- Mercredi 14 février
2024
- Proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics - Désignation d'une rapporteure
- Audition de Mme Marie-George Buffet et de M. Stéphane Diagana, co-présidents du comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport
- Proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France - Examen des amendements au texte de la commission
- Questions diverses
Mercredi 14 février 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics - Désignation d'une rapporteure
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous débutons cette réunion par la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics, dont nous pourrions débattre en séance le 19 mars prochain.
Je vous propose de confier la conduite de nos travaux sur ce texte à notre collègue Agnès Evren.
La commission désigne Mme Agnès Evren rapporteure sur la proposition de loi n° 311 (2023-2024) visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics.
Audition de Mme Marie-George Buffet et de M. Stéphane Diagana, co-présidents du comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Marie-George Buffet et Stéphane Diagana, co-présidents du comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, que je tiens à remercier pour leur disponibilité.
Madame la ministre, Monsieur le président, nous sommes heureux d'avoir l'opportunité d'échanger avec vous ce matin sur les travaux du comité et plus particulièrement sur les conclusions du rapport que vous avez publié en décembre dernier, intitulé Pour un sport plus démocratique, plus éthique et plus protecteur.
Je rappelle que ce comité, mis en place par la ministre des sports en mars 2023, était composé de douze personnalités représentant diverses composantes du sport français. Il a conduit ses travaux dans un contexte législatif que chacun ici connaît : la loi du 1er mars 2017 visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs, ainsi que la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, toutes deux d'initiative parlementaire et qui ont permis des avancées significatives en matière de gouvernance et d'éthique du sport.
Je ne peux m'empêcher d'ajouter à ces textes la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport, dont le rapporteur était Jean-Jacques Lozach, qui devrait être prochainement débattue à l'Assemblée nationale.
Vous proposez dans votre rapport de prolonger et d'approfondir ces initiatives parlementaires passées. Une loi d'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques pourrait ainsi être le support de nouvelles avancées que nous devons dès à présent préparer.
Récemment, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations sportives a connu un fort retentissement. Elle a mis l'accent sur le traitement et la prévention des violences sexistes et sexuelles. Son travail a abouti à des propositions dont certaines convergent avec les vôtres, notamment l'idée de mettre en place une autorité administrative indépendante afin de disposer d'un contrôle externe ne dépendant ni de l'État ni du mouvement sportif.
Vous nous expliquerez sans doute, dans le cours de nos échanges, vos points d'accord et de désaccord avec les conclusions de cette commission d'enquête, ainsi que l'accueil que vous avez reçu de la part de la ministre chargée des sports, que l'on sait engagée sur les questions d'éthique et de gouvernance, mais qui s'est déclarée défavorable à certaines de vos propositions.
Chacun est conscient de l'importance et de la gravité du sujet. L'actualité ne cesse malheureusement d'illustrer le phénomène de la violence dans le sport : dénonciations de violences sexistes et sexuelles, actes à caractère raciste ou homophobe, violences au sein et en dehors des stades... Ces dérives sont réelles, même si elles ne doivent pas être considérées comme généralisées. Les ressorts de cette violence dépassent d'ailleurs le seul champ sportif.
Je vous laisse donc la parole, Madame la ministre, Monsieur le président, pour une intervention liminaire d'une vingtaine de minutes. À l'issue de celle-ci, je donnerai la parole à mes collègues, en commençant par Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis du programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».
Je signale que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et disponible ensuite en vidéo à la demande.
Mme Marie-George Buffet, co-présidente du comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport. - Mesdames, Messieurs les sénateurs, en toute indépendance, le comité a auditionné des acteurs du mouvement sportif ainsi que des représentants des institutions de notre République, afin de considérer le fonctionnement de ce mouvement de l'intérieur et de l'extérieur.
Je souhaite tout d'abord revenir sur nos constats. Il me semble essentiel d'insister sur l'importance du mouvement sportif ; c'est une première source de différence avec les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Plus de trois millions de personnes oeuvrent bénévolement dans 119 fédérations et 152 000 clubs : ce mouvement reste un grand mouvement d'éducation populaire, qu'il faut préserver, valoriser et renforcer. C'est l'engagement des bénévoles dans nos territoires qui assure, en rapport avec l'État, le droit à la pratique sportive pour les citoyens.
Pour autant, le mouvement sportif est fragilisé. Il est fragilisé par des modifications de l'engagement bénévole, moins souvent pris sur le long terme. Il est fragilisé par la financiarisation du sport professionnel, insuffisamment transparente, et par la transformation de certaines fédérations en secteurs économiques à part entière. Il est fragilisé par son instrumentalisation politique et géopolitique, comme l'attribution des grands événements sportifs en témoigne. Il est fragilisé par le recul de la présence de l'État, du fait de la disparition des directions départementales et régionales propres au ministère et de moyens de contrôle très insuffisants.
Le mouvement sportif est traversé par des dérives qui concernent l'ensemble de la société. Il n'y a pas de raison qu'il soit imperméable au racisme, au sexisme ou à l'homophobie. Au-delà de ces dérives, le sport, par son rapport au corps, à la jeunesse et à la performance, comporte également des risques spécifiques d'emprise et de maltraitance, contre lesquels il faut lutter sans aucun compromis.
Si la vie des clubs est le plus souvent synonyme d'épanouissement et de sécurité pour les pratiquants, nous ne pouvons ignorer les dérives et les violences. Or, aujourd'hui, le mouvement sportif est mal équipé pour répondre à ce défi éthique. Le vecteur associatif, qui est son ADN, constitue à la fois sa force et sa fragilité en matière de compétences, de moyens et de disponibilité.
Parce que le sport, au même titre que la culture, est nécessaire à la construction et au bien-être des individus, nous avons voulu proposer au mouvement sportif les outils qui lui permettent de répondre à ces enjeux démocratiques et éthiques. Le comité a ainsi présenté trente-sept propositions. La première de ces propositions, l'idée d'une grande consultation, découle du constat clé que le sport reste très largement absent du débat public. Cela peut étonner : nous parlons sans cesse des grands événements et des résultats sportifs, mais aucun grand débat public ou parlementaire n'aborde le sujet de la politique publique du sport pour les années à venir. Il n'y a pas non plus de débat citoyen ou de discussions à l'intérieur du mouvement sportif : les présidents de clubs préfèrent ne pas se mêler aux échanges de vues à l'échelon fédéral.
L'initiative des lois de 2017 et 2022 a en effet été prise par le Parlement. À part la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques et des lois d'adaptation relatives à la lutte antidopage, il n'y a pas eu de grande loi d'origine gouvernementale depuis la loi de 2003 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, dite loi Lamour. Seule l'initiative parlementaire a permis de réaliser des avancées au sujet du fonctionnement du mouvement sportif. Aucune volonté politique nationale n'a accompagné le mouvement sportif pour l'application de ces lois : ces dernières ne sont pas effectives au sein de la plupart des fédérations et ne sont pas correctement appliquées.
Pour cette raison, nous proposons donc une grande consultation concernant nos propositions et celles de la commission d'enquête parlementaire, qui déboucherait sur une loi-cadre. Lorsque nous lui avons remis ce rapport au début du mois de décembre dernier, Madame la ministre s'est engagée à organiser cette consultation à partir de ce mois-ci et à déposer un projet de loi-cadre d'héritage des jeux Olympiques et Paralympiques en novembre ou en décembre 2024. Compte tenu de la situation actuelle, j'espère que ces engagements seront tenus, et que vous, parlementaires, y contribuerez.
Renforcer la vie démocratique des fédérations, des ligues et des clubs constitue une priorité. Sans un sursaut démocratique dans le mouvement sportif, le combat pour l'éthique sera difficile, voire inexistant, dans certaines fédérations. Au niveau national, les fédérations sollicitant l'agrément du ministère doivent adopter dans leurs statuts des dispositions garantissant leur fonctionnement et la tenue d'élections démocratiques. Il n'y a plus de statut type des fédérations, mais celles-ci doivent prendre des dispositions obligatoires bien que suffisamment souples pour être adaptées à leur fonctionnement.
La participation des clubs à la vie démocratique des fédérations est quasiment nulle. La loi de 2022 prévoit que la moitié des clubs doivent participer aux assemblées générales électives, mais ces assemblées n'ont lieu que tous les quatre ans. Aucune obligation ne figure dans la loi pour assurer la participation des clubs aux assemblées générales ordinaires ou extraordinaires, lors desquelles sont pourtant traités les principaux sujets relatifs à l'orientation des fédérations. Aussi, nous proposons que tous les clubs soient associés à l'ensemble des assemblées et nous proposons également que les règlements des fédérations prévoient que les clubs puissent prendre l'initiative de les consulter.
Par ailleurs, le comité souhaite que les différents courants de pensée participent à l'administration des fédérations. Aujourd'hui, dans de nombreuses fédérations, il n'y a que le président et les hommes du président, membres du bureau exécutif. Il faut instaurer au sein des bureaux exécutifs des fédérations un système analogue à celui qui existe pour les communes, c'est-à-dire une représentation proportionnelle par scrutin de liste. Nous pensons également qu'il faut exiger une transparence des décisions des bureaux exécutifs, inexistante aujourd'hui.
Dans le même esprit, nous proposons de favoriser le renouvellement des instances en renforçant la parité et l'attractivité du bénévolat. Je le rappelle : en France, malgré le processus de professionnalisation du mouvement sportif, 90 % des 360 000 associations sportives en activité n'ont aucun salarié et reposent uniquement sur l'engagement bénévole. L'attractivité du bénévolat et la montée en compétence des bénévoles doivent donc être des préoccupations majeures de l'action ministérielle dans les années à venir. Nous proposons d'aller vers une indemnisation transparente des dirigeants bénévoles, à l'instar de celle des élus. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) pourrait en établir la grille, afin de permettre à des dirigeants de s'engager dans le mouvement sportif tout en conservant leur activité professionnelle.
La parité peut constituer un atout pour le renouvellement des directions fédérales. En France, seulement 39 % des licenciés sont des femmes. Le sujet est différent, mais il faudrait parler des obstacles à la pratique sportive des filles et des femmes. Les conséquences de cette sous-représentation se retrouvent au niveau des instances de direction : seuls 16 % des postes de présidents de clubs ou de fédérations sont occupés par des femmes. Ces taux s'établissent à 25,6 % pour les trésoriers et à 36 % pour les secrétaires généraux, mais ils n'évoluent pas pour les postes de direction.
La loi de 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes et la loi de 2022 visant à démocratiser le sport en France ont permis des avancées sur la notion de parité. La loi de 2022 organise notamment la parité dans les bureaux des comités nationaux à partir de 2024 et dans les ligues régionales à partir de 2028. Il faut élargir la parité à l'ensemble des instances, y compris aux commissions régaliennes dans les fédérations. Je le rappelle, le CNOSF n'est pas concerné par la loi de 2022 et son comité directeur n'est composé qu'à 32 % de femmes, contrairement au Comité paralympique et sportif français (CPSF), où une parité est installée à la direction.
Afin de favoriser le renouvellement, il faut également limiter strictement à trois le nombre de mandats consécutifs et faire systématiquement en sorte que les dirigeants de ligues régionales et de comités départementaux ne soient pas membres des directions nationales. Les directions régionales et départementales sont chargées d'appliquer la ligne fédérale : il y a donc un contresens étonnant à ce que leurs membres puissent également représenter les clubs à l'échelon national.
Il faut ensuite organiser la formation des dirigeants bénévoles. Un institut consacré à cette mission existait au CNOSF jusqu'en 2016, mais il a été supprimé. Il faut reconstituer un comité en mesure de présenter des modules renouvelés de formation pour les encadrants bénévoles, mais également pour les entraîneurs.
Il faut également renforcer la transparence financière. Nous proposons que le CNOSF demande à toutes les fédérations d'adopter un règlement financier, auquel l'agrément du ministère serait conditionné.
Un changement profond de notre fonctionnement doit avoir lieu au sujet de l'éthique. Les comités d'éthique mis en place par les lois précédentes fonctionnent dans très peu de fédérations. Parfois, seul le président de la fédération peut les saisir, ce qui limite considérablement leur pouvoir d'action. Il faut au contraire renforcer le pouvoir des comités d'éthiques fédéraux, travailler sur leur composition et leur transparence. Il faut surtout leur donner, dans toutes les fédérations, un droit d'autosaisine.
Toutefois, ces comités ne sont pas suffisants. Le Comité national olympique et sportif français doit jouer un rôle dans ce combat pour l'éthique. Nous proposons ainsi la mise en place au sein du CNOSF d'un comité d'éthique suprafédéral, majoritairement composé d'intervenants extérieurs, avec une représentation parlementaire. Ce comité pourrait intervenir dans les fédérations en cas de défaillance des comités d'éthiques fédéraux ou si ces derniers n'ont pas la volonté réelle de se saisir des problèmes.
Par ailleurs, le principe d'une incompatibilité entre l'exercice de fonctions d'administration au sein d'une fédération agréée et une condamnation pénale, même non définitive, pour des faits graves, doit être inclus dans les stipulations statutaires obligatoires.
Ce comité suprafédéral et ces comités d'éthiques fédéraux renforcés ne pourront fonctionner que si le ministère des sports dispose de moyens d'accompagnement, de suivi et de contrôle des fédérations. Or, aujourd'hui - je lance en quelque sorte un appel au secours -, ce ministère manque cruellement de moyens humains et financiers.
Nous avons besoin de revoir la formation des cadres techniques et des directeurs techniques nationaux (DTN), pour y inclure la préservation de l'intégrité physique et psychique des pratiquants. Nous avons constaté que, dans seize fédérations, des directeurs techniques nationaux, c'est-à-dire des fonctionnaires de l'État, étaient en même temps directeurs généraux des fédérations. Il faut que cela soit interdit.
Je laisse la parole à Stéphane Diagana, qui va exposer nos propositions concernant la protection des pratiquants.
M. Stéphane Diagana, co-président du comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport. - Mesdames, Messieurs les sénateurs, nous accusons un retard assez clair en matière de protection des pratiquants. Les enjeux sociaux et sociétaux ne sont pas pris en compte au sein du mouvement sportif, que ce soit dans les fédérations ou au CNOSF. Le chemin à parcourir reste long, tant certaines pratiques sont malheureusement solidement ancrées.
Le mouvement sportif, essentiellement bénévole, est parfois peu sensibilisé à ces questions. Il n'avance malheureusement qu'à cause de scandales successifs. De nombreux acteurs bénévoles sont issus de milieux où ces problématiques ne sont pas prises en compte.
Nous devons travailler à éradiquer les fléaux qui frappent encore les vestiaires, les stades et leurs abords, que cela soit les insultes, le harcèlement, les cultures et méthodes d'entraînement nocives ou les maltraitances physiques ou psychologiques, dont les violences sexuelles. Ces maltraitances sont souvent commises dans le cadre de projets de performance. Comment le mouvement sportif doit-il « produire » la performance ? Cette question n'a pas été suffisamment posée. Les pratiques de performance doivent être encadrées et le mouvement sportif accompagné.
Au cours de nos auditions, des athlètes ont pris la parole avec pudeur, dignité et parfois avec colère contre des instances restées muettes ou inactives en dépit des alertes, laissant bénévoles et sportifs démunis. Les sportifs sont avant tout des individus et non des projets de performance. Leur bien-être physique et moral n'est pas un sujet secondaire, il doit être abordé en parallèle du projet d'épanouissement et de performance qu'ils poursuivent. Le modèle doit évoluer en profondeur : à la culture de la performance doit s'ajouter celle de la prévention et de la préservation de la santé physique et morale des pratiquants. Le comité propose que l'obligation des fédérations de veiller à la santé des pratiquants soit étendue aux aspects psychologiques, au-delà des aspects physiques : c'est la proposition n° 27 de notre rapport. La formation des encadrants, animateurs et entraîneurs doit faire l'objet d'une refonte globale pour que toutes ces dimensions relatives au bien-être des pratiquants soient prises en compte. Il faut aussi prévoir un cadre de contrôle et renforcer les sanctions : c'est le sens de notre proposition n° 36.
Au sujet des violences sexistes et sexuelles, saluons ce qui a été accompli au cours des dernières années. Les pouvoirs publics et le ministère des sports ne sont pas restés inactifs. La mise en place de la cellule Signal-sports et celle de la fonction de délégué ministériel à la lutte contre les violences dans le sport en 2020 apparaissent comme des avancées majeures dans le cadre d'un engagement résolu à lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Cette cellule a permis un premier pas déterminant pour libérer la parole, recenser les cas et veiller à leur traitement. L'annonce de moyens humains supplémentaires doit aussi être saluée.
Cependant, force est de constater que la cellule Signal-sports a des compétences limitées : elle ne peut pas elle-même interdire d'exercer ou suspendre des licences. La compétence administrative et disciplinaire d'une fédération étant limitée à son seul sport, le traitement des dossiers apparaît très hétérogène d'une fédération à l'autre. Nous devons donc obéir à l'impérieuse nécessité de mettre en place des outils permettant une action plus efficace aux côtés des victimes, dans les clubs et les structures d'accès au haut niveau, pour toutes les disciplines. Aujourd'hui, il demeure possible d'être sanctionné dans une discipline, mais d'exercer dans une autre.
Il importe de prolonger et de renforcer l'action de l'État en confiant à une autorité administrative indépendante la mission de gérer la prévention et le traitement des violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif. Tel est le sens de notre proposition n° 29, qui rejoint les préconisations de la commission d'enquête parlementaire. Toutefois, nous recommandons de confier à cette autorité administrative non l'ensemble des problèmes relatifs à l'éthique, mais spécifiquement le traitement des violences sexistes et sexuelles.
Il s'agit non de remettre en cause l'action dans ce domaine de Signal-sports ou du ministère, mais de conférer à ce dernier de nouveaux moyens pour prolonger et amplifier son action. La création d'une structure externe spécialisée est nécessaire pour répondre efficacement, de manière experte et indépendante, aux demandes des participants sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Très largement soutenue par les acteurs que nous avons auditionnés, cette structure pourrait s'inspirer du modèle du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), ancêtre de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), car les problématiques abordées sont assez similaires. Les enjeux sont tels qu'il est nécessaire d'externaliser cette structure, afin d'éviter, au sein des fédérations, les tentations ou les pressions qui visent à préserver la vitrine plutôt qu'à protéger la victime.
Cette action pourra être prolongée à l'échelon territorial en réactivant les réseaux des antennes médicales de prévention du dopage, qui sont en état de mort clinique, et en élargissant leur champ d'intervention à l'accompagnement psychologique des sportifs.
Par ailleurs, en ce qui concerne le renforcement de la lutte contre toutes les formes de discrimination, nous émettons plusieurs propositions. Nous souhaitons notamment que chaque fédération établisse un plan national d'éducation et de lutte contre les discriminations liées à l'homophobie, au genre, au racisme et à l'antisémitisme, ainsi qu'à toutes celles qui sont relatives aux situations de handicap, et qu'elle dresse un bilan annuel des discriminations constatées et des actions mises en oeuvre. Il faut que toutes les atteintes constatées fassent systématiquement l'objet de procédures disciplinaires, et que des sanctions éducatives complémentaires soient édictées plus fréquemment. Tel est le sens de nos propositions nos 31 et 32.
Enfin, pour mener la grande bataille de l'éthique, la formation est un sujet essentiel. Le besoin de formation est largement ressenti par les exécutifs fédéraux, les entraîneurs, les encadrants, les bénévoles et les sportifs. Les acteurs que nous avons auditionnés ont souvent semblé volontaires, mais démunis. Ils ne savent pas comment se structurer pour bien prendre en charge ces problématiques. Nous devons faire mieux : le comité souhaite ainsi la création d'un nouvel institut de formation continue du mouvement sportif, porté par le CNOSF et le CPSF, afin de dispenser des formations en direction des dirigeants du monde sportif. En 2006, le CNOSF avait pris l'initiative de créer l'Institut de formation du mouvement sportif (Ifomos), mais comme Marie-George Buffet l'a indiqué, cet institut a été dissous en décembre 2016. Il nous semble urgent et essentiel de le réactiver, ainsi que nous le proposons. Un tel institut pourrait élaborer un catalogue de formations adaptées, et diffuser gratuitement ces formations en ligne auprès de l'ensemble des acteurs, aux échelons fédéraux et régionaux. Ces formations pourraient être assorties d'un label attestant de leur suivi, qui pourrait être ensuite valorisé : c'est le sens de nos propositions nos 33 à 36. Les contenus déployés par le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) sur ses plateformes d'information pourraient par exemple être réutilisés.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis du programme « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Nous souhaitons que vos préconisations soient, pour l'essentiel, pour ne pas dire en totalité, reprises dans le projet de loi-cadre annoncé. En effet, elles relèvent en grande partie du bon sens et répondent aux attentes.
La ministre des sports a eu une réaction très forte et immédiate lors de la publication de votre rapport, mais l'essentiel de ses réponses a porté sur le contrôle. Vous préconisez la création d'une autorité administrative indépendante, dont l'unique objet serait la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, et celle d'un comité suprafédéral d'éthique rattaché au CNOSF. Pouvez-vous préciser comment ces deux instances pourraient cohabiter et coexister ? Le sujet est sensible, car il concerne le principe de l'autonomie du mouvement sportif, et la définition de la notion de délégation de mission de service public par l'État.
Votre proposition n° 2 est d'actualité : les Jeux de Paris 2024 doivent fournir l'occasion d'engager une initiative multilatérale mettant en place les outils qui renforceront au niveau international l'intégrité du sport, y compris la protection des pratiquants. Quelle forme pourrait prendre cette initiative ?
Il y a quelques années, un débat assez brutal a été tenu sur les conseillers techniques sportifs (CTS), qui constituent la colonne vertébrale du modèle sportif français. Ces agents de l'État coûtent 120 millions d'euros par an, soit plus que la somme que l'État met à disposition des fédérations. À la lecture de votre rapport, nous avons le sentiment que vous avez découvert des éléments inattendus et des confusions parfois surprenantes, par exemple entre directeur technique et directeur administratif.
Il est difficile de mener une analyse comparative dans le monde pluriel et hétéroclite du sport, mais avez-vous trouvé une fédération qui pourrait servir de référence dans le domaine de la démocratie, de la transparence ou de l'intégrité ?
Vous aspirez, comme nous, à une loi-cadre très ambitieuse. Le problème de l'intégrité demeure, mais quelles autres orientations un projet de loi pourrait-il concrétiser ?
Dans votre analyse, il manque peut-être une réflexion sur l'arrivée des ligues fermées, qui pourrait profondément perturber le modèle sportif dans les prochaines années. Un certain nombre d'événements échappe déjà totalement au mouvement sportif, aux fédérations nationales et internationales. Si cette dynamique uniquement fondée sur l'appât du gain de fonds d'investissement souvent alliés à des groupes médiatiques se poursuit, elle aura des implications redoutables pour notre modèle sportif, y compris en ce qui concerne la relation entre le sport amateur et le sport professionnel.
Mme Marie-George Buffet. - L'autonomie du mouvement sportif repose sur les associations. Les fédérations sont des associations qui ont accepté de recevoir une délégation de service public de la part de l'État. En contrepartie, elles ont le droit d'être subventionnées, mais elles ont également des devoirs, comme celui de respecter le code du sport. Elles sont donc autonomes, mais doivent respecter les valeurs de notre République et faire preuve d'exemplarité sur le plan de la démocratie ou de l'éthique.
J'insiste sur ce point : quelques présidents de fédérations avaient l'idée que l'État ne devait pas se mêler de leurs affaires. Mais cela ne correspond pas à la majorité du mouvement sportif. Au contraire, lors de nos auditions, les acteurs du mouvement nous indiquaient qu'ils souhaitaient être davantage aidés : ils exprimaient plus une attente qu'un rejet de l'État.
Le mouvement sportif doit s'emparer de ces questions d'éthique. Il ne faut pas lui enlever de responsabilités. D'où l'idée de ce comité d'éthique suprafédéral : le CNOSF ne peut pas ne pas s'emparer de cette question. Ce comité doit être majoritairement composé de personnes extérieures au mouvement sportif.
Il est très difficile pour des victimes de violences sexistes et sexuelles de s'exprimer. Pendant des années, on leur a expliqué qu'ils appartenaient à une famille, que leur progression dépendait de leur encadrement et de leur entraîneur. Il est très difficile de se retourner contre sa famille, ainsi que la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) l'a très bien établi. Il faut donner à ces victimes la possibilité de se tourner vers un interlocuteur extérieur à cette famille. L'agence dont nous préconisons la création doit avoir les moyens de sanctionner les fautifs et permettre d'éviter les arrangements. Un président de fédération nous a expliqué que sa fédération avait une culture liée à l'armée, qu'il y avait pu y avoir un laisser-aller. Il faut bien le faire comprendre au mouvement sportif : ces violences ne sont pas du laisser-aller ; ce sont des délits et des crimes. Nous avons besoin d'une agence extérieure. L'Agence française de lutte contre le dopage a montré que ce type de fonctionnement pouvait être très efficace.
Le Comité international olympique (CIO) et les fédérations internationales édictent leurs propres règles, qui évoluent parfois. Ces instances imposent une sorte de constitution supranationale aux États, notamment au moyen de la charte olympique. Mais ces instances, à part le tribunal arbitral du sport, ne disposent que de peu de moyens de contrôle. L'Agence mondiale antidopage a été créée sur l'initiative de la France et de l'Union européenne. Ne faudrait-il pas réfléchir à prendre, en lien avec des pays de l'Union européenne et de l'Unesco, une initiative similaire visant à mettre en place une agence veillant au respect de l'intégrité dans l'attribution des grands événements sportifs ? Cette agence pourrait établir des critères démocratiques et sociaux, en insistant notamment sur la mixité dans le sport. Peut-on accorder un grand événement sportif international à un pays qui interdit la pratique sportive aux femmes ? Cela permettrait d'éviter les chantages et les instrumentalisations géopolitiques lors de l'attribution de ces événements.
Une telle agence permettrait également de traiter les questions telles que celles que pose la création de ligues privées. Comment un État, seul, peut-il empêcher la création de telles ligues à l'échelle internationale ? Sans prise en compte de ces questions à l'échelon de l'Union européenne, une réponse est impossible. Depuis le traité de Nice, le sport fait partie des compétences de l'Union européenne. Il faut une réponse internationale, même si la France peut prendre l'initiative. M. Patrick Kanner le confirmera, lorsque nous avons essayé de jouer sur le financement des clubs en créant les sociétés anonymes (SA) à vocation sportive, les limites de ces mesures sont rapidement apparues, en raison de fonds privés en provenance de pays étrangers. La loi française a des limites, sans action internationale.
La première question que doit aborder la loi-cadre est celle de la démocratie. J'ai un profond respect pour les acteurs du monde sportif, notamment pour les présidents bénévoles au service de leur sport depuis des dizaines d'années, mais ces acteurs doivent être renouvelés, car la perception des exigences sociales et sociétales est différente selon les générations. Ce renouvellement ne sera possible qu'en renforçant l'attractivité du bénévolat et en assurant un fonctionnement plus démocratique des fédérations. À peine 10 % des présidents de fédérations sont battus lors des élections ! Le jeu démocratique ne fonctionne pas, ce qui empêche le renouvellement des instances. Au coeur de la loi, cette question doit être posée.
Vous l'avez indiqué, Monsieur Lozach : une fédération ayant un budget de 260 millions d'euros et une autre qui a un budget de 100 000 euros n'évoluent pas dans le même monde. Le président de la première considère que seules les équipes masculines sont rentables, et que les autres équipes lui coûtent : il raisonne comme le gestionnaire d'une entreprise. Le président d'une fédération au budget de 100 000 euros ne tiendra pas le même raisonnement.
Tout de même, n'ayons pas une vision trop négative ; c'est ce que je reproche à la commission d'enquête parlementaire. Dans toutes ces fédérations, il y a eu des évolutions, des efforts. Cherchons le positif et mettons-le en valeur. Ne rejetons pas tout : cela ne serait pas juste par rapport à l'effort des bénévoles.
Un ministre avait eu l'idée de confier les CTS aux fédérations et de les sortir de la fonction publique. Si leurs missions correspondent seulement à celles d'entraîneurs fédéraux, pourquoi leur confier un statut de fonctionnaire d'État ? Ne faudrait-il pas alors redéfinir leurs missions ? Ces personnes doivent non seulement être techniquement qualifiées, mais également veiller au respect des valeurs de la République et à l'éthique au sein du mouvement sportif : telle est même leur mission première. Il faut recréer le débat avec ces personnels, la plupart du temps très compétents, afin de redéfinir leur action. Personnellement, je suis attachée à ce qu'ils restent fonctionnaires.
M. Stéphane Diagana. - Tout d'abord, je tiens à préciser que, pour l'application de notre proposition n° 2 - mettre en place des outils permettant de renforcer l'intégrité du sport -, nous envisageons de nous appuyer sur les conférences régionales du sport. Nous souhaitons en effet que les acteurs locaux puissent s'emparer de nos recommandations et les amender si besoin et ce, - nous l'espérons - avant la fin de cette année. Ces conférences régionales du sport, dans la mesure où elles réunissent État, collectivités territoriales et mouvement sportif, nous paraissent être une occasion idéale pour débattre de ce sujet.
En ce qui concerne les fédérations, je ferai deux remarques : la première, c'est qu'il en existe une grande diversité ; la seconde, c'est qu'il n'existe pas de fédération modèle en tout point. On observe cependant que certaines fédérations ont mis en place des initiatives qui vont au-delà de ce que prévoyait la loi du 2 mars 2022.
Je pense en particulier à la Fédération française de rugby, dont les statuts prévoient que tous les clubs adhérents puissent voter en assemblée générale élective, ce qui participe grandement à la vie démocratique. Cela ne fait évidemment pas tout, à en juger par les récents dysfonctionnements de cette fédération ; cela étant, les difficultés qu'elle rencontre, qui impliquent son président, soulignent tout l'intérêt qu'il y aurait à permettre au comité d'éthique fédéral de s'autosaisir ; c'est d'ailleurs l'objet de notre proposition n° 19.
Enfin, pour ce qui est de notre approche en matière d'intégrité, nous nous sommes bien sûr inspirés de ce qui se fait à l'étranger, soit au sein d'un pays donné, soit au sein de certaines fédérations internationales ; à cet égard, nous jugeons intéressante l'initiative prise par certaines de ces fédérations de se doter d'une agence d'intégrité, dans une acception très large de ce terme, puisque cela engloberait la lutte contre le dopage. Cela permettrait de mieux protéger les pratiquants, de prévenir tout match arrangé ou truqué, ainsi que les paris sportifs illégaux. Une telle approche mérite d'être étendue à toutes les instances internationales, ne serait-ce que pour lever tous les soupçons apparus récemment sur l'attribution des compétitions internationales les plus importantes.
M. Michel Savin. - Madame Buffet, Monsieur Diagana, si je partage certains des constats que vous avez dressés dans votre rapport, je pense néanmoins que plusieurs de vos propositions mériteraient d'être retravaillées ou approfondies par le Parlement.
Par ailleurs, je m'interroge sur certaines de vos recommandations. En effet, vous préconisez la mise en oeuvre de dispositifs qui sont déjà prévus par la loi du 2 mars 2022. Je citerai trois exemples.
Tout d'abord, vous proposez de réduire le nombre de mandats des présidents de fédérations. Or, dans ladite loi, nous avons limité à trois le nombre de mandats des présidents de fédération sportive et de ligue professionnelle.
Ensuite, vous proposez de clarifier le régime d'indemnisation des dirigeants de fédération. Or nous avons là encore adopté l'obligation pour les fédérations de se prononcer sur le principe et le montant des indemnités allouées à leur président.
Enfin, vous avez évoqué le principe de parité. Or nous avons imposé, dans ce même texte, la parité progressive intégrale dans les instances dirigeantes, à compter du 1er janvier 2024 pour les instances nationales et du 1er janvier 2028 au niveau régional. Je rappelle également que selon l'article L.141-1 du code du sport la parité est effective au sein du bureau du Comité national olympique et sportif français (CNOSF).
Dès lors, ne pensez-vous pas qu'il serait préférable, dans un premier temps, de renforcer le contrôle de l'application des dispositions figurant dans la loi du 2 mars 2022 ? Selon vous, cette loi est-elle correctement appliquée ? Quelles difficultés les fédérations rencontrent-elles pour mettre en place les dispositifs qu'elle prévoit ? Nous, parlementaires, ne devrions-nous pas exercer une mission de contrôle plutôt que de travailler à de nouvelles mesures ?
Tout au long des quarante-neuf pages de votre rapport, vous évoquez à juste titre les discriminations liées au racisme, aux situations de handicap ou encore aux violences sexuelles ; en revanche, vous n'avez pas une seule fois mentionné le terme « laïcité » et ce, alors même que vous avez auditionné 170 personnes et représentants de structures. Dans le cadre de nos travaux parlementaires ou au travers des remontées de certaines fédérations sportives, nous constatons pourtant régulièrement des atteintes à la laïcité dans le sport, des tensions dans certaines compétitions - je pense notamment à des affaires concernant les fédérations françaises de basketball et de football -, des dérives communautaristes qui menacent les principes mêmes de notre République.
Ces situations sont source de conflits : les élus locaux sont désormais confrontés à une loi inadaptée, notamment parce que le Gouvernement n'a pas voulu suivre nos propositions en ce domaine. Il nous semble important de mettre nos enceintes sportives, nos sportifs et nos sportives à l'abri de toute propagande religieuse, et de maintenir le strict respect de nos principes républicains dans le sport.
Dans la troisième partie de votre rapport, vous abordez la question du renforcement des moyens d'action en faveur d'une plus grande protection des pratiquants. Ce volet aurait été l'occasion de parler des atteintes à la laïcité. Vous proposez notamment que chaque fédération établisse des plans nationaux d'éducation et de lutte contre les discriminations liées aux LGBT-phobies, au genre, au racisme et à l'antisémitisme et aux situations de handicap. L'éthique étant une prérogative du CNOSF et des fédérations, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous n'avez pas abordé le thème de la laïcité dans votre rapport ?
M. Claude Kern. - Madame Buffet, Monsieur Diagana, je vous remercie de cette présentation et, plus largement, de vos travaux et de vos propositions, que nous partageons pour une large part, même s'il est vrai que certaines d'entre elles figurent déjà dans les différentes lois adoptées par le Parlement.
Vous déplorez à juste titre le manque de volonté politique nationale dans le domaine du sport et le manque de moyens, au sein des fédérations, pour faire appliquer la loi. Pourriez-vous être plus précis à ce sujet ?
Il y a quelques années, pour faire face aux violences, aux situations de discriminations ou de sexisme, certaines fédérations ont mis en place des référents intégrité au sein de leur bureau exécutif, des formations auprès des encadrants traitant de la prévention des violences, et ont créé des guides de bonnes pratiques pour les sportifs de haut niveau, afin que les plus jeunes apprennent à mieux gérer la fameuse relation entraîneur-entraîné. Avez-vous pu consulter le bilan réalisé par ces référents ? Comment vous êtes-vous inspirés de leur expérience, afin de formuler des propositions ?
Enfin, concernant votre recommandation de créer un comité d'éthique suprafédéral, il me semble qu'il devrait s'agir d'une autorité administrative indépendante chargée de l'éthique dans le sport. Une telle mesure fait partie des propositions que nous défendons depuis longtemps ; hélas, celle-ci n'a pas, pour l'instant, été suivie d'effets, car la ministre des sports n'y est pas favorable, considérant que la priorité doit être de permettre aux instances de jouer leur rôle.
M. David Ros. - Je tiens, au nom du groupe SER, à saluer Mme Buffet et M. Diagana pour le travail réalisé et, plus généralement, pour l'animation de ce comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, instance extrêmement équilibrée, tant dans sa composition que dans le choix des personnalités qui ont été auditionnées et la diversité des propositions qui ont été faites.
Je commencerai en formulant une remarque concernant la présentation de votre rapport : je pense qu'il serait utile que celui-ci, alors qu'il comporte trente-sept propositions regroupées en trois axes, soit quelque peu remis en forme pour le rendre plus intelligible et accessible au grand public. Je pense qu'il serait intéressant d'éditer un document plus pédagogique à destination de l'ensemble des licenciés.
Je me pose également une question relative à l'éthique sportive et à la performance : ne faudrait-il pas inventer un carnet ou un passeport numérique, qui inclurait tous les entraînements des athlètes - ma proposition touche à cet égard à la question de la formation et à la nécessité d'un partage des méthodes d'entraînement -, les données personnelles du sportif ou de l'adolescent, et qui pourrait être, le cas échéant, consulté par un médecin, de sorte qu'un suivi des performances et du bien-être du sportif dans la durée puisse être exercé ?
Je souhaiterais aussi évoquer le futur projet de loi-cadre que chacun semble manifestement attendre. Puisqu'il y a le mot « cadre », ce texte devra certes ménager la liberté du monde sportif et des fédérations, mais il devra aussi fixer un certain nombre de règles relatives au fonctionnement desdites fédérations. Peut-être serait-il intéressant, comme on l'a fait pour les collectivités, d'imposer une forme de péréquation des ressources, de telle sorte que certains sports « naissants » ou « à la mode », qui disposent de faibles recettes, puissent bénéficier des moyens suffisants pour faire respecter les règles que vous préconisez.
Enfin, pour atteindre la ligne de l'éthique, un certain nombre de haies restent à franchir : en attendant qu'un projet de loi-cadre soit adopté, je souhaiterais que le comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport que vous présidez reste en piste au-delà des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
M. Bernard Fialaire. - Je partage toutes vos recommandations sur l'introduction de procédures démocratiques et le respect des règles dans le monde du sport.
Première remarque : dès lors qu'il ne peut pas y avoir une éthique particulière à chaque sport, j'estime qu'il faudrait en effet, comme vous le proposez, créer un organisme suprafédéral.
Incluez-vous dans la maltraitance faite aux jeunes sportifs le fait de ne pas veiller à ce qu'ils fassent des études suffisantes ? Je pense en effet que les conditions d'études sont primordiales.
Plus largement, comment s'assurer que les jeunes sportifs prometteurs, lorsqu'ils sont obligés d'arrêter leur pratique en raison de blessures ou de performances insuffisantes, puissent bénéficier d'un suivi adéquat ? Ne devrait-on pas imposer aux fédérations, qui ont utilisé ces jeunes athlètes, de les accompagner un certain temps et de ne pas les abandonner ?
M. Patrick Kanner. - Madame Buffet, Monsieur Diagana, permettez-moi tout d'abord de vous remercier de vos exposés respectifs.
Permettez-moi aussi de rappeler que votre proposition n° 29 sur la création d'une autorité administrative indépendante pour la prévention et le traitement des violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif a aussi été formulée dans un rapport dont vous avez dû prendre connaissance, celui de nos collègues députées Béatrice Bellamy et Sabrina Sebaihi. Nous sommes pour notre part favorables à la création d'une telle autorité, mais nous souhaiterions en étendre les compétences à l'ensemble des problématiques sportives. Cela serait-il incompatible avec la création de la structure suprafédérale que vous appelez de vos voeux ?
Je tiens aussi à rappeler, pour compléter les propos de Michel Savin sur les dérives religieuses dans le sport, que des mesures spécifiques avaient été imaginées au cours d'un précédent quinquennat, notamment la mise en place d'une brigade d'inspecteurs de la jeunesse et des sports chargée de la prévention de ce type de situations. À votre connaissance, ces dispositifs existent-ils toujours ?
Enfin, les moyens actuels du ministère des sports sont minables - et je pèse mes mots -, alors que nous sommes en année olympique ; ils ont augmenté de manière faciale à l'approche des Jeux - 0,18 % du budget de l'État... -, mais on connaît la trajectoire défavorable du budget consacré au sport dans les années à venir. Nous défendons, pour ce qui nous concerne, l'idée d'un redéploiement de la taxe Buffet, qui permettrait au ministère de disposer des moyens, y compris humains, pour assumer les missions que vous souhaitez lui confier.
M. Jérémy Bacchi. - Je tiens à mon tour à saluer le travail réalisé dans le cadre de ce rapport, ainsi que l'engagement des professionnels et de l'ensemble des bénévoles, qui font vivre le sport et qui continuent de conférer au sport son caractère émancipateur.
Je souhaite revenir sur votre proposition de créer une autorité administrative indépendante pour traiter des violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif. Le ministère craint un démembrement de l'État, en créant une nouvelle structure qui mettrait du temps à monter en puissance. Pouvez-vous nous expliquer en quoi, selon vous, la création d'une telle instance faciliterait le traitement de ces violences ?
Je souhaiterais également savoir pourquoi vous proposez de confier au comité de déontologie de l'éducation, de la jeunesse et des sports la mission de recueillir les signalements anticorruption - c'est votre proposition n° 16 -, alors qu'il existe déjà l'Agence française anticorruption.
Mme Mathilde Ollivier. - Permettez-moi tout d'abord de vous remercier, Madame Buffet, Monsieur Diagana, pour ce rapport si précieux. Vous y dressez de nombreux constats sur l'entre-soi, l'omerta omniprésente et la faible représentation des femmes dans le milieu du sport. Vous contribuez à la réflexion autour des facteurs de risque spécifiques au sport et, notamment, au sport de haut niveau, qui sont liés à la performance et se rapportent à l'intégrité physique et morale des sportifs. Vous y évoquez une prochaine loi-cadre, que nous serons sans doute appelés à examiner en 2024, et appelez de vos voeux une grande consultation des principaux acteurs du sport.
Mes interrogations sont multiples.
En ce qui concerne la consultation que vous préconisez cette année, avez-vous eu des retours ? Quel rôle comptez-vous jouer dans ce cadre ? Mme la ministre des sports s'est dite à l'aise avec environ 70 % des propositions figurant dans ce rapport : savez-vous quelles sont les propositions qui divisent ? Plus globalement, quelles sont les réactions des acteurs sportifs et des fédérations par rapport à votre rapport ?
Concernant la mise en place d'une autorité administrative indépendante relative aux violences sexistes et sexuelles dans le milieu sportif, quelles raisons vous ont poussés à ne pas proposer d'étendre les compétences de cette nouvelle instance aux autres formes de violence et, notamment, à la lutte contre le racisme et l'homophobie ?
Vous insistez sur la nécessité d'un fonctionnement démocratique des fédérations et préconisez notamment une indemnisation qui permettrait l'engagement de plus de bénévoles, notamment parmi les femmes et les nouvelles générations : quels sont, selon vous, les obstacles qui entravent aujourd'hui l'engagement des jeunes dans le monde du sport ?
M. Jacques Grosperrin. - Je ne nie bien sûr pas l'intérêt de vos nombreuses propositions, mais quelle est la principale d'entre elles ?
Vous soulignez avec raison les différents problèmes que connaît le sport et qui traversent d'autres sphères de la vie publique ; vous plaidez pour un futur texte de loi, après les Jeux Olympiques. À l'heure où l'écosystème sportif est éclaté, la création d'une agence nationale semble s'imposer. Mais selon quelle colonne vertébrale peut-on organiser le sport en France ? Nous avons besoin d'un modèle cohérent et lisible pour le citoyen, garantissant l'équité et l'éthique dans la durée.
Enfin, la question majeure reste celle des moyens : quels crédits l'État compte-t-il réellement consacrer au sport ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Avant tout, je tiens à saluer votre rapport et les trente-sept recommandations que vous avez formulées.
Monsieur Diagana, vous savez que les sportifs de haut niveau sont des modèles pour notre jeunesse, qui, à quelques mois des Jeux Olympiques, a besoin de croire au sport et surtout d'y avoir accès. À ce titre, je tiens à saluer deux clubs de ma commune, l'AS Fontonne et le cercle des nageurs d'Antibes, qui développent une section dédiée aux enfants autistes. L'acceptation des différences doit primer, dans une société unie et solidaire, et nous devons compter sur nos athlètes pour diffuser largement ce message.
Vous insistez sur la libération de la parole à l'intérieur des fédérations, afin que les actes de violence, de bizutage ou de harcèlement remontent jusqu'aux plus hautes instances et soient réprimés comme il se doit. Mais qu'en est-il de la parole du sportif de haut niveau quand il se trouve en dehors de sa fédération ? Les mots d'un athlète ont une influence certaine dans le débat public, pour le meilleur comme pour le pire. La liberté d'expression est évidemment un droit fondamental, mais la bonne maîtrise des termes que l'on emploie est un enjeu crucial lors des prises de parole publique. Envisagez-vous des formations dédiées, non seulement à l'éloquence, mais aussi et surtout à la sensibilisation aux valeurs de la République ? Pouvez-vous développer les pistes que vous avez sans doute consacrées à cette thématique ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Ma question porte sur le financement de certaines fédérations sportives.
Maire d'une ville de 15 000 habitants pendant quinze ans, j'ai constaté, lors des assemblées générales des vingt-quatre clubs sportifs de ma commune, que certaines fédérations augmentaient régulièrement la cotisation annuelle que les clubs affiliés doivent leur verser, le plus souvent en début de saison, au moment où la trésorerie des clubs n'est pas au plus haut.
Les clubs sont dans l'obligation de s'exécuter pour obtenir leur licence. Chaque niveau, départemental, régional et national, prélève sa dîme, isolément ou de concert selon les années. Pour certains clubs, cette ponction annuelle correspond au montant de la subvention versée par la commune. Ces procédés reviennent à faire supporter indirectement un financement croissant des clubs sportifs locaux par les communes, qui, de surcroît, mettent le plus souvent gracieusement leurs équipements à la disposition des clubs. Ne pourrait-on pas contenir ces augmentations au fil de l'eau, par exemple en les limitant à l'inflation constatée l'année précédente ?
Mme Marie-George Buffet. - Avant tout, je tiens à préciser que le comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport a été dissous. Dès lors que nous avons remis notre rapport à Madame la ministre des sports, il a cessé d'exister. Je suis encore saisie de dossiers à ce titre, de la part d'athlètes ou de fédérations, et je les transmets naturellement au ministère, mais ce point doit être acté.
Monsieur Savin, nous avons évidemment travaillé sur la base des lois en vigueur. Nous avons auditionné les représentants des groupes politiques du Sénat et de l'Assemblée nationale pour entendre leurs points de vue et recueillir leurs apports spécifiques. Sur cette base, nous avons dressé un constat : les comités d'éthique existants font l'objet de dispositions insuffisamment précises, qu'il s'agisse de leur composition, de leurs attributions ou des questions de transparence. Nous nous sommes donc efforcés de rendre plus efficaces les initiatives prises en la matière par les fédérations.
À cet égard, j'insiste encore et toujours sur l'effort de consultation, qu'il s'agisse des acteurs du mouvement sportif ou des élus locaux. C'est ainsi que nous pourrons corriger et améliorer ces propositions, en les rendant plus effectives. Or, pour l'instant, le mouvement sportif n'est pas sollicité : il ne faudrait pas que la consultation se limite aux commissions régionales, qui sont chargées de l'organiser. Il faut associer l'ensemble des bénévoles et des élus locaux ; et ce travail doit déboucher sur une véritable loi-cadre couvrant l'ensemble des questions relatives au mouvement sportif.
Vous le soulignez, l'enjeu, c'est l'accompagnement du mouvement sportif par un ministère de plein exercice, doté des moyens humains et financiers nécessaires. Le ministère des sports est parfois considéré comme la cinquième roue du carrosse. Comment lui rendre son rôle, son autorité et sa crédibilité politique ? C'est un véritable enjeu pour réussir ; et, ensuite, il faut disposer du budget nécessaire.
Mon rêve, c'est qu'en 2028 1 % du budget de l'État soit dédié au sport. Il faut mobiliser l'opinion en ce sens, comme on l'a fait, à une autre époque, en faveur du 1 % pour la culture. Il faut rendre au sport sa place dans le débat politique et dans les politiques de l'État. C'est une exigence de notre époque. J'attends beaucoup du magnifique événement que promettent d'être les JOP, mais nous ne devrons pas laisser la flamme s'éteindre : si nous voulons conserver l'héritage des Jeux, il faut s'en donner les moyens budgétaires et politiques.
Pourquoi les lois en vigueur ne s'appliquent-elles pas partout ? Les grandes fédérations peuvent dénombrer 200 ou 300 salariés et disposer de directeurs ou directrices des ressources humaines ; mais les petites fédérations, qui sont extrêmement nombreuses, n'ont évidemment pas de tels effectifs. Or elles font face à des normes de plus en plus complexes. Elles doivent donc gagner en compétence.
Nous devons développer les formations à destination des bénévoles et les décharges horaires en conséquence. Nous devons aussi développer l'emploi salarié qualifié dans le mouvement sportif, au profit des petites fédérations, grâce aux aides publiques : c'est indispensable pour que la loi puisse s'appliquer. Bien sûr, cet effort suppose une augmentation du budget du ministère des sports.
J'en viens à ce que j'appelle la maltraitance ordinaire, c'est-à-dire la recherche de la performance à tout prix, sans respect de l'intégrité physique et psychique de l'individu. Je me souviens d'un jeune athlète rencontré à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), qui m'avait déclaré : « J'aimerais que, de temps en temps, on ne me considère pas seulement comme un sportif, mais aussi comme un individu. » Ce jeune homme avait tout dit en une phrase.
Comment assurer la scolarité du jeune athlète ? Comment offrir un double projet, non seulement sportif, mais professionnel, à l'athlète de haut niveau ? Comment rappeler aux parents de jeunes athlètes qu'ils ne peuvent pas à tout prix vivre leur rêve au travers de leurs enfants ? Nous devons travailler ces points, préparer l'avenir de ces hommes et de ces femmes, pour que les athlètes soient à même de résister aux atteintes portées à l'éthique.
Les sportifs doivent aussi développer leur vie familiale et personnelle. À ce titre, j'insiste notamment sur le parasport. Lors d'un débat tenu la semaine dernière à Montpellier, un champion du monde d'escrime parasport nous a expliqué que le parasport lui avait à la fois permis de dépasser son handicap dans sa vie professionnelle et de porter un autre regard sur ses enfants. Il est d'autant plus important d'offrir, en septembre prochain, une réelle visibilité au parasport.
M. Diagana ne me contredira pas : nous avons débattu, pendant près de six mois, de la création d'une agence indépendante ou d'une haute autorité. Les opinions divergeaient au sein du comité. Nous avons trouvé un équilibre, qui responsabilise le CNOSF ainsi que les fédérations, tout en permettant aux victimes de saisir une agence indépendante. Je ne suis pas fermée à l'idée qu'une agence traite des problèmes éthiques dans leur ensemble ; c'est le cas dans d'autres pays. Il faudra tout de même veiller à sensibiliser le mouvement sportif sur ces questions : il ne saurait se décharger entièrement sur ladite agence.
Le comité n'a pas été saisi des questions de laïcité. Je vais donc vous donner mon opinion personnelle, dont je ne fais pas mystère : nous devons mener ce combat. On m'oppose souvent que, ce faisant, l'on empêchera des femmes de pratiquer le sport. On a pu suivre ce raisonnement, en un temps, au sujet du respect de la laïcité dans l'éducation nationale ; or on a constaté que, pour certaines jeunes filles, le lycée était un espace de liberté grâce aux règles de laïcité. Sur ce sujet, je cite souvent l'exemple de nos soeurs afghanes : on leur a demandé de cacher leur corps pour pratiquer le sport, puis d'être à l'abri de tout regard extérieur, puis de ne plus pratiquer du tout.
À ce titre, je regrette sincèrement l'attitude du président de la Fédération internationale de football association (Fifa) lors de la coupe du monde féminine de football. Une seule compétitrice avait estimé devoir participer à la compétition en arborant un signe religieux. Le président de la Fifa est allé la féliciter, devant les caméras, au nom de la liberté des femmes... Il faut faire preuve de fermeté. Disons une bonne fois pour toutes que les filles et les femmes doivent pouvoir pratiquer le sport en pleine liberté et que le corps d'une femme n'est pas à cacher.
Les gymnastes ont raison de penser que leur costume pourrait être modifié : elles ont le droit, en tant que femmes, d'estimer qu'elles sont trop dénudées. Mais affirmons tout de même ce droit à la pleine liberté des femmes de montrer leur corps dans l'espace public. Ce combat, je le mènerai, même s'il n'est pas toujours facile.
Concernant l'accès des filles et des femmes à la pratique sportive, on ressent encore le poids des mentalités et de la domination patriarcale. Hélas, le fait que les garçons fassent du sport continue d'apparaître comme une évidence aux yeux des parents, ce qui n'est pas le cas pour les filles. Je me souviens que, lors d'un débat organisé dans un lycée, un élève de terminale m'a expliqué pourquoi il existait des sports féminins et masculins.
Les sports féminins sont seize fois moins visibles dans les médias que les sports masculins. Aussi, je me réjouis que France Télévisions ait très bien retransmis le Tournoi des six nations de rugby féminin. Cela a conduit à un afflux de jeunes filles dans les clubs de rugby, j'ai pu le constater dans mon département.
Au-delà de la question de la visibilité, nous devons aussi tenir compte des problèmes des filles, qui sont réels. Pourquoi celles-ci abandonnent-elles le sport plus massivement que les garçons à la puberté ? Parfois, les vestiaires manquent, et les tenues peuvent ne pas se révéler très pratiques pour les filles qui ont leurs règles. Il faut tout simplement que nous apprenions à traiter ces sujets, qui n'ont rien de tabou. Mais cela demande de former nos encadrants : c'est ainsi qu'ils pourront aider les filles à se sentir à l'aise. J'insiste : il faut oser aborder ces questions, ce que l'on fait déjà dans les lycées avec la distribution de serviettes périodiques ; l'éducation nationale a beaucoup progressé.
En outre, de nos jours, plus de femmes prennent des responsabilités au sein des entreprises ou de la fonction publique. Or le partage des tâches domestiques ne s'est pas fait à la même vitesse. Les femmes accomplissent déjà deux journées de travail en une : leur engagement bénévole dans le mouvement sportif demanderait donc de leur part un effort beaucoup plus important.
M. Stéphane Diagana. - J'ajouterai quelques éléments sur la protection des sportifs dans le cadre des parcours de performance. La santé des sportifs doit être appréciée à l'aune de la définition que donne l'OMS de la santé depuis 1946. Cette dernière s'entend non pas comme l'absence de maladies ou d'infirmités, mais comme un état de bien-être complet, physique, mental et social. Il existe des obligations de suivi sur la santé physique, par exemple dans le cadre de la lutte antidopage. Quant à la santé mentale, c'est un sujet récent dans le domaine sportif. À cet égard, nous avons proposé de prendre en compte le bien-être psychique au moyen de questionnaires, comme on le fait dans d'autres domaines.
Je compare souvent l'univers de la performance sportive à celui de la performance d'entreprise. En entreprise, la quête de performance peut être source d'épanouissement ou, au contraire, de maladies, de risques psychosociaux, de troubles musculo-squelettiques (TMS) et de mal-être psychique. Il n'y a pas de raison que ces problèmes ne se posent pas dans le domaine du sport. Or nous accusons un certain retard dans la prise en charge des questions de santé, faute d'une responsabilité sociétale des organisations sportives (RSO) équivalente à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
En outre, nous devons assurer un meilleur suivi des athlètes inscrits sur les listes ministérielles. En la matière, nous disposons de très peu d'informations. Aussi conviendrait-il de mettre en place une base de données pour savoir ce qu'il advient des athlètes une fois radiés des listes. Nous n'avons aucune vision claire de leur insertion sociale et de leur état psychologique, alors qu'ils se retrouvent souvent démunis face aux difficultés psychologiques et sociales qu'ils rencontrent, faute de structure adaptée. Nous pourrions aussi imaginer des outils externes d'évaluation de la performance. Les fédérations devraient pouvoir évaluer la situation des sportifs radiés des listes au moyen de questionnaires administrés régulièrement.
Bien entendu, les fédérations sont très différentes les unes des autres si bien que les recrutements ne se font pas dans les mêmes catégories socioprofessionnelles. On ne peut donc pas comparer les parcours de manière brute, en se référant à de simples chiffres : il faut faire preuve de discernement vis-à-vis de réalités très différentes.
L'enjeu est aussi de rassurer les parents d'enfants engagés dans une pratique sportive et de renforcer l'attractivité des parcours de performance, qu'il s'agisse de doubles projets sport-études, ou de triples projets sport-études et vie personnelle. Étant président de club, je sais que les parents expriment souvent des inquiétudes sur les risques sociaux liés à un engagement fort de leur enfant dans le sport. C'est d'ailleurs l'une des explications du fort taux d'abandon chez les filles et les garçons quand ils entrent au lycée. L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), entre autres, a bien documenté le taux de pénétration de la pratique sportive en France, du moins dans le domaine du sport associatif. Il y a de très nombreux garçons de 10 ou 11 ans qui sont licenciés, voire doublement licenciés dans notre pays. Mais l'entrée au collège se caractérise par une perte de pratiquants, et si la pratique se poursuit, c'est souvent hors des fédérations. Il y a non seulement un enjeu de santé publique qui se pose derrière ces questions, mais aussi un enjeu d'attractivité et de performance : plus les jeunes abandonnent tôt le sport, moins nous avons de chances de décrocher des médailles aux jeux Olympiques d'hiver et d'été.
Je ne saurais trop vanter le système slovène, qui, sur la base d'évaluations régulières, promeut l'activité physique et sportive et oriente les jeunes présentant un talent particulier vers des pratiques susceptibles de leur plaire.
J'en viens à la question des licences. C'est aux fédérations d'en fixer le prix, mais elles doivent aussi justifier les prélèvements et les augmentations. Il y a un an, la Fédération française d'athlétisme a ainsi réévalué de 6 euros la part des licences, mais cette décision a bel et bien été votée et des explications ont été apportées sur l'action territoriale entreprise grâce à ces recettes supplémentaires. À mon sens, le prix des licences ne pose pas de problèmes s'il fait l'objet d'un choix démocratique entre les clubs des fédérations.
Je terminerai en évoquant la question de la libre parole des sportifs de haut niveau. Bien entendu, l'éducation aux valeurs républicaines doit se faire partout dans le milieu sportif. Ainsi, bénéficier de subventions implique de signer une charte d'engagement républicain. De même, l'article 2 de la charte d'éthique et de déontologie du sport français, adoptée par l'assemblée générale du Comité national olympique et sportif français, énonce que la « laïcité fait partie des principes républicains ».
Cela étant dit, comment encadrer la parole de sportifs bénéficiant d'une très large audience, notamment grâce aux réseaux sociaux ? Lorsque des propos enfreignent la loi, des condamnations doivent être prononcées, ce qu'on a vu dans l'actualité récente. Mais, s'il s'agit de convictions personnelles qui n'ont rien d'illégal, il est très difficile pour le mouvement sportif de les censurer. Je comprends toutefois les problèmes que cela pose : les sportifs jouissant d'une très large audience tiennent parfois des propos irresponsables du point de vue des valeurs républicaines, même s'ils ne sont pas toujours répréhensibles.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie, Madame, Monsieur, d'être intervenus ce matin devant notre commission. Bien entendu, nous veillerons à ce que le projet de loi-cadre annoncé pour renforcer l'éthique traite bien toutes ces questions complexes.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France - Examen des amendements au texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons désormais les amendements de séance déposés sur la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - L'amendement n° 8 de Monique de Marco vise à soutenir exclusivement le cinéma dit d'auteur. C'est problématique, car, depuis 1946, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a pour vocation première d'aider tout type de cinéma et tire sa force de la centralisation de l'expertise et de la vision globale dont bénéficient ses aides. En outre, il n'y a pas d'opposition juridiquement fondée et pertinente entre le cinéma d'auteur et celui qui ne le serait pas. Quant à l'intelligence artificielle, elle est régie par un règlement européen et ne relève pas des compétences du CNC.
Enfin, toute la politique du cinéma en France repose sur une large diffusion territoriale qui fait l'objet d'une attention constante, ce dont témoigne l'article 4 de la proposition de loi. L'objectif n° 3 du document stratégique de performance du CNC dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 est de « diffuser le cinéma sur l'ensemble du territoire », sur la base d'indicateurs très précis.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - L'amendement n° 6 vise à tenir compte des objectifs de promotion de la parité et de la diversité dans la conservation du patrimoine cinématographique.
Nous sommes d'accord pour promouvoir la parité et la diversité, mais, qu'on le veuille ou non, les grandes oeuvres du passé ont, pour la plupart, été réalisées par des hommes. Depuis lors, les femmes et les représentants de la diversité ont fort heureusement trouvé leur place et tournent aujourd'hui des oeuvres qui forment le patrimoine de demain. Cet objectif est maintenu pour la création des fonds patrimoniaux de demain. Le CNC, de son côté, s'efforce de mettre à l'honneur les oeuvres du « matrimoine » : en témoigne la projection, il y a quatre ans, des oeuvres de la grande réalisatrice Germaine Dulac des années 1920.
Les critères d'attribution des aides à la restauration et à la numérisation du patrimoine tiennent déjà compte de l'impact des oeuvres sur la société, ainsi que des collaborations et des talents artistiques auxquels celles-ci ont fait appel.
Je ne suis pas convaincue par l'intérêt de l'ajout proposé, d'autant qu'il est difficile d'appliquer la parité plus qu'elle n'était présente dans la réalisation d'oeuvres anciennes. Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Monique de Marco. - J'ai bien écouté les propos tenus il y a quelques instants, sur un autre sujet, par Marie-George Buffet concernant le long chemin restant à parcourir en matière de parité et de lutte contre la domination patriarcale. En l'occurrence, je vous soumets un amendement visant à tenir compte des objectifs de promotion de la parité et de la diversité : il s'agit d'objectifs simples, mais vous les analysez de façon bien complexe...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
L'amendement n° 4 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jérémy Bacchi, rapporteur. - L'amendement n° 7 vise à ajouter aux missions du CNC la prévention de la fragilisation du droit d'auteur par le recours à l'intelligence artificielle.
Ce sujet commence à faire l'objet d'un encadrement à l'échelon européen, grâce à un règlement récemment adopté et âprement discuté. Il mérite une réflexion globale qui permette de bien peser les risques, mais aussi les opportunités, dans un contexte mondial qui tâtonne encore largement.
Pour ces raisons, nous proposons d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Monique de Marco. - Franchement, je ne comprends pas la raison pour laquelle vous désapprouvez cet amendement, qui tend simplement à prévenir la fragilisation du droit d'auteur par le recours à l'intelligence artificielle. Pourquoi remettre à plus tard ce qu'on l'on pourrait anticiper dès maintenant ? Mon amendement est, de ce point de vue, tout bonnement logique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement n° 2 rectifié a pour objet de sanctionner l'entreprise de production déléguée qui, d'une part, n'aurait pas respecté ses obligations de prévention et, d'autre part, serait engagée dans un tournage sur lequel des atteintes à l'intégrité physique ou psychique auraient été constatées et pénalement sanctionnées. Ainsi, cette entreprise devrait rembourser au CNC la totalité des aides perçues. Cet amendement fait suite à des révélations de faits sordides survenus lors de tournages et au témoignage bouleversant de Judith Godrèche. Il est le résultat d'un travail commun au sein de notre commission visant à y apporter une réponse rapide et ferme.
Le dispositif proposé oblige au remboursement des aides perçues par le producteur délégué dès lors que deux éléments sont cumulés : une condamnation pénale pour des faits qui se seraient produits durant le tournage et l'absence de respect des obligations de prévention telles qu'elles sont édictées dans le code du travail. Le CNC a déjà la faculté de retirer tout ou partie des aides si ces conditions sont remplies, ce qu'il a déjà pratiqué au moins une fois. Le dispositif proposé alourdit la sanction et la rend automatique puisque c'est la totalité de l'aide qui serait retirée pour le film en question.
La sanction prévue paraît bien proportionnée et circonscrite. Face à la très légitime émotion suscitée par les révélations que nous avons entendues récemment, je vous propose d'émettre un avis favorable sur cet amendement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié.
Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - L'amendement n° 3 vise à créer une nouvelle obligation pour les entreprises de production. Celles-ci devraient ainsi assurer la formation des équipes aux pratiques destinées à protéger l'environnement aux stades de la production, de la postproduction, de la distribution et de la diffusion, et même lors des opérations de communication.
Les producteurs, notamment ceux de petite taille, auront du mal à absorber les nouvelles dépenses qu'un tel dispositif engendrerait. En outre, ces actions de formation s'inscrivent dans des domaines qui ne relèvent pas toujours de la compétence des producteurs ; ces derniers n'emploient même pas les salariés qui pourraient bénéficier de telles formations.
Le dispositif prévu à l'article 6 de la proposition de loi s'inscrit dans une logique plus incitative de modulation des aides du CNC en fonction des efforts accomplis en matière d'environnement sur les tournages. Nous devrions nous en tenir à ce mécanisme, qui est déjà mis en oeuvre et a connu une évolution positive.
Je vous propose d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement n° 5 vise à subordonner les aides du CNC à des actions de formation par les entreprises de production à la prévention et au signalement des violences sexistes et sexuelles et au harcèlement.
Ce sujet est essentiel, comme l'ont montré les récentes révélations sur des comportements odieux intervenus pendant et après certains tournages.
Le CNC a d'ores et déjà prévu d'expérimenter l'extension de la formation obligatoire à la prévention des violences sexistes et sexuelles à l'ensemble des équipes le premier jour de chaque tournage. Le coût de cette formation sera assumé par l'Assurance formation des activités du spectacle (Afdas) et les paramètres précis du dispositif seront élaborés d'ici le mois de juin.
Il serait regrettable de mettre à la charge des producteurs des actions de formation qui seront assurées dans le cadre de la formation continue, de façon concertée. En conséquence, je vous propose d'émettre un avis défavorable sur cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements de séance :
Questions diverses
Mme Monique de Marco. - Je me permets de réitérer ma demande de création d'une commission d'enquête visant à mesurer l'efficacité du contrôle de l'État sur le respect par les établissements d'enseignement scolaire privés sous contrat de leurs obligations. J'ai adressé un courrier, cosigné par plusieurs collègues, au président de la commission pour lui soumettre cette demande.
M. Laurent Lafon, président. - Comme j'ai été saisi de cette demande par écrit, je vous répondrai par écrit, aujourd'hui même. Comme vous l'imaginez, elle ne sera pas différente de la réponse orale que je vous ai faite il y a quelques jours.
Mme Monique de Marco. - Je souhaite simplement savoir si les défaillances constatées sont ponctuelles ou systémiques, comment les contrôles sont décidés et selon quel calendrier. Cela n'a rien de révolutionnaire !
M. Laurent Lafon, président. - En effet. Du reste, le Sénat se penchera sur cette question le 6 mars prochain, à l'occasion du débat demandé par nos collègues du groupe SER. La ministre de l'éducation nationale aura alors l'occasion de répondre à l'ensemble de vos interrogations.
La réunion est close à 11 h 30.