- Mardi 25 octobre 2022
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Cohésion des territoires » - Programmes « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport spécial
- Mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales - Communication
- Mercredi 26 octobre 2022
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial
- Enquête réalisée par le Conseil des prélèvements obligatoires sur la prise en compte par la fiscalité locale de l'objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) - Audition de M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes
- Jeudi 27 octobre 2022
- Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Anciens combattants » (et article 41) - Examen du rapport spécial
- Contrôle budgétaire - Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) - Communication
Mardi 25 octobre 2022
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Cohésion des territoires » - Programmes « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous commençons notre réunion par l'examen du rapport de Bernard Delcros sur les programmes « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l'État » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial de la mission « Cohésion des territoires » sur les programmes « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et « Interventions territoriales de l'Etat ». - Le volet consacré à la politique des territoires de la mission « Cohésion des territoires » concerne les programmes 112 et 162 pour un total de 415,2 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 324 millions d'euros en crédits de paiement (CP).
Il faut y ajouter près de 700 millions d'euros au titre des dépenses fiscales portées par le programme 112 en faveur de territoires bénéficiant de zonages, notamment les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou les zones d'aide à finalité régionale (AFR). Le dossier du zonage a connu, vous le savez, divers rebondissements. Nous en avions obtenu le report jusqu'à la fin de 2023. En tout cas, soyez assurés que Frédérique Espagnac et moi-même allons continuer de suivre cette question avec la plus grande attention.
Les crédits de ces deux programmes financent des dispositifs importants pour nos territoires, particulièrement en milieu rural, et ils ont un effet de levier sur d'autres financements. Ils concernent les politiques contractualisées entre l'État et les territoires, par exemple le volet territorial des contrats de plan État-régions (CPER), les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ou encore les programmes Petites Villes de demain, Fabrique de territoire et Territoires d'industrie.
Concernant le programme 112, les crédits demandés s'élèvent à 329,4 millions d'euros en AE et 262,4 millions en CP, soit une hausse respective de 34,9 % et de 6,3 %.
Cette présentation appelle toutefois une clarification : plusieurs dispositifs relevant du programme 112 ont été financés en 2022 par des crédits inscrits sur la mission « Plan de relance ». Celle-ci n'étant plus d'actualité en 2023, les crédits concernés ont été rapatriés sur le programme 112, ce qui explique cette hausse.
Cet effet « rapatriement » est particulièrement visible concernant les crédits dédiés aux CPER qui, en 2023, représentent 44 % des AE de l'ensemble des crédits du programme 112. La hausse importante de la section locale du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), qui porte les CPER, doit être appréciée au regard de cette réalité.
Au titre du programme 112, pour les CPER et les contrats de plan interrégionaux État-régions (CPIER) et sur la période 2021-2027, ce sont 998,6 millions d'euros qui ont été contractualisés, et 155 millions d'euros au titre du plan France relance. En 2023, les crédits dédiés à cette nouvelle génération de CPER s'élèvent à 143 millions d'euros en AE et 55,5 millions en CP.
Quelques mots sur l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) dont le programme 112 porte la subvention pour charge de service public, soit 63 millions d'euros. Cette subvention est stable pour la troisième année consécutive et maintient les 20 millions accordés à l'ANCT en 2021 et 2022 pour financer l'ingénierie des collectivités - cela représente un doublement par rapport à 2020.
Les dispositifs de soutien en ingénierie aux territoires ruraux répondent aux besoins d'ingénierie interne, avec les chefs de projets du programme Petites Villes de demain, les conseillers numériques France Services, les chargés de mission Fabrique de territoire ou les volontaires territoriaux en administration. Ils recouvrent également des besoins plus spécifiques et ponctuels sous forme de prestations de bureaux d'études dans le cadre du marché à bons de commande porté par l'État.
La mise en oeuvre de ces différents programmes nécessite le recrutement de personnels par les collectivités qui bénéficient pour cela d'une aide de l'État sur les premiers mois ou les premières années. Mais évidemment, toute la question est celle du devenir de ces contrats à échéance de l'accompagnement financier de l'État. Inscrire dans la durée le financement de ces contrats est la condition du succès de ce type de dispositif ; cela assure aux élus locaux une prévisibilité des moyens. C'est le cas dans le programme Petites Villes de demain : les financements de l'État sont assurés sur la durée du contrat, soit six années.
Concernant les maisons France Services, les crédits demandés en 2023 s'élèvent à 36,3 millions en AE et en CP, soit un montant identique à celui accordé en 2022.
En juillet dernier, je vous ai présenté mon rapport dans lequel je faisais plusieurs propositions pour améliorer le fonctionnement et enrichir l'offre de services des maisons France Services.
Lors du dernier comité de pilotage qui s'est tenu vendredi dernier et auquel j'ai participé, Stanislas Guérini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, en charge de ce dossier, a annoncé la prise en compte de plusieurs de ces propositions, parmi lesquelles la poursuite du déploiement, l'entrée de nouveaux opérateurs dans le dispositif, la formation des agents ou encore la pérennisation des financements des postes de conseillers numériques. Il a également souhaité me confier une mission pour préciser les perspectives de développement de ces maisons.
Sur la question du financement du réseau France services, je vous rappelle le modèle aujourd'hui en vigueur : l'État et les neuf opérateurs nationaux associés au programme contribuent à parité par le biais de deux fonds à hauteur de 30 000 euros au total par maison et par an.
Or le coût de fonctionnement d'une maison France services est au minimum de 100 000 euros par an ; il s'élève en moyenne à 110 000 euros. En d'autres termes, la participation financière cumulée de l'État et des opérateurs représente aujourd'hui moins du tiers du coût de fonctionnement d'une maison, alors même qu'il s'agit d'un programme affiché comme une priorité par le Gouvernement dans le cadre de l'agenda rural.
Dans mon rapport, je vous proposais de rehausser de 10 000 euros par maison la participation de l'État, d'un côté, et des opérateurs, de l'autre. Cette proposition reste bien sûr d'actualité. L'accord-cadre national pluriannuel signé en 2019 avec les opérateurs doit être révisé fin 2023 ; nous devrons saisir cette occasion pour avancer sur cette question.
Le programme 162 « Interventions territoriales de l'État », aussi appelé PITE, est composé d'actions répondant à des enjeux spécifiques et rassemble des contributions issues de programmes de différents ministères. C'est un outil utile qui permet de prendre en compte les spécificités locales et de garantir la souplesse et la cohérence de l'action de l'État.
Le projet de loi de finances prévoit de doter ce programme de 85,8 millions d'euros en AE et de 61,6 millions d'euros en CP.
Je veux le redire cette année encore, la principale difficulté concernant l'exécution du programme 162 est l'importance des mouvements de crédits en cours d'année. Ainsi, en 2021, le montant ouvert en loi de finances initiale en AE s'élevait à seulement 15 % des crédits finalement accordés à ce programme.
Le PLF pour 2023 crée une nouvelle action consacrée à la mise en oeuvre d'un plan de lutte contre les sargasses dans les Antilles. Cette nouvelle action sera dotée de 5,1 millions d'euros en AE et en CP. Il est à espérer que le plan Sargasse II tire les leçons de l'expérience bretonne afin d'apporter une réponse efficace à cette situation.
Concernant justement le plan de lutte contre le développement des algues vertes, les services de l'État estiment dans les documents budgétaires qu'une hausse de 4 millions d'euros serait nécessaire pour mettre en place une expérimentation de procédés innovants de collecte des algues verte dans le milieu marin et qu'une hausse de 2 millions d'euros serait nécessaire pour le nouveau volet sanitaire du plan. Or je constate que les crédits accordés à cette action sont stables ; nous devrons suivre cette question qui pourrait évoluer grâce à des transferts en cours de gestion.
En conclusion, ce projet de budget 2023 s'inscrit dans la continuité des précédents, sans grande nouveauté, mais avec maintien des moyens consacrés à ces politiques. C'est pourquoi je proposerai un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 112 et 162, mais nous devons réserver le vote dans l'attente de la présentation par Jean-Baptiste Blanc des programmes de cette mission consacrés au logement et à la politique de la ville car le vote doit porter sur l'ensemble de la mission.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la politique des territoires de la mission "Cohésion des territoires". - Je n'ai pas encore présenté mon rapport pour avis devant la commission de l'aménagement du territoire et je prends note de l'avis favorable proposé par le rapporteur spécial. Nous devrons regarder certaines choses avec précision, notamment en ce qui concerne le mode de fonctionnement de l'ANCT qui semble faire beaucoup appel à des organismes privés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur ce type de mission, nous avons naturellement tendance à vouloir davantage de crédits, par exemple pour les territoires ruraux ou certains quartiers de nos villes. Pour autant, nous sommes sur une ligne de crête en termes de soutenabilité des finances publiques. La commission des finances est aussi la gardienne d'une certaine cohérence pour déterminer le bon niveau de dépenses. Ne faisons pas comme le Gouvernement qui dit que nous sommes à l'euro près, mais qui multiplie les annonces de dépenses...
En l'espèce, nous devrons regarder avec attention les propositions que fera l'État en 2023 et nous devrons veiller à ce que la concertation se déroule correctement.
En tout cas, je suivrai l'avis du rapporteur spécial sur ces deux programmes.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez évoqué l'importance des transferts en cours de gestion pour le programme 162. Faut-il véritablement s'étonner de ce mode de fonctionnement ? L'État ne doit-il pas disposer d'une certaine souplesse pour piloter ce type de dépenses ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Des exonérations fiscales sont liées au zonage, vous l'avez dit, mais d'autres aides ou dispositifs s'appuient également sur le classement en ZRR, par exemple les subventions des agences de l'eau. Est-il vraiment pertinent de se baser sur un tel critère de zonage pour une question qui constitue un enjeu global ? Je connais plusieurs exemples qui montrent que cela entraîne des disparités importantes entre les territoires.
M. Michel Canévet. - Il est vrai que ces programmes ne sont pas budgétivores, mais ils sont importants pour nos territoires.
En Bretagne, le tribunal administratif a mis en cause l'action de l'État en ce qui concerne la lutte contre les algues vertes ; il nous faut multiplier les actions, si nous voulons être efficaces en la matière.
Dans le programme Petites Villes de demain, il me semble que les financements courent sur trois ans. Cette durée vous semble-t-elle suffisante et cohérente avec le calendrier des actions décidées dans ce cadre qui nécessitent du temps pour se déployer pleinement ?
En 2021 et 2022, le plan de relance finançait l'ANCT. Comment les choses vont-elles se passer en 2023 ?
M. Jean-Claude Requier. - Dans le cadre de ces différents programmes, il est souvent nécessaire de recruter des chefs de projet : 838 l'ont été pour le programme Petites Villes de demain. Cela pèse sur les budgets des communautés de communes. Surtout, que faire de ces agents à la fin du programme en question ?
M. Antoine Lefèvre. - Je partage les inquiétudes qui ont été exprimées sur la pérennité des financements de l'État pour les maisons France Services. Par ailleurs, on constate souvent qu'une part importante de l'activité de ces structures relève de questions relatives aux régimes de retraite, donc de la compétence des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Disposez-vous de statistiques sur l'activité des maisons France Services ? Ne faudrait-il pas prévoir d'autres financements ?
M. Jérôme Bascher. - Le fonds national de péréquation postale semble financer des maisons France Services. Pourquoi ? N'est-ce pas finalement un jeu de bonneteau ?
M. Christian Bilhac. - En ce qui concerne la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, je voudrais ajouter que ces programmes recourent souvent à des cabinets privés.
Le financement par l'État et les opérateurs des maisons France Services a été forfaitisé à 30 000 euros par an et par structure. Or entre la hausse des coûts de l'énergie, l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires et le glissement vieillesse-technicité, les coûts de structure augmentent grosso modo de 10 %, si bien qu'en proportion la participation de l'État diminue. Ne doit-on pas craindre que les collectivités locales se retrouvent seules à financer ces structures ?
M. Éric Bocquet. - L'Association des maires ruraux de France a publié un communiqué sur les maisons France Services. L'Association rappelle d'abord - je crois que c'est important - que la première maison France Services, c'est la mairie ! Elle formule ensuite vingt-cinq propositions ; j'en cite deux : la présence d'une maison France Services par canton ; un financement assuré à 100 % par l'État et les opérateurs. Qu'en pensez-vous ?
M. Bernard Delcros, rapporteur spécial. - Je suis d'accord avec vous, monsieur le président, il faut de la souplesse dans la gestion, mais en l'espèce nous sommes le plus souvent dans le cadre de plans pluriannuels. En outre, les acteurs ne savent pas en milieu d'année s'ils auront assez de crédits pour poursuivre les actions en cours. Cette absence de visibilité crée des problèmes sur le terrain.
Madame Vermeillet, il est vrai que le zonage en ZRR sert aussi de référence pour d'autres actions ou dispositifs, par exemple pour La Poste. Certaines agences de l'eau bonifient leurs financements, lorsqu'une commune est classée en ZRR. Cela peut créer des disparités, mais l'objectif est bien de soutenir davantage les communes qui en ont le plus besoin. En tout cas, cette question pourra être revue dans le cadre de la prochaine réforme.
Monsieur Canévet, monsieur Requier, dans le cadre du programme Petites Villes de demain, le financement par l'État pour les postes de chefs de projet est assuré sur la durée du programme, soit cinq ou six ans, ce qui n'est pas toujours le cas en matière d'ingénierie territoriale. Cette participation est bien prévue jusqu'en 2026 pour ce programme.
Monsieur Lefèvre, neuf opérateurs, dont des caisses de retraite, contribuent au financement des maisons France Services à hauteur de 15 000 euros par an et par structure. Pour autant, les agents France services ne sont pas là pour faire le travail des agents des caisses de retraite ; ils assurent un accueil de premier niveau et accompagnent les personnes dans leurs démarches. Nous proposons que d'autres opérateurs participent également au financement des maisons France Services, par exemple pour aider les gens à bénéficier de MaPrimeRénov'.
Monsieur Bascher, le fonds de péréquation postale est alimenté par un avantage fiscal perçu par La Poste, notamment pour financer les agences postales communales. C'est à ce titre qu'il peut financer des maisons France Services.
En réponse à Eric Bocquet, je ne pense pas que l'État doive financer à 100 % les maisons France Services. Pour autant, l'État et les opérateurs devraient participer ensemble à la moitié du coût minimum, ce qui représenterait un montant global de 50 000 euros par an. Ce sujet pourra faire partie des négociations sur la révision de la convention-cadre qui interviendra en 2023.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Bocquet : les mairies sont les premières maisons France Services ! Je crois d'ailleurs que nous devons trouver les moyens de mieux associer les secrétaires de mairie au fonctionnement de ces structures : les mairies et les maisons France Services travaillent souvent de manière trop séparée.
Enfin, je ne crois pas que le canton soit la bonne « maille », en tout cas pas les cantons actuels, qui sont souvent trop grands et qui ne correspondent plus à des bassins de vie. La bonne « maille », c'est le bourg-centre, c'est-à-dire le bassin de vie.
M. Claude Raynal, président. - Notre commission examinera le 15 novembre prochain l'autre partie des crédits de la mission « Cohésion des territoires » rapportée par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, aussi est-il nécessaire de réserver notre vote sur la mission jusqu'à cette présentation.
La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen du rapport de Paul Toussaint Parigi sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - La mission « Direction de l'action du Gouvernement » telle qu'elle est nous est présentée cette année connaît un rétrécissement attendu de son périmètre, puisque l'un de ses trois programmes a été supprimé. Il s'agit du programme relatif à la présidence française du Conseil de l'Union européenne, qui s'est achevée le 30 juin 2022 et qui, par conséquent, ne devrait plus entraîner de dépenses en 2023.
Corrigée de cette importante mesure de périmètre et de l'inflation, la mission voit ses crédits augmenter de 3,5 % en crédits de paiement (CP) et de 9 % en autorisations d'engagement (AE). Il s'agit d'une hausse non négligeable, qui doit néanmoins être relativisée, puisqu'elle ne représente, en valeur absolue et toujours hors inflation, que 30 millions d'euros en CP et 73 millions d'euros en AE. Ces nouvelles dépenses me semblent en outre pleinement justifiées, puisqu'elles reflètent la priorité accordée par le Gouvernement à la cybersécurité et, dans une bien moindre mesure, à l'écologie, deux enjeux dont l'importance n'est plus à démontrer.
Le présent projet de loi prévoit tout d'abord un renforcement important des moyens alloués à la cybersécurité dans un contexte où le nombre de cyberattaques touchant aussi bien l'État que des collectivités territoriales, des entreprises ou bien encore des hôpitaux - on l'a vu récemment à l'hôpital de Corbeil-Essonnes - a triplé en deux ans seulement. Pour mieux prévenir ces attaques et aider les organismes touchés à y faire face, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) bénéficiera en 2023 d'un schéma d'emplois de 46 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, ainsi que d'une nouvelle dotation de 25 millions d'euros afin de lui permettre d'acquérir de nouveaux locaux à Rennes à proximité du pôle cyberdéfense du ministère des armées.
Parallèlement au renforcement de l'Anssi, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui exerce elle aussi une mission de protection numérique des données, verra ses effectifs renforcés à hauteur de 18 ETP en 2023. À titre d'illustration, 43 % des notifications reçues par la CNIL en 2021 concernaient des attaques dites par logiciel de rançon ou rançongiciel.
Ce renforcement des moyens alloués à la cybersécurité s'accompagnera parallèlement d'un renforcement de ceux attribués à la nouvelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), issue de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). L'Arcom se verra dotée en 2023 de 18 ETP supplémentaires afin de lui permettre de répondre à l'élargissement de son champ de compétence à de nouveaux acteurs du numérique, à savoir les plateformes, les réseaux sociaux et les sites de partages de vidéos - ce nouveau champ d'action résulte de récentes évolutions législatives.
Le présent projet de loi acte également l'évolution des indicateurs de performance s'appliquant à l'Arcom avec la création d'un nouvel indicateur relatif au délai moyen de traitement des saisines reçues par l'Arcom sur un programme télévisuel. Ce nouvel indicateur résulte notamment d'une recommandation émise par notre collègue Michel Canévet à l'occasion d'un contrôle budgétaire concernant l'ex-CSA, à l'époque où il était rapporteur spécial de la mission.
J'en viens ensuite à deux points de ce budget concernant l'écologie qui ont retenu mon attention, même si l'on ne peut pas dire que les montants en jeu soient mirobolants.
Le premier point concerne le Haut Conseil pour le climat, sur lequel j'avais effectué l'an passé un contrôle budgétaire. Ce travail de contrôle m'avait conduit à constater le manque de moyens criant de ce jeune organisme et à réclamer une hausse substantielle de ses effectifs, pour les porter de 6 à 24 ETP en 2023. J'ai été partiellement entendu, puisque le plafond d'emplois alloués au Haut Conseil pour le climat a été doublé et que ses effectifs devraient donc atteindre 12 ETP en 2023. Cette décision me semble évidemment aller dans le bon sens, même si l'on aurait pu faire davantage, et j'espère qu'elle permettra effectivement au Haut Conseil pour le climat de mieux mener à bien ses importantes missions.
Le second point concerne le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), dont la création a été officialisée il y a quelques mois par décret et dont les moyens sont définis par le présent projet de loi. Ce nouveau secrétariat, placé directement sous l'autorité de la Première ministre, devra permettre d'assurer la coordination interministérielle de l'ensemble des politiques publiques visant à assurer la transition écologique du pays.
Sur le fond, il est difficile de ne pas se féliciter de cette création, qui témoigne de la prise de conscience du Gouvernement et du Président de la République de la nécessité d'inscrire l'écologie comme une priorité transversale de l'action publique. Reste néanmoins à traduire cette promesse en actes. Pour ce faire, le secrétariat général à la planification écologique disposera en 2023 de l'appui d'une équipe de 15 ETP et d'un budget de fonctionnement de 500 000 euros, ce qui peut sembler peu au regard de l'immensité de la tâche que représente la planification écologique. D'après ce qui m'a été indiqué au cours des auditions que j'ai menées, ces moyens devraient cependant être amenés à augmenter substantiellement dans les prochaines années, pour être portés à 50 ETP d'ici à 2025. C'est un sujet que je suivrai attentivement en tant que rapporteur spécial au cours des prochains exercices.
Je terminerai mon propos par quelques mots sur le budget annexe « Publications officielles et information administrative », géré par la direction de l'information légale et administrative (Dila), elle-même rattachée aux services de la Première ministre.
Ce budget annexe tire principalement ses ressources des recettes d'annonces légales, notamment des recettes d'annonces de marchés publics, qui dépendent fortement de l'activité économique. Pour cette raison, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une hypothèse de recettes prudente, à hauteur de 167 millions d'euros, soit une baisse de 7 millions d'euros par rapport aux recettes estimées pour l'année 2022.
Malgré cette prévision prudente, le budget annexe devrait dégager en 2023 un nouvel excédent, estimé à 14 millions d'euros, grâce à des dépenses modérées de personnel et de fonctionnement.
Les effectifs de la Dila seront une nouvelle fois réduits, avec un schéma d'emplois négatif de -15 ETP. Le contexte inflationniste pèse en revanche fortement sur les dépenses de fonctionnement de la Dila, qui devraient augmenter de près 3 % en 2023. Cette augmentation s'explique notamment par la hausse importante des prix de l'électricité et du papier, qui a entraîné une hausse incompressible de 50 % du coût des activités d'imprimerie gérées par la direction.
Enfin, les dépenses d'investissement du budget annexe en 2023 permettront notamment d'améliorer la sécurité informatique et les fonctionnalités des différents sites internet gérés par la Dila, dont Légifrance et le site d'information administrative service-public.fr, qui font tous les deux l'objet de plusieurs dizaines de millions de visites chaque année.
A la lumière de ces différentes observations, je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », ainsi que les crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis de la commission des lois sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - Même si je n'ai pas encore mené toutes les auditions auxquelles je souhaite procéder, je rejoins les propos du rapporteur spécial.
Ce budget 2023 tient compte des risques cyber et du contexte international et, comme cela a été dit, l'augmentation des moyens des autorités administratives indépendantes correspond largement à des évolutions législatives ayant abouti à un élargissement des compétences de certaines d'entre elles.
Je formulerai à ce stade deux remarques. D'une part, je constate que le budget du service d'information du Gouvernement (SIG) est systématiquement surconsommé. D'autre part, nous n'avons aucune information sur les coûts du Conseil national de la refondation et du Haut-Commissariat au plan.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je le répète, nous évoluons sur une ligne de crête entre les besoins de financement et la soutenabilité des finances publiques. En l'espèce, le périmètre de la mission se rétrécit, mais les dépenses augmentent sensiblement.
En ce qui concerne la gouvernance écologique, je suis perplexe sur la méthode utilisée : la Première ministre nous dit qu'il faut casser les fonctionnements en silos, mais on semble rester sur les décisions et modes d'action du passé. Il y a clairement un problème de calage sur cet aspect des choses.
Mme Christine Lavarde. - Le groupe Les Républicains partage la prudence du rapporteur général et, à ce stade de nos débats, nous souhaitons que la commission réserve son vote sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». En effet, nous nous interrogeons sur la très grande augmentation des effectifs de cette mission.
Aujourd'hui, le SGPE fonctionne avec les moyens du commissariat général au développement durable (CGDD) : n'y aura-t-il pas demain des doublons ? Je crois qu'il faut regarder les choses avec attention, d'autant que les effectifs des ministères concernés ne bougent pas.
Je ne sais pas si c'est la DILA qui édite les documents budgétaires, mais il y a d'importants problèmes, notamment dans les tableaux, ce qui est assez regrettable.
M. Michel Canévet. - Les moyens en personnel augmentent beaucoup. Habituellement, il y a des réductions ailleurs pour compenser de telles hausses. Est-ce le cas cette année sur les autres services rattachés au Premier ministre ?
Je constate que les effectifs du Groupement interministériel de contrôle (GIC) augmenteront de 34 ETP. Est-ce lié à une augmentation du nombre des écoutes ?
La DILA, dont les dépenses contraintes augmentent, disposera-t-elle de suffisamment de moyens pour fonctionner ?
Mme Isabelle Briquet. - Nous saluons la hausse des crédits destinés à la cybersécurité.
L'augmentation des crédits des autorités administratives indépendantes correspond souvent à une hausse des saisines - il y a donc une logique. Les 2 ETP accordés à la Défenseure des droits ne suffiront sans doute pas pour faire face à cette hausse des saisines, qui conduit malheureusement à un allongement préoccupant des délais de réponse.
Chaque année, la Cour des comptes pointe du doigt le fait que le niveau des dépenses consommées par le service d'information du Gouvernement (SIG) est nettement supérieur au budget prévisionnel. Estimez-vous que les crédits seront suffisants en 2023 ?
Enfin, je note que les documents budgétaires ne donnent absolument aucune information sur le Haut-Commissariat au plan. Devons-nous publier un avis de recherche ? Plus sérieusement, disposez-vous, Monsieur le rapporteur spécial, de données au sujet de cet organisme ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Le périmètre de la mission rétrécit, mais ses crédits augmentent. Il y a donc un certain paradoxe et il est difficile de se faire une idée précise à cet instant. Disposez-vous de comparaisons internationales en la matière ?
M. Dominique de Legge. - Le Gouvernement incite les collectivités locales à la sobriété, pour ne pas dire à la rigueur, mais il ne s'applique pas ce principe à lui-même en ce qui concerne cette mission. Faites ce que je dis, pas ce que je fais... La fusion de deux organismes, le CSA et la Hadopi, aboutit à une augmentation des moyens. Le SGPE bénéficie de 15 ETP supplémentaires, la CNIL de 18. À la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), tout est informatisé : dans ces conditions, pourquoi prévoir 4 ETP de plus ?
Je me souviens d'un temps où l'actuel président de la République appelait à la diminution des emplois publics... Quelle est la justification réelle de toutes ces créations de postes ?
M. Philippe Dominati. - Dans certains cas, l'État rattrape un certain retard, par exemple en matière de cybersécurité, et on peut le comprendre.
Mais à part les sénatoriales, il n'y a pas d'élections en 2023, si bien qu'on a du mal à comprendre l'augmentation des postes accordés à la HATVP. Néanmoins, si cela permet d'embaucher quelqu'un pour répondre au téléphone, je suis d'accord !
M. Daniel Breuiller. - La hausse des emplois dédiés à la Défenseure des droits est bienvenue, car les besoins grandissent. Il en est de même pour les moyens alloués à la cybersécurité - pensons à l'exemple de l'hôpital de Corbeil-Essonnes !
Je me félicite évidemment de l'augmentation des moyens du Haut Conseil pour le climat, mais cela sera-t-elle suffisante pour que cet organisme puisse jouer pleinement son rôle ?
En ce qui concerne le SGPE, les besoins sont bien plus élevés que les 15 postes créés, tant la planification écologique est essentielle. Néanmoins, je m'interroge sur l'articulation de cette nouvelle instance avec le CGDD.
M. Paul Toussaint Parigi, rapporteur spécial. - La surconsommation systématique des crédits du SIG est effectivement incompréhensible et je l'avais déjà dénoncée dans mon rapport l'an dernier. S'agissant du Conseil national de la refondation, je crois savoir qu'un amendement sera présenté à l'Assemblée nationale à ce sujet ; nous y verrons peut-être plus clair.
Les besoins sont très importants en matière de cybersécurité ; je vous rappelle que les attaques ont triplé en deux ans. Nous sommes en retard, d'autant que nous savons bien maintenant que les cyberattaques peuvent aussi être utilisées comme des armes de guerre. Il est difficile d'évaluer précisément les choses, mais je pense que nous devrons continuer d'augmenter les crédits dans les années à venir.
Les autres augmentations correspondent le plus souvent à de nouvelles missions attribuées aux autorités administratives indépendantes.
J'ai procédé à plusieurs auditions. Sur l'articulation entre le SGPE, qui aura des moyens propres, et le CGDD, on m'a répondu que la réflexion était en cours. Sur l'absence d'informations concernant le Haut-Commissariat au plan, j'ai posé la question, mais je n'ai pas obtenu de réponse...
Le budget annexe connaît des excédents annuels ; la DILA dispose donc encore, malgré l'augmentation de ses coûts de fonctionnement, d'une trésorerie suffisante.
Il est vrai que les fusions n'aboutissent pas souvent à des économies d'échelle - nous le savons bien sur nos territoires... Elles ont plutôt tendance à faire progresser les dépenses.
Enfin, en ce qui concerne le Groupement interministériel de contrôle, les demandes de réquisitions adressées aux opérateurs ont augmenté de 30 % sur un an.
La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons avec l'examen des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
M. Christian Bilhac, rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - La mission « Conseil et contrôle de l'État » rassemble les crédits des juridictions administratives et financières ainsi que du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une hausse de 8,5 % des crédits de la mission, qui atteindrait 817 millions d'euros en crédits de paiement.
Eu égard au poids des dépenses de personnel, à savoir 80,9 % des crédits demandés, le volume du budget de la mission est largement tributaire des moindres variations qui peuvent affecter les dépenses de personnel. Pour 2023, ces dépenses sont mécaniquement accrues, sous l'effet de la hausse de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique. Pour les juridictions administratives, cette revalorisation du point d'indice représente un coût de 10,9 millions en année pleine. Pour les juridictions financières, dont les effectifs sont moins nombreux, cette augmentation du point d'indice représente 4,4 millions d'euros en année pleine.
Par ailleurs, la revalorisation indemnitaire des magistrats administratifs et financiers a été rendue nécessaire pour maintenir l'attractivité financière de ces corps par rapport au nouveau corps des administrateurs de l'État, issu de la réforme de la haute fonction publique. La revalorisation indemnitaire cible donc les débuts de carrière et a été opérée par arrêté du 22 avril 2022 pour les magistrats administratifs, avec une entrée en vigueur au 1er janvier 2022. 8,3 millions d'euros ont été ouverts en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) dans la loi de finances rectificative de cet été pour financer la mesure sur toute l'année 2022. Le coût de la mesure pour l'année 2023 et les années à venir est donc le même : 8,3 millions d'euros. Du point de vue des magistrats, cela représente environ 8 000 euros annuels pour les magistrats de premier grade et 6 000 euros annuels pour ceux de deuxième grade. Ces montants correspondent aux revalorisations moyennes qui ont été décidées pour les administrateurs de l'État, pour qu'il n'y ait pas de décalage entre les hauts fonctionnaires.
Cette revalorisation a vocation à s'appliquer aussi aux magistrats financiers. Elle a déjà été appliquée pour les auditeurs de la Cour des comptes à hauteur de 5 000 euros bruts annuels, ainsi que pour les conseillers référendaires en service extraordinaire à hauteur de 6 000 euros bruts annuels, via une revalorisation de leur prime de rendement. Un projet d'arrêté est encore en cours pour la revalorisation indemnitaire des conseillers de cours régionales et territoriales des comptes (CRTC), qui devrait être mise en oeuvre en décembre 2022 selon les informations communiquées par la Cour des comptes. Le coût de cette mesure est estimé à 4,1 millions d'euros en année pleine.
L'inflation et la crise énergétique n'épargnent pas non plus le budget de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Alors les crédits demandés pour les consommations énergétiques s'élevaient à 2 millions d'euros en 2022 en AE comme en CP, ils s'élèvent à 13 millions d'euros en AE et plus de 3 millions d'euros en CP en 2023 pour les juridictions administratives. De même, les dépenses d'investissement pour relogement du tribunal administratif de Montreuil et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont été revalorisées de 10 millions d'euros à raison de la hausse des frais de construction.
Ces tendances haussières sur les dépenses de la mission « Conseil et contrôle de l'État » établies, je vais dès à présent détailler rapidement les mécanismes propres à chaque programme pour 2023.
Le Conseil d'État et les juridictions administratives sont de nouveau confrontés à une reprise des entrées contentieuses, après une baisse non significative des entrées en 2020 du fait de la crise sanitaire. La maîtrise des délais et des stocks, qui se sont accrus en 2020, constitue donc un enjeu majeur pour les années à venir. Les affaires enregistrées depuis plus de deux ans devant les tribunaux et les cours pèsent de plus en plus sur le stock global de ces juridictions.
Bien que les effectifs aient été majorés de quarante et un postes pour 2023, la gestion prévisionnelle des effectifs par le Conseil d'État, pourtant gestionnaire des juridictions administratives, est insuffisante, qu'il s'agisse des départs en mobilité, mais aussi à la retraite. Dès lors, les juridictions administratives, et plus particulièrement plus petites, se trouvent déstabilisées par des départs de magistrats en cours d'année. Or, ce phénomène a vocation à s'amplifier avec les mobilités de plus en plus encouragées dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique.
La CNDA est elle aussi confrontée à une reprise des entrées contentieuses en 2021, avec 15,5 % de recours en plus par rapport à 2019. Aucune création d'emplois n'a été fléchée cette année vers la CNDA, qui avait attrait à elle la quasi-totalité des créations du quinquennat précédent. Les futures réformes annoncées de l'asile pourraient avoir une incidence sur l'organisation de la Cour, avec la création de chambres territoriales.
En ce qui concerne maintenant le budget de la Cour des comptes et des juridictions financières, celui-ci a progressé de 9,2 % par rapport à 2022. Cette augmentation est en partie due à des effets de périmètre. Les crédits du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), auparavant retracés dans un programme propre, sont intégrés en 2023 au programme des juridictions financières. Si le budget du HCFP est stable, ce transfert accroît les dépenses du programme 164 de 1,3 million d'euros. De même, la nouvelle commission d'évaluation de l'aide publique au développement (CEADP), placée auprès de la Cour des comptes, a un budget de 3,5 millions d'euros : 2 millions pour les dépenses de personnel et 1,5 million pour les dépenses de fonctionnement.
Par ailleurs, les juridictions financières sont toujours engagées dans une refonte de leurs missions, avec comme objectif d'accroître les missions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. À ce titre, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3DS », a confié aux chambres régionales des comptes une nouvelle compétence d'évaluation des politiques publiques territoriales sur saisine des exécutifs locaux. Elles peuvent aussi être saisies de tout projet d'investissement exceptionnel. Les configurations territoriales laissent penser que les saisines seront assez hétérogènes selon les territoires. Par exemple, la région Occitanie compte 13 départements lorsque la région Hauts-de-France n'en compte que cinq. Pour l'heure, du fait de ces incertitudes, aucune création d'emplois n'a été prévue en 2023 dans les chambres régionales des comptes.
Enfin, s'agissant du CESE, ses moyens sont en légère hausse de 1,2 %. Le budget dédié à la participation citoyenne est de nouveau pérennisé en 2023 avec une enveloppe financière dédiée de 4,2 millions d'euros. Le coût de l'organisation de la convention citoyenne sur la fin de vie a été évalué à 3 millions d'euros, mais dépendra largement de la capacité du CESE à nouer des partenariats pour obtenir les prix les plus compétitifs sur les marchés, notamment pour l'hébergement des citoyens tirés au sort lorsqu'ils viennent à Paris. L'internalisation des procédures de la participation citoyenne, en cours au CESE, devrait permettre de diviser par deux le coût des conventions citoyennes. Pour rappel, la convention citoyenne pour le climat avait coûté 6 millions d'euros.
Pour conclure, avec 817 millions d'euros pour la mission, nous n'en sommes pas encore au coût du recours aux cabinets privés, estimé à 1 milliard d'euros pour le conseil de l'État. Or, je suis d'avis, comme beaucoup parmi nous, que la priorité doit être donnée à l'État pour les missions régaliennes.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je vous invite à adopter les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les crédits augmentent de près de 10 %. Il faut qu'on soit attentif à la ligne budgétaire qui se dégage de l'ensemble des missions, y compris s'agissant de celles relatives aux missions de conseil et de contrôle. J'invite à une grande prudence lorsque l'on augmente la dépense publique.
M. Marc Laménie. - Merci à notre rapporteur pour cette analyse qui peut poser quelques questions. On peut s'interroger sur la hausse constatée malgré les explications données. Concernant le Conseil d'État et les tribunaux administratifs ainsi que la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), beaucoup d'emplois sont concentrés sur Paris ou la région parisienne. A-t-on une idée de la répartition des effectifs en régions ?
M. Roger Karoutchi. - Je suis interpellé par vos observations sur la CNDA qui a vu ses effectifs augmenter lors du précédent quinquennat de manière légitime pour accélérer les procédures sur le droit d'asile. Mais faut-il vraiment territorialiser les missions relatives au droit d'asile ? Est-ce que le rapporteur a plus d'éléments sur la territorialisation de la CNDA ? Cela signifie que l'on aurait 8 à 10 structures qui nécessiteraient alors du personnel supplémentaire pour ces entités territoriales. Par ailleurs, je m'interroge sur l'unité de la manière de juger qui se profile avec plusieurs chambres territoriales, contrairement à une CNDA unique.
M. Éric Bocquet. - Le CESE tente de développer le mécénat pour pallier la baisse durable de ces ressources propres pour financer les travaux de rénovation du palais de d'Iéna. Est-ce qu'il s'agit d'entreprises privées qui viendraient apporter leur contribution à la rénovation du palais ? Peut-on imaginer que des cabinets privés apportent leur contribution dans cette opération ?
Mme Isabelle Briquet. - Dans ce contexte de hausse du contentieux devant les juridictions administratives, l'augmentation des moyens est indispensable pour donner des réponses aux justiciables dans des délais raisonnables. Pour autant, ces délais restent source d'inquiétude d'autant que le stock s'est de nouveau accru en 2021 lors de la crise sanitaire et les affaires en instance ont augmenté de 17 % devant les tribunaux administratifs et de 46 % devant les cours administratives d'appel. Il y a là un point de vigilance. Malgré les augmentations des effectifs, il semble que la réduction des délais en parallèle de l'assainissement des stocks soit compliquée en l'état des moyens. Concernant le HCFP, sans minimiser son rôle, je trouve que la masse salariale de cette structure est assez importante pour seulement huit personnes.
M. Michel Canévet. - La CEADP est-elle en place et a-t-elle commencé à travailler effectivement ? Par ailleurs, concernant le Conseil d'État et les juridictions administratives, les délais de traitement des dossiers s'allongent. Je regrette que les cibles fixées en matière de délais ne montrent pas plus d'ambition. La question des rémunérations n'est-elle pas un problème ? La rémunération est pourtant bien plus élevée dans les juridictions administratives que dans les juridictions judiciaires. Le rapporteur a-t-il des informations sur ce point ?
M. Daniel Breuiller. - La hausse du contentieux est-elle une tendance profonde ? La judiciarisation se développe dans tous les domaines mais met-on les moyens pour y répondre et réduire les délais de traitement des dossiers ? Par ailleurs, peut-on demander à la Cour des comptes des explications sur la hausse de 9,2 % du programme 164 qui concerne les juridictions financières ?
M. Claude Raynal, président. - Il y a de nouveaux contentieux systématiques comme le contentieux des étrangers qui doit représenter 50 % des contentieux. Les demandes sont automatiques et on doit y répondre de manière systématique ce qui demande beaucoup d'énergie pour chaque magistrat qui doit les traiter correctement en étant respectueux des demandes malgré leur caractère automatique. Des choses pourraient donc être revues avant d'augmenter les effectifs.
Mme Christine Lavarde. - Nous allons voter contre les crédits de cette mission. On est face à des crédits qui ont, pour certain, un caractère en réalité évaluatif notamment ceux relatifs au coût de la convention citoyenne sur la fin de vie, ce qui pose question.
Sur la CEADP, est-ce à dire qu'on va avoir une diminution parallèle de 3,5 millions d'euros des crédits de l'agence française de développement (AFD) car je n'ose pas croire que l'AFD distribuait de l'argent sans en évaluer l'efficacité.
Enfin, sur les revalorisations indemnitaires des juridictions financières : concerne-t-elle uniquement les nouveaux entrants ? Comment a-t-elle été décidée, s'additionne-t-elle à la revalorisation du point d'indice ? Il y aurait alors un traitement particulier des membres des juridictions financières par rapport au reste de la fonction publique.
M. Jean-Marie Mizzon. - Les délais moyens de jugement des tribunaux administratifs mentionnés dans le rapport me surprennent car j'ai des chiffres dans ma circonscription, qui relève du tribunal administratif de Strasbourg, bien supérieurs à la moyenne indiquée.
M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - S'agissant de la répartition territoriale des magistrats, pour les juridictions financières, 60 % des effectifs sont à Paris pour 40 % dans les CRTC. Pour les juridictions administratives, les effectifs se répartissent comme suit : 128 membres du Conseil d'État, 288 magistrats en cours administratives d'appel et 903 magistrats dans les tribunaux administratifs. Pour connaître la répartition territoriale plus précise, le site de chaque juridiction détaille les magistrats qui y sont affectés.
La territorialisation de la CNDA est une piste de réforme envisagée et n'a pas encore été traduite au niveau législatif. Je salue toutefois la démarche de déstockage engagée à la CNDA, avec la mission foraine sur Mayotte.
En ce qui concerne le recours au mécénat par le CESE, une vingtaine d'entreprises ont contribué au fonds de dotation Co-construire. D'après les informations transmises par le CESE, il s'agit d'entreprises spécialisées dans la construction. Le groupe de construction Vicat et la société coopérative et participative Up ont d'ailleurs été co-fondateurs. Les sommes ne sont d'ailleurs pas exceptionnelles, puisque 400 000 euros ont été levés pour 2022 et pour 2023.
Pour les juridictions administratives, les quarante et une créations d'emplois en 2023 devraient permettre de réduire les délais et les stocks, d'autant plus que pour cette année, ces créations sont concentrées sur les tribunaux administratifs, qui sont confrontés à une augmentation de leurs stocks plus importante que les autres juridictions.
Par ailleurs, la médiation préalable obligatoire a été pérennisée par décret du 25 mars 2022, notamment pour les décisions individuelles défavorables à certains agents publics. La médiation permet ainsi de réduire dans une certaine mesure le nombre des entrées dans ces domaines contentieux. Elle n'a toutefois pas d'incidence sur les délais de jugement et peut être chronophage pour les magistrats administratifs.
De plus, avec la dématérialisation des procédures, les agents de greffe sont déchargés d'un certain nombre de tâches. Ils ont donc vocation à assurer des missions plus juridictionnelles, avec la rédaction d'ordonnances, notamment dans les contentieux sériels et en matière de droit des étrangers. La montée en compétences des greffes peut donc permettre in fine de réduire les délais de jugement.
La mise en place de la CEADP doit intervenir au premier semestre 2023. La phase de préfiguration est toujours en cours avec la direction générale du Trésor et la direction générale de la mondialisation.
Les crédits demandés par le CESE pour la participation citoyenne ne sont pas évaluatifs. Ils s'élèvent à 4,2 millions d'euros et 3 millions d'euros sont estimés pour le coût d'organisation de la convention citoyenne sur la fin de vie, en fonction des prix que le CESE pourra obtenir pour le logement des citoyens qui ne résident pas en région parisienne.
Sur la revalorisation de la rémunération des magistrats administratifs et financiers, ces corps se doivent d'être attractifs, au risque de perdre les meilleurs éléments. Le décalage avec le corps des administrateurs de l'État n'est pas non plus justifié.
Les délais de jugement pour les affaires ordinaires devant le tribunal administratif de Strasbourg, hors référés et obligations de quitter le territoire français, sont de 1 an, 3 mois et 14 jours, soit inférieurs à la moyenne nationale, qui est de 1 an, 4 mois et 11 jours.
Enfin, je tiens à souligner l'accroissement des charges locatives du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », dont le coût prévisionnel en AE passe de 2,7 millions en 2022 à 84 millions d'euros en 2023. Cette hausse s'explique notamment par la budgétisation du renouvellement des baux de l'immeuble Arborial de la CNDA, dans l'attente de son relogement, ainsi que de l'immeuble Richelieu des services du Conseil d'État. Les AE ont été provisionnées selon des hypothèses d'engagement maximales alors que les modalités de prises à bail en gestion sont souvent différentes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous souhaitons être attentifs à l'ensemble des dépenses. Je propose un report du vote des crédits sur cette mission pour se prononcer au mieux au regard des éléments complémentaires fournis.
La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport spécial
M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Si la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », a disparu de la maquette budgétaire, la mission « Plan de relance », elle, existe toujours. Toutefois elle est en voie d'extinction puisqu'elle n'ouvre que des crédits de paiement, d'un montant de 4,4 milliards d'euros, dont 3,6 milliards d'euros sur le programme 362 « Écologie », 0,4 milliard d'euros sur le programme 363 « Compétitivité » et 0,5 milliard d'euros sur le programme 364 « Cohésion ».
Ces crédits de paiement permettront de poursuivre la réalisation de nombreux projets du programme 362 qui prennent naturellement plusieurs années, par exemple des actions de rénovation, de réhabilitation, d'investissement, voire de réalisation d'infrastructures favorables à la transition écologique. Sur le programme 363, il s'agit en majorité d'actions relatives à la relocalisation d'activités. Le programme 364 se limite désormais à des restes à payer sur les primes exceptionnelles en faveur de l'alternance et sur certains dispositifs de soutien aux projets locaux.
Pour rappel, cette mission a été créée par la loi de finances initiale pour 2021 avec 36,2 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, soit plus du tiers du plan de relance de 100 milliards d'euros. De nombreux dispositifs ont été regroupés dans les trois grands programmes que je viens de citer, afin de faciliter les réallocations de crédits, au risque de créer des programmes dont l'unité est peu perceptible.
En premier lieu, comme l'année dernière, les crédits réellement gérés sur la mission « Plan de relance » sont assez différents de ceux votés en loi de finances initiale.
D'une part, ils ont été accrus par des reports très élevés. Ainsi, alors que la loi de finances initiale pour 2022 n'avait autorisé que 1,5 milliard d'euros d'autorisations d'engagement nouvelles, c'est au total 7,7 milliards d'euros qui ont été mis à disposition des gestionnaires des trois programmes par la voie des reports. On est passé de la même manière de 13,0 à 18,0 milliards d'euros en crédits de paiements.
D'autre part, des crédits ont été transférés pour leur exécution sur d'autres missions du budget général. Ces transferts, d'un montant de 1,3 milliard d'euros en crédits de paiement, ont été dirigés vers un grand nombre de missions. Je le répète : cette gestion complexe réduit la lisibilité de la gestion des crédits du plan de relance comme des missions qui y contribuent.
En outre la très grande taille des trois programmes et l'extrême diversité des dispositifs qu'ils regroupent permet aux gestionnaires de programme de procéder à des redéploiements en fonction du rythme d'avancement des projets ou des besoins survenant en cours d'année.
En conséquence, le suivi des crédits est insuffisant, comme nous l'a dit la Cour des comptes dans le rapport qu'elle nous a remis au mois de mars dernier sur la mise en oeuvre des crédits du plan de relance, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances. Par exemple, dans le cas où les crédits sont attribués aux bénéficiaires finaux par des opérateurs ou des entités publiques autres que l'État, c'est le versement des crédits aux tiers qui est retracé dans le système d'information Chorus, et non le versement effectif aux bénéficiaires. La nécessité de justifier les dépenses au regard des « jalons » prévus par le plan de résilience européenne est une complexité supplémentaire, mais c'est une formalité nécessaire pour bénéficier du versement des 40 milliards d'euros prévus par ce plan.
À l'heure où les nouveaux engagements sont en voie de s'achever, on peut constater que, comme nous l'avions prévu les deux années passées, un certain nombre de mesures portées par le plan de relance ne sont pas véritablement temporaires, car elles avaient depuis le début vocation à s'inscrire dans la durée. Elles sont en conséquence reprises par d'autres missions du budget général.
Je pense notamment à la rénovation des bâtiments publics et au fonds « friches », qui font désormais l'objet d'un nouveau programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires », créé sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». Les moyens budgétaires qui y sont consacrés n'apparaissent pas clairement ; en revanche, l'ambition de ce fonds semble, elle, clairement établie, puisqu'il tendrait désormais à recycler 1 000 hectares par an au lieu de 3 370 hectares en deux ans sur le plan de relance.
Un autre exemple frappant est celui de la recherche duale civile et militaire. Ce programme doté d'environ 150 millions d'euros, traditionnellement porté par la mission « Recherche et enseignement supérieur », a été transféré pendant deux ans sur la mission « Plan de relance », sans augmentation de crédits. Il revient en 2023 sur sa mission d'origine. C'est avec de tels procédés, sans doute que le Gouvernement parvient à boucler un plan de relance de 100 milliards d'euros.
Enfin l'activité partielle, qui avait été portée à la fois par la mission « Plan d'urgence » et par le programme 364 « Cohésion » de la présente mission, sera à compter de 2023 financée par la mission « Travail et emploi » : on sort de la confusion des genres que nous avions critiquée.
Au total, le projet de budget confirme que la mission « Plan de relance » a été un support de financement pour un certain nombre de mesures qui ne relevaient pas de la relance de l'économie au sortir de la crise du covid 19. Elles avaient vocation à être pérennisées et le sont effectivement dans le PLF 2023.
L'objectif de déploiement rapide lui-même n'a été que partiellement atteint.
Le Gouvernement espérait engager la totalité de cette somme dès 2021 et la consommer progressivement en 2021, puis les années suivantes. Or, le taux d'exécution au début du mois d'octobre 2022 n'était, pour l'année en cours, que de 38,5 % en crédits de paiement et de 48 % en autorisations d'engagement. Il ne serait donc pas étonnant que le Gouvernement, une fois de plus, fasse le choix de reporter des crédits non consommés à 2023. Dans ce cas, malgré l'absence d'ouverture d'autorisations d'engagement nouvelles dans le projet de loi de finances, de nouveaux engagements pourraient bien être pris l'an prochain dans le cadre du plan de relance, alors même que l'activité a repris il y a plus d'un an son rythme antérieur à la crise sanitaire et que, sur le plan de la situation économique, nous sommes passés à une autre sorte d'urgence.
De fait, l'exécution dans le temps du plan de relance se prolongera dans les années à venir. Les restes à payer postérieurs à 2023 devaient être, selon les prévisions initiales, de 2,5 milliards d'euros ; le Gouvernement prévoit à présent qu'ils seront de 3,5 milliards d'euros.
Le plan de relance n'est donc certainement pas la réussite complète que présente le Gouvernement, et il serait d'ailleurs prématuré de porter un jugement définitif sur le fond alors que les travaux d'évaluation sont en cours.
Les crédits restant à ouvrir sur la mission seront donc nécessaires pour assurer le règlement de dépenses déjà engagées par les autorisations d'engagement passées. Pour autant, comme je l'ai indiqué, le rythme de décaissement n'est pas certain et de nombreux reports de crédits sont probables depuis 2022 sur 2023.
Compte tenu de ces éléments, je vous propose que notre commission réserve son vote.
M. Claude Raynal, président. - Nous avons, mais vous l'avez dit, un comité de suivi et d'évaluation en cours sur le plan de relance. Nous y participons tous les deux. Ce comité de suivi avait bien démarré avec Benoît Coeuré. Après le départ de M. Coeuré, Laurence Boone a été désignée. Elle est entre-temps devenue secrétaire d'État. Aujourd'hui il n'y a plus personne pour gérer le comité. Nous y assistons avec beaucoup d'intérêt.
Pour dire les choses clairement, il va être très difficile de distinguer les effets du plan de relance de ce qui relève des mesures après la crise ukrainienne. Les équipes en charge sont d'ailleurs très prudentes quant à la date à laquelle nous pourrons avoir une vision claire des résultats liés à ce plan de relance.
Mme Christine Lavarde. - Je pense que le rapporteur a clairement exposé ce que l'on va retrouver dans d'autres missions. Pour effleurer ce que je vais dire sur la mission écologie, il faut que personne ne se leurre sur la création du programme 380 relatif au fonds vert pour les collectivités locales car il s'agit ni plus ni moins que du recyclage des anciens crédits du programme 362. Il n'y a donc pas de nouvelles actions et il y aura très peu d'initiative laissée aux collectivités. Nous allons juste passer d'une gestion centralisée à une gestion pseudo-décentralisée à la main des préfets.
Je trouve cela sage d'attendre d'avoir pu consolider toutes nos missions pour voir s'il y a vraiment besoin de laisser toutes ces lignes et tous ces crédits.
M. Rémi Féraud. - Nous avons souvent parlé de la multiplication des milliards et de la faible lisibilité des crédits. Il me semble que la participation européenne au plan de relance est de 40 milliards d'euros. Qu'en est-il de la réalisation de ces 40 milliards d'euros ?
M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Je partage les préoccupations qui ont été exprimées. Il reste dans le rapport que je viens de commettre la question des reports, qui sont une manière, habile juridiquement, de contourner la rigueur.
J'entends l'appel à la sobriété. Je pense que la manière dont on conduit nos budgets doit être claire. Il vaut mieux annuler et réouvrir les crédits que de procéder à des reports comme c'est le cas ici.
Pour les 40 milliards d'euros en provenance de l'Union européenne, 7 milliards ont été versés en 2022 et il est prévu que 12 milliards soient versés en 2023. Jusqu'à présent, les versements interviennent comme prévu.
La commission décide de réserver son vote sur la mission « plan de relance ».
La réunion est close à 18 heures.
Mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons cette après-midi la communication de Jean-François Husson, en sa qualité de rapporteur de la mission d'information sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
Je rappelle que cette mission a été créée par notre commission à la suite de plusieurs auditions en réunion plénière sur des thématiques de fraude fiscale et pour tirer les premiers enseignements de l'application de la loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, qui avait notamment réformé le « verrou de Bercy ».
Ses travaux ont démarré le 8 mars 2022 et se sont achevés le 12 octobre dernier, plus d'une trentaine de personnes ont été auditionnées et trois déplacements ont pu être réalisés notamment à la DGFiP et au Tribunal de Paris, où nous avons vu à la fois les magistrats du siège, le parquet et le parquet national financier (PNF).
La mission était constituée de 19 membres.
Le rapporteur va donc nous exposer les conclusions qu'il tire de ses travaux et je laisserai bien évidemment la parole d'abord aux membres de la mission, puis à l'ensemble des membres de la commission qui voudront s'exprimer.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je voudrais remercier tous les collègues membres de cette mission d'information, qui y ont participé avec assiduité. Cette mission s'inscrit dans le droit fil de nos travaux menés il y a quatre ans. Je veux également rendre hommage au travail qui avait été réalisé par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier, qui a été rapporteur du projet de loi relative à la lutte contre la fraude.
Nous voici donc arrivés à la conclusion de ses travaux. Vous avez rappelé, Monsieur le président, leur densité.
Je souhaite vous présenter aujourd'hui les grands axes du rapport, ainsi que les recommandations que je vous propose. Je précise que les travaux de la mission d'information étaient avant tout destinés à faire un bilan des dispositifs que nous avons voté depuis 4 ans, et en particulier dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude d'octobre 2018. Cette mission ne conclut pas à la nécessité d'une « révolution fiscale », mais propose un certain nombre d'ajustements et d'évolutions destinés à accroître la portée et l'efficacité des dispositifs examinés. Il y a d'ailleurs des sujets particulièrement lourds sur lesquels nous ne pouvons pas agir par nous-mêmes, je pense par exemple aux prix de transfert.
Commençons au préalable par un constat : les résultats du contrôle fiscal augmentent depuis 2019. Ces résultats avaient connu une chute inquiétante de près de 20 % entre 2015 et 2018, pour atteindre un point bas à 7,7 milliards d'euros. 10,7 milliards d'euros ont toutefois été recouvrés en 2021, soit une hausse de 38 % par rapport à 2018. Les résultats du contrôle fiscal ont quasiment retrouvé leur niveau record de 2019, marquant un net rebond après ceux de l'année 2020, affectés par la crise sanitaire avec une chute de 40 %.
Ces résultats doivent néanmoins être relativisés. Il existe d'abord des marges d'amélioration. L'administration fiscale ne parvient à recouvrer que 75 % des montants mis en recouvrement. Ces résultats sont par ailleurs fortement dépendants de dossiers qualifiés d'exceptionnels.
Par ailleurs, et c'est sans doute la principale limite : nous ne pouvons pas savoir, en l'absence d'évaluation méthodologiquement fiable de la fraude fiscale, si le contrôle fiscal parvient à recouvrer 1 % , 10 %, 20 %, ou plus des montants fraudés.
En 2019, le Premier ministre avait demandé à la Cour des comptes d'évaluer le montant de la fraude aux prélèvements obligatoires : elle s'y était refusée, invoquant le manque de temps nécessaire pour s'y pencher. Le Gouvernement avait dès lors confié cette mission à l'Insee, qui n'a depuis publié qu'une seule étude, produite le 25 juillet 2022, sur l'estimation des montants manquants de versements de TVA, de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros par an. Pour produire cette évaluation, l'Insee a travaillé à partir des données de l'administration en charge du contrôle fiscal et a ensuite transmis ce « savoir-faire » à cette dernière.
L'évaluation de la fraude fiscale pourrait faire l'objet d'un travail commun entre l'Insee et l'administration fiscale, étendu à l'ensemble des impôts. Il est grand temps que nous avancions enfin sur ce sujet, alors que les estimations les plus variées ont tendance à se multiplier dans le débat public. Dans une première recommandation, je propose donc que les estimations soient intégrées dès le projet de loi de finances initiale pour 2024 au document de politique transversale relatif à la lutte contre la fraude, avec le détail des méthodologies utilisées.
Certaines interrogations demeurent également quant à la capacité de l'administration fiscale à lutter contre certains des schémas de fraude complexes et difficilement détectables. En effet, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a largement modernisé ses outils, en ayant par exemple de plus en plus recours à l'intelligence artificielle dans la programmation de ses contrôles. Ainsi, en 2021, le datamining a été à l'origine de 45 % des contrôles, pour 1,2 milliard d'euros recouvrés, soit 11 % du montant total.
Il me semble dès lors important que le Parlement dispose chaque année d'éléments permettant d'évaluer l'efficacité de cette méthode : c'est pourquoi je propose aussi de créer un indicateur de performance relatif à la part des contrôles programmés par datamining et ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux ». C'est l'objet de la deuxième recommandation.
Ces constats une fois présentés, j'en viens aux quatre axes qui ont structuré les travaux de la mission d'information et aux recommandations qui leur sont attachées.
Le premier axe concerne le renforcement de l'efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale. Les dispositions adoptées dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude ont en effet profondément affecté les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire.
L'assouplissement du « verrou de Bercy » et son remplacement par un dépôt automatique des plaintes pour les dossiers de fraude fiscale les plus graves se sont traduits par une augmentation de 75 % des dossiers de fraude fiscale transmis par l'administration fiscale au parquet. Cet afflux massif de dossiers intervient dans un contexte où l'ordre judiciaire manque encore de magistrats spécialisés dans la matière économique et financière. Les délais de traitement sont de près de trois ans et demi en moyenne, ce qui fait que 42 % des plaintes transmises par l'administration fiscale depuis 2019 font l'objet de suites judiciaires, 46 % sont en cours de traitement et 12 % sont classés.
Face à ce constat, et au regard également des réserves entourant le cumul des sanctions pénale et fiscale, il ne semble pas opportun de modifier de nouveau les critères de dénonciation automatique ou de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2018. En revanche, le déploiement des instruments de coopération entre l'administration fiscale et les parquets doit être encouragé. Ce sont par exemple les fiches d'accompagnement des dénonciations obligatoires ou les réunions trimestrielles qui permettent de parcourir les dossiers.
Les juridictions peuvent également s'appuyer sur des assistants spécialisés, détachés par la DGFiP auprès de celles-ci. Actuellement au nombre de 22, ils jouent notamment un rôle majeur pour analyser les dossiers de fraude les plus complexes et aider les parquets dans le traitement de ces affaires. Or, lors de nos échanges, notre attention a été attirée sur une divergence d'interprétation concernant la levée du secret professionnel fiscal des agents des finances publiques à l'égard des procureurs de la République.
Aujourd'hui, la levée de ce secret ne s'applique pas aux assistants spécialisés, en dépit de leur mission d'assistance aux procureurs. Une instruction du ministère de la justice prévoit toutefois, depuis juin dernier, que rien n'interdit au procureur de la République de se voir assister, lors des réunions avec l'administration fiscale ou pour l'analyse d'éléments relevant de la levée du secret fiscal, d'un assistant spécialisé agissant au titre de sa mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique. Une clarification du dispositif législatif pourrait dès lors être opérée pour que, sur autorisation du procureur de la République, le secret professionnel soit levé à l'encontre d'un assistant spécialisé, qu'il soit ou non accompagné. C'est l'objet de la troisième recommandation.
Une autre recommandation vise à tirer les conséquences de la réforme du « verrou de Bercy » : celle de réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales (CIF), pour les faire passer de 28 à 16 ? C'est la recommandation n° 4. Le volume de dossiers traités par la CIF a considérablement chuté depuis 2018, passant de 964 à 286 en 2021. Et les nouvelles compétences qui lui ont été attribuées ne suffisent pas à justifier le maintien d'un nombre si important de membres. La CIF n'a d'ailleurs tenu que 25 séances en 2021 alors qu'elle pouvait, avant la réforme du « verrou de Bercy » se réunir jusqu'à 70 fois par an.
Deuxième élément de bilan sur la loi fraude, il semble que, dans un contexte de saturation de la justice, le recours aux conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) et aux procédures de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) est désormais reconnu comme un gage d'efficacité, un outil à part entière de la politique pénale en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Je rappelle que, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, il ne s'agit pas d'un dessaisissement de la justice. Les dossiers traités par CJIP ou en CRPC sont bien une réponse judiciaire à un dossier de fraude fiscale, avec une sanction parfois plus élevée que celle qui aurait pu être obtenue dans le cadre d'un procès. Je pense notamment à Google, qui a fini par signer une CJIP, pour un montant de 500 millions d'euros. Par le passé, et dans des dossiers très complexes, il est arrivé que le juge donne tort à l'administration fiscale pour les redressements qu'elle a opérés.
En tout, pour les sept CJIP conclues en matière de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale depuis 2019, 1,1 milliard d'euros d'amendes d'intérêt public ont été prononcés, et 2,3 milliards d'euros au total portés en recouvrement, en incluant les pénalités fiscales. La procédure de CRPC a quant à elle concerné 16 % des prévenus en 2021, contre 4 % en 2019. Le montant moyen de l'amende est passé sur la même période de 34 000 euros à 68 000 euros et les délais de traitement sont de 14 mois inférieurs à ceux de la procédure ordinaire.
Toujours sous l'angle des relations entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires, j'en viens au soutien qui me semble devoir être apporté aux enquêteurs spécialisés, et notamment au service d'enquête judiciaire des finances (SEJF).
Nous avions douté, lors de l'examen du projet de loi relative à la lutte contre la fraude, de l'utilité d'un nouveau service de police fiscale, craignant une « guerre des polices » avec la brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF). Au final, le SEJF bénéficie d'un retour d'expérience très positif des magistrats. Il ne semble pas y avoir de conflits de compétences avec la BNRDF, les deux services étant de toute façon surchargés par le nombre de dossiers à traiter.
Le constat des magistrats est ainsi unanime : les officiers fiscaux judiciaires du SEJF, au nombre de quarante, sont très compétents mais trop peu nombreux : un nombre restreint de dossiers peut leur être transféré. Sur 169 dossiers transférés depuis le 1er juillet 2019, 148 sont en encore en cours.
Je préconise donc - c'est ma cinquième recommandation -, un doublement des officiers fiscaux judiciaires d'ici cinq ans, par redéploiement de moyens au sein des services de Bercy. Et j'oserais même dire que, si on peut aller plus vite, il ne faut surtout pas s'en priver ! Comme l'a suggéré également le magistrat chef du service lors de son audition, je propose que le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires soit étendu aux escroqueries à la TVA. Aujourd'hui, seuls les officiers douaniers judiciaires peuvent traiter de ces affaires, alors même que la gestion de la TVA a été transférée à la DGFiP. C'est l'objet de ma sixième recommandation.
Le deuxième axe concerne la lutte contre fraude à la TVA, qui demeure aujourd'hui massive, puisqu'elle représenterait, d'après l'estimation de l'Insee, une perte de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros chaque année. Cette fraude présente aujourd'hui deux caractéristiques majeures.
La première, c'est la persistance de schémas de fraude complexes et particulièrement difficiles à identifier pour les contrôleurs : je pense par exemple à la fraude « carrousel », qui consiste à obtenir la déduction de paiement de la TVA par l'émission de fausses factures par des sociétés fictives éphémères. Cette fraude entraînerait chaque année une perte de recettes de 50 milliards d'euros pour l'Union européenne.
La deuxième caractéristique, c'est que cette forme de fraude est favorisée par l'essor du commerce en ligne, en particulier sur les plateformes numériques : un rapport de l'Inspection générale des finances de 2019 soulignait que près de 98 % des sociétés étrangères opérant sur les plateformes n'étaient pas immatriculées à la TVA.
La loi relative à la lutte contre la fraude a, il est vrai, permis d'obtenir des avancées significatives en la matière. Je pense notamment à la mise en oeuvre de la responsabilité solidaire des plateformes en ligne, qui constitue une mesure emblématique pour notre commission, puisqu'elle est directement issue des propositions de son groupe de travail sur la fiscalité de l'économie numérique. Il s'avère que cette mesure a en effet eu un véritable effet dissuasif sur la fraude à la TVA en ligne : la responsabilité solidaire des plateformes n'a jamais été appliquée, ces dernières ayant systématiquement préféré déréférencer les vendeurs frauduleux. Ainsi, sur l'année 2021, sur 119 signalements de l'administration, près de 49 procédures ont été clôturées par un déréférencement des opérateurs.
Il me semble toutefois que ces avancées pourraient être prolongées, en plaidant pour un approfondissement de l'échange d'informations entre la DGFiP et la Douane.
Le transfert à la DGFiP de la compétence en matière de recouvrement de la TVA à la frontière rend aujourd'hui cette coopération d'autant plus importante, puisque la Douane, dans le cadre de son contrôle des flux de marchandises, est amenée à transmettre des informations à l'administration fiscale. Je souhaiterais donc que soit encouragée l'automatisation des échanges d'informations entre la Douane et la DGDDI, dans le cadre de la révision de leur protocole de coopération en cours. Il s'agit de ma septième recommandation.
La huitième recommandation reprend une proposition déjà formulée par notre commission lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fraude en 2018, mais non retenue dans le texte final, concernant le contrôle de la détaxe de TVA : il serait en effet souhaitable que la Douane puisse accéder directement aux données de la DGFiP afin de connaître la résidence fiscale de certains voyageurs souhaitant bénéficier de ce dispositif. Cet accès aux fichiers de la DGFiP permettrait aux contrôleurs des douanes d'identifier des voyageurs se prévalant d'un passeport étranger, mais résidant en réalité en France. Conformément aux réserves formulées par la CNIL, cet accès serait bien sûr assorti d'un encadrement strict en matière de protection des données.
Il me paraît également essentiel de renforcer les moyens dont dispose l'administration pour sanctionner la fraude à la TVA : j'ai ainsi souhaité proposer de garantir l'effectivité de la procédure permettant à l'administration fiscale de suspendre le numéro de TVA d'une entreprise frauduleuse, dont le champ d'application apparaît aujourd'hui trop réduit. Depuis, un amendement tendant à répondre au même objectif a été intégré dans le texte retenu pour la première partie du projet de loi de finances dans le cadre de la procédure de l'article 49.3 de la Constitution. Nous pourrons nous appuyer dessus et y apporter éventuellement notre contribution, conformément à ce que je propose dans ma neuvième contribution.
Les contrôles réalisés par les services de la Douane ont également mis en avant la fraude au dédouanement à l'importation. Elle consiste, pour une entreprise, à créer des droits fictifs d'exonération de TVA à l'importation, en indiquant à l'administration douanière que la marchandise a déjà été taxée dans un autre État membre de l'Union, alors que celle-ci a en réalité été directement importée depuis un État tiers.
Je propose, pour lutter contre ce phénomène, de renforcer notre arsenal législatif en donnant à la Douane la possibilité de sanctionner directement les fraudes concernant les flux de dédouanement à l'importation - c'est-à-dire sans que cela ne passe par un redressement de TVA adressé par l'administration fiscale - en caractérisant cette pratique, non seulement comme une fraude fiscale, mais également comme une fraude douanière. C'est l'objet de ma dizième recommandation.
Nos travaux ont également été l'occasion de mener une réflexion sur l'efficacité de la collecte de la TVA aux frontières de l'Union européenne. À cet égard, un guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation, le guichet IOSS, est désormais opérationnel depuis juillet 2021, et permet d'une part, de simplifier les modalités de déclaration pour les assujettis, et d'autre part, de faciliter le recouvrement de l'impôt et la collecte d'informations pour l'administration fiscale. Si le recours à ce guichet est aujourd'hui facultatif, il emporte, à peine plus d'un an après son entrée en vigueur, une forte adhésion de la part des opérateurs et de l'administration. Partant de ce constat, il convient d'évaluer la robustesse du guichet unique à l'importation, en vue d'envisager à terme de rendre son recours obligatoire. Il s'agit de ma onzième recommandation.
Plus généralement, s'agissant des pouvoirs étendus de contrôle et de saisie des services douaniers, le Conseil constitutionnel a, à l'occasion de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes, relatives aux visites domiciliaires. Dans la mesure où il s'agit de l'une des prérogatives les plus essentielles de la Douane pour lutter contre les trafics, mais aussi contre la fraude et le blanchiment d'argent, je propose de modifier le dispositif afin de répondre à la déclaration de non-conformité du Conseil constitutionnel, l'abrogation des dispositions de l'article 60 ayant été reportée au 1er septembre 2023 par le Conseil afin de laisser le temps au législateur d'intervenir. Une habilitation à légiférer par ordonnance a depuis été déposée par le Gouvernement dans le cadre de l'examen du PLF 2023 sur ce point, mais je proposerai pour ma part une mesure « en dur ». Il s'agit de la douzième recommandation.
J'en viens maintenant au troisième axe de recommandations, qui concerne la sécurisation des dispositifs d'accès aux données, dont l'exploitation constitue aujourd'hui l'un des principaux enjeux de la lutte contre la fraude.
Les administrations ont en effet consenti d'importants investissements pour développer leurs techniques d'analyse et de valorisation des données de masse, afin de pouvoir détecter de potentielles infractions et fraudes. Le bureau de la DGFiP en charge d'exploiter ces flux de données aurait ainsi reçu en 2022 plus de 6,2 Téraoctets de données « utiles » : pour vous donner un ordre d'idée, cela correspond à plus de 40 millions de pages de documents PDF ou plus de 8 000 armoires d'archivages papier.
La collecte massive de ces données a en outre été favorisée par plusieurs avancées législatives introduites ces dernières années mais dont l'effectivité n'est pas encore pleinement assurée. Ainsi en est-il, notamment, de la collecte et de l'analyse des données librement publiées sur les réseaux sociaux aux fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes. Cette expérimentation, votée pour une durée de trois ans, doit prendre fin au mois de février 2024. Nous avons eu une démonstration de son utilité lors de notre déplacement à la DGFiP : une exploitation des annonces publiées sur un site de vente bien connu a permis d'isoler le cas d'un vendeur particulier à l'origine de dizaines d'annonces de vente de voitures de luxe...
La portée de l'expérimentation a toutefois été fortement réduite par la décision du Conseil constitutionnel qui a opéré une distinction entre les données « publiquement » et « librement » accessibles : les agents habilités de la DGFiP et de la Douane ne peuvent aujourd'hui accéder qu'aux données librement accessibles, c'est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion, et non aux données publiquement accessibles, c'est-à-dire auxquelles tout le monde peut avoir accès, mais éventuellement en disposant d'un compte sur la plateforme concernée. Résultat, de nombreux sites et plateformes sont exclus de l'expérimentation alors même que nous savons qu'elles peuvent par exemple être utilisées pour vendre des biens et des services sans déclaration.
Je vous propose donc, sous condition d'y apporter les garanties nécessaires pour protéger les données personnelles et la vie privée des contribuables, de prévoir que les agents dûment habilités puissent avoir accès aux données publiquement accessibles. Dans le même temps, et pour que cette modification puisse pleinement prendre son effet, je vous propose de prolonger l'expérimentation de deux ans, jusqu'au mois de février 2026. Il s'agit de la treizième recommandation.
La deuxième mesure concerne l'accès aux données de connexion par les agents de l'administration fiscale et des douanes, prévu aux articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude.
Quatre ans après l'adoption de la loi, ce sont les deux seules dispositions qui restent inappliquées, en l'absence de publication des décrets en Conseil d'État. Ceci s'expliquait principalement par des décisions en attente de la Cour de justice de l'Union européenne, lesquelles ont désormais été rendues.
En accord avec ces décisions, et pour assurer la pleine application de ces dispositifs, je vous propose d'aligner le dispositif d'accès applicable à la Douane sur celui de l'Autorité des marchés financiers et de la DGFiP. Il prévoit en effet une autorisation préalable d'un contrôleur général des demandes d'accès aux données de connexion. Ce dernier, indépendant, verrait son champ de compétence accru, sans qu'une nouvelle autorité n'ait besoin d'être créée et en garantissant une application harmonisée pour ces trois organes. Il s'agit de la quatorzième recommandation. Le Gouvernement doit publier rapidement les nouveaux textes d'application. À défaut, il importe que nous soyons informés des raisons qui s'opposent à la publication de ces textes, sans attendre de nouveau 4 ans.
Le quatrième et dernier axe fait écho aux enquêtes publiées récemment par la presse concernant des montages de fraude internationale, tels que les Pandora Papers ou les CumEx Files. Cet axe du rapport a la particularité de traiter en grande partie d'enjeux appelant des réponses à l'échelle internationale. Cela explique que les recommandations relèvent davantage de pistes.
En termes de bilan, les montants recouvrés en réaction à ces affaires, qui s'élèvent à 464 millions d'euros, apparaissent relativement modestes au regard des montants qui auraient, selon la presse, échappé aux États, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros chaque année pour la France.
Ces résultats doivent néanmoins être nuancés par le fait que la plupart des investigations sont en cours. L'administration n'a par exemple pas été en mesure de nous communiquer une estimation des montants recouvrés dans le cadre des Pandora Papers. L'administration fiscale française est en outre confrontée à de nombreuses difficultés dans le cadre de ces affaires : je pense notamment au défaut de coopération des États concernés par ces montages frauduleux, aux délais de prescription, aux informations incomplètes publiées dans la presse, au fait de ne pas poursuivre certains contribuables, qui ne sont pas résidents fiscaux français.
Tout d'abord, nos travaux ont permis de faire le point sur l'efficacité des listes « noires » française et européenne. Dans ce cadre, plusieurs ONG se sont montrées favorables à ce que ces listes incluent également, parmi les critères d'inscription, le manque de coopération de certains pays. S'il convient d'être prudent sur ce sujet, compte tenu de sa forte sensibilité diplomatique, une discussion pourrait toutefois être engagée au niveau international sur l'opportunité de créer une « liste noire » des « mauvais élèves » en matière d'échange d'informations, sur la base d'informations recueillies par l'OCDE. C'est l'objet de ma quinzième recommandation.
Un autre groupe de recommandations a trait à l'identification des bénéficiaires effectifs de sociétés offshores, qui constitue bien souvent l'une des principales difficultés à laquelle sont confrontés les contrôleurs. La création, en France et en Europe, de registres visant à répertorier tous les bénéficiaires effectifs de sociétés a été notable. La portée de ces outils est toutefois altérée par leur caractère incomplet : en France, environ 25 % des sociétés ne se plieraient pas à leurs obligations de déclarations. Les sanctions pour défaut de renseignement des bénéficiaires effectifs doivent donc être pleinement appliquées. Il s'agit de la seizième recommandation. Les SCI seraient notamment concernées. Il n'existe par ailleurs aucune information chiffrée sur l'application effective de ces sanctions, un point qui me semble devoir être corrigé. Il s'agit de ma dix-septième recommandation.
Je propose également que soit élaboré un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles. Il s'agit de la dix-huitième recommandation.
Un deuxième enjeu a trait à la question de la responsabilisation des intermédiaires financiers qui, du fait de leur activité de conseil, peuvent être amenés à élaborer des montages fiscaux abusifs. La directive dite « DAC 6 » a introduit, au niveau européen, des obligations de transparence à l'égard de ces intermédiaires, qui sont désormais tenus de déclarer les montages de ce type qu'ils seraient amenés à élaborer. Il me semble important de disposer d'une première évaluation des apports de cette directive, avant d'envisager éventuellement l'introduction de nouvelles mesures de responsabilisation de ces intermédiaires financiers au niveau de l'Union européenne. Il pourrait à cet égard être envisagé, dans la droite ligne d'une proposition formulée par certaines ONG, de créer un nouveau critère d'inscription sur la liste noire des paradis fiscaux de l'Union européenne, reposant sur l'existence ou non dans ces pays d'obligation de transparence à l'égard des intermédiaires. C'est la dix-neuvième recommandation du rapport.
J'en termine sur cet axe avec un sujet défendu par notre commission dans le cadre des récentes lois de finances à de nombreuses reprises : il s'agit de celui de la lutte contre l'arbitrage de dividendes, à la suite de l'affaire dite des CumEx Files. Pour rappel, le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à lutter contre les montages abusifs internes et externes, à la suite des révélations d'un consortium de journalistes, dont Le Monde, dans l'affaire dite des CumEx Files. L'Assemblée nationale l'avait repris en nouvelle lecture, mais en le réduisant à sa portion congrue, notamment en supprimant toute la partie relative aux montages externes, qui utilisent les conventions fiscales avec des taux de retenue à la source de 0 % sur les dividendes pour échapper à l'impôt en France.
Si la réponse la plus efficace à ces montages abusifs et frauduleux ne réside probablement pas dans une modification de la loi, j'estime qu'il est impératif que le Gouvernement engage la révision des conventions fiscales dont les dispositions servent de support à ces montages fiscaux abusifs. Des dispositifs anti-abus doivent être mis en place. Il s'agit de la vingtième et dernière recommandation.
Je précise enfin que le rapport comporte une annexe permettant de présenter un court bilan quantitatif pour chacun des dispositifs de la loi relative à la lutte contre la fraude, y compris ceux qui ne sont pas abordés dans le cadre des recommandations. C'est aussi à cela que servent nos rapports de contrôle, à s'assurer de la pleine application des mesures que nous votons.
Je vous remercie, mes chers collègues, de votre patience. Nous avons mis beaucoup de temps et d'ardeur au travail. Sur de tels sujets, il faut de la patience, de la méticulosité, de la persévérance, et une vraie volonté pour combattre la fraude fiscale.
M. Éric Bocquet. - Je souhaite d'abord rappeler l'utilité de ce travail et de disposer d'un état des lieux des textes réglementaires publiés depuis la loi fraude en 2018. Les travaux de la mission ont été l'occasion de se rendre compte qu'il manque encore certains textes d'application.
Je partage l'esprit du rapport et les recommandations qui y sont formulées. J'ai néanmoins quelques remarques qui viendront à l'appui des conclusions du rapporteur, et d'autres par lesquelles je m'en distinguerai.
Les difficultés d'évaluation du niveau de la fraude et des montants en jeu constituent un vrai sujet. Nous avions travaillé avec Philippe Dominati sur cet enjeu il y a une dizaine d'années. Il nous manque toujours des outils pour évaluer le niveau de la fraude car, évidemment, il n'existe pas de registre officiel, sans quoi on s'y reporterait.
De nombreux agents travaillent à l'évaluation du niveau de la fraude et ils auraient sans doute besoin de davantage d'outils et de moyens, mais il nous manque surtout un instrument de coordination entre l'ensemble des acteurs. Il nous faudrait un outil commun, qui rassemble l'ensemble des services et soit accessible aux parlementaires. La lutte contre la fraude fiscale doit être maintenue en permanence à notre agenda et il est très utile que ce sujet revienne régulièrement à l'ordre du jour de notre commission des finances.
Lors de l'audition du parquet national financier (PNF), j'ai été frappé par les propos qui ont été tenus : il y aurait un manque d'appétence des magistrats pour les sujets fiscaux. Alors que le PNF n'a pas encore dix ans, il a déjà perdu des moyens d'enquête, et je pense que le sujet des poursuites judiciaires et pénales doit être considéré comme prioritaire.
Cette semaine, le Crédit suisse a fait l'objet d'une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) et doit payer une amende de 238 millions d'euros pour blanchiment de fraude fiscale. Ce n'est pas la première affaire : UBS, Macdonald et Google ont également été visés par cette procédure négociée. Même s'il s'agit de belles sommes, les entreprises n'iront pas en procès. J'entends en partie l'argument des ministres : les procédures judiciaires étant longues et incertaines, mieux vaut récupérer tout de suite des sous dans les caisses. Cependant, je ne pense pas que ce soit une bonne chose du point de vue de l'opinion publique.
Je partage le constat des avancées sur le verrou de Bercy mais je pense qu'il faudrait aller jusqu'à la suppression définitive.
Je suis en revanche très réservé sur la révision des conventions fiscales bilatérales. D'abord les conventions n'empêchent pas la fraude : nous avons une convention avec le Luxembourg, et cela n'a pas empêché les LuxLeaks. De plus, la négociation de nouvelles conventions prendrait beaucoup de temps.
Je pense qu'il faut que les solutions reposent sur une structure internationale dédiée à la coopération multilatérale, sous l'égide du fonds monétaire international, de la banque mondiale ou des Nations unies. Il faut impérativement arrêter le mano a mano entre certains États, qui n'empêche rien.
Sur les paradis fiscaux, il faut sortir de l'hypocrisie. La question du Delaware est éclairante : les États-Unis luttent uniquement contre l'évasion fiscale qui nuit à leurs propres intérêts. À l'heure où l'on peut déplacer des milliards d'euros vers ces territoires en une picoseconde - onze zéros après la virgule - il nous faut trouver des solutions efficaces.
Je conclus en rappelant que je suis très satisfait du travail de très grande qualité qui a été mené. Les travaux vont-ils donner lieu à un débat spécifique en séance publique ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Je voudrais féliciter le rapporteur général pour ce travail. Je souhaite que l'ensemble de ces mesures soient mises en oeuvre.
J'aurais deux questions complémentaires. Les recommandations concernant la clarification des modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur, et celle relative aux intermédiaires financiers, tournent autour de l'enjeu du secret. Envisagez-vous, dans ce prolongement, de vous pencher sur le secret professionnel des experts-comptables et des banquiers ? C'est une mesure à laquelle je tiens car je considère que les experts-comptables savent pertinemment quels sont les clients qui fraudent, et ce serait une avancée de pouvoir les libérer de ce secret dans des cas très précis. Quel est votre avis sur cette question ?
Sur la mesure qui permettrait aux agents de la DGFiP d'accéder aux données des plateformes librement accessibles et non plus publiquement accessibles, ce qui serait une avancée majeure, peut-on imaginer que la DGFiP mette en place des algorithmes qui filtreraient les données ? Les plateformes sont justement très habiles pour détruire ces algorithmes dès l'instant où l'administration les mettrait en place.
M. Jérôme Bascher. - Le rapport peut paraître compliqué, mais s'il était si simple de lutter contre la fraude, cela aurait déjà été fait. C'est bien une somme de mesures, de détails, qui doivent permettre de resserrer les mailles du filet et d'aller plus loin sur ce sujet.
Comme l'a dit Éric Bocquet, il est très important que la commission des finances continue à travailler sur ce sujet et à faire des propositions, car il s'agit bien souvent pour les gouvernements d'un « sous-sujet » : ils font de la communication sur le contrôle fiscal, et ensuite peu importe ce que cela rapporte. Le rapporteur général a bien dit que trois-quarts des montants n'étaient pas recouvrés. On peut se payer de mots, mais ce serait mieux qu'ils se paient d'amendes !
Je souhaiterais revenir sur l'implication des greffiers de tribunaux de commerce dans le dispositif de lutte anti-blanchiment. Ils sont en effet amenés à détecter beaucoup d'entreprises fantômes qui vont chercher des aides et des droits à déduction à la TVA dans les « carrousels ». Les greffiers de tribunaux de commerce nous disent qu'il y a un manque d'interconnexion avec les différents fichiers de la police ou de la justice. Il y a sûrement de choses à améliorer sur ce point.
Pour répondre à Éric Bocquet sur la création d'une unité spécialisée en matière de lutte contre la fraude : cette unité a été créée en 2008. Il s'agit de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui rassemblait des agents des Urssaf, des douanes, et des impôts, pour lutter contre la fraude fiscale et sociale. Elle a été supprimée par Gérald Darmanin lorsqu'il était ministre du budget. Cela a été assez dénoncé par ceux qui s'intéressent à ces sujets de fraude fiscale. Il est toujours bon de reconnaître lorsque l'on s'est trompé. Nous avons effectivement besoin d'une structure pour piloter l'interministériel, voire l'inter-administration publique.
M. Philippe Dominati. - Les mesures proposées dans ce rapport sont des mesures concrètes, qui vont dans le bon sens. Cela fait quelques décennies que la lutte contre la fraude fiscale s'améliore petit à petit dans notre pays. Je voudrais cependant rappeler que la fraude fiscale est proportionnelle à la pression fiscale. Tous les économistes considèrent que plus la pression fiscale est forte dans un pays, plus il y a de fraude fiscale. J'imagine qu'il y a en a énormément en France puisque nous sommes pratiquement champions d'Europe voire du monde parmi les pays développés en ce qui concerne la pression fiscale.
Je souhaiterais apporter un complément d'information. J'ai passé une partie de l'après-midi hier à Nanterre, au sein d'un service équivalent de la brigade financière, dont il a été fait mention tout à l'heure. Il y a une diminution des effectifs au cours des dernières années, un problème de ressources humaines puisqu'on ne trouve pas de policiers qualifiés, et un gros problème de logistique informatique et de base de données.
Enfin, j'ai une question technique. Les entreprises payent pendant des années les services d'experts-comptables et de commissaires aux comptes. Autant l'expert-comptable est très important pour l'entreprise, autant je m'interroge sur l'utilité des commissaires aux comptes. On a l'impression qu'ils ne servent pas à grand-chose, si ce n'est à valider le travail de l'expert-comptable, et il semble que sa mission de contrôle s'évapore bien souvent. Je voulais savoir si l'on disposait de statistiques dans ce rapport sur l'efficacité de l'obligation pour le commissaire aux comptes de signaler la fraude. Si cela ne représente rien pour l'État, alors que cela représente beaucoup pour les entreprises, peut-être que l'on pourrait se contenter dans un certain nombre de cas de ne pas avoir l'obligation de recourir à la fois aux services d'un expert-comptable et d'un commissaire aux comptes.
M. Paul Toussaint Parigi. - Je n'ai pas entendu, dans les recommandations, la question de la confiscation systématique des biens et des richesses des délinquants. Est-ce que cela fait partie du sujet ? Puisque cela concerne des sommes impressionnantes. En 2016 cela représentait 500 millions d'euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je répondrai d'abord à notre collègue Paul Toussaint Parigi que la fraude qu'il évoque ne représente qu'un faible montant au regard de la globalité de la fraude fiscale, ce qui explique que cela n'a pas été un des axes prioritaires de nos travaux.
Notre collègue Éric Bocquet s'est interrogé sur les suites susceptibles d'être données aux travaux de notre mission d'information. Je pense que ce sujet mérite une grande attention car il suscite beaucoup d'écho tant dans l'opinion publique qu'auprès des personnes qui en sont spécialistes. C'est un travail lent, patient et minutieux mais indispensable et qui mérite d'être valorisé.
Dans le but de faciliter le travail des magistrats, en particulier du Parquet national financier, je propose effectivement d'augmenter certains moyens, notamment concernant les enquêteurs dont on a pu observer la pertinence du travail effectué. Il me paraît également possible de faciliter le travail des assistants spécialisés détachés par la DGFiP auprès des juridictions.
J'entends les réserves d'Éric Bocquet à l'égard du recours aux CJIP et aux procédures de CRPC. Mais au vu de la saturation générale de la machine judiciaire, cela permet d'obtenir des condamnations et le règlement d'amendes alors que la justice peut parfois rendre un non-lieu au bout d'une procédure fort longue. En outre, une CJIP n'est pas automatique ; elle intervient au terme d'une enquête approfondie.
Par ailleurs, la suppression du verrou de Bercy, qu'il appelle de ses voeux, n'est pas qu'une question de moyens. En effet, le cumul d'une sanction fiscale et d'une sanction pénale est très encadré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il me paraît difficile à justifier pour de petits dossiers.
J'indique à Jérôme Bascher que depuis le début de cette année, les greffiers ont la faculté de communiquer à la DGFiP et à la douane tous les renseignements qu'ils recueillent dans l'exercice de leur mission, notamment lorsqu'ils sont en lien avec une présomption de fraude fiscale.
Nous évoquons la question de l'interconnexion des fichiers dans notre rapport. Comme vous le savez, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est très sourcilleuse sur ce point, ce qui ne veut pas dire que cette interconnexion ne soit pas possible. L'automatisation de certaines procédures est à la fois plus efficace et plus rapide et c'est ce que nous recommandons.
Sylvie Vermeillet s'est interrogée sur le secret bancaire et celui des experts-comptables. Il existe déjà une obligation de déclaration de soupçon dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et s'il n'existe pas d'obligation de dénoncer des faits délictueux au parquet, les établissements sont tenus de prévenir leurs clients de leurs obligations fiscales. Enfin, la DGFiP dispose d'un droit de communication auprès des comptables afin de connaître l'identité d'un client, le montant, la date et parfois la forme des versements qu'ils ont effectués.
Philippe Dominati m'a interrogé sur l'activité des experts-comptables et des commissaires aux comptes. Nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet, et je m'efforcerai de vous les communiquer quand je les aurai. J'observe néanmoins que depuis la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), les commissaires aux comptes ne sont plus obligatoires que pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à huit millions d'euros. Cette disposition avait beaucoup été discutée mais semblait finalement satisfaire tout le monde au regard des comparaisons européennes.
Je terminerai en insistant sur l'importance du suivi de notre rapport, notamment, chaque année, au moment de l'examen du projet de loi de finances, à travers le document de politique transversale relatif à la lutte contre la fraude.
M. Claude Raynal, président. - Je prends bonne note du souhait exprimé par Éric Bocquet de porter ce sujet en séance publique, à la suite des conclusions de notre mission d'information. Nous verrons, avec le rapporteur général, comment y donner suite.
La commission adopte les recommandations du rapporteur et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 18 heures.
Mercredi 26 octobre 2022
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial de la mission « Pouvoirs publics ». - En vertu du principe d'autonomie financière des pouvoirs publics, qui découle du principe de séparation des pouvoirs, la mission « Pouvoirs publics » regroupe les crédits dédiés aux différents pouvoirs publics constitutionnels, c'est-à-dire la présidence de la République, l'Assemblée nationale et le Sénat - ainsi que les chaînes parlementaires -, le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de la République.
Les montants associés à cette mission paraissent modestes, puisqu'ils représentent environ 0,2 % du budget général de l'État. Toutefois, les institutions relevant de la mission « Pouvoirs publics » sont aujourd'hui confrontées à des exigences croissantes des citoyens, d'efficacité, de transparence et d'exemplarité.
Les pouvoirs publics participent depuis plus de dix ans à l'effort de redressement des comptes publics, la dotation ayant progressé d'un montant bien inférieur à l'inflation constatée, ce qui, en réalité, signifie qu'il y a eu une baisse des moyens.
Pour le Sénat, le dernier rapport sur l'exécution 2021 de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l'évaluation interne, de notre collègue Éric Jeansannetas, note que « depuis 2008, les dépenses de fonctionnement du Sénat ont diminué de 2,3 %, et même de 14,4 % une fois pris en compte les effets de l'inflation ».
Mais dans le contexte inflationniste actuel, et en raison de la volonté des pouvoirs publics de préserver un niveau élevé d'investissement, il est prévu, comme l'année dernière, une hausse des dotations. Pour autant, cette progression des crédits reste modérée puisque le montant total des dotations consacré aux pouvoirs publics en 2023 est en augmentation de 2,76 % par rapport à 2022, et s'établit à un peu plus d'un milliard d'euros.
Plus particulièrement, le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une hausse des crédits de 4,90 % pour la présidence de la République, 3,35 % pour l'Assemblée nationale, 2,28 % pour le Sénat et 0,6 % pour La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN). Le Conseil constitutionnel voit certes son enveloppe se réduire de 16,71 %, mais cela fait suite à une forte augmentation l'année dernière en raison de l'élection présidentielle. Quant à la dotation de la Cour de justice de la République, elle est reconduite à l'identique. Je vous propose de regarder dans le détail chaque dotation.
Après trois années de stabilité, la dotation de la présidence de la République augmente de 4,9 % par rapport à 2022, s'élevant à 110,46 millions d'euros.
Parmi les faits notables, je signalerai que les dépenses de la présidence de la République font face à la reprise de l'activité internationale, à la suite de la période du covid, et, comme nous le verrons pour les autres institutions, à des dépenses de fonctionnement soumises à la forte inflation actuelle. Malgré cela, la présidence de la République souhaite maintenir ses investissements. C'est notamment le cas en matière de sécurité informatique et d'économies d'énergie puisqu'un projet de géothermie dans les jardins de l'Élysée est en cours de déploiement. D'un montant de 1,4 million d'euros, il devrait réduire de 80 % les émissions de CO2 et générer des économies significatives de consommation de fluide, sans pour autant remettre en cause le réseau d'énergie à l'intérieur des bâtiments.
Concernant les dotations des assemblées parlementaires, rappelons qu'elles étaient gelées entre 2012 et 2021, ce qui a représenté un effort significatif d'économies et de rationalisation des moyens menés par les conseils de Questure. La hausse octroyée cette année reste modérée : 3,35 % pour l'Assemblée nationale et 2,28 % pour le Sénat. Les dotations s'élèvent ainsi respectivement à 571 millions d'euros et 346,3 millions d'euros.
J'évoquerai principalement le budget du Sénat dont la dotation connaît une augmentation de 2,28 % destinée à financer les conséquences de l'inflation et le renouvellement sénatorial de 2023, ainsi qu'à préserver un haut niveau d'investissement. Cette dotation couvre la quasi-totalité des dépenses de fonctionnement. Ces dernières augmentent de 6 %, une hausse provenant pour les deux tiers de l'inflation, et pour un tiers du renouvellement sénatorial. Par ailleurs, une baisse de 48 % des dépenses d'investissement est prévue en 2023, ce qui contient la hausse globale à 1,18 %. Le prélèvement sur les disponibilités, de 14,12 millions d'euros, est uniquement fléché vers le financement de l'investissement, signe d'une bonne gestion.
Cet effort d'investissement, après une année où il a été exceptionnellement élevé, à 33,19 millions d'euros, est ramené à 17,25 millions d'euros, soit une baisse de 48 %, mais le montant reste important et dans la moyenne des dernières années. Il servira à des projets d'envergure, tels que la restructuration des immeubles des 26 et 36 rue de Vaugirard ou la restauration des façades et couvertures des pavillons Est du palais. Il sera par ailleurs le prélude à l'ouverture d'un nouveau cycle d'investissement, caractérisé par les économies d'énergie et la transition énergétique de notre patrimoine.
Je conclus par le recours récurrent aux disponibilités : si la situation n'est pas inquiétante, ces dernières sont néanmoins susceptibles de s'amenuiser au fil des années, posant inévitablement la question du financement des programmes d'investissement à venir.
Le budget des chaînes parlementaires augmente légèrement, de 0,6 %. Celui de LCP-AN connaît une hausse de 1,24 % quand le budget de Public Sénat est reconduit à l'identique.
La dotation budgétaire demandée par le Conseil constitutionnel est en diminution de 16,71 % par rapport à 2022, pour s'établir à 13,3 millions d'euros. Parmi ses dépenses, les moyens consacrés au contrôle des normes représentent 62 % de la dotation, et sont en augmentation par rapport à l'année dernière, ce qui semble cohérent au moment où se déploie le portail de référence de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui nécessite des ressources dédiées à son bon fonctionnement.
L'activité du Conseil constitutionnel a changé d'échelle : les deux tiers des décisions rendues par le Conseil depuis sa création en 1958 l'ont été depuis 2010, année de mise en oeuvre de la QPC.
Enfin, la dotation de la Cour de justice de la République est identique à celle de l'an passé, à hauteur de 984 000 euros. L'été 2021 avait été marqué par un nombre de plaintes sans précédent, dépassant 20 000 à la fin de l'année 2021. Depuis 2022, le phénomène s'est nettement ralenti, le nombre de plaintes s'élève en effet à 349 depuis le 1er janvier 2022.
En conclusion, je vous propose l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Hier, j'évoquais une dérive des dépenses de fonctionnement d'un certain nombre d'organismes. Je note là que tout le monde fait des efforts, avec un maintien des budgets. Sagesse, réalisme, efforts : je partage l'avis du rapporteur spécial.
M. Antoine Lefèvre. - Étant moi-même membre de la Cour de justice de la République, je m'étonne du maintien de ses crédits à l'identique. Le rapporteur spécial a évoqué le fort ralentissement des dépôts de plainte. Toutefois certaines plaintes donnent lieu à des contentieux. Ceux-ci n'engendrent-ils pas de surcoûts ?
M. Roger Karoutchi. - Nous sommes trop modestes, comme d'habitude. Le Sénat coûte cinq euros par an par habitant en France. Le Parlement coûte treize à quatorze euros par an par habitant. Ces chiffres tordent le cou à toute polémique.
Je voudrais évoquer les crédits de la présidence de la République. L'évolution de ces crédits est en réalité modeste après deux ans de stabilité. J'ai cru comprendre qu'entre 2007 et 2019-2020, l'Élysée a intégré dans ses comptes la totalité des traitements de ses employés, y compris ceux qui étaient mis à disposition par les ministères, soit environ la moitié, mais que la situation aurait changé. Quelle est la situation actuelle ? Le personnel mis à disposition est-il bien intégré dans le budget de l'Élysée ?
M. Vincent Delahaye. - L'augmentation du budget de l'Élysée n'est pas négligeable puisqu'elle est supérieure à l'inflation attendue. Le Président de la République devrait montrer l'exemple en réalisant des économies de fonctionnement, notamment sur les sondages. Quel est le budget consacré aux enquêtes d'opinion ?
Le Sénat est exemplaire : nous n'avons pas modifié notre dotation pendant des années. J'étais plutôt favorable à caler l'évolution du budget du Sénat sur l'évolution des dépenses moyennes de l'État. Pourquoi fournir plus d'efforts que l'État et ses ministères ?
Pourquoi le budget du Conseil constitutionnel augmente-t-il autant ? L'année 2022 a été exceptionnelle. Mais une hausse de 10 % par rapport à 2021 me paraît excessive. On aurait dû revenir au même niveau.
M. Marc Laménie. - Je note l'évolution positive des recettes des produits du Sénat, à 6 millions d'euros. En quoi ces produits consistent-ils ?
La progression des dépenses est modérée. Quels sont les effectifs du Sénat et quelle est la subvention à l'Association pour la gestion des assistants de sénateurs (Agas) ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je veux rassurer Vincent Delahaye. Il est vrai qu'au Sénat, nous gérons mieux que l'État, avec une progression des dépenses très largement inférieure. L'État est plus dispendieux que nous. Mais nous sommes regardés. Nous avons des critères de gestion et nous nous y tenons. L'année 2023 est atypique. En effet, chaque renouvellement sénatorial a un coût, d'environ 6 millions d'euros, notamment, malheureusement, pour faire face aux fins de contrats de collaborateurs.
Nos dépenses augmenteront en 2023 de 1,18 %, ce qui est un scénario optimiste si l'on considère l'évolution à la hausse des chiffres de l'inflation depuis l'élaboration du budget du Sénat en juillet.
Le coût des rémunérations augmente de 3,5 %, à 8,4 millions d'euros. Pour l'instant, il n'y a pas d'hypothèse de revalorisation. Il faudrait s'adapter, le cas échéant, si le point d'indice de la fonction publique connaissait une nouvelle revalorisation.
En 2022, en raison de l'élection présidentielle et des élections législatives, la session parlementaire a été un peu raccourcie. Nous avons donc pu réaliser davantage de travaux, pour 33 millions d'euros. Nous retomberons en 2023 à un étiage inférieur, de 17 millions d'euros. Nous devrons faire face, avec des travaux importants de mise aux normes du bâtiment qui accueille les salons de Boffrand et le restaurant du Sénat, à un nouveau pic d'investissements.
Nous veillons à ce que nos dépenses de fonctionnement ne dérapent pas.
M. Éric Bocquet. - Qu'est-ce qui explique la différence de budget de près d'un million d'euros entre LCP-AN et Public Sénat ?
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial. - Les effectifs de l'Élysée sont conformes à la feuille de route : un peu moins de 800 personnes. Une partie d'entre elles sont détachées ou mis à disposition, mais dans ce cas leurs traitements sont remboursés à leur ministère d'origine.
Je ne dispose pas de chiffres précis sur les sondages, mais l'Élysée m'a fait savoir que la plupart des enquêtes d'opinion étaient dorénavant financées par les services du Premier ministre. Je peux demander plus de précisions.
Le Conseil constitutionnel a vu ses effectifs croître pour faire face à la montée en puissance des QPC. De 61 personnes employées en 2012, le Conseil est passé à 76 personnes en 2020 et à 85 aujourd'hui. Il a modifié sa politique de gestion immobilière en conséquence, en louant des locaux au 7 avenue de l'Opéra afin d'accueillir du personnel supplémentaire.
Les produits du Sénat sont composés essentiellement des redevances de gestion des caisses de retraite et de sécurité sociale qui sont le résultat du principe de transparence financière entre ces différentes entités mais aussi de recettes domaniales.
L'augmentation des crédits de l'Agas est de 9,47 %, avec une subvention de 71 millions d'euros. Elle est liée au renouvellement électoral. Sans la prise en compte de la hausse du point d'indice, les dépenses augmenteraient de 5,8 %. Le reste de l'augmentation proviendrait de la hausse du point d'indice de la fonction publique, sur lequel la rémunération des collaborateurs est indexée.
La différence de budget entre Public Sénat et LCP-AN est liée aux dépenses d'exploitation, notamment le coût d'antenne qui est un peu plus élevé du côté de Public Sénat.
M. Vincent Capo-Canellas. - Les recettes des produits du Sénat concernent effectivement les redevances des caisses de sécurité sociale et de retraite, les redevances domaniales sur une partie du jardin, mais aussi les redevances versées par Public Sénat pour l'occupation des locaux que nous mettons à sa disposition.
Historiquement, la subvention à Public Sénat est supérieure à celle de LCP-AN. Mais depuis plusieurs années, elle est gelée, et LCP-AN rejoint peu à peu Public Sénat.
M. Claude Raynal, président. - Je rappelle que les avis du rapporteur spécial et du rapporteur général sont favorables.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Nous vous présentons ce matin, avec Éric Bocquet, nos principales observations sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Dans un second temps, nous vous présenterons également les principales conclusions du contrôle budgétaire que nous avons mené cette année, portant sur la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Le projet de loi de finances pour 2023 propose d'ouvrir 30 milliards d'euros en autorisations d'engagements (AE) et en crédits de paiement (CP) au titre de la mission. Cela représente une hausse conséquente de plus de deux milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, soit environ 8 %, qui s'explique principalement par l'indexation à l'inflation du montant des prestations sociales financées par la mission, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prime d'activité, auxquelles il faut désormais ajouter le RSA dans les départements où son financement a été recentralisé. À elles seules, ces prestations représentent plus des trois quarts des crédits de la mission.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Nous nous sommes intéressés à la dynamique importante des crédits de la mission depuis 2019. Si nous tirons le bilan de la période récente, nous constatons que chaque année, depuis 2019, des enveloppes supplémentaires ont été ouvertes en urgence sur la mission. D'abord, en réaction au mouvement dit des gilets jaunes, avec une majoration de la prime d'activité, qui représente un coût pérenne pour l'État d'environ 4,4 milliards d'euros par an. Ensuite, pendant la crise sanitaire, avec le versement au printemps puis à l'automne 2020 de deux aides exceptionnelles de solidarité en faveur des bénéficiaires des minima sociaux et des aides au logement, d'un montant de 150 euros avec une majoration de 100 euros par enfant à charge et représentant un coût de près de 2 milliards d'euros.
Enfin, en réaction à la forte accélération de l'inflation qui fragilise considérablement le pouvoir d'achat de nos concitoyens les plus modestes, deux nouveaux dispositifs d'urgence ont successivement été financés sur la mission. D'abord l'indemnité inflation fin 2021, qui cumule le défaut d'une aide à la fois limitée - 100 euros -, très peu ciblée - elle s'adresse à toutes les personnes percevant moins de 2 000 euros de revenus mensuels sans considération des revenus du foyer -, et très coûteuse pour le budget de l'État : 3,8 milliards d'euros, dont 3,2 milliards d'euros financés par la mission. Plus récemment, en LFR 2022, une aide exceptionnelle de rentrée de 1,2 milliard d'euros a ensuite été votée.
Nous avons dans cette commission, assurément, des visions très divergentes de la politique économique et budgétaire. Je pense cependant que nous pourrons tous nous accorder sur un point : cette politique du chèque ne constitue pas une politique sociale. Elle aide uniquement les plus pauvres de nos concitoyens à passer le mois, sans leur donner la moindre perspective, et ne résout en rien le problème de fond. Le budget de la mission ne peut pas, à lui seul, absorber des chocs sociaux qui trouvent leur racine dans nos fragilités structurelles. Je pense, en particulier, à la faiblesse des salaires.
Il y a certes des points positifs dans ce budget, tels que la déconjugalisation de l'AAH prévue à compter du 1er octobre 2023. Cette mesure était très attendue. On ne peut que regretter le temps perdu avant que cette réforme ne soit enfin arrachée au Gouvernement à la faveur de la campagne présidentielle.
Je m'en remettrai pour ma part à la sagesse de la commission quant à sa position sur l'adoption des crédits.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Je souhaite évoquer le budget de l'aide alimentaire. Cette politique ne représente qu'une faible part des crédits de la mission, avec 117,2 millions d'euros inscrits au PLF 2023, mais le sujet est crucial dans la période actuelle. En 2020, année marquée par la crise sanitaire, on estimait que 5,6 millions de personnes avaient fait appel à l'aide alimentaire. Le problème s'intensifie, car l'inflation très forte sur les produits alimentaires fragilise considérablement nos concitoyens les plus modestes.
La situation est également préoccupante pour les associations d'aide alimentaire. Celles-ci sont victimes d'un effet ciseaux entre un afflux de demandes qui ne faiblit pas et des moyens de plus en plus contraints. D'abord, l'envolée des prix de l'électricité alourdit fortement leurs charges de fonctionnement, tandis que la hausse des prix des carburants affecte les bénévoles se rendant sur les sites de distribution. Surtout, les tensions mondiales sur les marchés agroalimentaires sont à l'origine de nombreux lots infructueux dans les marchés passés pour leur compte par FranceAgriMer pour l'achat de denrées.
Ces achats sont en principe éligibles à un remboursement par l'Union européenne dans le cadre du FSE +. En pratique, les contrôles effectués en la matière sont si pointilleux qu'une partie significative des produits achetés est finalement déclarée inéligible au remboursement. Ce phénomène est désigné sous le terme délicieusement technocratique d'auto-apurement. La simplification des procédures est absolument indispensable. Cela fait maintenant plusieurs années que nous lançons l'alerte sur le sujet.
Dans ce contexte, il est indispensable de prendre des mesures de soutien efficace. À cet égard, nous nous félicitons que ce PLF prévoie de renforcer de 60 millions d'euros les crédits de l'aide alimentaire. Nous avons cependant des divergences quant à la méthode retenue puisque cette enveloppe est destinée à la création d'un fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires afin de financer des projets de transformation des structures en liant lutte contre la précarité alimentaire et soutien aux filières agricoles durables. Cela constitue une issue au débat qui a eu lieu à la suite de la Convention citoyenne pour le climat autour de l'introduction d'un chèque alimentaire, proposition que nous ne soutenons pas, car elle tourne le dos au modèle associatif français fondé sur le couplage de l'aide alimentaire et de l'accompagnement social. Nous considérons qu'il conviendrait de se montrer davantage pragmatique et d'utiliser cette enveloppe nouvelle pour soutenir directement le fonctionnement des structures, voire pour compenser de possibles lots infructueux, dans l'esprit de l'enveloppe de 40 millions d'euros qui avait pu être adoptée cette année en LFR sur une initiative de notre rapporteur général.
Pour le reste, je m'associe pleinement au constat dressé à l'instant par Éric Bocquet. Ce sont les revenus du travail qui permettent de sortir de la pauvreté et non des chèques distribués par l'État de temps à autre.
Néanmoins, en responsabilité et afin d'assurer le financement de la prime d'activité et de l'AAH, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Nous allons passer maintenant aux principales conclusions de notre contrôle budgétaire sur la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 par le Gouvernement, qui s'est déclinée localement par une contractualisation entre l'État et les départements, pour le cofinancement de projets relevant de leurs compétences d'action sociale, donnant naissance aux conventions d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (Calpae). La démarche a ensuite été étendue aux métropoles puis aux régions, avec moins de succès. Si l'on peut se féliciter des moyens nouveaux octroyés dans ce cadre aux départements, il nous semble important de rappeler que la mise en place d'un tel dispositif n'aurait pas été nécessaire si les départements avaient pu bénéficier d'une réelle compensation financière par l'État de l'exercice de leurs compétences sociales.
La contractualisation a porté sur deux volets : le premier correspond à des objectifs socles relevant de la stratégie pauvreté tandis que le second est dédié à des initiatives locales décidées par le département. Des tensions s'étaient d'emblée fait ressentir sur la question des indicateurs de performance nationaux adossés à ces contrats, trop nombreux, mal adaptés aux services d'information des départements, et dont la définition n'a pas fait l'objet d'une réelle concertation avec l'Association des départements de France. Il faut également rappeler que les Calpae apportent des financements utiles, mais marginaux au sein des budgets départementaux, même si leurs crédits annuels sont passés de 78 à 178 millions d'euros sur la période 2019-2021.
Il est encore trop tôt pour réellement évaluer l'impact des Calpae. Néanmoins, nous avons pu, à l'occasion d'un déplacement en Seine-Saint-Denis, constater le financement de projets tout à fait remarquables et innovants en faveur de l'inclusion dans l'emploi et de l'accès aux droits de publics en difficulté. Nous avons rencontré une équipe mobile de protection maternelle et infantile (PMI) chargée d'accompagner partout dans le département des femmes enceintes en difficulté dans l'ensemble de leurs démarches. Nous avons également visité deux associations innovantes. La première se concentrait sur la levée des freins périphériques à l'emploi. La seconde accomplissait un remarquable travail d'accompagnement vers l'emploi fondé en assurant une médiation entre les personnes en recherche d'emploi et les employeurs. Il faut saluer le dévouement admirable des acteurs mobilisés. Tous ont souligné l'utilité des financements Calpae.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Si nous devions tirer quelques enseignements en vue d'une prochaine génération de contrats, ils pourraient se résumer en trois axes.
Tout d'abord, il faut mieux anticiper et développer la concertation. La conclusion dans la précipitation des contrats en 2019, puis la nécessité de les proroger d'un an par deux fois en 2022 et 2023 attestent d'une forme de manque d'anticipation de la part de l'administration. Il faudrait accorder un temps suffisant à la concertation sur les modalités concrètes de mise en oeuvre des contrats et en particulier sur la question des indicateurs.
Ensuite, il convient d'assouplir la gestion des contrats. Le caractère annualisé des enveloppes calculées sur la base des résultats obtenus en année N-1 ne permet pas aux collectivités de connaître le montant dont elles disposeront au deuxième trimestre de l'année N. Un engagement pluriannuel sur les montants annuels de financement doit être privilégié. Il faut également laisser davantage de place aux initiatives locales, auxquelles ne sont aujourd'hui qu'une fraction minoritaire des enveloppes.
Enfin, il faut rationaliser le paysage contractuel. L'exécution des Calpae a été marquée par la multiplication de dispositifs analogues. À défaut d'un contrat unique, il faudrait au minimum articuler leurs objectifs et harmoniser leur calendrier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis également favorable à l'adoption des crédits, en dépit des remarques formulées par nos rapporteurs. En PLFR, il a fallu, pour tenir compte des difficultés qu'elles rencontraient, soutenir les associations d'aide alimentaire à hauteur de 40 millions d'euros. Je souscris aux propos des rapporteurs sur l'importance de préserver notre système associatif, reposant sur des bénévoles qui manifestent au quotidien leur engagement et leur solidarité, et assurent un contact humain et de la proximité.
Sur les Calpae : les collectivités, en lien avec l'État, mettent des moyens supplémentaires au bénéfice de la politique de lutte contre la pauvreté. L' « inflation » des actions lancées correspond certes à l'importante variété des besoins en la matière, mais les collectivités et les opérateurs concernés risquent parfois de se perdre dans ce maquis de dispositifs. La proposition de simplification des rapporteurs est à cet égard bienvenue, mais quel serait le chef de file ? Quelle proposition de gouvernance formuleriez-vous ?
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Notre constat est celui d'une forte adhésion des départements. Ils seraient les mieux placés pour assurer le rôle de chef de file - à condition de recevoir les ressources financières nécessaires -, en raison de leur proximité et de leur réactivité, en lien avec les associations, qui font preuve d'un grand engagement et d'une grande efficacité.
M. Rémi Féraud. - Ce budget est très politique. Les rapporteurs ont montré les conséquences budgétaires des choix faits. Quoi que l'on pense de la politique des chèques, une seule promesse du candidat Macron est assurée de ne pas être tenue : celle d'instaurer un chèque alimentaire. Il est abandonné sans discussion.
Les rapporteurs indiquent une augmentation des crédits de 8 %. Dans ce contexte, quel serait le cadre pour renouveler la « politique des chèques » de 2022 ? Les crédits demandés permettent-t-ils la mise en place d'un nouveau chèque de rentrée scolaire pour faire face à l'inflation ou un projet de loi de finances rectificative serait à nouveau nécessaire ?
Quel est le coût de la recentralisation du RSA en Seine-Saint-Denis ?
Les accords entre banques alimentaires et filières agricoles locales existent déjà. Ils sont une bonne idée. J'ai le sentiment que les rapporteurs n'y sont pas favorables. Pourquoi ? Si ce n'est qu'une possibilité, pourquoi s'y opposer ?
Mme Christine Lavarde. - Merci aux rapporteurs pour leur présentation équilibrée. Notre commission ne regrettera pas l'abandon du chèque alimentaire, au vu de ce que nos travaux ont montré sur son coût potentiel et le manque de préparation !
Nos rapporteurs ont comparé le budget pour 2023 au budget initial pour 2022, mais beaucoup de crédits ont été ajoutés au cours de l'année. Si l'on compare le budget pour 2023 avec le budget exécuté en 2022, on constaterait une quasi-stabilité. De nouvelles ouvertures de crédits sont-elles prévues en PLFR de fin de gestion pour 2022, ce qui augmenterait encore le budget de 2022 ?
Quel est l'impact de la revalorisation anticipée des allocations décidée en juillet ?
M. Jérôme Bascher. - Je suis effaré par les chiffres annoncés : la dotation annuelle pour l'aide alimentaire diminuerait de 12 % d'ici 2027 en termes réels. Sur quels chiffres de l'inflation sont-ils basés ? On a l'impression que l'inflation est supérieure sur l'alimentaire. Dans ces conditions, le chiffre de 12 % ne constitue-t-il pas une sous-estimation ?
Le chèque individuel est très efficace du point de vue électoral. Je suis moins sûr qu'il le soit du point de vue de l'accompagnement social ! Il me paraît plus judicieux de passer par les associations locales, qui repèrent les personnes qui en ont besoin et peuvent également apporter des conseils pour améliorer leurs habitudes de consommation alimentaire. Il est dommage de se passer d'elles et de leur rôle de cohésion, alors qu'on les subventionne par ailleurs, notamment par des crédits d'impôts.
L'État doit-il donner directement ou ne devrait-il pas s'appuyer davantage sur les collectivités locales ? Évidemment, la pauvreté n'est pas la même en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine.
M. Marc Laménie. - L'AAH représenterait un coût de 12 milliards d'euros en 2023. Son montant évolue-t-il ? Il manque toujours des places dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) et dans les entreprises adaptées.
Je souscris aux constats des rapporteurs quant à la situation difficile de certains départements en raison de la charge des allocations de solidarité et de la faiblesse des compensations perçues.
M. Pascal Savoldelli. - Au-delà du débat autour du chèque alimentaire, on devrait inventer une sécurité sociale alimentaire. Le problème est structurel. L'accès à une quantité de nourriture suffisante est primordial, mais la question du bien manger doit également être posée.
Les rapporteurs spéciaux évoquent l'effort national et européen sur l'aide alimentaire dans le cadre du FSE + et les menaces qui pèsent sur l'approvisionnement des associations. Lors des entretiens de Rungis, plusieurs associations dont les Restos du Coeur et le Secours populaire se sont alarmées d'une baisse de 50 % des dotations européennes. Ce serait catastrophique. Qu'en pensent nos rapporteurs spéciaux ?
Mme Isabelle Briquet. - Merci aux rapporteurs, en particulier pour leur focus sur l'aide alimentaire. Pourquoi sont-ils défavorables au lien entre aide alimentaire et soutien aux filières agricoles ? Certains projets fonctionnent très bien, entre des banques alimentaires et des producteurs locaux, dont certains voient leurs produits refusés par les grandes surfaces. Bien sûr, il ne faut pas créer de conditionnalité, mais ce peut être une démarche gagnant-gagnant, en permettant aux associations d'obtenir de qualité et donner des débouchés à certains petits producteurs.
M. Michel Canévet. - Quelle est l'évolution globale des dépenses des départements en matière de RSA ? Si la situation de l'emploi s'améliore, ils pourraient dégager des moyens pour d'autres politiques, en réalisant des économies sur le RSA.
Les associations d'aide alimentaire craignent la hausse de leur facture énergétique, alors que le respect de la chaîne du froid est absolument nécessaire. Des crédits sont-ils prévus pour les accompagner sur ce point ?
Tous les départements sont-ils signataires de conventions relatives à la lutte contre la pauvreté ? Aborde-t-on bien les questions de logement en lien avec les questions de pauvreté ou déplore-t-on, comme souvent, un fonctionnement en silo sur ces questions-là ?
M. Patrice Joly. - En 2020, la prime d'activité a été perçue par 4,5 millions de foyers. Quelque 10,8 millions de personnes ont reçu l'aide exceptionnelle de solidarité ; 38 millions ont reçu la prime d'inflation ; 5,6 millions de personnes fréquentent les associations d'aide alimentaire. Pas moins de 15 % de la population, soit 10 millions de personnes, sont concernées par la pauvreté.
La polémique sur la rémunération du travail pose la question de la répartition de la valeur. Cela a été mis en exergue par M. Pouyanné, président-directeur général de Total, dénonçant les affres subies par sa rémunération, passée de six millions d'euros à trois millions d'euros, pour se rétablir, à nouveau cette année, à six millions d'euros.
M. Sébastien Meurant. - Quel est le rôle des caisses d'allocations familiales (CAF) dans le versement des différentes aides ?
M. Claude Raynal, président. - La « politique des chèques » ne me pose pas de difficulté particulière, du moins à court terme. Elle correspond à un besoin précis à un moment précis, mais elle ne peut répondre, il est vrai, aux enjeux de fond que sont l'emploi, les salaires, etc.
L'action du secteur caritatif est utile, mais elle ne saurait être qu'un complément, et non constituer une politique en tant que telle. Il est bon que la population sache que c'est l'État qui lui vient en aide. La DGFiP a montré qu'elle était capable de payer les chèques relativement vite, alors que ce n'est pas sa vocation initiale.
Je suis plus inquiet en ce qui concerne la prime d'activité. Ce dispositif vise à faire en sorte finalement que la rémunération soit à la hauteur du travail fourni : cela signifie qu'il n'y a plus d'équilibre entre la production fournie par le travail et sa rémunération. Est-il normal qu'un travail qui a une utilité sociale et répond aux besoins d'une clientèle ne soit pas rémunéré à sa juste valeur ? Le déséquilibre semble s'accroître. Cela m'inquiète quant à la manière dont on conçoit le travail et les idées de juste rémunération et d'autonomie.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Je ne peux que partager vos propos sur la prime d'activité comme symptôme de l'insuffisance de la rémunération par le salaire. Il ne faut pas perdre de vue que, compte tenu de notre niveau de déficit, ce complément de salaire versé par l'État est payé à crédit au détriment des générations futures.
Certes la politique du chèque peut répondre à un besoin ponctuel, mais elle semble s'installer dans la durée depuis plusieurs années. Cela devient problématique.
Nous avons exprimé nos réticences à remplacer le système de l'aide alimentaire existant par un chèque alimentaire : les associations mettent en avant l'accompagnement social qui est lié aux distributions alimentaires ; elles soulignent aussi l'engagement des bénévoles. Certains pays européens ont fait des choix différents avec la distribution de chèques alimentaires, mais nous restons pour notre part attaché à notre modèle français, qui a des vertus de cohésion sociale beaucoup plus fortes., Ce système est aujourd'hui menacé par la hausse du coût de l'énergie, alors que les besoins des associations en la matière sont très importants, notamment au vu de la nécessité de faire fonctionner les chambres froides, par l'inflation sur les denrées alimentaires, et par le phénomène de lots infructueux dans le cadre des appels d'offres de France AgriMer. C'est pourquoi nous plaidons pour davantage de souplesse dans l'utilisation du fonds doté de 60 millions d'euros : nous ne sommes pas opposés par principe à un tel fonds pour de nouvelles solidarités alimentaires, organisées autour des filières et des circuits courts, mais cela passe en pratique par des appels à projets, un fonctionnement bureaucratique, des capacités de traitement locales, etc. Bref cela entraîne des délais ; or l'urgence est que les associations puissent payer leurs factures, acheter des denrées pour compenser les lots infructueux. Nous devons donc faire preuve de pragmatisme.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Nous sommes d'accord sur ce point. L'annonce de la création d'un fonds de 60 millions d'euros pour les nouvelles solidarités alimentaires est plutôt une bonne nouvelle, mais les associations ont besoin d'une aide urgente. Nous n'avons pas d'opposition de principe au développement des circuits courts entre les associations d'aide alimentaires d'un territoire et les producteurs locaux, mais il faudrait simplifier le dispositif.
Monsieur Bascher, vous avez raison d'être inquiet pour l'évolution de la dotation pour l'aide alimentaire ; avec une inflation de 6 % aujourd'hui, on peut s'attendre à une baisse en termes réels importante, probablement supérieure à 12 % sur 5 ans. On doit s'attendre à des problèmes très rapidement.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Si une nouvelle politique de chèques en 2023 devait avoir lieu, il faudrait une loi de finances rectificative, car rien n'est prévu dans le PLF actuellement. Madame Lavarde, la comparaison des budgets que nous vous avons présentée a été faite « à périmètre constant » entre la loi de finances initiale pour 2022 et le projet de loi de finances pour2023, et n'inclue donc pas les crédits votés en loi de finances rectificative pour l'aide exceptionnelle de rentrée.
La recentralisation du RSA représente un montant de 1,5 milliard d'euros, mais l'État reprend parallèlement des crédits aux départements en fonction de la moyenne des dépenses des trois années antérieures. La situation des départements pour le RSA est très variable. La recentralisation a surtout été envisagée pour les départements où le reste à charge était trop important : Mayotte, La Réunion ou la Guyane. Une expérimentation a aussi été lancée en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales, qui étaient volontaires. Dans l'ensemble, les dépenses pour le RSA sont plutôt stables, après une période de forte croissance les années passées.
Pour l'aide alimentaire, ce sont surtout les associations qui sont à la manoeuvre, en lien éventuellement avec les centres communaux d'action sociale (CCAS) ; certaines communes s'efforcent de nouer des partenariats intelligents entre leur CCAS et les associations, comme le Secours populaire, les Restos du Coeur, le Secours Catholique, etc., afin de cibler tous les publics.
Pascal Savoldelli a évoqué un risque de baisse des dotations européennes, mais nous n'avons rien entendu de tel. Les associations se plaignent aussi de la croissance des exigences bureaucratiques, car la loi dite « séparatisme » impose désormais aux associations qui reçoivent des dons en nature de les évaluer, ce qui comporte un risque d'erreur, tandis que la charge de travail pour les bénévoles augmente.
La perspective de manquer de denrées est réelle en raison des appels d'offres infructueux de FranceAgriMer. L'organisme s'efforce de passer des marchés pluriannuels, mais l'exercice est rendue périlleux par la situation internationale actuelle, avec des tensions importantes sur certaines denrées. Cela plaide pour du pragmatisme dans l'usage du fonds de 60 millions d'euros, car il n'est pas envisageable que les associations se trouvent à court de denrées. Aucun crédit n'est prévu actuellement pour aider les associations à surmonter la hausse de l'énergie.
Vous avez raison quant au fonctionnement en silo du dispositif de prévention de la pauvreté : oui, il faudrait simplifier, en confiant un rôle central au département, que de multiplier les dispositifs.
Marc Laménie, la mission finance la garantie de ressources des personnes accueillies en ESAT, mais la politique ESAT en elle-même ne relève pas de la mission. La situation des départements en fonction du poids de leurs dépenses sociales est là aussi très hétérogène. On peut s'inquiéter en raison du retournement du marché immobilier, car les recettes des départements en dépendent beaucoup.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Les dépenses d'AAH ont augmenté de près de 30 % entre 2018 et 2023. En réponse à la question de Sébastien Meurant, ce sont bien les CAF qui versent toutes les prestations financées par la mission.
Le montant forfaitaire de la prime d'activité est passé de 563,68 euros à 586,23 euros. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) estime que la hausse des dépenses sera de 190 millions en 2022, tandis que le coût total des revalorisations, notamment anticipées, atteindrait 660 millions d'euros l'an prochain.
Pour l'AAH, le montant forfaitaire est passé de 919,86 euros à 956,65 euros - les associations répètent que cela demeure inférieur au seuil de pauvreté. Le gain moyen par bénéficiaire est de 30,24 euros par mois. La DGCS évalue le surcoût par rapport aux revalorisations de droit commun à 192 millions cette année, et 186 millions d'euros l'an prochain.
L'impact budgétaire total des revalorisations de l'AAH, de la prime d'activité et du RSA est estimé à 1,6 milliard d'euros en 2023. Il explique en grande partie la hausse des crédits demandés en 2023.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Nous notons depuis quelques années un effort de sincérisation budgétaire. Les hausses ont été prises en compte dans le budget.
Je rappelle mon avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Je m'en remets pour ma part à la sagesse de la commission et m'abstiendrai à titre personnel.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Les années se suivent et se ressemblent : le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est toujours frappé d'insincérité. Autant le dire d'emblée, je vous proposerai de ne pas l'adopter !
En premier lieu, je regrette d'avoir obtenu de la part du Gouvernement seulement 34 % de réponses à mon questionnaire budgétaire dans le délai prévu par la loi organique relative aux lois de finances. On peut s'interroger sur la manière dont le Gouvernement considère le Parlement : il devient chaque année plus difficile d'obtenir les réponses. Ce n'est pas normal.
Par ailleurs, je regrette que le budget de cette mission soit très parcellaire. Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la présente mission. Il conviendrait notamment que l'aide médicale d'État (AME) soit incluse dans le budget de la mission. Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration, indiqué dans le document de politique transversale correspondant, serait de 7,1 milliards d'euros en 2023. C'est la première fois que l'on dépasse 7 milliards d'euros. Et ce montant n'inclut pas toutes les dépenses liées à l'immigration, loin de là.
Plus globalement, il est évident que le nombre des demandeurs d'asile et de réfugiés dépend étroitement du contexte géopolitique. Ainsi, la mission est notamment marquée cette année par l'accueil en France de personnes déplacées du fait du conflit en Ukraine. Il est d'ailleurs difficile d'avoir des chiffres exacts en matière d'immigration, c'est un problème structurel. Le rapport d'information des députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis montre que le nombre évalué d'immigrés clandestins en Seine-Saint-Denis varie entre 150 000 à 400 000 selon les estimations !
En outre, évidemment, je ne peux que souligner le faible taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) depuis plusieurs années ; il était de 6 % en 2021 et serait de 6,9 % sur la première partie de 2022. Avant la crise sanitaire, ce taux s'élevait à 13 %. On est loin de la promesse du Président de la République de porter ce taux à 100 % ! Selon le député de la majorité Jean-Carles Grelier, il y aurait 700 000 personnes sous OQTF dans notre pays. Il ne sert à rien de voter des lois si elles ne sont pas appliquées ! En matière migratoire, la volonté d'appliquer les lois n'est clairement pas au rendez-vous. Il en va de même des moyens puisque la lutte contre l'immigration irrégulière ne représente que 8,4 % du budget de la mission.
La situation s'aggrave de jour en jour. En particulier du point de vue de l'asile qui est, hélas, devenu l'une des principales filières d'immigration clandestine. Ainsi, à Mayotte, les demandes d'asile ont augmenté de 64,3 % entre 2020 et 2021. Mayotte et la Guyane concentraient 87 % des demandes d'asile outre-mer en 2021. Globalement, les demandes d'asile ont augmenté de 7 % entre 2020 et 2021 et le ministère estime à 135 000 les demandes qui seront déposées en 2023. Mais il est très vraisemblable que ce chiffre soit nettement sous-estimé tant la pression migratoire reste élevée.
Plus étrange encore, les dépenses de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) devraient baisser de 36 % en 2023. On voit mal comment cette baisse pourrait correspondre à la situation de l'asile l'année prochaine. Cela supposerait notamment que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) parvienne à diviser par deux ses délais de traitement en un an, sans que ceux de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) n'augmentent, et que la hausse du nombre de demandeurs d'asile soit limitée - des conditions qui me semblent singulièrement peu réalistes.
Un effort a été réalisé, depuis plusieurs années, sur notre dispositif d'accueil pour créer des places d'accueil, reflet de la volonté du Président de la République de répartir les migrants en province. Fin 2023, notre dispositif national d'accueil et d'hébergement comptera près de 109 000 places selon le Gouvernement, s'agissant des demandeurs d'asile. Près de 6 000 places d'hébergement supplémentaires seront créées au total en 2023, dont 2 500 en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) - soit 300 dans la région Auvergne Rhône-Alpes, 110 en Bourgogne-Franche-Comté, 190 en Bretagne, 210 dans le Centre-Val-de-Loire, 280 dans le Grand Est, 100 dans les Hauts-de-France, 200 seulement en Ile-de-France, 150 en Normandie, 230 en Nouvelle-Aquitaine, 350 en Occitanie, 150 dans les Pays-de-la-Loire, et 230 en Provence-Alpes-Côte d'Azur - 1 500 en centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) et 900 en hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), toutes en outre-mer. S'agissant des éloignements, 90 places sont créées au centre de rétention administrative (CRA) d'Olivet et 12 dans celui de Perpignan. Enfin, 1 000 places sont créées en centres provisoires d'hébergement (CPH), destinés aux bénéficiaires de la protection internationale les plus vulnérables.
Finalement, les crédits de cette mission sont dans la lignée des années précédentes. Il semble difficile d'estimer que l'État traite ces questions par le bon bout.
M. Roger Karoutchi. - Je note une certaine schizophrénie : on veut accueillir les réfugiés, mais on ne sait pas où les mettre, et lorsque ceux-ci s'installent dans des tentes sous les ponts, on fait semblant de regarder ailleurs... Il faudrait organiser une table ronde sur l'immigration avec tous les acteurs pour prendre des mesures, afin que si l'on décide d'accueillir des migrants, on les accueille de manière digne.
On compte 700 000 personnes ayant fait l'objet d'une OQTF dans notre pays : comme les OQTF deviennent caduques au bout d'un an, cela signifie que 700 000 personnes qui auraient dû partir sont restées. C'est la preuve de l'échec de notre système.
Le Gouvernement promet un texte sur l'immigration et l'asile. Mais je ne comprends pas comment le coût de l'ADA pourrait baisser alors que le Gouvernement prévoit 6 000 places d'hébergement de plus... Je crains que le Gouvernement ne demande une remise à niveau des coûts de l'ADA dans un prochain PLFR. La CNDA veut territorialiser ses instances, car elle n'arrive pas à traiter les dossiers. J'ai du mal à imaginer dans ces conditions que les délais de traitement de l'Ofpra baissent de moitié.
M. Arnaud Bazin. - Le Gouvernement invoque la baisse des délais d'instruction pour justifier la baisse des crédits de l'ADA. On peut être sceptique. Notre commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques s'était justement intéressée à une mission d'un de ces cabinets auprès de l'Ofpra, pour réfléchir aux moyens de réduire le délai d'instruction. Cette mission, qui semble d'ailleurs s'être mal passée avec les agents de l'Office, aurait-elle eu un résultat miraculeux ?
M. Rémi Féraud. - Cette mission budgétaire est très politique et peut être source de polémiques. Sans vouloir faire de la question des OQTF le point central, force est de reconnaître que l'on est loin des engagements du Président de la République dans Valeurs actuelles en 2019 qui promettait un taux d'exécution des OQTF de 100 %. Le problème, ce sont les engagements démagogiques !
Je partage votre scepticisme sur la sincérité du budget, notamment de l'ADA.
Notre rapporteur spécial fait un lien entre l'AME et l'immigration ; or il me paraît pertinent qu'elle figure dans la mission « Santé ». Il faut aussi évoquer l'hébergement d'urgence : beaucoup des personnes hébergées à ce titre sont en situation irrégulière, souvent non expulsables ; notre dispositif est engorgé. Si le Gouvernement entend réduire les délais d'instruction de l'Ofpra, il faut s'attendre à une hausse du nombre de déboutés du droit d'asile qui se tourneront davantage vers l'hébergement d'urgence ; or le budget de ce dernier est en chute libre... Bref quelque chose ne tourne pas rond et le budget n'est pas réaliste.
M. Christian Bilhac. - Je rejoins Roger Karoutchi : il serait bon de se mettre autour d'une table pour trouver des solutions et sortir des « y a qu'à » et des « faut qu'on » !
La situation géopolitique va rester tendue et le flux des réfugiés ne baissera pas. On aura beau construire des barbelés, les gens poussés par la misère ou la guerre viendront.
S'agissant des OQTF, j'ai l'impression qu'il en va un peu comme de la surveillance de nos eaux territoriales à La Réunion qui ne sont survolées par un avion de surveillance que périodiquement : on fait semblant d'agir !
M. Jean-Michel Arnaud. - Dans nos circonscriptions, nous sommes régulièrement confrontés à des situations de personnes faisant l'objet d'une OQTF, alors qu'elles sont bien insérées dans la société, travaillent et ont parfois construit une famille. Elles sont pourtant dans l'impossibilité de travailler légalement. Elles font un recours devant le juge ; au bout d'un an, l'OQTF tombe. Une nouvelle OQTF est prononcée, s'ensuit un nouveau recours, etc. Finalement, ces personnes deviennent des zombies dans la société alors qu'elles pourraient être parfaitement insérées. Pour les préfectures, prononcer des OQTF est une solution de facilité, faute de solutions d'accompagnement par les réseaux associatifs ou de l'État. De quels moyens les services déconcentrés de l'État devraient-ils disposer pour pouvoir traiter les dossiers de manière fluide et offrir des solutions adaptées et humaines ?
Il est difficile d'avoir un débat apaisé sur ces questions, de dépasser les oppositions entre ceux qui ont une vision humaniste et ceux qui ont une vision moins tolérante : notre commission pourrait-elle organiser une réflexion sur ces questions ? Nous pourrions ainsi faire notre travail d'évaluation et de contrôle, sur la base de chiffres objectifs.
M. Daniel Breuiller. - Je m'associe à ces propos.
Les demandes d'asile continueront à augmenter, car parfois les gens n'ont d'autre choix que de migrer pour sauver leur vie. Le réchauffement climatique ne fait qu'aggraver la situation. Je rappelle que le flux principal des migrations concerne l'Afrique, et non notre pays. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un sujet politique majeur que nous devons être capables de traiter.
Certaines personnes ayant reçu une OQTF sont pourtant bien intégrées. La presse se fait parfois l'écho de ces histoires, du cas d'un boulanger qui défend son employé, etc. Je me soutiens notamment de l'affaire des « 1000 de Cachan », ces sans-papiers qui occupaient un Crous à Cachan : tous travaillaient, évidemment en dehors de tout cadre légal. Ce sujet mériterait que nous débattions sereinement.
On joue à la patate chaude : on dépense des sommes folles pour évacuer des bidonvilles, tout en espérant que les gens ne reviennent pas et aillent dans la commune voisine... Trouver des solutions d'intégration coûterait moins cher, on l'a constaté dans le Val-de-Marne. Quelles seront les conséquences de la baisse du nombre de places d'hébergement ? Je plaide aussi pour l'organisation d'une table ronde : si les OQTF ne sont pas appliquées, ce n'est pas parce que ce gouvernement est incapable, la situation n'était guère différente avant.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. - Sur la baisse de l'ADA, nous verrons bien si McKinsey a bien fait son travail ! Mais j'en doute : une telle réduction des délais d'instruction de l'Ofpra dans les mois qui viennent semble bien improbable.
Le taux d'exécution des OQTF était de 22 % sous Nicolas Sarkozy. Il était de plus de 50 % en Allemagne avant la crise du covid. La moyenne en Europe est de 33 %. Il y a donc une spécificité française.
Je ne suis animé par nulle démagogie. Je souhaite depuis longtemps la création d'une mission d'information au Sénat pour chiffrer le coût de l'immigration, depuis l'aide au développement jusqu'à la prise en charge sur notre territoire. Cela permettrait de sortir des polémiques. Il ya plusieurs moyens de raccompagner une personne ; un retour forcé coûte très cher. Beaucoup reviennent aussitôt. Dans les Hautes-Alpes, l'État a dû voler au secours du département, dont les structures de l'aide sociale à l'enfance étaient déjà saturées, et qui a dû accueillir du jour au lendemain un flot de 1 250 personnes qui avaient passée le col de Montgenèvre. Il y a des trafics d'être humains.
Nous devrions examiner les faits sereinement. Ce n'est pas une question de droite ou de gauche : Didier Leschi explique bien dans Ce grand dérangement ; L'immigration en face pourquoi nous sommes les plus mauvais en Europe et comment nos procédures sont détournées. Les juges ont parfois un sentiment d'inutilité. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) est devenu un pavé massif qui s'est construit pas strates, sans rationalité. La moitié des recours en droit administratif concernent le droit des étrangers.
Évidemment, cela ne date pas d'hier, mais la tendance s'aggrave. Nul ne peut croire que le coût de l'ADA va baisser vu le contexte international. En ce qui concerne les OQTF, je ne reviendrai pas sur une affaire récente liée à un tragique événement.
On crée des places d'accueil supplémentaires, mais j'aimerais disposer d'une vision consolidée des chiffres entre les différentes missions. Nous devons y voir clair si l'on veut parvenir à maîtriser nos dépenses publiques tout en parvenant à traiter les gens humainement. On fabrique des sans-papiers à la chaîne. Il est très difficile d'obtenir un rendez-vous pour obtenir un titre de séjour. M. Karoutchi a parlé de schizophrénie, il a raison. Le livre de Stephen Smith La ruée vers l'Europe décrit une réalité. Il est temps de s'emparer sereinement de ce sujet sensible, car des personnes perdent la vie en traversant la mer. Il s'agit souvent de personnes prises dans des trafics d'êtres humains. La moitié des interventions de secours en mer sont ainsi liées à des secours aux migrants. Je déplore que la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi) ne comprenne pratiquement rien sur l'immigration, l'asile ou l'intégration. Or ces sujets sont liés ! Souvenons-nous aussi des attentats de 2015, ou de Nice en 2016.
La guerre est à nos portes. Évidemment, cela aura des incidences sur ce budget. Dans ces conditions, celui-ci semble bien insincère. Je déplore enfin l'absence de contrôle parlementaire sur ces questions stratégiques.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Arnaud, la question de l'immigration, de l'asile et de l'intégration est complexe et politiquement sensible ; elle ne peut se traiter uniquement à travers le prisme financier. Je ferai part de votre demande au président de la commission des Lois. S'il est facile de pointer du doigt les difficultés, il est plus compliqué d'avoir un discours construit et de faire des propositions sur ces sujets.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
La réunion est close à 10 h 55.
La réunion est ouverte à 11 h 05.
Enquête réalisée par le Conseil des prélèvements obligatoires sur la prise en compte par la fiscalité locale de l'objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) - Audition de M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes
M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Patrick Lefas, vice-président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), accompagné de M. Christophe Strassel, secrétaire général du CPO, et des magistrats qui ont préparé ce rapport.
Votre travail complète celui présenté il y a deux semaines par la Cour des comptes sur le financement des collectivités territoriales, dont vous reprenez d'ailleurs certaines propositions.
C'est peu de dire que le sujet du « zéro artificialisation nette » (ZAN) est un sujet d'actualité qui soulève de très grandes interrogations dans les collectivités locales. Vos travaux susciteront, j'en suis sûr, un très grand intérêt dans cette assemblée et je vous remercie de nous présenter vos conclusions avant que nous examinions la première partie du projet de loi de finances.
Cette commande faisait suite à un rapport remis par notre collègue Jean-Baptiste Blanc en juin dernier sur les outils financiers du ZAN. Vos travaux intéresseront également la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du ZAN, dont fait partie notre commission et qui est présidée par Valérie Létard dont je salue la présence parmi nous.
Je laisse la parole au président Lefas.
M. Patrick Lefas, président de chambre maintenu à la Cour des comptes. - Je dois d'abord vous prier de bien vouloir excuser M. Pierre Moscovici, président du CPO, qui n'a pas pu être présent ce matin. Vous aviez eu l'occasion de l'entendre le 12 octobre dernier, en sa qualité de Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation des « scénarios de financement des collectivités locales », et il avait pu mesurer lors de cette audition le vif intérêt que soulève au sein de votre commission le sujet du « zéro artificialisation nette » des sols, qui nous réunit aujourd'hui. Je suis venu ce matin, accompagné de Christophe Strassel, conseiller maître et secrétaire général du CPO, ainsi que des rapporteurs : Mme Claire Falzone, conseillère référendaire en service extraordinaire et M. David Carmier, conseiller référendaire.
J'ai grand plaisir à vous présenter aujourd'hui les conclusions de l'étude que vous avez commandée au CPO sur « la fiscalité locale dans la perspective du ZAN ». Il y a plusieurs raisons à cela.
La première d'entre elles réside dans le caractère novateur de la procédure par laquelle vous avez bien voulu saisir le CPO. Il s'agit en effet de la première utilisation de l'article L. 331-3 modifié du code des juridictions financières qui prévoit que le CPO « peut être saisi pour avis, (...) en vue d'apprécier les incidences économiques, sociales, budgétaires et financières de toute modification de la législation ou de la réglementation en matière d'impositions de toutes natures ou de cotisations sociales. Les résultats de ces études et avis (...) sont rendus publics ». Introduite par la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques, cette nouvelle compétence est doublement ambitieuse. Tout d'abord, par sa portée sur la formulation des politiques publiques d'abord, puisqu'elle permet au CPO d'intervenir en amont des décisions de politiques fiscales et de prélèvements sociaux afin de les éclairer, et plus seulement, comme cela était le cas jusqu'à présent, en aval de ces décisions pour faire des évaluations et recommander des correctifs. Ensuite, par les délais de réalisation des rapports concernés. Même si la loi n'impose rien au CPO dans ce domaine, nous avons souhaité pouvoir nous mettre en situation de répondre à ces saisines dans un délai de trois mois, afin d'inscrire les réflexions du CPO dans le temps de la décision politique, c'est-à-dire en l'occurrence de l'examen du projet de loi de finances par votre haute assemblée. Nous espérons, à l'occasion de ce premier rapport, attester de l'intérêt de cette procédure pour éclairer les choix politiques en matière de prélèvements obligatoires.
La deuxième raison pour laquelle je me réjouis d'être devant vous ce matin, vient de ce que le sujet sur lequel vous avez sollicité l'expertise du CPO concerne l'environnement. Dans les années qui viennent, les prélèvements obligatoires seront mobilisés de plus en plus souvent pour faire face aux enjeux liés à la transition énergétique et climatique. Dans ce domaine complexe de la fiscalité environnementale, presque taboue depuis la crise des gilets jaunes et le quasi abandon de la taxe carbone, le CPO souhaite contribuer à la définition d'une stratégie qui permette un infléchissement effectif des comportements, ce qui suppose que les instruments mis en oeuvre soient à la fois pertinents sur le plan technique, mais aussi acceptables pour nos concitoyens et pour les entreprises.
Le rapport que nous vous présentons aujourd'hui porte sur « la fiscalité locale dans la perspective du ZAN », avec ses deux jalons que vous connaissez bien. De 2021 à 2031, le rythme d'artificialisation des espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) doit être divisé par deux par rapport au rythme de la consommation réelle de ces espaces observée sur les dix années précédentes. D'ici 2050, la France doit atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette des sols.
Vous nous avez fait parvenir la commande de votre commission par votre lettre du 8 juin dernier. Comme je l'indiquais précédemment, nous avons souhaité pouvoir vous répondre en moins de trois mois, afin de rester dans le calendrier de l'examen du projet de loi de finances pour 2023. Pendant cette période, une cinquantaine d'entretiens ont pu être réalisés par l'équipe de rapporteurs auprès des différentes parties prenantes : administrations, collectivités territoriales, organisations professionnelles, entreprises. Ces entretiens ont été décisifs pour nous permettre de faire progresser notre réflexion puisqu'il n'existe aujourd'hui que très peu de littérature administrative et académique sur le ZAN, qui reste encore un sujet très neuf, y compris chez nos partenaires européens. Nous avons souhaité rester au plus près de vos préoccupations en organisant plusieurs temps d'échange avec votre rapporteur général et le sénateur Blanc, que je remercie pour leur disponibilité. Les réponses attendues du CPO portaient essentiellement sur deux questions : est-ce que l'objectif ZAN va modifier les équilibres financiers des collectivités territoriales et de leurs groupements, et si oui, quels ajustements peuvent-ils être envisagés ? La fiscalité locale peut-elle envoyer un signal prix aux acteurs économiques pour faciliter l'atteinte de l'objectif ZAN, et, si oui, quelles modifications doivent-elles y être apportées ?
Nos réponses à ces questions sont séquencées dans le temps et distinguent les mesures qui peuvent être envisagées à court terme et celles qui concernent des évolutions à moyen ou à long terme.
En termes de périmètre, notre étude a porté sur les prélèvements fiscaux locaux les plus susceptibles de jouer un rôle dans les comportements d'artificialisation des sols : les taxes foncières, la cotisation foncière des entreprises (CFE), la taxe d'aménagement, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), la taxe d'habitation sur les logements vacants, la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, la taxe sur les friches commerciales et les taxes spéciales d'équipement. Ce périmètre représentait, en 2021, 65 milliards d'euros de recettes, soit un peu plus du tiers de l'ensemble des impositions de toute nature, affectées aux collectivités locales ou collectées par elles. Nous avons exclu la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) parce qu'un rapport d'information de la commission des affaires économiques du Sénat avait fait un tour très complet du sujet en liaison avec les parties prenantes.
Partant de ce périmètre de prélèvements, notre réflexion a abouti aux trois grands messages suivants.
Tout d'abord, la fiscalité locale n'est pas responsable à titre principal de l'artificialisation, mais elle peut devenir un outil plus efficace au service de l'objectif ZAN.
Ensuite, un changement de paradigme pour adapter la fiscalité locale au ZAN est souhaitable.
Enfin, des travaux complémentaires sont nécessaires avant de conférer un rôle plus important à la fiscalité locale dans la mise en oeuvre du ZAN.
Concernant le premier constat, il nous semble important de souligner avec force que la fiscalité locale, telle qu'elle se présente aujourd'hui, est un déterminant très marginal dans les décisions qui conduisent à artificialiser des sols. Un rapport conjoint de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFFSTAR), qui constitue la principale analyse fiable à cet égard, aboutit sans ambiguïté à cette conclusion. Il montre notamment que le poids économique de la fiscalité locale - qui représente, par exemple, 5 % des charges dans une opération immobilière - ne peut avoir pour effet d'influencer de manière significative les décisions d'artificialisation. À l'inverse, la fiscalité locale n'incite pas davantage à lutter contre l'artificialisation des sols. Il n'y a, en effet, dans notre panoplie fiscale aucun instrument qui aurait pour effet d'inciter à la renaturalisation des sols, ou encore, à la conservation en l'état d'une parcelle non artificialisée.
De ces premiers constats, le CPO tire une première série de recommandations, tendant à mettre en oeuvre des dispositifs fiscaux ciblés favorables à l'objectif ZAN.
Les deux premières recommandations visent à utiliser la fiscalité pour limiter la vacance des habitations et réguler les résidences secondaires, afin de répondre à la demande croissante de logements.
Pour cela, il est proposé, en premier lieu, de supprimer le critère du nombre d'habitants, qui est fixé actuellement à 50 000, pour la taxe sur les logements vacants, tout en conservant le critère de tension sur le marché immobilier. La suppression du critère du nombre d'habitants est également proposée, pour la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.
En deuxième lieu, il est proposé de fusionner les deux taxes sur les logements vacants en une taxe unique qui serait transformée en impôt local.
Une troisième recommandation vise à mieux sensibiliser les collectivités locales aux outils existants pour lutter contre l'artificialisation, ces outils restant souvent mal connus et, en définitive, peu utilisés lorsqu'ils existent. Pour cela, il est proposé d'inscrire à l'ordre du jour des assemblées municipales et communautaires, dans le cadre du rapport triennal sur l'artificialisation des sols, un débat portant sur le recours aux instruments fiscaux concourant à l'objectif ZAN.
Une quatrième recommandation porte sur les exonérations et abattements appliqués à la fiscalité locale, qui devraient être mise en cohérence avec l'objectif ZAN, en étant réservés aux opérations non artificialisantes. Plus précisément, le CPO recommande de réserver les exonérations de taxes locales aux opérations sur zones déjà artificialisées, en particulier les opérations de recyclage urbain.
Toutes les mesures qui viennent d'être énumérées présentent comme caractéristique de pouvoir être mises en oeuvre rapidement.
Dans un deuxième temps de sa réflexion, le CPO a souhaité proposer des orientations à plus long terme. La logique générale de ces recommandations est de taxer, pour les mutualiser, les rentes qui seront engendrées par un foncier plus rare. Ainsi, du fait de la mise en oeuvre de l'objectif ZAN, le prix des terrains nus devenus constructibles risque d'augmenter dans des proportions importantes. C'est pourquoi le CPO propose d'augmenter le taux de la taxe locale sur les plus-values de cessions de terrains nus rendus constructibles et d'envisager la suppression de la clause dite des « 18 ans », au-delà de laquelle ces plus-values sont aujourd'hui exonérées.
Le CPO a par ailleurs considéré que le ZAN allait entraîner des différences importantes dans la dynamique des recettes foncières des collectivités locales. En effet, ce sont non seulement les taxes foncières qui vont évoluer différemment en fonction de la répartition des espaces constructibles sur le territoire, mais aussi la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui est aujourd'hui directement corrélée au développement des communes. Pour les communes éligibles, environ 4 200 en 2021, la DGF est déterminée en fonction du potentiel financier, de l'effort fiscal, de la population et du classement en zone de revitalisation rurale, lequel majore de 30 % l'attribution perçue.
En conséquence, le CPO attire dès à présent l'attention sur la nécessité d'intégrer les effets du ZAN dans les mécanismes de solidarité horizontaux et verticaux, à destination des collectivités et de leurs groupements.
Dans le même esprit, le CPO recommande d'intégrer les conséquences du ZAN dans la réflexion en cours sur la refonte du système de financement des collectivités locales. Ainsi, il est proposé, d'une part, d'envisager l'affectation des DMTO au bloc communal, comme la Cour l'a proposé dans le rapport qui vous a été présenté il y a 15 jours, et d'étudier la pertinence de taux variables de DMTO en fonction du caractère artificialisant des opérations immobilières. Il est proposé d'autre part d'intégrer les conséquences du ZAN dans les projections réalisées pour la réforme des bases locatives cadastrales et d'envisager des mesures de correction ou de compensation si les résultats vont dans un sens contraire à l'objectif.
Dans un troisième temps de sa réflexion, le CPO a exploré les sujets sur lesquels des travaux complémentaires sont nécessaires avant de pouvoir donner un rôle plus important à la fiscalité locale dans la mise en oeuvre du ZAN.
Tout d'abord, un chiffrage des impacts financiers du ZAN pour l'ensemble des parties prenantes (collectivités, État, entreprises, ménages) reste à réaliser. Pour le moment, seule existe une étude très partielle du cabinet Carbone 4 pour le compte de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui chiffre le coût de réhabilitation des friches commerciales dans une fourchette comprise entre 77 et 106 milliards d'euros. C'est intéressant, mais évidemment trop partiel. C'est pourquoi le CPO insiste sur la nécessité de ce travail de chiffrage, qui devrait être confié aux administrations compétentes qui seraient également chargées d'identifier les pistes de financement de ces coûts.
Par ailleurs, en l'absence d'un tel chiffrage, le CPO a considéré que toute réflexion sur une « taxe ZAN » serait très prématurée. En revanche, il recommande d'étudier l'extension de la couverture géographique des établissements fonciers à l'ensemble du territoire national - cela concerne deux régions - Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire -, ainsi que celle de la taxe spéciale d'équipement affectée à leur financement.
Enfin, le CPO recommande d'étudier la pertinence d'un système de bonus-malus dans le calcul de la taxe d'aménagement pour favoriser les opérations de dépollution ou de réaménagement et taxer davantage les opérations artificialisantes.
Le chemin qui reste à parcourir pour mettre en cohérence la fiscalité locale et l'objectif ZAN est donc encore long. Le CPO ne prétendait pas, dans le délai qui lui était imparti, traiter l'ensemble des conséquences du sujet, qui suppose un important travail de documentation, notamment en matière d'analyse économique et économétrique, de la part des administrations compétentes et des chercheurs avec l'aide des secteurs économiques les plus concernés, qui doivent s'emparer du sujet. Le CPO reste à la disposition du Sénat pour approfondir tel ou tel aspect du présent rapport. Il ne s'interdit pas d'y revenir de sa propre initiative dans un proche avenir, tant les enjeux qui sous-tendent cette question sont importants et encore largement inexplorés malgré l'urgence climatique.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition, avec le secrétaire général du CPO et les rapporteurs, pour répondre à vos questions.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour cette présentation complète et synthétique.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial de la mission « Cohésion des territoires » sur les programmes « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », « Aide à l'accès au logement », « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et « Politique de la ville ». - Je remercie également le CPO pour ce travail de grande qualité, d'autant qu'il n'existe pas de littérature sur le sujet. Tout est à construire. C'est ce qu'essaie de faire le Sénat avec la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette », présidée par Valérie Létard et dont je suis le rapporteur, qui rendra ses travaux dans les prochaines semaines. Le rapport du CPO alimentera nos travaux, car en marge de tous nos sujets ZAN qui interrogent les élus locaux, il y a en toile de fond le modèle économique du ZAN, son financement et les perspectives d'une nouvelle fiscalité locale.
En effet, vous ne pouviez pas en si peu de temps proposer un grand soir de la fiscalité locale, mais vous proposez de très nombreuses pistes que nous pourrions utiliser dès le projet de loi de finances.
Comme vous le signalez, il y a déjà des taxes existantes, dont s'emparent assez peu les élus locaux. Cela est regrettable car nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut fiscaliser ce sujet, en récompensant la vertu.
Des assiettes peuvent aussi être toilettées tout de suite.
Enfin, votre étude comporte un volet plus prospectif avec la nécessité de la création d'un impôt ou d'une taxe ZAN dans le cadre de la refonte de la fiscalité locale. L'aspect redistributif que vous abordez est essentiel, car il y aura des perdants du ZAN, ce qui implique des mécanismes de péréquation horizontale et verticale.
Nous avons au Sénat alerté sur les dangers de voter une loi trop vite, et sur la nécessité d'une approche territoriale ascendante, en partant des élus locaux, des schémas de cohérence territoriale (SCOT) et des droits de proposition. Les élus déposent dans chaque région des propositions via leur SCOT, puis les régions sont en train de prendre le relais pour discuter de ces propositions dans le cadre de la révision de leur schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Mais, votre rapport relève à juste titre que les villes moyennes dans leur périphérie notamment, et la ruralité, manquent d'ingénierie et d'accompagnement sur le sujet. Des réponses juridiques doivent être trouvées, éventuellement par la loi, et sans doute par les finances et la fiscalité.
S'agissant du renvoi aux travaux sur la TASCOM, nous aurions aimé en savoir plus.
Sur le modèle économique du ZAN, il faudra sans doute plus d'une étude, pour le chiffrer plus précisément. Vous produisez des chiffres concernant les friches industrielles qui sont très importants. En effet, pour l'heure nous ne savons pas si ce qui nous est proposé en matière de fonds friches, qui devient fonds vert, est suffisant pour répondre aux enjeux. Il apparaît que des sommes beaucoup plus importantes devront être mobilisées, mais il reste à savoir quelles seront les sources de financement.
Pour conclure, je souhaite évoquer les dispositifs fiscaux ciblés qu'on pourrait mettre en oeuvre rapidement.
Tout d'abord, la suppression du critère de 50 000 habitants pour la taxe sur les logements vacants et la majoration de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires me paraissent simples et rapides à mettre en oeuvre pour limiter la vacance et réguler les résidences secondaires.
Ensuite, je partage aussi votre étonnement sur la suppression du versement pour sous densité (VSD) l'an dernier. Il était certes peu utilisé, mais cela me paraitrait intéressant de le remettre au goût du jour.
Enfin, des réflexions sont en effet à mener sur les abattements et exonérations à la fiscalité locale. À ce titre, la suppression des niches fiscales artificialisantes me paraît intéressante.
La fiscalité est véritablement à même de modifier les comportements. Nous avons toutefois un léger désaccord sur le caractère artificialisant de la fiscalité. Nous sommes dans un pays qui s'est étalé, ce qui a généré par voie de conséquence de l'artificialisation et de la fiscalité.
Pour la réflexion plus prospective, de mon point de vue, il convient de taxer la rente, le comportement, ou du moins ouvrir le sujet sur la question dès lors que le foncier va devenir plus rare et plus cher. Il convient aussi de prendre en compte les écarts de potentiel fiscal. En effet, le littoral, la montagne, la ruralité sont restreints dans leurs capacités d'aménagement et seront ainsi pénalisés dans les possibilités de rendement pour financer le ZAN. Les dotations doivent sans doute être aussi revues.
Outre le potentiel fiscal, les rééquilibres nécessaires des critères de péréquation, pour qu'il n'y ait pas de perdants du ZAN, vont aussi être un sujet.
Sur la création d'un impôt ou d'une taxe ZAN, la suppression programmée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aurait pu être l'occasion de se pencher sur la question, mais les DMTO sont une piste très intéressante. Le transfert des DMTO au bloc communal changerait tout, et il pourrait en effet avoir un volet additionnel à ces DMTO, si la taxe d'aménagement ne suffit pas.
M. Claude Raynal, président. - Je suis très heureux que notre commission ait mandaté le CPO sur la question car nous imaginions bien qu'il y avait des interrogations sur le ZAN. Votre rapport démontre qu'il faut adopter une vision large du sujet. Il apparaît que de nombreux sujets peuvent assez rapidement faire l'objet de réformes, ou du moins de préconisations. D'autres nécessitent comme vous l'avez souligné des travaux complémentaires.
Dans tous les cas et de manière générale, ce sujet révèle encore une fois notre incapacité à travailler dans le bon ordre. Des textes sont votés et ensuite nous nous rendons compte que tout le travail préalable manque. Nous réfléchissons a posteriori à des sujets qui auraient dû être abordés par le gouvernement dès le dépôt du projet de loi. Cette pratique ne date pas que de ce quinquennat et de ce gouvernement, et a pu être constatée aussi pour la réforme de la taxe professionnelle. Je me félicite donc que le Sénat suscite cette réflexion en matière de ZAN.
Mme Valérie Létard, présidente de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « zéro artificialisation nette ». - Je souhaite tout d'abord remercier le président Raynal, le rapporteur général ainsi que le rapporteur de notre mission conjointe de contrôle, Jean-Baptiste Blanc, de leur invitation à cette réunion.
Cet éclairage du CPO sera particulièrement utile aux travaux du Sénat. Comme l'a constaté Jean-Baptiste Blanc lors de ses travaux précurseurs sur le sujet, et comme nous l'avons aussi constaté dans le cadre des travaux de la mission conjointe de contrôle, le Sénat est très attendu sur les solutions que nous apporterons à la fiscalité et au financement du ZAN. La demande de la commission des finances est donc essentielle. Elle n'est peut-être pas arrivée dans le bon ordre, il aurait fallu que le Sénat se positionne par rapport à une initiative gouvernementale qui aurait dû intervenir en amont.
Nos auditions ont aussi permis de constater que les études d'impact étaient bien trop muettes sur bon nombre d'aspects qui traitent du ZAN.
Notre mission conjointe de contrôle a identifié trois enjeux absolument centraux sur lesquels il nous faudra collectivement apporter des solutions.
Premièrement, il y a des « effets de bord » de la fiscalité au regard du ZAN. Originellement conçus pour d'autres fins - comme encourager la construction de logements ou taxer la détention de foncier valorisé grâce au bâti - nos impôts et taxes ne sont plus forcément adaptés à nos enjeux de transition environnementale du XXIe siècle. À tout le moins, il faut les repenser globalement.
Deuxièmement, il faut dégager de nouveaux moyens pour financer l'action de l'État et surtout des collectivités locales pour financer le « ZAN ». On s'oriente vers des opérations de recyclage foncier bien plus coûteuses que la construction nouvelle « simple » et des coûts de mise en réserve foncière qui augmenteront. Avec ces nouveaux équilibres, quelles ressources nouvelles prévoit-on pour la fiscalité locale ?
Troisièmement, et cet aspect me paraît fondamental, comment allons-nous aborder les effets redistributifs du « ZAN » ? Certains Français vont voir leurs terrains perdre fortement en valeur lorsqu'ils deviendront inconstructibles ; d'autres vont beaucoup gagner sans action aucune, grâce à la hausse des prix fonciers, voire la spéculation. Dans l'intérêt général, et dans un objectif d'équité, comment allons-nous modérer ces effets sur le patrimoine et les prix ?
Pour traiter de ces sujets, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Certains sujets sont simples, et pour ceux-ci nous pouvons avancer rapidement. Pour d'autres, il faudra mesurer l'ampleur et les conséquences des propositions que nous ferons. La réussite du ZAN passera par la capacité et les moyens que nous mettrons à trouver des solutions pour encourager à la mobilisation du foncier, tout en restant justes et équitables.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En premier lieu, je ne sais pas si le plan « France Nation verte » présenté par le Gouvernement, qui annonce à nouveau une nouvelle méthode, sera utile. Je crois autant au pragmatisme de notre assemblée, qui consiste au préalable à réfléchir à la manière de mettre en oeuvre le ZAN.
En deuxième lieu, il y a un enjeu majeur de financement. La suppression des taxes et impôts, remplacée par des dotations de l'État, a pour effet de déresponsabiliser, d'appauvrir et de créer des mécontentements. L'échec de la taxe carbone il y a quelques années ne doit pas être un prétexte pour éviter le sujet majeur de la fiscalité environnementale, qui doit être au coeur de nos débats, eu égard aux inquiétudes de nos concitoyens. Le Sénat doit donc solliciter des expertises pour construire des débats, avec des accords, des lignes directrices, mais aussi en prenant en compte les avis divers au sein de tous les territoires.
Cette méthode met parfois un peu plus de temps dans la recherche de modalités fiscales et financières, mais elle permet de trouver un point d'équilibre afin que le dispositif puisse fonctionner.
Je n'aurai que deux questions.
La première concerne votre proposition de fixer des taux variables sur les DMTO en fonction du caractère artificialisant des opérations immobilières. Avez-vous identifié des travaux existants qui permettraient d'approfondir cette piste, et avez-vous en l'état des éléments sur les niveaux de densité, sachant qu'il faudrait qu'ils soient adaptés aux situations locales ?
Ma seconde question porte sur les travaux de l'administration centrale s'agissant de la prise en compte de la problématique ZAN dans la fiscalité locale. En avez-vous identifié sur le terrain, en parallèle des réflexions que conduisent les collectivités territoriales ?
M. Patrick Lefas. - La définition des taux variables est une piste intéressante, qui devra toutefois être validée par le Conseil constitutionnel.
L'idée de base qui nous permet de dire qu'il s'agit de la bonne direction est qu'aujourd'hui, il y a une réduction des DMTO sur le neuf. La question se pose donc d'inverser cette logique actuelle.
Sur les travaux des administrations au sujet de la prise en compte de la problématique ZAN dans la fiscalité, nous avons beaucoup sollicité la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), la direction générale des collectivités locales (DGCL) et la direction générale des finances publiques (DGFiP). Notre rapport dresse finalement l'état de l'art et nous n'avons pas de réponse supplémentaire.
Toutefois, cela renvoie à la question des études d'impact. Sur la période 2009-2010, 31 000 hectares d'ENAF ont été consommés, contre 21 000 sur la période 2020-2021. L'étude d'impact, qui vous a été présentée au moment où vous avez examiné la loi, ne prévoyait qu'une prolongation de cette tendance. Cela revient en 2031 à consommer 10 000 hectares, c'est-à-dire d'avoir diminué la consommation de 60 000 hectares sur la période, soit 6 000 hectares par an. On était sur une tendance en 2020 à 240 000 hectares, et il faut passer à 180 000 hectares. Ce n'est pas grand-chose à l'échelle de dix ans, mais cela pose la question de qui va supporter cet effort.
Le ZAN illustre une nouvelle fois les faiblesses des études d'impact, qui font seulement l'objet d'un contrôle juridique préalable par le Conseil d'État. La même situation s'est posée en 2018 avec le vote annoncé de la taxe carbone, alors que notre rapport de 2019 a clairement démontré qu'elle n'affectait pas de la même manière tous les acteurs, selon qu'ils vivaient en ruralité ou en ville, qu'ils avaient une contrainte automobile ou bien qu'ils pouvaient s'appuyer sur des transports collectifs.
Il y a donc une nécessité à passer du descendant à l'ascendant, comme l'évoquait le rapporteur général.
La TASCOM est une problématique qui a une incidence sur les différentes composantes de la distribution, les problématiques d'acteurs ainsi que le rôle du commerce en ligne. Les acteurs de la profession doivent donc être consultés.
M. Stéphane Sautarel. - Le ZAN est une question prioritaire pour nos territoires et pour nos élus. Je voudrais insister sur la notion de différenciation dans sa dimension juridique et fiscale. Au-delà de la compétence du CPO, cette question pourrait-elle être traitée sous l'angle du financement des collectivités territoriales ? C'est-à-dire dans son volet fiscal mais aussi à travers d'autres sources de financement, en résonance avec le rapport que la Cour des comptes nous a présenté la semaine dernière. Vous y faites notamment référence dans la proposition relative aux DMTO. Par ailleurs, je voudrais insister sur une approche, plus incitative que punitive, ce sont les fameuses aménités rurales qui ne pèsent au sein de la DGF que 30 millions d'euros, mais qui pourraient être un levier afin de répondre aux enjeux des ZAN. Comment pensez-vous que cette dimension pourrait être activée ?
M. Bernard Delcros. - Je partage tout à fait le point de vue du président de la commission des finances. Ce sujet illustre parfaitement le fait que l'on vote d'abord un texte et qu'on se préoccupe seulement ensuite des conséquences de ce dernier. Or, souvent nous sommes amenés à colmater les brèches.
En préambule, mon point de vue est que le ZAN doit être appliqué de façon différenciée, même si la question de la sobriété foncière est réelle, selon les territoires, urbains et ruraux, sauf à vouloir condamner des territoires ruraux à disparaître.
Sur la question de la fiscalité, il y a certes un surcoût à l'application du ZAN et il est nécessaire d'y apporter des réponses. Pour ma part, je ne suis pas favorable à la création d'une taxe supplémentaire spécifique ZAN. Les réponses peuvent, peut-être, être apportées par des réorientations de fiscalité locale et très certainement par des aides à l'investissement lorsqu'il s'agit d'acquérir ou de réhabiliter des immeubles afin de réduire le surcoût par rapport aux constructions neuves.
Pensez-vous que l'ensemble de vos propositions peuvent être appliquées de manière identique dans les territoires urbains et ruraux ? Je pense par exemple à la proposition tendant à réserver les exonérations de taxes locales aux opérations sur zones déjà artificialisées, intéressante en elle-même, mais la question des friches, des zones déjà artificialisées, ne se pose pas de la même façon en milieu urbain et rural.
Enfin, pourrez-vous nous préciser les modalités de mise en oeuvre de la proposition tendant à intégrer les effets du ZAN dans les mécanismes de solidarité horizontaux et verticaux à destination des collectivités ?
M. Antoine Lefèvre. - Le sujet du ZAN interpelle de plus en plus et fait craindre une fracture territoriale. À la suite de Valérie Létard, je dirais qu'une partie de nos concitoyens et de nos élus n'ont pas encore conscience des conséquences de ce dispositif. Un dispositif de lissage fiscal entre les collectivités, par exemple la réaffectation d'une part de dotation, serait une première étape. Dans un deuxième temps la rationalisation à marche forcée de l'urbanisation des territoires qui est visée par l'objectif ZAN va faire grimper la valeur du foncier. Dès lors, comment éviter que la spéculation immobilière ne se glisse dans les appels d'offres et que l'objectif de sobriété foncière ne se traduise plus que par un vaste marché spéculatif du foncier constructible ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Je suis opposée au ZAN. Je ne comprends pas l'objectif de zéro, je trouve que cela va trop vite et qu'on est passé d'une artificialisation dérégulée à l'interdiction totale. Je suis opposée à toute évolution de la fiscalité locale sur ce sujet étant donné que nous ne sommes d'accord ni sur l'objectif ni sur la trajectoire. Il y a deux ans, personne ne connaissait le ZAN. Aujourd'hui artificialiser est devenu un crime. On va créer une révolte au sein des territoires, notamment ruraux. On est en train de retirer un droit essentiel, celui à vivre dans le territoire où on est né. Je ne vois pas au nom de quoi on fermerait des territoires à l'accueil des populations. Nous n'avons pas suffisamment réfléchi à ces questions fondamentales. La solution consistant à recycler des friches pour accueillir les populations dans les territoires me semble trop simpliste et trop coûteuse puisqu'elle augmente le coût du foncier. Enfin, nous sommes soumis à des injonctions contradictoires puisqu'on doit relocaliser nos industries ou accueillir les populations. Je reste donc perplexe et demeure dans l'attente d'un débat sur l'objectif et la trajectoire.
M. Michel Canévet. - Le travail mené par le CPO nous sera certainement très utile pour bien appréhender la question importante du ZAN. J'ai pour ma part deux questions sur les recommandations du rapport. D'abord, sur la recommandation numéro une, s'agissant de la taxe sur les logements vacants : pourquoi ne l'étendez-vous pas à toutes les communes françaises et pourquoi supprimer le critère des communes de 50 000 habitants ? Je pense, en effet, que cette taxe doit être instituée à la diligence des conseils municipaux sur l'ensemble du territoire national. Ensuite, s'agissant de la recommandation numéro sept relative aux DMTO, si l'idée de les confier aux communes est une bonne chose, il est nécessaire de faire attention aux disparités de financement entre les communes. En effet, les DMTO génèrent dans certaines communes des recettes considérables, du fait des prix élevés de l'immobilier et de la part des résidences secondaires. Or, il est nécessaire de trouver un critère de pondération afin de faire bénéficier de cette manne l'ensemble des communes.
M. Charles Guené. - Je ne reviendrai pas sur les problèmes techniques d'application du ZAN qui n'en sont qu'à leurs balbutiements. Je voudrais en complément des observations du président et du rapporteur général, souligner le rôle du Sénat dans les travaux qui nous sont présentés durant ce mois sur la fiscalité locale et également leur complémentarité, notamment avec l'enquête de la Cour des comptes portant sur les scénarios de financement des collectivités territoriales. Ce rapport du CPO, complété par l'expertise de Jean-Baptiste Blanc, introduit une dimension environnementale qui nous manquait et soulève à la fois des problèmes d'équité territoriale mais aussi la question du lien entre la fiscalité et les comportements des acteurs. L'ensemble de ces éléments apporte de la matière à la refonte inéluctable de la fiscalité locale s'agissant d'un système âgé de plus d'un demi-siècle devenu totalement obsolète.
M. Vincent Segouin. - Je rejoins les propos de Sylvie Vermeillet. Je n'ai pas encore mesuré toutes les conséquences de la disposition législative fixant l'objectif du ZAN et je pense que cette dernière va engendrer de lourds problèmes. En effet, les maires risquent de penser qu'ils perdent leur compétence quant à l'urbanisation de leur commune.
S'agissant de la question des finances, l'objectif essentiel de la loi est de transformer des friches pour les rendre habitables. Si cette finalité est louable, elle va néanmoins impliquer un coût de traitement supplémentaire qui va augmenter le prix des biens immobiliers. En conséquence, ce surcoût risque de détourner les investisseurs immobiliers des territoires ruraux car la rentabilité ne sera pas suffisante. Je suppose que ces coûts de traitement seront compensés par des aides publiques mais j'ai besoin que l'on m'éclaire sur le sujet, qu'en est-il exactement ?
Ensuite, concernant les terrains constructibles qui risquent d'être déclassés et donc devenir non-constructibles et perdre par conséquent en valeur, ce point soulève deux interrogations financières. En premier lieu, sur ces terrains, une fiscalité a été appliquée en tant que terrains constructibles. Or, lorsque ces terrains deviennent déclassés, est-ce qu'un remboursement du surplus de la fiscalité prélevée est prévu, notamment s'agissant de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) ? En second lieu, un apport d'argent public est-il prévu pour compenser les pertes des propriétaires de ces biens ?
M. Daniel Breuiller. - Je vous remercie pour ce rapport très éclairant. La question qui me paraît centrale est celle de la valorisation des aménités naturelles que vous avez qualifiées de rurales. Je les qualifierais de naturelles car le problème se pose également dans les métropoles. J'ai publié un article qui disait que « la métropole sera verte ou invivable » et qui soulignait que la nature ne paye pas de droit à construire quand le bâti en paye. Ce constat aboutit à beaucoup d'arbitrages. Par exemple, la métropole du Grand Paris, sur un périmètre pourtant de petite taille, a consommé 1 600 hectares au cours des vingt dernières années. Ainsi, le ZAN est tout à la fois une question rurale et urbaine si l'on veut revaloriser les conditions de vie dans ces espaces.
J'appuie les réflexions menées sur les DMTO et je m'interroge sur l'existence d'autres pistes. Je pense par exemple à la possibilité d'instaurer des niveaux de TVA différenciés. Si le surcoût induit par la reconstruction immobilière sur l'existant ne fait aucun doute, il faudrait joindre à nos réflexions le coût des artificialisations excessives. On le mesure très facilement lors d'inondations ou de catastrophes naturelles mais on peut également l'apprécier de façon moins visible, lorsque l'on songe au rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sur l'effondrement du vivant et la disparition d'espèces. Nous avons tendance à penser que ce ne sont pas des problèmes graves jusqu'au moment où ces derniers atteignent des niveaux qui remettent en cause notre qualité de vie.
Enfin, des réponses différenciées doivent être apportées en fonction de la nature des communes, rurales ou urbaines. J'avais suggéré que la promotion immobilière finance la « re-naturation » de la ville, notamment de la métropole du Grand Paris. En outre, j'avais proposé que tout projet immobilier fasse l'objet d'une contribution à hauteur de 1 % de son budget pour la « re-naturation » des communes. Deux grands promoteurs immobiliers m'avaient même auditionné et avaient fait part de leur intérêt pour cette proposition.
Mme Valérie Létard, présidente de la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application du « Zéro artificialisation nette ». - L'inquiétude qui remonte des territoires est bien l'objet de la mission commune de contrôle du Sénat, regroupant des membres des quatre commissions qui sont à son initiative. Sa finalité, au travers de l'ensemble des auditions menées, est que la loi « Climat et résilience » déjà adoptée, ainsi que ses décrets, qui sont allés pourtant bien au-delà de ce qui a été décidé en commission mixte paritaire, ne soient pas aux antipodes des aspirations des communes. En effet, la question de la méthode a été centrale dans nos travaux. Jean-Baptiste Blanc l'a rappelé, le gouvernement a pris conscience de la percussion entre cette loi avec les projets de lois que nous examinons actuellement, comme celui relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Le Sénat a aujourd'hui un travail déterminant à mener pour poser des curseurs sur des enjeux unanimement partagés tels que les projets d'intérêt national ou les échéances temporelles de mise en oeuvre du ZAN. Sur ce point, suites aux conférences des SCOT et aux restitutions de la copie des SRADDET, les régions doivent prendre des décisions à l'horizon de février 2023.
S'agissant du fonds vert, a-t-on évalué le besoin de requalification des friches ? Des études d'impact ont-elles été menées ? Savons-nous si ce fonds correspond au besoin attendu ? La question de l'ingénierie pour accompagner les transformations se pose également. Celle de la gouvernance est, en outre, déterminante pour la mise en oeuvre du ZAN et la réussite de cet objectif. La ruralité, le littoral, les zones de montagne, l'outre-mer illustrent l'impossibilité d'avoir une mise en oeuvre unique et commune à l'ensemble des territoires. Nous réinterrogeons l'ensemble de ces questions. Les travaux de la commission des finances et du CPO nous ont permis de connaître le champ des possibles quant à ces différentes interrogations et à leurs réponses et il est regrettable que ce travail n'ait pas eu lieu en amont.
M. Claude Raynal, président. - Est-ce qu'un mécanisme de droit à artificialiser a du sens ? En effet, les communes pourraient avoir un droit à artificialiser qui serait revendable.
M. Patrick Lefas. - La question du marché des droits à artificialiser a été étudiée avec CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts. Ce marché en est à ses balbutiements mais il y a une piste, et je pense que l'Union européenne va s'intéresser à la question des droits à artificialiser et donc à des marchés qui permettront ces échanges ou des montages financiers plus complexes. Mais cela ne pourra pas se situer au niveau de la commune, ce sera à un niveau suprarégional. Même dans le périmètre d'une grande région ce serait compliqué. C'est un sujet qui dépasse cependant la commande qui nous a été faite.
Je voulais attirer votre attention sur les développements de la page 17 du rapport qui montrent que plusieurs problématiques sont à l'oeuvre avec un certain nombre d'objectifs volontaristes qui vont contribuer à la pression immobilière : l'agriculture, notamment l'objectif de sécurité alimentaire, l'énergie, afin d'augmenter la part des énergies renouvelables, ou encore la réindustrialisation, avec la nécessité de développer des zones d'activité. Mais à l'inverse, les dernières projections de l'INSEE concernant la population française prévoient, pour 2050, une population totale de 69 millions d'habitants, alors qu'on était plutôt jusqu'à présent sur une trajectoire à 74 millions. La prévision de croissance démographique est donc revue à la baisse. Ainsi, la principale composante sur le besoin de logement est le vieillissement de la population, tandis que la croissance démographique et la décohabitation, liée à l'augmentation des séparations ou aux mises en couples de plus en plus tardives, auront sans doute un effet plus modéré. Cela démontre aussi que les aires d'attraction des villes vont concentrer, dans la plupart des régions, l'essentiel des besoins futurs et que les communes rurales ne seront donc pas la variable d'ajustement. Il existe des enjeux d'aménagement du territoire, des projets d'intérêt national, qui démontrent que la négociation des schémas directeurs est essentielle.
Concernant l'observation sur la recommandation relative à la taxe sur les logements vacants, à savoir, pourquoi ne l'étendons-nous pas à toutes les communes ? Tout simplement parce que c'est constitutionnellement impossible, car il faut tenir compte des zones sous tension, or ce n'est pas le cas de toutes les communes.
S'agissant des DMTO, il est nécessaire de réfléchir aux conséquences à la fois pour la fiscalité locale, notamment du point de vue des particuliers car il y a un enjeu de dépréciation, avec aussi la question du taux de rendement des propriétés foncières non bâties. Il est actuellement faible, lié au statut de fermage, et le fait de contribuer à l'écosystème devrait s'accompagner d'une rémunération, avec le meilleur système pour les acteurs concernés et pour la fiscalité.
Mme Claire Falzone, conseillère référendaire en service extraordinaire. - Concernant le lien avec le rapport réalisé par la Cour des comptes sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, la dimension liée à la transition écologique avait été intégrée, mais pas le ZAN en particulier. La Cour avait notamment proposé de réaffecter à l'État certains éléments de fiscalité relative à l'énergie aujourd'hui perçus par les collectivités territoriales, afin de lui laisser la maîtrise de ces dispositifs dans le cadre plus large de l'élaboration d'une stratégie nationale écologique, sans avoir à se préoccuper de la question de la compensation financière des collectivités concernées, mais elle n'avait pas été jusqu'à analyser chaque politique publique comme le ZAN. Il existe un autre point commun entre ce présent rapport et celui de la Cour sur la question des critères de répartition. La Cour a mis en exergue que les critères actuels de répartition des dotations étaient obsolètes et illisibles, et dans un contexte de transferts d'impôts nationaux vers les collectivités, la question de ces critères prenait une place importante. Mais ces critères, qui tiendraient compte par exemple des espaces naturels, restent aujourd'hui à inventer.
Enfin sur la question de la différenciation des droits à artificialiser, qui relève essentiellement de la gouvernance, le rapport laisse une palette la plus largement ouverte à la disposition des maires.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 27 octobre 2022
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Je salue Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales et rapporteure pour avis sur ce texte, qui présentera les articles dont sa commission s'est saisie.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons aujourd'hui à examiner le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui, comme vous le savez, a été rejeté mardi par l'Assemblée nationale.
De mon côté, tout en émettant certaines critiques, je ne proposerai pas le rejet du texte. Au contraire, je vais vous soumettre des amendements reflétant ce que je crois être la trajectoire corrigée et la bonne programmation de nos finances publiques pour les années à venir.
Commençons par le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement, détaillé au rapport annexé au projet de loi, à commencer par le taux de croissance retenu et l'objectif de plein emploi.
À court terme, le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 2,7 % en 2022 et de 1 % en 2023. Sur cette base, il estime que la croissance du PIB entre 2021 et 2023 aura principalement été portée par la consommation des ménages et, dans une ampleur moindre mais tout de même remarquable, par la consommation des administrations publiques.
À moyen terme, c'est-à-dire entre 2023 et 2027, le scénario gouvernemental s'appuie sur l'hypothèse d'une croissance de 1,7 % par an en volume et en moyenne, ce qui est au-dessus de sa prévision de croissance potentielle de 1,35 % et permettrait de refermer l'écart de production à la fin de la période de programmation.
Comme nos auditions l'ont montré, la prévision de croissance du Gouvernement à l'horizon 2027 s'appuie sur les effets attendus d'un certain nombre de réformes structurelles, notamment sur l'emploi. Sont principalement citées les réformes de l'assurance-chômage et des retraites.
À cet égard, d'après les données transmises au Conseil d'orientation des retraites, le Gouvernement considère que le taux de chômage refluera au niveau de 5 % de la population active en 2027, ce qui serait une première depuis 1978.
En parallèle, le rapport annexé indique que la population active pourrait augmenter à la faveur d'une réforme des retraites. Ainsi, d'après nos calculs fondés sur les travaux réalisés par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et la direction générale du Trésor, une réforme visant à reculer de deux ans l'âge d'ouverture des droits à raison d'un trimestre par génération pourrait faire augmenter la population active d'environ 0,6 % en 2027 par rapport aux projections de l'Insee.
Enfin, le Gouvernement estime que l'inflation devrait se normaliser progressivement à compter de 2025, c'est-à-dire revenir à des niveaux proches de 2 % ou inférieurs. Les taux souverains se stabiliseraient en conséquence, mais demeureraient à des niveaux très importants. Ainsi, en comparaison de la situation à la fin de l'année 2021, le taux de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à dix ans serait supérieur, en 2027, d'après le Gouvernement, de plus de 255 points de base.
À l'exception des prévisions en matière d'inflation, et si l'on écarte à ce stade la question des taux d'intérêts, le scénario macroéconomique du Gouvernement repose sur des hypothèses très - pour ne pas dire « trop » - favorables.
Pour commencer, la prévision de croissance de 1 % en 2023 semble en réel décalage avec le consensus des économistes. Ainsi, au mois d'octobre 2022 le Consensus Forecasts estimait la croissance du PIB à 0,3 % pour l'année 2023. Certes, l'intervalle des prévisions est large, mais celle du Gouvernement se situe dans la limite très haute, ce qui n'en renforce pas la crédibilité.
Concernant la croissance potentielle, le président Raynal et moi-même avons sollicité les estimations de plusieurs instituts de conjoncture afin de les comparer à celle du Gouvernement, qui est, je le rappelle, de +1,35 % par an. En l'occurrence, les réponses des conjoncturistes, que nous avons complétées des évaluations du Fonds monétaire international (FMI) et de la Commission européenne, convergent vers une croissance potentielle moyenne de 1,05 % par an, ce qui est très en dessous de l'estimation du Gouvernement.
On peut l'expliquer, entre autres, par le fait que le Gouvernement surestime, dans son projet de loi de programmation, les effets à court terme des réformes structurelles qu'il souhaite engager.
Que l'on me comprenne bien : l'ensemble des réformes structurelles évoquées par le Gouvernement sont absolument nécessaires. Nous avons besoin d'une réforme des retraites qui permette d'en assurer l'équilibre à long terme. Nous avons besoin de renforcer le taux d'activité des seniors. Nous avons besoin de réformer le fonctionnement de l'assurance chômage et du service public de l'emploi pour réduire le taux de chômage.
M. Pascal Savoldelli. - Des réformes !
M. Jean-François Husson, rapporteur. - À chaque fois que ces réformes seront proposées et que leur contenu répondra vraiment aux enjeux économiques, nous répondrons présents.
Mais il faut également garder en tête un élément de lucidité et de responsabilité : les effets positifs de ces réformes de long terme ne se feront ressentir qu'après quelques années.
Aussi, lorsque le Gouvernement indique que l'activité augmentera grâce à une réforme des retraites qu'il ne fait pour l'instant qu'annoncer, il convient de lui rappeler que, selon les modèles macroéconomiques mobilisés par la direction du Trésor, une telle réforme ne fait augmenter le PIB qu'au bout de dix ans.
Enfin, s'agissant de l'hypothèse d'une réduction du taux de chômage à 5 % en 2027, attention à ne pas confondre slogan de campagne et scénario macroéconomique rigoureux. Je souhaite à notre pays d'atteindre ce résultat, mais, à ce stade, le Gouvernement est bien seul à faire cette prévision : tant le FMI que l'OFCE considèrent que le chômage devrait se maintenir aux environ de 7,5 % d'ici à 2027. J'estime donc que le scénario macroéconomique retenu repose sur des hypothèses si favorables qu'il en devient fragile.
J'ai envisagé de réviser l'ensemble de ce scénario afin de lui préférer des hypothèses plus crédibles et proches du consensus des économistes, avant d'écarter cette option : il est primordial que le débat sur la trajectoire des finances publiques ait lieu. Or modifier le scénario macroéconomique du Gouvernement impliquerait, une fois décidées les options retenues, de réviser l'ensemble des agrégats de finances publiques : part des dépenses et des recettes dans le PIB, solde public, solde structurel, etc. En aussi peu de temps et avec les moyens dont nous disposons, cela me semble difficile. De plus, cela introduirait une véritable confusion dans nos débats, alors que je souhaite proposer une trajectoire de finances publiques alternative à celle du Gouvernement, plus rigoureuse et sérieuse, y compris à l'égard de nos partenaires européens. Je partirai donc de ce scénario macroéconomique pour pouvoir comparer notre proposition et trancher sur le véritable point essentiel : l'ampleur des efforts à réaliser pour redresser nos finances publiques.
Sous ces réserves, la trajectoire de finances publiques proposée par le Gouvernement apparaît peu ambitieuse.
Ainsi, le déficit public resterait supérieur à 3 % du déficit jusqu'en 2027. Pour rappel, nos partenaires européens repasseraient sous la barre des 3 % de déficit avant 2025.
Notre endettement public ne refluerait pas avant 2026 et resterait à des niveaux encore très importants : près de 111 % du PIB en 2027.
Je dirai quelques mots sur chacun des secteurs d'administration publique.
Le projet de loi programme une augmentation de crédits pour la plupart des missions du budget général, la seule baisse notable concernant la mission « Plan de relance », qui est, par nature, en extinction progressive. La charge de la dette aura un impact majeur dans cette trajectoire, également marquée par les principales priorités affichées, telles que la défense, l'éducation nationale et l'écologie. Le Gouvernement a choisi les politiques sur lesquelles il convient de rajouter des crédits, pas celles sur lesquelles des économies seraient possibles.
La programmation prévoit aussi une stabilité de l'emploi entre 2023 et 2027, en partant de l'année 2023, marquée par une hausse d'environ 10 000 emplois. En conséquence, aucun effort particulier n'est engagé. Quant à la masse salariale, le projet de loi de programmation ne comporte aucune mesure ni engagement. Elle connaît pourtant, en 2023, une forte progression de 4,3 %, après 4,6 % entre 2021 et 2022. La prévision de stabilité, voire de légère progression, de l'emploi de l'État au cours de la période permet d'anticiper une augmentation continue de la masse salariale durant cette même période.
Les administrations locales contribueront fortement à l'amélioration du solde public. En effet, le Gouvernement prévoit une diminution de leurs dépenses de 0,5 % par an en volume. En 2027, les administrations dégageront un excédent d'environ 0,5 point de PIB. Cet effort est particulièrement important en comparaison de la contribution que les administrations centrales seront amenées à fournir à la maîtrise des dépenses. En passant, je considère que les instruments proposés par le Gouvernement pour parvenir à ce résultat, en l'occurrence la contractualisation prévue à l'article 23, n'est pas respectueuse des collectivités locales. Nous y reviendrons.
Les administrations sociales, elles, présenteraient un excédent de l'ordre d'un point de PIB en 2027. Pour l'essentiel, ce résultat s'explique par la contribution de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), mais aussi par une prévision d'amélioration du solde de l'Unédic qui me paraît très optimiste. En effet, comme je l'ai dit, le Gouvernement fait l'hypothèse d'atteindre le plein-emploi en 2027, ce qui est loin de faire consensus.
En parallèle, j'observe que les régimes de base de sécurité sociale continueront de présenter un déficit persistant. Je ne doute pas que notre collègue Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales et rapporteure pour avis sur ce texte, en dira un mot.
Sur l'ensemble des administrations publiques, je considère que la trajectoire de dépenses publiques présentée par le Gouvernement n'est pas assez ambitieuse et, surtout, présente un effort en trompe-l'oeil.
Un volume important de dépenses a été engagé depuis 2020 pour faire face aux différentes crises que nous avons traversées - sanitaire, économique et, aujourd'hui, énergétique. Or ces dépenses ne sont pas retraitées ni même au moins indiquées dans la présentation de la trajectoire de dépenses du Gouvernement. Il en va de même des dépenses de charge de la dette, alors que la bonne mesure d'un effort en dépense reste la dépense primaire, c'est-à-dire hors charge des intérêts de la dette.
Au final, l'ensemble de ces dépenses que je qualifierais de « non ordinaires », c'est-à-dire incluant les dépenses de crise et d'intérêts de la dette, représente près de 116 milliards d'euros en 2022. En ne retraitant pas ces dépenses, le Gouvernement s'assure de présenter une trajectoire d'évolution des dépenses publiques qui témoigne d'un effort artificiellement surestimé. Ainsi, selon le scénario présenté par le Gouvernement, les dépenses publiques diminueraient d'environ 0,2 % par an en moyenne en volume entre 2022 et 2027. Toutefois, une fois retraitées les dépenses non ordinaires, les dépenses publiques progresseront en réalité de 0,6 % par an en volume. On constate également une inversion assez spectaculaire de la dynamique des dépenses des administrations centrales, qui, plutôt que de se réduire, augmenteront de près de 0,9 % par an.
En outre, la répartition de l'effort à fournir par chacune des catégories d'administration publique pour réaliser cette trajectoire est loin d'être équitable.
Pour apprécier l'effort à réaliser, j'ai estimé un tendanciel de croissance des dépenses par catégorie d'administration publique. En effet, si la dépense d'une administration augmente tendanciellement de 1 % chaque année, lui demander de ne laisser croître que de 0,5 % cette dépense revient à lui demander de réaliser une économie équivalant à 0,5 point. À l'inverse, si la dépense d'une administration augmente tendanciellement de 1 % et qu'on lui demande d'en limiter la croissance à 2 %, alors on l'autorise, en réalité, à augmenter ses dépenses.
En l'espèce, nous aboutissons à un tendanciel pour l'ensemble des administrations publiques équivalant à 1,2 %, soit le même niveau que celui qu'a retenu le Gouvernement dans le rapport annexé. Sur cette base, la trajectoire du Gouvernement implique 25 à 27 milliards d'euros d'économies à réaliser pour les administrations locales et sociales. Les administrations centrales, elles, n'en réaliseraient pas. C'est une situation tout à fait inéquitable.
Je pars donc de ces deux constats : d'abord, la proposition du Gouvernement manque d'ambition en termes de redressement des comptes publics et de baisse de la dépense ; ensuite, il n'est pas acceptable que l'on demande moins d'effort à l'État qu'aux autres administrations publiques.
Je propose, par conséquent, une révision de la trajectoire de dépenses des administrations publiques qui vise à soumettre les dépenses de l'État, hors charge de la dette et hors coût des mesures de crise - c'est-à-dire le périmètre des dépenses ordinaires -, à une norme d'évolution en volume de - 0,5 %, comme cela est demandé aux administrations locales.
Cette proposition répond à quatre objectifs : faire refluer le déficit et l'endettement public plus rapidement que ne le prévoit le Gouvernement ; assurer la pleine contribution des administrations centrales ; préserver les dépenses sociales et régaliennes ; conserver des marges d'intervention face à la crise.
Au final, cette trajectoire conduirait les dépenses publiques ordinaires à n'évoluer que de 0,1 % par an, contre 0,6 %, comme le propose le Gouvernement. Cette trajectoire impliquerait de réaliser des efforts dès 2023, à hauteur de 3,8 milliards d'euros en l'état actuel du projet de loi de finances.
Au cours des années 2023 à 2027, nous devrons trouver de nouvelles sources d'économies en mettant en oeuvre des réformes structurelles : baisse à long terme des effectifs ; engagement d'une réforme des retraites plus ambitieuse que celle annoncée hier par le Président de la République ; réorganisation de certains services publics, comme celui de l'audiovisuel ; décalage dans le temps des trajectoires programmatiques d'évolution des crédits de certaines politiques publiques non régaliennes ; réformes des prestations sociales ; maîtrise des dépenses de l'assurance maladie.
Pour mémoire, notre commission des finances a rendu, depuis 2015, 109 rapports riches de mesures, qui viendront nourrir nos réflexions.
Quoi qu'il en soit, les efforts que je propose d'engager au travers de cette trajectoire parfaitement crédible nous permettraient de réduire significativement notre déficit et notre endettement dès 2023. Ainsi, à recettes constantes, notre déficit reviendrait sous la barre des 3 % de PIB dès 2025, comme la plupart de nos partenaires européens, et nous atteindrions 1,7 % en 2027. Quant à l'endettement, il se situerait 3,1 points en dessous de ce que prévoit le Gouvernement.
Cette modification de la trajectoire constitue l'évolution majeure que je propose dans ce projet de loi de programmation. Elle se traduit dans plusieurs des amendements que je vous propose, puisque cela modifie à la fois l'évolution du solde structurel, l'effort structurel et différents objectifs fixés aux administrations publiques, comme l'évolution de leur solde par sous-secteur, le niveau de dépenses ou d'endettement.
Vous l'aurez compris, cet effort de redressement des comptes publics concerne uniquement l'État et les autres administrations centrales. Les administrations sociales ne sont pas touchées ; au demeurant, la trajectoire proposée par le projet de loi repose déjà sur un scénario optimiste, en particulier pour l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Mme Doineau, rapporteure au nom de la commission des affaires sociales et, surtout, rapporteure générale de cette même commission, pourra nous en dire quelques mots. Nous proposons un amendement identique afin d'étendre jusqu'à 2026 - faute de connaître le montant pour l'année 2027 -, la trajectoire de l'objectif de dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) telle que présentée par le Gouvernement. Il s'agit là de faire respecter la toute récente disposition introduite à l'occasion de la révision de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), que le Gouvernement ne respecte déjà pas. Les autres mesures proposées par la commission des affaires sociales au travers de ses amendements recueillent mon accord.
S'agissant des administrations locales, je ne prévois pas de modifications sur la trajectoire des concours financiers, même si - ne soyons pas dupes - leur évolution en valeur cache, en réalité, une contraction en volume. Je vous propose, en revanche, un amendement pour faire sortir la TVA affectée aux régions de l'enveloppe normée des concours financiers. En effet, il convient d'éviter que, en cas d'évolution supérieure aux prévisions du produit de TVA affectée, la différence ne soit retranchée des autres concours financiers.
À cela s'associe un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel) intégrant l'effort de baisse de 0,5 % en volume des dépenses de fonctionnement auquel j'ai fait référence. Depuis des années, les collectivités territoriales ont pris leur part dans le redressement des comptes publics ; elles gèrent efficacement leurs budgets. Elles ont réalisé 11 milliards d'euros d'économies sur leurs dépenses de fonctionnement sur la période 2019-2021, alors même que les contrats de Cahors n'ont pas été appliqués en 2020 et 2021. Dans le projet de loi, le Gouvernement propose une contrainte à la fois sur l'évolution de leurs dépenses et sur la progression de leurs ressources, avec une trajectoire de diminution des concours financiers de l'État. Nous ne pouvons accepter ces termes que si l'État fait de même. Ce sera l'objet de mes amendements.
Par ailleurs, je considère le mécanisme de l'article 23 comme inacceptable. Il vise à garantir le respect de l'Odedel par ce qui a été présenté par le Gouvernement comme un « pacte de confiance » dans l'association des collectivités territoriales au redressement des comptes publics, mais s'avère finalement très comparable aux anciens contrats de Cahors - ce que j'appelle le « Cahors 2 ». Certes, le dispositif se donne l'apparence de la différence en prévoyant une année d'observation de l'évolution des dépenses et en distinguant les catégories de collectivités à l'échelle nationale, avant d'envisager l'application de mécanismes de correction individuels pour les collectivités ou groupements appartenant à une catégorie ayant dépassé l'objectif. Je trouve cela très étonnant : suivant la situation de la catégorie à laquelle appartient la collectivité vis-à-vis de l'Odedel, la collectivité pourrait se voir ou non appliquer des sanctions si elle-même dépasse l'objectif.
Les mécanismes de correction ressemblent quant à eux à ceux des contrats de Cahors, en particulier au regard des éléments prévus dans les accords de retour à la trajectoire qui devront être signés par les collectivités ou leurs groupements.
Mais cet article contient surtout une innovation inacceptable : l'exclusion des collectivités concernées, avant même la signature de tout contrat, de l'octroi de certaines dotations d'investissement de l'État. Une telle proposition est, au demeurant, parfaitement contradictoire avec la philosophie affichée du dispositif et du discours gouvernemental qui prétend faire porter l'effort de maîtrise des dépenses sur la seule section de fonctionnement, sans affecter l'investissement local.
Par ailleurs, la mise en oeuvre d'un mécanisme de contrôle et de sanction aussi rigide est pour le moins inadaptée à la situation actuelle. Les incertitudes sont fortes pour tous - ménages, entreprises mais aussi collectivités - face à la hausse des prix et à la crise énergétique dans un contexte de guerre en Ukraine. Le poids de ces contraintes exogènes devrait inexorablement peser sur les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales dans une mesure encore inconnue ou difficile, voire impossible à évaluer.
Pour toutes ces raisons, je vous proposerai la suppression pure et simple de l'article 23. Il s'agit d'un système inacceptable de surveillance de la dépense locale et de sanction, loin du principe de libre administration des collectivités territoriales et de la relation de confiance qu'attendent les collectivités territoriales et leurs groupements.
Je vous proposerai ensuite plusieurs amendements qui s'inscrivent dans un objectif de plus grande rigueur dans la maîtrise de la dépense.
Ainsi, à l'article 9, qui définit une nouvelle norme de dépense avec le « périmètre des dépenses de l'État », je propose de préciser que les montants prévus pour chaque année constituent non pas des cibles, mais des plafonds de dépenses. De même, un amendement à l'article 10 tend à faire de la stabilité en exécution des schémas d'emplois de l'État un plafond d'emplois, et non une simple cible.
Sur ce point, comme je l'ai déjà indiqué, les efforts affichés restent limités, alors qu'en 2023 serait ainsi crantée la création de 10 000 nouveaux emplois. Pour autant, la dernière loi de programmation, qui prévoyait une baisse de 50 000 emplois, n'a absolument pas été respectée, comme j'ai eu l'occasion de le démontrer à maintes reprises. Je n'exclus pas d'évoluer vers une disposition plus exigeante d'ici à l'examen en séance.
Concernant le « périmètre des dépenses de l'État », j'ai également déposé un amendement pour que la présentation de cette nouvelle norme dans le PLF opère une distinction entre différentes composantes : crédits du budget général tels que prévus dans ce périmètre, impositions de toutes natures plafonnées, budgets annexes, etc.
Outre les amendements rédactionnels ou de correction technique du texte, qui sont, pour l'essentiel, des reprises d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale, je vous propose aussi des amendements guidés par un souci de vigilance quant à la mise en oeuvre effective des mesures que nous adoptons. Souvent, les bonnes intentions affichées dans les lois de programmation ne se reflètent pas dans l'application. Les cinq années écoulées en sont une bonne illustration.
D'abord, l'article 15 prévoit que les créations ou modifications de dispositifs d'aides aux entreprises ne soient applicables que pour une durée maximale de cinq années et que leur extension ou prolongation soit précédée d'une évaluation présentée au Parlement. Je propose qu'un arrêté établisse la liste des dispositifs concernés, faute de quoi le contrôle de l'application effective de cet article ne sera pas possible. Un autre amendement en restreint le périmètre aux dispositifs d'aide aux entreprises de l'État.
Ensuite, l'article 21 prévoit que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un ensemble d'évaluations portant sur l'efficacité de l'action publique et des dépenses publiques. Le dispositif est peu précis et incantatoire. Considérant qu'il pourrait toutefois constituer le point de départ utile à l'évaluation des politiques publiques, je propose divers compléments pour le rendre plus opérationnel, notamment que l'on dispose d'une liste de ces évaluations à réaliser tous les ans.
Enfin, je précise dans un amendement le contenu de ce qui sera attendu dans les bilans des lois de programmation des finances publiques prévus à l'article 25.
M. Claude Raynal, président. - Madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, je vous donne la parole, puisque notre rapporteur a fait appel à deux reprises à vos lumières !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales s'est saisie des articles 17 à 20 et de l'article 24 de ce texte.
Comme vous, nous sommes sceptiques vis-à-vis de la trajectoire financière des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse, et plus spécifiquement de celle de l'Ondam. Celui-ci devrait frôler les 250 milliards d'euros dès 2024, soit cinq fois plus que le budget de la défense et quatre fois plus que celui de l'Éducation nationale.
La trajectoire affichée est pour le moins ambitieuse et, en tout cas, difficilement tenable.
Difficilement tenable, car les incertitudes sont grandes sur l'impact financier de la crise sanitaire en 2023 et dans les années suivantes.
Difficilement tenable, car nous voyons bien l'ampleur des besoins de santé, l'ampleur des attentes en matière de rénovation de l'hôpital, mais aussi l'ampleur de l'impact financier que représente le choc d'innovation dans le secteur du médicament, nécessaire pour relocaliser notre industrie et assurer notre autonomie.
Difficilement tenable, car le contexte inflationniste rend le taux réel de progression de l'Ondam bien moindre que celui qui est affiché. Si le ministre chargé des comptes publics considère que l'inflation ne se reproduit pas de manière identique sur les dépenses de santé, celle-ci est parfois plus forte encore sur certaines des charges principales des hôpitaux, comme l'énergie.
Difficilement tenable, enfin et surtout, car le Gouvernement comme le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) reconnaissent qu'il faudra prendre des mesures fortes d'économies pour garantir le respect de cette trajectoire. Quelles seraient ces mesures ? Nous n'avons obtenu aucune information sur ce point. Régulera-t-on enfin l'Ondam de ville et, si oui, comment ? À moins que cela ne signe le retour explicite d'économies sur l'hôpital...
Quant au reste des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, je ne peux là encore que regretter le caractère particulièrement lacunaire des informations transmises par le Gouvernement. Pour m'en tenir à l'exemple le plus significatif, l'évolution des dépenses de la branche vieillesse est censée intégrer dès 2023 les effets d'une réforme des retraites, mais ni ses paramètres ni même son impact financier ne sont précisés dans un quelconque document. Et, malgré mes demandes réitérées, je n'ai eu aucune précision - pas plus que votre commission, semble-t-il.
Néanmoins, eu égard au rôle qui doit être celui d'une loi de programmation, c'est à dire, en premier lieu, permettre au Gouvernement de vérifier chaque année si la trajectoire fixée est respectée ou non, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l'adoption des articles dont elle était saisie, sous réserve de l'adoption de cinq amendements, que je vais vous présenter brièvement.
À l'article 17, la commission des affaires sociales a adopté deux amendements dont l'objet est de prolonger la trajectoire des dépenses des Robss et de l'Ondam. En effet, le « compteur des écarts » entre les dépenses prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et celles figurant dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) doit concerner toutes les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) jusqu'à l'année 2027. La nouvelle rédaction de l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale fait même de ce « compteur des écarts » un élément obligatoire de la LFSS de l'année. Il importe donc que l'horizon de programmation ne se limite pas à l'année 2025.
À l'article 18, nous avons adopté un simple amendement de précision.
J'évoquerai plus en détail l'article 19, qui porte sur la « mise en réserve » de l'Ondam. Le montant minimal est fixé, depuis 2010, à « au moins 0,3 % » et suit en réalité ce taux. Pour 2022, cela représente 710 millions d'euros. Or, mes chers collègues, dans le silence de la loi, comment cette réserve a-t-elle été concrètement mise en oeuvre jusqu'à présent ? Pour 47 %, cette année, au moyen du « coefficient prudentiel » appliqué sur les tarifs hospitaliers, qui permet de les minorer en début d'année. Pour 21 %, en gelant une partie des dotations hospitalières. Pour 0 % sur l'Ondam de ville, parce que cela n'a pas de sens de mettre en réserve le remboursement des feuilles de soins et qu'aucun mécanisme de régulation n'existe sur les rémunérations, mêmes forfaitaires, des professionnels de santé.
L'hôpital porte donc en réalité 68 % des mises en réserve, ce qui représente un gel de 0,51 % de ses crédits. Dans ces conditions, notre commission a souhaité dire qu'il fallait cesser de faire porter les débordements de l'Ondam de ville par la régulation de l'hôpital.
À cette fin, nous proposons, d'une part, de fixer le taux de la mise en réserve : ce serait non plus un « plancher », mais un taux fixe ; d'autre part, d'inscrire de manière claire que la mise en réserve est homogène sur l'ensemble des sous-objectifs, de manière à mettre fin à l'effort supplémentaire demandé à l'hôpital.
Enfin, l'article 24 propose que le Gouvernement transmette chaque année au Parlement une décomposition du solde du sous-secteur des administrations de sécurité sociale (Asso), tout en précisant les différents éléments de cette décomposition. En cohérence avec la création des lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale, notre commission a adopté un amendement dont l'objet principal est d'assurer qu'une telle décomposition soit également transmise au Parlement, pour ce qui concerne l'exercice clos chaque année, avant le 1er juin, soit au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.
Mes chers collègues, j'espère que la commission des finances partagera notre approche et pourra intégrer ces amendements dans le texte qu'elle établira à l'issue de cette réunion.
M. Vincent Capo-Canellas. - Qu'adviendra-t-il si ce projet de loi n'est pas adopté, compte tenu du vote de l'Assemblée nationale ?
En tout état de cause, la trajectoire proposée par le rapporteur nous paraît plus vertueuse pour endiguer la dérive des finances publiques et plus cohérente s'agissant des efforts demandés aux collectivités locales. Reste la question éternelle : comment procède-t-on ? Quelles dépenses vise-t-on ?
M. Sébastien Meurant. - Ce débat me fait penser à Churchill, qui disait ne croire les statistiques que lorsqu'il les avait lui-même falsifiées...
Ma question est simple : les lois de programmation ont-elles jamais été respectées ?
M. Claude Raynal, président. - La réponse est dans la question, mon cher collègue...
M. Bernard Delcros. - Le taux de 1 % de croissance du PIB en 2023 retenu par le Gouvernement et conservé par le rapporteur me semble raisonnable.
L'effort demandé à l'État doit être au même niveau que celui qui est demandé aux collectivités locales. Nous sommes sur la même ligne de redressement, mais, à notre sens, il faut non seulement une baisse des dépenses, mais également une augmentation des recettes. Nous ferons des propositions en ce sens.
Vous proposez une baisse de 3,8 milliards d'euros de dépenses non régaliennes. Pouvez-vous être plus précis sur le périmètre que vous envisagez ?
M. Éric Bocquet. - Le rapporteur est en forme. C'est un véritable tapis de bombes qu'il a lâché sur le Gouvernement en reprenant, en quelque sorte, le programme du quinquennat non avenu de Mme Pécresse. Vous avez franchi le Rubicon, pour reprendre l'expression d'un ancien Président de la République issu de vos rangs. J'entendais récemment Mme Louwagie regretter le manque d'ambition du Gouvernement sur les finances publiques. Vous en avez pour lui...
S'agissant des collectivités locales, vous ne dites rien sur la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). J'imagine donc que vous allez voter les amendements de rétablissement que nous allons proposer...
La dette a progressé, sous le quinquennat, précédent de 203 milliards d'euros, dont 7 % du fait des collectivités locales. C'est très injuste de les faire payer de nouveau.
Plus globalement, où pensez-vous faire des économies ? Sur la santé ? L'école ? La justice ? Je sais que vous finissez toujours par réduire les dépenses sociales, mais je ne saurais trop vous conseiller de regarder ce qui s'est passé au Royaume-Uni avec Mme Truss.
Mme Christine Lavarde. - Je ne suis pas mécontente d'entendre la référence que vous faites à Mme Pécresse. La trajectoire que propose M. le rapporteur nous convient parfaitement et ne me parait pas comparable avec celle présentée, il y a quelques semaines, par Elizabeth Truss au Royaume-Uni. Aucune modification de l'Ondam ou des dépenses de santé n'est proposée, mais nous partageons les inquiétudes de Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il faudra que le Gouvernement nous apporte des explications.
M. Rémi Féraud. - L'Assemblée nationale n'ayant pas adopté le texte, c'est la première fois que nous ne savons pas si nous aurons une loi de programmation des finances publiques. Ce n'est pas parce que les LPFP ne sont jamais respectées qu'il ne faut pas en avoir...
Votre trajectoire des recettes ressemble quand même fort à celle du Gouvernement. Êtes-vous d'accord avec lui à cet égard, exception faite de la CVAE ?
Il y a un côté inachevé dans la copie du Gouvernement et vous ne répondez pas aux questions qui se posent.
À quoi bon baisser de 3 points l'endettement si l'on n'arrive pas à remettre à niveau un certain nombre de services publics ?
S'agissant des dépenses régaliennes que vous souhaitez sanctuariser, je regrette, en tant que rapporteur spécial, que vous ne mentionniez pas les crédits de l'action extérieure de l'État. Compte tenu de l'évolution du monde, cette faiblesse pose problème.
M. Roger Karoutchi. - J'apprécie les efforts du rapporteur, mais je suis sceptique sur les lois de programmation. C'est, à mon sens, un concours de beauté un peu vain. Qu'en reste-t-il à l'arrivée ?
Cependant, s'il n'y a pas de volonté réelle du Gouvernement de trouver une voie de passage avec le Parlement, c'est problématique, surtout après tous les discours sur le compromis qu'il nous adresse.
Je suivrai, malgré tout, les recommandations du rapporteur, car elles me paraissent plus réalistes et rigoureuses.
Le Gouvernement est-il prêt à avancer avec le Sénat sur les collectivités locales et la baisse des dépenses publiques ?
M. Patrice Joly. - En dix ans, le président Macron aura réduit les recettes fiscales potentielles de 400 milliards d'euros, soit plus d'un budget annuel.
Dans quel secteur envisagez-vous de réduire les emplois publics ? Connaissez-vous l'impact économique des dépenses de l'État, qui participent aussi aux cycles économiques ?
M. Daniel Breuiller. - Je remercie le ministre des finances Jean-François Husson d'avoir proposé une trajectoire pour les finances publiques dans les cinq ans à venir... Trêve de plaisanterie : s'il y a un seul point sur lequel je suis d'accord avec le rapporteur, c'est la suppression de l'article 23.
Il est louable de demander autant d'efforts à l'État qu'aux collectivités locales, mais, pour ma part, j'en aurais demandé moins à ces dernières, car celles-ci ne sont pas responsables de la situation. C'est injuste de les traiter ainsi.
Avec la trajectoire proposée, on peut dire que nous arriverons à l'effondrement en bonne santé financière... C'est la récession annoncée !
Pour ce qui concerne la réduction du nombre d'emplois publics, j'ai bien vu ce qui s'est passé avec l'Office national des forêts (ONF). Pendant des années, on a sabré dans les effectifs. Résultat : avec les méga-feux de cet été, on s'est aperçu que la forêt française n'était pas assez entretenue.
Il faut bien préciser où vous comptez faire des économies, monsieur le rapporteur.
Enfin, pour moi, la nécessité d'une réforme des retraites n'est pas évidente. Nos concitoyens partiront, de fait, avec des pensions moindres, ce qui sera bénéfique pour les finances publiques, mais injuste socialement et humainement.
M. Pascal Savoldelli. - Il semble y avoir unanimité sur la suppression de l'article 23, ce qui est plutôt positif.
Cela dit, le rapporteur a eu une position très politique, en nous proposant un résumé du pacte de stabilité. Il a aussi laissé entendre qu'il approuvait le Gouvernement sur un certain nombre de réformes.
Monsieur le rapporteur, j'ai quatre questions à vous poser. Quid des recettes ? Vous ne proposez pas de contre-programmation. Quid de l'inflation dans vos projections ? Quid des taux d'intérêt de la dette à dix ans ? Êtes-vous d'accord avec l'évolution annoncée par le Gouvernement de la balance commerciale ?
M. Claude Raynal, président. - Il me semble qu'il y a une réelle volonté du Gouvernement de voir une loi de programmation votée, notamment pour l'image que nous renverrons à nos partenaires européens - il faut dire aussi que certains financements européens sont subordonnés à l'adoption d'une telle programmation. Je pense qu'il manifestera la volonté de trouver une solution avec le Sénat.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'abonde dans votre sens, monsieur le président.
On ne peut pas tourner le dos à l'Europe. Ce serait suicidaire. Quand ça souffle, il faut tenir le cap, et je ne veux pas me tromper de combat. Il nous faut un texte. Aussi, faisons entendre la voix du Sénat : c'est la voix de la responsabilité en ces temps graves. Notre assemblée a une représentativité différente, mais nous sommes tout aussi légitimes dans ce débat.
Monsieur Delcros, je vous l'indique, les grands sujets régaliens sont la justice, la sécurité, l'éducation et la santé.
S'agissant des économies possibles, nous avons rendu 109 rapports depuis 2015 : nous avons donc des pistes.
J'entends les critiques et je les respecte, mais nous devons tous faire des efforts ; nous avons connu l'époque du rabot, méthode imparfaite qui avait toutefois le mérite de trancher quand personne ne voulait prendre de décision.
La guerre aux portes de l'Europe aura des conséquences qui pourraient exiger une forme de ralentissement des lois de programmation, d'autant plus qu'avant même que ne commence cette guerre, à l'été 2021, une crise énergétique majeure a débuté. Je suis intervenu à de nombreuses reprises, ces dernières années, pour rappeler au Gouvernement le terrible impact de la crise énergétique sur le commerce extérieur. Il y a quelques années, plus de la moitié du déficit de la balance commerciale extérieure était liée à celui de la balance énergétique.
Après dix ans d'errements et de renoncements sur la question du nucléaire, chacun doit balayer devant sa porte. Les Français, s'ils ne trouvent pas mille et une vertus au nucléaire, ont le sentiment d'avoir été dépossédés de leur indépendance et de leur souveraineté énergétiques - et que cela leur coûte très cher ! Nous sommes tous interpellés sur cette question, et le ralentissement ne se fera pas du jour au lendemain.
Il est normal de tenir des comptes et de tenter d'alléger le poids de la dette, mais nous avons également la responsabilité de régler la dette écologique et environnementale, dont nous n'évaluons pas très bien le montant à l'échelle du pays et du monde.
Nous devons sortir des débats d'estrade et du bavardage intempestif et privilégier les résultats. Dans le cas contraire, cela pourrait se terminer dans la rue, à l'image de l'épisode des « gilets jaunes ».
Les semaines et les mois qui viennent comportent leur lot d'imprévisibilité et nous poussent à adopter une méthode solide et à nous exprimer clairement pour trouver la bonne ligne d'action. Il est important de bien définir notre trajectoire budgétaire.
Des réformes structurelles sont nécessaires. Sur les retraites, ma conviction est la suivante : l'espérance de vie en bonne santé a augmenté depuis le sortir de la Seconde Guerre mondiale et nous entrons plus tard sur le marché du travail ; nous devons donc cotiser plus longtemps pour toucher une meilleure retraite. En revanche, il n'est pas acceptable de faire travailler les gens plus longtemps pour une retraite plus faible. Les Français ont eu l'impression d'être pris dans une souricière sur cette question. Un débat serein doit être mené, avec pédagogie.
En ce qui concerne les recettes, je souscris aux déclarations du président du Sénat sur la suppression de la CVAE. Nous sommes dans une économie de guerre où la question énergétique est primordiale ; le bouclier énergétique prévu par le Gouvernement doit être à la hauteur. Soit nous mettons les moyens sur ce bouclier énergétique, soit nous supprimons la CVAE.
J'assume cet arbitrage et le dis aux chefs d'entreprises que je rencontre : nous devons maîtriser la dépense publique pour redresser notre balance commerciale et limiter notre endettement. Si notre effort démarre dès 2023, il sera moins douloureux que si nous attendons 2027.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-68.
L'amendement COM-68 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement de suppression COM-69.
L'amendement COM-69 n'est pas adopté.
L'amendement COM-94 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à l'amendement de suppression COM-70.
L'amendement COM-70 n'est pas adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Mon amendement COM-95 revoit la trajectoire comme expliqué dans mon exposé introductif.
L'amendement COM-95 est adopté.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-71.
L'amendement COM-71 n'est pas adopté.
L'amendement COM-96 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-1 et COM-72.
Les amendements identiques COM-1 et COM-72 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à l'amendement COM-2.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté sans modification.
Article 7
L'amendement rédactionnel COM-97 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement COM-3, qui vise à réduire à trois années le bornage dans le temps des dépenses fiscales.
L'amendement COM-3 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-83 rectifié bis devient sans objet.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'amendement COM-49 tend à présenter une évaluation lors de toute prorogation d'une dépense fiscale : avis favorable.
L'amendement COM-49 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je sollicite le retrait de l'amendement COM-4 ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-50 ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement COM-50 n'est pas adopté.
Article 8
Les amendements identiques COM-98 et COM-51 sont adoptés.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - À titre personnel, je suis favorable aux amendements identiques COM-24 et COM-52, de même qu'à l'amendement COM-25, mais je demande à ce qu'ils soient retirés afin que l'on puisse en débattre en séance publique.
Les amendements identiques COM-24 et COM-52 ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement COM-25.
Article 9
Les amendements identiques COM-99 et COM-53 sont adoptés.
L'amendement COM-100 est adopté.
Les amendements identiques COM-101 et COM-54 sont adoptés.
L'amendement COM-102 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-84 rectifié bis ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement COM-84 rectifié bis n'est pas adopté.
L'amendement COM-103 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-5 et COM-73.
Les amendements identiques COM-5 et COM-73 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je sollicite le retrait des amendements COM-26 et COM-85 rectifié bis, au profit de mon amendement COM-104.
Les amendements COM-26 et COM-85 rectifié bis ne sont pas adoptés. L'amendement COM-104 est adopté.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait des amendements identiques de suppression COM-6, COM-27 et COM-74 ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Les amendements identiques COM-6, COM-27 et COM-74 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-55.
L'amendement COM-55 est adopté.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-7 et COM-75.
Les amendements identiques COM-7 et COM-75 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-28 ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement COM-28 n'est pas adopté.
L'article 12 est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-8 et COM-76.
Les amendements identiques COM-8 et COM-76 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à l'amendement COM-86 rectifié, au profit de mon amendement COM-105.
L'amendement COM-86 rectifié n'est pas adopté. L'amendement COM-105 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement COM-56.
L'amendement COM-56 est adopté.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-29.
L'amendement COM-29 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait des amendements COM-9 et COM-30, au profit des amendements identiques COM-31 et COM-87 rectifié, pour lesquels j'émets un avis favorable.
Les amendements COM-9 et COM-30 ne sont pas adoptés. Les amendements identiques COM-31 et COM-87 rectifié sont adoptés.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 15
L'amendement COM-106 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait des amendements COM-10 et COM-88 rectifié ; à défaut, avis défavorable.
Les amendements COM-10 et COM-88 rectifié ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-107 est adopté.
L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-12, COM-32 et COM-77.
Les amendements identiques COM-12, COM-32 et COM-77 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-13.
L'amendement COM-13 n'est pas adopté.
L'article 16 est adopté sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'émets un avis défavorable aux amendements COM-57 et COM-89 rectifié.
Les amendements COM-57 et COM-89 rectifié ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-14 et COM-78.
Les amendements identiques COM-14 et COM-78 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement COM-58.
L'amendement COM-58 est adopté.
Les amendements identiques COM-93 et COM-44 sont adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-59.
L'amendement COM-59 est adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'émets un avis favorable à l'amendement COM-45.
L'amendement COM-45 est adopté.
L'article 17 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-79.
L'amendement COM-79 n'est pas adopté.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-46.
L'amendement COM-46 est adopté.
L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je suis défavorable aux amendements identiques de suppression COM-15 et COM-80.
Les amendements identiques COM-15 et COM-80 ne sont pas adoptés.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-47.
L'amendement COM-47 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-60 devient sans objet.
L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-16 ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement COM-16 n'est pas adopté.
L'article 20 est adopté sans modification.
Article 21
L'amendement COM-108 est adopté.
L'article 21 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 22
L'article 22 est adopté sans modification.
Article 23
Les amendements identiques de suppression COM-109, COM-17, COM-23, COM-81 et COM-90 rectifié sont adoptés. En conséquence, les amendements COM-61 et COM-82, les amendements identiques COM-18, COM-42 rectifié et COM-91, les amendements identiques COM-19, COM-43 rectifié et COM-92, l'amendement COM-33, l'amendement COM-34, les amendements identiques COM-20 et COM-35, les amendements COM-36, COM-62, COM-40, COM-63, COM-37, COM-64, COM-38 et COM-65, les amendements identiques COM-21 et COM-39, les amendements COM-22, COM-66 et COM-41 deviennent sans objet.
L'article 23 est supprimé.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-48.
L'amendement COM-48 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-67 devient sans objet.
L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 25
L'amendement COM-110 est adopté.
L'article 25 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 26
L'amendement COM-111 est adopté.
L'article 26 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Claude Raynal, président. - En ce qui concerne la recevabilité des amendements de séance, je vous informe que, pour la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, un périmètre n'est pas défini au titre de l'article 45 de la Constitution. Le périmètre des lois de programmation des finances publiques est, en effet, défini par les articles 1 A à 1 G de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) depuis sa dernière révision. Aussi, en application de l'article 45 du Règlement du Sénat, je serais conduit à déclarer irrecevables les amendements qui n'entreraient pas dans le périmètre défini par la loi organique.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Anciens combattants » (et article 41) - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport spécial de notre collègue Marc Laménie sur la mission « Ancien combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2023.
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » continuent de diminuer : ils sont en baisse de 161 millions d'euros en 2023, tombant ainsi à 1,9 milliard d'euros.
Deux caps symboliques sont franchis cette année : les crédits de la mission sont désormais inférieurs à 2 milliards d'euros et, pour la première fois, le montant consacré par l'État à la retraite du combattant est inférieur à celui qui est consacré à la demi-part fiscale des anciens combattants et de leurs veuves, principal crédit d'impôt en faveur des anciens combattants.
Les crédits affectés aux pensions viagères - la retraite du combattant et les pensions militaires d'invalidité - poursuivent leur inexorable baisse, tant en valeur absolue que rapportée à l'inflation. La revalorisation exceptionnelle, au 1er janvier 2022, du point d'indice des pensions militaires d'invalidité, dit « point PMI », n'a pas atteint son objectif de rattraper l'effet de l'inflation entre 2018 et 2021, à cause d'une hypothèse d'inflation trop faible pour 2021 - d'autant moins que le point d'indice, indexé sur les rémunérations publiques, décroche face à l'inflation depuis 2012. De la même manière, la revalorisation de droit commun de 4 % devant avoir lieu au 1er janvier 2023 est inférieure à l'inflation de l'année 2022.
Les baisses de crédits liées à ces deux pensions expliquent celle des crédits de la mission - de même, bien sûr, que la baisse démographique.
Les crédits du programme 158, qui recouvrent les indemnisations liées aux violences et spoliations antisémites et aux actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale, suivent une trajectoire similaire : de moins en moins de dossiers sont déposés à la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) et des crédit-rentiers dont le nombre s'effrite de plus en plus pour les rentes viagères. Les conséquences budgétaires sont cependant moindres, car ce programme est plus modeste : il est doté de 91,5 millions d'euros de crédits en 2023.
Je proposerai un amendement en première partie du projet de loi de finances visant à consolider la base juridique qui fonde l'exonération d'impôt dont profitent déjà les allocations versées au titre du programme 158.
Les économies constatées sur la mission pourraient cependant réapparaître sous la forme de dépenses fiscales. L'Assemblée nationale a ainsi adopté un article additionnel 3 quinquies, conservé par le Gouvernement après l'application de l'article 49-3 de la Constitution, visant à ouvrir le bénéfice de la demi-part fiscale aux veuves dont l'époux ancien combattant est décédé entre 60 et 65 ans. Cette mesure, dont le coût est estimé à 133 millions d'euros, contrebalance presque entièrement les baisses de crédits de la mission.
Les autres pans de la mission sont généralement en hausse, sous l'effet de l'inflation, en particulier les crédits liés à la politique de mémoire, qui augmentent de 17 % à cause de la forte dimension immobilière de cette mission - celle-ci comporte l'entretien et la valorisation des carrés militaires, des nécropoles nationales et des hauts lieux de la mémoire nationale.
L'Institution nationale des Invalides (INI) est également très exposée au renchérissement des coûts immobiliers, car elle s'est engagée dans une rénovation quasi intégrale de ses locaux. Le coût total de ces travaux s'élève aujourd'hui à 73 millions d'euros.
Ayant réalisé un contrôle budgétaire sur l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), j'aborderai cet opérateur tout à l'heure, après l'examen des crédits de la mission « Anciens combattants ».
Enfin, la politique de reconnaissance et de réparation envers les rapatriés a été renforcée de manière exceptionnelle au travers de deux mesures. Tout d'abord, le montant des allocations de reconnaissance et des allocations viagères dont bénéficient les harkis, les autres rapatriés et leurs veuves a été doublé par voie réglementaire. Ensuite, la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie a créé une réparation au titre du préjudice subi du fait des conditions indignes d'accueil sur le territoire national dans des camps ou des hameaux de forestage.
En conséquence, les crédits en faveur des rapatriés ont presque quadruplé entre la prévision initiale du projet de loi de finances pour 2022 et celle pour 2023. La majeure partie de cette hausse est toutefois liée à la nouvelle indemnité de réparation, qui représente 60 % des crédits de la programmation 2023 et qui a vocation à disparaître une fois les demandes traitées.
Dans cette même logique de reconnaissance et de réparation en faveur des rapatriés, je présente un amendement de crédits, très modeste, visant à indemniser 22 rapatriés qui se sont vu refuser une allocation de reconnaissance sur le fondement d'une loi depuis déclarée inconstitutionnelle. Le dispositif est désormais forclos et, mal conseillés, ces rapatriés n'avaient pas contesté la décision de refus dans les temps. Ils ne souhaitent pas se lancer dans une procédure contentieuse. Ainsi, je propose une indemnité de 4 195 euros pour ces personnes.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter les crédits de la mission modifiés par l'amendement de crédits.
Enfin, un article additionnel est rattaché à la mission : l'article 41, qui tend à étendre les droits reconnus aux victimes d'un acte terroriste commis après le 1er janvier 1982 aux victimes d'actes de terrorisme commis avant cette date, dont le statut est pour l'heure moins favorable. Cette mesure d'équité est modeste sur le plan budgétaire : elle coûte 1 million d'euros.
Je vous propose d'adopter cet article sans modification.
M. Michel Canévet. - Cette mission est l'une des seules dont le montant diminue. Monsieur le rapporteur spécial, la réforme du système d'information des services des retraites de l'État entraîne une économie de 45,5 millions d'euros : des retraites étaient-elles versées indûment ? Dans le cas contraire, comment s'explique une telle économie ?
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Je vous remercie pour votre profond attachement au devoir de mémoire et à la reconnaissance des anciens combattants.
La refonte du système d'information des services des retraites repousse les dépenses sur l'année 2024, d'où cette économie pour 2023. Les crédits de l'année 2024 connaîtront ainsi une moindre baisse.
Article 27
L'amendement n° 1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », sous réserve de l'adoption de son amendement.
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
Article 41
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 41.
Contrôle budgétaire - Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », sur l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG).
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - L'ONACVG est un opérateur plus que centenaire, créé lors de la Première Guerre mondiale et disposant de compétences diverses. Il est présent dans chaque département, en outre-mer, en Algérie et au Maroc, grâce à un réseau de 104 antennes locales. Il est chargé de mettre en oeuvre la politique de solidarité de la Nation à l'égard de ses ressortissants : anciens combattants, victimes civiles de guerre, pupilles et victimes d'actes de terrorisme.
Il instruit différentes mentions honorifiques : « Mort pour la France », « Mort pour le service de la Nation » et « Mort pour le service de la République ».
Il verse les pensions du programme 158 pour les orphelins de victimes de violences antisémites ou d'actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale.
Il met en oeuvre la politique commémorative au niveau local et entretient le patrimoine mémoriel combattant de l'État : 2 200 carrés militaires, 289 nécropoles nationales et 10 hauts lieux de la mémoire nationale.
Pour l'entretien du patrimoine mémoriel, l'Office travaille en partenariat avec l'association Le Souvenir Français, qui doit notamment assurer une « veille mémorielle » et rendre de nombreux rapports à l'Office. Au regard de la nature associative du Souvenir Français, je propose une simplification de ses obligations déclaratives.
Je propose également une réaffectation d'une partie des économies constatées sur les missions traditionnelles de l'Office à l'animation de la politique commémorative locale, les moyens consacrés à cette dernière étant particulièrement faibles : 300 000 euros pour l'intégralité du territoire national.
Depuis 2013, l'Office sert de guichet unique pour les aides aux rapatriés d'Afrique du Nord et il a été désigné comme service instructeur de l'indemnité de réparation au titre des conditions indignes d'accueil sur le territoire national dans des camps ou hameaux de forestage.
Il est un partenaire de l'éducation nationale pour l'organisation de concours scolaires, notamment le concours national de la Résistance et de la Déportation, le concours « Bulles de mémoire » et le concours des Petits artistes de la mémoire.
L'Office est également un partenaire essentiel de la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) : il met son réseau à sa disposition et il est chargé de former les personnels qui doivent intervenir lors de la Journée défense et mémoire du service national universel. Je propose, dans ma quatrième recommandation, d'individualiser les crédits de la mission « Anciens combattants » dédiés à ces actions à finalité pédagogique, qui n'apparaissent pas au budget de l'État et qui sont entièrement financées par la fongibilité asymétrique.
L'ONACVG gère également l'oeuvre nationale du Bleuet de France, bien que celle-ci doive être transformée en fonds de dotation au 1er janvier 2023. L'ONACVG restera cependant représenté au sein du conseil d'administration du nouveau fonds de dotation. Ce contrôle a une fois de plus mis en lumière la trop faible connaissance du Bleuet par le grand public ; je recommande donc un renforcement de l'effort de communication à son profit.
Enfin, l'Office s'ouvre à de nouveaux partenariats avec les armées, notamment l'armée de terre, afin de permettre une gestion plus efficace des demandes de carte du combattant par les militaires lorsqu'ils quittent l'institution. Il travaille également avec l'armée de terre pour retrouver les militaires qui ont quitté l'institution sans réaliser de demande de carte du combattant alors qu'ils remplissent les conditions nécessaires pour y prétendre. Je salue très vivement ces initiatives et je propose, dans ma troisième recommandation, de les étendre aux autres corps d'armée.
À l'inverse de ce que pourrait laisser penser cette variété de missions, l'Office est un opérateur méconnu du grand public, dont les moyens, notamment humains, sont très modestes. Ce sont en effet 470 équivalents temps plein travaillé (ETPT) qui sont chargés de mettre en oeuvre ses missions : 70 ETPT « métiers » au sein de la direction générale, qui incluent les postes régionalisés, et 400 ETPT répartis - pour ne pas dire « éparpillés » - sur le réseau de 104 antennes locales.
S'agissant de son fonctionnement courant, l'Office bénéficie d'une dotation pour charges de service public de 60 millions d'euros.
Ces moyens sont le résultat d'une trajectoire baissière inscrite au contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'Office 2020-2025. Cette trajectoire se justifie par une recherche d'économies et par la baisse du nombre de ressortissants de l'Office. En particulier, le COP prévoit une réduction significative des ETPT de l'Office, qui doivent diminuer de 878 ETPT en 2018 à 764 ETPT en 2025. La majeure partie de la baisse a déjà été réalisée et les effectifs devraient rester relativement stables au cours des deux prochaines années.
Cette diminution d'ETPT a été permise, en plus de la baisse du nombre de ressortissants, par une numérisation à marche forcée de l'Office, laquelle a permis de centraliser le traitement de la majeure partie des dossiers dont l'ONACVG a à connaître au département de la reconnaissance et de la réparation. Je tiens ici à souligner les gains d'efficacité qui ont découlé de cette numérisation : le délai moyen de traitement d'une demande de carte du combattant a chuté de plus de 130 jours à 90 jours. Cette avancée a été perçue et saluée par les associations d'anciens combattants que j'ai rencontrées au cours de ce contrôle.
Cependant, malgré ces gains d'efficacité, les moyens, notamment les moyens humains de l'Office, atteignent aujourd'hui un niveau plancher si l'on veut maintenir son réseau territorial. En effet, avec 400 ETPT répartis sur 104 antennes, la majorité des services locaux disposent d'un nombre très réduit d'agents, et la qualité du service doit beaucoup à l'engagement très fort des personnes qui y travaillent. L'accueil et le contact direct avec les ressortissants restent nécessaires. Beaucoup de ressortissants sont très âgés et ne maîtrisent pas l'informatique, ce qui représente une limite importante à la politique de numérisation de l'Office.
De plus, si la mission historique de l'Office tend à diminuer en importance, cette baisse de charge est compensée par le développement et l'attribution de nouvelles compétences. On peut citer comme exemples récents le nouveau dispositif d'indemnisation des rapatriés, la mission ATHOS, qui sera confiée à l'Office en 2023, ou la mention « Mort pour le service de la République » et le suivi des pupilles qui s'y rattache.
Or, si ces missions peuvent être confiées à l'Office, c'est précisément grâce à son réseau local et à son expertise particulière. Cette situation plaide pour une stabilisation des moyens de l'Office, afin qu'il puisse continuer à accomplir ses missions actuelles tout en conservant sa capacité à absorber un nouveau dispositif important comme la nouvelle indemnisation des rapatriés. C'est le sens de la recommandation principale de ce contrôle, la recommandation n° 6, qui vise à sanctuariser les ETPT de l'Office lors du prochain COP.
Par ailleurs, pour les associations regroupant des anciens des opérations extérieures (Opex) comme pour le ministère des armées, il est important de conserver à cet opérateur une masse critique suffisante pour rassurer les militaires sur la reconnaissance et l'assistance que l'État pourra leur apporter après leur service.
À titre plus prospectif, une seconde question se pose à moyen et long terme pour l'Office, celle des modalités de sa gouvernance. L'Office est dirigé par un conseil d'administration présidé par le ministre en charge des anciens combattants, au sein duquel les associations d'anciens combattants sont majoritaires. Or, avec la diminution du nombre des anciens combattants, l'affaiblissement de leurs associations et la multiplication des missions de l'Office, les associations historiques seront de moins en moins représentatives, tant au regard de la population des ressortissants de l'Office qu'au regard de son action. Qui devra alors être représenté au sein du conseil d'administration ?
À plus court terme, la présidence du conseil d'administration de l'Office par le ministre chargé des anciens combattants est contestée au plan juridique par le Conseil d'État et le ministère des armées. Ma recommandation n° 7 propose donc un point d'équilibre pour les relations entre l'Office, le ministre chargé des anciens combattants et les anciens combattants eux-mêmes.
M. Michel Canévet. - Au regard de l'évolution des effectifs, sera-t-il possible de conserver les 104 antennes locales de l'Office ?
M. Bernard Delcros. - Comment se répartissent les quelque 400 postes qui ne sont pas affectés aux antennes locales ?
M. Claude Raynal, président. - La recommandation n° 6 propose de sanctuariser les ETPT de l'Office, alors que le rapport indique que la baisse des effectifs n'a posé aucun problème. Est-ce cohérent ?
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - On compte actuellement une antenne de l'ONACVG dans chaque département. Il est indispensable de conserver cette proximité, d'autant que certains départements sont des déserts militaires et que l'action sociale de l'Office mérite d'être davantage connue.
Les antennes de l'Office sont généralement de petite taille. À Vannes, dans le Morbihan, le bureau compte quatre personnes, dont une directrice. Entre les rendez-vous, les permanences, le lien avec le monde combattant et l'éducation nationale, les agents ne manquent pas de travail.
Les dossiers d'indemnisation des harkis et autres personnes rapatriées d'Algérie issus de la loi du 23 février 2022 représentent aussi un travail supplémentaire pour les personnels de l'Office.
Hors antennes locales, le personnel de l'Office se répartit entre son siège à Paris, son service instructeur des dossiers d'indemnisation, situé à Caen, qui emploient 170 ETPT. Le reste travaille dans les hauts lieux de la mémoire nationale.
La recommandation n° 6 de sanctuarisation des effectifs se justifie principalement par les nouvelles missions confiées à l'ONACVG, qu'il s'agisse du dispositif d'indemnisation des rapatriés issu du texte de février 2022, des actions de l'Office auprès des armées, de l'éducation nationale, de son action pour appuyer le développement du service national universel, ou encore de l'essor des travaux de mémoire sur l'Afrique du Nord et les Opex. Par ailleurs, de nombreuses antennes locales n'emploient que trois agents, et il est presque impossible de maintenir un bureau ouvert avec un effectif plus faible.
Cette sanctuarisation ne vaudrait, au demeurant, que jusqu'en 2030, avant que la question d'une éventuelle réduction du réseau ne se pose à partir de 2035.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 45.