Mardi 20 juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Projet de loi relatif à l'industrie verte - Examen des amendements aux articles délégués
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons aujourd'hui les amendements de séance sur le projet de loi relatif à l'industrie verte, pour les articles qui nous ont été délégués au fond.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 9 h 40.
Mercredi 21 juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Avenir des concessions autoroutières - Audition de M. Philippe Richert, vice-président de l'Autorité de régulation des transports (ART), président par intérim
M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions consacré à l'avenir des concessions autoroutières. Après avoir entendu les auteurs du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le sujet, des dirigeants de sociétés concessionnaires d'autoroutes et des représentants de trois associations d'usagers des autoroutes, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui le vice-président de l'Autorité de régulation des transports (ART), Philippe Richert, qui en assure la présidence par intérim depuis le départ de Bernard Roman en août 2022.
En avril dernier, nous avions reçu Bernard Roman afin de recueillir son retour d'expérience après six années passées à la tête de cette autorité publique indépendante et de faire le bilan de son mandat. Bien entendu, la question de l'avenir des concessions autoroutières a tenu une place centrale dans nos échanges. Si ce sujet suscite un vif intérêt au Sénat et dans notre commission depuis plusieurs années, il est au coeur de l'actualité depuis la publication en mars dernier du rapport de l'Inspection générale des finances qui a fait grand bruit.
Monsieur Richert, il nous semblait essentiel de vous entendre aujourd'hui et de recueillir votre expertise en tant que régulateur des transports sur ce sujet désormais incontournable, alors que la date d'échéance des premières concessions autoroutières approche. Cette audition est d'autant plus précieuse pour notre réflexion sur le sujet que l'ART a publié en janvier 2023 son deuxième rapport sur l'économie des concessions autoroutières. J'aimerais vous interroger sur quelques points, à la lumière de ce rapport.
Ma première question porte sur l'élargissement des compétences de l'ART au secteur autoroutier en 2016 : depuis cette date, l'Autorité a rendu pas moins de dix-sept avis sur des projets d'avenants à des contrats de concession, qui portaient sur un total de plus de 2 milliards d'euros de hausses de péages. Le rapport indique que les recommandations formulées par l'Autorité à travers ses avis ont permis de limiter de 15 % les hausses de péages supplémentaires, pour un montant d'économies évalué à 303 millions d'euros. Pourriez-vous détailler la décomposition de cette somme et les leviers qui ont permis de dégager cette économie significative au profit des usagers ?
Ces chiffres témoignent assurément de l'efficacité de la régulation, mais aussi des limites du système concessif actuel qui pâtit de certaines asymétries entre les différentes parties au contrat. De manière globale, à la lumière de ce rapport, quel regard portez-vous sur les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ? Celles-ci vous semblent-elles déséquilibrées ?
Ma deuxième question porte sur la rentabilité des SCA. Le sujet a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois et il suscite de vifs désaccords ; nous avons d'ailleurs recueilli des points de vue très divergents sur cette question lors de nos auditions.
Comme vous le savez, le rapport de l'inspection générale des finances (IGF), rendu public en mars dernier, fait état d'une « surrentabilité » des concessions d'autoroute par rapport aux projections réalisées au moment de la privatisation des autoroutes en 2006. En revanche, l'ART évalue le taux de rentabilité interne des SCA à un niveau proche des prévisions des contrats, entre 6,3 % pour les concessions récentes et 7,8 % pour les concessions historiques. Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont l'ART appréhende cette épineuse question de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes ? En quoi votre méthode de calcul diffère-t-elle de celle employée dans les travaux de l'IGF ?
Ma troisième question porte sur la manière d'appréhender le terme des concessions autoroutières, dont la première échéance est en principe fixée à 2031. En mars dernier, Bruno Le Maire a demandé au Conseil d'État d'explorer des pistes pour réduire la durée des contrats de concession en cours. Selon des informations parues hier dans la presse, la haute juridiction administrative est défavorable à cette option, mais elle s'est montrée ouverte sur une possible augmentation de la pression fiscale pesant sur les concessions autoroutières.
Devant notre commission, Bernard Roman avait critiqué la focalisation des débats concernant les autoroutes sur la durée des concessions. Plutôt que de remettre en cause le système actuel, il préconisait de mener dès aujourd'hui une réflexion sur la manière dont les futurs contrats seront conçus, pour parvenir à une gestion des infrastructures plus efficace et équilibrée.
À cet égard, votre rapport de janvier 2023 dresse des pistes intéressantes pour remédier aux lacunes actuelles du système concessif, notamment en réduisant la durée des futurs contrats, en encadrant plus strictement leur renégociation et en favorisant un meilleur partage des risques. Pourriez-vous nous exposer ces pistes de réflexion ? Identifiez-vous des modèles dont nous pourrions nous inspirer sur ce sujet parmi nos voisins européens ?
Enfin, ma dernière question porte sur la fiscalité des autoroutes. Lors de la présentation du plan d'avenir pour les transports, la Première ministre a évoqué l'idée de mettre davantage à contribution le secteur autoroutier pour financer d'autres modes, à commencer par le secteur ferroviaire qui aura besoin d'investissements très importants dans les prochaines décennies. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Depuis 2021, les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent en cause le versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), compte tenu de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Nous pourrons d'ailleurs évoquer cette question avec Patrice Vergriete, le nouveau président du conseil d'administration de l'Afit France que nous entendrons mercredi prochain à l'occasion d'une prochaine audition consacrée aux autoroutes. Dans ce contexte, que pensez-vous de l'instauration de nouvelles taxes visant le secteur autoroutier ?
Au-delà des concessions autoroutières, je ne doute pas que nos échanges permettront d'aborder d'autres sujets d'attention de la commission que ce soit en matière de transport routier, ferroviaire ou aéroportuaire.
M. Philippe Richert, vice-président de l'Autorité de régulation des transports, président par intérim. - Je vous remercie pour votre invitation ; je reviens au Sénat avec plaisir. Je suis accompagné de Sophie Auconie, ancienne députée et vice-présidente de l'ART, ainsi que du secrétaire général et du directeur des services de notre institution.
Si j'avais un seul message à vous transmettre, ce serait celui-ci : il faut dès à présent engager la préparation de la fin des concessions historiques. Je me réjouis que les choses semblent enfin avancer dans la bonne direction. Si nous ne prenons pas dès maintenant les bonnes décisions, nous risquons d'être pris de vitesse lorsqu'arrivera le temps de la passation de témoin. Il nous reste moins d'une dizaine d'années avant l'échéance du premier contrat historique : c'est une durée très courte compte tenu de l'ampleur des tâches à mener.
Il faut avant tout s'assurer du bon déroulement de la fin des concessions en cours. Cela semble évident, mais d'importants travaux, qui avaient été programmés, doivent encore être réalisés par les concessionnaires : telle est leur responsabilité. Premièrement, il convient de recenser l'ensemble des investissements prévus par les contrats pour s'assurer que ceux-ci soient effectivement menés à bien avant l'échéance - certains chantiers peuvent représenter un coût d'un, voire deux milliards d'euros. Deuxièmement, les contrats de concession prévoient que les infrastructures routières doivent être rendues en bon état ; il faut clairement définir cette notion du « bon état » afin de chiffrer les travaux associés. Troisièmement, il faut assurer la continuité du service afin d'éviter toute interruption des circulations sur les autoroutes et anticiper les modalités de gestion du réseau à l'issue des contrats.
À cet égard, il est impératif de poser sereinement les termes du débat. Je pense notamment au choix du futur modèle d'exploitation : faut-il poursuivre les concessions, envisager de nouvelles formes de partenariats public-privé (PPP) ou privilégier la mise en régie ? Il faudra aussi s'interroger sur l'éventuel redécoupage géographique du réseau autoroutier, ainsi que sur le choix de la durée et les conditions d'attribution des éventuels nouveaux contrats d'exploitation. Il sera également inévitable d'examiner les nouveaux investissements à consentir, compte tenu des enjeux climatiques, entre autres.
Cette liste n'est pas exhaustive et négliger l'étendue de ces travaux serait une erreur : ce serait prendre le risque de manquer de temps pour les accomplir dans de bonnes conditions. Or nous avons une occasion historique de faire évoluer le modèle actuel. Dans le choix du futur modèle de gestion, il faudrait être attentif aux modalités de régulation qui, là aussi, ne sont pas aujourd'hui pleinement satisfaisantes. Certes, il est indéniable que le modèle concessif possède des vertus. Il repose sur une logique d'usager-payeur : celle-ci crée un cadre propice à la réalisation d'investissements et elle participe à la couverture des coûts de la route ainsi qu'aux objectifs de report modal. Mais il comporte aussi des imperfections : si le réseau devait être de nouveau concédé, l'ART préconise deux évolutions du modèle concessif, en vue de mieux encadrer sa rentabilité.
Comme le soulignait Bernard Roman, il faut, en premier lieu, réévaluer la durée des contrats : lorsqu'ils sont trop longs, ceux-ci entraînent des renégociations en faveur des acteurs en place ; les contrats sont donc réattribués sans concurrence, alors qu'ils portent sur des sommes non négligeables. L'ART plaide pour des contrats plus courts. Bien sûr, il faut mettre en balance les bénéfices attendus d'une mise en concurrence régulière, d'une part, et les contraintes inhérentes à la gestion d'une infrastructure routière, d'autre part : les travaux menés par l'ART montrent qu'une durée de l'ordre de vingt ans offrirait les conditions de cet équilibre. La durée des contrats découle en principe des investissements à mener, si bien que certains acteurs affirment qu'il ne serait pas possible d'envisager des contrats courts si des investissements importants devaient être réalisés. Ainsi, ceux-ci laissent entendre qu'il en résulterait nécessairement une augmentation des tarifs des péages. Nous pensons au contraire qu'il est possible d'imaginer des mécanismes permettant de concilier une durée de concession courte, des péages acceptables et, si cela se révélait nécessaire, des investissements importants. L'ART a mis en exergue le mécanisme de la soulte. Il s'agit d'une approche parmi d'autres pour aboutir à des contrats courts ; aucune ne doit être écartée a priori. En tout état de cause, il est essentiel que l'État anticipe cette question, faute de quoi, il serait contraint de s'engager dans le renouvellement de contrats longs ; il manquerait ainsi une occasion historique de réduire la durée des contrats.
En second lieu, il faut encadrer plus strictement les négociations entre concédant et concessionnaire. En effet, les modifications contractuelles sont opérées en dehors de toute procédure concurrentielle. Compte tenu de l'asymétrie de négociations entre le concédant et le concessionnaire, le risque, sans une régulation forte, est que les hypothèses servant de base à la compensation octroyée au concessionnaire pour la réalisation d'opérations non prévues par le contrat initial soient établies dans un sens défavorable à l'usager et, plus généralement, à l'État. Depuis sa prise de compétence au 1er janvier 2016, l'Autorité a été saisie à dix-sept reprises de projets de modification de contrats de concession. Ces projets portaient sur des opérations que le concédant et le concessionnaire envisageaient de compenser par plus de 2 milliards d'euros de hausses de péage. Or, dans ses avis consultatifs, l'ART a recommandé au concédant de réduire de 800 millions d'euros les hausses de péage envisagées, sans dégradation de la qualité du service rendu à l'usager. L'Autorité a été partiellement suivie par le concédant : ce dernier a réduit de 300 millions d'euros les hausses de péage initialement négociées avec le concessionnaire. Autrement dit, ce sont 1,7 milliard d'euros qui ont été négociés de gré à gré sans recours à un appel d'offres. Cela dit, la somme restante, 500 millions d'euros, nous semble discutable. Lorsque nous avons mené nos analyses, nous avons pris conscience qu'une partie des contrats planifiait des travaux déjà prévus : ils auraient été financés deux fois par des hausses de péage. C'est un peu cavalier ! Il faut donc bien regarder le détail de ce qui est prévu. Nos discussions portent aussi sur le montant des travaux financés par ces augmentations de tarifs. C'est pourquoi l'ART a créé une cellule pour mieux évaluer la situation : nous avons estimé que certaines opérations étaient surévaluées par rapport au coût réel des opérations.
La prise en compte limitée de recommandations de l'ART pourrait conduire le législateur à réévaluer la portée des pouvoirs qu'il lui a confiés en la matière. En effet, nous avons la possibilité de formuler un avis, mais nous ne décidons pas. On pourrait imaginer que l'ART - ou d'autres instances, d'ailleurs - puisse imposer son avis ; il reviendrait aux parties insatisfaites de la décision de prouver que nos chiffres ne sont pas exacts. Ce sont des milliards d'euros d'argent public qui sont en jeu : il faut veiller à leur bonne utilisation, de même qu'il faut vérifier la réalité des chiffres fournis.
Nous n'avons pas constaté d'écart significatif en matière de rentabilité des SCA. Il faut bien comprendre que l'Autorité analyse la rentabilité des concessions d'autoroute sous l'angle du péage payé par l'usager. Plus précisément, l'Autorité mesure la rémunération de l'ensemble des capitaux engagés dans la concession, c'est-à-dire à la fois celle des fonds propres apportés par les actionnaires et celle de la dette tout au long de la durée du contrat, c'est-à-dire depuis que ces autoroutes sont concédées et non pas uniquement depuis 2006, qui marque le début de la libéralisation des autoroutes. Nous avons retenu la durée totale de la concession, car la loi nous l'impose.
Vient ensuite la question du chiffrage de la rentabilité.
Les estimations les plus récentes de l'Autorité concluent à un taux de rentabilité interne projet (TRI-projet) de 8 % pour les sept concessions historiques principales. Ainsi, les péages auront rémunéré les capitaux engagés tout au long de la durée des concessions historiques, soit de 64 à 75 ans, sur la base d'un taux d'intérêt de 8 %. On constate d'ailleurs à cette occasion que les durées sont trop longues - 75 ans, cela représente tout de même trois quarts de siècle. La priorité de l'Autorité, dont l'une des missions consiste à éclairer le débat public, est de donner des éléments quantifiés pour que chacun puisse, s'il le souhaite, faire les comparaisons adéquates et avoir sa propre appréciation de la rentabilité des concessions.
En tout état de cause, il est évident de conclure que la rentabilité des capitaux engagés dans ces concessions historiques - appréciée tout au long de la durée des concessions - est manifestement excessive. Certes, un TRI-projet des concessions s'élevant à 8 % s'avère supérieur aux attentes moyennes du marché, qui, selon les estimations de l'ART, étaient de l'ordre de 7 % pour un investissement de ce type durant cette période. Ainsi, à l'échéance des contrats, les recettes perçues dépasseront les coûts, y compris la juste rémunération des capitaux investis. Néanmoins, compte tenu des risques transférés et de la durée de la concession, cet écart n'est pas incompatible avec les aléas normaux de la concession.
Quelles conséquences tirer de ces analyses ? Celles-ci ne ferment pas la question du niveau de rentabilité. Les débats actuels sur le TRI, sa mesure et son interprétation ne doivent pas nous faire oublier les vrais enjeux en matière de régulation du secteur. Il s'agit d'un fait bien établi : plusieurs imperfections du modèle concessif actuel tendent à s'accompagner d'effets haussiers sur la rémunération des capitaux investis par le concessionnaire. Dans ses travaux, l'ART l'a constaté à plusieurs reprises et je citerai deux exemples.
Premièrement, les négociations de gré à gré pour la réalisation de nouvelles infrastructures sont souvent avantageuses pour le concessionnaire. Depuis 2016, le concédant a contractualisé 17 avenants à des contrats de concession, correspondant à une hausse cumulée de 1,7 milliard d'euros des péages. Les analyses de l'ART ont montré que la somme de 500 millions d'euros d'augmentation restait discutable. C'est donc un demi-milliard de trop que les usagers financeront à travers des péages.
Deuxièmement, les contrats comprennent des investissements à réaliser, notamment les élargissements qui n'ont pas encore été exigés du concessionnaire. Il s'agit pourtant de montants importants - de l'ordre de plusieurs milliards d'euros. Si le concédant ne fait pas valoir ses droits, ces investissements auront été payés par l'usager sans qu'ils soient réalisés.
Face à cette situation, quelles actions concrètes peuvent-elles être engagées ? Une gestion rigoureuse des contrats permettrait de contenir la rentabilité des concessions durant la prochaine décennie. En outre, la qualité du pilotage du concédant aura des conséquences sur les charges et sur les recettes des concessionnaires. De plus, une bonne gestion du contrat accentuera la rentabilité dont bénéficient les concessionnaires. À l'inverse, un manque de rigueur est susceptible d'entraîner une dérive significative. Les enjeux financiers associés sont colossaux : une mauvaise gestion de la fin des concessions coûterait des milliards d'euros à l'État. À l'avenir, si le choix est fait de maintenir le système concessif, l'encadrement des nouvelles concessions devrait être renforcé. Les contrats devraient être plus courts ; en cas de maintien de contrats longs, le cadre régulateur applicable aux avenants devrait être revu pour être plus contraignant.
Vous me demandez si les autoroutes pourraient contribuer aux investissements en faveur du secteur ferroviaire par le biais de la fiscalité. Tant les questions fiscales que celles relatives à l'affectation des ressources de l'État ne relèvent pas directement des compétences de l'Autorité : cette tâche incombe au Parlement et au Gouvernement. J'émettrai seulement quelques remarques. Des contentieux sont en cours entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes sur la question de l'indexation à l'inflation de la taxe d'aménagement du territoire : il appartient au juge de trancher les litiges.
Je peux néanmoins apporter des éclairages sous l'angle des conséquences sur le péage. Le secteur autoroutier contribue déjà au financement des transports par le biais de la fiscalité spécifique à ce secteur : la redevance domaniale et la taxe d'aménagement du territoire, payées par les SCA, s'élevaient à 935 millions d'euros en 2022. Pour aller plus loin dans la réflexion, il faut examiner les outils offerts par la nouvelle directive Eurovignette : ceux-ci offrent la possibilité d'instaurer des redevances pour coût externe, sur le fondement du principe pollueur-payeur. Il est ainsi possible d'intégrer dans le péage la valeur des rejets polluants des véhicules, notamment les émissions de CO2, la pollution sonore ou encore les embouteillages. Ainsi, des moyens sont dégagés pour financer des modes de transport alternatifs, tout en incitant à des comportements plus vertueux.
Dans son rapport de janvier 2023, l'Autorité a mis en évidence l'effet d'aubaine dont les sociétés concessionnaires ont bénéficié avec la baisse du taux d'impôt sur les sociétés entre 2018 et 2022. Nous avions chiffré ce montant à 7,9 milliards d'euros jusqu'à la fin des concessions historiques. D'un côté, les sociétés concessionnaires ont donc subi une ponction de 935 millions d'euros et, de l'autre, les avantages offerts par la loi à ces mêmes sociétés s'élèvent à 7,9 milliards d'euros. Il ne me revient pas de livrer mon impression sur cette situation, mais je tenais à mettre ces chiffres en parallèle. Si le Conseil d'État ouvre la voie à une augmentation de la fiscalité pesant sur les autoroutes sans compensation par des hausses de tarifs, il faudra examiner la façon la plus raisonnable possible de rééquilibrer les choses.
- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -
M. Didier Mandelli, président. - Monsieur le président, je vous remercie pour ces éléments d'information et pour ces projections.
M. Bruno Belin. - Je suis ravi de vous revoir au Sénat, monsieur Richert. Je salue notre ancienne collègue députée Sophie Auconie. Vous connaissez tous deux les territoires : c'est là un atout essentiel pour le bon fonctionnement de l'ART.
Aujourd'hui, nombre de nos compatriotes sont attentifs aux hausses des péages. Nous avons auditionné les représentants de Vinci il y a quelques semaines : nous ne les avons pas sentis très à l'aise sur la légitimité de ces hausses et ils n'ont fourni aucune justification. Or l'ART a accès au compte des gestionnaires : considérez-vous que celles-ci étaient légitimes ? Le cas échéant, pourraient-elles être réduites ?
Mme Angèle Préville. - Merci pour votre vigilance aiguë sur le sujet et pour votre travail d'expertise. Vous avez évoqué le bon état du réseau autoroutier. L'ART établira-t-elle une feuille de route pour établir les critères permettant d'en juger en fin de contrat ?
Vous avez aussi évoqué une gestion plus rigoureuse des contrats. Cela sera-t-il suffisant ? Ou les contrats devront-ils gagner en précision ?
M. Olivier Jacquin. - Vous avez souligné le déséquilibre de la relation existant au sein du contrat, sans jamais prononcer le mot. Si les concessions étaient renouvelées, vous avez exprimé le souhait de contrats plus courts et renouvelés plus régulièrement ; je m'en réjouis.
Lors de nos auditions, nous avons assisté à une bataille de chiffres difficile à arbitrer entre les tenants du TRI-projet et ceux du TRI-actionnaire. Vous avez indiqué votre préférence pour le TRI-projet. Or notre collègue Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête sur les concessions autoroutières, fustige cette méthode ; il lui préfère les conclusions du rapport de l'IGF, évoqué par le président dans son intervention liminaire. Quelle est votre position à ce sujet ?
L'an dernier, j'ai déposé une proposition de résolution relative au respect des obligations légales des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à une nouvelle organisation de la gestion du réseau routier national français autour de l'établissement public industriel et commercial (Épic) « Routes de France ». Je n'y exprime pas de position défavorable aux concessions. J'y pointe toutefois des désordres à résoudre d'urgence : le premier d'entre eux concerne le mauvais état du réseau routier national non concédé - qui n'entre pas dans votre champ d'expertise. La création d'un Épic, qui gérerait l'ensemble des autoroutes à la fin des contrats, permettrait de rééquilibrer le dispositif actuel en fléchant l'argent généré par la route vers la route, et, dans un deuxième temps, vers le secteur ferroviaire ; la directive Eurovignette y contribuerait également.
Vous l'avez rappelé, vous êtes aujourd'hui président par intérim de l'ART. Avez-vous des informations sur la nomination du futur président, qui semble poser problème à l'exécutif ?
M. Philippe Richert. - Je suis le plus ancien vice-président de l'ART, d'où mon titre de président par intérim. Mais j'insiste sur le fait que les quatre vice-présidents travaillent de manière collégiale : les choses se passent bien. Nos mandats ne sont pas politisés : chacun apporte sa vision et contribue au débat de façon très constructive. À titre personnel, j'apprécie mon travail au sein de l'ART - j'en profite pour saluer le professionnalisme de nos services.
Monsieur Belin, vous estimez que les sociétés d'autoroute ne sont pas à l'aise avec la hausse des péages. Au départ, les sociétés avaient pris l'ART en grippe, jusqu'à remettre en cause notre existence. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse : ces mêmes sociétés s'appuient sur nos résultats pour étayer leur analyse face aux services fiscaux. L'an dernier, nous avons jeté les bases du débat dans un document pour comprendre les notions de rentabilité et d'utilisation financières. Mais je le répète : il ne nous revient pas de décider ; cette tâche incombe au Gouvernement et au Parlement.
Bien souvent, c'est à l'initiative du Parlement que de nouvelles compétences ont été octroyées à l'ART - plus rarement à celle du Gouvernement. Cela dit, le Parlement, y compris le Sénat, n'a pas repris certaines de nos récentes propositions ; or celles-ci auraient permis de régler les problèmes que nous évoquons aujourd'hui : la situation aurait ainsi été assainie depuis longtemps. Je précise que nous n'avons aucun intérêt à défendre : nos contributions visent seulement à éclairer le débat.
Plutôt que de cantonner l'Autorité à la production d'un avis remis au Gouvernement, il faudrait lui offrir la possibilité de prendre des décisions : cela changerait la donne. Nous ne voulons pas augmenter nos compétences à tout prix, mais si les concessions sont renouvelées, nous ne pouvons pas repartir sur les mêmes bases. Le concessionnaire est au courant de tout, surtout après 50 ans d'exercice : il est indispensable que nous bénéficiions du même niveau d'information que lui sur le montant des travaux à mener.
L'état du réseau autoroutier concédé est bon. Avant, le réseau allemand était meilleur que le nôtre. Aujourd'hui, notre réseau souffre la comparaison avec nos voisins. Cela dit, il faut faire attention : veillons à ne pas laisser les dérives se développer d'ici à la fin des concessions. Il faut que les dispositions prévues aux contrats en matière de travaux soient bien exécutées, sinon les désordres, tels que les ralentissements, se multiplieront. Certes, nous ne sommes pas toujours d'accord, mais nos échanges avec les SCA se passent plutôt bien. Le recensement sur les travaux à mener avance convenablement. Mais il importe maintenant de définir la notion de bon état. Les réflexions menées sous l'égide de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) ont bien avancé, mais nous devons impérativement aboutir d'ici à la fin des concessions, surtout si celles-ci sont renouvelées.
Monsieur Jacquin, nous sommes plutôt favorables au TRI-projet, à condition de bien en préciser les conditions. À lire certains articles de presse, l'ART, la commission d'enquête du Sénat, la mission conduite par l'IGF et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) ne s'entendraient pas sur les chiffres de rentabilité. Or il n'en est rien : lorsque l'on compare des choses comparables, les différents rapports produits sur le sujet sont similaires. Lorsque l'ART calcule un TRI-projet de la concession, elle obtient en moyenne un pourcentage s'élevant à 8 %, de même que la mission IGF-Igedd. Cette dernière aboutit à un TRI-actionnaire moyen de 11,3 %, contre 10,4 % selon la commission d'enquête du Sénat : les chiffres ne sont pas si éloignés que cela.
Certes, des données peuvent être divergentes, mais le problème porte non pas sur les chiffres, mais sur leur interprétation. Les indicateurs TRI-projet de la concession et TRI-actionnaire de la privatisation répondent chacun à des questions différentes, mais tous deux sont utiles. Calculé tout au long de la concession, le TRI-projet permet d'analyser la rentabilité sous l'angle du péage : cela correspond au travail demandé à l'ART par le pouvoir de tutelle. Celui-ci vise à répondre à une question essentielle pour le régulateur économique : est-ce que le péage permet de couvrir les dépenses liées aux aménagements autoroutiers, majorées d'un bénéfice raisonnable ? Nous sommes souvent amenés à discuter de la notion de bénéfice raisonnable, mais nous n'avons pas à prendre de décision sur les péages, puisque les formules des péages sont fixées entre le concédant et le concessionnaire. Définir correctement les formules au début de la négociation, telle est la question de fond.
Le TRI-actionnaire de la privatisation mesure quant à lui la rentabilité pour leurs actionnaires actuels de l'acquisition des sociétés concessionnaires d'autoroutes en 2006. Il répond à une question qui relève de l'évaluation des politiques publiques : est-ce que les concessions ont été valorisées à leur juste niveau au moment de la privatisation ? Je n'ai pas à me prononcer sur ce point.
Les deux démarches sont donc différentes. On nous demande d'un côté de calculer la rentabilité depuis que les autoroutes sont concédées, ce que nous faisons bien volontiers, et, de l'autre, de calculer le TRI-projet de la concession, car telle est la mission confiée par le législateur à l'Autorité.
En conclusion, nous estimons le TRI-projet à 8 % pour toute la durée des concessions et le coût du capital à 7 % durant la même période : la rémunération des capitaux n'est donc pas manifestement excessive, mais des imperfections doivent être corrigées. Tel est l'objet de nos propositions visant à éviter les dérives que nous avons parfois rencontrées.
M. Jacques Fernique. - Grâce à vos fonctions, passées et actuelles, à la tête de l'ART, vous bénéficiez d'une expérience précieuse de la régulation des transports. Lors de son audition, votre prédécesseur a évoqué une « volonté de mettre de côté une autorité indépendante qui, même si elle a démontré son expertise, gêne parfois le Gouvernement », lequel, selon lui, « serait tenté de faire de la mayonnaise sans oeufs » - autrement dit, de travailler à l'avenir des autoroutes sans l'ART. Il apparaît donc que des mesures pourraient être prises pour conforter l'ART dans ses missions, et qu'il est attendu du Parlement qu'il joue un rôle à cet égard.
La donne a changé : à la suite du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), la Première ministre a annoncé un plan d'avenir pour les transports, qui suit le scénario dit de planification écologique, ainsi que 100 milliards d'euros à destination du ferroviaire. Ainsi, les niveaux d'investissements envisagés devraient enfin correspondre à ce que l'ART recommande depuis longtemps.
Pour financer ces investissements, la Première ministre a ouvert la piste d'une importante contribution de la part des secteurs autoroutier et aérien. Si ce n'est pas l'ART qui en décidera, son éclairage est sans doute utile. S'agissant du secteur autoroutier, l'équilibre financier des concessions est globalement atteint : elles dégageront encore quelques dizaines de milliards d'euros de profit d'ici l'issue des contrats actuels. Cependant, comment réguler le partage de ces montants entre l'État - qui doit répondre à ses besoins d'investissements en faveur du report modal -, les usagers - qui ne souhaitent pas payer des tarifs de péage trop élevés -, et les actionnaires ?
En outre, avec la fin des concessions d'origine, qui étaient assises sur des investissements massifs, le COI évoque une perspective de baisse de 50 à 70 % des recettes de péage en raison de l'application des règles européennes actuelles. Cela risquerait, paradoxalement, de favoriser dans les décennies à venir un mode dont nous cherchons au contraire à réduire l'utilisation. Où, dans ces conditions, trouver les ressources pour que le secteur autoroutier contribue aux investissements dans les transports durables et la planification écologique ?
Vous avez mentionné les nouvelles perspectives de l'Eurovignette et de la taxation sur le principe du pollueur-payeur ; l'écotaxe alsacienne, que vous connaissez bien, en est une sorte de préfiguration. Ces pistes ne devraient-elles pas être davantage exploitées à l'avenir ?
M. Philippe Tabarot. - Vous avez apporté des éléments de réponse probants à ma première question, qui portait sur la cause des décalages entre vos travaux et ceux de l'IGF et du Sénat.
Par ailleurs, l'autoroute peut-elle financer de manière pérenne d'autres modes, comme le ferroviaire, à la fois en se décarbonant et en reversant des dividendes raisonnables à ses actionnaires, et sans pour autant « matraquer » les automobilistes à travers les péages ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le mode de calcul du tarif des péages, qui est indexé sur l'inflation tout en prenant en compte d'éventuels travaux réalisés par les sociétés, reste-t-il toujours d'actualité ? En effet, je faisais partie du groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes lancé au Sénat fin 2014, lorsque l'actuel Président de la République était ministre de l'économie : je me souviens du débat autour des 3,2 milliards d'euros d'investissements supplémentaires liés à l'allongement de la durée des contrats.
Le coût total de la décarbonation des autoroutes a-t-il fait l'objet d'une estimation ? Je pense notamment à l'installation de bornes électriques et au report du trafic de camions depuis les routes nationales vers les autoroutes. Je sais que Nicole Bonnefoy est particulièrement préoccupée de la situation sur la N10, tandis que la N3, dans la Sarthe, retient toute mon attention.
M. Philippe Richert. - Monsieur Fernique, ce sont bien sûr des montants importants. Les entreprises qui investissent dans le secteur autoroutier doivent être payées pour les travaux qu'elles réalisent. De même, il est normal que l'argent qu'elles avancent soit justement rémunéré. Il importe de les encadrer au mieux, dès le départ.
Pourquoi y a-t-il eu de telles évolutions ? Le prix des péages est calculé sur l'inflation : dès lors que cette dernière atteint les niveaux que nous connaissons actuellement, la donne change considérablement. Deux des trois grandes entreprises concessionnaires historiques s'en sont sorties avec des résultats bien supérieurs à ceux que nous aurions pu imaginer, tandis que la troisième a suivi une trajectoire conforme à nos prévisions parce qu'elle n'avait pas anticipé l'éventualité de la hausse des péages.
Il est vrai que les chiffres des sociétés concessionnaires de ces dernières années sont révélateurs. Même si leurs résultats étaient un peu moins bons durant la crise sanitaire, du fait de la forte baisse de la fréquentation des autoroutes, ils se sont très rapidement rétablis. Dès lors, nous pouvons évaluer le caractère « raisonnable » des profits des sociétés concessionnaires et les contributions supplémentaires que nous pouvons leur demander.
Par ailleurs, je peux vous assurer qu'un travail similaire est mené sur les autres modes de transport, y compris dans le secteur aérien, afin de réfléchir aux mesures supplémentaires que nous pourrions envisager.
Les autoroutes pourront-elles financer les autres modes de transport ? C'est une question d'équilibre. Les retombées engendrées par le développement des territoires permettent d'engager des financements ; nous pouvons imaginer que les autoroutes participent au financement d'autres modes de transport, mais je ne pense pas que cela suffira. Quand l'Afit France a été créée, nous pensions que cela allait amener bien plus de financements. Depuis, la situation me paraît mieux structurée. Un reversement pourrait donc être envisagé, et je crois que les sociétés autoroutières elles-mêmes y seraient prêtes.
La question du cadre dans lequel doit avoir lieu ce débat, cependant, demeure ; si c'est l'État qui l'engage, c'est une bonne chose. Monsieur Fernique, vous avez ainsi rappelé que la Première ministre s'appuie désormais sur les chiffres de l'ART. À titre personnel, je n'ai pas de difficultés avec le Gouvernement ni avec les sociétés autoroutières. Au départ, je n'étais pas candidat à la présidence : nous traversions une période de recomposition, et il est fréquent de devoir offrir des opportunités à des personnes qui ont des qualités particulières. En revanche, j'ai déclaré ma candidature lorsqu'au bout de six mois personne n'avait été désigné. Je n'ai pas été choisi et j'en ignore la raison précise. En tout cas, je ne vois pas comment nous pourrions nous passer de ces autorités. Selon moi, elles font un travail utile, qui confère une meilleure vision et une plus grande transparence sur ce sujet : il serait dommage de ne pas les mettre à profit.
Dès lors, le sujet des coûts engendrés par la décarbonation ne peut être éludé. La question environnementale est devenue prioritaire : nous devons la prendre en compte et nous interroger sur la manière de financer la transition écologique. Nous avons réalisé des estimations de ce coût, mais elles nécessitent d'être affinées.
S'agissant de la hausse des péages, elle est prévue par les contrats. En revanche, l'ART a relevé un effet d'aubaine, dans un contexte de très forte augmentation de l'inflation, lié au fait que les péages indexés à 70 % sur l'inflation augmentent plus vite que les charges. Les coûts sont effectivement élevés, mais il suffit de les prévoir. Les sommes mobilisées, notamment par le secteur privé, sont importantes : il est légitime qu'elles appellent à une juste rétribution. Je ne sais pas si l'État a créé une structure pour évaluer le coût de la décarbonation, mais cela me paraît nécessaire ; nos propres estimations ne sont pas très précises. La décarbonation passe actuellement en grande partie par l'électrique, mais d'autres solutions sont à prévoir, et leurs coûts financiers devront être évalués, en France comme à l'étranger.
Nous devons donc décider des priorités et définir les dispositifs adéquats, pour la décarbonation comme pour la contribution financière au développement du fret ferroviaire. Le Gouvernement a en effet annoncé le doublement du fret ferroviaire : mais pour atteindre cet objectif, le réseau doit être en bon état. La France a beaucoup de voies ferrées, mais leur entretien mériterait d'être amélioré. Si la Première ministre parvient à trouver les moyens qu'elle a évoqués, nous pourrons faire face à ces défis importants. Beaucoup reste à faire dans ce domaine. D'ailleurs, je ne crois pas que la cession des petites lignes aux conseils régionaux soit une solution facile. En effet, si leur entretien était coûteux pour l'État et la SNCF, il ne le sera pas moins pour les régions - c'est mon avis personnel. Les difficultés que nous commençons à entrevoir dans le débat entre l'État et les régions ne sont peut-être que la traduction de cette équation : lorsque les trains sont peu fréquentés, il est difficile de les rentabiliser. En tant que président de région, j'ai dû procéder à de tels arbitrages quand le déséquilibre était trop prononcé. L'enjeu est d'intervenir sur les lignes le plus en amont possible et de garantir leur entretien. C'est ce que nous avons fait en Alsace, puis en Lorraine et Champagne, parfois avec un vrai coup d'accélérateur. La première fois que j'ai emprunté la ligne entre Givet et Charleville-Mézières, dans les Ardennes, je voyais les bicyclettes me dépasser ! Heureusement, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous allons vers une meilleure prise en compte de la question environnementale, de manière à la fois raisonnable et pérenne.
M. Jordan Cartier, secrétaire général de l'Autorité de régulation des transports. - S'agissant de la décarbonation des autoroutes, il faut bien distinguer la question des investissements à réaliser de celle de leur financement. Le COI le reconnaît lui-même dans son rapport : pour l'heure, il n'y a pas d'évaluation consensuelle, ou du moins endossée par la puissance publique, du montant des investissements nécessaires pour décarboner les autoroutes. Une société concessionnaire, avec l'aide d'un cabinet de conseil, a rendu publique une étude qui chiffre à plusieurs dizaines de milliards d'euros les investissements nécessaires. Cependant, d'importantes incertitudes demeurent quant aux technologies de décarbonation des poids lourds. Ainsi, la part la moins discutable de ce montant d'investissement est de l'ordre de quelques milliards d'euros seulement. La fourchette est donc très large. Il n'existe en tout cas pas de travail équivalent à celui du COI en matière d'investissements pour la décarbonation des autoroutes.
Se pose, par ailleurs, la question du financement de ces investissements. À l'horizon 2031-2036, selon la date d'échéance des contrats historiques, si la puissance publique choisit de maintenir un modèle concessif - il a ses avantages en matière de financement des investissements par la logique de l'usager-payeur -, les investissements seront prévus dans les cahiers des charges des futures concessions.
En outre, selon le rapport de l'ART de janvier 2023, il serait possible, en ayant recours à une modalité de financement un peu innovante - une soulte - de financer dès à présent des investissements de décarbonation nécessaires à court terme, sans alourdir de manière trop excessive les péages autoroutiers. En effet, seule une partie de ces investissements serait amortie à la fin des contrats de concession actuels, l'autre serait portée par le futur concessionnaire. Nous pourrions ainsi réaliser ces investissements sans attendre le renouvellement éventuel des concessions, sans augmenter trop fortement le prix des péages et sans allonger les contrats de concession historiques. L'ART a appelé l'État à conduire les investigations nécessaires pour évaluer la pertinence de cet outil.
M. Étienne Blanc. - La situation de nos autoroutes s'est incontestablement améliorée : elles affichent désormais un niveau de qualité comparable à celui du reste de l'Europe. La concession, par conséquent, est un bon système, si l'on se fie aux objectifs.
Les questions de la décarbonation et de l'éventuel financement par les autoroutes d'autres modes de transport, quant à elles, sont d'un autre registre, et feront l'objet des futurs contrats.
En France, lorsqu'une entreprise se distingue par des résultats très positifs, elle est stigmatisée. Selon la majorité des organes de presse, les résultats des sociétés concessionnaires n'auraient profité qu'aux actionnaires, et non aux Français : tout cela se serait fait sur le dos des usagers, qui paieraient des droits de péage excessifs. Par ailleurs, les entreprises qui font des pertes sont, elles, sanctuarisées, et il apparaît tout à fait légitime de les subventionner. Notre système marche sur la tête ! Dès qu'une entreprise enregistre un bénéfice, puisqu'il profite à la société, il bénéficie aussi indirectement à ses actionnaires.
Ne pourrions-nous pas établir un système intermédiaire, dans lequel il serait possible d'identifier, dans le résultat de la concession, la part dévolue à l'investissement et celle qui est destinée à la rémunération du capital ? Vous avez évoqué un bénéfice « raisonnable » : certains bénéfices pourraient en effet ne pas l'être. Il faudrait alors imaginer un modèle qui propose une répartition du bénéfice entre l'entreprise et l'État, dès lors qu'il serait considéré comme déraisonnable, au titre du traité de concession. Le droit européen le permet-il ? À ma connaissance, c'est parfaitement possible en droit français. En l'état actuel, cette réflexion est-elle explorée ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi ?
M. Jean-Claude Anglars. - L'État s'est récemment délesté de 10 000 kilomètres de routes au profit des collectivités territoriales - régions ou départements. Or, pour seulement 2 400 kilomètres de ces routes, le contrat était arrivé à terme : un accord a été conclu entre les collectivités et l'État. Je pense en particulier à une autoroute non concédée très précise, l'axe Toulouse - Lyon, l'A68, qui croise l'A75 et traverse l'Aveyron. L'État envisage-t-il la possibilité d'ouvrir de nouvelles concessions ?
Puisque l'État peine à participer aux projets des collectivités territoriales, l'ouverture de nouvelles concessions permettrait-elle de financer les autoroutes non concédées ? Je pense en particulier aux 40 kilomètres qui restent à construire entre Rodez et le croisement de l'A75.
M. Philippe Richert. - À titre personnel, je trouve que la qualité des autoroutes s'est significativement améliorée. Nous roulons désormais dans de bonnes conditions. Or, ces progrès - ils concernent aussi l'entretien régulier et la question environnementale pour ce qui concerne la récupération des eaux de pluie, par exemple - ont pu être réalisés grâce aux sociétés autoroutières. Je le reconnais volontiers, et nous devons être fiers du développement et du travail réalisé par ces entreprises. Si, par la suite, nous estimons que des mesures correctives sont nécessaires, nous pouvons bien entendu les engager.
L'ART considère que ce modèle peut être maintenu, à condition d'en améliorer certains aspects : je pense notamment à la durée trop longue des concessions, au niveau élevé d'incertitude ou encore au manque de concurrence du cadre de renégociation. Il faut le préciser. L'ART pourrait avoir, en la matière, des compétences nouvelles : ce n'est pas que nous cherchons à avoir plus de pouvoir ; nous essayons, au contraire, d'apporter des solutions, y compris au niveau technique, pour avancer de manière raisonnable. Il conviendrait, par exemple, de redéfinir, dans les cadres futurs, les questions liées au risque : parfois cher payé, il pourrait être couvert autrement dans certaines opérations, en impliquant par exemple l'État, afin de réduire le niveau d'incertitude. La donne est entre nos mains.
Je ne peux pas vous faire part des intentions du Gouvernement, n'en étant pas personnellement informé moi-même ; il me semble cependant que la voie dans laquelle nous nous engageons correspond à la volonté de l'ART. Nous nous inquiétions surtout à l'idée que rien ne bouge : aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Certes, nous ne sommes pas d'accord sur tous les points, mais les balises se mettent en place, et l'essentiel est que nous progressions.
Le transfert aux collectivités territoriales des 10 000 kilomètres de routes nationales est en effet une mesure susceptible de simplifier la situation. Certaines collectivités ont un réel intérêt à le faire. C'est une solution envisageable, à condition de s'assurer, dans l'équilibre général, que ces opérations sont bien nécessaires. Il s'agit, selon moi, d'une bonne manière de transférer des compétences aux collectivités. J'ai toujours été fondamentalement décentralisateur, mais à condition que l'État laisse aux collectivités une marge d'expérimentation et d'adaptation : ce n'est pas à l'État de décider de tout. Nous devons avoir foi en la décentralisation, car c'est la seule manière de retrouver la confiance de nos concitoyens. Elle passe par des décisions locales, par des implications, par des choix qui émanent de la réalité du terrain. C'est indispensable.
En tant que président de région, je m'étais battu pour que la gestion des routes relève de la région, au titre de son rôle d'organisatrice du développement territorial. Les Gouvernements qui se sont succédé ont choisi de faire le contraire. En démocratie, c'est leur droit ; mais nous devrions nous laisser l'opportunité d'aller plus loin grâce à la décentralisation.
Certains d'entre vous m'ont demandé pourquoi je n'ai pas été choisi pour être président. Je n'en sais rien, mais le secrétaire général de l'Élysée m'a écrit qu'il était impossible de nommer deux fois un membre de l'Autorité. Cependant, je lui ai répondu qu'il me semblait que rien n'interdisait à un vice-président de devenir président. Il devait vérifier, mais ne m'a pas recontacté. Après vérification, je puis vous dire que cette nomination est possible.
La situation me semble en bonne voie : nous devons améliorer le cadrage et l'accompagnement, afin que l'ART puisse jouer un rôle dans le futur. Je suis prêt à engager un débat sur la coconstruction. Ma vie politique est passée ; mon rôle, désormais, est d'apporter mon expérience.
Je suis certain que nous trouverons un nouveau président pour l'ART avant la fin des concessions !
M. Didier Mandelli, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions. Vous avez apporté un grand nombre d'éléments, mais, surtout, vous avez démontré que vous étiez plus qu'un président par intérim. Vous avez également confirmé le rôle important que doit jouer l'ART dans la régulation, mais aussi dans les perspectives et l'adaptation des conditions d'exploitation et de contrôle des activités de transport sur l'ensemble des sujets qui lui sont confiés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 55.