Jeudi 29 février 2024

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Table ronde sur le thème "Banques, marchés, fonds, particuliers : quels acteurs pour financer l'entreprise de demain ?"

M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, notre délégation a récemment confié à nos collègues Pauline Martin, Pierre-Antoine Levi et Fabien Gay une mission d'information intitulée « Quel financement pour l'entreprise de demain ? ».

Nos travaux ont pour objectif d'appréhender les besoins de financement des entreprises au cours des prochaines années pour faire face aux défis d'avenir : transitions environnementale et énergétique, investissement dans le numérique et les nouvelles technologies, formation aux nouvelles compétences nécessaires, etc. Ce sont aujourd'hui des adaptations incontournables pour permettre la croissance des entreprises, en particulier des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Nous souhaitons mettre en lumière les difficultés rencontrées par les entreprises dans leur recherche de financements, qui peuvent relever de la conjoncture - la hausse du coût du crédit par exemple -, mais aussi de raisons plus structurelles, comme un accès restreint des PME aux financements de marché ou une faible orientation de l'épargne vers les entreprises.

Cette table ronde est notre première réunion en formation plénière dans le cadre de cette mission d'information. Nous avons choisi de la consacrer aux acteurs du financement.

En effet, l'un des enjeux consiste à assurer aux entreprises des sources diversifiées de financement pour leur garantir une plus grande résilience en cas de choc économique. La France se caractérise par un poids prépondérant du financement bancaire, mais les lignes bougent. Le capital-investissement se développe et les modes de financement alternatifs émergent. C'est le cas du financement participatif. Vers qui les entreprises pourront-elles se tourner lorsqu'elles chercheront à mobiliser des ressources pour développer un produit innovant, pour investir dans la transition énergétique, ou pour soutenir leur trésorerie dans une conjoncture compliquée ? À quoi ressemblera demain le paysage des acteurs du financement ?

C'est pour répondre à ces questions que nous accueillons aujourd'hui la Banque de France, représentée par M. Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit et président de l'Observatoire du financement des entreprises, qui nous offrira une vue d'ensemble sur le financement des entreprises françaises et les tendances macroéconomiques à l'oeuvre, et la Fédération bancaire française (FBF), représentée par Mme Maya Atig, directrice générale, avec qui nous sommes heureux de dialoguer régulièrement. Madame, vous pourrez nous renseigner sur le recours des entreprises au crédit. Nous accueillons aussi France Invest, représentée par son président, M. Bertrand Rambaud, qui pourra nous renseigner sur le capital-investissement en France à toutes les étapes de la vie de l'entreprise. Enfin, Financement Participatif France (FPF) est représenté par sa directrice générale, Mme Florence de Maupeou, qui pourra nous présenter la dynamique du crowdfunding et la manière dont le financement participatif peut représenter une solution pour les petites entreprises.

Je rappelle que ce débat est capté et retransmis en direct sur le site internet du Sénat.

Avant de vous laisser la parole, je souhaiterai ajouter à ce propos général une question plus spécifique. Notre assemblée a dernièrement travaillé le financement des entreprises dont l'activité est liée au secteur de la défense. Notre collègue Pascal Allizard est à l'origine d'une proposition de loi qui doit être examinée la semaine prochaine en séance publique. Ses travaux montrent que certaines de ces entreprises, et notamment les sous-traitants, peinent parfois à trouver du financement en raison de leur secteur d'activité. Du côté des financeurs, j'entends plutôt qu'il n'y a pas de réel problème. J'aimerais obtenir quelques éclaircissements à ce sujet.

M. Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit et président de l`Observatoire du financement des entreprises. - Votre mission d'information s'intitule « le financement de l'entreprise de demain », mais je commencerai par quelques mots sur le financement de l'entreprise d'aujourd'hui, de façon à mettre en perspective le sujet, avant d'aborder un certain nombre d'enjeux.

Je m'appuierai sur les travaux de l'Observatoire du financement des entreprises, que je préside en tant que médiateur du crédit. Il réunit l'ensemble des parties prenantes aux questions de financement : les organisations représentatives des entreprises, les banquiers et les différents pouvoirs publics. Toutes les organisations présentes à cette table ronde sont membres de cet observatoire. Nous avons récemment publié deux rapports, l'un intitulé « Le financement des entreprises dans un contexte de crises », l'autre relatif à l'accès des très petites entreprises (TPE) aux crédits de trésorerie, demandé par la ministre chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, Mme Olivia Grégoire.

L'investissement des entreprises progresse pour toutes les tailles d'entreprises. En 2021, il conserve la même structure que durant la période 2014-2019. Il a porté principalement sur les installations techniques, le matériel et l'outillage, pour 33 % des montants totaux. Viennent ensuite les actifs de la construction et d'autres actifs corporels, notamment le matériel informatique.

Ensuite, le financement de l'investissement est resté dynamique post-Covid, bien qu'un ralentissement soit constaté en 2023. Il est lié au ralentissement général de l'économie. Les crédits bancaires se sont maintenus à un niveau élevé et se sont en partie substitués aux financements de marché en 2022, compte tenu du fait que les banques ont répercuté moins rapidement l'évolution des taux que ne l'ont fait les marchés. Beaucoup de grandes entreprises se sont tournées vers des financements bancaires, ce qui explique le ralentissement plus fort, plus prononcé des financements de marché.

Les flux de crédits bancaires nouveaux demeurent extrêmement élevés. Une pointe observée en 2020 est liée à l'octroi du prêt garanti par l'État (PGE), mais les volumes de crédits restent extrêmement significatifs au cours de ces dernières années.

Les crédits bancaires accompagnent la croissance de l'investissement avec, bien sûr, une répartition des types de financement différente selon la taille des entreprises. Les plus petites recourent massivement au crédit bancaire, alors que les plus grandes auront accès aux marchés ou se financeront plus largement par les fonds propres.

Les financements de marché ont peu évolué par rapport à 2009, qu'il s'agisse de l'accès aux marchés boursiers ou les financements dits « alternatifs », notamment le financement participatif qui porte sur des volumes beaucoup plus réduits. Nous pourrons y revenir.

Enfin, nous voyons que les taux d'obtention des crédits d'investissement ou de trésorerie demeurent élevés, ce qui illustre l'accompagnement de l'investissement et de la trésorerie par les banques : j'imagine que Maya Atig y reviendra.

J'en viens au financement de l'entreprise de demain.

Vous avez intitulé votre table ronde « Banques, marchés, fonds, particuliers, quels acteurs pour financer l'entreprise de demain ? ». N'oublions pas qu'une source importante de financement des entreprises provient des entreprises elles-mêmes : le crédit inter-entreprises joue un rôle très important. Il représente plus de 700 milliards d'euros, c'est-à-dire plus de 2,5 fois le volume des crédits de trésorerie. Il se matérialise par des délais de paiement, qui se sont détériorés d'environ un jour sur l'année 2023, avoisinant désormais 12,6 jours en moyenne. Ainsi, ce sont environ 15 milliards d'euros de trésorerie dont sont privées les plus petites entreprises du fait de retards de paiement, essentiellement dus à des entreprises de taille plus importante.

Ensuite, on entend souvent dire que les entreprises françaises ont moins de fonds propres que dans les autres pays. En réalité, les chiffres montrent que nos niveaux de fonds propres se comparent aux principaux pays européens. En revanche, la valeur ajoutée générée par les PME en France est beaucoup moins importante que dans les autres pays. Notre tissu est constitué de grandes entreprises performantes, et de très petites entreprises qui représentent l'essentiel des entreprises en nombre ; mais notre tissu intermédiaire est de très faible taille. Nous y voyons un véritable enjeu, y compris de financement.

Qu'en est-il de la répartition sectorielle de l'activité ? Le poids de l'industrie au sein de l'économie est inférieur en France à ce que l'on constate dans les autres pays d'Europe. Le partage de la valeur ajoutée illustre à la fois la faiblesse de l'excédent brut d'exploitation (EBE) des entreprises françaises et le poids plus important des impôts sur les entreprises.

Que disent les entreprises interrogées par différents baromètres et observatoires ? Les enquêtes de Bpifrance et de Rexecode montrent que les freins à la croissance sont principalement liés aux difficultés de recrutement, à des perspectives de demandes dégradées ou à des coûts trop élevés, loin derrière la problématique de l'accès au financement. Cette question a pris de l'importance récemment, compte tenu de l'évolution des taux : le coût du crédit a augmenté dans la période récente, et pourrait représenter un obstacle parmi d'autres à l'investissement, mais il ne constitue pas la contrainte principale mise en avant par les entreprises.

Enfin, les derniers rapports de l'Observatoire du financement des entreprises témoignent des investissements dans les transitions. En matière de transition numérique, le premier frein évoqué par les entreprises concerne les problématiques de cybersécurité. Pour l'enjeu climatique, les deux problèmes principaux sont l'identification des projets permettant d'assurer cette transition au sein de l'entreprise et la rentabilité de ces projets. Cette dernière n'est pas assurée à un horizon de court-terme ou de moyen-terme pour l'entreprise : c'est un frein tant pour l'entreprise que pour le banquier, qui craint que la capacité de remboursement du prêt ne soit pas assurée.

Les constats tirés des différents rapports mettent en exergue des enjeux d'accompagnement et d'anticipation, davantage que des enjeux de financement au sens strict, puisque le système bancaire a bien accompagné les entreprises et que les financements de marchés se sont développés - bien que l'on puisse estimer que cela soit insuffisant.

Mme Maya Atig, directrice générale de la Fédération française des banques. - Les établissements bancaires ont pour mission de gérer les dépôts, c'est-à-dire l'épargne déposée dans les banques, et de les transformer en crédits. Autrement dit, l'épargne bancaire ne dort jamais : elle travaille, selon l'horizon que lui donne le déposant. Lorsque vous déposez de l'argent dans un fond de long terme qui correspond à vos objectifs, à votre niveau de patrimoine, cette épargne peut aller financer des projets très distants, y compris peut être des projets risqués. Mais dans le même temps, lorsque vous déposez de l'argent sur un livret ou sur un compte bancaire, vous vous attendez à être en capacité de le récupérer le lendemain, le jour même parfois, avec le même niveau de fonds : on attend donc une épargne faiblement risquée, moins rémunérée qu'une épargne de long terme.

Aujourd'hui, une grande partie des Français accordent en effet beaucoup plus d'importance à la sécurité stricte de leur épargne qu'à son rendement. Cela ne signifie pas que l'on ne peut pas à la fois remplir le premier objectif - la sécurité de l'épargne - et financer des projets utiles aux grandes transitions, environnementale notamment. Mais l'orientation du financement vers les projets est souvent davantage un résultat qu'un objectif a priori.

En gérant les dépôts de manière sécurisée, il faut aussi remplir une priorité stratégique des banques françaises, celle de financer la bonne tenue de notre économie, nos entreprises, et la capacité des ménages à réaliser leurs projets immobiliers.

Pour résumer, nous transformons des dépôts sécurisés en crédits dynamiques, orientés vers une très grande masse d'entreprises. Parmi nos clients figurent des centaines de milliers de TPE, des milliers de PME, des centaines de grandes entreprises, qui accèdent chaque minute à des crédits bancaires.

Le stock de crédit aux entreprises s'établit à 1 300 milliards d'euros. Tous les ans, environ 320 milliards d'euros de prêts leur sont accordés. Dans le même temps, d'autres crédits se remboursent.

L'intitulé de votre mission d'information, « le financement de l'entreprise de demain », correspond donc pleinement à notre raison d'être et notre stratégie. Nous faisons contribuer tous les épargnants, sans laisser cette épargne dormir.

Vous nous avez interrogés sur la trésorerie et la situation financière des entreprises. Frédéric Visnovsky a déjà cité beaucoup de chiffres. La croissance annuelle de ces crédits a été nettement plus forte en France qu'ailleurs en Europe, où la croissance est proche de zéro. Cette dynamique, dans l'hexagone, intervient dans un contexte dans lequel le crédit coûte plus cher aux entreprises, mais ces dernières souhaitent tout de même réaliser des investissements.

Permettez-moi de revenir sur l'accès des entreprises au crédit. La majeure partie des PME obtient les crédits qu'elles demandent : 96 % des PME hors TPE obtiennent la totalité de leur crédit à l'investissement. On pourrait ne pas voir de problème au fait que 4 % d'entre elles n'y accèdent pas, mais nous cherchons à relever le défi du financement du plus grand nombre de projets. Cela étant, nous devons étudier la situation financière des entreprises qui sollicitent des crédits : or, la difficulté à accéder au crédit peut aussi s'expliquer par des raisons objectives, comme une situation trop fragile, une structure de fonds propres trop complexe, un endettement déjà trop lourd, etc. Nous ne souhaitons pas surendetter nos clients ou leur ajouter de nouvelles difficultés.

Pour cette raison, nous privilégions une approche coopérative, en travaillant par exemple avec la médiation du crédit pour essayer de trouver un terrain d'entente avec une ou plusieurs banques, de façon à ouvrir un accès au crédit. La médiation résout environ 60 % des dossiers qui lui sont transmis. Nous n'avons pas pour objectif de pourvoir tous les financements, mais de réussir des financements responsables, et de trouver des mécanismes pour débloquer les situations les plus compliquées.

Concernant le coût du crédit, c'est-à-dire le taux d'intérêt des nouveaux crédits consentis. Pour les PME, en France, le financement est largement distribué, et ce à un coût plus faible qu'ailleurs en Europe : c'est un élément fondamental. Les taux d'intérêt ont augmenté dans le sillage de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), mais beaucoup moins vite qu'ailleurs. Cela s'explique par le fait que tous les acteurs sont engagés en faveur du financement des entreprises et que le tissu bancaire local est très concurrentiel. L'enjeu est d'offrir des produits qui correspondent aux besoins de chacun.

Quel est aujourd'hui la structure de la dette et l'état de la trésorerie des entreprises ? Les encours de dette se répartissent entre crédits bancaires et dettes de marché. On constate que la dette des entreprises ainsi que leurs outils de financement sont diversifiés. Le financement bancaire n'a pas vocation à assurer la totalité des besoins de financement des entreprises : c'est la raison pour laquelle nous sommes aujourd'hui nombreux autour de cette table. Des besoins différents peuvent trouver une solution par d'autres instruments, de plus long terme ou plus spécifiques. Les entreprises doivent pouvoir accéder à cette diversité de sources de financement, les connaître. Les financements dits « de marché » sont, pour les PME, beaucoup moins développés en France qu'ils peuvent l'être dans d'autres pays. Ils sont extrêmement exigeants en termes d'informations à fournir : les entreprises doivent ouvrir leurs livres de comptes. Le recours au marché peut être envisagé pour certaines tailles d'entreprises, mais pas encore pour toutes. La situation peut être améliorée : nous aimerions pousser des projets européens pour ouvrir davantage les marchés aux entreprises, sans pour autant que nous les regardions comme la solution unique.

Selon une enquête de Bpifrance, la part des entreprises qui projettent d'accroître, même faiblement, leurs investissements dits « verts » à un horizon de 5 ans sont nombreuses, qu'elles soient des PME ou de très petites entreprises. Cela implique que le besoin de financement par des crédits bancaires sera alimenté par cette demande, même si l'offre bancaire ne sera pas nécessairement définie par elle. Certains produits conditionnent en effet l'obtention d'un taux préférentiel à la communication d'une série d'indicateurs garantissant que le projet répondra à des critères environnementaux, mais ce n'est pas aujourd'hui le cas de la majorité d'entre eux. Je pense que les entreprises souhaitant investir dans les transitions pourront compter sur le système de financement de l'économie dans son ensemble, y compris les produits bancaires généralistes.

Enfin, vous nous interrogiez sur l'accès au financement des entreprises du secteur de la défense. Il y a deux volets à cette question.

Le premier est conjoncturel : il concerne le financement du besoin en fonds de roulement (BFR), lié à l'augmentation du rythme et de l'ampleur de programmes de production dans le contexte que l'on connaît, ainsi que les cas où les sous-traitants de second rang ne sont pas payés immédiatement par le donneur d'ordre. Ce ne sont pas là des inquiétudes spécifiques au secteur de la défense. La réponse est nécessairement partagée : comment trouver un équilibre entre ce qui relève de l'organisation de l'entreprise, par exemple pour organiser des paiements en avance de ses clients, et ce que doit apporter le financement bancaire par la dette ? Cette problématique se pose dans beaucoup de secteurs, et est liée à la conjoncture.

Le deuxième sujet concerne spécifiquement le secteur de la défense, par rapport à son activité, en lien avec les indicateurs qui sont nouvellement exigés. Ceux-ci n'ont que peu d'impact dans en matière d'octroi de crédits bancaires, étant donné que nous ne prédéterminons pas l'objectif et ne conditionnons pas notre réponse à l'appartenance sectorielle. En revanche, pour des investissements de plus long-terme, lorsque des fonds ou des produits doivent répondre certains critères - bien souvent élaborés ailleurs qu'en France - l'appartenance à certains secteurs d'activité peut poser des problèmes. Nous avons formellement écrit à la Commission européenne pour que les critères dits « ESG » (environnementaux, sociaux et de gouvernance) prennent pleinement en compte la contribution du secteur de la défense à la sécurité de notre continent. Ce chantier est européen.

M. Bertrand Rambaud, président de France Invest. - Je suis très heureux d'être ici pour évoquer le métier du capital-investissement, que vous connaissez peut-être moins que le financement bancaire. France Invest regroupe les sociétés qui interviennent dans ce secteur, lequel existe depuis une cinquantaine d'années en France. Notre métier consiste à apporter des fonds propres à des sociétés, en général familiales, pour financer leur croissance par des augmentations de capital, ou leur transmission. Nous sommes actionnaires minoritaires ou majoritaires de ces entreprises. Nous apportons donc une offre de financement, à des sociétés innovantes, des jeunes pousses, des PME et des ETI. Nous comptons des équipes spécialisées dans l'agroalimentaire, dans l'énergie, dans la transition énergétique.

La France représente le premier marché du capital-investissement en Europe continentale. C'est donc un secteur puissant, constitué d'un un écosystème d'environ 400 sociétés de gestion. Elles investissent au quotidien dans des entreprises françaises, dans tous les territoires. Beaucoup sont situées en Ile-de-France, mais aussi en Occitanie ou en Auvergne-Rhône-Alpes. Notre présence est extrêmement diffuse, à l'image du tissu économique français.

Les sociétés de notre secteur investissent chaque année 50 milliards d'euros en capital dans les entreprises. Ils sont apportés pour 80 % à des start-ups et PME, et pour 20 % à des ETI. Nous intervenons au quotidien avec les autres acteurs du financement.

Avant de parler des grands enjeux du financement, permettez-moi un propos général, fondé sur l'expérience que nous tirons de l'accompagnement que nous apportons aux entreprises.

D'abord, la France compte un magnifique écosystème d'entrepreneurs. C'est une vraie force de notre pays : nous devons en être fiers. Nos entrepreneurs ont énormément évolué ces dernières années. Ce sont de vrais gestionnaires. Ils ont affronté cinq grandes crises, mais ils sont toujours là. Ils se développent, ils bougent, ils sont réactifs. Ce constat doit nous donner confiance dans notre tissu économique.

Néanmoins, je m'inquiète un peu de la polarisation que je constate. Au-delà des entreprises du CAC 40, certaines entreprises s'en sortent très bien parce qu'elles sont porteuses, qu'elles ont la capacité à répercuter les hausses de prix, parce que leurs dirigeants sont de grande qualité. À l'inverse, une partie de l'économie française est en souffrance, à l'image de notre pays. L'écart-type se creuse actuellement, comme c'est le cas durant toute crise, soyons en conscients.

Ensuite, une différence se crée entre l'Europe et le reste du monde. J'aimerais insister sur le coût de l'énergie par rapport à nos voisins, notamment en Amérique du Nord. Au premier jour de fabrication dans une entreprise, vous observez déjà un écart de compétitivité. Vous aurez beau être le meilleur du monde, vous ne pourrez pas combattre, parce que l'énergie est beaucoup moins chère de l'autre côté de l'Atlantique que chez nous.

Le sujet de la transition énergétique et de ses financeurs est majeur. L'innovation se fait à une vitesse incroyable. On peut en avoir peur, mais elle constitue une magnifique opportunité pour créer de nouveaux métiers.

Venons-en à la transmission des entreprises. 25 % des dirigeants qui ont plus de 60 ans, 11 % plus de 66 ans. Nous devons préparer ce mouvement de transmission si nous voulons conserver ces entreprises en France et une forme de souveraineté économique. Nous sommes là pour ça, aux côtés des banquiers. Le métier du capital-investissement consiste d'abord à apporter de l'argent, certes, mais ces dernières années, il joue de manière croissante aussi le rôle d'accompagner les sociétés dans la transition énergétique, dans la digitalisation, dans la transmission d'un chef d'entreprise à un autre, ce dernier sujet étant le plus sensible pour les dirigeants Nous n'agissons pas à la place des chefs d'entreprise, ce n'est pas notre métier. Nous sommes un accélérateur, un accompagnateur, un aiguillon.

Parfois, nous accompagnons des directeurs d'usine, d'exploitation, commerciaux, qui deviennent un jour à leur tour chefs d'entreprise, parce que le capital-investissement a pu les financer, avec l'aide des banques. C'est fantastique, parce que ces personnes n'imaginent pas qu'elles deviendront un jour actionnaire, voire propriétaire de leur entreprise. Nous pourrions vous raconter de nombreuses histoires similaires.

Aujourd'hui, le volet de la demande de financement - trouver des opportunités d'investissement et accompagner les dirigeants d'entreprise - n'est pas une préoccupation. Nous sommes confrontés à une demande incroyable.

Nous disposons d'un excellent financement bancaire en France par rapport à d'autres pays européens. Bien que les taux aient augmenté, ils restent plus bas que lorsque nous étions jeunes. Nous nous sommes financés gratuitement pendant dix ans, pour des raisons que je n'ai toujours pas très bien comprises, mais les taux sont aujourd'hui positifs : le crédit a un coût. Cela signifie que nous avons un besoin accru de fonds propres, la laine qui nous permet de passer l'hiver et d'investir, d'atteindre des équilibres bilanciels. Cet enjeu est extrêmement important.

Nous finançons notre métier avec les fonds provenant d'acteurs institutionnels, des banquiers, des assureurs, mais aussi des familles. Or nous devons augmenter cette ressource, parce que nous vivons une rupture de notre paradigme économique depuis dix-huit mois : la liquidité n'est plus abondante. De ce fait, moins d'argent arrive dans nos fonds d'investissement pour financer le besoin des entreprises.

Nous évoquerons les solutions tout à l'heure : évidemment, nous devons regarder vers l'avenir. Il faudra plus d'argent pour financer les entreprises, et faciliter les contraintes réglementaires de certains acteurs institutionnels, banquiers ou assureurs. Ils ont envie d'investir davantage dans notre métier : nous devons leur en donner les moyens en déverrouillant la situation et en levant certaines limites auxquelles ils sont confrontés.

L'épargne individuelle est aussi un enjeu identifié, qui a notamment fait l'objet de débats dans le cadre de la loi « Industrie verte ». Elle constitue une très belle opportunité de trouver de nouvelles sources de financement. Mais Maya Atig expliquait tout à l'heure les spécificités de la culture financière européenne. Elle implique que nous devons agir avec prudence et pédagogie, parce que nous avons tous une immense responsabilité par rapport à l'épargne individuelle. Je crois à son potentiel, mais nous devons nous positionner dans un cadre strict, réglementé et accompagné.

Nous devons également attirer davantage les capitaux étrangers. Nous pourrons approfondir cet aspect dans les échanges.

En somme, face aux besoins bien identifiés des entreprises, nous devons avant tout faciliter la mobilisation des financements et déverrouiller certains éléments. Il faut reconnaître que notre pays a déjà beaucoup avancé ces dernières années : la création d'« obligations Relance » est intervenue à l'initiative de la France, tout comme la loi « Industrie verte ». Il faut maintenant aller plus loin.

M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie d'avoir insisté sur la transmission des entreprises. Cet enjeu a fait l'objet de nombreux travaux de notre délégation, et notamment d'un rapport d'information intitulé « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », que j'ai présenté en 2022 avec Michel Canévet et Rémi Cardon. Il faut créer et développer les entreprises, mais aussi savoir sauvegarder et transmettre nos acquis. Cet accompagnement passe par le capital, mais aussi par le crédit, or l'efficacité du secteur bancaire français, qui est une force, n'est peut-être pas suffisamment exploitée, par rapport à ce qui se pratique chez nos voisins. Il faut en moyenne une vingtaine d'années pour qu'une PME se transforme en ETI et accède à l'export : la transmission joue donc un rôle majeur.

Mme Florence de Maupeou, directrice générale de Financement participatif France. - Je suis accompagnée par Bertrand Desportes, administrateur de Financement participatif France et associé chez Mazars, Chloé Brun, administratrice de Financement participatif France et directrice de la plateforme Anaxago, et Lucile Grand, chargée des relations institutionnelles à Financement Participatif France.

Notre association professionnelle existe depuis août 2012 et fédère 140 acteurs de l'écosystème, dont une soixantaine de plateformes de financement participatif en don, en prêt - rémunéré ou non -, en obligations ou en capital. S'y ajoutent d'autres parties prenantes, des porteurs de projets, des investisseurs professionnels mais aussi particuliers, des experts-comptables ou des cabinets d'avocats. Nous cherchons à promouvoir et à ancrer la finance alternative, en publiant des documents tels que des baromètres, en mettant en place des chartes de bonnes pratiques et actions déontologiques, et en faisant entendre notre voix auprès des pouvoirs publics ou régulateurs français mais aussi européens, puisque le cadre européen joue un rôle important en matière de financement participatif. Nous accompagnons et anticipons les évolutions de la technologie et de la réglementation en menant une réflexion sur les sujets tels que la « tokenisation », l'intelligence artificielle, etc.

En 2023, 2,1 milliards d'euros ont été collectés dans le secteur du financement participatif. Nous sommes une goutte d'eau dans le financement de l'économie française, loin derrière le capital-investissement et le secteur bancaire. Pour autant, notre croissance est réelle depuis plusieurs années. Pour la première fois en 2023, la collecte a connu un recul, à hauteur de 11 %, en grande partie liée à la baisse de la collecte dans le secteur immobilier (-26 %), qui représente les deux tiers de la collecte de crowdfunding mais est frappé aujourd'hui par une crise sectorielle. L'analyse doit être contrastée : si l'immobilier a souffert, et si le financement en prêt des TPE et PME a connu un recul, celui des énergies renouvelables et d'autres secteurs d'activité a néanmoins affiché une belle croissance.

Le financement participatif se décompose en 1,6 milliard d'euros collectés en prêts et 265 millions d'euros collectés en investissements en 2023, en très forte croissance par rapport à 2022. Il y a un véritable essor du financement participatif en capital.

Les enjeux pour le secteur du financement participatif relèvent principalement de l'adaptation au nouveau règlement européen, et notamment au nouvel agrément qui s'annonce exigeant ; du fléchage de l'épargne française vers les PME ; et de la conformité aux exigences déontologiques.

Parmi les pistes identifiées pour le financement des entreprises de demain figure l'appui aux plateformes de financement participatif elles-mêmes. Le cadre réglementaire est particulièrement exigeant, et nous avons l'impression qu'il existe une forme de disproportion : c'est un enjeu pour la pérennité des plateformes, dont la force de frappe est limitée. Nos possibilités de financement s'élèvent au maximum à 5 millions d'euros par levée de fonds, par porteur de projet.

Je suis pourtant convaincue que le financement participatif est un très bel outil de fléchage de l'épargne des Français vers l'économie réelle, vers les entreprises du territoire. Simplement, il faut permettre à ces plateformes de faire leur travail, de sourcer des projets ayant besoin de ces financements, de faire de la pédagogie auprès des particuliers qui souhaitent placer leur épargne. Maya Atig l'indiquait plus tôt, on observe une certaine aversion au risque en France. Les Français disposés à prendre le risque d'investir dans le capital ou de prêter aux entreprises du territoire doivent être accompagnés : nous devons les prendre par la main.

Cela doit s'accompagner de mesures fiscales ou d'incitations, de facilitations qui seraient assez faciles à mettre en place, comme une déduction de l'impôt sur les sociétés applicable aux intérêts versés par les entreprises à des particuliers qui y ont investi. Cette solution encouragerait les entreprises à diversifier leur endettement via différents types de canaux, et notamment le financement participatif. Je précise que le prêt en financement participatif coûte plus cher pour les entreprises que le crédit bancaire. Le particulier, qui prend un risque, est rémunéré à des taux qui varient de 5 à 10 % en fonction du secteur d'activité dans lequel il investit et de la cotation de l'entreprise.

Nous pourrions également offrir la possibilité de déduire de l'impôt sur le revenu les pertes sur un emprunt obligataire, ou encore de faciliter la mise en oeuvre des garanties pour les investisseurs et les particuliers qui prêtent aux entreprises via les plateformes. Par exemple, une société à responsabilité limitée (SARL) ne peut aujourd'hui pas se porter garante. Lever ce type de freins permettrait de fluidifier l'investissement. Les propositions portées par le député Paul Midy pour soutenir les jeunes entreprises innovantes sont des leviers intéressants qui augurent d'évolutions positives pour le financement en direct des entreprises.

Par ailleurs, il nous paraît important de mener un effort de pédagogie auprès de l'écosystème financier quant à l'intérêt du financement participatif, la variété des financements proposés et les moments auxquels les entreprises des territoires peuvent faire appel aux plateformes. Nous avons par exemple travaillé avec la médiation du crédit pour essayer d'expliquer comment le financement participatif peut intervenir utilement au cours de la vie d'une entreprise. Il reste beaucoup à faire en la matière : ce travail doit être mené conjointement avec les acteurs traditionnels du financement.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous pour vos interventions. Je cède la parole aux trois rapporteurs de la mission d'information « Quel financement pour l'entreprise de demain ? ».

Mme Pauline Martin, rapporteure. - Madame de Maupeou, nous avons bien noté l'évolution fulgurante du financement participatif. Est-ce un effet de mode, ou un ancrage solide dans le paysage du financement des entreprises ? Par ailleurs, existe-t-il des disparités dans le traitement qui vous est réservé par rapport aux établissements bancaires ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame Atig, Monsieur Visnovsky, vous indiquiez que 96 % des entreprises obtiennent les prêts bancaires qu'elles demandent. Il n'est pas possible de répondre à 100 % des demandes, car nous n'avons pas intérêt à mettre une entreprise plus en difficulté qu'elle ne l'est déjà. Pour autant, un certain nombre de TPE ou PME de mon département indiquent ne pas même déposer de dossiers, parce qu'elles pensent que le prêt ne leur sera pas octroyé. Disposez-vous de données à ce sujet ? D'autres n'obtiennent pas la totalité des montants demandés. Quelle est leur part ?

Par ailleurs, nous avons évoqué les investissements d'avenir, mais il me semble qu'un aspect a été oublié : la question des salariés, de l'emploi et de la formation. Les difficultés de recrutement sont une préoccupation majeure des entreprises - pour plus de la moitié d'entre elles - et elles me semblent fortement liées à l'enjeu du salaire et de la formation. Je pense que nous devrions accentuer la réflexion en faveur de crédits bancaires conditionnés à un investissement, pour l'avenir, dans des projets de transition écologique et énergétique, mais aussi dans les salaires et la formation des salariés. Le crédit pourrait être bonifié si l'entreprise répond à ces critères. Si elle n'investit ni dans l'emploi, ni dans l'avenir, son crédit pourrait être dégradé. Pensez-vous que cette piste pourrait être explorée, et qu'elle pourrait inciter les petites entreprises à passer un cap ?

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - J'ai noté avec attention les chiffres présentés, concernant notamment le niveau des encours bancaires et la forte remontée des taux, bien que, sur ce point, nous nous en sortions mieux que nos voisins. Nous sommes passés d'un taux d'intérêt de 2 % à un peu plus de 4 %. Madame Atig, Monsieur Visnovsky, avez-vous observé une augmentation des demandes de garanties sur les prêts ? Lorsque nous interrogeons les PME de certains départements, beaucoup indiquent peiner à accéder aux crédits. Le ratio de crédits octroyés par rapports aux demandes déposées ne reflète pas nécessairement la réalité de l'accès au crédit, puisque certaines entreprises ne vont pas au bout du dossier. Il faudrait en tenir compte dans votre analyse. Pourriez-vous également préciser les différentiels de taux pratiqués en faveur des PME et des ETI ? Sont-ils plus élevés d'un côté que de l'autre ?

Les travaux de notre délégation ont souligné que 250 000 à 700 000 entreprises françaises sont appelées à être transmises dans les années à venir. Monsieur Rambaud, constatez-vous un intérêt plus fort des investisseurs étrangers vis-à-vis des entreprises françaises dans ce contexte ? La transmission se fait par succession dans certains cas, mais aussi par la vente de l'entreprise.

M. Bertrand Desportes, administrateur de Financement participatif France. - Les décrets d'application permettant d'opérer en tant que plateforme de crowdfunding datent de 2014. Ainsi, nous disposons d'un recul de dix ans nous laissant penser qu'un éventuel effet de mode a désormais laissé la place à un modèle plus solide. En 2015, nous atteignions 200 millions d'euros de financement collecté. Depuis trois ans, nous dépassons le seuil des 2 milliards d'euros annuels.

Ce modèle répond à de nouveaux usages et de nouveaux besoins. Il offre aux épargnants une forme d'accessibilité, car ils choisissent eux-mêmes des projets à financer, à partir de quelques centaines d'euros en don, en achat, en prêt ou vers des investissements plus risqués, en toute transparence. La personne concernée choisit directement l'allocation et la destination finale de son épargne. Il peut suivre l'évolution des projets financés, et apporter une contribution au développement de l'entreprise. Les particuliers y trouvent donc un intérêt pour flécher leur argent dans des projets concrets qui répondent à des enjeux économiques, sociaux, ou environnementaux de leur territoire. Ils donnent du sens à leur épargne et cela leur confère une certaine autonomie dans l'allocation de leur argent. Ils expriment le souhait d'être des « épargne-acteurs ».

Le porteur de projet trouve, lui aussi, un intérêt à recourir au crowdfunding, notamment les micro-entrepreneurs, les TPE et start-ups. Les campagnes de financement participatif servent de test du concept, de baromètre pour voir si le projet est reçu de façon positive, si des individus sont prêts à le soutenir ; elle offre un accès direct au public et une connexion à une audience large. Cela peut en faire un instrument marketing intéressant. Les acteurs traditionnels du financement ne traitent pas ces demandes de la même manière.

Le financement participatif est aussi une passerelle vers d'autres financements. Une campagne réussie donne un signal positif à d'autres acteurs tels que le capital-investissement ou les banques.

Mme Florence de Maupeou. - Aux débuts du financement participatif, en 2014, nous avons fait de l'absence de garantie ou de caution un argument marketing. Ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. Le financement participatif va chercher des garanties, parce que nous avons passé l'effet de mode, et parce que des risques existent. Nous nous concevons désormais comme un outil de diversification du portefeuille. L'investisseur-épargnant cherche à garantir le risque si c'est possible, ou à bénéficier de taux très élevés.

M. Bertrand Rambaud. - L'épargne fait l'objet de vifs débats, comme on l'a noté dans le cadre de l'examen de la loi « Industrie verte ». Le législateur souhaite rendre possible l'accès à des unités de compte (UC) dans les produits d'épargne ou les plans épargne retraite (PER) qui alimentent le capital-investissement.

Cela va dans le sens de l'histoire économique de notre pays. Il est vrai que la culture française et européenne est très prudente vis-à-vis des actifs : nous ne cherchons pas à imiter à ce qu'il se passe outre-Atlantique. Pour autant, nous devons accompagner la demande des clients. Dans le même temps, le crowdfunding comme le capital-investissement sont des produits particuliers, qui visent des entreprises non cotées, familiales, avec un investissement dans la durée. Les distributeurs ont la responsabilité d'expliquer ce qu'est notre produit, les risques qu'il représente, le temps qu'il demande. Pour cela, le législateur fixe un certain nombre de principes et l'autorité des marchés financiers (AMF) est très vigilante.

Une prise de conscience collective est nécessaire, en plus d'un effort énorme de pédagogie. On ne peut pas vendre un produit immobilier comme on vend un produit monétaire, obligataire ou de capital-investissement. Tout est à risque, par nature : celui qui souscrit doit le savoir. Au sein de notre profession, nous travaillons donc à produire de l'information, des chiffres et des données. Nous formons également nos distributeurs, grâce à l'organisme de formation dont dispose notre organisation. Nous devons mener ce travail conjoint.

A titre personnel, je ne peux que partager vos propos sur la rémunération des salariés. D'importants écarts se créent dans notre monde, entre les entreprises mais aussi entre les salariés en matière de rémunération. Ce n'est pas tenable, surtout avec les difficultés de recrutement qui sont une réalité dans les territoires. Un premier levier est le salaire. Des efforts ont aussi été consentis sur les primes Macron ou l'intéressement, il faut les poursuivre, bien que les Français soient plus attachés à leur rémunération mensuelle plutôt qu'aux primes.

Dans notre profession, en tant qu'actionnaires, nous avons une vraie responsabilité, voire une obligation en la matière, que je porte en tant que président de l'association. Je veux mettre en place des actions très pratiques. Nous devons favoriser l'accès des salariés au capital des entreprises - c'est possible gratuitement, grâce à la loi PACTE -, et nous orienter vers un partage de valeur plus large au profit des salariés. Par exemple, grâce aux évolutions du capital, les salariés de La Redoute ont bénéficié de gains individuels significatifs. Notre profession souhaite contribuer à ces évolutions dans les entreprises que nous accompagnons. Nous partageons tous cette responsabilité.

Les investisseurs étrangers sont très présents, et interviennent effectivement dans la reprise d'entreprises. Ce n'est pas nécessairement un mal, s'ils se comportent bien. Mais notre écosystème français doit être encore plus fort, encore plus adapté aux besoins des entreprises. Vous savez, la transmission n'est pas uniquement un sujet d'argent. Les dirigeants doivent être prêts à sauter le pas et à passer la main : il est question de pédagogie, d'explication, d'accompagnement. Après avec construit et développé une entreprise, le dirigeant doit en sortir positivement, c'est sa mission en tant que chef d'entreprise et c'est la plus belle des choses. Par exemple, il est toujours possible de rester actionnaire.

Je terminerai mon propos en évoquant les capitaux étrangers. Inutile d'opposer les financeurs français et le reste du monde : nous avons besoin de financements internationaux, il est inutile de le nier. Je trouve en revanche dommage, pour les entreprises actives dans les nouvelles technologies, que l'on ne trouve ni France, ni en Europe les montants importants de financement nécessaires. Qui a fait la richesse de l'écosystème de l'innovation en France entre 2019 et 2021 ? Ce ne sont pas les financements européens, mais bien les capitaux américains. Or c'est un problème, car ce sont ensuite nos données qui quittent l'Europe. Nous avons besoin que des capitaux français s'intéressent à ces entreprises. Les épargnants sont prudents, nous l'avons dit, mais les assureurs et les investisseurs aussi. Nous devons faire bouger les lignes culturelles mais aussi lever les barrières : il y a un vrai enjeu de dérégulation et d'évolution des ratios réglementaires. Nos grands investisseurs ont envie d'agir, mais ils doivent calculer des ratios de solvabilité, de fin d'année, de liquidités, qui constituent un frein. L'Europe doit évoluer. C'est un vrai point d'attention, que nous identifions tous, alors qu'il suffirait de quelques réglages.

Mme Maya Atig. - Je viens de consulter des chiffres très détaillés sur l'accès au crédit. 96 % des PME demandant des crédits d'investissement obtiennent au moins les trois quarts de la somme demandée. 73 % en reçoivent la totalité. Ainsi, 23 % des TPE hors PME obtiennent entre 75 % et 100% de ce qu'elles ont demandé.

Tous les acteurs bancaires sont attachés à cette relation de proximité avec les entreprises. Il ne s'agit pas de rentrer un dossier dans une machine et d'attendre le résultat. Des discussions ont lieu, après une expertise du dossier : la demande est-elle fondée, raisonnable ? Il arrive que des demandes soient surcalibrées, car les demandeurs espèrent ainsi obtenir la somme dont ils ont vraiment besoin. Il me semble donc que nous devons surtout nous intéresser à la tendance, qui indique que la réponse à la demande des entreprises est généralement très positive.

Les chiffres concernant les TPE sont un peu inférieurs : environ 80 % des TPE reçoivent au moins les trois quarts de la somme demandée, et 65 % d'entre elles la totalité de la somme. Ces chiffres sont tout de même plus élevés qu'ailleurs dans le monde.

De plus, je suis surprise par l'auto-censure évoquée. En effet, quel est le risque à pousser la porte d'un banquier ? Le pire qui puisse être envisagé est le refus du crédit, il n'est pas question que les comptes soient fermés à la suite d'une demande. À l'inverse, une demande de crédit permet d'ouvrir une discussion sur le projet, et le cas échéant d'envisager d'autres solutions : un désendettement, de nouveaux outils, un renforcement de la structure financière, etc.

Nous avons tous un rôle à jouer. Nous bénéficions de réseaux bancaires importants. Des centres d'affaires et des conseillers professionnels ou conseillers d'entreprises maillent le territoire pour mener ces discussions. Les chiffres présentés témoignent d'un large accès, d'une large réponse et d'une capacité d'accompagnement.

Vous posiez la question du conditionnement des prêts ou des instruments de financement. Les décisions relatives aux financements bancaires prennent en compte la globalité de la situation et des perspectives d'une entreprise. Si elle est défavorablement connue pour sa politique sociale, il peut en être tenu compte dans la notation. Pour autant, exiger qu'elle remplisse point par point certains critères pour bénéficier d'un crédit ne me semble pas envisageable au regard des volumes traités. Des prêts à impact existent : nous contactons les entreprises pour les en informer, et elles doivent alors fournir une documentation extrêmement précise de l'impact du projet. Mais nous ne le concevons pas comme une condition préalable pour pousser la porte d'une agence bancaire.

S'agissant des demandes de garantie, nous ne disposons pas d'éléments chiffrés. En revanche, le resserrement des conditions de crédit entraîné par la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne (BCE) pour limiter l'inflation, a pour conséquence que les entreprises demandant des crédits seront tendanciellement un peu plus solvables que celles qui en sollicitaient avant l'augmentation des taux. Des demandes de garanties supplémentaires ont-elles vu le jour ? Il n'est pas évident de répondre à cette question. Ce peut être le cas pour des projets spécifiques ou innovants, mais c'est alors un mouvement plus structurel que conjoncturel.

Je ne dispose pas des informations demandées concernant le différentiel de taux pratiqués envers les ETI et les PME. Je me renseignerai, mais je ne sais pas s'il existe une donnée agrégée. Une logique d'évaluation du risque s'applique. Je précise que la hausse des taux d'intérêt a pour effet favorable de permettre à des entreprises d'emprunter pour des projets un peu plus risqués, car les taux précédemment très bas n'offraient pas aux banques la possibilité de couvrir le risque encouru.

Enfin, le devoir de conseil s'impose à tous les acteurs de la distribution de l'épargne. C'est particulièrement important, mais difficile à accomplir en France. J'évoquais plus tôt les préférences des épargnants : je n'ai pas utilisé le terme d'aversion au risque, qui pourrait donner l'impression que l'on porte un jugement sur leur comportement. Le fait que les Français s'orientent moins vers l'épargne risquée est le résultat de plusieurs facteurs. Ils investissent peu à titre privé pour la retraite, parce que les socles de base public et complémentaire sont plus importants qu'ailleurs. Dans d'autres pays, même un individu présentant un niveau de revenus modeste est habitué depuis le début de sa carrière à réfléchir à des investissements à long-terme en s'interrogeant sur leur niveau de risque : il ne placera que peu d'argent sur des livrets bancaires sécurisés. Dans le même temps, un ménage français avec deux enfants dispose en moyenne d'une épargne de 120 000 euros placée sur des livrets totalement sécurisés, publics, à taux garanti et disponibles. Sous ce seuil, lui conseiller de placer ses produits sur d'autres supports suppose qu'il ait une appétence personnelle, une compréhension et une acceptation du risque beaucoup plus fortes.

L'écosystème du financement fonctionne, car nous disposons de beaucoup d'outils très complémentaires. Il reste des efforts à mener au niveau européen pour lever certains freins.

M. Frédéric Visnovsky. - Je partage la position de Maya Atig sur les problématiques d'accès au crédit bancaire. Selon notre enquête, le taux d'autocensure est stable et inférieur à 2 %. Si l'entreprise ne va pas voir son banquier, nous devons l'encourager à le faire. Si le banquier émet un refus, le dispositif de la médiation du crédit permet de poursuivre, voire de rétablir le dialogue s'il a été rompu.

Le financement de la formation est un enjeu majeur de politique publique. Les pouvoirs publics pourraient décider de mettre en place des dispositifs publics de prêts bonifiés. Cela ne relève pas du rôle des banquiers.

Il me semble que nous ne disposons pas des informations relatives aux taux pratiqués par catégorie d'entreprises. Il n'existe pas non plus de statistiques sur les garanties accordées aux crédits : dans le cadre de l'Observatoire du financement des entreprises, certaines organisations nous ont sollicité sur ce point.

Je reviens sur la question du président Rietmann relative au financement des entreprises du secteur de la défense, pour compléter la réponse de Maya Atig. Il y a effectivement une dimension conjoncturelle et une dimension structurelle. J'identifie deux difficultés principales, à commencer par le fait que la défense n'est pas un secteur économique clairement identifié dans les statistiques. Les problèmes d'accès au financement ne sont en outre pas documentés : lorsque nous interrogeons les entreprises sur les dossiers concernés, nous n'obtenons pas de réponses.

Nous avons étudié les entreprises que l'on cote au niveau de la Banque de France. Celles du secteur de la défense apparaissent plus solides, ce qui impliquerait qu'elles aient moins de problèmes d'accès au financement.

De plus, dans les quelques cas que nous avons eu l'occasion de voir au niveau de la médiation du crédit, nous remarquons que ces entreprises refusent parfois de donner un certain nombre d'informations à leur banquier. Légitimement, ce dernier peut alors se montrer plus frileux dans l'octroi d'un crédit. D'autres obstacles sont liés à des questions de réglementation nationale et européenne visant à lutter contre la corruption et le blanchiment, auxquelles les établissements bancaires sont très attentifs, qui peuvent les conduire à refuser certains prêts. Ce sont bien davantage ces éléments qui expliquent d'éventuelles difficultés, que des aspects liés à la situation financière des entreprises du secteur.

Pour contextualiser le débat sur l'orientation de l'épargne, je rappelle que les Français disposent d'environ 2 000 milliards d'euros de dépôts bancaires. Ces dépôts ne dorment pas, grâce à l'intermédiation des banques qui les orientent vers des crédits aux entreprises et aux particuliers. Les Français disposent aussi de 1 800 milliards d'euros placés dans des produits d'assurance vie ou des plans épargne retraite. Dans ce cas, le particulier a choisi l'orientation de son épargne. 1 700 milliards d'euros correspondent enfin à des actions, majoritairement non cotées. On voit donc qu'une grande partie du patrimoine des Français fait donc déjà l'objet de choix d'orientation par les particuliers eux-mêmes.

Nous pourrions, il est vrai, nous interroger sur la pertinence de développer davantage l'investissement direct, afin de mobiliser les actuels 2 000 milliards d'euros de dépôts. Mais il faudrait que chacun ait conscience du risque et que cela soit réalisé dans le respect du devoir de conseil vis-à-vis des particuliers.

M. Pierre Cuypers. - Quelle est votre définition de l'entreprise ? Quand commence-t-elle ? Quand s'arrête-t-elle ?

Quelle est la part de risque que vous êtes prêts à accepter lorsqu'une start-up vous propose un projet ? Certes, l'entreprise doit être rentable, mais le financeur prend nécessairement des risques au lancement d'un projet, car il existe des aléas.

J'aimerais également connaître votre avis, notamment celui du secteur bancaire, sur la prolongation du prêt à taux zéro (PTZ), annoncée il y a quelques mois par l'ancienne Première ministre, et sur les ventes à perte.

Nous connaissons actuellement une crise agricole. Or, l'agriculture est un lanceur d'alerte par rapport à la situation économique française et européenne. J'ai entendu le chef de l'État annoncer, entre autres, des reports d'échéances de paiements. A-t-il obtenu votre accord pour reporter ces échéances ? Ne risque-t-on pas de reporter le problème sur l'avenir : comment procéder pour éviter d'accentuer les difficultés du monde agricole ?

Enfin, par qui la dette française est-elle garantie ?

M. Michel Canévet. - Les chiffres évoqués par Frédéric Visnovsky montrent qu'il existe un volume conséquent d'épargne, le tout étant que nous trouvions les leviers pour l'orienter vers les entreprises et le développement économique. Quelles pistes explorez-vous ?

En matière d'investissements d'avenir, le plan France 2030, doté de 54 milliards d'euros, accompagne les projets importants pour l'avenir. Comment les acteurs que vous représentez peuvent-ils accompagner cette démarche, et notamment éviter que ces fonds ne soient captés par des acteurs étrangers ?

Quelle part des crédits bancaires bénéficie d'une garantie de Bpifrance ? Son intervention est-elle déterminante dans l'attribution des crédits ?

Enfin, la mobilisation de l'épargne locale pour les projets locaux vous semble-t-elle constituer un axe de développement important ? Comment faire en sorte que l'épargne d'un territoire serve son économie ? Dans le mien par exemple, la pêche est un secteur économique de poids, mais peu de navires sont construits au regard de leur coût : il est difficile de trouver localement les apports permettant de lever des crédits bancaires. Comment mieux mobiliser l'épargne locale, et avec quelles incitations ?

M. Martin Lévrier. - L'augmentation des taux d'intérêt a-t-elle une incidence sur la durée des emprunts demandés ? Si oui, quels peuvent en être les effets à moyen et long terme ?

Par ailleurs, incluez-vous le monde associatif dans les analyses que vous avez présentées concernant les entreprises ? Comment faire évoluer l'approche du crédit et de l'investissement au sein de ce secteur, alors même que les associations ne peuvent pas faire de bénéfice ? Comment intervenez-vous à leurs côtés ?

M. Olivier Rietmann, président. - Dans son rapport 2022 sur les défis du financement de l'investissement des entreprises, l'Observatoire du financement des entreprises note que « les entreprises qui investissent dans les transitions numériques et environnementales recourent le plus souvent à des schémas d'investissement mixtes mêlant une forte composante d'autofinancement et l'emprunt bancaire ». Or, 27 % des TPE et PME citent l'insuffisance des capacités d'autofinancement comme un frein à l'investissement dans ces grandes transitions.

Faut-il y voir une inadéquation de l'environnement réglementaire et fiscal en France, ne permettant pas aux entreprises de dégager assez de ressources pour l'investissement ? Peut-on établir un lien entre le poids des impôts de production et l'insuffisance des capacités d'autofinancement ? Quelles pistes de réformes pourraient être envisagées ?

M. Frédéric Visnovsky. - Nous nous appuyons sur la définition des entreprises retenue par l'INSEE, qui inclut les entreprises unipersonnelles, constituant d'ailleurs la grande majorité d'entre elles.

Je n'ai pas d'élément à vous apporter concernant les prêts à taux zéro.

M. Michel Canévet. - C'est l'Etat qui prend en charge financièrement les prêts à taux zéro.

M. Frédéric Visnovsky. - Des prêts à taux zéro seront proposés aux agriculteurs, les banques se sont me semble-t-il engagées en ce sens. Les agriculteurs bénéficieront d'un report d'échéances d'un an et d'un étalement de celles-ci sur trois ans.

La dette française n'est pas garantie, si ce n'est par la capacité de la France à démontrer qu'elle peut rembourser et renouveler sa dette en permanence. La notation de la France n'est pas sans impact sur cette capacité. Je n'ai pas en tête le montant des émissions de dette prévues cette année : il sera significatif.

Je ne dispose pas d'éléments de réponse concernant les investissements d'avenir. L'un des défis de la France est que son tissu économique est composé de PME de taille insuffisante. Le programme d'accompagnement « ETIncelles » vise à faire croître un certain nombre de PME en ETI.

S'agissant du rôle de Bpifrance, cet établissement intervient souvent en co-financement des banques. Je ne connais pas la part de marché de Bpifrance au sein de l'encours bancaire, mais elle ne doit pas être très élevée.

L'épargne ne dort jamais : elle est utilisée par les banques ou placée dans des produits d'assurance-vie ou des actions. Comment mobiliser plus directement l'épargne locale vers certains financements, qui peuvent être locaux ? Le ministre de l'Économie a récemment proposé la mise en place d'un produit d'épargne européen. Nous devons, je pense, offrir aux particuliers un fléchage bien identifié afin qu'ils aient conscience de l'orientation de son épargne. Les produits doivent être présentés de manière transparente, pour expliquer le degré de risque, qui varie selon que l'on fasse l'acquisition d'une obligation d'état ou d'un titre d'entreprise.

Je ne sais pas si l'augmentation des taux d'intérêt a impacté la durée des crédits demandés. La structure de financement des entreprises se fait sur des durées relativement longues, ce qui implique que l'impact de cette augmentation intervient de manière plus progressive qu'ailleurs, notamment dans les pays caractérisés par une forte proportion de crédits aux entreprises à taux variable. Je note au passage qu'en France, près de 95% des crédits au particulier font l'objet d'un taux fixe, contre 60% pour les entreprises. Cela conduit-il à solliciter des prêts à plus long terme ? La rationalité du directeur financier devrait le conduire à agir à l'inverse : il n'est pas intéressant d'emprunter sur 20 ans à 4 % si on sait qu'on disposera d'un taux de 2% à 10 ans le lendemain. Tout dépend du besoin et du type de financement.

Monsieur le Président, vous citiez le rapport de l'Observatoire. La problématique est celle d'un excédent brut d'exploitation (EBE) des entreprises françaises plus faible qu'ailleurs, combiné à un taux d'imposition supérieur. Si nous voulons améliorer la capacité d'autofinancement des entreprises, nous devons agir sur ces deux leviers. Le premier dépend du coût des intrants et de l'évolution des marchés. Le second est à la main des pouvoirs publics et consisterait à ajuster l'imposition des entreprises.

Mme Maya Atig. - L'enjeu de l'investissement dans la transition environnementale renvoie, au fond, au paiement de notre dette climatique ou environnementale. Dans un certain nombre de cas, la valeur de l'investissement ne se matérialisera pas sur le plan monétaire. Modifier le mode de production au sein de l'entreprise ou renouveler la flotte de véhicules ne mènera pas forcément à une plus grande productivité ou à une croissance du chiffre d'affaires. En revanche, les émissions de gaz à effet de serre seront réduites, et l'entreprise s'inscrira dans une trajectoire environnementale plus vertueuse, par exemple dans sa gestion de l'eau. Ce constat conduit à modifier la perception par les entreprises de la valeur de leur investissement.

Dans le cadre d'une demande de crédit bancaire, le banquier s'assure que l'investissement permettra au moins de payer les intérêts sur les sommes prêtées et que l'équilibre économique de l'entreprise est maintenu, mais pas nécessairement qu'il procure la rentabilité maximale. Il appartient aux entreprises de décider dans quelle mesure elles investissent, y compris lorsque la rentabilité de cet investissement peut apparaître plus faible que celle qu'elle avait peut être connue lors des cycles d'investissement précédents.

L'autofinancement sera donc un enjeu très important. Il sera peut-être nécessaire, pour l'entreprise, de puiser dans ses ressources financières, dans ses fonds propres, ou de mobiliser d'autres sources financements pour investir positivement en faveur de l'environnement, dès lors que ses investisseurs reconnaissent l'importance de ces objectifs.

Ensuite, la part de risque engagée en matière de financement des start-ups n'est pas normalisée au sein des portefeuilles des établissements bancaires. Je rappelle que nous gérons à la fois les dépôts, qu'il nous appartient de rendre dans l'état dans lequel ils nous ont été transmis en y ajoutant d'éventuels intérêts, et celle des crédits. Les crédits sont consentis à des entreprises plus ou moins matures, parfois en création, parfois des start-ups, qui ont besoin d'un premier matelas de fonds propres avant d'emprunter auprès des banques : le capital-investissement n'est pas accessible à toutes. Plus le matelas initial de fonds propres obtenu après des investisseurs spécialistes est important, plus l'effet de levier en matière de crédit bancaire pourra être important. Je précise qu'il existe de nombreux prêts à la création d'entreprises ou de commerces, qui peuvent aussi bénéficier aux start-ups.

Nous évoquions les investissements d'avenir et l'épargne locale. Certaines banques couvrent un territoire limité, couvrant seulement quelques régions ou départements. Par définition, elles collectent donc l'épargne locale. D'autres, bien que couvrant un espace national, peuvent souhaiter communiquer sur les investissements financés dans une région spécifique, dans un objectif de transparence. Il est difficile de documenter le potentiel de collecte immédiate auprès d'un territoire et l'usage des dépôts dans ce même territoire, bien que l'idée soit attractive. Nous essayons de concilier ces contraintes en améliorant la communication sur ce qu'ont financé les établissements bancaires à une échelle de proximité : certaines banques publient de l'information relative à leur quartier, par exemple en identifiant les commerces financés. Cette information est, il est vrai, de plus en plus demandée.

La part des prêts garantis par Bpifrance au sein de l'encours total de crédit est limitée, représentant quelques points de pourcentage. Sa part de marché est aussi réduite, se situant nettement en dessous des 10% : l'établissement intervient généralement aux côtés d'autres banques. Plus l'entreprise est risquée, plus un travail a été réalisé en amont avec les pouvoirs publics ou d'autres financeurs afin de partager le risque.

Pour répondre à votre question relative à la durée des prêts demandés, la maturité des encours de dettes a très peu évolué entre 2022 et 2023. En revanche, la hausse des taux a pu inciter des entreprises à emprunter plus tôt, mais cette donnée est très difficile à mesurer. La phase actuelle, celle de la décrue des taux, est source d'incertitude : on ne sait pas à quel rythme elle interviendra.

La situation des entreprises agricoles se déclarant en difficulté auprès du conseiller départemental sera étudiée individuellement. Cet examen pourra concerner également les dettes fiscales et sociales de l'exploitation, auquel cas la mutualité sociale agricole (MSA) interviendra également. Les établissements bancaires étudieront les solutions possibles pour assurer la pérennité de l'entreprise : différés de remboursement, allongement de la durée de remboursement du prêt, voire octroi de nouveau prêt tout en évitant l'écueil du surendettement, etc. Aujourd'hui, les réseaux bancaires sont déjà à l'écoute de leurs clients en difficulté, qui se voient proposer des solutions individuelles.

Vous m'interrogez sur la dette publique française. La semaine dernière, la France a émis une obligation de 8 milliards d'euros à horizon 2055, à un taux très favorable de 3,25%. Je précise que les investisseurs avaient exprimé une demande à hauteur de 75 milliards d'euros. Ainsi, seul 1 investisseur sur 10 a pu obtenir une part de la dette française. Cette dette n'est pas garantie à proprement parler, si ce n'est par nous tous en tant que contribuables, mais elle est attractive, comme le prouve la demande des investisseurs.

M. Bertrand Rambaud. - Nous ne finançons pas, en capital, l'entreprise individuelle ou les commerces, mais nous finançons pleinement les start-ups. En la matière, les chiffres donnent le tournis, car il s'agit d'abord de financer énormément de pertes. La France compte beaucoup de structures de qualité, et nous avons de l'argent pour les financer, souvent dans le secteur de la tech, pour peu que les projets soient de qualité.

En revanche, dès que les start-ups se développent, lorsque leur besoin n'est plus de l'ordre de 10 mais de 100 millions d'euros, on ne trouve plus d'agent en France, ni en Europe : tout part aux États-Unis. Le besoin ne se situe pas à l'étape de la création, mais concerne « l'après-création » : là est le maillon manquant de la chaîne du financement. Or ce n'est pas au banquier de financer cette étape : c'est le rôle du capital.

L'Europe est un marché très attractif. Mais soyons vigilants aux contraintes réglementaires et environnementales que nous sommes en train de créer - à commencer par la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Elles coûtent très cher et créent un fossé conséquent avec le reste du monde. Nous avons pour responsabilité commune de financer l'économie pour qu'elle se transforme et qu'elle engage sa transition ; mais prenons garde à ne pas chercher atteindre trop vite le point final de cette transition. Dans le contexte des élections européennes, c'est là le message fondamental que nous tenterons de passer. Ce n'est pas un sujet de financement, mais de réglementation : il est facile d'ajouter des couches, moins de les enlever, comme nous le voyons en ce moment en matière agricole.

En revanche, nous ne pouvons passer à côté de la transition énergétique. Si les entreprises ne s'y engagent pas, elles ne pourront plus se financer auprès des banques, des fonds ou des marchés d'ici cinq ans ou six ans. Elles n'auront plus de valeur. Leurs dirigeants le savent déjà, mais il nous appartient de les pousser à passer du « green » au vert. Pour cela, il faudra du temps et il importe de pas nous imposer d'évolutions trop rapides.

Ensuite, le financement doit être adapté aux spécificités. Ainsi, le financement bancaire à sept ans n'est pas toujours adapté et il faut rembourser la dette avec des échéances annuelles, tandis que le financement en capital est intéressant mais coûte cher et est très exigeant. Nous avons donc besoin de systèmes intermédiaires : ils sont en cours de mise en place. C'est le cas des « obligations transitions » à un horizon de 12 ans, votées par le Sénat, qui sont une excellente idée - bien qu'il faille encore en préciser les paramètres tels que le taux. Il faut développer ce type d'idées.

Je n'ai pas encore répondu à votre question concernant le secteur de l'armement. En France, je pense que nous devons accompagner les filières d'excellence, telles que l'aéronautique, le nucléaire ou l'armement. Nous disposons savoir-faire performants. Notre économie, France 2030, et les acteurs tels que nous devons tous contribuer à cet accompagnement. Nous devons parler de ces filières, en être fiers, les porter, les financer.

Je ne sais pas si les besoins de financement du secteur de l'armement sont plus spécifiques que d'autres. Mais j'aimerais citer un exemple de l'impact de la réglementation. Dans la plupart des fonds que nous gérons, les statuts interdisent d'investir dans l'alcool, dans les métiers que la morale réprouve, mais aussi dans le secteur de l'armement... Nous avons besoin de faire sauter certains verrous. Le financement des entreprises de la défense n'était pas un sujet il y a cinq ans, mais il l'est aujourd'hui. Du côté institutionnel, assumons l'évolution du contexte : nous avons besoin d'une armée forte.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci pour cette prise de position.

Mme Chloé Brun, administratrice de Financement Participatif France et présidente d'Anaxago.  - Nous ne finançons pas d'entreprises individuelles ou d'associations, mais plutôt des entreprises qui vont proposer des projets innovants dans les domaines de la santé, l'immobilier, le développement d'énergies durables, etc...

Contrairement aux fonds d'investissement ou aux banques, les investisseurs et les Français qui ont recours aux plateformes de financement participatif choisissent directement les projets dans lesquels ils souhaitent investir, et donc le risque qu'ils acceptent de prendre. Il faut distinguer le financement en prêt, pour lequel les investisseurs sont de plus en plus sophistiqués et ont besoin de garanties sécurisantes, quitte à rogner leurs intérêts, pour diversifier leur patrimoine ; et le financement en capital-risque, qui accompagne la croissance d'entreprises très jeunes, de start-ups aux prémices de leur activité, ou en capital-investissement, qui vise les entreprises ayant une activité un peu plus établie, pour lesquels le risque peut être plus élevé. De mêmes investisseurs, souhaitant diversifier leur portefeuille, vont exprimer une demande à la fois pour une prise de risque limitée sur un montant significatif de leur épargne, et pour une prise de risques plus importante sur une part réduite de celle-ci.

Nous observons une réelle appétence des investisseurs envers les plateformes leur offrant la possibilité de sélectionner les projets financés. Le marché est de plus en plus important - il s'élève aujourd'hui à 2 milliards d'euros par an -, mais nous espérons le voir grandir encore.

En matière de financement à prêt obligataire, nous sollicitons nos investisseurs, qui prennent eux-mêmes les décisions d'investissement ou de désinvestissement. Ils sont aujourd'hui prêts à accompagner les entreprises ayant besoin d'un report d'échéance, nous l'observons au quotidien.

S'agissant du financement du secteur de l'armement, je rejoins les interventions précédentes. Les plateformes de financement participatif sont soumises à des réglementations qui les empêchent de proposer ce type d'investissement à leurs clients, notamment sont engagées sur des critères ESG. Il en va aussi de la pédagogie vis-à-vis des Français. Les énergies fossiles ou les industries de l'armement sont aujourd'hui mal vues : il nous est alors compliqué de proposer ce type de projets.

Mme Florence de Maupeou. - Une plateforme de financement participatif dédiée aux projets du secteur de l'armement est en cours de création, mais j'ignore si elle aboutira. Je me demande en outre si elle trouverait son public en France.

Vous nous interrogez sur la garantie offerte par Bpifrance. La garantie de l'Etat attachée au prêt garanti par l'Etat (PGE) a visiblement été peu actionnée, et les remboursements se déroulent bien. Peut-être devons-nous nous en inspirer pour déployer l'outil de la garantie, faciliter le financement des entreprises et pallier la peur de la perte que peuvent rencontrer les particuliers investisseurs qui interviennent en financement direct.

Quant à la mobilisation de l'épargne de proximité, elle fait justement partie de l'essence du financement participatif, qui permet à chacun d'investir dans les entreprises de leur territoire. D'ailleurs, les collectivités territoriales s'emparent aussi de ce mode de financement pour valoriser leurs projets ou les entreprises locales auprès de leurs citoyens.

Il y a un enjeu de pédagogie pour mieux faire connaître le financement participatif : le chantier est colossal, et nous manquons de moyens.

Certaines plateformes portent sur des thématiques spécifiques, mais le financement participatif permet de s'adresser à des typologies d'entreprises variées : entrepreneurs individuels, commerces et services de proximité, structures importantes de développement d'énergies renouvelables...

M. Frédéric Visnovsky. - Pour compléter ma réponse à la question relative au différentiel de taux pratiqués en faveur des PME et des ETI, je tiens à préciser qu'en décembre 2023, le taux d'intérêt s'établissait en moyenne à 5,18 % pour les crédits consentis aux PME et à 4,30 % pour ceux consentis aux ETI.

M. Olivier Rietmann, président. - Ne pourrions-nous pas envisager une garantie d'État sur les prêts contractés dans le cadre de la transmission d'une entreprise, c'est-à-dire en quelque sorte un « PGE Transmission » ? Cela mériterait d'être étudié, au regard de l'enjeu que représentera la transmission d'entreprises pour les années à venir, comme l'a souligné le rapport de la délégation aux Entreprises intitulé « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires » que nous avons présenté en 2022.

Je remercie sincèrement l'ensemble des intervenants. Vos analyses précieuses nourriront la mission de nos rapporteurs, qui se poursuivra jusqu'au mois de juin. Si vous n'y voyez pas d'objection, nous mettrons à la disposition des membres de la délégation les supports documentés que vous avez projetés lors de notre réunion.

J'en profite pour informer mes collègues que la proposition de loi que j'ai récemment déposée, qui vise à rendre obligatoire les « tests PME » et à créer un dispositif « Impact Entreprises », sera examinée en séance publique le mardi 19 mars prochain. Dans un esprit transpartisan, je propose à l'ensemble des membres de notre délégation de la cosigner, en cohérence avec le vote à l'unanimité, en juin dernier, de notre rapport intitulé « La sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises ».

La réunion est close à 11 heures 10.