Lundi 7 novembre 2022
- Présidence de Mme Micheline Jacques, présidente -
Évolution institutionnelle outre-mer - Audition de M. Guy Losbar, président du conseil départemental de la Guadeloupe
Mme Micheline Jacques, présidente. - Monsieur le président, mes chers collègues, le président Stéphane Artano vous prie de bien vouloir l'excuser, car il est retenu à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il nous suit en direct sur le site du Sénat.
J'ai l'honneur de le remplacer pour présider l'audition de monsieur Guy Losbar, président du conseil départemental de la Guadeloupe, dans le cadre de nos travaux sur l'évolution institutionnelle des outre-mer.
Nous vous remercions vivement, monsieur le président, pour votre présence. Nous achevons notre cycle d'auditions qui a permis de consulter les exécutifs de Saint-Barthélemy, La Réunion, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française, la Guyane et Mayotte.
Vous êtes signataire de l'appel de Fort-de-France lancé le 17 mai dernier et chacun connaît votre engagement en faveur d'une relation entre l'État et les collectivités locales plus « partenariale ». Dans quelques jours se tiendra sur votre territoire la commission mixte entre la région et le département qui doit travailler sur les propositions issues de la plateforme des élus territoriaux, des parlementaires et des maires. Vous pourrez nous dire comment se présentent ces discussions et ce que vous en attendez.
Je vais donc vous donner la parole, monsieur le président, pour un exposé liminaire, sur la base du questionnaire qui vous a été adressé pour préparer cette audition. Nous souhaitons vous entendre sur l'état des réflexions institutionnelles sur votre territoire et les souhaits d'évolution. Je vous interrogerai ensuite en ma qualité de co-rapporteur, ainsi que mes collègues.
M. Guy LOSBAR, président du conseil départemental de la Guadeloupe. - Je vous remercie pour cette audition sur ce sujet de première importance, levier d'une amélioration pérenne des conditions de vie des Guadeloupéennes et Guadeloupéens. J'ai lu attentivement l'excellent rapport de Michel Magras. Contribuer aujourd'hui aux travaux de son actualisation retient toute mon attention.
Je préside le conseil départemental de la Guadeloupe, mais également le parti politique Guadeloupe unie, solidaire et responsable (GUSR), dont la dénomination définit le sens de mon engagement politique.
En tant que Guadeloupéen et homme politique de conviction, au regard des difficultés quotidiennes de ma population pour accéder à des ressources essentielles, au regard de tous les indicateurs sociétaux qui démontrent clairement que l'on ne peut pas traiter de manière égale les situations inégales, j'ai le devoir de m'inscrire dans une dynamique de changement pour mon territoire.
La Guadeloupe est composée d'une population vieillissante de 384 239 habitants qui diminue chaque année de 0,8 %, soit près de 3 000 habitants. Ce constat démographique est accentué par un solde migratoire structurellement défavorable dû au départ de notre jeunesse.
34,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté national. Les plus touchés sont les chômeurs, les familles monoparentales et les ménages jeunes. Les prestations sociales sont souvent la principale source de revenu. 40 % des plus de 15 ans sont peu ou pas diplômés quand, au niveau national, ils ne sont que 27 %. En Guadeloupe, le taux de chômage est de 17,2 % de la population active et seule une personne sur deux en âge de travailler possède un emploi contre six sur dix au niveau national.
La Guadeloupe subit l'impact de la crise sanitaire avec des impacts subséquents. Cette crise se révèle également sociale. Enfin, une crise de confiance existe envers ses institutions. La population attend des réponses concrètes et pérennes en matière d'eau et d'assainissement, de santé, de logement et réhabilitation de l'habitat, d'emploi et d'insertion des jeunes, de gestion des transports, de sécurité routière, de sécurité des biens et des personnes, etc. Nos jeunes montrent un désintérêt envers la politique et plus largement, la population exprime de la défiance envers les élus et les politiques publiques. Cette défiance est souvent alimentée par les médias et les réseaux sociaux qui privilégient l'immédiateté de l'information à l'analyse de fond de certaines problématiques. Ce constat, valable pour tous les territoires ultramarins, présente des spécificités propres à chacun d'entre eux. C'est ce message que porte l'Appel de Fort-de-France, ce front commun inédit des exécutifs des territoires d'outre-mer, dont je suis signataire.
Face à cette réalité de nos territoires, je privilégie le pragmatisme au fatalisme en étant convaincu qu'en Guadeloupe, avec l'ensemble des acteurs politiques, économiques, culturels et de la société civile, nous élaborons une stratégie territoriale nécessaire au rayonnement de l'archipel.
Au-delà du contrat de gouvernance concertée entre le conseil régional et le conseil départemental, ce « faire ensemble » a été élargi à l'ensemble des élus : parlementaires, maires et exécutifs des collectivités principales dans le cadre de la plate-forme des élus guadeloupéens. Cette démarche d'ouverture associe les forces vives et les représentants de la société civile.
Je suis également convaincu qu'il faut désormais éviter toute approche juridique sur la question de l'évolution institutionnelle et avoir une démarche pragmatique centrée sur l'efficacité des politiques publiques en ayant à l'esprit que le statut n'est pas une fin en soi, mais un moyen. Dépassionnons le débat autour de cette dichotomie des articles 73 et 74 de la Constitution qui engendre méfiance et inquiétude et qui a favorisé en 2003 le non lors du référendum sur la création d'une collectivité unique, avec 73 % des suffrages exprimés.
Aujourd'hui, la peur du changement existe toujours, mais sa nécessité est reconnue majoritairement. Dans le droit fil des travaux engagés avec l'ensemble des acteurs institutionnels, économiques et culturels, j'ai entamé une démarche pédagogique au service d'une adhésion de tous à notre stratégie territoriale. À ce titre, le 29 juin dernier, j'ai organisé un premier séminaire d'acculturation à la question institutionnelle, sur le thème suivant : « Comment concilier évolution institutionnelle et développement territorial de qualité ? ». Le 1er octobre dernier, j'ai initié un débat centré sur le thème de « l'évolution institutionnelle et les sociétés ultramarines ». À la mi-décembre en partenariat avec l'exécutif régional, nous avons prévu d'organiser un forum citoyen sur la question.
En parallèle, nous avançons avec méthodologie sur notre stratégie territoriale. Le 14 novembre, nous installerons la commission mixte ad hoc en vue des travaux préparatoires d'un congrès conclusif courant 2023. Cette commission sera composée des exécutifs et conseillers de la région et du département, des parlementaires et du président de l'association des maires. Elle sollicitera pour ses travaux des experts et bénéficiera de la contribution de la société civile. Les six prochains mois seront consacrés à co-construire un diagnostic territorial sur des thématiques prioritaires qui porteront notamment sur les investissements structurants, les questions environnementales, les aides au développement économique, la souveraineté alimentaire et énergétique, la culture et l'identité culturelle, la fiscalité.
La restitution des travaux devra permettre d'estimer les engagements financiers supplémentaires attendus des collectivités et de l'État pour conduire la nouvelle stratégie territoriale, ainsi que les leviers supplémentaires nécessaires en matière d'habilitation et d'expérimentation. Elle illustrera aussi le besoin d'une réforme de nos institutions. Sur ce sujet, toutes les réflexions convergent vers la création d'une « boîte à outils » au sein de la Constitution, afin d'ouvrir le champ des possibles. Elle pourra être utilisée par les territoires en fonction de leurs spécificités, s'ils le souhaitent et quand ils le souhaiteront. Cette vision est partagée notamment avec les experts qui estiment que le premier enjeu d'une réforme du titre XII de la Constitution serait celui de la simplification et de la lisibilité des dispositions relatives aux outre-mer. Le second enjeu, de la « boîte à outils », serait de permettre l'adoption d'un « statut à la carte » selon les besoins, aspirations et projets de développement de chaque territoire ultramarin. C'est pour cela que nous devons profiter de l'opportunité qui nous est offerte, avec la révision annoncée du titre XIII de la Constitution relatif à la Nouvelle-Calédonie, de repenser globalement le cadre constitutionnel des outre-mer.
Mme Micheline Jacques, présidente. - J'aimerais savoir si vous avez des exemples d'actions, de stratégies, de projets qui ont été entravés ou bloqués par l'organisation institutionnelle et normative actuelle ? La gestion de la crise de la Covid permet-elle de tirer des leçons ?
M. Guy Losbar. - L'actuelle organisation institutionnelle et administrative, voire statutaire, peut être un frein à l'efficacité des politiques publiques. La Guadeloupe est régie par l'article 73. Donc, l'identité législative s'y applique : toutes les lois s'appliquent de manière identique, en Bretagne ou en Guadeloupe. C'est ainsi que notre territoire de 384 000 habitants se retrouve avec deux collectivités (une région et un département), 5 EPCI et 32 communes. Cette situation crée des difficultés. Le fameux « millefeuille », souvent évoqué, est encore amplifié sur notre territoire. Je peux donner quelques exemples. Les EPCI ont une compétence dans le domaine économique, tout comme la région et le département, puisque, sur 26 ports, 22 sont départementaux. Dans le domaine de l'agriculture, la majorité des terrains appartient au département, qui détient aussi la compétence en termes d'irrigation. L'insertion est également une compétence départementale étroitement liée au développement économique. Si j'évoque ces éléments, c'est pour montrer la difficulté que nous rencontrons à mettre en place certaines politiques efficaces. Nous nous trouvons face à différents freins liés à la multitude des institutions où les compétences se chevauchent. Dans le cas de l'aménagement, les différents projets sont souvent confrontés à des freins réglementaires, puisque ce sont les mêmes règles qui s'appliquent sur tous les territoires, du fait de l'identité législative que je mentionnais.
La mise en application de certaines compétences de l'État pose aussi des problèmes. Nous l'avons vu au niveau de la santé avec tous les conflits en Guadeloupe, en Martinique et dans d'autres départements. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de dire systématiquement qu'il faut transférer des compétences. Je m'inscris dans une démarche de co-construction avec l'État. Certaines compétences doivent être aménagées pour un meilleur partage des compétences. J'évoquais le domaine de la santé. Dans le cadre de la loi 3DS, des évolutions sont prévues, puisque les collectivités territoriales pourront participer aux instances de gouvernance de l'ARS. On pourrait prendre l'exemple de l'immigration. Il ne s'agit pas de transférer cette compétence, mais on voit bien que, dans la lutte contre l'immigration sur nos territoires, un problème d'efficacité se pose. Les différentes politiques nécessitent une meilleure concertation. De même, en matière d'éducation, il est nécessaire de mettre en place des adaptations pour tenir compte des réalités, des aspects identitaires, culturels ou encore environnementaux. Je pourrais aussi citer la fiscalité, car il faudra que nous évoluions dans ce domaine. Nous ne demandons pas un transfert total de cette compétence, mais pour les différentes politiques de défiscalisation qui visent à stimuler l'économie, les territoires ultramarins n'ont pas été suffisamment consultés et impliqués.
Mme Micheline Jacques, présidente. - À l'inverse, souhaiteriez-vous restituer à l'État certaines compétences, compte tenu soit de la difficulté à les exercer, soit du manque d'intérêt d'une gestion territoriale ?
M. Guy Losbar. - Récemment, la question de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) s'est posée. Aujourd'hui, le reste à charge pour notre territoire représente 80 millions d'euros. Chaque année, nous devons donc ajouter 80 millions d'euros au budget du département pour le RSA. Mes services m'ont proposé de recentraliser cette compétence. Or, en tant que président du département et d'un parti politique, je prône une domiciliation du pouvoir au niveau du territoire. D'une certaine manière, une telle recentralisation serait contraire à ma conception. Cependant, nous parlons de 80 millions d'euros. Il ne suffit donc pas de réduire cette question à un problème idéologique. Le risque est que le reste à charge passe demain de 80 millions à 90 millions, puis à 100 millions d'euros. Néanmoins, même en recentralisant, il faudrait que nous donnions 80 millions à l'État. En tant que président du département et responsable politique, la recentralisation enverrait le message que je n'avais pas suffisamment confiance en ma capacité à régler ce problème et à améliorer la situation. Aujourd'hui, 42 000 personnes sont bénéficiaires du RSA en Guadeloupe. Nous comptons non pas recentraliser, mais intensifier les politiques d'insertion et même révolutionner la politique d'insertion sur le territoire, afin de réduire le coût du RSA. Nous voulons faire en sorte que l'insertion soit au coeur de toutes les démarches, dans tous les services, toutes les activités, ainsi que dans les marchés publics.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Le service militaire adapté (SMA) joue un rôle assez important en Guadeloupe et propose soixante-dix formations. Pensez-vous que le département pourrait s'associer au SMA pour développer cette politique de formation et d'insertion des jeunes, notamment ceux qui se retrouvent en décrochage scolaire ?
M. Guy Losbar. - Tout à fait. Si nous souhaitons révolutionner l'insertion, nous devons adopter une stratégie différente et agir avec tous les acteurs. Nous ne devrions plus avoir un rapport tutélaire avec l'État, mais un rapport partenarial. J'ai rencontré le préfet pour lui expliquer ce qu'allait être notre décision, ainsi que le président de la Chambre de commerce. Je vais rencontrer tous les autres corps constitués, pour qu'ensemble nous puissions mettre en place une stratégie et atteindre les objectifs fixés.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Quelle appréciation portez-vous sur la prise en compte des spécificités ou des souhaits des outre-mer lors de l'élaboration des lois et décrets ? Quelle méthode permettrait de l'améliorer ?
M. Guy Losbar. - Aujourd'hui, lors de l'élaboration des lois, nous disposons de deux possibilités : l'habilitation ou l'adaptation. Mais les procédures de l'habilitation sont trop longues et mettent souvent deux ou trois ans à aboutir. Une évolution est donc nécessaire. La loi 3DS apporte un certain nombre d'éléments. Le sénateur Michel Magras mettait aussi en avant cette nécessité pour que nous puissions obtenir des résultats beaucoup plus rapidement. Une discussion porte sur les articles 73 et 74 de la Constitution, mais il ne suffit pas d'aborder ces questions institutionnelles sous cet angle. Pour autant, il est vrai que la fusion de ces articles pourrait apporter une marge aux différentes collectivités.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Les différentes auditions ont révélé que les collectivités sont souvent sollicitées pour avis, mais que l'État ne tiendrait pas compte des avis donnés ou que le temps de consultation serait trop court pour permettre d'approfondir les sujets. Qu'en pensez-vous ?
M. Guy Losbar. - Effectivement, le temps de consultation est trop court. Nous avons le sentiment que les consultations sont réalisées pour respecter une réglementation et non pas pour que l'avis soit pris en considération.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Quel bilan provisoire dressez-vous du contrat de gouvernance concerté qui a été mis en place en 2021 ?
M. Guy Losbar. - Il est un peu tôt pour tirer un bilan. Nous avons dû affronter la crise de la Covid, puis les élections départementales ont été reportées. Pendant pratiquement six mois, nous n'avons pas pu mettre en place cette gouvernance concertée. Une clarification est cependant nécessaire. Le chevauchement des compétences entre région et département oblige en effet à une parfaite cohésion entre leurs deux présidents. Aujourd'hui, une majorité commune favorise une telle communion, mais la gestion politique au quotidien n'est pas toujours évidente. C'est pour cette raison que le GUSR (Guadeloupe unie, solidaire et responsable) milite pour une collectivité unique ou tout du moins, dans un premier temps, pour une meilleure définition des compétences entre département et région. En matière d'agriculture, de tourisme ou encore de culture, une clarification est nécessaire pour gagner en efficacité. De même, sur un territoire de 380 000 habitants, l'existence de 5 EPCI complique le fonctionnement et l'harmonisation des politiques publiques, qui ne sont pas suffisamment efficaces.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Comment jugez-vous le rôle et l'accompagnement de l'État pour exercer vos compétences ? Les transferts se déroulent-ils bien ? Un accompagnement supplémentaire est-il nécessaire et sous quelle forme ?
M. Guy Losbar. - Quel que soit le domaine dans lequel des transferts de compétences sont réalisés, nous constatons très rapidement que le reste à charge pour les collectivités est important. Une co-construction est donc nécessaire, plutôt qu'un État tutélaire qui ne tient pas forcément compte des réalités du territoire. Nos territoires sont trop souvent considérés par l'État comme des territoires de rattrapage, de handicap ou de réparation. Or, ils ont du potentiel et leurs atouts ne sont pas suffisamment pris en compte pour permettre des stratégies gagnant-gagnant dans les domaines du développement économique, de l'énergie ou encore dans la coopération.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Ces restes à charge augmentent chaque année. Est-ce dû au fait que l'État n'a pas tenu compte de certains facteurs évolutifs, notamment le vieillissement de la population ?
M. Guy Losbar. - Effectivement, les évolutions de certains facteurs n'ont pas été prises en compte, et les répercussions sont souvent dues à l'échec de l'État dans ses propres compétences, par exemple en matière d'emploi et d'insertion.
Mme Micheline Jacques, présidente. - La déconcentration permet-elle suffisamment à l'État territorial d'adapter ses propres politiques dans ses domaines de compétence au contexte local (institutionnel, juridique, économique, social, culturel) ?
M. Guy Losbar. - Lorsque les lois sont votées, nos avis ne sont pas forcément pris en compte. Dans la mise en oeuvre des politiques publiques, les réalités des territoires ne sont pas assez prises en considération. Souvent, même la déconcentration ne permet pas l'efficacité. C'est vrai par exemple en matière de sécurité. Il ne peut y avoir de développement économique efficace, si la société n'est pas sécurisée. Or, c'est une compétence de l'État, et de même pour l'immigration.
Mme Micheline Jacques, présidente. - En 2019, le XVIe Congrès s'était prononcé en faveur d'une révision de la Constitution et d'une loi organique propre à la Guadeloupe, lui permettant notamment d'adopter ses propres normes. Le Congrès en cours est-il toujours sur cette ligne ?
M. Guy Losbar. - Une approche pragmatique de l'évolution institutionnelle et statutaire est nécessaire. L'environnement juridique a changé depuis la loi 3DS. Les acteurs ne sont plus les mêmes et les attentes de la population ont évolué. Un certain nombre de préconisations ont été arrêtées lors de ce congrès en 2019, mais nous devrions aller plus loin et différemment.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Dans votre propos liminaire, vous avez déclaré que, parfois, ces sujets suscitaient l'inquiétude. Depuis la semaine dernière, j'ai reçu des dizaines de messages émanant d'un collectif citoyen de la Guadeloupe qui serait favorable à une fusion des articles 73 et 74 et à une évolution statutaire dans le cadre « d'un projet guadeloupéen de société ». Comment percevez-vous cette initiative et quel degré de considération lui apportez-vous ?
M. Guy Losbar. - Quelles que soient les orientations politiques, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'une évolution est nécessaire et que le statu quo a montré ses limites. Ce débat sera au coeur de la vie politique, mais aussi dans les foyers dans les semaines à venir. En tout cas, une fusion des articles 73 et 74 pourrait offrir beaucoup plus de liberté d'action aux collectivités.
M. Dominique Théophile. - Depuis 2003, l'idée d'évolution institutionnelle a causé une forme de peur chez les citoyens, dont 77 % ont rejeté le projet de réforme institutionnelle. Sentez-vous une évolution ? Puisque l'État s'est emparé de la question, comment associer la population à ce changement inéluctable, quel que soit son niveau ?
M. Guy Losbar. - Nous faisons face au paradoxe guadeloupéen. Les citoyens ont exprimé de fortes revendications, en 2009 notamment ou encore l'année dernière au moment de la crise sanitaire qui s'est transformée en crise sociétale. Pourtant, en 2003, 77 % des votants s'étaient prononcés contre toute évolution institutionnelle ou statutaire, contrairement à d'autres territoires. Pour cette raison, j'estime que nous devons adopter une démarche pragmatique et pédagogique. Les Guadeloupéens doivent pouvoir se dire que toute évolution pourra améliorer sa situation, contribuer au développement et améliorer les différentes politiques publiques. Il faut d'abord mieux expliquer notre vision de l'autonomie alimentaire, de l'autonomie énergétique, du développement de l'agriculture et du tourisme. Mettre en avant l'évolution institutionnelle fondée sur la fusion des articles 73 et 74 de la Constitution pourrait au contraire donner une impression de rupture et de décalage par rapport aux attentes des citoyens qui ont besoin de résultats concrets. Nous devons organiser des rencontres avec la population. Nous souhaitons également rencontrer les acteurs économiques et culturels, afin d'expliquer les répercussions d'une évolution en termes de fiscalité et les gains possibles. En guise d'exemple, dans le domaine de l'agriculture, que devrions-nous mettre en oeuvre pour être plus performants ?
Nous devons aussi suivre une démarche de co-construction avec l'État. La vision de ce dernier doit changer. Trop souvent, les territoires d'outre-mer sont considérés comme des territoires de rattrapage, de handicap demandant des subventions. Or nous avons de réels atouts. L'Etat doit en avoir conscience et nous-mêmes devons en être conscients. En matière de coopération, quand vous prenez la Guadeloupe et la Martinique, la Guyane ou encore les territoires de l'océan Indien ou du Pacifique, de véritables stratégies de développement national doivent être mises en place. Or, pour ce faire, il faut d'abord considérer que ces territoires ont un potentiel et il est nécessaire que nous-mêmes puissions le faire valoir. Donc, pédagogie et co-construction avec l'État.
Mme Annick Petrus. - Le partage des compétences ne peut être possible que si les préfets disposent d'une compétence élargie leur permettant de décider de l'adaptation des politiques publiques aux réalités des territoires. Au moment de la crise de la Covid, les préfets ont reçu la consigne d'adapter certaines mesures prises par le Gouvernement. Nous avons ainsi pu prendre en compte les spécificités de chaque territoire, comme le taux de contamination. J'aimerais avoir votre avis sur ce point ?
M. Guy Losbar. - Dans le cadre d'un meilleur partenariat avec l'État, le préfet a effectivement un rôle central à jouer. Aujourd'hui, nous devons très souvent attendre une décision ministérielle ou nationale pour pouvoir agir. Une domiciliation du pouvoir local nous permettrait au contraire d'exercer entièrement certaines compétences, tandis que d'autres compétences seraient partagées avec l'État représenté par le préfet. Les politiques publiques gagneraient ainsi en efficacité.
Mme Vivette Lopez. - La COP 27 se déroule actuellement en Égypte. Le réchauffement climatique est-il un sujet de préoccupation pour vous ?
M. Guy Losbar. - La question interpelle naturellement les Guadeloupéens. Nous avons vu les dégâts causés lors de la tempête Fiona. Nous devons donc reconsidérer l'aménagement du territoire en termes d'urbanisme et d'habitat. Cette démarche se répercute sur l'ensemble de la population, mais trop souvent les Guadeloupéens n'en sont pas suffisamment conscients, alors même que notre situation géographique et environnementale nous y oblige. En tant qu'homme politique, je suis très sensible aux différentes décisions qui se prennent lors des manifestations comme la COP 27, ainsi qu'au niveau national.
M. Dominique Théophile. - La loi 3DS est très récente et n'est pas encore suffisamment prise en compte par les collectivités. L'article L.1111-3-1 du code général des collectivités territoriales vise à affirmer que des marges de différenciation sont autorisées dans le respect du principe constitutionnel d'égalité. Par ailleurs, les départements se voient reconnaître le pouvoir de présenter des propositions pour modifier ou adapter des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration relatives aux compétences, à l'organisation et au fonctionnement des départements. C'est une réelle avancée. Notre département peut-il envisager d'en faire usage ?
M. Guy Losbar. - J'ai mis en avant les contraintes et les délais, mais nous devons également avoir conscience que peu d'initiatives sont portées dans les différentes collectivités. Un certain nombre de dispositifs légaux ont évolué et proposent d'autres possibilités. Nous devons utiliser une boîte à outils pour faire évoluer la situation et contribuer à ce que les politiques publiques soient plus efficaces.
Mme Vivette Lopez. - Pouvez-vous évoquer la crise de la Covid ? Par ailleurs, la jeunesse guadeloupéenne est-elle sensibilisée à la protection des océans ?
M. Guy Losbar. - Notre stratégie de croissance bleue vise à développer le littoral et les activités marines. La Route du Rhum représente l'occasion de familiariser les enfants avec la mer. L'année prochaine, une initiation sera proposée avec les différents clubs nautiques dans nos 42 collèges. Lors des premières éditions de la Route du Rhum, aucun skipper guadeloupéen ne participait, alors qu'ils sont sept cette année. Au fur et à mesure, les Guadeloupéens se sont approprié cet événement.
Concernant la crise de la Covid, les mesures gouvernementales n'ont pas provoqué les mêmes répercussions en Guadeloupe ou en Martinique que dans l'Hexagone. En Guadeloupe, le taux de vaccination est très bas. Nous sommes également confrontés au problème des soignants non vaccinés qui bénéficient du soutien de la population.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie vivement pour vos réponses très claires. Nous suivrons attentivement les travaux du congrès des élus de la Guadeloupe dans les prochains mois.