prises étaient les seules qui pouvaient garantir l’intégrité physique des personnes et la tenue du match.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Je voudrais revenir un peu en amont sur la préparation de l’événement. Les deux ministres que nous avons reçus la semaine dernière ont fait état d’un certain nombre de réunions préparatoires, ce qui n’a rien de surprenant. Certaines de ces réunions ont été placées sous l’autorité du délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et d’autres sous votre « présidence » – je crois que c’est le terme utilisé par le ministre de l’intérieur et vous pourrez nous le confirmer. Je souhaiterais savoir comment ont été anticipés les risques, notamment lors des dernières réunions du 25 et du 27 mai, juste avant la finale, alors même que deux éléments nouveaux étaient portés à connaissance : d’une part, la grève du RER B et ses conséquences sur les flux de voyageurs à la sortie des deux gares et sur l’organisation des points de filtrage ; d’autre part, la note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui faisait clairement état d’une présence massive de supporters de Liverpool, en plus de ceux qui avaient des billets. Quelles ont été les décisions prises et quelle a été l’évaluation de ces deux risques lors des réunions préparatoires, en particulier les deux dernières, celles du 25 et du 27 mai ?
M. Didier Lallement. – Vous avez raison de le rappeler, monsieur le président, la coordination de la préparation a relevé, comme pour tous les grands événements sportifs, de la responsabilité du délégué interministériel et la préfecture de police a participé à l’ensemble des réunions préparatoires dans lesquelles ont été évoqués tous ces sujets, notamment les risques de grève. Nous avons eu par ailleurs un certain nombre de réunions dans d’autres formats, en présence de différents acteurs, sur des points beaucoup plus précis.
Les éléments portant sur le nombre de supporters susceptibles de venir sont précisés dans la note de la DNLH, qui indique d’ailleurs un chiffre de 50 000 supporters, donc assez important. Par conséquent, la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) avait prévu, avec mon complet accord, un dispositif de fan zone, dimensionné pour 44 000 personnes sur le cours de Vincennes, grâce à l’aide de la mairie de Paris que je tiens à remercier, et pour 6 000 personnes au niveau du parc de la Légion d’honneur, grâce à l’aide de la ville de Saint-Denis que je tiens également à remercier. Nous savions que notre dispositif de fan zone n’intégrerait pas la totalité des personnes sans billet puisque je vous parle, d’un côté, de 50 000 supporters et, de l’autre, de 44 000 personnes, la différence étant de 6 000 individus dont nous avons considéré qu’ils se rendraient dans différents cafés et endroits où l’on pouvait voir le match.
Les premières observations de la journée nous ont d’ailleurs donné raison, puisque des supporters de Liverpool étaient répartis un peu partout dans Paris et que leur attitude très pacifique a permis qu’il n’y ait que très peu d’incidents, même si un certain nombre d’entre eux étaient assez alcoolisés.
Pour répondre précisément à votre question sur l’anticipation de la grève, les expériences que nous avions eues précédemment nous montraient que, même en cas d’arrivée massive de supporters, le dispositif « d’accès D » – si vous me permettez de désigner ainsi les supporters sortant du RER D et allant vers cette fameuse rampe Wilson –, aussi étroit soit-il, permettait d’assurer la fluidité de la circulation – il est vrai qu’il n’y avait pas de contrôle de billets lors des événements passés que je prends ici en exemple.
Je suis donc parti du principe que nous ne mettrions en place des barrages pour faire dévier les gens sortant du RER D vers l’accès des supporters sortant du RER B, qui permettait d’accéder au stade par une avenue plus large, que si nous étions dans la situation d’une embolie du dispositif. Il est vrai que nous avons attendu jusqu’à 19 heures 15 pour mettre en place cette déviation des personnes sortant du RER D afin de les envoyer sur la voie d’accès du RER B – j’utilise cette terminologie pour essayer de me faire comprendre. Sans doute était-ce trop tardif. Nous aurions dû le faire un petit peu avant, car nous avons constaté que le nombre de personnes qui s’aggloméraient sur la rampe Wilson était beaucoup trop important. Nous aurions pu, sans doute, gagner un quart d’heure dans la manœuvre pour alléger la pression causée par cette arrivée de supporters.
Toutefois, ce n’est pas tellement ce qui m’importait, car même si nous avions dévié le flux, entre 10 000 et 15 000 personnes étaient entassées sur cette rampe. Vous connaissez les lieux, la rampe passe sous l’A86, mais il fallait surtout tenir compte du tunnel qui passe sous l’A1, qui est un tout petit tunnel à gros facteur de risques. Ainsi est le Stade de France, ainsi a-t-il été conçu et ainsi les accès ont-il été constitués. La police peut beaucoup de choses dans ce pays, mais elle ne peut pas pousser les murs.
Je n’avais pas de raison de penser qu’un afflux de personnes, même dans cette configuration et même en cas de grève, aboutirait à cette situation. De notre côté, nous n’avions pas envisagé qu’à la présence de supporters sans billet s’ajouterait celle de personnes munies de faux billets.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Oui, ce point est important, car nous avons besoin de comprendre comment s’opère la coordination entre les différents acteurs – l’UEFA, la Fédération française de football et la préfecture de police, sous votre autorité –, notamment sur le plan de la gestion des flux. Qui décide de quoi et à quel moment ? Il est vrai qu’il est toujours plus facile d’analyser la situation à froid, mais il y avait trois points de filtrage à la sortie du RER D – vous me corrigerez si je me trompe – et huit ou neuf – je cite ces chiffres de mémoire – à la sortie du RER B, alors même que les flux de voyageurs allaient être inversés par la grève du RER B. L’organisation des points de filtrage a-t-elle été revue à l’occasion de l’annonce de cette grève ? Je me permets d’insister sur la question. Vous nous dites que cela n’a pas fait l’objet d’une nouvelle interrogation, en tout cas au moment où il y a eu cette annonce de grève ?
M. Didier Lallement. – Je vais revenir sur l’architecture de l’organisation du dispositif. Nous n’avions pas la charge des points de filtrage, donc je ne peux pas vous répondre sur cette question. Encore une fois, nous étions dans un dispositif antiterroriste en amont des points de filtrage et en renfort des personnels du stade au moment des bousculades. C’est-à-dire que nous arrivons en arrière du dispositif pour seconder les personnels lorsque cela commence à bousculer. Mais pendant tout le début de l’opération, nous sommes devant parce que notre problème, c’est un acte terroriste qui viendrait de l’extérieur, en amont du point de filtrage.
Je ne peux donc pas vous dire si, du point de vue de l’organisation du dispositif de contrôle des billets, des éléments ont été ou non pris en compte par les organisateurs. Vous allez les auditionner cet après-midi, ils sauront certainement vous répondre mieux que moi.
Notre organisation par rapport à cet événement était extrêmement classique. Nous ne gérions pas uniquement l’événement au Stade de France. Je pilotais dans la salle opérationnelle de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police l’ensemble du dispositif, qui centralisait et synthétisait les informations venant des fans zones, car il fallait aussi gérer en même temps ces espaces. Au Stade de France, il y a un PC sécurité dans lequel il y a la police, les forces de gendarmerie qui sont mises à ma disposition et, bien sûr, les organisateurs du stade. J’avais confié ce poste de commandement à mon directeur de cabinet, secondé par l’inspecteur général Marsan, ici présent. C’est donc ainsi que m’étaient remontées les informations que je vous ai signalées à l’instant. Le contact avec les organisateurs se faisait au travers de ce PC dans lequel se trouvaient les responsables du Stade de France. Il y a donc eu des échanges, qui ensuite me remontaient. Mais au niveau de mon propre poste de commandement, de mon propre PC, je n’avais pas de contact avec les organisateurs.
Je note d’ailleurs, pour être parfaitement précis et parce que c’est important, que l’horaire que j’ai cité précédemment n’est pas 19 heures 15, mais exactement 19 heures 18.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – J’ai une question sur le chiffre, que vous avez cité dans votre propos liminaire, de 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires qui n’avaient pas de billet ou qui avaient un faux billet. Ce chiffre, que vous êtes le premier à avoir avancé – il figure dans la note transmise par le ministre de l’intérieur que vous avez rédigée en date du 29 mai – fait débat et pose question. Certes, vous êtes prudent et vous précisez qu’il s’agit « sans doute » de 30 000 ou 40 000 personnes au-delà des 80 000 enregistrées dans le stade. D’où vient ce chiffre au moment où vous le transmettez au ministre ? Quelles sont les informations à votre disposition pour avancer un chiffre dont on sait qu’il va faire débat ? Quelles sont vos sources ?
M. Didier Lallement. – J’ai bien compris que ce chiffre faisait débat, c’est pourquoi j’ai pris la précaution de vous dire que j’en suis le seul responsable. Je vous donne les chiffres dont nous disposions au moment des événements. Ils remontaient, bien évidemment, du constat des opérateurs de transport : ce n’est pas moi qui compte le nombre de personnes dans les wagons.
Ils remontent également du dispositif que nous avions mis en place puisque je suis responsable de la police des transports. Nous avions donc des équipes déployées dans l’ensemble du dispositif de transport conduisant au Stade de France, tant sur le RER B que sur le RER D ou sur les lignes de métro. Ce sont des effectifs de la police des transports, qui dépendent de la direction de la sécurité publique de la préfecture de police.
J’avais donc à ma disposition des chiffres émanant des opérateurs, mais également des fonctionnaires de terrain, qui nous ont permis de faire le constat d’éléments de volume. C’est une procédure classique : on évalue par rapport à ce que l’on connaît.
Encore une fois, ce chiffre n’avait pas une vertu scientifique. Il s’agissait simplement de la remontée d’une information, laquelle était absolument capitale, à savoir que le nombre de personnes excédait largement la contenance du stade. Par conséquent, si ces personnes avaient toutes fait pression sur les barrages, puis ensuite sur les portes, nous aurions eu d’extrêmes difficultés…
Peut-être me suis-je trompé en transmettant au ministre le chiffre de 30 000 à 40 000 personnes. D’ailleurs, nous avons essayé de le reconstituer : le ministre vous a fourni dans un PowerPoint des éléments de calcul reconstitués avec les opérateurs. Jamais je n’ai prétendu que ce chiffre était parfaitement juste, mais il me paraît totalement refléter l’état de la situation.
Encore une fois, jamais il n’a été affirmé que 30 000 à 40 000 personnes se trouvaient strictement aux abords du stade. Je crois même avoir dit le contraire. J’ai lu dans les journaux que, aux dires de gens de bonne foi, personne n’avait compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade. Mais nous non plus n’avons jamais compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade ! On subodorait leur nombre uniquement sur la périphérie de nos barrages, c’est-à-dire aux arrivées, au regard des éléments fournis par les opérateurs.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Pouvons-nous, quinze jours quasiment après l’événement, avoir aujourd’hui des chiffres plus précis sur le nombre de personnes aux abords des points de filtration ?
M. Didier Lallement. – Je vous ai donné tous les chiffres à notre disposition dans le PowerPoint présenté par M. le ministre. Les opérateurs pourront certainement, mieux que moi, vous fournir des éléments plus précis. Mais nous les avons interrogés. Encore une fois, contrairement à ce que j’ai pu entendre dire, ces chiffres ne sortent pas de nulle part et ne sont pas nés de mon imagination. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’un sujet politique, même si, pour ma part, je l’appréhende d’une façon opérationnelle. Or, d’un point de vue opérationnel, qu’il y ait eu autour du stade 40 000, ou 30 000, ou 20 000 personnes, cela ne changeait rien au fait que des dizaines de milliers de personnes étaient susceptibles de rentrer dans le dispositif. C’était cela, l’information absolument essentielle. Effectuer un décompte à 5 000 personnes près n’avait, en termes opérationnels, pas grande importance.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Je rebondis sur ce que vous venez de dire. D’abord, nous sommes étonnés que les chiffres annoncés ne soient pas aujourd’hui corroborés par les images de vidéo-surveillance. Or le stade est parfaitement équipé de ce genre de dispositif... Ma question porte sur la note de la DNLH du 25 mai 2022. Dans un premier temps, en début d’audition, le ministre nous a dit ne l’avoir jamais vue. Puis, en cours d’audition, il a reconnu en avoir eu connaissance. Où est la vérité ?
M. Didier Lallement. – La vérité est très simple. D’abord, le ministre ne vous a jamais dit qu’il ne l’avait jamais vue ; il vous a dit que le préfet de police ne l’avait jamais eue, sur la base de ce que je lui avais indiqué. Or je l’avais eue, même si, à titre personnel, je ne l’avais jamais vue. Le ministre vous a simplement répété ce que je lui avais dit.
Je lui ai ensuite fait savoir en cours d’audition que la préfecture de police avait bien reçu cette note. Très franchement, je ne l’avais pas lue, pour une raison qui tient à nos procédures : nous avons une direction du renseignement qui reprend l’ensemble des éléments qui lui sont fournis et qu’elle synthétise dans des notes propres à ladite direction. Les éléments de la note de la DLNH étaient parfaitement connus de nous, mais quant à la note elle-même, portant le timbre DLNH – j’ai dit la vérité, monsieur le président, car je la dis toujours –, je ne l’avais jamais vue.
En tout état de cause, le ministre n’a jamais dit qu’il n’avait pas vu cette note. J’ai écouté son audition : il vous a dit que le préfet de police ne l’avait pas vue. Je lui ai ensuite envoyé un SMS, considérant que je m’étais mal exprimé, pour l’informer que la note avait bien été reçue, mais qu’elle n’avait pas été lue par moi. Tout cela n’a pas grande importance, l’essentiel étant que l’information soit fournie par les services de renseignement ; et ces éléments étaient bien dans les notes de la direction du renseignement de la préfecture de police. On peut épiloguer pour savoir si c’est sous le bon timbre ou pas, mais peu importe : j’avais ce niveau d’information.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – On relira la déclaration du ministre. Il s’était positionné en disant qu’il n’avait pas eu connaissance de cette note. Qu’il s’agisse ensuite de lui ou de vous, peu importe : il n’avait pas cette information. Puis il a corrigé ses déclarations… Je ne partage pas tout à fait votre point de vue : cette note est malgré tout assez intéressante en termes de chiffres, de quantum et de risques annoncés. Je trouve – c’est un avis strictement personnel – qu’elle conditionne tout de même les circonstances de cet événement. Elle pouvait aussi permettre d’envisager la situation sous un angle un peu différent.
M. Didier Lallement. – Soyons clairs, j’avais ces éléments. Vous me parlez de la forme, moi je vous parle du fond : ces éléments, sur le fond, ont été portés à ma connaissance par la direction du renseignement de la préfecture de police, laquelle puise ses informations auprès de toute une série de sources, dont celles de la DLNH. Donc, je le redis, je disposais de ces éléments.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Ces éléments ont-ils fait l’objet de discussions avec les organisateurs au moment des réunions préparatoires des 25 et 27 mai ? C’est tout de même un point important, dont on a vu les conséquences le jour du match.
M. Didier Lallement. – Pas à ma connaissance. Pour ce qui est des informations sur le nombre de personnes susceptibles de venir, oui. Sur la note en elle-même, je ne crois pas.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Une question presque naïve : la garde montée était-elle présente ce soir-là au Stade de France ? On sait en effet qu’elle est régulièrement présente lors des matchs, et nous connaissons les effets sécurisants de sa présence.
Par ailleurs, on a évoqué précédemment le nombre de 400 ou 500 personnes que je qualifierais volontiers de délinquants ou de personnes susceptibles de commettre des infractions. Quelle a été la réponse pénale ? Quid du nombre d’arrestations et des poursuites engagées ? Quelles ont été les instructions données pour lutter contre ceux qui ont fait les poches des uns et des autres ?
M. Didier Lallement. – Oui, il y avait une dizaine de fonctionnaires à cheval, comme c’est classiquement le cas lors des matchs.
En ce qui concerne la réponse pénale, les magistrats pourront vous répondre mieux que moi.
Nous avons effectué un certain nombre d’interpellations – elles ont été communiquées par le ministre –, tant aux abords du stade qu’à la périphérie. J’ai vu poindre dans le débat public une question : pourquoi n’avons-nous pas interpellé les supporters qui avaient un faux billet ? Effectivement, nous ne l’avons pas fait, car nous nous sommes concentrés sur ce qui semblait essentiel, à savoir les délits que nous constations.
J’ai choisi de ne pas interpeller les individus présentant un faux billet. Très franchement, au moment des faits, nous ne pouvions pas savoir s’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. Je préfère être clair, car c’est une critique que j’ai pu entendre ici ou là : nous n’avons interpellé personne pour ce motif parce qu’aucun élément ne nous permettait de le faire sur le plan pénal.
M. Michel Savin. – Monsieur le préfet, vous avez indiqué que 30 000 à 40 000 personnes avaient un billet falsifié ou n’avaient pas de billet. Je voudrais revenir sur la photo qui a été publiée par TF1 à 20 heures 58.
Ma question est simple : où se trouvaient, à 20 heures 58, c’est-à-dire deux minutes avant le début du match, les 30 000 à 40 000 personnes dont vous faites état ? Ce n’est pas qu’un problème politique, monsieur le préfet !
M. le ministre de l’intérieur nous a dit que la présence de 30 000 à 40 000 spectateurs en dehors du stade à 21 heures était la principale cause du report du match. Or, sur les images, nous ne les voyons pas. Quelle était la réponse à apporter à cette question, sachant qu’à 21 heures, 10 000 supporters anglais n’étaient toujours pas entrés dans le stade ? Ce n’est pas anodin, c’est une vraie question : M. le ministre, qui met en avant la présence de ces personnes pour expliquer le report du match, se trompe-t-il ?
L’UEFA et la Fédération française de foot parlent de 2 800 faux billets scannés aux tourniquets d’entrée du stade. J’ai bien compris que vous ne pouviez pas nous donner de chiffres, mais pouvez-vous confirmer les propos du ministre de l’intérieur selon lesquels entre 57 % et 70 % des tickets présentés aux points de pré-filtrage étaient frauduleux ?
Des débordements ainsi que des actes de délinquance et d’agression se sont déroulés autour du stade. M. le ministre a expliqué ces débordements par la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou avec de faux billets. Partagez-vous cet avis ?
M. Didier Lallement. – Monsieur le sénateur, je n’ai pas regardé la photo de TF1, mais je crois avoir donné tout à l’heure des indications assez précises. Les 30 000 à 40 000 personnes dont j’ai fait état n’étaient pas situées aux abords stricts du stade. J’ai expliqué qu’elles se trouvaient au-delà des barrages, lesquels n’étaient pas placés à l’entrée du stade : ils servaient à contrôler l’accès au parvis du stade.
Bien évidemment, il n’y avait pas 30 000 à 40 000 personnes devant les portillons du stade. Jamais personne n’a dit ça ! Je fais simplement état des observations et des comptes rendus que j’ai transmis au ministre. Il me semble, d’ailleurs, que ce dernier a été assez clair sur cette question.
Je ne crois pas que quiconque ait dit qu’il s’agissait de la principale cause du report du match. Selon l’UEFA et la Fédération française de football, le match a été reporté parce que tous les spectateurs n’étaient pas encore entrés dans le stade, notamment les supporters anglais, ce qui se constatait aisément en regardant les gradins du stade. S’ils n’étaient pas tous là, c’est qu’ils étaient à l’extérieur. Où étaient-ils ? En partie devant le stade, mais certains étaient ailleurs. Où exactement, je l’ignore ! Quoi qu’il en soit, leur absence a expliqué la décision du monde sportif de reporter le début du match.
Notre grande crainte était qu’effectivement il arrive d’autres supporters qui fassent encore plus pression sur le dispositif de contrôle, déjà en difficulté aux stricts abords du stade. Car le problème était, à ce moment-là, de savoir combien d’entre eux auraient un billet valide.
Sur les chiffres des pré-barrages et la validité des billets, il faut être précis. Il y a eu deux types de contrôle : le pré-contrôle, effectué avec une sorte de stylo chimique qui confirme la validité du billet – les organisateurs vous l’expliqueront mieux que moi –, puis le contrôle au portillon, comme cela se passe n’importe où.
Ce qui a été dit, et ce dont le ministre a fait état, c’est que le pré-contrôle a fait apparaître jusqu’à 70 % d’erreurs, un niveau si élevé que les organisateurs ont douté de la fiabilité même de ces stylos chimiques ; ils vous l’expliqueront. Personne n’a dit qu’il y avait eu 70 % de faux billets : nous avons simplement fait état de difficultés au moment du pré-filtrage. Il faut être précis, de même qu’il ne faut pas laisser penser que 40 000 personnes se seraient massées devant le stade…
M. Michel Savin. – Voici ce qu’a dit le ministre : « La délinquance a tenu au fait qu’il y avait des milliers et des dizaines de milliers de personnes en plus qui ne rentraient pas dans le stade. »
Vous nous dites qu’à 21 heures, il n’y avait quasiment personne devant le stade. Ce n’est pas la même chose…
M. Jérôme Durain. – Dans cette affaire, on nous dit que la faute incombe à tout le monde : les faux billets, les supporters trop nombreux, la Seine-Saint-Denis, dont un candidat à la présidentielle assène qu’elle est un territoire perdu de la République… Cependant, au sein même du ministère de l’intérieur, des questions visent la doctrine de l’usage de la force publique ; mais vous prétendez qu’elles sont hors sujet.
Un syndicaliste nous a dit que la préfecture de police de Paris voulait garder pour elle seule le cœur du maintien de l’ordre en activant les brigades de répression des actions violentes (BRAV) et les brigades anti-criminalité (BAC), plutôt que d’associer les gendarmes mobiles et les CRS. Ce syndicaliste nous a même dit que Paris était le seul territoire où la gendarmerie et les CRS n’étaient pas invités à la conception des opérations de maintien de l’ordre. Ma première question porte donc sur la doctrine de l’usage des forces.
Ma deuxième question porte sur la préparation elle-même. Nous entendons des choses assez confuses sur le fait que vous ayez, ou pas, tenu compte de telle ou telle note pourtant importante… La ville de Saint-Denis va produire une contribution écrite, qu’elle transmettra au préfet Michel Cadot, sur l’accès au stade, parce qu’il y a eu manifestement des innovations. Vous nous dites que vous ne pouvez pas pousser les murs. Certes, ces murs sont dans l’architecture du site, et il faut donc en tenir compte. Mais avez-vous pris en cours de soirée des initiatives sur le pré-filtrage ayant contribué aux difficultés d’accès au stade ?
Enfin, s’agissant de l’aide apportée aux supporters anglais en matière de dépôt de plainte, si les choses paraissent claires pour ce qui est des actes de délinquance qu’ils peuvent avoir subis, elles paraissent plus compliquées concernant les actes déplacés et les éventuelles erreurs des forces de l’ordre, en particulier lors des sommations. Quels correctifs pensez-vous pouvoir apporter au formulaire de dépôt de plainte ?
M. Didier Lallement. – Je pensais avoir été clair, mais je veux bien le répéter : je suis seul responsable de l’ordre public et de la sécurité, j’assume la totalité des décisions prises et des conséquences de la situation. Je ne sais pas comment vous le dire mieux.
Comment se préparent les grands événements sur l’aspect policier ? J’entends qu’il y a des critiques, mais les choses se passent ainsi : quand un événement est prévu, la DOPC de la préfecture de police de Paris le prépare et me présente plusieurs variantes, que j’examine avec mes services. Nous quantifions les effectifs que nous comptons déployer – d’abord nos effectifs propres, car c’est une spécificité de l’agglomération parisienne que d’avoir ses propres systèmes d’ordre public –, puis je demande des renforts au ministère de l’intérieur. Ensuite, je présente ce dispositif à l’ensemble des commandants d’unités engagées. Je le fais personnellement depuis trois ans et demi, et chacun peut faire les remarques qu’il juge nécessaires ; il n’y en a pas eu dans le cas d’espèce.
On peut critiquer le plan que nous avons retenu, mais il faut savoir qu’en matière d’ordre public et d’événement engageant des centaines de personnes chargées de l’ordre public, croyez-moi, les choses ne se passent jamais comme prévu et l’on doit modifier en permanence le plan initial.
Sur les plaintes, je vous ai déjà répondu. Des supporters anglais et espagnols se sont fait avoir en achetant de faux billets. Nous entendons les aider à porter plainte ; cela nous aidera à trouver les responsables de cette fraude massive.
Sur les personnes en attente, je crois aussi avoir été très clair, mais je veux bien préciser mon propos. Les 30 000 à 40 000 personnes dont a parlé le ministre étaient en amont du pré-filtrage, même s’il y avait un nombre important de gens qui attendaient d’entrer dans le stade puisqu’on a compté 15 000 personnes manquantes dans le stade à 21 heures… Vous faites état d’une photographie, mais les choses se sont déroulées en plusieurs temps, entre l’avant-match et la situation une fois le match commencé.
M. David Assouline. – En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que la distribution des places est une opération importante. Tant qu’il y aura 20 000 places pour chacun des clubs, 29 000 places pour les VIP, 6 000 pour les personnes accréditées par l’UEFA et seulement 6 000 places pour le public, avec des places à 800 euros et plus, on dira au peuple qu’il n’est pas le bienvenu dans le stade, ce qui continuera d’avoir pour effet de fabriquer des exclus mécontents, que la police devra contenir et gérer. Tout cela ne va pas sans poser de problème à notre démocratie elle-même…
Vous avez été placé dans cette situation, que vous pouviez anticiper puisqu’une note de vos services vous avait alerté que plusieurs centaines de personnes, à tout le moins, chercheraient à forcer les tourniquets pour entrer dans le stade. Cependant, alors que vous en étiez prévenu, vous prenez la décision de lever les barrages. Pourquoi une telle décision, alors que vous saviez que plusieurs centaines de personnes au moins allaient tenter de forcer les tourniquets ? Vous dites que votre dispositif était tourné contre la menace terroriste, ce qui est surprenant étant donné les circonstances. Il n’en reste pas moins que la question se pose : pourquoi votre décision de lever les barrages ?
Une autre question, ensuite, que j’ai déjà posée au ministre de l’intérieur, sur la doctrine du maintien de l’ordre. Il ne faut pas prendre les parlementaires pour des imbéciles : il y a bien un débat en la matière, le ministre l’a reconnu. Or vous nous dites que vous n’aviez pas d’autre choix que le gaz pour disperser les gens, y compris ceux qui n’étaient pour rien dans la situation. Cela se passe aussi lors des manifestations, où les gens sont « nassés » et où, pour quelques fauteurs de trouble, des personnes venues exercer leur droit de manifester se trouvent à leur tour gazées et prises dans un tourbillon organisé par les forces de l’ordre. On l’a vu encore très récemment à la gare de l’Est…
M. Laurent Lafon, président. – Posez votre question, s’il vous plaît.
M. David Assouline. – Le ministre Gérald Darmanin m’a dit qu’il me communiquerait les télégrammes échangés entre la préfecture et les unités sur place au Stade de France, mais je ne les ai toujours pas reçus. Pourquoi ne m’ont-ils pas été communiqués ? Êtes-vous disposé à me les communiquer ?
Mme Esther Benbassa. – Quelles conséquences tirez-vous de ce qui s’est passé lors de ce match, en prévision des événements importants à venir ? C’est important pour redresser l’image de la France, à la veille des jeux Olympiques.
J’ai entendu dire que la présence de policiers pouvait impressionner, voire décourager les plaignants dans nos antennes diplomatiques en Espagne et en Angleterre. Dès lors que cette présence policière peut intimider voire décourager les plaignants, ne pensez-vous pas qu’il faudrait procéder autrement ?
M. Didier Lallement. – Je ne sais pas si vous me visiez, mais je ne prends certainement pas les parlementaires pour des imbéciles. Peut-on vous fournir les télégrammes dont vous parlez ? Sans aucun doute, et je suis navré du délai. Mais je m’inscris en faux contre l’idée que, lors des manifestations, les forces de l’ordre organiseraient un « tourbillon » contre l’exercice du droit de manifestation. Les choses ne se passent pas ainsi dans notre pays et ce ne sont pas les forces de l’ordre qui sont à l’origine des troubles dans les manifestations.
Oui, nous allons tirer les conséquences de ce qui s’est passé. Nous l’avons déjà fait lors du match France-Danemark, pour lequel nous avons adapté notre dispositif. Nous continuerons à le faire et nous travaillons sur les jeux Olympiques, forts de cette expérience.
Vous me demandez de ne pas poster de policiers dans nos antennes diplomatiques à Madrid, Londres et Liverpool pour recevoir les plaintes ? Je ne crois pas que les policiers fassent peur... En tout état de cause, les plaintes peuvent être déposées en ligne et directement auprès du tribunal de Bobigny. Nous encourageons à déposer plainte, pour nous aider dans l’enquête sur la fraude et pour identifier ceux qui ont provoqué ce chaos. J’ai moi-même saisi le procureur de la République pour qu’il ouvre une information judiciaire.
M. Olivier Paccaud. – Nous ne sommes ni juges ni arbitres. Nous ne sommes pas là pour épiloguer, pour reprendre votre mot, monsieur le préfet. Je vous écoute, et certains mots me choquent, par exemple quand vous dites avoir « subodoré » le nombre de personnes autour du stade... Notre but n’est pas de brandir un carton rouge, mais d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.
Dans votre propos liminaire, vous nous avez surtout parlé de ce qui s’était passé le jour du match, en reconnaissant que la gestion du maintien de l’ordre avait été un échec. Cela, nous le savons, la France et même le monde entier l’ont vu. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que la préparation d’un événement de cette importance commence avant le jour du match ; c’est aussi là que nous avons des questions.
D’abord, sur la notion de « match à risque ». Quand le ministre nous a dit que le match Nantes-Nice était classé comme plus risqué que Madrid-Liverpool, j’avoue que les bras m’en sont tombés. C’est incompréhensible : si tel est le cas, qui donc a pris la décision d’un tel classement ?
Sur le dispositif policier, ensuite, le ministre nous a dit que les effectifs étaient suffisants pour le maintien de l’ordre, mais il a reconnu que ceux de l’anti-criminalité avaient peut-être été insuffisants. Le paradoxe, c’est que ces effectifs étaient deux fois plus nombreux pour le match Nantes-Nice, 326 contre 164, alors que la finale européenne était censée être moins à risque que la finale de la coupe de France : n’est-ce pas le signe que vous vous attendiez à des problèmes ?
Sur les points de pré-filtrage et les barrages, enfin, la ministre des sports a fait un mea culpa en reconnaissant que la signalétique aurait pu être meilleure et que des déviations auraient été utiles. Vous nous dites, quant à vous, que vous n’étiez pas en charge de la sécurité sur ces points de filtrage. Or vous étiez bien responsable de la sécurité de l’ensemble, et vous vous êtes aperçu assez vite qu’il y avait un gros problème sur ces points de filtrage en nombre insuffisant. Pourquoi ne pas avoir réorienté plus tôt les supporters ? Pourquoi avoir attendu 19 heures 15 pour le faire ? Vous dites assumer toute la responsabilité des désordres ; j’attends donc des explications claires sur ces points.
M. Jean-Yves Leconte. – Une remarque, tout d’abord : la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l’espace Schengen, nous aurions dû disposer d’informations plus précises sur les supporters anglais, plutôt que les approximations dont on parle aujourd’hui concernant l’avant-match.
Je suis très surpris, ensuite, que vous écartiez toute remise en cause de votre schéma de maintien de l’ordre, tout en disant que vous n’aviez pas d’autre choix que de gazer des personnes sur place qui n’étaient pour rien dans les troubles. N’y a-t-il pas là une difficulté, surtout quand on voit que des règles d’emploi des gaz n’ont pas été respectées ? Y a-t-il des problèmes de formation des agents du maintien de l’ordre ? Quelles conséquences en tirez-vous ?
Vous encouragez à porter plainte, mais le formulaire de pré-plainte en ligne ne comporte rien sur l’action de la police elle-même, rien sur l’emploi des gaz lacrymogènes, par exemple. Pourriez-vous adapter ce formulaire pour qu’il corresponde davantage à la réalité ?
Enfin, comment expliquez-vous qu’il y ait eu très peu de comparutions immédiates, par rapport au nombre d’interpellations ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Au fil des auditions, nous identifions trois séquences chronologiques, et dans chacune d’elle des problèmes, sur lesquels vos propos sont parfois décalés par rapport à ceux du ministre.
D’abord, s’agissant de l’amont, la préparation d’avant-match, nous constatons des problèmes d’anticipation et de coordination. Nous avons demandé les comptes rendus de toutes les réunions de préparation, et nous ne savons pas encore précisément comment les choses se sont passées, quant à la participation ou non de la gendarmerie à ces réunions, au rôle que vous y avez joué personnellement. Comment la préparation s’est-elle déroulée, précisément ?
Pendant le match, ensuite, il semble qu’il y ait eu confusion entre gestion de foule et maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, suivant manifestement une doctrine qui vous est familière – on l’a vu encore à la gare de l’Est, à Paris –, qui n’est pas celle qu’utilisent d’autres pays, par exemple l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et que les policiers n’acceptent pas tous comme allant de soi. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), a dit qu’il aimerait connaître les ordres qui ont été donnés sur les ondes. L’inspection générale de la Police nationale (IGPN) a été saisie de deux gestes inappropriés et disproportionnés, selon l’expression du ministre de l’intérieur. Il semble bien que les policiers n’aient pas l’intention de porter le chapeau !
Pour ce qui est de l’après-match, enfin, nous constatons une grande confusion dans les explications, de la précipitation, du flou dans les informations qui nous sont communiquées. Depuis le début de nos travaux, je ne sais toujours pas où étaient les 30 000 supporters excédentaires dont on nous a parlé. Je les cherche mais, à vous écouter, je comprends qu’ils n’étaient tout simplement pas là !
Il y a donc eu des fautes avant, des problèmes pendant, et du flou après. Vous constatez vous-même que c’est un échec et vous dites n’éluder aucune de vos responsabilités. Quelles conséquences en tirez-vous donc à titre personnel ?
M. Didier Lallement. – Dans mon intervention liminaire, j’ai effectivement parlé des faits qui se sont produits le soir du match, et pas de la préparation dans son détail. Celle-ci a comporté, à ma connaissance, plus d’une douzaine de réunions préparatoires.
Quatre réunions ont été présidées par le délégué interministériel à la sécurité, avec l’ensemble des intervenants, des réunions structurantes dont le cadre est défini. J’ai présidé cinq réunions préparatoires à la préfecture de police. Cinq autres réunions préparatoires ont été présidées par mon directeur de cabinet. À quoi s’ajoutent d’autres réunions préparatoires à la préfecture de Seine-Saint-Denis – au moins une dizaine – ; je n’ai pas la liste exhaustive, elles ont été nombreuses, en plusieurs phases.
Mais votre question porte plutôt sur le fait de savoir si la préparation a été bien faite, ou pas. Quand je parle d’échec, c’est parce que nous avons eu une difficulté face à ces 30 000 à 40 000 personnes qui étaient non pas dans le stade, mais à l’extérieur, avant le pré-filtrage. Les opérateurs nous avaient communiqué ces chiffres. Quand j’emploie le verbe « subodorer », qui est peut-être malheureux, il signifie que nous avions l’idée de plusieurs dizaines de milliers de personnes présentes au-dehors – le chiffre que j’ai communiqué était de 34 000 personnes –, dont le nombre a varié puisque certaines entraient dans le stade. C’est cela qui nous inquiétait sur le moment. Quant aux fan zones, les opérateurs nous disaient qu’il y avait quelque 44 000 personnes sur la fan zone anglaise à Paris…
J’en viens à la doctrine d’emploi. Quand une foule s’agglomère et fait pression, je ne connais pas d’autres moyens pour la faire reculer que les gaz lacrymogènes ou la charge. Les ordres qui ont été donnés, y compris dans le cas que vous avez cité de la gare de l’Est, étaient de ne pas charger, parce que j’ai considéré que cela aurait été dévastateur. Et quand on ne charge pas, il ne reste plus que l’emploi du gaz pour faire reculer une foule qui fait pression.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Le ministre a parlé de gestes inappropriés !
M. Didier Lallement. – L’emploi de gaz lacrymogènes était nécessaire, j’assume entièrement cette décision. Ensuite, il y a eu des gestes inappropriés parce qu’il peut toujours y en avoir, malheureusement, dans ce type d’événement, quand des fonctionnaires se laissent aller par l’énervement du moment à des gestes qui manquent de professionnalisme.
On m’a rapporté deux de ces gestes, les enquêtes sont en cours. Il faut être très précis.
Dans l’un des deux cas, sur les images, on voit le fonctionnaire de police gazer une personne qui vient vers lui et qui paraît être un supporter anglais. Mais les séquences qui tournent sur les réseaux sociaux omettent de montrer que cette personne vient juste après d’autres, qui s’introduisaient frauduleusement dans le stade par un escalier. Le fonctionnaire a confondu ce supporter avec les autres et l’a gazé, ce qui manquait de professionnalisme. Dans l’autre cas, le geste a lieu lors d’un barrage. Ces deux gestes font l’objet d’une enquête.
Je crois que dans une opération de cette importance, au vu du nombre de fonctionnaires engagés et de la durée du dispositif, le fait qu’il n’y ait eu finalement que deux gestes apparemment inappropriés est surtout une preuve de la qualité des fonctionnaires, de leur efficacité et de leur déontologie. Je ne laisserai pas des fonctionnaires être mis en cause ; si vous devez vous en prendre à quelqu’un, prenez-vous-en à moi.
Pour ce qui est du classement des matchs, la rencontre Madrid-Liverpool était classée de niveau 3, et celle entre Nantes et Nice de niveau 4.
M. Olivier Paccaud. – C’est incompréhensible, d’autant que la note de la DNLH vous avait alerté sur les risques…
M. Didier Lallement. – Cette note a beaucoup de qualités, mais elle ne permet pas de prédire l’avenir. Or il nous manquait cette information décisive : l’utilisation massive de faux billets. Vous pouvez m’en faire reproche, mais si nous nous attendions à ce qu’il y ait des faux billets, nous n’avions pas prévu que la fraude puisse être aussi massive.
Vous vous étonnez que nos forces aient été en formation « antiterroriste ». Mais elles ne sont pas restées passives face aux désordres. Nous sommes venus en appui des stadiers qui avaient la responsabilité des points de pré-filtrage, et nous nous sommes placés derrière eux pour les soutenir. Et lorsqu’ils ont été débordés, si j’ai pris la décision de lever le barrage, c’était pour éviter un drame. Et c’est bien parce que je suis responsable de la gestion de la foule que j’ai pu prendre cette décision – une décision que j’assume complètement.
Le formulaire de dépôt de plainte en ligne est standard : c’est celui que l’administration française utilise en général. Je l’ai fait traduire en anglais et en espagnol, mais je ne l’ai pas fait adapter au cas d’espèce. Il est vrai que ce document est un peu compliqué à remplir, avec beaucoup de cases à cocher, ce qui est bien français... Vous me prenez de court ; je vais regarder si nous gagnerions à l’adapter.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Quelles conséquences tirez-vous de cet échec, à titre personnel ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Monsieur le préfet, vous pourrez répondre à Mme de La Gontrie lorsque je vous redonnerai la parole.
Nous avons examiné le formulaire de pré-plainte, il gagnerait effectivement à mentionner le lieu, par exemple, et à être plus précis sur la nature des infractions.
M. Thomas Dossus. – Votre réponse sur l’emploi des gaz lacrymogènes n’est pas satisfaisante. On ne peut vous laisser dire qu’il n’y a pas d’alternative à cet emploi, alors qu’à votre place, la semaine dernière, le ministre de l’intérieur nous disait envisager un changement de doctrine pour l’usage de ces gaz, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques. Il y a donc un désaccord entre vous et le ministre.
Chacun avait compris dans notre pays qu’il devait s’attendre à être gazé lorsqu’il allait manifester. C’est désormais également le cas quand on va au stade, et même quand on attend le bus ! Ne pensez-vous pas qu’il y a des abus, qui retombent finalement aussi sur ces malheureux agents dont les gestes inappropriés sont filmés ?
On ne peut se contenter de vos réponses, il faut parler de doctrine d’emploi de ces gaz. D’autres méthodes sont possibles. Est-ce que les sommations ont été faites en anglais ? Quel a été le dialogue avec les supporters anglais ? Beaucoup de témoins disent qu’il n’y en a pas eu, mais vos agents pouvaient-ils au moins communiquer en anglais ? Quelles conséquences pour la formation des agents, et pour le maintien de l’ordre lors de grands événements internationaux ?
M. Jacques Grosperrin. – Vous dites bien que vous êtes le seul responsable opérationnel. Et, à trop le dire, on sent bien qu’il en va aussi de la responsabilité du président de la République qui a accepté d’organiser ce match en trois mois, alors qu’il aurait fallu, on le sait, dix-huit mois. On sent bien également, en creux, que vous êtes prêt, en tant que haut fonctionnaire, à vous placer sur l’autel pour être sacrifié…
Cependant, lorsque vous dites que le match n’avait pas été classé au plus haut niveau du risque, c’est grave, car les supporters de Liverpool sont connus pour se déplacer en masse et sans billets, et pour essayer régulièrement de s’infiltrer. Votre mission, dites-vous, est de faire reculer la foule qui se presse, mais le problème se pose en amont.
Vous dites que vous ne saviez pas précisément ce qui se passait au niveau du contrôle des billets. Y a-t-il eu un problème de coordination entre la sécurité du stade et les forces de l’ordre ? Certains parlent de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement. Y aurait-il eu – je n’ose le croire – des consignes contradictoires de ne pas intervenir sur les fauteurs de troubles ? Vous encouragez à porter plainte. Mais le faites-vous aussi concernant l’usage des gaz lacrymogènes ?
Si vous ne répondez pas à ces questions, j’entendrai votre gêne à vous exprimer sur ces faits.
M. Guy Benarroche. – Quitte à faire passer les parlementaires pour des gens qui ont besoin de poser plusieurs fois la même question, je veux vous interroger sur votre choix d’utiliser les gaz.
Vous dites qu’une fois votre décision prise de lever le barrage, il n’y avait pas d’autre choix possible, étant donné la répartition de vos forces, que de gazer des personnes qui n’avaient aucune raison d’être traitées ainsi. Et vous ajoutez, ce qui ne laisse pas de me surprendre, que si c’était à refaire, dans six mois ou dans trois ans, vous le referiez ! Je repose la question de mon collègue Thomas Dossus : n’y a-t-il pas, dans la doctrine du maintien de l’ordre, d’alternative à cette façon de gazer des gens qui ne sont pour rien dans les désordres ?
M. Éric Kerrouche. – D’après nos informations, vous disposiez pour cet événement de 33 unités de forces mobiles, ce qui représenterait environ le tiers des effectifs de nos forces nationales, mais vous avez choisi d’en déployer 10 seulement sur le Stade de France. Pourquoi ce choix stratégique, alors que vous saviez manifestement que des personnes extérieures allaient se concentrer sur le stade ? Ensuite, vous avez choisi de déployer la BRAV sur le stade, alors qu’elle n’est manifestement pas la plus adaptée pour ce genre d’événement, moins en tout cas que les CRS. Pourquoi ce choix ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Nous sommes tous conscients de l’enchaînement de dysfonctionnements qui a mené à ce chaos dont la France se serait bien passée, à quelques encablures des jeux Olympiques. Il en va du rayonnement de notre pays, de la crédibilité de nos autorités et de notre capacité à accueillir des événements d’une telle ampleur, ce qui interroge notre doctrine du maintien de l’ordre.
J’ai été, le jour du match, stupéfaite de voir aux abords du stade, entre la sortie du RER et l’entrée du stade, des vendeurs d’alcool à la sauvette et de denrées alimentaires dans des conditions d’hygiène déplorables. Pire encore, je n’ai été ni contrôlée ni fouillée pour accéder au stade. Le ministre de l’intérieur a reconnu qu’à partir d’un certain moment, le public n’a effectivement plus été contrôlé, ce qui est incompréhensible face à la menace terroriste. Le ministre, que j’ai interrogé sur ces points la semaine dernière, m’a répondu que vos décisions avaient sauvé des vies. C’est probable, mais je crois aussi qu’elles auraient pu en supprimer d’autres.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Monsieur le préfet, nous sommes aussi là pour démentir les nombreuses informations fausses qui ont circulé ces derniers jours. En ce qui concerne la fausse billetterie, nous avions cru comprendre initialement qu’entre 30 000 et 40 000 faux billets avaient circulé ; il apparaît désormais que ce n’était pas le cas et vous avez clairement précisé qu’un certain nombre de personnes s’étaient présentées aux abords du stade sans billet. A-t-on une estimation de ce que représente la fausse billetterie ?
En ce qui concerne les 300 à 400 individus que vous qualifiez d’« indésirables » et qui ont commis des agressions pendant et après le match, vous précisiez dans la note que vous avez transmise au ministre de l’intérieur, au lendemain des événements, qu’il s’agissait de jeunes issus des quartiers sensibles de Seine-Saint-Denis. Est-ce que, quinze jours après les faits, vous avez des précisions à nous apporter sur ces personnes « indésirables » ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Je voudrais me faire le porte-parole, si je puis dire, de Mme Boyer qui n’a pas réussi à s’exprimer, pour des raisons techniques. Ses questions sont les suivantes : pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’anticipation sur la gestion de la délinquance autour du stade, alors qu’on la connaît ou qu’on peut l’imaginer ? Pourquoi y avait-il autant de mineurs isolés, comme la presse le rapporte, sachant qu’ils sont a priori connus de vos services ? Pourquoi le questionnaire que vous avez mis en place ne vise-t-il pas les agressions physiques ? Enfin, pourquoi si peu de comparutions immédiates ? Est-ce parce qu’il n’y a pas eu de caméras pour corroborer les témoignages ?
J’ajoute une dernière question : la police a-t-elle continué son action lorsque les gens sont repartis dans les transports en commun ? Des témoignages rapportent, en effet, qu’il y a eu des agressions dans les transports en commun.
M. Didier Lallement. – Madame de La Gontrie, merci de vous soucier de ma situation personnelle. Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet, mais je vous répondrai en privé, si vous le souhaitez.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Il n’y a donc aucune remise en cause ?
M. Didier Lallement. – Quelle importance peut bien avoir ma situation personnelle ! Je suis un haut fonctionnaire, je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C’est quoi, votre problème ?...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – La question méritait d’être posée.
M. Didier Lallement. – Vous l’avez posée et vous me donnerez acte d’y avoir répondu.
Pour répondre aux questions sur les gaz lacrymogènes, je redis ce que j’ai dit, je ne connais pas d’autres moyens que les gaz ou la charge. La doctrine peut bien évidemment évoluer, si le souhait que l’on ne gaze pas prévaut, mais alors il faudra charger pour repousser une foule. Je ne suis pas partisan de cette seconde option. Je le dis en tant que technicien du sujet sans avoir de préférence absolue. En l’occurrence, il me semble avoir fait ce qu’il fallait.
Des sommations ont bien sûr été lancées, mais pas en anglais : nos textes ne le prévoient pas, de sorte que faire des sommations en anglais reviendrait à ne pas faire de sommation du tout, puisqu’elles seraient prononcées dans une langue étrangère non prévue par les codes, ce que l’on n’aurait pas manqué de nous reprocher. Nous avons bien évidemment fait des annonces en anglais par le dispositif des haut-parleurs HyperSpike qui ont une très forte puissance en matière de densité de décibels. Nous avons ainsi procédé à toute une série d’annonces pour demander aux gens de s’écarter. Force est de constater qu’elles n’ont pas été suivies d’effet.
Quant aux problèmes de coordination avec les organisateurs, je vous ai expliqué les réunions qui avaient eu lieu et la manière dont les choses s’étaient passées. Bien évidemment, quand une situation tourne mal, chacun est fondé à dire que c’est par un défaut de préparation. Je vous ai dit que c’était un échec et que l’on aurait pu sans doute faire les choses différemment si l’on s’était attendu à une fraude aussi massive que celle qui a eu lieu. Je ne peux pas vous dire le contraire. Toujours est-il que nous n’avions pas envisagé ce niveau de massification de la fraude. On peut toujours faire mieux.
L’instruction a-t-elle été donnée de ne pas intervenir sur les fauteurs de trouble ? Franchement, ce n’est pas le genre d’instruction que l’on donne dans la police ! En revanche, j’ai effectivement donné l’instruction – je suis très clair sur ce point – de ne pas interpeller de supporters munis de « faux billets ». J’ai employé les guillemets parce que rien n’assurait alors qu’il s’agisse de faux billets et que nous pouvions simplement constater que le dispositif technique ne fonctionnait pas. Les autorités sportives en ont déduit que c’était de faux billets, mais sur le moment, je n’avais pas d’élément prouvant qu’il s’agissait d’une infraction ou d’un délit. En tout état de cause, il me semblait qu’en pure opportunité ce n’était pas le sujet du moment que de procéder à ces interpellations, car nous avions mieux à faire. Oui, des instructions ont été données en ce sens, mais elles ne concernaient pas les fauteurs de trouble, c’est-à-dire les délinquants et ceux qui se comportaient de manière à commettre des délits.
Si les supporters anglais et espagnols veulent porter plainte contre la police, ils peuvent tout à fait le faire. Vous me demandez de le prévoir dans le formulaire, si je comprends bien. Je considère quant à moi que les choses sont assez claires et que cela ne pose pas de problème. Puisque vous me donnez l’opportunité de m’exprimer publiquement et de m’adresser, au-delà de nos concitoyens français, aux supporters anglais et espagnols, je leur dis que s’ils considèrent que des actes de police ont été commis de façon irrégulière, il faut bien évidemment qu’ils nous le signalent et nous donnerons les suites nécessaires.
Referais-je la même chose sur les gaz ? Je crois vous avoir répondu : oui, je referais la même chose parce que, encore une fois, je pense que c’était le moyen le plus adapté.
M. David Assouline. – Même à la gare de l’Est ?
M. Didier Lallement. – À la gare de l’Est aussi, je pense que c’était approprié de le faire. Encore une fois, monsieur le sénateur, le fil rouge de mon action depuis que je suis préfet de police, c’est d’éviter les morts et les blessés graves. J’ai la chance de les avoir évités, cela aurait pu se passer de manière bien pire et il aurait pu y avoir des morts depuis les trois ans et trois mois que je suis en fonction. En mai 68 il y a eu des morts ; pendant la crise des gilets jaunes, il n’y a pas eu de morts à Paris.
M. David Assouline. – En mai 1968, il s’agissait d’une révolution !
M. Didier Lallement. – Je ne dis pas que les choses sont parfaites, mais j’aimerais quand même que de temps en temps on rappelle ce que sont les réalités historiques. Je sais, monsieur le sénateur Assouline, combien vous êtes attaché à l’histoire.
En ce qui concerne les BRAV, j’entends souvent qu’elles ne seraient pas des unités spécialisées à l’égal des CRS et des escadrons de gendarmes mobiles, mais c’est faux. Les BRAV sont des unités spécialisées, peut-être plus entraînées que celles que je viens de citer – je dis « peut-être » parce que je ne veux froisser personne –, mais d’un haut niveau de technicité propre à la préfecture de police. Ce n’est pas une invention de ma part ; j’ai simplement inventé l’acronyme et le modus operandi. Ces effectifs dits « des compagnies d’intervention » existent à la préfecture de police depuis la nuit des temps, sous la forme d’unités de forces mobiles spécialisées de la préfecture de police, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, comme je le rappelais précédemment, et à ce qu’est la région capitale.
Les BRAV sont spécialisées dans l’intervention en matière d’ordre public. Il n’est donc pas surprenant que lorsque nous avons eu besoin de réserves, nous les ayons fait intervenir. C’était parfaitement justifié, car ce sont des unités d’élite. D’ailleurs, je suis à la disposition de vos commissions, messieurs les présidents, si vous voulez assister à un entraînement des compagnies d’intervention.
Plus que d’une méconnaissance du dispositif de police – car ce n’est pas forcément la spécialité absolue des uns et des autres –, la confusion vient de l’appellation. En province – ceux qui sont élus d’une région autre que l’Île-de-France le savent bien –, sont désignées comme « compagnies d’intervention » les unités de sécurité publique qui se forment pour des opérations d’ordre public. Toutefois, cette appellation similaire ne remet pas en cause le fait que la technicité et l’expérience restent très fortes dans les unités constituées.
En ce qui concerne la vente d’alcool à la sauvette, nous avons effectivement recensé beaucoup de cas. Neuf personnes ont été interpellées. Mais il est assez difficile d’interpeller des vendeurs à la sauvette en raison de leur extrême mobilité. D’ailleurs, en ce moment, je suis en train d’expérimenter les interpellations de vendeurs à la sauvette sur le Champ-de-Mars – ventes de boissons, de souvenirs, de maillots de supporters, etc.
Encore une fois, il était absolument nécessaire de les interpeller, mais dans la hiérarchie des incidents, ce qui nous a préoccupés au niveau des interpellations, c’est d’abord les agressions et les violences aux personnes. C’était ça l’absolue priorité.
Quid ensuite des comparutions immédiates ? Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il va falloir voir tout cela avec les parquets concernés. Mais très souvent, ce que l’on observe dans des mouvements de foule de cette nature, c’est que l’on ne peut pas reprocher à la justice de ne pas déférer les personnes en comparution immédiate : le problème que nous avons, c’est la rédaction des procès-verbaux d’interpellation. Quand vous êtes dans un moment de cette nature, c’est-à-dire d’une intensité policière extrêmement forte, il faut rédiger le PV d’interpellation de la personne. En situation d’urgence, tout cela est souvent mal fait. Ce n’est pas un reproche que j’adresse aux hommes et aux femmes sous mon commandement, mais c’est une réalité d’expérience. Très franchement, ils ont vraiment autre chose à faire. Or, quand les PV sont mal rédigés, les magistrats, à juste titre, nous disent que cela ne tient pas debout. C’est un problème que nous rencontrons lors les manifestations depuis 2015, c’est-à-dire depuis que la nature des manifestations a changé – vous voyez, c’était avant mon arrivée, tout n’est pas dû à ma présence à la préfecture de police !
Bref, nous avons du mal à documenter précisément les conditions d’une interpellation et à formuler l’infraction ou le délit commis. Nous avons expérimenté plusieurs méthodes, qui n’ont pas été déployées au Stade de France, notamment en missionnant des agents spécialisés en appui des éléments d’intervention ; il s’agit, en quelque sorte, de greffiers du dispositif. Leur mission est d’aider très rapidement le fonctionnaire à rédiger son PV d’interpellation. Mais pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, ces agents n’ont pas été déployés ce soir-là et, assez vraisemblablement, nos PV n’étaient pas totalement bien rédigés.
Je ne reviendrai pas sur les explications concernant la présence de 30 000 à 40 000 supporters. J’espère néanmoins, même si j’ai bien compris que je n’avais pas convaincu tout le monde, avoir été clair.
M. David Assouline. – Êtes-vous convaincu vous-même ?
M. Didier Lallement. – Je suis toujours convaincu, monsieur le sénateur, par nature : je suis un homme de convictions ! Je ne vois pas très bien pourquoi je vous raconterais des choses dont je ne suis pas assuré ! Je vous dis ce que nous avons vu et je vous rapporte les éléments que nous avons constatés. Vous pouvez légitimement les contester, mais ça n’est pas l’objet de mon propos aujourd’hui.
M. le président Buffet m’a posé une dernière question, mais je suis confus, car je l’ai mal notée…
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Quelle a été l’action de la police en ce qui concerne les supposés supporters ayant repris ensuite les transports en commun, sachant que nous disposons d’informations faisant état d’agressions commises à ce moment-là ?
M. Didier Lallement. – Le dispositif était organisé de la façon suivante. Nous avions déployé un dispositif d’ordre public sur le périmètre des pré-barrages et un dispositif de sécurité publique dans les gares et en périphérie des gares, c’est-à-dire dans les parties extérieures. Par exemple, pour les voyageurs de la ligne 13, notre dispositif de sécurité publique était installé au nord de cette ligne, entre la gare et la fan zone espagnole. Nous pensions, en effet, que les actes de délinquance se produiraient à cet endroit.
Quand nous avons levé nos barrages et replié notre dispositif d’ordre public sur le stade, puis à l’intérieur du stade, des délinquants sont descendus de cette zone et sont rentrés sur les cheminements des supporters. Nous avons, à ce moment-là, fait redescendre notre dispositif de sécurité publique, mais il n’était pas appuyé par notre dispositif d’ordre public : la présence sur les pré-barrages était donc à l’évidence moins dissuasive. Voilà ce qui s’est passé.
Certes, si nous avions été trois fois plus nombreux, cela aurait beaucoup mieux fonctionné. C’est une évidence, mais la combinaison pour ce type d’événements était jusqu’à présent celle-ci. Vous parliez tout à l’heure d’un dispositif anti-criminalité, mais il s’agissait d’un dispositif anti-délinquance. Les forces chargées de l’ordre public ne prennent en charge les faits de délinquance que lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une manœuvre d’ordre public : c’est-à-dire quelqu’un qui est violent, qui casse, etc. Là, les équipes d’ordre public interpellent. Ce sont les forces de sécurité publique qui traitent des faits habituels de délinquance. Dans nos dispositifs dits « stade », c’est l’appui des deux dispositifs qui permet l’efficacité.
Effectivement, à partir du moment où notre dispositif d’ordre public était à l’intérieur du stade, même s’il en est sorti sur la fin du match, – mais à ce moment-là, il était englué dans le départ des supporters –, il a été à l’évidence moins efficace. C’est ce qui s’est passé. Nous en avons tiré les conséquences sur ce qu’il conviendra de faire à l’avenir lors d’événements de cette nature, c’est-à-dire qu’il nous faudra avoir des réserves d’intervention de sécurité publique capables de sécuriser les retours. En résumé, notre appui traditionnel ne s’est pas fait. Du coup, le dispositif présentait moins de solidité dans son aspect sécurité publique.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Monsieur le préfet, je me permets d’insister, car je n’ai pas entendu votre réponse sur les 300 à 400 indésirables. Quelle était l’origine de ces personnes ?
M. Didier Lallement. – Je ne sais pas s’ils étaient ou non de Seine-Saint-Denis. Je dis juste qu’il y avait 300 à 400 personnes qui ne semblaient pas être des supporters. Il faut que je fasse attention à ce que je subodore, si j’ai bien compris ?
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Cela figure dans votre note.
M. Didier Lallement. – J’ai écrit « de Seine-Saint-Denis » parce qu’ils étaient « en Seine-Saint-Denis ».
Soyons francs, si votre question est : « S’agit-il de gens des cités autour du stade ? », je ne peux pas dire une chose pareille parce que je n’en sais rien ! Oui, il s’agit d’un type de population délinquante que l’on rencontre en Seine-Saint-Denis, mais on en rencontre également dans le nord de Paris. En tout état de cause, il ne nous est pas possible de les tracer. Vous avez raison, dans ma note j’indiquais qu’ils étaient de Seine-Saint-Denis, mais il est très franchement impossible de savoir d’où ils venaient. En revanche, je puis vous dire qu’il y avait des mineurs non accompagnés – c’est un grand classique – dont la gestion relève, en dehors de leurs actes de délinquance, des collectivités locales.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Merci, monsieur le préfet, de votre présence ce matin et de vos réponses aux questions qui ont été posées.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 00.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale , et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication -
La réunion est ouverte à 16 h 10.
Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Monsieur le maire, nous vous remercions d’avoir répondu à l’invitation de nos deux commissions du Sénat. Permettez-moi de souligner, avec le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, et l’ensemble des parlementaires ici présents, combien nous regrettons les circonstances dans lesquelles nos amis britanniques et leurs familles se sont retrouvés à l’occasion de la finale de la Ligue des champions.
Nous vous recevons en votre qualité d’élu britannique, mais également de témoin des événements et de supporter de football. Nous croyons savoir que vous assistez régulièrement aux matchs de Liverpool ; je me souviens de temps anciens où le football français a beaucoup subi les qualités exceptionnelles d’un joueur nommé Kevin Keegan... Vous êtes en mesure de comparer les organisations et les ressentis à l’occasion des matchs. Vous avez indiqué dans la presse et sur les réseaux sociaux avoir vous-même été victime de vols au cours de cette soirée. Sur tous ces éléments, nous attendons votre témoignage.
Depuis le 28 mai dernier, la police française a mis en place un formulaire de dépôt de plaintes sur le site de l’ambassade de France, afin de permettre la poursuite de ceux qui ont commis des infractions. Auriez-vous des suggestions à nous adresser à cet égard ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool. – Je remercie le Sénat français de m’avoir invité. Monsieur le président, je crois que vous montrez un peu votre âge, avec la référence à Kevin Keegan !
Les fans de Liverpool peuvent effectivement remplir un formulaire. Mais ce n’est pas un formulaire de plainte contre le traitement de la police lui-même. Pour moi, c’est l’une des plus grandes injustices, car il s’agit de l’un des plus grands maux dont ils ont souffert.
Le formulaire permet de saisir des informations. Mais l’important est de savoir comment celles-ci seront traitées une fois collectées. Pour ma part, je le remplirai. Je note qu’il doit être envoyé par voie postale en France. Pourtant, il serait nettement plus facile d’avoir à remplir un formulaire en ligne, afin de permettre un véritable suivi des plaintes envoyées.
Les supporters se réjouissent d’un tel engagement de la part des autorités françaises, mais il existe des doutes quant à la méthode de collecte des données et à l’utilisation qui en sera faite.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Pourriez-vous nous raconter précisément ce que vous avez vécu le soir du match ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool. – La nuit précédente et le jour du match, j’étais à Paris. Les Parisiens étaient très accueillants. Ils nous faisaient sentir que nous étions comme chez nous. Je crois d’ailleurs que beaucoup d’entre eux souhaitaient la victoire de Liverpool, puisque le Real Madrid avait gagné contre Paris en 8e de finale.
Mais, lorsque je suis sorti du métro pour aller vers le Stade de France, j’ai vraiment constaté un changement d’atmosphère. La journée de rêve s’est transformée progressivement en journée de cauchemar. On m’avait prévenu qu’il y avait des groupes de pickpockets bien organisés. J’en ai malheureusement été victime.
Même si, sur le moment, j’ai vécu cela difficilement - on m’a volé mes papiers, mes cartes, mon téléphone, mon billet d’entrée -, ma préoccupation immédiate a été de savoir quoi faire. Ce qui m’est arrivé n’est vraiment pas grand-chose par comparaison avec ce qui est arrivé à d’autres personnes, qui ont été victimes de vols beaucoup plus violents.
La journée qui a précédé le match était vraiment fantastique ; en revanche, l’organisation autour du stade et l’attitude de la police ont très rapidement transformé ce beau moment en une journée négative.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Je me joins aux propos du président Buffet et vous exprime à mon tour nos regrets : ce qui aurait dû être un bel événement sportif a malheureusement donné lieu à des débordements inacceptables dont un grand nombre de supporters de Liverpool ont été victimes. Le président Buffet rappelait les exploits de Kevin Keegan : de fait, nous sommes nombreux en France à apprécier ce beau club de Liverpool. Pour ma part, c’est Kenny Dalglish que j’ai en mémoire. C’est dire l’estime que nous avons pour votre club.
Un certain nombre de points suscitent des incompréhensions des deux côtés de la Manche, en particulier la question de la billetterie papier, qui, depuis quelques jours, donne lieu à bien des débats. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, non pas la ville de Liverpool, mais son club a demandé à disposer de billets papier ? Est-ce une pratique régulière ?
M. Steve Rotheram. – Je vais répondre à votre question parce que vous me l’avez posée, mais je veux dire qu’on a utilisé cette question des billets pour créer ensuite une fausse version des faits.
Les fans de Liverpool assistent à de nombreux matches de foot à l’extérieur et il n’y a jamais eu de problème avec les billets. Pour moi, le problème, c’est que certains scanners ont rejeté des billets valides, ce qui a créé de longues files d’attente. C’est un moyen dont on s’est servi pour faire des fans de Liverpool des boucs émissaires. Du côté du Real Madrid, ce sont des tickets électroniques qui ont été utilisés ; pourtant, il y a aussi eu des problèmes. Donc, ces accusations contre les fans sont fausses : c’est à la sortie des stations de transport en commun que la situation a commencé à dégénérer. M. Darmanin et Mme Oudéa-Castéra ont livré une version fausse en parlant de 30 000 à 40 000 faux billets, et ce uniquement pour servir la version des autorités françaises.
Ce n’est pas la première fois qu’on fait des fans des bouc émissaires : c’est ce qui s’est également passé après le match d’Hillsborough, qui avait fait 97 morts. C’est donc un sujet vraiment sensible.
Cette idée de reporter la faute sur les fans s’est fait jour dès le début : pour cela, on a utilisé les images. Pourtant, les fans sont arrivés avec trois heures d’avance. Manifestement, ce n’était pas suffisant. Quand donc auraient-ils dû arriver pour que les choses se passent bien ?
Ensuite, on a mis en cause les fans sans billet. Là encore, ce sont de fausses accusations. Les propos de M. Darmanin, qui évoquait 40 000 fans sans billet, ne reposent sur aucune preuve.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Cela fait partie des points que nous examinons avec la plus grande attention. Ce matin, nous avons auditionné le préfet de police et, cette après-midi, les responsables de la Fédération française de football. Le Sénat a bien l’intention de mettre à plat tous les dysfonctionnements et d’identifier les responsabilités des uns et des autres. N’ayez aucun doute sur notre volonté de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté.
Ma question visait non pas à mettre l’accent sur tel ou tel problème, mais à lever certaines incompréhensions qui ont pu naître des deux côtés de la Manche. Et il est vrai que cette question des billets papier nous interroge un peu. Je me permets donc de vous reposer la question : pourquoi cette demande de billets papier du côté de Liverpool ? Madrid a formulé des demandes similaires, mais en moins grand nombre. Pour lever toute ambiguïté, je veux préciser que, en France, nous ne connaissons pas forcément cette pratique consistant, pour de nombreux supporters, à se déplacer à l’étranger à l’occasion d’un match alors même qu’ils ne disposent pas de billet. Pouvez-vous nous indiquer si c’est là quelque chose d’habituel chez les supporters de Liverpool, pour une finale ou un match de qualification ?
M. Steve Rotheram. – Merci d’avoir clarifié votre question. Il faudrait la poser directement au club de Liverpool. Si le problème trouve son origine dans ces billets papier, alors pourquoi lui avoir donné la possibilité d’y recourir, de préférence à des billets électroniques ? En tout cas, puisque de tels billets sont, semble-t-il, autorisés, je ne comprends pas vraiment le sens de votre question. D’autant que les fans du Real Madrid qui utilisaient des billets électroniques ont, eux aussi, rencontré des problèmes pour entrer dans le stade, puisque les scanners ont connu également des dysfonctionnements avec ceux-ci.
La situation aurait-elle été encore plus chaotique si les fans de Madrid n’avaient pas eu de billets électroniques ? Je ne sais pas, il est difficile de répondre à cette question.
Londres est facilement accessible depuis Liverpool ; ensuite, on rejoint Paris en une heure trente, grâce au tunnel sous la Manche. C’est ce qu’ont fait les fans du club, mais sans la moindre intention d’entrer dans le Stade de France ; ils voulaient simplement profiter de l’atmosphère. Les dizaines de milliers de supporters qui se sont rassemblés au sein des fan zones se sont extrêmement bien comportés, ils ont fait la fête, ils se sont amusés, ils ont profité de l’événement : ceux qui ne pouvaient pas aller au stade ont regardé le match sur des écrans géants.
Peut-être les autorités françaises ou les autorités du football ne voulaient-elles pas que ces fans voyagent... Pour ma part, j’estime que chacun a le droit de se déplacer et de profiter de l’atmosphère d’un match à l’extérieur du stade. Et puis, simplement, ces fans pensaient être les bienvenus et voulaient éprouver le sens de l’hospitalité du peuple français. Ce qui est une bonne chose.
Je n’accuse absolument personne, mais, dans certains cas, les supporters de Liverpool qui n’avaient pas de ticket ont été quelque peu trompés : dire qu’ils ont tenté de pénétrer dans le stade quoi qu’il en coûte, c’est simplement faux ! Où ces 40 000 personnes ont-elles disparu ? Elles se sont évanouies dans le métro, juste après le coup d’envoi ? Cela m’intéresserait de le savoir !
D’où sort ce chiffre de 40 000 faux billets ? C’est un calcul qu’on a fait au dos d’un paquet de cigarettes ?
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Monsieur le maire, pour être très précis s’agissant de la question des billets papier, il nous a été dit que l’usage dans une telle compétition était d’utiliser des billets électroniques et que, pour la finale, les Espagnols avaient effectivement demandé 6 000 billets papier pour un usage interne au club, si je puis dire, puisque ces billets étaient destinés à ses invités. Le club de Liverpool, quant à lui, a demandé un plus grand nombre de billets papier, certains d’entre eux s’étant par la suite révélés faux, d’après ce qui a été constaté. Une enquête judiciaire est en cours pour faire la lumière sur cette affaire, ce qui est parfaitement normal. Nous avons demandé à la Fédération française de football - en réalité, c’est l’UEFA qu’il faudrait interroger - pourquoi il avait été dérogé, pour les deux clubs, à cette règle du billet électronique. Ce n’est pas le seul problème, tant s’en faut, nous sommes bien d’accord, mais c’est une question que l’on se pose.
Monsieur le maire, quelle était l’ambiance autour de vous lorsque vous avez rejoint le stade ? On nous dit qu’il vous a été demandé de passer par-dessus les grilles pour entrer dans l’enceinte, ce qui nous semble effrayant. Nous voudrions comprendre : y avait-il beaucoup de monde, exerçant une pression très forte ? ou bien la foule était-elle plus clairsemée, mais le climat extrêmement violent ?
M. Steve Rotheram. – Avant de vous relater dans quel contexte on m’a demandé d’escalader la grille, j’aimerais revenir sur votre première question, celle sur les billets.
Je pose la question aux autorités françaises et à l’UEFA : si la délivrance de billets papier aux supporters de Liverpool était problématique, alors pourquoi l’ont-ils fait ? S’il y avait un problème avec les scanners ou les stylos chimiques, pourquoi l’ont-ils fait ? On a dit que 66 % des faux billets étaient détenus par des supporters de Liverpool. Or je suis convaincu que, sur cette masse de billets, certains étaient authentiques et qu’ils ont été rejetés par les appareils de contrôle. Ce chiffre de 66 % est-il exact ? Je n’en suis pas certain. S’il l’est, cela signifie à tout le moins que 34 % des faux billets étaient détenus par des supporters du Real Madrid - des billets électroniques !
Il semblerait que les supporters de Liverpool aient vu un plus grand nombre de leurs billets rejetés que les supporters de Madrid ; pour autant, cela signifie qu’un grand nombre de billets électroniques détenus par les supporters de Liverpool auraient également été rejetés. C’est ce qui a créé toutes ces queues et suscité tous ces problèmes.
Cette affaire de billets, c’est en fait une manière pour les autorités françaises de ne pas prendre à bras-le-corps les raisons fondamentales pour lesquelles autant de problèmes sont survenus autour du stade.
Pour ce qui est de mon cas personnel, comme des milliers d’autres supporters, lorsque nous sommes sortis de la station de train, nous avons marché en empruntant un grand boulevard, balisé par des barrières. Après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, nous avons été bloqués par des véhicules de police et nous nous sommes retrouvés face à des membres des forces de l’ordre, matraque à la main. C’est là qu’ils ont demandé aux gens de passer par-dessus ces barrières, assez hautes, pour rejoindre la partie piétonne. Pour ce faire, il fallait déposer ses effets personnels. Et c’est de ce laps de temps qu’ont profité les pickpockets pour agir. C’est ce qui m’est arrivé.
À ce moment-là, il n’était aucunement question d’entrer dans le stade. C’est là qu’est le malentendu, l’incompréhension. Des agents de police m’ont aidé à rejoindre l’enceinte sportive et à obtenir un billet de remplacement.
M. Michel Savin. – Comme beaucoup de mes collègues, je regrette les propos qui ont été tenus à l’égard de votre ville et de ses habitants à la suite des événements qui se sont déroulés au Stade de France. Les actes de délinquance et d’agression survenus aux entrées et aux sorties du match sont également regrettables.
Je voudrais avoir votre avis sur les propos qu’a tenus le ministre de l’intérieur devant les sénateurs lors de son audition, et que je reprends mot pour mot : « Nous nous sommes attendus, avec Liverpool, à des problèmes. On pensait que les problèmes viendraient du hooliganisme et des mouvements de foule violents. Ils ne sont pas venus de là, ils sont venus de faux billets, et c’est sans doute une explication de ce qui s’est passé samedi soir. »
À l’entendre, les débordements et les actes de délinquance qui se sont déroulés autour du stade étaient dus à la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou munis de faux billets.
Nous essayons depuis le début de nos auditions d’obtenir une transparence sur les chiffres annoncés, notamment concernant les 30 000 à 40 000 spectateurs sans billet ou munis de faux billets. C’est un point important, car les images diffusées à la télévision à 21 heures ne montrent pas un tel attroupement devant le Stade de France. De plus, la SNCF a publié un communiqué indiquant qu’elle n’avait pas relevé de surplus de voyageurs après 21 heures. La question reste donc entière.
Par ailleurs, quelle est la réaction du maire et des habitants de Liverpool en voyant que l’on essaie de faire peser la responsabilité des événements sur la présence nombreuse de supporters anglais, tout en faisant abstraction des actes de délinquance et d’agression survenus autour du stade ?
M. Steve Rotheram. – Pour revenir sur le témoignage de M. Darmanin, il s’attendait à des problèmes, à ce que des hooligans soient là. Cependant, je peux vous assurer que, s’il y avait eu un match à Wembley, il n’y aurait pas eu beaucoup de fans de Liverpool.
À plusieurs égards, cela explique peut-être la façon dont les policiers ont abordé ce match et peut-être aussi certains problèmes que l’on a constatés. J’ai vu des policiers qui, d’une certaine façon, cherchaient des problèmes, n’en trouvaient pas, se regroupaient, et menaçaient plusieurs personnes avec leurs matraques. S’il y avait vraiment eu des incidents graves nécessitant de recourir à la force de la police, on aurait des images. Il y a toutes sortes de façons d’obtenir ce genre de vidéo de nos jours. Les gens ont des téléphones portables, nous pourrions donc avoir ce genre de preuve ou d’image.
Je crois que M. Darmanin a essayé de tromper non seulement le public français, mais aussi les médias dans le monde entier.
Dans mon pays, les responsables politiques aiment bien parfois voir la vérité à leur façon – notre Premier ministre lui-même aussi, d’ailleurs ! Mais cela n’excuse en aucun cas les autorités françaises, qui ont conçu une campagne pour reporter la faute sur d’autres et trouver des boucs émissaires. Les fans de Liverpool, c’est finalement une excuse assez pratique pour dévier l’attention de la mauvaise préparation de l’événement.
Je me suis rendu plusieurs fois en France pour des matchs et n’ai jamais vu un tel échec en matière d’ordre public et d’organisation policière.
En ce qui concerne les billets, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il y aura toujours un certain nombre de faux billets dans les grands événements sportifs à travers le monde. Toutefois, le chiffre de 40 000 billets a été véritablement ridiculisé. Ensuite, les autorités françaises ont annoncé comme chiffre 2 500 faux billets seulement. Je ne sais pas s’il s’agit d’un grand nombre par rapport à la capacité du Stade de France, mais il s’agit en tout cas d’un nombre bien inférieur à celui de 40 000 qui avait été annoncé initialement. Ce n’est donc absolument pas vrai, c’est même ridicule de dire qu’il y avait un aussi grand nombre de faux billets ! Si la situation n’était pas sérieuse, j’en rirais véritablement.
En tout cas, il y a vraiment eu un problème d’organisation et de communication. Heureusement, cela a été contré par l’attitude vraiment exemplaire et exceptionnelle des fans de Liverpool, certains d’entre eux étant arrivés plus de trois heures à l’avance au stade. Les supporters se sont entraidés, et ont assuré eux-mêmes l’ordre à l’extérieur du stade, en quelque sorte.
L’affirmation consistant à dire qu’on peut utiliser des gaz lacrymogènes pour ramener l’ordre est fausse aussi. Pour moi, c’est un moyen non pas de ramener l’ordre, mais de disperser les gens dans toutes les directions, ce qui peut provoquer d’ailleurs des blessures graves. Il n’y avait donc aucun contrôle, et les services de police se sont complètement effondrés.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Dans la lignée des propos du président Buffet et du président Lafon, je tiens à souligner combien nous regrettons de voir ce fiasco français expliqué par nos ministres par le comportement des Anglais.
Je note d’ailleurs que l’Angleterre a prouvé à la France, à travers l’organisation du Jubilé de la Reine, sa capacité à anticiper de grands événements. Aucun incident n’est en effet survenu à cette occasion, alors que des milliers d’Anglais ont participé aux différentes festivités planifiées. Vous avez donc prouvé le bon comportement des Anglais, trois jours après les événements du Stade de France, à nos ministres qui ne veulent pas assumer leur fiasco.
Vous avez prononcé une phrase qui m’a peinée, lorsque vous avez dit que votre journée de rêve s’était transformée en cauchemar. Comment ne pas être touché par cette phrase ?
Vous avez par ailleurs bien fait d’insister sur les fan zones. Pour m’être trouvée à Paris le vendredi et le samedi, je puis confirmer qu’il y avait un très bon climat. Aucun problème n’est survenu dans les fan zones à Paris. Les supporters anglais, espagnols et français savent donc se comporter correctement.
Vous avez raconté votre expérience personnelle. Avez-vous ressenti, chez les supporters que vous avez pu croiser, un sentiment d’insécurité autour du Stade de France du fait des hordes de délinquants qui les attendaient pour les dépouiller ? Plusieurs supporters victimes d’actes de délinquance vous ont-ils donné leur témoignage ?
Sachez que nous sommes nombreux à soutenir votre démarche et à comprendre ce que vous dites aujourd’hui.
M. Steve Rotheram. – Je m’étais rendu en France avec de grandes attentes, je voulais vraiment voir un spectacle, mais finalement j’étais trop désespéré pour aller m’asseoir dans le stade. J’ai donc regardé l’événement de l’extérieur. J’ai ensuite exprimé mes préoccupations à de nombreux invités importants ou à des personnes à l’extérieur.
Je crois que vous avez tout à fait raison, madame. Il y a eu, bien sûr, de nombreuses célébrations très joyeuses, des démonstrations de camaraderie. De nombreuses personnes ont aimé ces moments avant le match ; mais les choses ont dégénéré, elles dégénéraient dès que l’on s’approchait du stade.
Cela tenait vraiment au manque de présence policière, ou alors, ensuite, à des interventions policières trop musclées.
Pour remettre les choses dans leur contexte, j’étais aussi présent au match de 2014 entre Lille et Everton, et les mêmes tactiques étaient utilisées par la police à l’époque. Ce n’est pas le genre de tactique auquel les Britanniques sont habitués. L’une des choses que nous faisons bien, au Royaume-Uni, c’est que nous avons l’habitude de faire la queue. Généralement, les gens respectent le protocole, les règles non écrites de la file d’attente. C’est exactement ce qui s’est passé aux alentours du Stade de France : les gens faisaient la queue patiemment. Or aucune information n’a été donnée aux fans pour leur expliquer combien de temps il leur faudrait attendre pour entrer dans le stade.
Il n’y avait pas vraiment de stadiers présents pour orienter les gens vers la bonne file d’attente, leur permettant d’atteindre le tourniquet qu’ils devaient utiliser. Il n’y avait pas non plus de contrôle préliminaire des billets.
Pour moi, cette expérience a vraiment été totalement décevante. Cela ne va pas complètement entacher ce que je pense de la France. Je viens souvent en vacances en France et me suis toujours senti très bien accueilli. Toutefois, s’il s’agissait pour quelqu’un de sa première expérience de la France et de sa première rencontre avec la police française, je ne suis pas sûr qu’il aimerait y revenir.
C’est pourquoi il est important que la vérité émerge, et non pas les mensonges qui sont relayés par des personnes qui occupent pourtant une position de pouvoir et devraient donc se comporter différemment.
Il faudrait une enquête indépendante qui fasse toute la lumière sur ce qu’il s’est passé. Vous pourriez, au Sénat, analyser la question dans son ensemble et en tirer des enseignements. Un match France-Danemark a eu lieu la semaine suivante, et, une fois encore, certaines personnes ont eu des difficultés à entrer dans le stade. Il me semble donc que des enseignements n’ont pas encore été tirés des événements, et que les problèmes intrinsèques à leur organisation n’ont pas encore été analysés.
M. Jean-Jacques Lozach. – Notre état d’esprit n’est pas de montrer du doigt les supporters de Liverpool, mais de savoir précisément ce qui s’est passé dans la soirée du 28 mai.
Dans certaines circonstances, les mots prennent un intérêt particulier. Tout le monde exprime des regrets : le préfet de police l’a fait ce matin, suivi des représentants de la Fédération française de football (FFF) tout à l’heure. Cependant, personne n’a encore formulé d’excuses.
Monsieur le maire, attendez-vous des excuses de la part des autorités publiques françaises, comme certains l’ont demandé ?
M. Steve Rotheram. – Je crois que des excuses complètes sont nécessaires, mais pas seulement de la part des autorités françaises. L’Union européenne des associations de football (Union of European Football Associations – UEFA) a aussi une grande responsabilité.
J’ai parlé précédemment d’une enquête supposément indépendante. Pour qu’elle remplisse les objectifs qu’elle devrait remplir, il faudrait que les deux clubs de football y soient représentés, ainsi que des personnes qui ont vécu les événements de l’extérieur, car ce sont ces expériences qui peuvent orienter l’enquête et permettre de tirer les enseignements de cette débâcle.
Nous pourrions comprendre ainsi comment protéger à l’avenir les événements sportifs et les supporters, pour qu’ils ne se retrouvent pas dans la situation dans laquelle se sont retrouvés les fans de Liverpool ce soir-là – et peut-être aussi les fans du Real Madrid, même si je n’étais pas de leur côté.
Il y a eu beaucoup de spéculations, et beaucoup de choses ont été dites par des personnes qui ne comprennent pas la situation car elles ne l’ont pas vécue. Or, croyez-moi, c’était vraiment une situation difficile.
Pour une personne de mon âge, qui a déjà vécu des expériences traumatisantes par le passé lors de matchs de football en Angleterre, cela réveille de très mauvais souvenirs. Je détesterais que d’autres fans doivent vivre ce que les fans de Liverpool ont déjà vécu.
Je ne veux pas dire quelles conclusions devraient être tirées avant que l’enquête ne soit menée. Je crois en revanche que la plus grande part des responsabilités ne doit pas simplement tomber sur la police et les organisateurs. L’UEFA doit aussi répondre à des questions.
M. Jean-Jacques Lozach. – Le club de Liverpool a-t-il systématisé ou non la billetterie électronique ? Les autorités judiciaires de Liverpool ont-elles diligenté une enquête sur la fraude dans ce domaine ?
Les supporters anglais peuvent déposer plainte à Liverpool auprès de policiers français dépêchés sur place. Y en a-t-il beaucoup qui le font ?
M. Stéphane Piednoir. – Je compatis pour cette soirée malheureuse et regrette que des supporters anglais aient pu découvrir la France sous cet angle.
Les responsables de la fédération française de football avaient classé ce match au même niveau que la finale de la Coupe de France. Qu’en pensez-vous ? Quelles relations le club de Liverpool et le Real Madrid entretiennent-ils ?
Des informations ont-elles été données aux supporters détenteurs ou non de billets sur les précautions à prendre et les moyens à emprunter pour se rendre au Stade de France ? Savaient-ils qu’il y avait une grève ?
Les clubs anglais ont un passé en termes de hooliganisme assez important pour que l’on prenne des mesures préventives. Que pensez-vous du fait que, faute d’une réquisition avant l’expiration de la période de conservation de sept jours, les images de vidéoprotection autour du Stade de France ont été écrasées automatiquement ?
M. Guy Benarroche. – Je vous parle depuis Marseille, qui, comme Liverpool, est une grande ville du foot européen. Sachez que vous pouvez compter sur le soutien de beaucoup de supporters marseillais.
Votre propre expérience ou les témoignages que vous avez pu recueillir nous intéressent. La justification par la police de l’usage de gaz lacrymogènes sur des supporters anglais calmes et munis de billet repose sur le fait qu’il y aurait eu un risque d’écrasement pour ces supporters bloqués par des contrôles à cause de leur faux billet ou de stylos qui ne fonctionnaient pas. Vous, ou vos administrés qui vous auraient livré leur témoignage, êtes-vous passés par ce cheminement ayant créé un goulot d’étranglement ? Confirmez-vous que les forces de l’ordre ont laissé passer la foule pour ensuite dégager les tourniquets, où elle s’était massée ?
M. Steve Rotheram. – Concernant les faux billets, ce sera à l’enquête de déterminer l’ampleur du phénomène. Mais je suis convaincu que le nombre réel sera bien inférieur à 40 000. Il y aura toujours de faux billets, des gens qui veulent entrer sans billet valable. Mais on le voit dans les vidéos : ceux qui ont essayé d’entrer sans billet étaient des Français ! Et pourtant, personne en Angleterre ne les accuse pour ce qui s’est passé. Ce qui a manqué, ce sont des stadiers, des forces de l’ordre et une organisation adéquate.
Le Gouvernement français s’accroche à sa version des faits pour détourner l’attention du problème fondamental : une organisation défaillante à l’extérieur du stade. Les policiers avaient l’air plus préparés pour faire face à des émeutes qu’à un match de foot.
Quant au hooliganisme, il participe du même écran de fumée. Bien entendu, il y a eu dans le passé des cas comme dans la plupart des fédérations nationales de foot. Mais ce n’est pas une maladie anglaise. Comparez la Premier League avec d’autres pays dans le monde : il y a plutôt moins d’arrestations qu’ailleurs. Les gens vont au match pour soutenir leur équipe, pas pour faire du hooliganisme.
Les gens étaient-ils au courant de la grève ? Oui. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont arrivés bien en avance. Des fans qui vont au stade trois heures avant le coup d’envoi, ce n’est pas si fréquent ! Cela montre à quel point ils avaient envie de voir ce match.
Les grilles ont été fermées alors que des gens munis de billets valables étaient encore à l’extérieur, et on leur a demandé de passer par d’autres tourniquets. On se rendra compte bientôt que le mythe des faux tickets provient d’un mauvais fonctionnement des scanners. Mais ce n’est pas à moi d’en tirer les conclusions. Un billet qui avait été donné à un ami par un joueur de Liverpool a été rejeté par la machine !
Les images de vidéosurveillance auraient été détruites ? C’est vraiment inquiétant ! Je ne peux pas comprendre comment c’est possible, après un événement aussi important. Si c’est vrai, cela montre très clairement qu’il y a un vrai problème avec ce que l’on aurait pu découvrir sur ces images. Je suis choqué.
Monsieur le sénateur de Marseille, je suis allé souvent dans votre ville. Nous accueillons les supporters marseillais avec plaisir.
Effectivement, à Liverpool, les gens m’arrêtent dans la rue et m’expliquent ce qui leur est arrivé. Les exemples de vols sont nombreux.
Sur l’usage indiscriminé de gaz lacrymogène, j’ai entendu ce qu’a dit le préfet de police : il aurait été utilisé pour éviter que les gens ne soient écrasés. Mais ce n’est pas ainsi que l’on contrôle les foules : au contraire, en les faisant courir de tous côtés, on perd tout contrôle. Cela montre l’incompréhension de la situation. J’en ai parlé avec un responsable policier en Angleterre : il m’a dit qu’il n’avait rien vu d’aussi grave dans toute sa carrière.
Il faut comprendre ce qui s’est passé, aller au fond des choses, savoir pourquoi les forces de l’ordre françaises ont cru qu’elles seraient confrontées au hooliganisme. C’est sans doute une erreur d’appréciation en haut de l’échelle, alors que la plupart des supporters sont allés au stade pour célébrer une équipe formidable.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Merci très sincèrement de votre participation à cette audition. Il était très important pour nous d’échanger avec vous, non seulement pour connaître la vérité, mais aussi pour vous assurer que nous ferons tout pour que la nature des incidents dont les supporters de Liverpool ont été victimes soit analysée ; enfin, pour vous dire notre sympathie et notre amitié pour le club et la ville de Liverpool. Nous regrettons profondément ces événements.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Je m’associe aux propos du président Lafon. Ce que nous avons appris à propos des images de vidéoprotection nous interpelle. Nous allons vérifier la réalité de la situation immédiatement. S’il s’avérait que l’autorité compétente n’en a pas demandé la conservation, cela poserait un très grave problème.
Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 20.