Mardi 4 octobre 2022

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et de M. Serge Babary, président de la délégation aux Entreprises -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Audition de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, c'est la première fois que notre commission et que la délégation aux entreprises vous entendent en formation plénière depuis votre nomination ; les sujets sont extrêmement nombreux. Les secteurs du commerce, de l'artisanat et du tourisme sont fondamentaux et structurels pour notre économie ; or ces très nombreuses entreprises ne font que trop rarement la une de l'actualité alors qu'elles irriguent notre quotidien et nos territoires.

Ces secteurs font face, de longue date, à des enjeux importants, qui s'accentuent avec le temps, et particulièrement dans la période actuelle : hausse drastique des factures d'énergie, problèmes de recrutement, fiscalité pesante, manque d'équité concurrentielle entre acteurs physiques et numériques... Autant de thèmes sur lesquels le Sénat travaille depuis longtemps, et pour lesquels il sera particulièrement intéressant d'entendre vos analyses.

La commission des affaires économiques a publié ces deux dernières années plusieurs rapports sur ces sujets, notamment sur l'initiative de M. Serge Babary, qui visaient tout autant à adapter notre pays aux nouvelles formes du commerce qu'à sauvegarder et développer le commerce en zone rurale. Il en est de même pour la délégation aux entreprises qu'il préside et qui s'est penchée sur les sujets de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), de formation et compétences, ou plus récemment sur l'évolution des modes de travail. Quelles suites donnerez-vous à ces propositions ?

L'un des enjeux les plus importants pour les PME à court terme est l'augmentation très importante de leurs charges, au premier rang desquelles le coût du gaz et de l'électricité, lors du renouvellement de leurs contrats d'approvisionnement. Cette situation les contraint soit à rogner sur leurs marges - ce que font presque 90 % des entreprises - soit à augmenter leurs prix, soit à licencier, voire pire. Vous pourrez faire le point sur les dispositifs de protection tarifaire mis en place par le Gouvernement à destination des PME, et ce que vous envisagez par la suite.

À moyen terme, le secteur du commerce fait face à un ensemble de défis particulièrement contraignants. Premièrement, la différence de fiscalité entre le commerce numérique et le commerce physique ; ces deux formes de commerce sont complémentaires et ne doivent pas être opposées, encore faut-il que la concurrence soit loyale. Quelles seront les conclusions des Assises du commerce sur le sujet ? Quelles actions prévoyez-vous ?

Nous apprenons par la presse que les conclusions de ces Assises seront publiées d'ici à la fin de cette année, soit un an après leur tenue, et qu'elles pourraient déboucher sur la création d'une nouvelle instance de gouvernance qui traitera du e-commerce et du « quick commerce ». Pouvez-vous nous en dire plus, expliciter les principaux enseignements que vous avez tirés de ces rencontres, et les principales conclusions qui s'ensuivent ?

Les « dark stores » envahissent nos grandes villes. Quelle différence le Gouvernement fait-il entre commerce et entrepôt ? Est-ce durable ? Pouvons-nous réguler ces dark stores, ou faire que leur développement soit plus équitable ?

La fonte des effectifs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous préoccupe. Pour contrôler l'information apportée aux consommateurs, elle ne dispose plus que de 145 équivalents temps plein (ETP), soit une baisse de 14 % par rapport à 2010, comme le rapport de M. Fabien Gay, Mme Françoise Férat et Mme Florence Blatrix-Contat l'a montré récemment. Au niveau régional, il n'y a qu'un seul inspecteur pour les Hauts-de-France, huit inspecteurs en Bretagne, et onze pour l'ensemble du Grand Est. Sans surprise, sur la dernière décennie, le nombre de contrôles a diminué de 30 %. Cette situation est intenable, à la fois pour les entreprises qui font face à des fraudes, et pour les consommateurs eux-mêmes. Avez-vous obtenu une augmentation des effectifs de la DGCCRF ou un renforcement du dispositif de contrôle des informations et de la qualité des produits mis sur le marché ?

Les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sont un cauchemar pour tous les acteurs. Le rapport de M. Daniel Gremillet et de Mme Anne-Catherine Loisier, publié en juillet dernier, a pointé du doigt des pratiques contestables de la part des différentes parties, allant de la hausse des prix en rayon sans hausse du tarif d'achat aux menaces de rupture d'approvisionnement. Votre ministère corrobore-t-il ces constats ? Quel regard portez-vous sur les négociations annuelles ? Comment cela évoluera-t-il ?

Vous avez demandé un rapport de plusieurs inspections sur l'attrition des résidences principales dans les zones touristiques, avec le développement d'Airbnb ou des locations saisonnières. Il serait paru depuis quelques semaines... Pourriez-vous nous le communiquer ? Quelles sont les intentions du Gouvernement sur ce sujet important pour le tourisme et pour le logement ?

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. - Je partage les préoccupations relayées par ma collègue Sophie Primas. Je centrerai mon propos sur la situation des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), qui sont au coeur du champ de compétences de la délégation aux entreprises et de votre ministère.

Notre délégation a organisé une table ronde sur la conjoncture économique voilà deux semaines, avec des représentants d'organisations professionnelles. Leur inquiétude est extrême et nous craignons que le Gouvernement ne sous-estime le tourbillon vicieux en train de saper sérieusement l'activité économique dans notre pays, alors que tous les voyants passent à l'orange, voire au rouge. De nombreuses entreprises voient leurs marges englouties par la hausse des coûts et certaines travaillent même à perte, d'après ce qui remonte de nos départements. Beaucoup doivent ou devront réduire leur production, voire l'emploi. À l'occasion d'un déplacement dans le Lot-et-Garonne, en fin de semaine dernière, des dirigeants de TPE et PME se sont inquiétés du manque de prévisibilité, même à deux ou trois mois.

J'attire votre attention sur le rapport, adopté jeudi dernier, conjointement par les délégations sénatoriales aux collectivités territoriales et aux entreprises, sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Parmi nos recommandations relatives à l'application de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) et des programmes Action coeur de ville (ACV) et Petites Villes de demain (PVD), figurent la lutte contre la bureaucratisation et la complexité des dispositifs, ainsi qu'un financement à la hauteur des attentes et des enjeux. Nous espérons que vous pourrez, avec vos collègues, prendre en compte nos propositions.

Par ailleurs, la délégation aux entreprises adoptera jeudi prochain un rapport sur la transmission d'entreprise puis, le 27 octobre, un rapport de suivi sur la RSE, sachant que les PME s'inquiètent, à juste titre nous semble-t-il, des modalités d'application des directives européennes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et sur le devoir de vigilance, qui les toucheront directement ou indirectement. Enfin, nous nous penchons au chevet de notre commerce extérieur.

Vous exercez par délégation la tutelle des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA). Alors que leurs missions s'accroissent, que leur action sur le territoire est encore plus essentielle et appréciée dans le contexte des crises successives que nous connaissons, leurs moyens sont rognés. Quelle est la cohérence de tout cela ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme. - C'est pour moi un plaisir sincère et un grand honneur de vous retrouver pour évoquer le large périmètre dont j'ai la charge au sein du Gouvernement, et qui comprend les PME, le commerce, l'artisanat, le tourisme, mais aussi les indépendants, les professions libérales et la consommation. Mon propos liminaire sera assez lacunaire, car le sujet est vaste ; nous échangerons ensuite.

Mon périmètre comprend l'économie de proximité, qui ne fait pas assez la « une » des journaux, qui s'occupent davantage des start-ups et des grands groupes. Or cette économie fait la « une » de notre quotidien : c'est le restaurant où l'on aime déjeuner, le boulanger, l'avocat, le comptable. Ce sont quatre millions de PME représentant 99,8 % des entreprises en France, la moitié des emplois salariés en ETP, plus de 40 % de la valeur ajoutée.

C'est aussi une économie de la complexité : une boulangerie et une agence de tourisme n'ont pas les mêmes enjeux, de même qu'un grand magasin spécialisé peut difficilement se comparer à un cabinet d'avocats. Mais tous relèvent de mon ministère. Celui-ci a comme fil rouge d'aider ces acteurs économiques à affronter la complexité de leur environnement administratif alors qu'ils ont les yeux rivés sur leur carnet de commandes et leur tableau de trésorerie.

Il y a quelques années, on estimait que le développement des entreprises était bridé par le « mur de l'argent ». Grâce à l'action résolue du Gouvernement lors du premier quinquennat, avec la forte baisse de l'impôt sur les sociétés, le début de la baisse des impôts de production, et le soutien financier de Bpifrance, nous avons fait tomber ce mur. Il ne faudrait pas qu'apparaisse un nouveau mur des complications bureaucratiques, qui freinerait la croissance de nos entreprises, qui les empêcherait d'aller chercher des aides, et que faciliterait notre passion pour les jardins à la française...

L'État doit être un facilitateur. Je salue le travail de Bruno Le Maire et de mes prédécesseurs, comme Jean-Baptiste Lemoyne, durant la crise du coronavirus : nous avons démontré notre capacité à faire simple et vite, et montré l'efficacité de nos administrations et de nos agents, trop facilement décriés. Nous pouvons toujours améliorer les choses, mais nous pouvons aussi nous féliciter des réalisations au service de nos entreprises.

La crise des prix de l'énergie souligne combien nous avons besoin de cet État facilitateur : tous les jours, je croise des chefs d'entreprise angoissant sur la renégociation de leur contrat énergétique. Dès cet été, nous avons travaillé sur ce sujet avec le paquet Pouvoir d'achat. Nous sommes attentifs à toutes les entreprises subissant un déséquilibre trop important. L'augmentation des prix est un fait, mais il n'est pas question qu'elle devienne une fatalité.

Je reviendrai sur les aides aux petites entreprises, mais permettez-moi de rappeler d'abord que la crise est conjoncturelle. Les prix finiront par baisser, certes, mais sans retrouver leurs niveaux précédents... La crise est aussi, en partie, structurelle : les prix des énergies fossiles resteront durablement plus élevés.

L'État est au rendez-vous : nous avons bloqué les prix du gaz et de l'électricité au bénéfice de 1,5 million de TPE bénéficiant du tarif réglementé. Ce bouclier sera intégralement prolongé en 2023. Nous avons annoncé des aides résilience et le prêt garanti par l'État-résilience (PGE-résilience) : l'État aide ainsi directement les entreprises les plus affectées. Publié le week-end dernier, le décret assouplissant les critères des aides résilience tient compte des difficultés des entreprises, notamment concernant l'excédent brut d'exploitation (EBE). Avec Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et Roland Lescure, nous continuons à travailler avec les producteurs et les fournisseurs d'énergie pour trouver des mesures pouvant être mises en oeuvre rapidement au service de notre tissu économique. Nous réunirons demain matin les fournisseurs d'énergie à Bercy.

Structurellement, le Gouvernement est dans l'action : nous négocions avec nos partenaires européens ; en ce moment, Bruno Le Maire est à Luxembourg. Vendredi 30 septembre, les Européens se sont accordés pour créer une contribution exceptionnelle pour les entreprises du secteur énergétique qui réalisent des profits majeurs. Cette contribution sera pour partie reversée aux ménages, mais aussi aux entreprises confrontées à l'explosion des prix. Les négociations se poursuivent pour faire baisser les prix de gros du gaz dans les prochains jours, possiblement lors du sommet du 7 octobre à Prague ou lors du sommet des ministres de l'énergie les 10 et 11 octobre prochains.

La loi protège déjà les TPE de moins de dix salariés dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros pour leurs sites et qui n'utilisent pas plus de 36 kilovoltampères (kVA). Éligibles aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRV), ils bénéficient donc du bouclier tarifaire. Nous essayons de créer les conditions pour que davantage d'entreprises soient couvertes par un mécanisme analogue. Les problèmes ne sont pas encore réglés, mais ils sont traités avec la préoccupation nécessaire. Je reste extrêmement attentive aux remontées de terrain pour adapter nos réponses.

L'État a démontré sa capacité d'adaptation et sera toujours prêt à bouger pour protéger ses entreprises : les aider à franchir la montagne, sans leur faire croire que la montagne n'existe pas. La hausse des prix de l'énergie est un moment à dépasser. Nous ne pourrons pas revenir à la surconsommation que nous connaissions hier. Nous faisons face à un ajustement rapide d'un prix considéré auparavant comme un acquis. Depuis des dizaines d'années, ce prix bas nous a fait oublier que le gaz et l'électricité avaient un coût. Ce coût résulte de choix géopolitiques et écologiques concernant des ressources étrangères et rares, y compris pour la France, pourtant mieux protégée par sa production nucléaire.

Jeudi prochain, je serai auprès de la Première ministre pour présenter les résultats de nos travaux sur la sobriété, aux côtés des acteurs du commerce de détail, de la grande distribution, de l'hôtellerie, du commerce et de la restauration, de l'événementiel, des parcs à thème, des commerces de gros, du thermalisme et du ski. Je présenterai les résultats de nos concertations engagées depuis plusieurs mois, qui permettront d'anticiper d'éventuelles difficultés d'approvisionnement en gaz et en électricité. La sobriété ne doit pas être une mode passagère, mais le début de la transformation profonde du modèle de nos entreprises vers la neutralité carbone.

L'adaptation au changement climatique de toutes les entreprises - y compris le restaurateur ou le plombier, infiniment moins émetteurs de gaz à effet de serre que de grandes industries - est au coeur de ma feuille de route. La transition écologique et énergétique est l'affaire de tous. D'abord, elle impose une transformation de tous nos modèles ; ensuite, les consommateurs exigent ce changement, autant des grands groupes que des petites entreprises ; enfin, talents, jeunes et salariés d'aujourd'hui et de demain sont de plus en plus sensibles à ces éléments. Au-delà de la simple compétitivité, c'est pour nos PME un enjeu d'attractivité majeur que de prendre le virage de la transition environnementale et sociale.

Monsieur Babary, vous connaissez ma tendresse pour la directive CSRD... Oui, la réglementation progresse, mais non, nous ne devons pas nous faire peur pour rien. Les PME et TPE ne sont pas concernées par la directive CSRD, votée le 24 février dernier : celle-ci concerne les entreprises de plus de 250 salariés - il y en a 11 000 en Europe, 50 000 demain. Mais les PME seront possiblement concernées, car elles sont au coeur des chaînes de sous-traitance. Les directions des achats des grands groupes contrôlent déjà en 2022 leurs lignes de sous-traitance et vérifient que l'ensemble des fournisseurs, quel que soit leur rang, aient un bilan carbone et montrent leur décarbonation en cours. Il est donc indispensable que la sobriété ne soit pas une mode, mais fasse levier dans nos TPE et PME pour installer la transition environnementale. Avec la performance extra-financière, qui deviendra la norme d'ici à 2025, faute d'un diagnostic environnemental et social, nos PME pourraient être évincées de certains marchés en tant que sous-traitants. Il faut anticiper ce risque systémique. Je sais que la délégation aux entreprises regarde ce sujet avec vigilance, et je continuerai de travailler avec vous.

Il faut aider encore plus nos entreprises à pivoter. Faut-il inventer de nouvelles aides ? Après le temps nécessaire à un « carnet d'étonnement », j'ai pu compter précisément les dizaines d'aides à la transition environnementale, largement financées par l'État, permettant de réaliser un diagnostic environnemental dans les entreprises. Au vu du nombre d'aides disponibles, nous avons le même problème qu'avec les ménages les plus fragiles : un taux de non-recours aux aides important pour les TPE et PME. Or ces aides existent ; des opérateurs qualifiés remarquables, comme l'Agence de la transition écologique (Ademe) ou Bpifrance, disposent de ces outils. Il existe de nombreux diagnostics existants. Nous découvrons encore de nouvelles aides... Mais les entreprises ne les connaissent pas. S'il est plus difficile d'enclencher la subvention à la source comme on pouvait faire le prélèvement à la source et bientôt la solidarité à la source pour les ménages, ces aides existent et fonctionnent, comme le diagnostic Eco-Flux, les prêts verts sur l'investissement accordés par Bpifrance, les volontariats territoriaux en entreprise « Vert » (VTE Vert) via le plan de relance... Les dispositifs sont là, leur efficacité est démontrée, mais ils sont peu connus. Ma priorité est pragmatique et vise aussi à maîtriser les dépenses publiques : je n'ai pas suggéré de nouvelles aides, mais je veux accélérer la connaissance de ces aides et le diagnostic pour toutes les entreprises voulant se développer. Dans les TPE et les PME, nous avons des chefs d'entreprise parfaitement conscients du sens de l'Histoire, qui ne veulent pas que la transition environnementale ne soit réservée qu'aux grandes entreprises, et qui ne savent pas toujours par quel bout commencer. Les bureaux d'études doivent les orienter, et l'État les accompagner.

Le diagnostic est au coeur de la planification écologique voulue par la Première ministre. Je souhaite qu'on accompagne bien mieux la marche des entreprises vers cette indispensable étape. J'y associerai les opérateurs publics comme Bpifrance, l'Ademe, les chambres consulaires, mais aussi les fédérations professionnelles, relais indispensables. Autant le diagnostic peut être partagé par tous les secteurs et filières, autant les feuilles de route dépendent considérablement des filières et des savoir-faire dans chacun des secteurs économiques.

Le tourisme et le commerce seront naturellement concernés. C'est un constat fort issu des Assises du commerce, dont je présenterai les conclusions dans les prochaines semaines. Entre évolution des pratiques de consommation, équité territoriale, défi environnemental, le commerce concentre certains des enjeux les plus importants pour nos concitoyens.

Nous sommes dans une problématique similaire dans le secteur touristique, qui se retrouve au coeur du plan Destination France : deux milliards d'euros ont été mobilisés par mon prédécesseur, Jean-Baptiste Lemoyne. Nous voulons plus de tourisme, mais mieux. Forte de son extraordinaire patrimoine culturel et naturel, la France doit s'enorgueillir de son offre touristique parmi les premières au monde, mais elle doit aussi savoir se renouveler pour faire face, notamment, au défi climatique. Au-delà des défis immédiats, la transition écologique est au coeur de ma feuille de route ; c'est une urgence.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Merci de ces propos liminaires.

M. Laurent Somon. - J'attire votre attention sur les problèmes de l'endiverie dans la Somme, secteur pour lequel les négociations avec les distributeurs d'électricité sont extrêmement compliquées. Si les entreprises n'ont pas EDF comme distributeur traditionnel, les coûts sont multipliés par quatre lors du renouvellement des contrats. Soit les endiviers ne peuvent plus s'approvisionner, soit leur contrat passe de 200 000 à 800 000 euros. Comment le Gouvernement peut-il permettre à EDF de renégocier des tarifs raisonnables ? Pour ses autres clients, il propose des tarifs de 300 000 euros.

Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes industries (PMI) dans le secteur électrochimique ont besoin de visibilité dans la durée pour les délestages électriques, dont il est dit qu'ils pourraient avoir lieu sur « deux heures tournantes ». Or la Société française de galvanoplastie (SFG) a besoin de cinq heures pour arrêter ses bains électrolytiques, et cinq heures pour redémarrer. Quelles mesures sont prévues pour ces entreprises particulières ?

Allez-vous simplifier les aides ? La demande de subvention en ligne serait extrêmement compliquée et a dû être élaborée par un énarque.

M. Daniel Laurent. - C'est un problème général...

Mme Martine Berthet. - Corapporteure de la mission RSE de la délégation aux entreprises, je souhaite relayer l'inquiétude des TPE et PME, non directement concernées par la directive CSRD, mais indirectement en tant que sous-traitantes. Elles anticipent déjà ce coût important, aussi bien en personnel qu'en affichage social. Elles n'ont pas les moyens d'aller de l'avant. Quelles actions prévoyez-vous pour les aider ?

Ces PME et TPE ne bénéficient des marchés publics qu'en tant que sous-traitants, et non en premier lieu. Comptez-vous mettre en oeuvre des mesures pour que nos entreprises puissent être mises en avant dans ces marchés ? Les collectivités territoriales devraient favoriser davantage les entreprises locales qui font ces efforts de RSE.

La possibilité de différer le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) entraîne une dégradation de leur notation en Banque de France. Comment pouvez-vous agir ?

Malheureusement, de nombreuses entreprises passent à travers les mailles du filet pour les aides concernant le coût de l'énergie.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Le dispositif actuel concernant les zones de revitalisation rurale (ZRR), très prisé, est en sursis, malgré une prolongation jusqu'à fin 2023. Au printemps dernier, un rapport proposait un double zonage ZRR classique et ZRR +, qui bénéficierait à de nombreuses entreprises avec des aides à l'investissement ; un retour au zonage communal avec des critères simples - densité de population, revenu médian par habitant - ; le maintien a minima des aides en faveur des communes, notamment la fraction « bourg-centre » de la dotation de solidarité rurale (DSR) ; la majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ; l'exonération totale de charges patronales pour les services d'aide à domicile ; et une détaxation du carburant. Dans quelle mesure la stratégie gouvernementale en faveur de la ruralité compte-t-elle s'inspirer de ces préconisations ? Qu'envisagez-vous pour stimuler l'emploi des jeunes en ZRR et favoriser l'habitat rural pour les nouveaux arrivants ?

M. Bernard Buis. - Un cadre juridique existe pour l'éclairage nocturne des enseignes commerciales, mais il n'est pas toujours respecté. Dans le centre-ville de Valence, de nombreux commerçants s'y mettent, mais sans généralisation. Quelques heures avant la présentation du plan de sobriété, à un moment où le citoyen est appelé à multiplier les gestes de réduction de consommation d'énergie, quelles solutions envisager pour faire respecter les horaires d'éclairage en période nocturne ? Ne devrait-on pas réduire encore la durée d'extinction prévue, entre une heure et six heures ? Ce sujet concerne aussi l'éclairage public réalisé par les collectivités territoriales.

M. Franck Menonville. - Les commerces ruraux, notamment les boulangers, sont très préoccupés. Après avoir subi de nombreuses hausses des matières premières, ils subissent la hausse des coûts de l'énergie. Les situations sont très variables, mais ceux qui font des tournées en zone rurale sont particulièrement fragilisés.

Je suis également inquiet des coupes budgétaires prévues dans le prochain projet de loi de finances pour les chambres consulaires, de l'ordre de 15 millions d'euros pour les chambres de métiers et de l'artisanat, qui se sont régionalisées, alors que leur secteur nécessite une vraie présence territoriale.

M. Fabien Gay. - Les TPE et les PME font face à une triple difficulté : difficulté d'approvisionnement en matières premières, de main-d'oeuvre et énergétique. Oui, il y a des effets conjoncturels et structurels. Le marché européen de l'énergie ne fonctionne plus.

Pour l'ensemble des entreprises et collectivités territoriales, il faut envisager le retour au tarif réglementé au moins durant deux ou trois ans. Ce sujet était honni dans cette enceinte ; mais nous devrions avoir de nouveau ce débat afin de surmonter la crise.

Plusieurs rapports ont déjà pointé la baisse des effectifs de la DGCCRF, alors qu'ils sont nécessaires pour remplir leurs missions dans de bonnes conditions : 145 personnes pour le contrôle de l'information donnée aux consommateurs, c'est dérisoire. À rebours du dégraissage qui a lieu depuis dix ans, allez-vous remettre des moyens humains ?

Je suis très heureux qu'on pointe le non-recours aux aides des entreprises ; mais le non-recours aux aides sociales est aussi un problème.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Monsieur Somon, dans la démarche pragmatique qui est la mienne, nous allons investiguer et vous apporter une réponse personnalisée quant à la situation de l'entreprise que vous évoquez et dont les dépenses énergétiques risquent de passer de 200 000 à 800 000 euros. Dans la mesure où ses dépenses représentent l'équivalent de 3 % de son chiffre d'affaires, cette entreprise devrait, sauf erreur de ma part, être éligible à la première étape d'aides jusqu'à 2 millions d'euros. Quant à votre question sur l'électrochimie, elle relève plutôt de la compétence de mon collègue Roland Lescure, ministre de l'industrie, auquel je pourrai transférer d'éventuels éléments complémentaires.

Plusieurs d'entre vous ont émis des critiques à l'égard des aides. Je les accepte bien volontiers, en particulier celles qui sont relatives à leur complexité. Même si bien des efforts restent à faire, nous avons entamé la simplification : un nouveau décret est paru le week-end dernier et le formulaire mentionné par M. Gay est sans doute plus simple aujourd'hui qu'il ne l'était en juillet dernier.

S'agissant de l'énergie, je rappelle le plafonnement de la hausse des TRV à 4 % en 2022 pour 1,5 million de TPE éligibles et qui bénéficient du même bouclier tarifaire que les ménages. Ces TRV seront capés à 15 % en janvier 2023. Je rappelle également l'augmentation du volume d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), la mise en place des nouveaux PGE Résilience, représentant jusqu'à 15 % du chiffre d'affaires des entreprises qui sont directement confrontées à la hausse des intrants.

Avec Bruno Le Maire, nous avons par ailleurs demandé avec insistance à la Commission européenne d'assouplir les conditions nécessaires - notamment le pourcentage de chiffre d'affaires requis - pour bénéficier des dispositifs d'aide. Si nous devions ne pas gagner ce combat mené au quotidien, sachez que nous nous battons également pour une extension de ces dispositifs ou pour un accompagnement plus large de type TRV, en direction de nos PME. Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire, Roland Lescure et moi-même rencontrons demain matin à Bercy l'ensemble des fournisseurs d'énergie. Je leur poserai, pour ma part, des questions très pragmatiques visant à donner un peu de souffle à nos PME en matière de délais de paiement.

Nos TPE-PME font face à une conjonction de préoccupations et de créances qui forment une sorte de goulet d'étranglement en fin d'année. Aux PGE déjà évoqués, il faut ajouter les factures d'énergie, sans oublier - je les salue - les hausses de salaire que de nombreuses PME ont allouées à leurs salariés depuis la rentrée de septembre. Tout cela réduit les marges. Je me bats donc également pour obtenir un échéancier de paiement ou d'autres gestes de la part des énergéticiens.

Permettez-moi d'insister sur l'importance de l'accord européen de vendredi dernier, qui prévoit un objectif de réduction de la consommation de 10 % - identique à celui déjà fixé sur le territoire national -, de plafonner les recettes des producteurs d'électricité et de mettre en place un prélèvement de solidarité sur les producteurs d'énergies fossiles pour un montant estimé à 140 milliards d'euros. Les discussions se poursuivront à l'occasion de la réunion des chefs d'État de l'Union européenne à Prague, les 6 et 7 octobre prochains. Il y sera question des prix de l'énergie, du découplage du gaz et de l'électricité et d'un éventuel dispositif de protection inspiré du TRV, dont le périmètre plus large pourrait concerner nos PME.

Il nous reste beaucoup de travail, mais aussi beaucoup d'énergie pour lutter contre la hausse des prix. Chaque jour, je suis saisie par des TPE et PME dont je me permets, dans le cadre de la reconduction de leurs contrats, de transférer directement les dossiers au Médiateur de l'énergie. Bruno Le Maire a été très clair, je le serai tout autant : nous attendons des prix raisonnables et raisonnés. Nous voulons une offre au moins pour chaque entreprise. Roland Lescure a saisi le Médiateur de l'énergie. Notre détermination est d'autant plus absolue que les difficultés s'amoncellent pour nos TPE-PME.

Madame Berthet, vous évoquez la directive CSRD. Oscar Wilde disait « Je suis moi-même, parce que tous les autres sont déjà pris. » Je serai donc moi-même : nos PME ne doivent pas subir la CSRD. Au-delà des difficultés apparentes, j'y vois une formidable opportunité, un enjeu majeur de compétitivité et d'attractivité.

L'un des principaux problèmes auxquels se heurtent nos PME est la pénurie de main-d'oeuvre. Elles ne parviendront pas à recruter si elles ne considèrent pas le moment dans lequel nous sommes et la transition environnementale et sociale que les consommateurs - mais aussi les salariés et en particulier la génération qui arrive sur le marché du travail -, appellent de leurs voeux. Ne pas accompagner nos PME dans ces mutations majeures serait irresponsable. La directive CSRD a été votée après des années de négociations. L'heure de vérité est venue. La directive n'est rien de moins que le dessein du capitalisme européen environnemental, social et de gouvernance que nous voulons promouvoir.

L'enjeu n'est plus tant les grands groupes, qui sont déjà astreints, depuis 2014, à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) : ils sont acculturés et disposent désormais des équipes, du savoir-faire et même, à certains égards, de l'expérience en la matière. L'enjeu est aujourd'hui d'éviter que la directive CSRD ne crée une rupture entre les grandes et les petites entreprises. Nombre d'entre elles seront effectivement concernées indirectement par le truchement de la sous-traitance. Cela n'est pas une mauvaise nouvelle : bien qu'elles n'entrent pas directement dans le champ de la directive, je me suis battue pour que les PME qui le souhaitent puissent enclencher la performance extra-financière. À défaut, elles la subiront et perdront à la fois compétitivité et attractivité.

Comment, dès lors, mettre en place un accompagnement adapté ? Comment faire en sorte que nos PME puissent enclencher leur bilan carbone de scope 1 et 2, voire leur bilan social ? C'est tout l'enjeu qui est le mien aujourd'hui : celui du dernier kilomètre, que nos PME sachent que l'État finance pour partie des dispositifs de diagnostic qui doivent leur permettre non pas de subir, mais de profiter de l'évolution en matière d'extra-financier.

De nombreux patrons de PME désirent prendre ce virage, qui sera bénéfique pour leurs équipes, leur attractivité et leur compétitivité. C'est pourquoi nous avons lancé, il y a deux ans, la plateforme impact.gouv.fr. Il est intéressant de constater, madame Berthet, que la majorité des sociétés à mission dans notre pays sont des PME. Nombre d'entre elles sont inscrites et il me semble qu'elles veulent être parties prenantes de cette évolution. J'entends votre préoccupation : les PME ne doivent pas subir la révolution extra-financière. Nous devons les accompagner, notamment par le financement partiel des diagnostics environnementaux, voire sociaux.

En matière de marchés publics, il revient aux collectivités locales de faire leurs appels d'offres et à l'État de mettre à disposition des outils. Ainsi, le nouveau plan national pour des achats durables (PNAD), désormais ouvert et consultable, permet aux acheteurs publics de bâtir leurs marchés. La loi Climat et résilience a permis des avancées et certaines collectivités locales sont inspirantes en matière de recours à des entreprises d'insertion ou à des TPE-PME.

S'agissant des PGE, je rappelle que la Banque de France estime à 4,6 % le taux de défaut prévisionnel sur toute la durée de vie du dispositif. Ce n'est pas rien, mais cela ne représente pas, non plus, en tout cas pour l'instant, un risque systémique. Pour autant, ces 4,6 % cachent des hommes, des femmes et des entrepreneurs, dont je suis bien consciente des difficultés.

Par le truchement des antennes départementales de la Banque de France, il est aujourd'hui possible de saisir la Médiation du crédit pour rééchelonner son PGE sur dix ans. Il est également possible de solliciter le conseiller départemental à la sortie de crise présent dans chaque département. Tous les jours, ces conseillers rééchelonnent des PGE, mais aussi des dettes sociales ou fiscales pour permettre à nos entrepreneurs de rembourser leurs PGE.

Madame Berthet, la cotation n'est pas automatique. J'y insiste, la cotation Fiben (fichier bancaire des entreprises) concerne uniquement les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 000 euros. C'est loin d'être le cas de toutes nos TPE et PME. Je veux bien qu'on ait peur, mais en l'occurrence, on a peur d'un fantasme. En outre, je précise que l'éventuelle note dite « non performante » n'est en rien automatique : elle est attribuée au cas par cas et le rééchelonnement d'un prêt ne suffit pas à classer automatiquement une entreprise en « non performante ». Je rappelle également que cette note est absolument discrétionnaire : seul le banquier - et pas les assureurs crédit - en a connaissance. Les exemples foisonnent à Bercy d'entreprises classées « non performantes » et dont les capacités d'emprunt ne sont pas automatiquement bloquées pour autant.

Monsieur Redon-Sarrazy, votre question sur les ZRR est très large et n'entre pas dans le champ de mon ministère. Je vous invite, pour la partie fiscale, à contacter le cabinet de Gabriel Attal, pour les questions relatives à la ruralité, celui de Dominique Faure, pour la partie territoriale, celui de Christophe Béchu et pour les questions touchant au travail celui d'Olivier Dussopt.

Monsieur Buis, vous avez rappelé que les agglomérations de moins de 800 000 habitants ont une obligation légale d'extinction des enseignes lumineuses entre une heure et six heures du matin. Les agglomérations de plus de 800 000 habitants sont soumises à une réglementation qui doit être fixée par les élus locaux dans leur règlement local de publicité. J'entends votre interrogation : cela peut ne pas suffire. J'ai l'honneur de vous annoncer qu'un décret en Conseil d'État, dont Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons soumis le projet après concertation, devrait être publié le 6 octobre. Il prévoit d'imposer l'extinction des enseignes lumineuses entre une heure et six heures sur l'ensemble du territoire. Les manquements seront sanctionnés par des contraventions de cinquième classe.

M. Menonville attire mon attention sur la situation des boulangers. Nous recevons justement le 18 octobre prochain à Bercy une délégation de la Fédération des boulangers. Du fait de leur grande diversité - types de fours, taille, etc. - les boulangeries n'ont pas toutes la même consommation. Certaines sont parfaitement éligibles aux tarifs réglementés et donc au bouclier tarifaire, quand d'autres ne le sont pas. Pour les secondes, nous devons trouver des solutions. Je peux vous dire que Bruno Le Maire et moi-même sommes bien disposés à les aider.

Je remercie le président Babary pour les dix axes et les quarante-huit mesures qu'il nous a suggérées pour favoriser le commerce rural. Nous en retiendrons très certainement certaines, dont je reparlerai lors de la conclusion des Assises du commerce. J'ai à coeur d'encourager, comme le font certaines initiatives privées telles que le programme 1000 cafés, Bouge ton coq ou Comptoir de campagne, l'établissement des commerces multiservices. De même, j'aimerais - peut-être pouvons-nous y travailler ensemble - promouvoir dans nos communes rurales le commerce itinérant, qui rencontre un certain succès auprès des jeunes générations.

J'en viens aux CMA. La taxe pour frais de chambre des métiers, dite taxe CMA, est plafonnée à 203 millions d'euros, soit un montant resté stable depuis 2016. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, une baisse du plafond sera proposée, afin qu'elles contribuent aux efforts collectifs en matière de maîtrise des finances publiques à hauteur de 15 millions d'euros. Je sais que l'augmentation des charges de personnel dans le cadre de la négociation sur la revalorisation du point d'indice des personnels et le coût annuel de la garantie individuelle du pouvoir d'achat (Gipa) préoccupent les chambres de métiers. J'ai donc veillé à ce que cette baisse de plafond en 2023 soit soutenable. Les travaux de préparation du prochain contrat d'objectifs et de performance (COP) pour la période 2023-2026 permettront de prioriser les missions des CMA. J'ai parfaitement conscience, au nom du Gouvernement, de l'effort demandé. Dans un contexte budgétaire contraint pour les finances publiques et au regard des efforts fournis par les autres chambres consulaires que sont les CCI, je maintiens néanmoins cette orientation. Nous n'en sommes, cela étant dit, qu'au début de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Je connais l'importance des débats parlementaires, et nous verrons ce qu'il en adviendra.

Monsieur le sénateur Gay, je vous le répète : 1,5 million de TPE sur 3 millions au total bénéficient aujourd'hui des TRV. Peut-être pourrions-nous, pour certaines d'entre elles, réfléchir à l'élargissement du dispositif. Au-delà d'un « TRV PME » que j'appelle de mes voeux, nous envisageons également - Mme la Première ministre vient de le mentionner brièvement lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale - la mise en place d'un filet de sécurité qui permettrait de rendre moins douloureuse l'augmentation des prix de l'énergie. En résumé, nous avons plusieurs fers au feu et la détermination du Gouvernement est totale. Nous devrions trouver une solution à l'échelle européenne lors des conseils qui se tiendront à Prague dans les prochaines semaines.

En ce qui concerne la DGCCRF, je remercie le sénateur Cozic et la sénatrice Espagnac pour leur rapport. Cette direction a fait des efforts incommensurables ces dernières années. Pour avoir eu l'honneur d'être rapporteure en commission des finances, je connais bien le sujet. J'échange plusieurs fois par mois avec la directrice, Mme Beaumeunier, au sujet de vos recommandations et mon cabinet est en contact hebdomadaire avec ses équipes. Le contexte est par ailleurs celui d'un redéploiement des effectifs de la DGCCRF vers des missions prioritaires en matière de transition écologique et numérique, au bénéfice notamment du ministère de l'agriculture, qui est plus à même d'agir sur un certain nombre de contrôles de sécurité sanitaire. Ces transferts d'emplois sont toutefois limités. Enfin, compte tenu de l'importance stratégique de ses missions, une augmentation des emplois de la DGCCRF est prévue en 2023 et 2024. La baisse des effectifs touche à sa fin.

M. Olivier Rietmann. - Le rapport de la mission de suivi de la délégation aux entreprises sur le thème de la transmission en entreprise sera examiné jeudi prochain. Il développe une question qui dépend certes plus directement du ministre du travail, mais dont l'impact est direct sur nos PME, TPE et ETI : celle de la formation. Je pense, par exemple, à la formation des futurs repreneurs d'entreprise, qui font aujourd'hui cruellement défaut. Or la Caisse des dépôts et consignations a récemment déréférencé CRA Formation, qui dépend de l'association Cédants et repreneurs d'affaires. Ces formations font pourtant l'unanimité chez tous les acteurs de la transmission, qu'ils soient publics ou privés.

La vague de déréférencement a touché également de nombreuses auto-écoles, dont les élèves ne peuvent plus bénéficier du financement via le compte personnel de formation (CPF). Alors que les PME et TPE font face à une pénurie extrême de compétences, cela crée, dans nos territoires ruraux, un véritable handicap pour nos entreprises : sans permis, pas de voiture, et sans voiture, pas d'emploi. Les entreprises de transport, par exemple, sont particulièrement concernées : auparavant, les candidats pouvaient bénéficier du CPF pour passer leur permis poids lourd et super lourd ; ce n'est plus possible.

Nous espérons que vous pourrez étudier la question avec votre collègue Olivier Dussopt, car l'enjeu est de taille et doit être appréhendé de façon transversale. Pour ma part, j'ai sollicité le ministre Dussopt le 5 août et le 13 septembre derniers sans obtenir de réponse. La délégation aux entreprises n'a pas eu plus de succès auprès de la Caisse des dépôts. Madame la ministre, je ne doute pas que vous nous apporterez une réponse et je vous en remercie.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - À défaut de vous apporter une réponse, Mme la ministre aura de l'influence.

M. Daniel Laurent. - La question du coût de l'énergie est au premier rang des préoccupations des chefs d'entreprise. Elle s'ajoute à l'inflation, aux difficultés de recrutement, à des délais d'approvisionnement toujours plus tendus, à l'envolée des coûts des matériaux, aux marges qui se réduisent et, malheureusement pour certains, à des trésoreries qui deviennent exsangues.

Les entreprises dont les contrats d'énergie arrivent à leur terme sont incitées, y compris par le Président de la République, à repousser la négociation de leurs contrats. Or en pratique, la situation est compliquée pour les PME, qui ne font pas le poids face aux fournisseurs d'énergie, lesquels ne peuvent leur garantir les volumes ni s'engager sur les prix.

Concernant le bouclier tarifaire, pouvez-vous nous préciser si toutes les activités sont concernées ? Je pense en particulier aux activités agricoles - transformation, distillation - qui consomment beaucoup d'énergie.

Dans le domaine du tourisme, le dysfonctionnement perdure dans le reversement aux collectivités de la taxe de séjour via les plateformes numériques. Que comptez-vous faire pour y remédier, sachant que votre prédécesseur n'a pas résolu le problème ?

Enfin, le référentiel des stations de tourisme impose désormais la présence d'une pharmacie sur le territoire communal des stations classées. Ainsi, une commune de 600 habitants située sur l'île de Ré pourrait perdre le classement dans le cadre d'un prochain renouvellement, quand bien même deux pharmacies sont à moins de cinq minutes en voiture. Envisagez-vous une adaptation à la réalité de ces territoires ?

Mme Sylviane Noël. - La hausse des coûts de l'énergie est une préoccupation majeure pour les stations de ski, à l'heure où 70 % d'entre elles négocient leur contrat triennal avec les fournisseurs d'énergie. Après deux saisons gâchées par la pandémie de covid-19, elle pourrait de nouveau menacer ce secteur d'activité ainsi que les communes de stations de montagne. En effet, l'électricité pourrait représenter à la fin de la saison 20 % de leurs coûts, contre 2 à 5 % actuellement. Si cette hausse n'est pas contrôlée, les conséquences pourraient être très lourdes, avec toutes les répercussions sur le tissu socio-économique que nous avons connues il y a deux ans. J'attire donc une fois encore votre attention sur la nécessité absolue d'accompagner les opérateurs de remontées mécaniques afin de passer ce cap difficile.

Par ailleurs, le groupe de travail « tourisme » que je préside a été saisi récemment par les représentants de l'hôtellerie et de la restauration au sujet des commissions que prélèvent certaines plateformes dans le cadre de la dématérialisation des titres-restaurants. Il semblerait que celles-ci, en situation de quasi-monopole, prélèvent des frais fixes et variables élevés en plus d'un abonnement mensuel au tarif élevé, ce qui pénalise les restaurateurs qui les acceptent. Votre cabinet a-t-il reçu des alertes et quelles pistes envisagez-vous pour remédier à ce problème ?

Mme Viviane Artigalas. - Le tourisme de proximité, qui désigne le fait de se rendre sur un lieu de vacances à moins de 500 kilomètres de chez soi, est un mode de consommation touristique en fort développement dans un contexte de contraintes économiques et énergétiques. Au-delà des bénéfices écologiques évidents, il est en réalité une force stabilisatrice pour l'économie de nos territoires. Pour les régions rurales, il est également un vecteur de revenus et d'emplois : entre 40 000 et 46 000 emplois directs ont ainsi été créés ou maintenus en 2019.

Les vertus environnementales de cette forme de villégiature ont été reconnues par l'Ademe, dont le rapport 2020 sur les émissions touristiques préconisait notamment la structuration d'offres touristiques de proximité, la mise en place d'incitations fiscales pour les acteurs du tourisme microlocal, le développement de l'offre ferroviaire ou encore la mise en place d'une campagne de communication spécifique pour le tourisme local. Le Gouvernement souhaite-t-il prendre des mesures pour favoriser le tourisme de proximité et si oui lesquelles ?

M. Serge Mérillou. - Depuis quelques jours, l'exécutif invite les patrons de TPE-PME à ne pas signer des contrats de fourniture d'électricité à des prix exorbitants. Or hier, Mme Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) s'est montrée moins catégorique, expliquant que certaines entreprises avaient tout intérêt à signer les contrats proposés, au risque de se retrouver sans fournisseur en janvier.

Nos entreprises vont devoir prendre des décisions dans de très brefs délais. Doivent-elles ou non signer les contrats proposés aux prix actuels, avec les risques de chômage partiel que cela implique ?

Par ailleurs, ces prix très élevés et très volatils sont compliqués à comprendre pour les chefs d'entreprise qui ne sont pas accompagnés dans ces choix stratégiques. Comment le Gouvernement peut-il rendre ces prix plus lisibles ? Les TPE-PME ont besoin de clarté et de cohérence et la cacophonie gouvernementale ne facilite pas la prise de décision.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je me réjouis de vos annonces concernant la DGCCRF ; une telle mesure est nécessaire et les agriculteurs la réclament pour garantir une meilleure application de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim).

Par ailleurs, il convient de renforcer le financement des associations de consommateurs, dont les aides se sont réduites.

En outre, nous nous inquiétons fortement de la position de nos PME et ETI dans notre commerce extérieur, dont le déficit s'est encore creusé, et ce pas uniquement en raison de la conjoncture. Nos PME et nos ETI sont peu insérées dans le commerce extérieur. Quel levier envisagez-vous d'utiliser pour améliorer cette situation ?

Enfin, je partage votre enthousiasme à propos de la RSE, mais il faudrait lancer une campagne de communication à destination des entreprises et, surtout, suivre de près les normes du Groupe consultatif pour l'information financière en Europe (European Financial Reporting Advisory Group ou Efrag), qui devront être pragmatiques et pertinentes.

Mme Amel Gacquerre. - Les entreprises font face à deux problèmes majeurs : l'explosion du coût de l'énergie et les difficultés de recrutement, phénomène qui prend des proportions inquiétantes, puisque 9 PME sur 10 peinent à recruter. Nombre de chefs d'entreprise ont pris des mesures, comme le relèvement des salaires ou le versement de primes, mais doivent tout de même refuser des marchés. Quelle est votre vision sur le sujet et quelles mesures envisagez-vous de prendre ?

M. Daniel Gremillet. - Je souhaite insister sur le sujet soulevé par Mme Gacquerre. Cela fait plus d'un an que les entreprises rencontrent de grandes difficultés à recruter et, si l'on calculait le PIB perdu en raison de l'impossibilité de recruter, on serait abasourdi du résultat.

Par ailleurs, indépendamment du fait que je ne partage pas votre point de vue sur la situation énergétique, que comptez-vous faire pour aider nos entreprises, sachant que l'Allemagne a mis 200 milliards d'euros sur la table afin d'éviter à ses PME d'être affectées par la crise énergétique ?

M. Daniel Salmon. - J'appelle votre attention sur la question des locations de courte durée, phénomène en expansion et qui engendre un effet d'éviction sur le marché de la location classique pour les résidents à l'année et des difficultés de recrutement. D'une part, la fiscalité sur les locations de courte durée devrait être plus lourde que la fiscalité sur les locations de longue durée et, d'autre part, il faudrait adapter la réglementation en la matière, car la loi n'autorise que les communes de plus de 200 000 habitants ou situées dans une zone tendue à encadrer ces locations. C'est trop restrictif, il faudrait mettre à disposition des élus une boîte à outils leur permettant d'adapter la réglementation aux spécificités de leur commune. Quel est votre point de vue sur cette question ? Vous qui avez des origines bretonnes, vous y êtes sans doute sensible...

M. Alain Chatillon. - Deux entreprises de ma région sont contraintes par EDF de signer, cette semaine, un contrat de fourniture d'électricité à un tarif représentant cinq fois le coût du contrat portant sur l'année en cours. Que peut-on faire ?

Par ailleurs, puisque vous évoquiez les coûts de production, je signale que les impôts de production représentent, en France, 70 milliards d'euros, contre 47 milliards d'euros en Allemagne. C'est l'État qui devrait réduire ces impôts et non les collectivités ; or la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sur deux ans entraînera une moindre recette de 9 milliards d'euros pour les collectivités. Pourquoi ces dernières doivent-elles payer à la place de l'État ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Monsieur Gremillet, certes, le gouvernement allemand a annoncé une aide de 200 milliards d'euros, mais - peut-être avez-vous des informations que je n'ai pas -, j'ignore comment ce montant se ventilera, par exemple entre ménages et entreprises. Ce que je sais, en revanche, c'est que, de notre côté, nous avons déjà décaissé 60 milliards d'euros pour protéger les ménages de la hausse des prix de l'énergie. C'est peut-être insuffisant, mais c'est concret.

Monsieur Laurent, le taux d'inflation lissé d'août 2021 à août 2022 s'élève à 5,8 % au total et à 7,7 % pour les produits alimentaires. C'est sans doute trop, mais cette inflation relativement contenue nous est enviée par nombre d'autres États membres de l'Union européenne. Du reste, Bruno Le Maire a été le premier, dès la rentrée 2021, à évoquer la décorrélation du prix du gaz et de l'électricité et nous avons été les premiers à instaurer le bouclier tarifaire. Donc, si la situation est difficile, elle est pire ailleurs en Europe.

Oui, monsieur Rietmann, la formation est un sujet important. Vous avez mentionné un centre de formation des apprentis particulier. Je transmettrai votre question à mon collègue Dussopt, qui y répondra dans les meilleurs délais. Je vous recommande par ailleurs d'en parler à ma collègue Mme Grandjean, qui est chargée de la formation professionnelle ; elle pourra vous apporter une réponse plus opérationnelle.

Monsieur Laurent, oui, la situation économique est difficile ; 73 % des PME répercutent la hausse du prix de l'énergie sur leurs prix de vente, et ce depuis plusieurs mois. Or j'ai également à coeur de contenir l'inflation pour les ménages. C'est pourquoi mes collègues Roland Lescure, Marc Fesneau et moi-même tâchons de mobiliser les centrales de grande distribution en faveur d'une certaine retenue pour les prix de l'alimentaire et, pour ma part, je me bats pour que nos PME puissent répercuter la hausse du coût de l'énergie sur leurs tarifs. Nous en avons appelé à la responsabilité des acteurs de la grande distribution, notamment en matière de pénalités logistiques.

En ce qui concerne les PME qui ont des contrats à renégocier, nous avons saisi le médiateur de l'énergie. Si vous avez connaissance de cas concrets de multiplication par trois, quatre ou cinq de leurs tarifs, je puis lui transmettre ces dossiers.

La classification des communes en zone touristique est un véritable sujet, soulevé par nombre de parlementaires. La réforme de 2019 en la matière intègre en effet, parmi les critères de ce classement, la présence dans la commune d'une pharmacie, service essentiel. Je peux comprendre que certaines communes s'inquiètent de ne plus satisfaire, de ce fait, aux exigences de la nouvelle réglementation. On doit pouvoir trouver un équilibre entre les souhaits des communes et le maintien d'une offre touristique de qualité. Je convierai donc les élus à une réunion en octobre sur le sujet, avec les ministères de la santé et de la transition écologique. Une solution doit exister pour maintenir le classement des communes touristiques qui le méritent.

Le ski est un sujet majeur. J'ai rencontré des représentants de Domaines skiables de France vendredi dernier, et je salue la responsabilité des acteurs du secteur, qui se sont mobilisés pour atteindre un objectif ambitieux de sobriété. En ce qui concerne le coût de l'électricité, les stations sont éligibles aux aides du plan de résilience. Je suis à votre disposition pour évoquer les problèmes précis liés aux régies. Nous y travaillons actuellement.

Madame Artigalas, vous m'interrogez sur le tourisme de proximité ou durable. Il faut le savoir, la filière touristique serait, selon l'Ademe, à l'origine de 11 % des émissions de gaz à effet de serre en France. La transition écologique du secteur est donc un sujet majeur. L'accompagnement de l'évolution de l'offre touristique est au coeur du plan de relance pour le tourisme et du plan Destination France, doté de 1,9 milliard d'euros. Le fonds Tourisme durable, destiné à accompagner la transition des acteurs du tourisme dans les territoires peu denses et à développer des formes plus responsables de tourisme, comme l'agritourisme ou l'oenotourisme, est toujours disponible et le fonds Avenir montagnes, doté de 334 millions d'euros, visant à accélérer la diversification et la transition écologique des activités de montagne, est en cours de décaissement. Ce plan est déployé sur notre territoire. Par ailleurs, au sein du plan Destination France, un dispositif de 44 millions d'euros est destiné à soutenir l'investissement dans les infrastructures touristiques durables. Reparlons-nous-en de manière plus approfondie, si vous le souhaitez.

Monsieur Mérillou, nous rencontrons demain matin les fournisseurs d'énergie, afin de discuter du contenu d'une charte. J'espère obtenir des avancées sur le sujet. Je recommande sur ce point d'attendre la fin de la semaine. Toutefois, si vous avez connaissance, pour certaines entreprises, d'une situation d'urgence ne pouvant souffrir soixante-douze heures d'attente, nous pouvons saisir le médiateur de l'énergie, afin que soient vérifiés le caractère non abusif des propositions et le caractère raisonnable des offres de substitution. Il n'y a aucune cacophonie en la matière ; il peut y avoir de la polyphonie.

Madame Blatrix Contat, je suis sensible aux réflexions engagées au sujet du mouvement consumériste en France, qui doit effectivement être modernisé. Je connais bien le sujet pour y avoir travaillé comme députée, au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Les élus et le Gouvernement appellent, depuis des années, le mouvement consumériste à se moderniser. Le rapport d'information que vous avez coécrit propose des pistes intéressantes, telles que le financement public des associations bien implantées localement. La DGCCRF est en train de consulter les associations sur les évolutions envisageables, en se fondant sur votre rapport d'information et sur celui de la Cour des comptes, paru en octobre 2021. Leurs premières analyses me seront transmises rapidement et je réunirai ensuite, d'ici à la fin de l'année, les associations de consommateurs, afin d'avancer sur ce sujet. Je vous informerai de la date de cette réunion et je pourrai même vous y convier. Je suis d'accord avec vos propos sur l'EFRAG et je vous invite à recevoir les associations consuméristes pour vérifier que les indicateurs proposés sont compatibles avec des entreprises humaines. Votre souci est légitime en tant qu'élue.

Pour ce qui concerne le commerce extérieur, c'est mon collègue Olivier Becht qui est à la manoeuvre. Si vous pensez que nos PME ne sont pas assez intégrées dans France Export, on peut en parler. J'avais l'impression que cet organisme fonctionnait plutôt bien, mais peut-être convient-il d'y renforcer la présence de nos petites et moyennes entreprises.

Madame Gacquerre, les pénuries de main-d'oeuvre sont un véritable problème. C'est, avec l'énergie, l'autre sujet majeur de préoccupation pour les entrepreneurs et j'ai passé mon été à y réfléchir. Il y a des problèmes très « chauds », comme la question des saisonniers, qui n'est d'ailleurs pas sans lien avec le logement et la mobilité. En effet, la rémunération n'est pas le seul levier pertinent, il y a aussi un problème d'organisation de la vie du saisonnier, le prix des locations touristiques étant trop élevé. Nous avons fait comme nous avons pu l'été dernier, en mobilisant les préfets, les rectorats et les résidences universitaires. Il y a beaucoup d'irritants, sur lesquels je travaille avec les Urssaf. Je pense notamment à la situation des entrepreneurs, en particulier dans le domaine des hôtels, cafés, restaurants (HCR), qui pourraient loger leurs saisonniers, mais que des tracasseries administratives entravent. Plusieurs membres du Gouvernement agissent de conserve, en lien avec les préfets.

Dans le secteur des HCR (hôtellerie-café-restauration) en particulier, le Gouvernement a déjà pris des mesures. On estime qu'il y a un déficit de 200 000 salariés. L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) a augmenté les salaires de 16 %. Sera-ce suffisant pour attirer des candidats ? Il y a aussi des enjeux en matière de qualité de vie au travail, d'articulation entre vie professionnelle et vie privée, de mutation des salariés. Le Gouvernement a mis en place un plan de 1,4 milliard d'euros pour aider les métiers sous tension, qui a permis de remettre 280 000 chômeurs de longue durée sur le chemin de l'emploi dans les secteurs concernés. Dans les métiers HCR, on en a formé et placé 80 000. Il reste du travail, mais nous nous battons pour permettre une formation accélérée de ces personnes. À cet égard, la réforme de l'assurance chômage que le Gouvernement proposera prochainement doit encourager le retour à l'emploi de chômeurs de longue durée, notamment vers ces métiers.

Monsieur Salmon, pour traiter le problème des meublés touristiques, nous étudions, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2023, des pistes possibles pour muscler la fiscalité. Néanmoins, il faut faire attention aux effets de bord, notamment sur nos gîtes, auxquels nous tenons tous, et sur nos capacités d'accueil des touristes, que nous espérons compter par dizaines de millions. Il y a là encore un enjeu d'équilibre. Le renforcement de cette fiscalité ne doit affecter négativement ni nos gîtes ni nos capacités d'accueil.

Monsieur Chatillon, je vous répondrai par écrit pour évoquer les entreprises que vous avez mentionnées. Nous pourrons éventuellement en parler avec le ministre du budget et des comptes publics.

M. Vincent Segouin. - Vous affirmez, madame la ministre, que le Gouvernement va intervenir auprès d'EDF pour éviter les phénomènes de surinflation, mais n'êtes-vous pas à l'origine de la pénurie, puisque nos centrales ne fonctionnent qu'à 65 % ?

En outre, on verse des subventions pour que les entreprises soient toujours plus propres, ce qui crée de la demande supplémentaire, mais cela n'engendre-t-il pas un effet de ciseau ? Allons-nous continuer de gérer la France de la sorte, en nous fondant plus sur l'idéologie que sur le pragmatisme et les études d'impact ? Le déversement d'argent public ne fait qu'engendrer plus de problèmes...

M. Jean-Marc Boyer. - Vous avez indiqué que le tourisme était responsable de 11 % des émissions de gaz à effet de serre. Sur quels éléments objectifs vous appuyez-vous pour affirmer cela ? J'habite à la montagne, je constate les pratiques de tourisme montagnard toute l'année et je ne vois pas en quoi il ne serait pas « écoresponsable ».

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - Monsieur Segouin, si nous avions créé la pénurie, nous serions les seuls touchés. Or, cela ne vous aura pas échappé, toute l'Europe est concernée par la crise énergétique. Nous devons en effet faire face aux conséquences de choix politiques réalisés en matière nucléaire pendant de nombreuses années et notre situation énergétique est peut-être plus tendue que certains pays européens, mais nous nous battons pour obtenir des aménagements pour nos entreprises.

Par ailleurs, vous vivez la transition énergétique comme un fardeau...

M. Vincent Segouin. - Je n'ai pas dit cela !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - ... en tout cas comme une dépense ; je le vois pour ma part comme un investissement. Je ne suis pas issue du mouvement écologiste, je suis moins pointue que d'autres sur ce thème, mais je viens de la vraie vie, j'ai été entrepreneure et je pense que c'est une obligation qui nous incombe à tous. Si vous estimez qu'investir dans l'accompagnement de nos entreprises pour favoriser leur transition revient à jeter l'argent par les fenêtres, alors nous ne serons pas d'accord.

Monsieur Boyer, je vous renvoie au rapport de l'Ademe, qui fait état d'une contribution à hauteur de 11 % du tourisme aux émissions de gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas que les acteurs du secteur ne soient pas responsables du point de vue environnemental, mais c'est une réalité. Il faut tenir compte du transport, de l'énergie, du damage des pistes, etc., même si cela n'est en rien stigmatisant. Les acteurs touristiques, y compris à la montagne, sont en train de changer leurs pratiques. Le surtourisme sur le littoral est un sujet important. Il n'y a pas de stigmatisation à dire que le tourisme à la montagne entraîne aussi des émissions de CO2. Cela peut ne pas vous plaire, mais c'est étayé...

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie de vos propos, madame la ministre.

La réunion est close à 19 h 55.

Jeudi 6 octobre 2022

- Présidence de M. Serge Babary, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Transmission d'entreprise - Examen du rapport de la mission de suivi relative à la transmission d'entreprise

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises - Bonjour à tous. Nous nous réunissons ce matin au sujet des transmissions et reprises d'entreprises. Les entrepreneurs et les organisations professionnelles nous ont alertés sur les difficultés existantes et les défis auxquels nous devrons faire face. Toutes les entreprises, indifféremment de leur taille, aborderont ce sujet à un moment de leur existence, tant dans son aspect micro-économique (leur survie) que macro-économique (l'avenir des emplois, des brevets, du savoir-faire et de la souveraineté économique de notre pays).

Ce thème fera l'objet de la seconde table ronde de notre Journée des entreprises, le 13 octobre.

Je donne la parole à nos rapporteurs et les remercie d'avoir travaillé depuis le début de l'année sur ce sujet majeur et complexe.

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Merci, Monsieur le Président, mes chers collègues, le rapport que nous allons vous proposer d'adopter ce matin constitue une étape dans l'engagement de la Délégation en faveur de la transmission d'entreprise. En effet, avant nous, nos collègues Michel Vaspart et Claude Nougein avaient produit un premier rapport, en février 2017, intitulé : « Moderniser la transmission d'entreprise en France : une urgence pour l'emploi dans nos territoires ». Ils avaient alors décrit de façon complète et précise le paysage de la transmission d'entreprise, qu'elle soit intrafamiliale ou à des tiers, salariés ou non. Étaient présentés ses acteurs, ses mécanismes et son cadre juridique. Nos collègues avaient en outre formulé des recommandations qui ont nourri le débat législatif l'année suivante. Leur proposition de loi, adoptée en première lecture au Sénat en juin 2018, tout comme leur rapport, avaient manifestement convaincu le Gouvernement qui avait repris à son compte plusieurs mesures, notamment dans le cadre de la loi de finances pour 2019. Modernisation du « Pacte Dutreil », élargissement du crédit-vendeur, assouplissement des conditions pour bénéficier du crédit d'impôt en cas de rachat par des salariés : la Délégation aux entreprises peut se féliciter d'avoir contribué largement à la modernisation du cadre législatif qui était attendu.

Il était très attendu car déjà, en 2017, la sonnette d'alarme était tirée : les cessions d'entreprise ralentissaient alors qu'augmentait le nombre de dirigeants en âge de partir à la retraite. Les difficultés de transmission étaient telles que beaucoup de chefs d'entreprise ne trouvaient déjà pas de repreneur, l'issue étant alors tout simplement la cessation d'activité et donc la perte d'un poumon économique et des emplois afférents.

Le rapport que nous vous présentons est également une étape car la suite est déjà prévue : proposition de loi, voire proposition de résolution, amendements au projet de loi de finances pour 2023, que nous vous proposerons de co-signer, et une vidéo à destination des chefs d'entreprise pour les aider à mieux appréhender les outils de la transmission.

La mission de suivi que vous nous avez confiée nous a amenés à nous poser deux types de question :

- 1°) La situation s'est-elle améliorée ou a-t-elle au contraire empiré depuis 2017/2018 ?

La réponse est mitigée : si le cadre législatif est indéniablement meilleur, notamment sous l'influence de la Délégation, le constat est toujours alarmant. En effet, la tendance est toujours à la baisse pour le nombre de cessions, alors même que désormais 25 % des chefs d'entreprise ont plus de 60 ans et 11 % ont plus de 66 ans !

- 2°) Deuxième question : le contexte est-il différent ?

La réponse est : oui ! L'un des éléments emblématiques de ce changement de contexte est la note du Conseil d'Analyse Économique (CAE), publiée en décembre 2021, qui remet en cause l'utilité du « Pacte Dutreil ». Pourtant ce dispositif fiscal est essentiel pour les transmissions familiales, au coeur du développement des ETI dont nous manquons cruellement. Cette publication du CAE n'est pas anodine et l'on aura noté, dans le débat public, une tendance à mélanger patrimoine privé et patrimoine professionnel, le tout dans une logique de dénonciation des injustices liées à l'héritage. D'ailleurs un amendement déposé à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2023 limite le recours au dispositif « Dutreil » aux transmissions réalisées avant le 31 décembre 2024 !

Par ailleurs les différentes crises traversées par nos entreprises, à commencer par la crise sanitaire, ont eu plusieurs conséquences.

L'une d'elles a été signalée par la CPME : beaucoup de chefs d'entreprise, las des aléas économiques des crises successives, s'apprêteraient à transmettre leur entreprise beaucoup plus rapidement que prévu, accélérant encore le mouvement des départs à la retraite.

Autre conséquence : les crises ont fragilisé financièrement les entreprises qui sont devenues des cibles potentielles ; le phénomène de prédation étant perçu de façon plus aigüe ces dernières années.

Enfin, la disparition des entreprises, qu'elle intervienne à la suite d'une cessation d'activité ou d'une délocalisation après un rachat par des capitaux étrangers, soulève la question de notre indépendance et de notre souveraineté économique. La crise sanitaire a fait prendre pleinement conscience de cet enjeu.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Monsieur le Président, je tiens à vous remercier de nous avoir confié cette mission et à remercier mes deux collègues, Michel Canévet et Rémi Cardon, pour l'excellent travail que nous avons pu réaliser ensemble, Les éléments de contexte présentés par mon collègue Michel Canévet sont essentiels pour comprendre que la situation est celle de l'urgence : urgence pour le développement de notre économie notamment à travers nos ETI, urgence face au risque de disparition de nos savoir-faire et de nos emplois, urgence face à la compétition internationale, urgence enfin d'un point de vue stratégique pour ne pas devenir encore plus dépendants de fournisseurs étrangers demain.

Malheureusement, l'urgence de la situation n'est pas nécessairement perçue par tout le monde. Tout d'abord du côté de l'État, nous avons noté qu'en 2022, toujours aucun suivi chiffré ne permet de suivre les cessions d'entreprise en France, depuis que l'Insee n'est plus en charge de ce décompte, c'est-à-dire depuis 15 ans ! Seul BPCE L'Observatoire mène des études fiables sur le sujet.

Du côté des dirigeants, nous avons constaté qu'ils sont nombreux à trop souvent attendre le dernier moment pour organiser leur succession. Ainsi, la modernisation des outils législatifs, évoquée par Michel Canévet, n'a manifestement pas été suffisante pour qu'un « sursaut » ait lieu.

Forts de ce constat, nous avons mené des auditions qui nous ont conduits à déterminer ce qui, du point de vue des chefs d'entreprise, est aujourd'hui nécessaire pour enfin relancer la transmission d'entreprise. Celle-ci implique nécessairement une cession d'une part, et une reprise d'autre part. Or pour encourager ces deux facettes de la transmission, il faut comprendre les deux principales attentes : la sécurisation et la simplification. Ces deux logiques, qui sont d'ailleurs au coeur des missions de la Délégation aux entreprises, nous ont amenés à formuler 11 recommandations.

Les trois premières d'entre elles sont relatives au « Pacte Dutreil » et à la notion de holding animatrice.

Il nous semble essentiel de sanctuariser le « Pacte Dutreil », qui permet une exonération à hauteur de 75 % des droits de mutation à titre gratuit. Combiné à d'autres dispositifs, tels que l'abattement de 50 % en cas de donation avant les 70 ans du cédant, l'exonération atteint les 90 %. Aller plus loin serait déraisonnable dans le contexte évoqué plus tôt. En revanche nous constatons que peu de dirigeants connaissent ce dispositif, pourtant salutaire pour les transmissions familiales et le développement des PME en ETI. Un très récent sondage de CCI France réalisé avec l'institut Opinion Way montre que 82 % des chefs d'entreprise n'en n'ont jamais entendu parler ! Aussi notre première proposition vise à sanctuariser le « Pacte Dutreil » en organisant une campagne d'information des chefs d'entreprise afin qu'il devienne un dispositif incontournable pour tous ceux qui le souhaitent. Nous allons montrer l'exemple, puisque cet automne nous vous proposons de réaliser une vidéo qui pourra être diffusée à tous et sera en ligne sur notre site Internet.

Par ailleurs, dans le cadre du dispositif « Dutreil », la question du caractère animateur de la holding revient souvent. Cette question est également posée pour la mise en oeuvre d'autres mesures fiscales. Or, les critères que doit suivre l'administration fiscale pour apprécier si une holding est animatrice ou non semble insuffisamment sécurisée si l'on observe les dernières jurisprudences, du juge judiciaire ou administratif. Elles constituent des revirements par rapport à la doctrine administrative qui s'est développée ces dernières années. Notre proposition n°2 vise donc à consolider et clarifier dans la loi les éléments de définition de la holding animatrice. Elle va de pair avec la proposition n°3 qui vise à sécuriser l'appréciation administrative en instaurant un rescrit spécifique encadré par un délai de 6 mois. Idéalement, en complément de ces deux mesures, il faudrait que l'administration fiscale désigne un référent « cession - Pacte Dutreil » dans chaque direction départementale.

Enfin je souhaiterais évoquer la proposition n°5 visant à sécuriser les dispositifs de financement de la transmission par Bpifrance. Il s'agit des garanties bancaires et du « Prêt Transmission », essentiels pour les TPE et PME, comme l'ont souligné l'U2P et la CPME. La ligne de crédit a été supprimée depuis plusieurs années (il s'agissait de l'action 20 du programme 134 de la mission Économie), le Gouvernement souhaitant que le financement soit pris sur les dividendes de Bpifrance, suite à sa réorganisation. Or, cette décision nous semble menacer sérieusement la pérennité de ces dispositifs de financement, au moment même où nous appelons de nos voeux une véritable politique publique de la transmission d'entreprise ! Nous vous proposons donc de rétablir cette action budgétaire et de voter les financements nécessaires.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - Je vous remercie et tiens spécialement à remercier mes collègues co-rapporteurs.

Ainsi que le titre de notre rapport le met en évidence, la transmission concerne aussi bien le cédant que le repreneur. Nous avons constaté que lorsque la transmission familiale n'est pas une option, la cession à des salariés de l'entreprise peut réellement être un pari gagnant pour conserver l'emploi localement, la culture de l'entreprise et maintenir un haut degré de savoir-faire. C'est ce qu'a montré, par exemple, l'entreprise De Sangosse, qui a accueilli notre Délégation la semaine dernière dans le département du Lot-et-Garonne « chez » notre collègue Jean-Pierre Moga. Il convient donc d'encourager la reprise par les salariés. C'était l'objectif souhaité de l'obligation préalable d'information des salariés en cas de cession, dispositif instauré par la loi dite « Hamon ». Cependant nous avons bien dû nous rendre à l'évidence que ce dispositif était plutôt contre-productif, car davantage source d'insécurité pour les entreprises. Nous proposons donc d'abroger ce dispositif (proposition n°4) pour le remplacer par des mesures incitatives ciblées (proposition n°8) pour :

- pérenniser le crédit d'impôt en faveur des sociétés rachetées par des salariés (article 220 nonies du CGI) ;

- relever les abattements fiscaux prévus en cas de reprise par des salariés (article 790 A et 732 ter du CGI) ;

- inciter le fléchage des abondements en droits complémentaires pour assurer le financement des formations de salariés à la reprise d'entreprise.

Plusieurs recommandations s'inscrivent dans la logique de simplification de la transmission. Ainsi proposons-nous d'harmoniser les droits d'enregistrement en fixant un taux unique de 0,1% (proposition n°7), de pérenniser la déductibilité de l'amortissement du fonds de commerce (proposition n°6) ou encore de faciliter la transmission à un fonds de pérennité (proposition n°10). Je rappelle que le fonds de pérennité a été créé par la loi dicte « Pacte » de 2019 et constitue un outil efficace, en théorie, pour pérenniser une entreprise. Cependant le régime fiscal est aujourd'hui trop dissuasif et seuls 3 fonds ont été créés.

Enfin deux dernières mesures méritent que nous nous y attardions.

La proposition n° 9 est un « chèque-conseil de la transmission » qui serait proposé à tous les dirigeants d'entreprise à partir de leur 55 ans et jusqu'à leur 65 ans. L'objectif est de les inciter à anticiper la question de la transmission de leur entreprise. C'est une idée défendue par l'association CRA (Cédants et Repreneurs d'Affaires). Ce chèque existe en Belgique où les chefs d'entreprise peuvent ainsi bénéficier d'une aide à l'accompagnement allant jusqu'à 22 000 euros : il permet de couvrir les coûts relatifs à la valorisation de l'entreprise, à la réalisation des différents audits ou aux conseils juridiques nécessaires pour préparer sa transmission.

Enfin, reste la proposition n°11 qui vise une meilleure coordination des acteurs de la transmission dans les territoires. De nombreuses initiatives existent partout en France, mais des témoignages des dirigeants, voire des acteurs de la transmission eux-mêmes, se dégage parfois une impression de superposition d'actions et d'absence de coordination efficace. Il nous semble urgent que soit définie une stratégie de coordination qui pourrait passer par une charte nationale, à décliner dans chaque région en fonction des caractéristiques territoriales.

Cette charte pourrait comporter :

1° Les principes de relais d'information, notamment pour ce qui concerne les données confidentielles relatives aux entreprises. Cela permettrait entre autres de pallier le manque de suivi statistique.

2° Un engagement en faveur de la promotion de la reprise d'entreprise, notamment orientée vers la conservation des savoir-faire, l'encouragement de l'entrepreneuriat féminin, le développement des filières d'avenir, la défense d'intérêts stratégiques pour la France tels que la souveraineté économique.

3° La désignation d'un référent privé et d'un référent public pour que les entrepreneurs puissent avoir un interlocuteur privilégié. Chaque région pourrait choisir ces référents, par exemple une CCI pour le privé et le directeur des services économiques de la région pour le public.

Cette structuration constituerait la base d'une véritable politique publique de la transmission d'entreprise, afin de permettre aux entrepreneurs de reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires.

Voici ainsi résumés les grands axes que nous vous proposons d'adopter : sanctuariser le « Pacte Dutreil », stabiliser le droit en vigueur, simplifier les démarches et dispositifs, sécuriser les transmissions et inciter les dirigeants à anticiper. Nous vous remercions.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie tous les trois pour la qualité de vos travaux et votre implication dans ces démarches. Vous avez ajouté une vraie valeur personnelle sur ce sujet qui, à l'évidence, vous passionne tous. Je cède la parole à mes collègues s'ils ont des questions.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'ai plutôt une remarque, puisque vos propos m'ont rappelé la situation d'une des communes de mon territoire. Dans les trois années à venir, onze agriculteurs arrêteront leurs exploitations, ce qui, à mes yeux, s'apparente à des cessions d'entreprises.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Lors de notre déplacement en Haute-Saône, nous avons organisé une table ronde au sujet de la transmission d'entreprise et y avons convié les Présidents de la CCI, de la CMA et de la Chambre d'agriculture. Nous avons reçu des témoignages d'agriculteurs qui ont transmis ou repris des exploitations, car nous considérons qu'ils sont directement concernés par le sujet de la transmission.

M. Christian Klinger. - Merci, Monsieur le Président, et merci aux trois rapporteurs pour la qualité du travail effectué. Tous les secteurs d'activité sont affectés par le départ à la retraite d'une génération entière qui peine à trouver des repreneurs. Vous avez souligné la difficulté de faire connaître les outils fiscaux et d'accompagnement existants. Cette problématique est importante pour le maintien de l'activité économique dans nos territoires. Ne serait-il pas plus judicieux que les actions soient initiées par le sommet de l'État, une sorte de Grenelle de la transmission d'entreprise ?

Des outils fiscaux existent déjà pour aider les cédants. Ne faudrait-il pas renforcer ceux destinés aux repreneurs ?

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Je répondrai d'abord à Monsieur Devinaz. Le rapport de 2017 proposait une déduction pour la transmission et l'installation de jeunes agriculteurs. La proposition est toujours d'actualité, mais nous ne l'avons pas reprise puisque nous avons souhaité actualiser ou mettre l'accent sur certaines des propositions faites en 2017. Il faudrait certainement trouver des outils pour améliorer la transmission des entreprises agricoles. Aujourd'hui, celle-ci est entravée par une capitalisation très forte, à laquelle beaucoup de jeunes ne peuvent pas répondre, ainsi que par le manque de stabilité financière des exploitations agricoles, insuffisamment rémunératrices.

Monsieur Klinger, je vous rejoins : nous devons accélérer la diffusion des informations. Lors du congrès de la CGAD (Confédération Générale de l'Alimentation en Détail) organisé le 28 septembre dernier, nous avons appris l'existence de près de 500 000 outils pour la création et la transmission d'entreprise dans notre pays, ce chiffre incluant toute la documentation disponible. . Pourtant, les entrepreneurs n'arrivent pas à trouver les informations dont ils ont besoin. Nos propositions visent à structurer l'information, puisque, malgré la multitude des acteurs, les chefs d'entreprise méconnaissent le sujet et attendent trop souvent le dernier moment pour préparer leur succession.

Les dirigeants en fin d'activité sont moins motivés pour chercher de nouveaux marchés et se préoccuper de l'innovation. Or, les entreprises ont besoin de s'adapter aux évolutions du marché pour perdurer.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Le Pacte Dutreil permet de cumuler des avantages aboutissant à 90 % d'exonération de droits lors d'une transmission familiale. Malheureusement, 82 % des chefs d'entreprise ne connaissent même pas l'existence de ce dispositif. L'État devrait être plus présent et s'impliquer dans la diffusion de l'information.

Nous avons constaté, lors de nos auditions, que les cédants réclament des incitations et des allègements fiscaux. Les repreneurs, en revanche, ont besoin d'une sécurisation de la reprise. Nos propositions visent donc la restauration et la continuité du financement des garanties mises en place par Bpifrance, afin d'aider les repreneurs à être pérennes et rentables. Seulement 50 % des entreprises sont transmises en France et une grande partie ne perdure pas après la transmission.

Pour assurer sa solidité, une entreprise doit passer d'un statut de PME à un statut d'ETI qui lui confère notamment plus de capacités d'exportation, donc plus de rentabilité. Cette évolution s'étale en moyenne sur vingt et un ans. Il faut sécuriser le processus de transmission afin de laisser le temps aux repreneurs d'opérer cette transformation sereinement.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - La confiance est la composante centrale de la transmission. Au-delà de l'aspect financier, l'aspect humain est essentiel et, parfois même, bloquant. Connaître l'entreprise de l'intérieur est un atout puisque cela encourage la reprise par les salariés.

Il est important et urgent que l'État organise la communication au sujet de la transmission, comme suggéré dans notre proposition numéro 11. La CCI de ma région m'a indiqué qu'elle consacre 0,5 ETP au sujet de la transmission, faute de moyens suffisants. Le grand public n'a pas connaissance du dispositif, car les CCI n'arrivent pas à diffuser l'information, avec un budget en constante diminution, , et les entrepreneurs ne semblent pas avoir compris les rôles des divers interlocuteurs.

Mme Martine Berthet. - Je vous félicite d'abord pour l'ensemble de ces propositions. La semaine dernière, j'ai eu l'occasion de rencontrer un directeur de PME qui venait de transmettre son entreprise. Ses propos rejoignent votre volonté de clarifier le rôle d'animateur de la holding. Pouvez-vous développer ce sujet ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - La nécessité de sécuriser la transmission revient souvent dans les entretiens. L'administration fiscale procède fréquemment à des redressements arguant que la holding n'est pas animatrice ou qu'il y a eu une sous-valorisation des titres. Un redressement touche à la fois le repreneur et le cédant, mettant en danger la pérennité de l'entreprise et créant un climat d'insécurité.

Nous proposons plusieurs mesures correctrices dont, premièrement, une définition plus claire de la notion de holding animatrice dans la loi. Ce terme est vague et peut créer des divergences d'interprétation entre les cédants, leurs experts-comptables et avocats d'affaires, d'une part, et l'administration fiscale, d'autre part. Cela aboutit à des redressements et à la remise en cause des transmissions. En outre, l'administration n'est pas à l'abri d'un revirement de jurisprudence remettant en cause sa position, comme les récentes décisions l'ont mis en évidence.

La désignation d'un interlocuteur dédié au niveau de l'administration départementale viendrait compléter la précédente mesure. Un délai de six mois maximum devrait être instauré pour la rédaction d'un rescrit spécifique validant la reconnaissance du caractère animateur d'une holding. Aujourd'hui, l'administration n'est pas tenue à cette validation. L'encadrer d'une telle procédure éviterait des recours qui aboutissent généralement à des redressements et permettrait de familiariser l'administration avec le fonctionnement des entreprises, en ouvrant un dialogue économique avec les dirigeants concernés. Actuellement, les relations entre les chefs d'entreprise et les fonctionnaires souffrent de l'ignorance réciproque de leurs préoccupations respectives.

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Je rappelle que le « pacte Dutreil » est nécessaire à la préservation des entreprises familiales, puisqu'il garantit leur rôle d'outils de développement, d'animation et d'emploi dans les territoires.

Les dispositions de ce dispositif sont régulièrement attaquées, comme constaté la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023à l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, on estime que 2 000 à 2 500 opérations par an sont réalisées grâce au dispositif « Dutreil ». Sans exonérations, les entreprises familiales risquent d'être reprises par de puissantes entreprises étrangères, prêtes à drainer le savoir-faire français et transférer le siège et, à terme, les emplois et les technologies acquises, à l'international.

La loi ne prévoit pas une définition suffisamment claire de la holding animatrice ce qui crée une insécurité juridique. Aujourd'hui, nous souhaitons simplement obtenir la validation de notre proposition, avant de procéder à la rédaction du texte juridique. Formaliser la définition permettrait de réduire les remises en cause et les contentieux liés aux transmissions.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Le principe de notre rapport repose sur des mesures concrètes (fiscales, administratives, etc.), mais également sur des mesures d'information et de pédagogie. 82 % des chefs d'entreprise méconnaissent les mécanismes de transmission du dispositif Dutreil. L'administration fiscale n'assure pas le suivi de ces opérations, comme l'ont confirmé nos enquêtes auprès des DGFIP de nos départements. Notre système éducatif lui-même présente des lacunes. Les élèves et les étudiants connaissent la notion de création d'entreprise, mais ignorent celle de reprise d'entreprise. En comparaison d'autres pays européens, nous sommes en retard. L'Allemagne, qui a beaucoup misé sur les facilitations fiscales ainsi que sur une énorme campagne de communication, enregistre 12 500 ETI, l'Italie 8 000, l'Angleterre 10 000, et la France seulement 5 500. Je rappelle que la balance du commerce extérieur est essentiellement portée par les ETI. Elle est déficitaire en France, mais positive en Allemagne.

M. Christian Klinger. - J'ai pu constater dans mon département que la transmission d'entreprise a bien fonctionné dans le cas de quelques SCOP (société coopérative de production). Avez-vous analysé cet aspect ?

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - En effet, nous n'avons pas évoqué le cas des SCOP ce matin mais il est bien évoqué dans le rapport de 2017. En Bretagne, il existe une délégation régionale de la Fédération des SCOP très active et très impliquée dans les reprises d'entreprises par les salariés, ce qui explique leur succès dans cette région. Je n'ai pas connaissance des situations dans d'autres régions.

M. Christian Klinger. - J'ai également eu des échos positifs. Lors de la Journée des Entreprises, j'ai eu l'occasion de parler à un dirigeant de SCOP qui était très satisfait des actions de notre Délégation.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - Le statut de SCOP peut constituer une alternative de la reprise par les salariés, même si le processus est long. Nous pourrions rappeler cette solution dans le rapport, ainsi que dans la communication sur les méthodes de transmission.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Notre rapport aborde l'aspect positif de la transmission aux salariés, pas l'aspect contraignant exprimé dans la loi dite « Hamon » qui oblige l'entreprise à informer les salariés de l'opération, quelle que soit la situation. Cela peut angoisser les salariés, les clients et les fournisseurs. Nous proposons donc son abrogation et le remplacement par des procédés positifs d'incitation, par exemple des aménagements fiscaux ou des moyens pour la formation des salariés à la reprise de l'entreprise. Nous ne souhaitons pas priver les salariés, mais les accompagner. Nous ne doutons pas que cette disposition législative ait été motivée par de bonnes intentions, mais elle s'est révélée inefficace.

M. Vincent Segouin. - J'ai quatre questions à vous soumettre :

- Pourquoi le Conseil d'analyse économique remet-il en cause le pacte Dutreil ?

- Si le rescrit n'est pas formulé dans un délai de six mois, considère-t-on que le dossier est accepté ?

- Le suivi statistique sera-t-il repris ?

- J'ai rencontré, dans une école de commerce, des jeunes suivant une formation de reprise d'entreprise. Ils m'ont demandé comment ils pouvaient se mettre en relation avec des entreprises susceptibles d'être reprises. Pouvez-vous m'aider à leur répondre ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - La remise en cause du « pacte Dutreil » est due à une méconnaissance de ses dispositions. Le ministère de l'Économie, que nous avons interrogé à ce sujet, ne nous a quasiment pas communiqué de retour au sujet de son efficacité, des résultats, du suivi de son implémentation. Cette méconnaissance génère une confusion entre la transmission d'entreprise et la transmission du patrimoine personnel. Les opposants parlent de « niche fiscale » et de « privilèges » accordés à certains entrepreneurs. Or, il s'agit d'un dispositif qui aide à maintenir notre système économique, à protéger nos entreprises leur permettant d'évoluer vers le statut d'ETI et à renforcer notre souveraineté économique. Nous proposons donc d'amplifier la communication sur la transmission d'entreprise afin que ce dispositif ne soit plus considéré comme un avantage fiscal ou un cadeau, mais comme un moyen de sécuriser notre économie.

M. Vincent Segouin. - Comment expliquer le fait que 82 % des entrepreneurs ne le connaissent pas ? Où se situe la faille ?

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Nous avons constaté que même les experts comptables ne connaissent pas tous les dispositions du Pacte Dutreil. Les différentes organisations patronales rencontrées ont insisté pour que soient bien associés les conseillers (experts comptables, avocats d'affaires) à la diffusion des informations, pour qu'ils puissent informer leurs propres clients.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - La loi dite « Hamon » a déjà soulevé la problématique de la mise en relation des jeunes avec les entrepreneurs. Peut-être les CCI devraient-elles communiquer l'information uniquement aux prospects intéressés, en appliquant des précautions de confidentialité ? Le manque d'anticipation constitue le principal problème. Sensibiliser les entrepreneurs suffisamment à l'avance pourrait contribuer à assurer le succès de l'opération. Les conseiller et organiser des événements de rencontres avec de potentiels repreneurs fait partie de l'accompagnement. Le rapport humain et la confiance sont essentiels dans la réussite d'une transaction. Procéder à une cession n'est pas anodin et l'attachement des dirigeants à leur entreprise peut être très fort.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - C'est pourquoi nous avons deux propositions qui y incitent. La première est la création d'un chèque-conseil pour susciter l'intérêt et inciter les dirigeants à anticiper à partir de 55 ans. L'aspect financier est moins important que le fait d'initier un processus de réflexion.

La seconde proposition consiste à désigner deux référents dans chaque région : un référent dit « privé » collectant les informations relatives aux entreprises à céderet aux potentiels repreneurs (CCI de département ou de région par exemple) et un référent public notamment pour faciliter le dialogue avec toutes les administrations concernées (les directeurs des services économiques de la région, par exemple). Étant en charge de la gestion des lycées sur leurs territoires, les régions peuvent assurer le lien entre les jeunes repreneurs et les chefs d'entreprise cédants. Une campagne d'information menée conjointement avec les CCI dans les lycées pourrait, par exemple, apporter une solution. Une approche proactive faciliterait le processus de transmission, aiderait à créer du lien et assurerait le succès des opérations. Notre pays souffre manifestement d'un problème de communication pédagogique de l'information.

M. Vincent Segouin. - Vous confirmez mes soupçons : les chefs d'entreprise n'anticipent pas suffisamment la mise en place de leur succession et les seuls deux canaux de reprise envisagés sont les fournisseurs et les salariés. Ils ne pensent pas à d'éventuels repreneurs externes.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - Cette dernière option peut parfois sembler dangereuse et nous remettons en cause l'obligation d'information de la loi dite « Hamon » qui a contribué à créer certaines tensions. L'instauration d'une clause de confidentialité pour encadrer la diffusion d'informations sensibles serait peut-être salutaire.

M. Vincent Segouin. - Le chèque-conseil ne doit pas être conçu comme une contrainte supplémentaire, imposée par la loi. Il devrait être complété par un service d'accompagnement.

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Pour répondre aux questions, je rappelle que le CAE remet en cause le pacte Dutreil car il présume que des entreprises rachetées par des investisseurs et des fonds d'investissement seraient plus dynamiques que des entreprises reprises par la famille.

Par ailleurs, le METI et le MEDEF estiment que pour être efficace, il faudrait prévoir qu'une absence de rescrit dans les six mois vale accord. Nous sommes convaincus de cette nécessité

Nous avons rencontré la semaine dernière les acteurs chargés de la nouvelle organisation des formalités des entreprises. La loi dite « Pacte » de2019 prévoit qu'au 1er janvier 2023 l'ensemble des formalités légales des entreprises soit dématérialisé en un registre unique. Le registre du commerce et des sociétés n'existera plus. L'État a confié la mise en oeuvre de ce registre unique à l'INPI. Instaurer un seul outil permettra d'avoir des informations fiables sur la création, la transmission et les statuts.

J'ajoute que les territoires essaient de propager l'information grâce à des initiatives comme le Salon Transfair en Ile-de-France, le Mois de la transmission en Aquitaine, la Semaine de la transmission dans le Finistère. Les initiatives existent donc mais nous formulons deux propositions pour structurer l'accompagnement : le chèque-conseil pour encourager la réflexion et la désignation de référents pour aider l'organisation et la promotion de la transmission.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Nos solutions s'adressent surtout à ceux qui n'ont pas de successeur et qui ont peu de moyens pour préparer une transmission. Il s'agit, dans un premier temps, d'éveiller leur intérêt et de leur montrer qu'ils ne devront pas nécessairement quitter pas le monde professionnel après la cession. En effet, si la transmission est opérée avant l'âge de la retraite, le dirigeant peut rester dans l'entreprise, ce qui constitue un gage de réussite à la fois pour les salariés et pour les banques. Le cédant pourra continuer à apporter son savoir-faire et accompagner la reprise. La transmission sera un succès si elle ne s'opère pas trop tard. Nous encourageons les dirigeants à engager la transition vers 55-60 ans, afin qu'ils puissent être conseillés et accompagnés efficacement, en évitant d'éventuels effets de panique pour les salariés, les fournisseurs et les banquiers.

Le Directeur de la CCI de la Haute-Saône, ancien entrepreneur, m'a parlé de la cession de son entreprise. Ses deux choix étaient soit de transmettre à son fils, en profitant du dispositif Dutreil pour réaliser l'opération dans les meilleures conditions, soit de vendre pour s'expatrier dans un paradis fiscal sous les Tropiques. Il a choisi la première option. Cette anecdote illustre une fois de plus la nécessité de maintenir le Pacte Dutreil.

M. Serge Babary, président. - Merci à tous. J'ai quelques commentaires concernant votre présentation, à commencer par le déroulement des prochaines étapes. Je vous demande aux rapporteurs d'être présents le jeudi 13 octobre pour notre Journée des entreprises, afin de pouvoir intervenir. Cela constituera un premier élément de médiatisation.

Ensuite, il faudrait rapidement rédiger une proposition de loi, voire une résolution, contenant les éléments abordés ce jour et la cosigner. Enfin, il faudrait surtout proposer des amendements au projet de loi de finances.

Nous avons noté le projet d'élaborer une vidéo dans un but pédagogique. Je profite de ce temps d'échange sur la transmission d'entreprise pour vous informer que CRA-Formation, qui dépend de l'association CRA - Cédants et repreneurs d'affaires, est sorti du référencement des formations financées par le compte personnel de formation. Nous avons, avec les rapporteurs, adressé un courrier au Directeur général de la Caisse des Dépôts pour demander sa réintégration, puisque CRA est le spécialiste unanimement reconnu de la transmission.

Je propose également d'adresser un courrier au ministre Bruno Le Maire détaillant vos analyses au sujet du dispositif Dutreil et de suggérer une rencontre, soit avec lui, soit avec ses ministres délégués aux PME et à l'Industrie.

Je souhaiterais rappeler par ailleurs que la loi « Hamon » ne visait pas la transmission des entreprises aux salariés. Elle a seulement fixé l'obligation d'informer les salariés d'une cession programmée, sans avoir pour objectif de l'empêcher et tout en permettant la reprise par les employés. Je ne vois pas d'inconvénient à abroger ce texte inadapté et, de surcroît, contre-productif puisqu'il alerte et inquiète tout l'environnement d'une entreprise sans apporter aucun avantage aux salariés. En revanche, le chef d'entreprise doit remplir son rôle de manager et informer directement et individuellement les quelques personnes qu'il estime compétentes pour assurer le processus de transmission.

Enfin, puisque vous avez évoqué un « référent privé » dans votre proposition n°11, je souhaite rappeler que les CCI sont des organismes publics et non pas privés -il conviendrait peut-être de le préciser dans votre rapport. Ce sont des tiers de confiance ayant une obligation de confidentialité. Leurs agents assurent un suivi sérieux des dossiers confiés et visitent en personne tous les entrepreneurs. La mission d'information de jeunes délégués face à des chefs d'entreprise d'un certain âge n'est certes pas facile, mais le travail d'accompagnement est effectué et permet d'anticiper les départs à la retraite des entrepreneurs. Lorsqu'un dirigeant se montre prêt et désireux d'échanger en vue de préparer la transmission, les CCI doivent pouvoir le mettre en contact avec des spécialistes qui gèrent ces opérations. Le pendant, un service s'adressant aux repreneurs doit également exister.

La mission des CCI en tant que tiers de confiance est la mise en contact. Ce sont des facilitateurs de rencontres. Le premier contact entre le cédant et le repreneur leur permet d'estimer si une entente est possible sur le plan purement humain. Si ce premier contact est concluant, les conseillers peuvent ensuite les accompagner grâce à leur savoir-faire.

Ce système existe et fonctionne bien. Mais, paradoxalement, les moyens mis à la disposition du réseau seront diminués de 50 millions d'euros. Il est absurde de demander aux CCI de s'occuper des problématiques à l'exportation, de traiter les dossiers de transmission d'entreprises, de gérer les problèmes survenus pendant la crise, multipliant leurs missions, tout en restreignant leurs moyens !

Je crois beaucoup à la décentralisation et au fait d'éviter la prise de décision au niveau du gouvernement. Celui-ci projette la création de 500 ETI pendant un quinquennat, ce qui ne me semble pas réaliste. Il faut vingt et un ans en moyenne pour parvenir à transformer une PME en ETI.

Sur la base de mon expérience de syndicaliste patronal, je peux affirmer que la transmission familiale est marginale. Les dirigeants cherchent habituellement un repreneur extérieur ou s'adressent à leurs salariés. Nous n'avons malheureusement pas de statistiques, mais j'estime que, sur les quelques dizaines de milliers de transmissions annuelles, seulement 2 ou 3 000 interviennent dans le cadre familial. Vos propositions pour renforcer la pédagogie autour des cessions sont d'autant plus pertinentes.

Je n'ai plus de remarques et vous remercie encore pour cet excellent travail.

M. Vincent Segouin. - Monsieur le président, quelles sont les motivations gouvernementales pour la baisse du budget des CCI ?

M. Serge Babary, président. - La vision ultralibérale de Monsieur Madelin lorsqu'il était ministre de l'Économie a amené à envisager la suppression des Chambres consulaires et la reprise de leurs missions par les régions. Face aux réactions violentes suscitées par cette mesure, il a chargé Monsieur Novelli de la réforme des Chambres de commerce. Cette politique n'est plus d'actualité, mais son esprit perdure. Les Chambres sont des établissements publics dont le budget est constitué en grande partie de taxes professionnelles.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Aujourd'hui, nous constatons une optique de « rabotage » visant à économiser par tous les moyens. L'amendement modifiant les possibilités de recours au « Pacte Dutreil », présenté à l'Assemblée nationale, est motivé par l'objectif d' éviter les niches, les « cadeaux fiscaux », les « dépenses sans intérêt », ce qui prouve une ignorance du texte visé par l'amendement. De la même façon, la méconnaissance du travail et de l'efficacité des CCI débouche sur des réductions budgétaires.

J'estime, comme Monsieur Babary, que la création de 500 ETI pendant un mandat est un projet irréalisable. L'évolution d'une PME vers le statut d'ETI est un parcours difficile. Elle ne s'opère pas par décret, il s'agit d'un travail de fond, qui demande du temps et un environnement économique favorable.

M. Serge Babary, président. - Une ETI embauche au moins 250 salariés. Une PME de 200 salariés est déjà une belle structure. Parvenir à dépasser ces effectifs pour obtenir le statut d'ETI représente une énorme évolution.

M. Olivier Rietmann, co-rapporteur. - Je prends, pour illustrer, l'exemple de la Haute-Saône, l'un des territoires les plus industrialisés au vu du nombre de PME/TPE qu'il abrite et de ses activités d'exportation. Il ne compte que quelques ETI, dont deux sont des structures familiales. L'une a été fondée en 1978, l'autre en 1981.

M. Rémi Cardon, co-rapporteur. - Le démantèlement des CCI a déjà commencé. Au 1er janvier 2023, leurs salariés perdront la compétence de la gestion des créations d'entreprises. De surcroît, ils n'auront aucun contrôle sur la plateforme INPI. Ils pourront accompagner les entrepreneurs par téléphone ou en présentiel, mais n'auront pas accès au back-office pour aider à la complétion des formulaires CERFA, une opération délicate, sujette à erreur. Par ailleurs, ils n'ont pas eu de réunions avec les conseillers INPI ni reçu d'informations.

M. Michel Canévet, co-rapporteur. - Il est prévu de supprimer 50 formulaires CERFA et de ne garder qu'une seule déclaration. Les pièces adjointes seront validées, selon le cas, par les greffes des tribunaux de commerce ou par les chambres de métiers et de l'artisanat. Il est demandé aux chambres de commerce d'accompagner les entrepreneurs qui ne sont pas à l'aise avec l'aspect numérique ou n'y ont pas accès. Cela constitue un bon contre-argument puisque, pour éviter la fracture numérique, il faudrait arrêter de réduire les moyens accordés aux chambres de commerce et aux chambres de métiers.

Le Président de la CMA France voudrait nous rencontrer avant l'adoption du projet de loi de finances pour en parler. Il est prévu de diminuer de 50 millions d'euros en cinq ans le plafond des taxes affectées aux CCI et CMA. En 2015, les produits des taxes s'élevaient à 1,4 milliard d'euros. Aujourd'hui, ce montant est de 400 millions. Pourtant, le rôle des CCI et CMA est essentiel dans les réseaux d'entreprises sur le territoire.

La présence des référents est impérative pour assurer le lien entre les repreneurs et l'ensemble des administrations, orienter les entrepreneurs vers les services compétents et organiser la réflexion et la coordination de l'ensemble des acteurs sur le territoire.

Nous estimons que la transmission familiale représente 14 à 20 % des transmissions de PME et ETI. Sur tous les territoires, il existe des entreprises emblématiques, qui ont un réel attachement et un enracinement local. C'est cet aspect que nous souhaitons préserver grâce au « pacte Dutreil ». Sans ce dispositif, ces entreprises pourraient être rachetées par des fonds d'investissement, ce qui mettrait en danger leur existence même.

M. Serge Babary, président. - Les fonds d'investissement ont une logique de rentabilité court-termiste alors que l'exploitant familial possède une vision à long terme. Leurs méthodes de management sont radicalement différentes. Le management traditionnel prend en compte l'aspect territorial, la dimension sociale du lien avec le personnel et l'aspect financier. Nous essayerons d'organiser une rencontre avec la CMA France pour avoir leur avis avant l'adoption du projet de loi de finances. Malgré les difficultés, le réseau des CCI reste motivé. Je rencontrerai à nouveau le Président de CCI France, qui m'a déjà exprimé son désarroi. Les fonds alloués ont été divisés par cinq ou six en dix ans. Lorsque j'étais Président de la CCI de Touraine, le budget était de 12 millions d'euros. Il est de seulement 3 millions d'euros actuellement. La structure employait plus de 85 personnes ; aujourd'hui ils ne sont plus que 35 conseillers. En outre, s'y investissent de nombreux entrepreneurs bénévoles.

Il nous faut maintenant voter pour l'adoption du rapport. Qui vote contre, s'abstient, vote pour ?

Chers collègues, cet excellent rapport est adopté à l'unanimité.

La réunion est close à 10 h 30.