Mercredi 28 février 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Politique étrangère et de défense - Audition de M. Charles Fries, secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure (SEAE)
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi M. Charles Fries, secrétaire général adjoint du Service européen pour l'action extérieure (SEAE), chargé de la paix, de la sécurité et de la défense. Monsieur le secrétaire général, nous vous remercions de vous être déplacé jusqu'à nous, dans un contexte difficile sur le plan géopolitique.
Notre commission est d'abord préoccupée par la montée en puissance de nos capacités de production nécessaire pour soutenir l'Ukraine. La stratégie relative à l'industrie de défense européenne (EDIS), ainsi que le programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (EDIP) devaient être présentés hier, le 27 février. Leur présentation a été ajournée mais sans doute pouvez-vous tout de même nous dévoiler le résultat des échanges avec les États membres, les industriels, les think tanks et les acteurs financiers, auxquels le SEAE a été associé.
Thierry Breton a appelé à la création d'un fonds de 100 milliards d'euros. Certes, c'est beaucoup ; par comparaison, le montant alloué au Fonds européen de la défense 2021-2027 est d'un milliard d'euros par an durant les sept années de la période de programmation. Comment le SEAE contribue-t-il à la réflexion sur cet outil et, en particulier, sur son financement ?
Nous peinons à voir les progrès que l'urgence de la situation actuelle aurait permis de faire à l'Union européenne sur les autres aspects de défense. En matière de « coopération structurée permanente », censée être le niveau politique de la défense européenne, la liste des projets s'est allongée, mais les résultats se font attendre.
Il n'est pas plus aisé d'évaluer le volet de gestion de crise de la PSDC. Certaines missions auparavant de premier plan, comme celle qui est menée au Sahel, semblent mal en point, pour les raisons que l'on imagine. Nous souhaiterions aussi savoir où en sont les missions en Libye ou en Irak. Quant à la mission de gestion du point frontière de Rafah reconduite en juin dernier, est-elle dépassée par les événements, pour le dire sobrement ?
Une capacité de déploiement rapide (CDR) a été mise au point à la fin de l'année dernière afin de vite réagir face aux crises. Même si le projet est intéressant, son effectif théorique de 5 000 hommes ne représente que deux groupements tactiques, qui n'ont jamais été déployés et ne seront opérationnels qu'en 2025... À l'heure où les crises se multiplient à un rythme sans précédent, l'Union peut-elle s'organiser pour rapidement faire face à l'urgence ?
Comment percevez-vous les moyens et l'action du SEAE, près de quinze ans après sa création ? Nous approchons d'une échéance électorale qui a déjà suscité quelques idées d'un saut fédéral au sujet des questions de politique étrangère. La Cour des comptes européenne vient précisément de rendre un rapport sur le SEAE, le 30 janvier dernier, relevant un manque d'effectifs, un problème dans leur répartition et des lacunes dans les moyens informatiques. Le financement alloué par l'Union européenne à son service diplomatique au sens large, comprenant environ 8 000 employés, dépasse pourtant 1 milliard d'euros.
J'espère enfin que nous pourrons, lors de nos échanges, déborder du champ de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) pour évoquer plus largement les grands dossiers de politique extérieure. Je songe à la situation au Moyen-Orient, sur laquelle nous peinons à voir quelles finalités diplomatiques et politiques poursuit l'Union européenne, dont l'action est essentiellement financière. Accessoirement, nous peinons à savoir qui conduit cette action, la présidente de la Commission européenne semblant parfois insoucieuse des compétences fixées par les traités. Je songe aussi à la situation en Arménie, sur laquelle le Sénat a eu l'occasion d'exprimer sa grande préoccupation.
Monsieur le secrétaire général, nous mesurons bien que la tâche assignée au SEAE est difficile. Nous vous remercions des éclairages que vous pourrez nous apporter.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le secrétaire général, nous sommes très heureux de vous accueillir.
En vertu de l'article 42 du traité sur l'Union européenne, « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune » et l'Union peut recourir à des capacités opérationnelles « dans des missions en dehors de l'Union afin d'assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale ». Cet article précise également que « l'exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres ».
Cet article stipule en outre que « la politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union », et « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi ». Son septième alinéa prévoit une clause d'assistance mutuelle, au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire.
Monsieur le secrétaire général, dans une contribution au dernier rapport sur l'Europe de la Fondation Robert Schuman, vous souligniez les changements très importants qu'a connus la PSDC à la suite du déclenchement de la guerre d'agression russe en Ukraine et de la nouvelle donne géopolitique évoquée par le président Perrin.
Si un nouveau pacte en matière de PSDC civile a été adopté en mai 2023, c'est bien le volet militaire qui a connu les développements les plus importants, dans le prolongement de la déclaration de Versailles et de l'adoption de la boussole stratégique au printemps 2022. Pour la première fois, l'Union a décidé, d'une part, de recourir à la Facilité européenne pour la paix (FEP) afin de financer des livraisons d'armes et de munitions à un pays tiers et, d'autre part, de déployer une mission militaire de PSDC, non pas dans un pays tiers, comme le prévoit le traité, mais sur le territoire même des États membres. Des textes importants ont été adoptés : l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, plus communément appelé EDIRPA, et l'action de soutien à la production de munitions, dite ASAP. Il s'agit toutefois de mesures uniquement temporaires destinées à faire face en urgence à la guerre en Ukraine.
Le SEAE a participé, aux côtés de la direction générale de l'industrie de la défense et de l'espace (DG DEFIS) de la Commission européenne et de l'Agence européenne de défense, à la préparation de la stratégie relative à l'industrie de défense européenne et du programme européen d'investissement dans le domaine de la défense, qui devaient être présentés hier. Cette stratégie et ce programme visent à renforcer sur le long terme la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) et à prolonger l'effort engagé à une trop modeste échelle au travers du Fonds européen de la défense (FEDef). Je relève que l'Ukraine devrait notamment être associée à ce programme.
La présidente de la Commission européenne prône désormais la mise en place d'un commissaire européen à la défense dans le cadre du prochain mandat.
Au regard de votre expérience opérationnelle, je souhaiterais donc que vous nous présentiez le bilan que vous tirez des développements de la PSDC enregistrés depuis le début de la guerre en Ukraine, et notamment de la mise en oeuvre de la Facilité européenne pour la paix. Je souhaiterais également que vous nous expliquiez comment le SEAE s'est articulé avec la Commission européenne dans l'élaboration de la stratégie industrielle.
J'aimerais enfin que vous nous fassiez part de votre vision des débats en cours sur le rôle de l'Union européenne en matière de défense, y compris sur le plan institutionnel. Comment s'organisent les relations entre le SEAE et la DG DEFIS ? Qu'apporterait la désignation d'un commissaire à la défense et quelle incidence pourrait-elle avoir pour le SEAE ?
M. Charles Fries, secrétaire général adjoint du service européen pour l'action extérieure (SEAE). - Messieurs les présidents, vous avez mis sur la table de très nombreux sujets, et je ne sais pas si je pourrai tous les traiter. Je concentrerai mon propos sur l'impact de la guerre en Ukraine sur l'Europe de la défense, avant d'étudier, dans un deuxième temps, les principaux défis que l'Europe de la défense doit relever en 2024.
Premier point : la guerre en Ukraine a représenté un véritable tournant pour l'Europe de la défense, un Zeitenwende. La réaction européenne, forte, rapide et dans un esprit d'unité, a constitué une bonne surprise pour les Européens et une mauvaise surprise pour Vladimir Poutine. L'Europe ne progresse dans son intégration que lorsqu'elle a le couteau sous la gorge, qu'elle se trouve au bord d'un précipice et qu'elle doit faire preuve d'audace. La crise de la Covid l'avait illustré, la guerre en Ukraine l'a montré à nouveau : adoption de treize paquets de sanctions d'une très grande portée, réduction drastique de notre dépendance énergétique dans des délais records, accueil de millions de réfugiés, soutien massif à l'Ukraine - à hauteur de 88 milliards d'euros si l'on additionne les efforts bilatéraux et l'aide de l'Union européenne, soit un montant supérieur à celui de l'aide américaine -, lancement du processus d'adhésion avec un pays en guerre... Au-delà de cette énumération, le plus frappant selon moi, ce sont les tabous que nous avons brisés dans le domaine militaire. Pour la première fois, l'Union finance la livraison d'armes à un pays en guerre grâce à la Facilité européenne pour la paix. Ce puissant instrument de solidarité politique et financière a fonctionné : si les États membres ont livré autant d'armes à l'Ukraine, c'est parce qu'ils savaient qu'ils seraient en partie remboursés. Nous avons même dû à plusieurs reprises l'abonder.
Nous avons également lancé en 2022, dans des délais très rapides, la plus grosse mission de l'histoire de l'Union européenne : nous avons déjà formé 40 000 soldats ukrainiens, avec l'objectif d'en former 60 000 d'ici à l'été prochain. La France participe à cette mission, mais les deux pays les plus en pointe sont la Pologne et l'Allemagne.
L'Union européenne s'est lancée dans des chantiers qui semblaient inimaginables avant le 24 février 2022. Nous utilisons le budget communautaire non seulement pour financer, via le Fonds européen de la défense, des projets de recherche et de développement dans le domaine militaire, mais également pour encourager les États membres à acheter ensemble, au travers d'EDIRPA. Nous finançons directement l'industrie de la défense et les entreprises qui produisent des munitions et des missiles à l'aide de l'instrument ASAP.
Cela constitue un pas en avant très important. La guerre en Ukraine a été un puissant accélérateur dans la montée en gamme de l'Union européenne comme acteur de sécurité. Entre le début de ma prise de fonction en 2020 et aujourd'hui, j'ai vu changer le regard porté sur nous par nos partenaires de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) et les États-Unis. Ce que l'Europe a concrètement réalisé est salué, apprécié, soutenu. L'Union européenne réalise en effet ce que l'Otan ne peut pas faire : nous finançons la livraison des armes, nous entraînons des soldats et nous adoptons des sanctions.
Cette réaction vis-à-vis de la situation en Ukraine doit être inscrite dans un contexte plus large. L'Union européenne veut devenir un acteur de sécurité plus efficace et plus crédible. Si l'on veut peser, si l'on veut être un acteur géopolitique davantage respecté et si l'on veut pouvoir « parler le langage de la puissance », comme le disait Josep Borrell lors de sa prise de fonction comme Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, nous devons nous en donner les moyens.
En adoptant la boussole stratégique en mars 2022, les Européens se sont dotés pour la première fois d'un livre blanc sur la défense européenne. Il ne s'agit pas simplement d'un document de doctrine partageant une analyse des menaces. C'est aussi un document concret, préconisant quatre-vingts actions suivant des échéances précises, qui constitue la feuille de route des Européens en matière de sécurité et de défense jusqu'à l'horizon 2030. Monsieur le président Perrin, vous avez mentionné un exemple précis, avec la mise en place à partir de l'année prochaine d'une capacité de déploiement rapide de 5 000 hommes. Son objectif sera par exemple de réaliser des opérations d'évacuation de citoyens européens, sur le modèle de ce qui s'est récemment passé au Soudan ou en Afghanistan, ou de venir en aide à un pays menacé de déstabilisation.
Sous le mandat de Josep Borrell, nous avons lancé sept missions et opérations de PSDC. Durant le mandat précédent, une seule avait été menée. Les circonstances ont changé : l'environnement géostratégique de l'Union européenne est devenu beaucoup plus dangereux, ce qui nous oblige à réagir et à aider nos partenaires qui nous appellent au secours. Nous avons lancé la semaine dernière une mission en mer Rouge pour assurer la liberté de navigation face aux attaques houthistes. Nous avons également lancé deux missions civiles de PSDC en Moldavie, afin d'aider ce pays contre les fortes menaces hybrides venant de Russie. En Arménie, des forces européennes sont pour la première fois en mission dans un pays prétendument sous influence russe : des policiers européens sont postés à la frontière avec l'Azerbaïdjan. Cette mission a accru le profil et la visibilité de l'Europe dans cette région. Enfin, même si nous avons connu des déboires au Sahel, nous venons de lancer une mission civilo-militaire afin d'aider les quatre pays du golfe de Guinée à affronter leurs menaces sécuritaires.
Nous menons également une action plus résolue au sujet de la résilience, afin d'aider l'Union à faire face aux menaces hybrides, aux attaques cyber et aux manipulations de l'information. Quelques jours après le début de l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne avait suspendu la diffusion en Europe de Spoutnik et Russia Today. L'Union européenne doit pouvoir sécuriser son libre accès aux nouveaux espaces stratégiques, c'est-à-dire au cyber, au maritime, à l'aérien et au spatial.
Il faut toutefois rester lucide : cette guerre a montré nos faiblesses et nos lacunes. Monsieur le président Perrin, vous avez indiqué que la guerre en Ukraine a illustré à quel point nous avons souffert de sous-investissements en matière de défense au cours de la période qui a suivi la guerre froide. Les investissements réalisés suivaient des logiques trop nationales, et trop d'achats ont été réalisés en dehors de l'Union européenne. Nous le dirons dans la communication sur la stratégie industrielle de défense européenne que nous adopterons la semaine prochaine : entre février 2022 et juin 2023, près de 80 % des acquisitions des États membres ont été réalisées en dehors de l'Union européenne. Le diagnostic est sévère : les États membres achètent trop seuls et à l'étranger. D'où la fragmentation du marché de la défense en Europe : il y a dix-sept types de chars en Europe, contre un seul aux États-Unis.
Si l'on veut peser davantage dans un monde devenu carnivore, nous avons besoin d'investir davantage dans nos capacités de défense. Nous devons muscler notre industrie pour en faire un instrument de souveraineté européenne. Le SEAE et le Haut représentant Josep Borrell tiennent un discours convergent avec les positions françaises, mais le débat n'est pas simple, car les vingt-sept États membres ne partagent pas tous le même point de vue. Dès que l'on parle de renforcement de l'industrie de défense, de souveraineté européenne ou d'autonomie stratégique, des inquiétudes sont soulevées, de peur d'affaiblir le lien transatlantique ou de créer des tensions avec les Américains. Certains États membres préfèrent immédiatement acheter sur étagère plutôt que de jouer la carte des coopérations européennes. C'est pourtant uniquement sur cette dernière que nous pouvons compter sur le long terme, mais, dans l'immédiat, elle est jugée trop longue ou complexe. Nous devons y travailler.
À l'évidence, nous n'avons pas basculé, au niveau européen, dans l'économie de guerre souvent mentionnée par le Président de la République. En témoigne la mise en oeuvre du plan munitions pour l'Ukraine, dont le SEAE s'est occupé, sous la responsabilité de Josep Borrell et en lien avec le commissaire Breton. Lorsque nous avons lancé ce plan en mars 2023, il était sans précédent : l'idée était que la FEP consacre un milliard d'euros afin d'encourager les États membres à vider leurs stocks de munitions. Nous demandions aussi aux États membres d'acheter ensemble des munitions de 155 millimètres et des missiles en proposant un incitatif d'un milliard d'euros supplémentaire. Enfin, avec le programme ASAP doté de 500 millions d'euros, notre objectif était de soutenir l'industrie de la défense pour produire des munitions et des missiles. Malheureusement, l'objectif de fournir à l'Ukraine un million de munitions avant le mois de mars ne sera pas atteint - nous n'en aurons livré que la moitié -, mais il le sera largement d'ici à la fin de l'année. L'industrie n'était peut-être pas prête à produire autant et aussi rapidement, mais le financement et la passation des commandes ont également constitué un problème. Le commissaire Breton a récemment insisté sur ce point. Même si nous produisons un million de munitions de 155 millimètres par an - et nous en produirons 1,4 million d'ici à la fin de l'année, et 2 millions en 2025, soit plus que ce que les États-Unis produisent -, il reste qu'il n'y a pas assez de commandes. Josep Borrell a demandé aux ministres de la défense et des affaires étrangères des vingt-sept d'utiliser les cadres mis en place par l'Union. L'Union européenne est un chef d'orchestre. Les instrumentistes sont les États membres, qui doivent jouer ensemble en utilisant l'inspiration et les financements fournis par les institutions européennes.
Le sujet des munitions restera au coeur des débats des prochaines semaines à Bruxelles. Il a d'ailleurs été évoqué avant-hier soir lors de la réunion sur l'Ukraine organisée à Paris par le Président de la République.
J'en viens à la deuxième partie de mon propos : quels sont les principaux défis pour l'Europe de la défense cette année ? Le premier défi, le plus urgent, est bien sûr de poursuivre le soutien militaire européen à l'Ukraine. Nous espérons finaliser en mars prochain les discussions sur la création d'un fonds d'assistance à l'Ukraine, financé par la Facilité européenne pour la paix. Le 1er février dernier, le Conseil européen s'est accordé sur une enveloppe de 50 milliards d'euros entre 2024 et 2027 pour le volet civil du soutien à l'Ukraine, mais un volet militaire manque encore. Nous voulons pour cela réabonder la Facilité européenne pour la paix et nous espérons aboutir dans les deux ou trois semaines à venir. Le SEAE a émis la proposition que l'argent européen finance des projets sur lesquels les Européens travaillent ensemble. Deux projets sont privilégiés : la formation, avec le financement de la mission d'assistance militaire de l'Union européenne en soutien à l'Ukraine (EUMAM Ukraine), qui a déjà formé 40 000 hommes, et l'aide à l'acquisition conjointe d'armes auprès de l'industrie de la défense européenne.
Les négociations durent depuis des mois et sont ardues. Nous avons connu beaucoup de difficultés avec la Hongrie, qui ne voulait plus soutenir militairement l'Ukraine, et avec l'Allemagne, qui ne voulait plus payer pour la FEP, estimant qu'elle finançait déjà suffisamment de soutien militaire à titre bilatéral. Un autre sujet sensible est celui de la part réservée à l'industrie de défense européenne. Deux camps s'opposent. Certains disent que la FEP est un instrument pour aider l'Ukraine et non un instrument de politique industrielle, et qu'il faut acheter munitions et équipements, quel que soit leur lieu de production ; c'est la position de l'Italie, des Pays-Bas, des pays nordiques ou encore des pays d'Europe centrale et orientale. Un autre groupe, dont la France est membre, estime que l'argent européen doit être utilisé pour bénéficier aux entreprises de défense européennes. J'espère que nous parviendrons à un compromis. Si l'on parvient à un accord sur ce fonds d'assistance en mars, l'Union européenne et l'Ukraine pourront finaliser leur accord sur les engagements de sécurité.
Le Président de la République a reçu le Président Zelensky il y a quelques semaines pour signer un accord entre la France et l'Ukraine. L'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ont signé des accords similaires, mais l'Union européenne doit faire de même à son échelon. Nous espérons, dès que nous aurons bouclé le volet financier, être en mesure de signer cet accord dont je suis l'un des négociateurs.
Le deuxième défi que nous devons relever consiste à soutenir plus résolument notre industrie de défense. Ce sera l'objet de la stratégie européenne pour l'industrie de défense qui sera présentée le 5 mars prochain par Thierry Breton et Josep Borrell. Le message est simple : nous devons produire plus, plus vite et ensemble en Europe. Les chaînes d'approvisionnement doivent être développées et rendues plus sûres, afin d'assurer notre defense readiness, notre préparation à la défense. Il faut muscler notre base industrielle et technologique de défense européenne, la BITDE.
Cette stratégie sera accompagnée d'un programme, EDIP, afin de pérenniser les programmes EDIRPA et ASAP, qui étaient en quelque sorte des programmes pilotes. Le budget n'est pas encore totalement consolidé. Nous avons parlé de 1,5 milliard d'euros, mais, ainsi que vous l'avez signalé, Monsieur le président, cette somme ne sera pas à la hauteur des enjeux. L'Ukraine sera déjà quasiment traitée comme un État membre, puisqu'elle pourra participer à des projets d'acquisition conjointe d'armements, ce qui sera une originalité de cette stratégie. Nous permettrons également au budget communautaire de soutenir l'industrie de défense ukrainienne : un des moyens d'aider l'Ukraine à avoir des armes, c'est de l'aider à en produire chez elle et les Ukrainiens le souhaitent.
En renforçant l'industrie de la défense en Europe, nous pourrons aider dans la durée l'Ukraine à résister à l'invasion russe. Le nerf de la guerre, c'est l'argent, le financement. Il y a plusieurs pistes, dont la piste budgétaire, mais dans le cadre actuel des perspectives financières, les sommes sont limitées. Nous verrons si le commissaire Breton parvient à rehausser le montant de 1,5 milliard d'euros.
D'autres pistes se trouvent dans le débat public. La première, qui figurera dans la stratégie adoptée la semaine prochaine, serait que la Banque européenne d'investissement (BEI) lève ses restrictions et puisse financer des entreprises de l'industrie de défense. La deuxième, c'est l'effet d'entraînement que la levée de cette restriction pourrait produire auprès du secteur bancaire en favorisant ainsi le financement des entreprises du secteur de l'armement. On ne peut pas parler de développement durable sans sécurité. Il faut convaincre les agences de notation et ceux qui travaillent sur les critères économiques, sociaux et de gouvernance (ESG) que la défense ne peut pas être traitée sur le même pied que l'industrie du tabac, par exemple. Une troisième piste est celle des eurobonds, les euro-obligations. Le commissaire Breton a proposé un chiffre de 100 milliards d'euros, repris par le Président de la République, par le Président Charles Michel, par la Premier ministre estonienne. Dernière piste, évoquée ce matin par la Présidente von der Leyen, l'utilisation des revenus des avoirs gelés de la Russie pour acheter des équipements et des munitions pour aider l'Ukraine.
Ces pistes sont sur la table. Elles seront discutées lors du prochain Conseil européen, à la fin de mars prochain. J'espère que des décisions rapides pourront être prises. Il s'agira de l'une des priorités du prochain collège, qui sera mis en place au second semestre de cette année.
Troisième défi : l'Europe doit participer au renforcement du pilier européen de l'Otan. Nous avons tous en tête la réélection possible de Donald Trump aux États-Unis en novembre prochain. Nous ne pouvons que nous inquiéter de la remise en cause possible de la portée de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Nous devons nous préparer à un tel scénario, sans pour autant changer de cap. S'il est nécessaire d'investir davantage dans notre défense et de respecter le fameux objectif de porter nos dépenses de défense au minimum à 2 % du produit intérieur brut (PIB), ce n'est pas pour faire plaisir à M. Trump, qui nous le réclame avec cynisme et brutalité, mais c'est parce que c'est tout simplement notre intérêt, parce que nous vivons dans un monde de plus en plus dangereux.
Quel que soit le prochain Président des États-Unis, la priorité de la diplomatie américaine demeurera l'Indopacifique et la menace chinoise, comme c'est le cas depuis l'administration Obama. En cas de conflit indopacifique, les États-Unis n'auront pas la capacité de s'engager de manière intensive sur deux théâtres parallèles. Nous sommes obligés de prendre une plus grande part du fardeau : c'est indispensable afin d'équilibrer l'Alliance atlantique. Le pilier européen de l'OTAN doit être plus fort. Avec l'adhésion de la Suède, vingt-trois des trente-deux alliés seront des membres de l'Union européenne. L'Europe n'a pas le choix, elle doit développer sa responsabilité stratégique et compter sur ses propres forces. Il y aura de plus en plus de crises dans lesquelles ni l'OTAN ni les États-Unis ne voudront intervenir. Nous devons donc avoir des moyens capacitaires de projection, si cela est nécessaire. L'Europe de la défense ne remplace pas l'OTAN. L'OTAN, c'est la défense collective du territoire euro-atlantique. Nous sommes là pour effectuer de la gestion de crises, de manière complémentaire, et aider nos États membres à coopérer davantage dans le domaine de la défense. Tout ce qui renforce l'Europe renforce, à mon avis, l'Alliance atlantique.
Pour conclure, l'Europe a longtemps été vue avant tout comme un grand marché et une puissance normative, mais cette perception est en train de changer, car sa dimension géopolitique monte en puissance. Je suis toutefois lucide : énormément de défis restent à relever, notamment celui de la guerre informationnelle et de la bataille des narratifs. Elle peut être tout aussi redoutable qu'une guerre classique sur le terrain. Un autre défi que je n'ai pas eu le temps de mentionner est celui de notre relation avec le Sud global. Nous devons convaincre ces grands pays émergents que la guerre en Ukraine n'est pas une guerre de l'Ouest contre le reste du monde.
Je ne sous-estime pas les difficultés qu'il y a à construire l'Europe de la défense ni les différences de perceptions stratégiques entre les États membres. Autant nous sommes unis sur l'Ukraine, autant nous sommes divisés au sujet de la crise de Gaza ou au sujet du Sahel. Construire cette culture stratégique commune est très difficile. Nous nous y employons, même si cela ressemble parfois à un chemin de croix. L'unanimité figurant dans le traité constitue une contrainte. Lorsqu'un État bloque, cela nous ralentit considérablement. Il faut peut-être être créatif à ce sujet. Les contraintes sont également budgétaires ou relatives aux rivalités industrielles entre les Européens, qui bloquent parfois certains chantiers.
Je travaille sur les questions européennes depuis bientôt trente-cinq ans. L'Europe de la défense, comme toutes les autres politiques de l'Union, se construit pas à pas, compromis après compromis. La guerre en Ukraine a finalement joué un rôle d'accélérateur, très utile si l'on peut dire. L'Europe de la défense ne fonctionnera dans la durée que si nous travaillons en bonne intelligence et en complémentarité avec l'OTAN. Il faut à la fois pousser et convaincre nos partenaires que ce que les Français tentent de faire est bien complémentaire des actions de l'OTAN.
Les prochaines élections européennes auront lieu en juin. Le renforcement de l'Europe de la défense est souhaité par nos opinions, on le voit dans les sondages. C'est un leitmotiv de la politique de la France depuis des décennies : il faut une Europe puissance, une Europe qui protège. La France pousse les négociations à Bruxelles, mais son volontarisme n'est pas toujours partagé. Je me réjouis que ce sujet de l'Europe de la défense anime la prochaine campagne électorale, et, je l'espère, le programme de la future Commission européenne.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Je voudrais vous poser une question qui fait suite à une question d'actualité que je viens de poser au Gouvernement cet après-midi. Considérez-vous que, compte tenu de l'obligation qu'ont eue les pays européens de lever leur ambiguïté stratégique concernant une intervention au sol en Ukraine, à la suite de la conférence de Paris du début de semaine, nous avons mis un coup d'arrêt à l'Europe de la défense ? En obligeant nos alliés à se découvrir, le Président de la République a-t-il tué dans l'oeuf l'Europe de la défense à moyen terme ?
M. Charles Fries. - L'objectif de la réunion qui s'est tenue avant-hier était de faire plus, plus vite et différemment en faveur de l'Ukraine. Le Président de la République a mis sur la table plusieurs options et émis des idées nouvelles. Je pense qu'il y a réussi, compte tenu des réactions très fortes suscitées par ses déclarations. Je ne pense pas que cela puisse avoir un impact sur l'Europe de la défense ou sur l'OTAN, mais cela aura des conséquences sur les interactions à l'intérieur de la coalition mise en place pour aider l'Ukraine. L'Union européenne et l'OTAN n'étaient pas invitées à cette réunion. L'impact portera sur la stratégie pour soutenir davantage l'Ukraine et la perception que Vladimir Poutine en aura, davantage que sur l'agenda et les dossiers que je vous ai présentés. Il n'y aura pas d'impact sur la finalisation des discussions pour une nouvelle enveloppe pour la FEP, pour la poursuite de l'opération EUMAM Ukraine ou pour l'EDIS. En revanche, nous verrons quelles seront les conséquences de ces propos sur la stratégie militaire. Des pistes évoquées seront probablement mises en oeuvre, de manière discrète, pour soulager l'Ukraine. Chaque État en décidera souverainement.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Tout cela se construit pas à pas, mais également à marche forcée en raison des événements extérieurs. Avec le président Perrin, nous sommes amenés à organiser de plus en plus souvent des réunions communes entre nos deux commissions car ces sujets à l'interface entre l'Europe et la défense prennent une place croissante.
Monsieur le secrétaire général, vous avez été discret au sujet de la gouvernance. Mme von der Leyen a parlé de la création d'un poste de commissaire européen à la défense. Serait-ce une bonne chose dans la construction pas à pas d'une Europe de la défense ? Cela ne risque-t-il pas d'envoyer un mauvais signal à l'OTAN ?
M. Charles Fries. - La gouvernance institutionnelle est un sujet qui sera inévitablement traité par la prochaine présidence de la Commission européenne. La présidente von der Leyen a émis l'idée d'un commissaire européen à la défense. Josep Borrell a réagi : un commissaire à la défense ne pourrait être qu'un commissaire à l'industrie de la défense, car la défense n'est pas une compétence de la Commission, mais exclusivement des États membres. Il n'y a pas d'armée européenne. Le rôle du Haut représentant est donc de coordonner les efforts en matière de défense et de sécurité des États membres. Il ne saurait y avoir un commissaire à la défense en tant que tel.
Il me semble néanmoins que rehausser le profil des sujets de défense au sein du collège constitue une bonne idée, en raison de la montée en puissance des sujets relatifs à la sécurité et à la défense. Tous les mois, le conseil des ministres des affaires étrangères aborde ces sujets, qu'il s'agisse d'adopter une mesure de la FEP, de lancer une mission ou de parler du plan munitions. Ces sujets imprègnent l'actualité des ministères de la défense et des affaires étrangères. Les compétences d'un tel commissaire pourraient être élargies au domaine spatial, à la protection civile, à la sécurité et au contre-terrorisme. Ce commissariat pourrait soit être rattaché à un vice-président, à l'instar de la position de Thierry Breton, soit être placé sous la responsabilité du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
M. Dominique de Legge. - Je salue le discours volontariste du secrétaire général, mais je reste sur ma faim du point de vue pratique.
Vous avez indiqué que la plus grande difficulté était la question du financement. Aujourd'hui, les règles de la BEI ne permettent pas le financement de la production munitions et d'équipements de défense. Quels sont les moyens réels pour amener la BEI à revoir sa position ?
Ma deuxième question concerne le système de combat aérien du futur (Scaf) et la coopération franco-germano-espagnole. Nous entendons le discours sur la nécessité de coopérer mais lorsqu'il s'agit de projets structurants, cette coopération patine. Au-delà du discours politique, des enjeux économiques font qu'on ne travaille pas véritablement ensemble. Il y a aussi une différence d'appréciation quant au transport de l'arme nucléaire, eu égard à la nécessité pour nous de disposer d'un aéronef susceptible de se poser sur un porte-avions.
Troisième question : vous avez indiqué que, pour soutenir l'Ukraine, les États membres ont tendance à acheter sur étagère à l'étranger. Comment inciter concrètement les pays européens à faire appel à du matériel européen ?
Mme Valérie Boyer. - On parle beaucoup de l'OTAN en raison des annonces particulièrement anxiogènes venant des États-Unis, même si cela peut représenter pour nous l'opportunité de bâtir une autonomie. Mais la France ne donne que 3 milliards d'euros à l'Ukraine, soit autant que ce qu'elle consacre à l'aide médicale de l'État (AME) et aux mineurs non accompagnés (MNA)...
Comment élaborer une unité stratégique avec un pays comme la Turquie, qui fait partie de l'OTAN, mais qui occupe un pays de l'Union européenne et menace la Grèce ainsi que Chypre presque quotidiennement ? Je suis inquiète et perplexe. Vous avez évoqué l'Arménie, envers laquelle l'Azerbaïdjan, bras armé de la Turquie, est quotidiennement agressif. La Turquie et l'Azerbaïdjan comptent ensemble 100 millions d'habitants. Comment envisager une défense saine et coordonnée à l'intérieur de l'OTAN et s'assurer que la Turquie ne soit pas déstabilisatrice ?
Mme Marta de Cidrac. - Monsieur le secrétaire général, vous avez terminé votre propos en indiquant que l'opinion publique française est d'accord pour investir dans la défense européenne. Au regard de la manière dont notre opinion publique, tous bords politiques confondus, a réagi aux déclarations du Président de la République, je m'inscris en continuité de la question posée aujourd'hui au Gouvernement par le Président Perrin. Il faut faire attention à ne pas confondre le fait de se munir d'une défense européenne et celui de s'engager dans un acte de guerre. Faites-vous une distinction entre ces deux éléments ?
Le Président Zelensky est actuellement en tournée en Albanie. Il rencontre les dirigeants des pays des Balkans, y compris Aleksandar Vuèiæ. Nous connaissons pourtant la position de la Serbie à l'égard des sanctions russes. Quel est votre sentiment par rapport à cette géopolitique présente sur le continent européen, mais extérieure à l'Union européenne ?
La minorité russe en Transnistrie demande aujourd'hui la protection de la Russie. La guerre en Ukraine n'est-elle pas en train de provoquer d'autres risques de conflictualité, ce qui aura des conséquences sur notre opinion publique, notre diplomatie et notre effort de guerre ?
M. Charles Fries. - La BEI peut financer aujourd'hui des biens à double usage, mais elle ne peut pas financer des biens à usage strictement militaire. Les États membres, par l'intermédiaire des ministères des finances qui participent au conseil d'administration de la BEI, peuvent infléchir cette situation. Le Président de la République et le ministre Le Maire ont émis des propositions claires, le conseil d'administration de la BEI pouvant faire évoluer son mandat à la majorité simple. La nouvelle présidente de la BEI, Mme Calviño, a été nommée sur le fondement de propositions fortes à ce sujet. La communication relative à la stratégie industrielle de défense européenne que nous publierons la semaine prochaine contient l'objectif de régler cette question cette année, peut-être en juin prochain, lors d'une prochaine échéance à la BEI. Nous espérons que nous aurons alors convaincu suffisamment d'États membres pour que la BEI infléchisse sa position, ce qui pourrait avoir un effet d'entraînement sur le secteur bancaire privé.
Les projets capacitaires du Scaf et du char de combat sont effectivement compliqués. Des rapports éminents du Sénat ont été publiés à ce sujet. Vous citez un sujet de discussion sensible et j'espère que l'avion de combat pourra avancer. En effet, il n'y a pas de coopération sans un couple franco-allemand solide mais il existe aussi des coopérations européennes qui fonctionnent. L'avion multirôle de transport et de ravitaillement (MRTT) a été fait à plusieurs. La coopération structurée permanente permet des développements de projets capacitaires, notamment le projet Eurodrone. La coopération européenne est souvent complexe car il faut tenir compte des rivalités industrielles. J'espère que nous pourrons trouver les bons accords pour les dépasser.
Comment faire pour moins acheter sur étagère à l'étranger ? Nous avons essayé d'y inciter en lançant le plan munitions en mars 2023 : la FEP a mis un milliard d'euros sur la table pour rembourser les États membres concluant des contrats pour acheter des munitions de 155 millimètres et les livrer à l'Ukraine, à condition que ces munitions soient produites par l'industrie de défense européenne. Nous avons repris ce critère pour la proposition du fonds d'assistance à l'Ukraine, sur laquelle j'espère un accord au début de mars prochain. L'argent européen irait à des projets européens dans l'objectif de poursuivre la formation et de lancer des projets d'acquisition conjointes.
Le SEAE propose de faire des projets d'acquisition conjointes de munitions, de missiles et de drones, éventuellement d'autres équipements capacitaires, en utilisant le plus possible les industries de défense européenne, ainsi que norvégienne car la Norvège est déjà de facto intégrée au marché intérieur. Je ne le cache pas, ce sujet n'est pas encore résolu. Nous en discutions ce matin lors de la réunion du Comité des représentants permanents (Coreper), nous en discuterons à nouveau la semaine prochaine. Des pays souhaitent une plus grande souplesse pour acheter plus facilement à l'étranger. Nous pouvons acheter des munitions immédiatement disponibles, quel que soit leur lieu de production, pour les donner à l'Ukraine. Mais si on lance des acquisitions en passant des commandes, il faut jouer la carte de la préférence européenne. Si l'on veut briser la chaîne de notre dépendance à l'égard de grands fournisseurs étrangers, il faut donner sa chance à l'industrie européenne. Ses capacités de production ont augmenté de 40 % en un an et sont maintenant suffisantes : nous produirons 2 millions de munitions de 155 millimètres l'année prochaine. Il ne faudrait plus passer commande en dehors de l'Europe car nous avons dix-sept entreprises dans douze États membres qui produisent des munitions de 155 millimètres. Utilisons-les, elles attendent des commandes ! Le patron de Rheinmetall nous disait récemment ne pas recevoir assez de commandes. Cela met Josep Borrell hors de lui : l'Agence européenne de défense propose 60 contrats-cadres, elle peut encore passer pour 1,5 milliard d'euros de commandes de munitions mais les États membres ne passent pas de commandes. Nous retrouvons le problème du financement. L'Europe a offert un cadre réglementaire et incité à l'achat, mais ce sont les États qui décident.
Madame Boyer, vous avez évoqué les annonces de Donald Trump en estimant qu'elles constituent peut-être une bonne chose pour nous.
Mme Valérie Boyer. - Pas tout à fait...
M. Charles Fries. - Il faut prendre en compte le fait que lors de son éventuel second mandat, Donald Trump sera mieux préparé, probablement plus agressif et plus polarisant que lors de son premier mandat.
Selon un scénario positif, les Européens n'auront plus le choix et devront prendre leur destin en main : nous devons assumer notre responsabilité stratégique et investir ensemble. Mais selon un scénario dangereux, que nous ne pouvons pas exclure, nous courons le risque de la bilatéralisation. Donald Trump fera tout pour diviser les Européens, en essayant de conclure des accords bilatéraux pour diviser et convaincre ceux qui seront tétanisés à l'idée de perdre la garantie de l'article 5 du traité de de l'Atlantique Nord et en tentant de faire du transactionnel, comme il l'a fait pendant son premier mandat. Il faudra protéger la cohésion et l'unité des Européens pour éviter de tomber dans ce piège du transactionnel et de la bilatéralisation. Il peut y avoir un sursaut mais également de grosses divisions, surtout en cas de menaces commerciales de la part de Donald Trump.
J'ai été ambassadeur de France en Turquie pendant presque cinq ans, avant de prendre mes fonctions au SEAE. J'ai fait vivre la relation franco-turque, qui n'était pas toujours facile. C'est très souvent la Turquie qui bloque la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne car elle ne reconnaît pas Chypre. Mais comme elle n'est pas membre de l'Union européenne, elle ne nous empêche pas de développer notre propre agenda de défense. En revanche, lorsque je me rends à l'OTAN, je rencontre un ambassadeur se plaignant du fait que la Turquie n'est pas assez associée à notre agenda européen.
Le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne nous a pas empêchés de mettre en place une mission civile en Arménie, qui compte plus de 200 personnes. Nous avons renforcé ses effectifs et elle fait du bon travail : sa présence a eu un effet dissuasif. Certes, les hostilités pourraient reprendre, notamment à l'initiative de Bakou. Nous avons effectué 1 700 patrouilles en un an et sécurisons la situation sur le terrain. J'espère que nous ne sommes pas dans un nouvel engrenage. Nous soutenons toutes les initiatives, notamment celle du Président Charles Michel, pour aboutir à un accord de paix entre ces deux pays.
Je prends note de la réaction du Sénat cet après-midi à la suite des propos du Président de la République. Cela ne modifie pas notre agenda. Il y a un conflit en Ukraine, et nous devons soutenir l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire - Josep Borrell disait, « whatever it takes ». C'est presque « quoi qu'il en coûte » : le coût d'une défaite ukrainienne serait pour nous bien supérieur à celui que nous payons pour la soutenir. Nous sommes plus que jamais aux côtés de l'Ukraine. Les différentes options stratégiques et militaires ont été débattues lundi soir à l'Élysée et engagent les États, non l'Union européenne en tant que telle. Tout en respectant les opinions des uns et des autres, je m'en tiendrai à mon devoir de réserve. Cela ne change pas notre trajectoire : par tous les moyens, nous sommes résolus à soutenir l'Ukraine.
Dans les Balkans, nous sommes engagés au travers de la politique de sécurité et de défense commune. Nous avons une mission en Bosnie et une au Kosovo, qui réalisent un très bon travail. Mais il existe dans les Balkans occidentaux des interférences très fortes venant de Chine, de Turquie et de Russie. Il est important d'arrimer ces pays à l'Europe et de relancer les négociations d'adhésion. Ce qui s'est passé en Ukraine, en Géorgie et en Moldavie a alerté les Balkans. Nous devons relancer cette dynamique. Il n'y a pas d'autre choix pour l'Europe que d'aider ces pays à se rapprocher de nous. Nous les aidons massivement financièrement et leur demandons de s'aligner sur notre politique étrangère. Nous savons qu'il y a un contournement des sanctions, notamment en Serbie. J'ai lu aussi les déclarations appelant à une protection de la minorité russe en Transnistrie. Nous aidons beaucoup la Moldavie et avons lancé une mission sans précédent. Pour la première fois, nous avons lancé une mission pour traiter les menaces hybrides, en un temps record. Nous aidons le pays à se doter de capacity building, c'est-à-dire de mécanismes pour détecter, analyser et attribuer les attaques cyber et hybrides en provenance de Russie. Mais je souscris à vos propos, ces déclarations sont inquiétantes.
M. François Bonneau. - Concernant la pérennisation des budgets alloués à l'Ukraine, vous avez évoqué la somme de 88 milliards d'euros. Mais il semble que pour financer tous les dispositifs - financement des salaires, équipements militaires... -, les choses ne sont pas, à ce stade, consolidées. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Michaël Weber. - Il y a eu trois moments en Ukraine : la prise de conscience du risque, avec une mobilisation internationale à l'Ouest pour soutenir l'Ukraine ; l'offensive ukrainienne, qui a échoué ; et aujourd'hui, une forme d'inquiétude. On a le sentiment qu'on veut renforcer le soutien à l'Ukraine mais que nous avons perdu du temps sur les armes et les moyens. Tout le monde n'a pas été au rendez-vous, en actes, de la parole donnée. Vous avez évoqué la réaction de Josep Borrell sur l'engagement attendu des États membres pour l'armement. Actuellement, il y a une crainte sur les munitions, avec un déséquilibre complet. Vous parlez de semaines, voire de mois pour fournir des munitions. Certes, cela ne relève pas totalement de votre compétence, mais de la stratégie. C'est une inquiétude : à force de tergiversations, l'effort serait in fine plus lourd pour l'Europe. La France n'est pas totalement au rendez-vous des annonces de munitions. Quel éclaircissement pouvez-vous apporter ?
M. Philippe Folliot. - Merci de votre présentation. Certains sujets nous interpellent. Je ne reviendrai pas sur les déclarations du Président de la République ni sur celles de Donald Trump. L'article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE) retrouvera une certaine vigueur par rapport à l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Selon moi, l'élection de Donald Trump est loin d'être acquise mais c'est une possibilité à ne pas écarter. Nous devons anticiper l'arrivée hypothétique du « pire ».
Avant la crise ukrainienne, l'Union européenne a aidé massivement certains pays d'Europe de l'Est, qui ont eu comme premier réflexe d'acheter sur étagère du matériel américain. Nous avons tous en mémoire de multiples exemples, parfois au détriment de matériel européen ; je pense aux hélicoptères que la Pologne devait acheter aux Européens.
Nous ne pouvons que souscrire à l'objectif que l'argent européen aille à l'industrie européenne. Vous avez fait référence aux obus de 155 millimètres. J'ai été sur la ligne de front ukrainienne et j'ai vu le canon Caesar en action. Savez-vous que les obus de 155 ne sont pas tous les mêmes ? Les militaires ukrainiens m'ont indiqué que les munitions françaises représentaient un tiers des obus tirés par ces canons. Ils sont donc allés chercher ailleurs pour le reste. Ils ont réalisé des tests sur sept types d'obus de 155 pour trouver celui qui correspondait le mieux et n'entraînait pas une usure trop rapide du canon... Acheter des munitions, ce n'est pas comme acheter des brouettes ou des pelles, toutes semblables ! Aux Ukrainiens de dire de quelles munitions - y compris extra européennes - ils ont besoin urgemment.
Pour les aides en recherche duale, l'Union européenne a été frileuse. Peut-il y avoir des utilisations militaires d'un programme civil de recherche ? Les États-Unis savent très bien faire cela. L'Union européenne ne doit pas être toujours aussi naïve sur ces sujets.
M. Akli Mellouli. - Vos réponses sur l'Ukraine ne lèvent pas nos inquiétudes.
La conditionnalité du programme européen de financement de l'aide publique au développement (APD) exige d'allouer une partie des financements à la gestion et à la gouvernance de la migration et des déplacements forcés. De telles mesures n'ont jamais prouvé leur efficacité et réduisent l'APD à un marchandage politique, alors que les financements devraient permettre de lutter contre la pauvreté et les inégalités mondiales et de répondre aux crises climatiques et humanitaires. La France avait refusé de conditionner son APD à un tel objectif, comme l'a rappelé la secrétaire d'État Chrysoula Zacharopoulou. Pourquoi alors cette conditionnalité européenne, qui n'a jamais démontré d'efficacité ni recueilli l'unanimité au sein de l'Union ?
M. Ronan Le Gleut. - Vous avez rappelé la nécessité d'un pilier européen de l'OTAN, notamment en cas réélection de Donald Trump qui affaiblit considérablement, par ses propos, la portée de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. Dans le cadre de l'OTAN, il existe le partage nucléaire. Cinq pays disposent, sur leur sol, de la bombe B 61 : l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Turquie. Le Président de la République française a ouvert le débat d'un potentiel partage nucléaire français. Dans le cadre de l'OTAN, depuis le Brexit, la France est le seul pays de l'Union européenne disposant de la dissuasion nucléaire. Or le Président polonais Andrzej Duda s'est montré ouvert à l'idée de la partager. Quelles sont les positions de nos partenaires européens membres de l'OTAN sur ce potentiel partage nucléaire français ?
Mme Michelle Gréaume. - Quelle est votre position sur la demande conjointe de l'Irlande et de l'Espagne, soutenue par 78 députés européens, de réexaminer en urgence l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne ?
Malgré les débats et la suspension des financements des plus gros donateurs de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), l'Union européenne va-t-elle augmenter sa contribution ?
M. Charles Fries - Monsieur Bonneau, j'ai cité le chiffre de 88 milliards d'euros, somme consolidée de toute notre aide : aide financière, aide aux réfugiés, aide économique, humanitaire et militaire. Il faut y rajouter 50 milliards d'euros, décidés le 1er février dernier, qui seront versés dans les quatre prochaines années et dont la première de tranche de 4,5 milliards d'euros sera versée en mars. Les 50 milliards d'euros sont consolidés, ont été validés, y compris par le Parlement européen, et seront déboursés.
Le volet civil a été acté. Je souhaite que le volet militaire le soit aussi. J'ai bon espoir que d'ici deux à trois semaines, nous obtenions un accord sur ce fameux fonds d'assistance à l'Ukraine pour poursuivre dans la durée le soutien européen à l'Ukraine et poursuivre la mission d'entraînement et la livraison d'équipements militaires, en encourageant financièrement les acquisitions conjointes auprès de l'industrie de la défense européenne. Il n'y a pas de choses cachées. Le volet civil est clair. Le processus d'adhésion est piloté par la Commission européenne et suit son cours. J'espère que le volet militaire sera conclu prochainement.
Monsieur Weber, nous n'avons pas été au rendez-vous sur les munitions, effectivement, mais regardez d'où nous partions. Notre plan était très audacieux, pour mobiliser tous ces contrats, mobiliser l'Agence européenne de défense qui n'avait jamais fait cela à une telle échelle... C'est assez nouveau. Nous aurons atteint le chiffre de 525 000 munitions données à l'Ukraine. Il y a aussi des munitions vendues à l'Ukraine. Certains estiment qu'en additionnant dons et vente, on a déjà atteint un million de munitions. J'ai dit qu'on ne pouvait, rétroactivement, réécrire l'histoire. L'accord sur les munitions de mars 2023 concernait des donations. Après 520 000 munitions données d'ici à mars, nous aurons fourni plus de 1,1 million de munitions d'ici à la fin de 2024.
Durant sa conférence lundi soir, le Président de la République n'a pas dit autre chose. Les Tchèques ont monté une initiative ad hoc pour fournir 800 000 obus : 500 000 de 155 millimètres et 300 000 de 122 millimètres, en achetant aussi hors de l'Union européenne car l'industrie européenne est sous tension. Ils ont approché les Danois, les Néerlandais et les Canadiens, notamment, pour récolter des munitions qui pourront être livrées rapidement.
En matière de commandes, le plan munitions, le fonds d'assistance à l'Ukraine et l'initiative de Josep Borrell vont faciliter au maximum les acquisitions auprès de l'industrie européenne. Il faut concilier des objectifs politiques de « booster » l'industrie de défense européenne, mais aussi être pragmatique et aider l'Ukraine à résister, quelle que soit l'origine des munitions.
Je ne suis pas le porte-parole du Gouvernement français. Il y a eu une très forte augmentation des cadences : au début de la guerre, c'étaient deux canons Caesar par mois. Désormais, c'est six par mois. De même, le ministre Lecornu évoquait 2 000 munitions par mois, nous sommes passés à 3 000 et il a annoncé le chiffre de 4 000 à 5 000 par mois. Ce n'est jamais assez mais notre appareil productif est sous tension.
Le manque de composants, notamment de poudre, est un des grands obstacles à la fourniture de munitions. Comme pour les masques qui nous ont manqué lors de la crise de la Covid, les grands fournisseurs de poudre sont notamment chinois. Comme par hasard, avec la guerre ukrainienne, les exportations de poudre depuis la Chine vers l'Union européenne ont considérablement diminué. C'est pour cela que la France a relancé une industrie de production de poudre à Bergerac. C'est un processus long. Je vois la montée en puissance de l'industrie française des munitions et c'est une bonne chose.
Vous avez raison, monsieur Folliot : il existe l'article 42, alinéa 7, du traité sur l'Union européenne et non seulement l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. L'article 42, alinéa 7, a été utilisé une fois, à la demande de la France, après les attentats du Bataclan. Je ne pense pas que les États-Unis pourront se retirer de l'OTAN. Le Congrès américain a adopté une loi en ce sens. Mais par ses paroles, Donald Trump peut vider de son sens l'article 5. Malgré l'article 42§7, ne sous-estimons pas l'impact dévastateur des paroles de Donald Trump s'il est réélu Président des États-Unis : l'article 5 pourrait être appliqué au cas par cas selon le pays visé. Les Européens ont leur propre clause d'assistance mutuelle. Nous en avons beaucoup débattu au sein de l'Union européenne, et notamment lors de la présidence française du Conseil, avec différents scénarios de recours à cet article.
Certes, l'Europe centrale a bénéficié de nombreux financements européens tout en achetant à l'étranger. La Pologne a beaucoup acheté aux États-Unis et en Corée du Sud. Ce sont des choix souverains. Le nouveau gouvernement polonais a heureusement un discours beaucoup plus pro-européen et intégrationniste : grâce à l'engagement du Premier ministre Tusk, la Pologne a accepté de mettre à disposition un groupement tactique, ou battle group, fin 2024-début 2025, en attendant de créer la Capacité de déploiement rapide.
Vous citiez votre expérience de terrain à Kiev. L'Ukraine a relevé un défi redoutable : nous, Européens, avons exporté notre propre fragmentation du marché de l'armement. M. Oleksiy Reznikov, ancien ministre de la défense ukrainien, avait déclaré que l'Ukraine était devenue un « zoo militaire », tant ils doivent gérer différents types de canons, d'obus, avec des spécifications différentes.
Autre exemple aberrant : la brigade néerlando-allemande dispose des mêmes types de canons mais les munitions sont légèrement différentes. Une munition néerlandaise ne peut aller dans le canon allemand, alors que c'est une brigade intégrée. Nous touchons au coeur des enjeux de standardisation et d'interopérabilité. Nous avons exporté cette fragmentation, dans l'urgence, en Ukraine. Vous vous rendez compte de la complexité logistique pour l'Ukraine de gérer la maintenance et la réparation avec des équipements aussi différents !
Je n'ai pas la réponse sur l'APD, n'étant pas en charge de ces sujets. Je vous confirme que la position française n'a jamais été en faveur de l'aide liée. Je suis autant surpris que vous, mais je ne dispose pas de plus d'éléments.
En 2020, le Président de la République avait déclaré que la dissuasion nucléaire visait à protéger les intérêts vitaux de la France en indiquant que ceux-ci ont une dimension européenne. Il estimait que la France était prête à engager un dialogue stratégique. Or ce dialogue n'a pas eu lieu. Je ne suis pas là pour distribuer bons et mauvais points. Cette proposition française n'a pas été suivie d'effet concret à l'époque. Le Président polonais s'est montré ouvert et M. Manfred Weber, au Parlement européen, a déclaré qu'il fallait saisir la balle au bond et répondre à la France. Mais d'autres parlementaires allemands ne veulent pas entendre parler d'un « partage nucléaire » français. Je suis très direct : la question du nucléaire n'est jamais débattue à vingt-sept, car elle doit d'abord être discutée en petit comité par les États les plus importants. C'est tabou.
Je ne pense pas que l'on s'engage vers une révision de l'accord entre l'Union européenne et Israël, même si je ne suis pas directement ce dossier. L'Europe reste un très grand financeur de l'UNRWA et Josep Borrell est très engagé en ce sens, malgré le soupçon qui pèse sur une douzaine de personnes qui y travaillent et qui auraient participé aux attentats du 7 octobre. En effet, selon lui, si l'on ne finance pas l'UNRWA, celle-ci s'effondrera, ce qui amplifiera la crise humanitaire non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, au Liban ou encore en Jordanie. Nous débattrons de l'espacement des versements. Les Européens doivent verser une somme qui sera échelonnée en fonction des résultats des audits, l'un effectué par l'ancienne ministre Catherine Colonna, l'autre par l'Union européenne. Nous sommes les premiers financeurs de l'Autorité palestinienne. Les pays arabes nous critiquent en raison d'un double standard - nous ferions d'après eux beaucoup pour l'Ukraine et peu pour Gaza -, mais nous avons toujours fait énormément pour les Palestiniens ! Certes, peut-être pas assez, mais on ne peut pas faire ce procès à l'Europe. Les pays arabes financent très peu l'Autorité palestinienne.
L'unité des Vingt-Sept a été difficile et tiraillée, notamment durant les premières semaines, y compris entre les différents leaders des institutions européennes. La position s'est consolidée : j'en veux pour preuve la dernière déclaration publiée la semaine dernière condamnant toute possible attaque d'Israël sur Rafah. Mais c'est une déclaration des « Vingt-Six », sans la Hongrie. Nous brisons quelques tabous : nous en avons assez d'être bloqués par la Hongrie sur la prise de sanctions contre les colons israéliens en Cisjordanie ou encore sur un texte condamnant à l'avance une possible extension du conflit. Il ne faut pas amplifier les divisions des Européens sur Gaza. Il y en a eu au début, contrairement à l'Ukraine sur laquelle nous étions et restons très unis, mais Gaza est le sujet le plus épidermique en matière de politique étrangère de l'Union européenne car il touche à des histoires différentes au sein de l'Union. Toutefois, petit à petit, en dépit du blocage hongrois, nous avons réussi à forger un consensus et nous voulons aller de l'avant, sur le fondement de principes essentiels.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci pour toutes ces explications précises. Nous espérons régulièrement vous entendre.
La réunion est close à 18 heures.