- Mercredi 6 mars 2024
- Proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles - Audition de M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), et de Mme Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation de la CCMSA
- Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mission flash sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) - Désignation de rapporteurs
- Questions diverses
- Mercredi 6 mars 2024
Mercredi 6 mars 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles - Audition de M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), et de Mme Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation de la CCMSA
M. Philippe Mouiller, président. - Nous recevons ce matin M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), et Mme Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation du même établissement, afin d'échanger sur la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, dont je suis le premier signataire.
Je vous informe que la présente audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat ; elle sera ensuite disponible en vidéo à la demande.
La semaine dernière a été bien particulière ; nous avons tous perçu le malaise des agriculteurs lors du salon de l'agriculture. Ce malaise vient de loin et possède des causes multiples. On peut citer notamment le montant moyen des retraites des agriculteurs non salariés à l'issue d'une vie de travail souvent difficile, et ce malgré les améliorations apportées par le législateur ces dernières années. Notre proposition de loi vise justement à préciser la manière dont la dernière de ces améliorations, à savoir le calcul du montant de la pension des travailleurs agricoles non salariés sur la base des vingt-cinq meilleures années, doit être appliquée.
Dans ce cadre, je vous invite, monsieur le président, madame la directrice, à nous préciser la situation des retraités du régime des travailleurs agricoles non salariés et à nous exposer votre vision sur ce texte, que nous examinerons la semaine prochaine.
M. Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole. - Le malaise agricole dépasse largement le seul problème des retraites. Il tient aussi à la surrèglementation, dont je peux aisément témoigner, étant moi-même producteur de viande bovine et porcine et de céréales dans le nord de l'Indre-et-Loire.
Le vrai sujet est celui du revenu agricole. Il ressort des déclarations fiscales que la moitié des 450 000 agriculteurs perçoivent un revenu inférieur à 20 000 euros. Le montant des pensions ne s'améliorera pas tant qu'on n'augmentera pas les revenus, quelle que soit l'évolution du régime de retraite.
C'est un euphémisme de dire que le régime de retraite des agriculteurs est complexe, entre la retraite forfaitaire, la retraite proportionnelle et la retraite complémentaire obligatoire (RCO). Il ne s'agit pas tant de réformer le système que d'améliorer le niveau moyen des pensions, qui s'établit aujourd'hui à 1 050 euros.
Pour 50 % des agriculteurs, la réforme visant à ne retenir que les vingt-cinq meilleures années ne changerait rien : ils continueraient de bénéficier des minima prévus par les lois du 3 juillet 2020 et du 17 décembre 2021, dites lois « Chassaigne 1 » et « Chassaigne 2 ». Les 225 000 agriculteurs percevant plus de 20 000 euros de revenus pourront éventuellement voir leur retraite augmenter grâce au critère des vingt-cinq meilleures années.
Je l'ai déjà dit au ministre de l'agriculture et j'aurai l'occasion de le lui rappeler ce soir : la CCMSA a été écartée des travaux de préfiguration de la réforme et n'a été sollicitée que pour de l'information, sans jamais être appelée à collaborer à la définition des paramètres de calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années et au rapport remis au Parlement. Je regrette profondément qu'un organisme de protection sociale comme le nôtre n'ait pas participé à l'élaboration de ce rapport.
Quelles qu'en soient les modalités, le scénario retenu par le Gouvernement fera toujours des perdants - Mme Deschesne-Ceard pourra vous le confirmer. Votre proposition de loi semble la seule qui permette aujourd'hui de réévaluer le montant des pensions, jusqu'à 190 euros dans certains cas. Ce n'est pas une amélioration phénoménale, mais il s'agit tout de même d'une progression bien réelle.
C'est la raison pour laquelle il faut avant tout revenir au problème des revenus agricoles. Je ne saurais trop insister : les pensions ne progresseront pas tant que nous n'améliorerons pas les revenus.
La RCO, mise en place en 2004, permet certes d'augmenter le montant des retraites. Mais, sans vouloir rejeter la faute sur les gouvernements successifs, elle n'a cessé d'être dévoyée. Certes, les pensions ont été réévaluées grâce à l'attribution de points gratuits aux agriculteurs déjà retraités. Mais dans la vie, il n'y a rien de gratuit : il faut bien que quelqu'un finisse par payer, en l'occurrence l'État.
Votre proposition de loi me semble donc la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions, tout en respectant l'échéance du 1er janvier 2026 fixée par la loi.
On reproche à la CCMSA de ne pas disposer de l'historique des revenus des cotisants au-delà des huit dernières années. Mais c'est parce que la réglementation nous l'interdisait depuis le passage d'une assiette assise sur la surface exploitée à une assiette correspondant aux revenus professionnels en 1990.
Je terminerai en rappelant deux éléments. Premièrement, depuis l'annonce de la réforme, nous n'avons été que fournisseurs d'informations et à aucun moment nous n'avons été acteurs de l'élaboration du rapport gouvernemental - c'est vraiment surprenant, et je m'efforce de rester politiquement correct ! Deuxièmement, notre système informatique fonctionne et il ne coûte pas très cher en termes de moyens. Dès lors que nous connaissons les paramètres à appliquer, nous pouvons immédiatement préparer la mise en oeuvre de la réforme.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Nous avons poussé le Gouvernement à nous remettre son rapport, ce qu'il n'a fait que très tardivement. Le scénario qui semble être retenu à ce jour est celui d'un calcul des pensions sur la base d'un système par points pour la partie de carrière antérieure à 2016 et d'un système par annuités pour la partie de carrière postérieure à 2015, avec un passage au minimum contributif et à la liquidation unique des régimes alignés.
Le Gouvernement néglige aujourd'hui notre proposition de loi. Le Premier ministre a d'ailleurs annoncé reporter la définition des modalités de la réforme à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Quel regard portez-vous donc sur le scénario privilégié par le Gouvernement ? Pensez-vous qu'il puisse être amélioré pour ne pas faire de perdants, comme nous y veillons au travers de notre proposition de loi ? La loi prévoit une mise en oeuvre au 1er janvier 2026. Si les choses tardent à se dessiner, la CCMSA parviendra-t-elle à tenir les délais, sachant que d'autres réformes risquent d'être engagées par la suite ?
Notre proposition de loi prévoit de conserver un régime par points permettant le calcul des pensions agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années. Un tel scénario est-il à même de répondre à la détresse du monde agricole ? Les attentes sur le mode de calcul des pensions sont grandes, notamment chez les jeunes agriculteurs et ceux qui souhaitent transmettre leur exploitation avec l'espoir de percevoir une retraite convenable.
Par ailleurs, vous semble-t-il conforme à l'esprit de la loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base de non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, dite loi « Dive » ?
Le rapport remis par Yann-Gaël Amghar en 2012 estimait le coût d'une réforme semblable à celle que nous proposons à 472 millions d'euros au terme d'une trentaine d'années de mise en oeuvre. Le gain qu'en tireraient les non-salariés serait d'un peu moins de cinquante euros par mois en moyenne. Ces projections vous semblent-elles devoir être actualisées en regard des évolutions, notamment des multiples revalorisations des minima de pensions intervenues depuis 2012 ?
Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la fusion de la retraite forfaitaire et de la retraite proportionnelle prévue par le texte ?
Le critère des vingt-cinq meilleures années n'est pas du tout neutre : en effet, en raison du réchauffement climatique, les récoltes ne sont plus linéaires, y compris au sein d'un même département - du nord au sud, les rendements peuvent être totalement différents. Il est donc primordial d'écarter les mauvaises années pour le calcul de la pension de retraite des agriculteurs.
M. Pascal Cormery. - Nous n'avons pas été consultés dans le cadre de la préparation du rapport et le fait que celui-ci ne tienne pas compte des spécificités, notre système d'information complique déjà la mise en oeuvre de la réforme. Nous utilisons nos outils et nos données ; en les négligeant, on retarde la mise en place des mesures. Autre difficulté, je vous le dis clairement : si nous n'obtenons pas de moyens supplémentaires dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG), nous serons incapables de tenir le délai.
Il est vrai que le monde agricole attend la prise en compte des vingt-cinq meilleures années, mais nous savons bien que lorsque nous annoncerons, demain, une augmentation de 100 euros en moyenne, personne ne sera pleinement satisfait.
Je ne dispose pas d'expertise sur le sujet de la fusion des retraites forfaitaire et proportionnelle. Il faudrait sans doute simplifier le système... Il me semble que le taux de rendement de la retraite forfaitaire est élevé, même si son montant ne s'élève qu'à 300 euros, environ. Sans expertise sur l'incidence d'une telle évolution, je n'ai pas d'opinion particulière, mais une réforme de cet ordre requerrait de modifier certains critères : si nous retirons 300 euros de forfait, comment devrons-nous le répercuter sur la pension globale ?
Mme Christine Dechesne-Ceard, directrice de la réglementation de la CCMSA. - La position de la MSA était plus proche de la proposition de loi actuelle que des derniers scénarios du rapport, notamment le scénario 4C. Différentes hypothèses sont à l'étude, mais nous ne participons pas à ces travaux, nous n'en sommes que spectateurs, dans la mesure où il revient à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) de réaliser les projections. Dans ce processus, aucune solution n'a été trouvée qui ne fasse pas de perdants ; dans la plus favorable, ceux-ci sont encore 7 %.
La MSA entendait respecter l'esprit de la loi du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, et donc rester sur un système de points. Mais si nous obtenions des moyens nous permettant de moderniser notre système d'information, nous pourrions calculer les pensions sur la base des revenus.
À votre demande, nous avons réalisé des chiffrages afin d'évaluer les différents gains possibles pour trois tranches de revenus. Il en ressort que votre proposition ne fait pas de perdant. Pour autant, ceux qui ont faiblement cotisé lors de leur carrière ne verront pas d'amélioration et, grâce aux minima de pension, ne subiront pas de perte non plus. Si la cotisation a été moyenne, le gain sera limité à 30 euros ; il atteindra au maximum 190 euros, avec une moyenne entre 100 euros et 120 euros, selon les schémas, si le barème d'attribution des points n'est pas modifié. Vous proposez de fusionner retraites proportionnelle et forfaitaire, mais cela impliquerait de redéfinir les barèmes et de faire évoluer la tranche à 30 points.
Modifier l'architecture du système implique de retarder l'entrée en vigueur de la réforme, car il nous faudra alors étudier tous les effets de bord. Du reste, notre système d'information n'a pas changé depuis plusieurs années parce que nous n'avons pas obtenu les ressources nécessaires à cet effet. En revanche, si l'on s'en tient à votre proposition, nous serons au rendez-vous en 2026. Nous sommes donc sur la même ligne que vous, qui nous semble être la plus adaptée en vue d'une mise en oeuvre dès cette date. Pour autant, si nous devions évoluer en passant à un calcul sur la base des revenus, nous ne pourrions le faire avant 2028.
Mme Monique Lubin. - J'ai lu que la contribution des agriculteurs au financement de leur retraite n'était que de 20 %. Confirmez-vous ce niveau ? Monsieur le président, vous évaluiez les revenus des agriculteurs à 20 000 euros en moyenne, ce chiffre inclut-il les pluriactifs, qui bénéficient de revenus annexes ?
Concernant la proposition de loi, le Gouvernement semble avoir écarté la solution préconisée par nos collègues auteurs de cette proposition de loi et que la MSA soutient. Quelle est votre vision des choses à ce sujet ?
Sur la question de la retraite agricole en général, vous avez indiqué, monsieur le président, que celle-ci devait s'appuyer sur le montant des revenus dégagés sur toute une carrière, ce qui va de soi. Ne faudrait-il pas, dès lors, revoir enfin une fois pour toutes l'ensemble du système, plutôt que de procéder par des évolutions limitées successives, dont chacune complexifie un peu plus une situation déjà très opaque, sans pour autant régler les problèmes de fond ?
Nous sommes attachés à la loi « Chassaigne 1 », mais certains de ses bénéficiaires ont souffert du fait que les conjoints collaborateurs en étaient exclus. Nous avons ensuite voté un nouveau texte, la loi « Chassaigne 2 ». La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui laisse entrevoir de nouveaux problèmes : elle ne ferait pas de perdants, mais améliorerait modestement les pensions. Chacune de nos propositions semble donc nourrir des illusions chez les agriculteurs ; il faut tout remettre à plat.
À quelle catégorie et à quelle strate de revenus appartiennent les agriculteurs qui pourraient prétendre à une augmentation de 190 euros ? Je comprends bien que les plus hauts revenus attendent des améliorations, mais c'est aussi le cas des autres. Dès lors, comment faire ? Quand remettrons-nous à plat l'ensemble du régime de retraite des non-salariés agricoles.
Mme Nadia Sollogoub. - Vous avez raison, les effets d'annonce suscitent de l'espoir puis provoquent des frustrations : l'annonce de l'augmentation des retraites agricoles était sans doute exagérée, d'autant que celle-ci était accompagnée d'un plafond de revenus. Ainsi, la pension globale atteignait les 85 % du Smic, l'agriculteur concerné ne bénéficiait d'aucune augmentation. Nous avons tous reçu des coups de téléphone de bénéficiaires qui ne comprenaient pas pourquoi leur retraite ne changeait pas. Entre les annonces, le texte, son interprétation par Bercy, et l'adoption de décrets d'application restrictifs, les causes de frustrations sont nombreuses. Je m'attends déjà à la déception qui va suivre nos travaux sur ce texte...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous plaidons depuis longtemps pour une refonte globale du système de retraite agricole : texte après texte, la colère des agriculteurs perdure, notamment sur la question des revenus, qui déterminent la retraite. Ils travaillent énormément, ne prennent que très peu de congés et reçoivent finalement des retraites que je considère comme indécentes. Je le constate régulièrement dans mon département du Pas-de-Calais, dans lequel les petites exploitations sont nombreuses.
En 2020, les lois Chassaigne ont permis de revaloriser certaines retraites en augmentant les minima de pension mais la majorité gouvernementale a prévu un seuil d'écrêtement pénalisant les polypensionnés, contre notre avis. Or les agriculteurs exercent parfois deux métiers, afin de compléter leurs revenus, et il en va de même de leurs épouses. Aujourd'hui, nous devons aller beaucoup plus loin, car nous procédons par une succession de petits textes au lieu de travailler sur un texte global traitant la problématique dans sa globalité.
Vous avez indiqué que vous ne tiendriez pas sans moyens supplémentaires. Que se passera-t-il alors ? Comment ferons-nous ? De quels moyens avez-vous besoin pour éviter cela ?
M. Pascal Cormery. - Lors des manifestations, un certain nombre de critiques ont été exprimées, y compris à l'encontre de la CCMSA, et plus largement de la sécurité sociale, sur deux points essentiels : les retraites et la qualité de service fourni aux exploitants agricoles. Il y a quelques années, nous avions résolu le même type de problème avec les employeurs de main-d'oeuvre en mettant en place des numéros de téléphone dédiés, qui permettaient d'apporter une réponse immédiate aux questions posées. Nous souhaiterions faire de même pour les exploitants agricoles. Toutefois, je rappelle que, depuis quinze ans, on compte 3 550 salariés en moins à la MSA et que la réglementation devient de plus en plus complexe. Les difficultés se sont multipliées récemment tant pour la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) que pour la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Que vont devenir les opérateurs de la sécurité sociale compte tenu du manque de moyens croissant ? C'est une question à laquelle l'État doit répondre.
Le montant des cotisations versées reste faible par rapport aux charges du régime, le principe étant que chacun cotise à hauteur de ses moyens. Il faut y réfléchir. Je ne suis pas législateur et je ne crois pas au grand soir. Tant que l'on n'aura pas résolu le problème des revenus, la situation ne s'améliorera pas et la charge publique risque de s'alourdir.
La revalorisation des retraites agricoles que prévoient les deux lois Chassaigne est limitée pour les polypensionnés, ce qui a donné lieu à des incompréhensions. Moi-même, par exemple, je suis polypensionné et je perçois moins de 1 050 euros sur ma retraite d'exploitant. Toutefois, je ne bénéficie pas de la revalorisation, car ma pension globale excède le plafond. Nos plateformes téléphoniques ont été embolisées sur le sujet. Il faut donc faire attention aux effets d'annonce.
En ce qui concerne la situation des conjoints, la profession agricole doit accepter qu'il n'y ait plus de sous-statuts ou qu'ils soient limités le plus possible dans le temps. Nous ne pouvons prétendre avoir de bonnes retraites et refuser de donner aux conjoints un statut qui leur permettra de cotiser.
En outre, une partie de la profession peine à accepter les cotisations. Comme enseignant, j'ai eu l'occasion de discuter avec les représentants des établissements publics et privés : le sujet n'est jamais abordé dans les formations dispensées. Pourtant, les dépenses de sécurité sociale représentent 33 % du PIB : comment ne pas faire figurer le sujet dans la formation préparatoire au baccalauréat professionnel ?
La profession agricole doit contribuer à sa protection sociale. Je rappelle que ceux dont le revenu est inférieur à 10 000 euros ne paient pas de cotisations d'assurance maladie. Il faudrait davantage de pédagogie dans les organisations agricoles. Le mouvement agricole m'interpelle sur cette méconnaissance du système. La plupart des agriculteurs ne savent pas que 17 % du montant de leurs cotisations sont destinées à la retraite.
Il est essentiel de développer l'information. En effet, la retraite ne consiste pas uniquement à percevoir des sommes sonnantes et trébuchantes. Chacun peut aussi prévoir de devenir propriétaire et déterminer ensuite la somme avec laquelle il pourra vivre. Cela incite à mener une réflexion sur la transmission. La réforme des retraites ne pourra se faire que palier par palier.
Aujourd'hui, quand un agriculteur à l'âge de la retraite souhaite vendre son exploitation, le montant de la reprise est souvent plus élevé que ce que représente la réalité économique de l'entreprise, ce qui contribue à limiter l'installation des jeunes agriculteurs et à favoriser la reprise par agrandissement.
La difficulté reste de savoir si nous voulons garder une forme d'agriculture familiale propre à notre pays. Les propriétaires de petites exploitations participent à l'aménagement du territoire et à la production : ils doivent donc pouvoir bénéficier d'une retraite correcte. La France compte 450 000 agriculteurs et sans doute autant de petites exploitations, dont les situations sont très diverses d'un territoire à l'autre.
Mme Christine Dechesne-Ceard. - Le calcul des pensions du régime agricole se fait en points. Le régime général, lui, les calcule sur la base du revenu. Il s'agit aujourd'hui de retenir, pour le régime agricole, les vingt-cinq meilleures années, afin de tenir compte des variations de cotisations d'une année sur l'autre dans le cadre d'un régime par points.
Faut-il tout remettre à plat ? Peut-être, mais certainement pas pour 2026. Pour tenir le calendrier, il faudra choisir le scénario le plus simple possible.
Les travaux sont déjà engagés pour la révision du système de cotisation. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a prévu la refonte de l'assiette sociale des indépendants. Pour les travailleurs non salariés agricoles, la mise en oeuvre interviendra en 2025 et, pour les non-salariés agricoles, en 2026, afin de tenir compte des spécificités du secteur.
Sur l'efficacité des revalorisations, les déceptions sont réelles à la suite des deux lois « Chassaigne ». Toutefois, la première prévoit en moyenne 120 euros de revalorisation et la deuxième 50 euros. La réforme des retraites de 2023 a également prévu une revalorisation de la pension majorée de référence (PMR) de 100 euros. Toutefois, du fait de l'écrêtement, ses effets sont restés limités, ce qui a créé une certaine déception. Le système actuel a besoin d'une meilleure lisibilité, ce que permettrait sa remise à plat à terme.
Pour autant, ni le passage aux vingt-cinq meilleures années, ni le scénario 4C, ni même une remise à plat ne sauraient garantir que les plus petites retraites augmenteraient demain. Pour la MSA, ce qui compte le plus, c'est l'amélioration des petites retraites, quel que soit le système retenu ; or nos cotisants nous disent qu'ils veulent vivre non pas de la solidarité, mais de leurs revenus, qui doivent leur assurer une retraite digne.
Mme Guylène Pantel. - Je souhaiterais que vous nous apportiez quelques précisions sur l'offre de services de la MSA à ses assurés. Avez-vous engagé des actions visant à sanctuariser la possibilité de rectifier le relevé de carrière ? La Cour des comptes a mis en évidence un nombre élevé d'erreurs financières affectant le niveau des pensions de retraite nouvellement attribuées.
Par ailleurs, nos concitoyens ne sont jamais mieux conseillés que par des agents présents et disponibles à un guichet. Comment orientez-vous votre politique de ressources humaines pour mieux accompagner vos assurés en matière de retraites ? Les services de proximité sont essentiels dans les territoires ruraux, voire hyperruraux, comme la Lozère.
Mme Chantal Deseyne. - Merci pour votre franchise, monsieur Cormery.
Je veux vous alerter sur la situation des exploitants agricoles dont les cotisations sont très élevées, à proportion du revenu de leur exploitation, mais dont les points sont plafonnés, de sorte que leur pension ne peut guère dépasser 1 900 euros. Certes, je souhaite que tous les agriculteurs aient une retraite décente, mais toute cotisation doit ouvrir des droits et la solidarité a ses limites : je ne puis admettre que certains agriculteurs refusent de cotiser, ou de salarier leur épouse, pour ensuite exprimer des revendications de statut et de retraite !
Mme Élisabeth Doineau. - Merci pour votre discours de vérité. Il n'est généralement pas possible de satisfaire tout le monde, mais il faut aboutir à ce que le ressenti de justice sociale soit le plus élevé possible : chacun contribue, pour ensuite recevoir selon ses besoins. Alors, serait-ce un tabou que de faire entrer les agriculteurs dans le régime général, comme on l'a fait pour les indépendants au 1er janvier 2020 ? Je n'y suis pas forcément favorable, mais on peut y réfléchir.
Je m'interroge aussi sur l'évolution des comportements des agriculteurs. Vous avez dû le noter : plutôt que de cotiser davantage, beaucoup choisissent d'investir, en particulier dans l'immobilier, pour se ménager un revenu à l'avenir. Peut-être vos études ont-elles montré que les placements ainsi effectués par les agriculteurs ont diminué avec le temps, au vu notamment du coût de l'entretien de l'outil de travail. Avez-vous relevé de telles évolutions ?
Mme Catherine Conconne. - Je voudrais vous interroger sur la situation très particulière de l'outre-mer, où la mise en place des lois sociales est beaucoup plus tardive et moins transparente que dans l'Hexagone. Ces territoires comptent beaucoup de petites exploitations, où l'on travaille dans des conditions difficiles pour des revenus très faibles au regard du coût de la vie. Je me suis adressé voilà six mois à la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) de mon territoire quant à l'application des lois « Chassaigne 1 et 2 » et leur effet sur le revenu des agriculteurs, mais je n'ai toujours pas obtenu de réponse. Cette caisse a souffert d'une instabilité de son équipe de direction ces dernières années ; cette lenteur à répondre n'est pas rassurante. Nous ne sommes pas des Français entièrement à part ; nous sommes des Français à part entière !
Mme Florence Lassarade. - En Gironde, département qui a subi de graves crises viticoles, je regrette la diminution du nombre d'interlocuteurs de la MSA auprès des agriculteurs. Ces derniers ne sont pas tous capables d'utiliser l'outil informatique ; beaucoup voient dans le système actuel un mur infranchissable et ne peuvent obtenir de réponses, notamment aux questions relatives à leurs revenus fonciers, sur lesquels ils comptent pour compenser la faiblesse de leurs pensions mais qui, parfois, les empêchent d'en bénéficier.
Ils m'interrogent sur la taxation des revenus fonciers, sur une possible évolution du taux de 17,2 %, me demandent pourquoi la retraite de base agricole n'est pas alignée sur le Smic... En outre, ceux qui sont déjà à la retraite regrettent que les réformes négligent de reconsidérer leur cas, alors que leurs besoins vont croissant. On constate un grand désespoir chez nombre d'agriculteurs.
M. Daniel Chasseing. - Dans l'élevage, secteur qui souffre d'aléas sanitaires, les revenus sont très bas. Entre le Limousin et le Massif central, il y a toute une zone où l'on ne peut pas pratiquer d'autres types d'agriculture, plus rentables. Pour préserver une agriculture familiale, il faut absolument que des jeunes s'installent, mais la transmission est trop taxée et les prêts à taux zéro insuffisants. Nombre d'agriculteurs continuent de travailler plutôt que de prendre leur retraite, parce qu'ils ne trouvent pas de repreneur. Surtout, les jeunes demandent à ce que les cotisations n'augmentent pas. Certes, celles-ci sont nécessaires, mais ne faudrait-il pas que la solidarité nationale intervienne pour permettre aux éleveurs, indispensables pour l'aménagement du territoire, d'avoir des retraites correctes sans cotisations exorbitantes ?
M. Pascal Cormery. - Je pourrai vous transmettre un tableau où figurent les montants des cotisations des agriculteurs en fonction de leurs revenus. Entre 5 000 et 50 000 euros de revenus annuels, ils paient entre 2 800 et 16 100 euros de cotisations. Mais la facture comprend aussi la CSG, la CRDS et les diverses cotisations conventionnelles, destinées aux différents opérateurs pour qui le recours à notre système informatique est financièrement intéressant ; les cotisations sont une part importante de ce que paient les agriculteurs, mais pas la totalité.
Monsieur Chasseing, les cotisations des jeunes agriculteurs sont prises en charge pendant les cinq premières années. On pourrait réfléchir à une prise en charge qui soit plus importante la cinquième année que la première, où d'autres avantages sont offerts.
Madame Lassarade, madame Pantel, la relation du monde agricole à la MSA, c'est souvent : « Je t'aime, moi non plus » ! Les gens rouspètent, mais sont bien contents de nous trouver. Nous sommes la seule organisation de protection sociale à avoir 250 agences, réparties dans l'ensemble des départements, auxquelles s'ajoutent 82 espaces labellisés France Services que nous gérons. Ces agences ont un personnel qualifié, des conseillers en protection sociale qui peuvent apporter des réponses réelles à des questions complexes. Malgré la baisse des moyens et des effectifs, nous avons maintenu cette présence locale permanente.
Madame Doineau, vous demandez s'il faudrait faire entrer les agriculteurs dans le régime général. L'alignement sur ce régime pénaliserait les bénéficiaires des pensions les plus faibles.
Le problème n'est pas seulement dans la méthode de calcul. Le choix d'un regroupement des opérateurs serait politique, mais il faut faire attention : l'opérateur unique n'est pas une garantie d'efficacité ou de solidarité et l'on risquerait de déshabiller les territoires ruraux, où nous sommes en mesure d'informer l'ensemble de la population, au-delà des seuls agriculteurs ; cette mission d'aide, d'information et d'animation est la nôtre depuis la création de la MSA.
Vous demandez également si nous connaissons les revenus non agricoles, notamment immobiliers, de nos adhérents : non. Chacun est libre de ses activités ; en tant qu'organisme de protection sociale, nous connaissons uniquement les revenus professionnels agricoles. Seule l'administration fiscale dispose de telles informations.
Madame Deseyne, le plafond des cotisations se situe autour de 50 000 euros de revenu déclaré, lequel permet l'attribution de 114 points. Au-delà de ce revenu, les cotisations supplémentaires participent à la solidarité sans donner droit à des points supplémentaires. Le plancher, avec quatre trimestres travaillés sans revenu, est quant à lui fixé à 23 points. Nous avions proposé de réfléchir à un déplafonnement, notamment pour mieux prendre en considération les variations considérables du revenu des exploitants agricoles d'une année sur l'autre. En 2015, mon exploitation a souffert de la crise porcine ; nous avons subi une perte nette de 80 000 euros : en l'absence de trésorerie il aurait fallu emprunter pour pouvoir manger. En 2017, en revanche, le revenu a été de 120 000 euros. La variation peut être énorme, en fonction des conditions économiques et climatiques, pour les éleveurs comme pour les producteurs de blé ou d'autres encore. Le passage aux vingt-cinq meilleures années se justifie aussi de ce point de vue, car ce système permet de gommer les mauvaises années.
Moi, j'accepte de payer. À ceux qui prônent le libéralisme débridé, où chacun se débrouille, je réponds qu'ils ne se rendent pas compte : le coût de traitement d'un cancer est de 250 000 euros ; une prothèse de genou coûte entre 15 000 et 20 000 euros. Les 300 à 400 euros de dépassement d'honoraires que l'on paie parfois ne sont rien à côté. Revenons à la réalité. Je préfère payer pour l'assurance maladie toute ma vie et ne pas en avoir besoin. De même, je préfère cotiser pour la retraite - et si l'on cotise plus, on reçoit plus.
Mme Christine Dechesne-Céard. - Il y a toujours des systèmes d'écrêtement, pour les salariés aussi. Si l'on veut modifier d'un côté, par équité, il faudra modifier l'ensemble. Les grands paient pour les petits : c'est la solidarité.
L'ajustement en termes de taux de rendement et de contribution est aussi l'une des garanties qui permet à chacun de s'investir dans une forte contribution, pour en tirer un minimum de bénéfices.
Je ne suis pas certaine que la garantie d'une bonne retraite encourage les jeunes à choisir une profession plutôt qu'une autre. Pour autant, cela contribue à la sérénité au cours de la carrière.
L'intégration dans le régime général n'est pas taboue, mais il faudrait s'assurer que le taux de rendement reste le même, que les avantages actuels tels que les exonérations de cotisation pendant cinq ans perdurent et que les services de proximité soient maintenus. Nos assurés bénéficient de ceux-ci parce que nous leur offrons un guichet unique, pour les cinq branches.
Oui, le système de retraite est peu transparent. Il faut l'expliquer, accompagner les gens.
Les erreurs de calcul des pensions sont très rares. Dans un tel cas, nous demandons en général de ne pas réaliser de récupération, notamment sur les petites retraites. La solidarité est dans l'ADN de la MSA. Elle guide toutes nos actions.
Pour l'outre-mer, avec les CGSS, c'est un peu compliqué. Les transmissions avec le régime général ne se font pas toujours bien. Certains dysfonctionnements nous sont signalés longtemps après. Nous avons eu écho du non-versement de certaines pensions, mais nous ne sommes pas à la manoeuvre. Nous travaillons avec le régime général pour qu'a minima, les personnes concernées soient informées de l'existence des prestations.
M. Pascal Cormery. - J'invite Madame Lassarade à envoyer ceux qui ne maîtrisent pas l'outil informatique vers des agents. Certains technocrates préconisent de tout numériser, mais c'est impossible ! Il faut de l'humanité.
Certaines personnes âgées ne maîtrisent pas l'informatique, mais 120 000 jeunes sortent aussi chaque année du système scolaire en sachant tout juste lire et écrire. Ils sont incapables d'effectuer une démarche administrative.
Les services publics doivent impérativement être présents dans les territoires ruraux !
Les cotisations sociales représentent, pour les jeunes qui s'installent, le cadet de leurs soucis. Peu d'entreprises, en général, contestent l'existence des cotisations sociales. Dans le monde agricole, c'est parfois le cas. Il faut rappeler qu'elles servent à quelque chose : la protection sociale.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci beaucoup.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé. Ce texte sera examiné en séance le jeudi 14 mars.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Le texte que nous examinons ce matin est particulier, sur la forme comme sur le fond, et assez original.
Ce projet de loi est économe sur sa forme : un article unique, se bornant à la ratification d'une ordonnance, celle du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.
Le premier objet de ce texte était de rattraper un retard accumulé dans la transposition des lois de bioéthique en matière de recherche. Cette ordonnance a ainsi rendu applicables dans les trois collectivités françaises du Pacifique les récentes dispositions du code de la santé publique se rapportant aux recherches impliquant la personne humaine (RIPH), qui précisent les conditions dans lesquelles ces recherches peuvent être menées et garantissent la sécurité et la bonne information du participant. Certaines de ces dispositions étaient parfois gelées dans des rédactions non modifiées depuis plus de dix ans. Cette ordonnance met également à jour dans ce champ de nombreuses références, en conséquence des récentes adaptations du droit français aux règlements européens.
Cette même ordonnance étend et adapte au territoire des îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française les dispositions relatives à l'allongement des délais de recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la suppression du délai minimum de réflexion.
Des extensions et adaptations particulières ont en outre été réalisées pour certains territoires seulement : les dispositions de la loi Rist 1, relatives à l'extension des compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles, pour Wallis-et-Futuna ; les dispositions de la loi santé de 2016, relatives à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux mineures, pour la Polynésie française.
Rappelons le cadre juridique de cette ordonnance. Aux termes de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement peut, dans les collectivités régies par l'article 74 - Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna -, ou encore en Nouvelle-Calédonie, étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions législatives en vigueur dans l'Hexagone. Cette extension du droit commun est réalisée par ordonnance et ne peut intervenir que dans les seules matières qui demeurent de la compétence de l'État. Les assemblées des collectivités sont consultées sur le projet d'ordonnance.
Que le Gouvernement demande expressément au Parlement de ratifier une ordonnance peut surprendre - Pascale Gruny a démontré le faible taux de ratification sur le précédent triennat. L'explication est en réalité simple : en vertu de l'article 74-1 de la Constitution, le Gouvernement dispose d'une habilitation permanente à prendre des ordonnances d'extension et d'adaptation du droit dans les collectivités du Pacifique, en contrepartie de quoi celles-ci doivent nécessairement être ratifiées par le Parlement. Faute de ratification expresse dans un délai de dix-huit mois, l'ordonnance deviendrait caduque de plein droit.
Si la ratification demandée apparaît comme un exercice particulièrement encadré, voire contraint, cela n'enlève nullement à ce texte sa portée politique et - surtout - juridique.
L'examen au fond de ce texte appelle plusieurs questions auxquelles j'ai tenté, au cours de mes travaux préparatoires et auditions, d'apporter des réponses.
La première a été celle du partage des compétences. Le Gouvernement ne peut étendre et adapter des dispositions que dans le seul champ des compétences de l'État. Or, sur ce point, l'intitulé de l'ordonnance du 19 avril 2023 est trompeur : si les dispositions étendues dans les territoires du Pacifique figurent au sein du code de la santé publique, elles font en réalité intervenir des compétences qui ne relèvent principalement pas de la santé.
Surtout, si l'État conserve la compétence de la santé dans les îles Wallis et Futuna, cette compétence relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Aussi l'examen des dispositions fait-il apparaître que les dispositions de bioéthique en matière de recherche impliquant la personne humaine (RIPH) ressortent de la compétence recherche, assumée par l'État, et que les dispositions relatives au délai de recours à l'IVG ressortent du champ de compétence de l'État, car celles-ci relèvent de la garantie des libertés publiques.
Je constate qu'aucun empiétement de l'État sur une compétence dévolue n'a été relevé par les territoires.
La deuxième question posée est celle de la pertinence des dispositions au regard des réalités locales. Les auditions ont été particulièrement instructives, alors que ni l'ordonnance ni son projet de loi de ratification ne font l'objet d'une étude d'impact du Gouvernement.
Je regrette par ailleurs que seul l'avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie ait été reçu par le Gouvernement dans le délai imparti pour la présente ordonnance. L'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna a adopté un avis non reçu par le Gouvernement et le projet d'avis préparé n'a pas été soumis à l'assemblée de Polynésie française dans le délai. Les collectivités ont insisté sur la contrainte du délai de saisine, souvent incompatible avec une analyse fine des dispositions nombreuses et techniquement complexes.
En Polynésie française, l'actualisation du droit en matière de RIPH était une demande forte du pays. L'ordonnance vient parachever un travail initié en 2019. Il semble que les extensions soient satisfaisantes, sous réserve cependant de certaines demandes de modification qui, je l'espère, seront expertisées par le Gouvernement d'ici à la séance publique.
En Nouvelle-Calédonie également, les dispositions relatives à la recherche étaient attendues. Dans les deux cas, il s'agit de rendre possible l'intégration de patients de ces territoires à des recherches cliniques, alors que certaines pathologies se présentent parfois de manière différente ou selon des profils de populations distincts de l'Hexagone.
Pour Wallis-et-Futuna, l'extension de ces mêmes dispositions a été faite à la demande de l'agence de santé pour, en théorie, permettre l'intégration de patients, sans que la réalité de l'offre de soins permette aujourd'hui de l'envisager.
L'allongement du délai de recours à l'IVG n'a fait l'objet de demandes d'extension dans aucun des trois territoires. Surtout, je constate que l'ensemble des représentants des collectivités ont fait état lors des auditions d'une sensibilité particulière sur ce sujet, dans des territoires où la société est plus religieuse que dans l'Hexagone.
Si l'allongement du délai pourrait, a priori, paraître parfois pertinent au regard des difficultés d'accès aux soins et de l'éloignement de certaines îles, la sensibilité éthique du sujet a été fortement rappelée.
Surtout, je veux souligner l'adaptation très inaboutie du droit. En effet, le Gouvernement s'est borné à étendre les dispositions de la loi du 2 mars 2022 sans anticiper sa mise en oeuvre réelle par les territoires. Ainsi, il a étendu le principe de l'allongement du droit de recours sans se soucier de savoir si les professionnels de santé seraient formés en conséquence, s'ils seraient disponibles et si l'accès à ces actes parfois nouveaux serait effectivement permis. Cela a pourtant des implications concrètes, alors que l'organisation des soins et les compétences des professionnels de santé, par exemple, relèvent du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, de même que la prise en charge par l'assurance maladie.
Or, il ressort des auditions que la Nouvelle-Calédonie n'a pas encore adopté, un an après l'ordonnance l'ensemble des textes déclinant ce principe, quand le ministre de la santé polynésien se montrait plus que réservé sur la mise en oeuvre de cette mesure et pointait l'absence de formation des sages-femmes à l'acte chirurgical dans ce territoire. Du reste, au cours des auditions, il nous a été impossible de savoir si, depuis l'an dernier, des avortements avaient effectivement été sollicités et pratiqués dans le délai compris entre douze et quatorze semaines. En d'autres termes, le Gouvernement s'est donné bonne conscience, sans se préoccuper de l'accessibilité du droit.
La dernière question est celle de notre rôle. La réponse est délicate. Dans le cadre d'un tel projet de loi, de quelle marge de manoeuvre disposons-nous réellement ? La ratification nous ramène malheureusement à un choix tout à fait binaire : adopter ou rejeter l'ordonnance d'un bloc.
Je n'étais pas sénatrice lors de l'examen de la dernière loi bioéthique, ni lors de celui de la loi de la loi de 2022 sur l'avortement, et encore moins lors de l'examen de la loi de santé de 2016.
Je constate que les dispositions relatives aux recherches sur la personne humaine ont parfois été adoptées dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée nationale ou ne relèvent pas a priori de désaccords majeurs qui avaient pu persister au cours de la navette.
Ce n'est pas la même chose pour l'extension de la loi du 2 mars 2022 relative à l'avortement. En 2021 et 2022, le Sénat avait, par trois fois, rejeté la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement, finalement définitivement adoptée par l'Assemblée nationale. Son article 1er allongeait le délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines, tandis que son article 1er ter prévoyait la suppression du délai de réflexion dans le cas d'un entretien psychosocial préalable. La majorité sénatoriale avait défendu une position claire, sanctionnée systématiquement par l'adoption très large de motions opposant la question préalable rappelant que, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), en 2017, seulement 5 % des IVG ont été réalisées dans les deux dernières semaines du délai légal, alors de douze semaines. Les motions rappelaient qu'il s'agit d'un acte considéré par les professionnels de santé eux-mêmes comme d'autant moins anodin qu'il est pratiqué tardivement au cours de la grossesse. Ces arguments conservent leur pleine pertinence ; j'y adhère, à titre personnel.
Alors que l'extension réalisée par le Gouvernement ne s'appuie sur aucune évaluation d'un besoin identifié, pas plus que sur une anticipation ni de la capacité, ni de la volonté des collectivités de la mettre en oeuvre, il me semble qu'elle n'est pas opportune. Pour autant, au-delà de ma position personnelle, en tant que rapporteure, je dois vous proposer une position permettant à la commission d'élaborer son texte. Nous devons être conscients que l'approbation de ce texte conduit non pas à faire évoluer le droit, mais à préserver le droit existant.
L'ordonnance a modifié le droit à sa publication, le 19 avril 2023. La question est uniquement d'assurer à ces modifications une pérennité législative. Rejeter ce projet de loi de ratification consisterait à revenir au droit antérieur. Opposée à l'allongement du délai de recours à l'IVG à quatorze semaines, il me faut admettre que ce délai est devenu le droit, y compris depuis 2023, dans ces trois collectivités.
À défaut d'une validation politique, je vous propose une validation juridique. Prenons acte, malgré mes réserves, de l'évolution du droit.
La Nouvelle-Calédonie a formulé des regrets concernant les modalités retenues pour étendre et adapter le droit outre-mer, au moyen des compteurs Lifou - des tableaux listant les articles applicables et leur version pour chacun des territoires - et de renvois jugés parfois trop fragiles à des dispositions nationales ou au droit applicable. Il y va de la sécurité juridique et de la lisibilité du droit.
Si la compétence de la santé relève du pays en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les indicateurs de santé publique et les pathologies particulières méritent notre intérêt. Surtout, la situation préoccupante de Wallis-et-Futuna, où l'État est compétent, m'a interpellée. Les territoires d'outre-mer sont confrontés à des enjeux très concrets d'accès aux soins, alors que la multi-insularité est un sujet de complexité majeur et que nos compatriotes du Pacifique ont parfois des difficultés insoupçonnées lors de déplacements dans l'Hexagone.
Enfin, en tant que rapporteure, il me revient de vous proposer un périmètre en vue de l'examen de la recevabilité des amendements au regard de l'article 45 de la Constitution.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives à l'extension et à l'adaptation aux collectivités du Pacifique des dispositions du code de la santé publique relatives aux recherches impliquant la personne humaine ; à l'allongement des délais de recours à l'IVG et à la suppression du délai minimum de réflexion ; à la compétence des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles ; à la protection par le secret de la prescription de la contraception aux personnes mineures.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs, dans ces mêmes champs, au droit commun applicable sur l'ensemble du territoire national.
M. Jean-Luc Fichet. - Madame la rapporteure, c'est un travail difficile que vous effectuez-là sur un sujet complexe et très important. Cette ordonnance modifie le code de la santé publique afin d'étendre l'application des règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. L'ordonnance rend ensuite applicable à Wallis-et-Futuna les évolutions législatives récentes relatives aux droits des personnes malades, à la santé sexuelle, à l'IVG et à différents produits pharmaceutiques, telles que l'allongement du délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines ou l'autorisation pour les sages-femmes de pratiquer des IVG par voie instrumentale dans les établissements de santé. Je me réjouis particulièrement de la transcription de ces dispositions au surlendemain de la modification de la Constitution.
Madame la rapporteure, disposez-vous d'informations sur l'accès effectif à l'IVG à Wallis-et-Futuna ? L'ordonnance étend également à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna des dispositions favorisant l'accès précoce et compassionnel des patients en impasse thérapeutique à certains traitements non autorisés. Disposez-vous de données sur la qualité de la prise en charge des patients en affections de longue durée (ALD) dans ces territoires ?
Autre disposition positive, l'application à la Polynésie française de la possibilité offerte à un grand nombre de professionnels de santé de déroger à l'obligation de recueillir le consentement de l'autorité parentale pour des actions de prévention, de dépistage ou de traitement nécessaires pour protéger la santé sexuelle et reproductive de mineurs.
Madame la rapporteure, disposez-vous de données sur le planning familial de Polynésie française ?
Le groupe SER votera le projet de loi, qui contient des adaptations positives, par-delà notre inquiétude plus générale sur le système de santé outre-mer et dans tout le territoire français.
M. Philippe Mouiller, président. - Les réponses à toutes ces questions demanderaient une demi-journée !
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Nous avons longuement entendu les représentants de Wallis-et-Futuna. Ils nous ont fait savoir que la situation du système de santé y était particulièrement préoccupante.
Sur la santé sexuelle à Wallis-et-Futuna, comme sur le planning familial de Polynésie, nous n'avons pas eu d'informations précises. À Wallis-et-Futuna, les patientes en demande d'IVG doivent souvent être transférées à l'hôpital de Wallis, seul établissement pouvant assurer des interventions chirurgicales. La prévalence de la religion dans ce territoire rend le recours à l'IVG assez minimal.
En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, l'assurance maladie relève du pays. Nous n'avons pas eu de données sur les modalités de prise en charge, notamment concernant les ALD.
Ces sujets méritent que l'on puisse nous y intéresser tant concernant l'état de santé des populations que de l'organisation de l'offre de soins, que celle-ci relève de l'État ou, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, du pays.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Philippe Mouiller, président. - Aucun amendement n'étant à examiner, je mets l'article unique aux voix, en vous rappelant que le vote sur cet article vaut vote sur l'ensemble du projet de loi.
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.
Mission flash sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) - Désignation de rapporteurs
M. Philippe Mouiller, président. - Nous avions décidé d'une mission sur l'accès à l'IVG. Pour éviter un mélange des débats, nous avons attendu le vote du Parlement en Congrès, lundi dernier. À présent, nous pouvons désigner des rapporteurs. Ce serait bien qu'ils rendent leur rapport pour la fin du mois d'avril ou le début du mois de mai.
La commission désigne M. Alain Milon et Mmes Brigitte Devésa et Cathy Apourceau-Poly rapporteurs de la mission flash sur l'accès à l'IVG.
Questions diverses
M. Philippe Mouiller, président. - Il n'est pas possible d'organiser des auditions officielles le mercredi matin, autres que celles de notre commission. Ce créneau doit être sanctuarisé pour nos réunions de commission. En outre, lorsque le calendrier de la séance publique est connu, il est préférable d'éviter de prévoir des réunions en même temps que l'examen de textes qui concernent notre commission, sinon l'hémicycle compte très peu de commissaires. L'agenda change parfois au dernier moment et chacun a beaucoup de travail, mais je vous prie instamment de regarder le calendrier.
La réunion est close à 11 h 25.
Mercredi 6 mars 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons cette après-midi Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Merci, madame la ministre, de venir nous présenter votre feuille de route, au sein d'un ministère dont l'intitulé a pour nous tout son sens. Votre portefeuille ministériel regroupant l'enfance et les familles, comme ce fut déjà le cas par le passé, vous êtes appelée à traiter de nombreux sujets brûlants, à commencer par l'avenir de l'aide sociale à l'enfance (ASE), à laquelle nous avons consacré divers travaux.
L'ASE se trouve dans une situation difficile, liée notamment à la question des mineurs non accompagnés (MNA). Nous sommes, de même, très attentifs à la politique familiale, domaine dans lequel nous avons avant tout besoin de stabilité.
Après votre propos liminaire, Mme la rapporteure générale, puis nos collègues, ne manqueront pas de vous poser un certain nombre de questions.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles. - C'est un grand honneur pour moi de vous présenter aujourd'hui ma feuille de route.
Notre action s'inscrit dans la continuité des travaux menés par mes prédécesseurs, Adrien Taquet et Charlotte Caubel, et par les deux assemblées du Parlement. Dans mes précédentes fonctions, j'étais d'ailleurs chargée des dossiers relatifs à la jeunesse : la continuité n'en est que plus grande.
J'ajoute que c'est une force de disposer aujourd'hui d'une vision globale, de la conception de l'enfant jusqu'au début de sa vie adulte en passant par l'adolescence.
Dans la continuité des 1 000 premiers jours, nous nous efforcerons de soutenir la parentalité et d'aider toutes les familles. Selon un récent sondage, 80 % des Français considèrent la famille comme ce qu'ils ont de plus précieux : c'est dire l'importance de ces enjeux.
L'arrivée d'un enfant est bien sûr une grande joie, mais elle entraîne aussi un certain nombre de difficultés, auxquelles nous devons répondre : elles seront au coeur de ma mission. Je pense à l'accueil du jeune enfant, soutenu par la stratégie des 1 000 premiers jours, qui est fondamental ; ou encore aux nombreuses questions liées aux modes de garde, aux congés parentaux et à l'adaptation du temps de travail. Quand les enfants grandissent, d'autres interrogations se font jour et le Gouvernement déploie d'autres initiatives en conséquence, comme le « pass colo » et le service civique écologique. Je n'oublie pas non plus la question de la responsabilité parentale.
Mon portefeuille ministériel couvre tout un parcours de vie, à savoir l'enfance et la jeunesse. Ce parcours est jalonné de relations nouées avec les adultes, qu'il s'agisse des parents et de la sphère familiale élargie, des mondes de l'éducation nationale, de l'éducation populaire ou de la petite enfance. Je n'oublie évidemment pas les éducateurs et les médiateurs, qui accompagnent nos enfants à des moments importants de leur existence.
Cette mission est sans aucun doute l'une des plus belles qu'il m'ait été donné d'accomplir, d'autant que je suis désormais une jeune mère de famille.
En la matière, nous devons faire face à des réalités très difficiles, qui sont aussi au coeur de ma mission. Je pense aux victimes de maltraitances, de violences et d'inceste ; nous continuerons à lever les tabous, pour mieux les défendre. Je pense aussi aux situations où les parents ne sont plus en mesure d'apporter aux enfants ce dont ils ont besoin. Je pense aux MNA et aux jeunes majeurs sortant de l'ASE.
Je souhaite assurer, en leur faveur, la pleine application de la loi Taquet. J'ai d'ailleurs traité de cette question avec le président Sauvadet lors d'une de mes premières réunions de travail. En effet, c'est avec l'appui des départements et de Départements de France que nous pourrons apporter de véritables réponses. Nous relancerons très vite les groupes de travail à cette fin, en veillant à couvrir les réalités territoriales dans leur diversité. Les drames survenus ces derniers jours nous rappellent que cet effort est essentiel.
Je n'ignore pas les difficultés qu'affronte la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Je n'oublie pas non plus les enfants confrontés à des problèmes de santé. Frédéric Valletoux et moi-même veillerons à donner suite aux travaux des assises de la santé de l'enfant. La santé mentale, que nous ne parvenons pas encore à appréhender dans sa globalité, est à ce titre un enjeu essentiel.
L'exposition des enfants aux écrans est un autre sujet important, sur lequel je recevrai très bientôt des conclusions d'experts. Dans ce domaine comme dans les autres, je souhaite lever les tabous sans jamais tomber dans le jugement moralisateur. Il faut avant tout être au côté des parents à l'heure où de nouvelles menaces apparaissent.
Je serai au côté des familles en assurant la mise en oeuvre du pacte des solidarités. Malgré les difficultés et les accidents de la vie, on ne doit jamais céder au sentiment de fatalité. À cet égard, la politique de prévention sera également prioritaire.
Protéger les familles, c'est leur apporter un certain nombre de réponses sur la place de tel ou tel de leurs membres, qu'il s'agisse de la fratrie ou des grands-parents.
La délinquance des plus jeunes est un enjeu considérable - on a pu l'observer l'été dernier comme au cours des derniers jours. Comment répondre à ces situations de violence ? Comment accompagner les professionnels ? Étant donné mon périmètre d'action, je relève à la fois de Mme la ministre de l'éducation nationale - beaucoup de choses se passent à l'intérieur de l'école, sur les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire -, de M. le garde des sceaux - j'entends ainsi m'appuyer sur la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) comme sur les juges des enfants - et, bien sûr, de Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Être au côté des familles, c'est leur simplifier la vie en leur apportant des réponses très concrètes.
C'est construire, avec vous, une société de plus en plus accueillante et juste, dans l'espace public comme dans la vie professionnelle - les écarts de salaires entre les femmes et les hommes persistent, et ils continuent de s'accroître dans certaines situations, par exemple après une maternité.
C'est améliorer encore et toujours le service public de la petite enfance. Pour mener à bien ce magnifique projet, nous accomplirons un travail de proximité avec le bloc communal et intercommunal comme avec les syndicats d'employeurs, pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En parallèle, le congé de naissance, voulu par le Président de la République, permettra une meilleure répartition du temps de congé au sein du couple.
Il ne faut pas fermer les yeux sur cette réalité : nous faisons face à l'effondrement de notre démographie. C'est pourquoi nous entendons mener une politique volontariste en faveur de la natalité, sans jamais porter de jugement moralisateur sur les femmes qui ne souhaitent pas d'enfant. J'y insiste, le premier frein qu'il convient de lever, c'est celui de la garde. Aujourd'hui, les solidarités familiales changent, ne serait-ce que parce que les grands-parents sont plus loin. Or je souhaite mener un projet pour les familles, dans leur diversité et dans leur ensemble.
Mon portefeuille ministériel a une dimension à la fois sociale, éducative et régalienne. Cette triple tutelle a pu être perçue comme un triple contrôle, à tort : je l'ai moi-même souhaitée. Je la conçois comme le moyen de construire nombre de passerelles et, ce faisant, d'assurer un continuum de protection en faveur des enfants.
C'est ainsi que j'entends travailler, avec les professionnels, les élus locaux et les membres des deux assemblées parlementaires. Je mesure l'ampleur de la tâche ; mais, étant à la fois élue d'un territoire et ancienne parlementaire, je ne pars pas d'une feuille blanche. Je suis animée par une volonté d'écoute et de coconstruction, pour apporter un certain nombre de réponses et de moyens aux familles, dans un esprit de continuité.
Telle est la philosophie dans laquelle s'inscrit mon action dans des domaines aussi variés que la lutte contre le non-recours aux droits, le rapport des jeunes enfants aux écrans, la lutte contre l'obésité, la lutte contre l'infertilité, la santé mentale des enfants, la garde d'enfant ou encore la place du périscolaire et de l'extrascolaire, pour les enfants de 3 à 14 ans.
C'est avec pragmatisme que j'entends travailler et je suis évidemment à la disposition de votre commission.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci d'avoir exposé votre feuille de route et votre ambition personnelle sur des sujets éminemment importants. Nous connaissons votre énergie et votre enthousiasme.
Mon collègue Olivier Henno, rapporteur de la branche famille, ne peut être présent cette après-midi, j'imagine donc la série de question.
Tout d'abord, pouvez-vous revenir sur la création du service public de la petite enfance ? En septembre dernier, une mission commune de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF) a été chargée d'étudier les possibilités d'évolution du modèle économique des microcrèches en vue de favoriser la qualité de l'accueil dans ces établissements, ainsi que leur accessibilité géographique et financière. Quelles voies d'amélioration le Gouvernement entend-il désormais explorer ? Pouvez-vous nous préciser le calendrier prévu ?
Ensuite, la réforme de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) a fait l'objet de nombreuses annonces. Il est désormais question d'assurer sa refonte au profit d'un « congé de naissance ». Notre commission a bien montré la perte de bénéficiaires de la prestation actuelle et la nécessité de changer, à terme, son architecture. Entre 2011 et 2021, le nombre de ses bénéficiaires a chuté de 57,9 %.
Quels sont les contours déjà retenus pour le futur congé de naissance ? Pouvez-vous nous assurer que toutes les familles pourront bénéficier d'une durée suffisante de présence auprès de l'enfant, y compris celles où un seul parent fera usage de ce congé ?
De plus, avec Adrien Taquet, nous avons beaucoup travaillé sur les 1 000 premiers jours, projet enthousiasmant et plébiscité par les acteurs de la petite enfance. Or, à l'heure du « réarmement démographique » annoncé par le Président de la République, certains outils centraux de cette politique publique semblent remis en cause, voire abandonnés. L'association Maman Blues a alerté en ce sens.
Je pense en particulier à l'application 1 000 premiers jours Blues, développée dans le cadre de la fabrique numérique des ministères sociaux lors du quinquennat précédent. Cette application apporte un service gratuit d'auto-diagnostic, d'écoute, puis d'orientation vers un professionnel et un parcours de soins pour les mères présentant des signes de dépression post-partum. Elle a été utile pour des milliers de parents, mais sa fermeture a été décidée par votre administration. Comptez-vous revenir sur cette mesure ? Plus largement, qu'allez-vous faire pour mieux soutenir la politique des 1 000 premiers jours, alors qu'une nouvelle feuille de route est annoncée depuis l'été dernier ? Il faut capitaliser sur cette base, d'autant que tout le monde a adhéré à ce projet et que le travail mené par M. Cyrulnik a été unanimement salué. Dans ce domaine plus encore que dans d'autres, nous avons besoin de continuité et de stabilité.
Enfin, je tiens à insister sur la santé mentale des jeunes et en particulier sur les problèmes d'addiction. Il faut poursuivre les efforts engagés : la réduction des risques passe aussi par la lutte contre les addictions.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - La santé mentale des jeunes Français est aujourd'hui dans une situation très préoccupante, toutes classes sociales confondues. Je vais évidemment travailler avec Frédéric Valletoux, pour traiter de l'accès aux soins ou encore développer le dispositif « Mon chèque psy ». Mais s'y ajoutent des questions de prévention et de soutien. De nouvelles addictions se font jour, qui ont des conséquences sociales, scolaires et médicales, notamment sur la croissance. Seul un regard global nous permettra d'apporter de véritables réponses.
La santé mentale des jeunes est une priorité du Premier ministre. Nous aurons les moyens nécessaires pour continuer les travaux engagés et développer cette approche globale, qu'il s'agisse des très jeunes, des adolescents ou des post-adolescents, jusqu'à 25 ans. Nous assurerons une véritable continuité.
La politique des 1 000 premiers jours n'a pas été abandonnée, mais son organisation a évolué : c'est peut-être ce qui a suscité des incompréhensions.
À l'origine, cette politique relevait du secrétariat général du ministère. Elle a été transférée à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), pour la simple et bonne raison qu'elle a vocation à être pérennisée.
Cette stratégie fonctionne. Elle a apporté un certain nombre de réponses et permis de lever des tabous, par exemple au sujet du post-partum. L'application créée apporte des informations scientifiquement étayées et des réponses concrètes. Il est indispensable de poursuivre la stratégie des 1 000 premiers jours et je le ferai.
Le renforcement de la prévention périnatale sera un axe prioritaire. Les entretiens prénataux précoces, proposés par les centres de protection maternelle et infantile (PMI), seront systématisés. Aujourd'hui, 50 % des femmes en bénéficient ; l'objectif est d'atteindre 80 % en 2026.
Pour ce qui concerne le prénatal et le postnatal, les visites à domicile seront encouragées.
Nous poursuivrons le soutien à l'arrivée de l'enfant, assuré par les caisses d'allocations familiales (CAF) et par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).
Pour ce qui concerne l'entretien postnatal, proposé de manière obligatoire depuis juillet 2022, nous ne sommes pas encore au rendez-vous ; mais je suivrai sa montée en charge.
Il est nécessaire de répondre à des vulnérabilités plus spécifiques. Je pense notamment à la prématernité, qui fait l'objet d'expérimentations intéressantes.
D'autres travaux se penchent sur les moyens de donner du temps aux jeunes parents, notamment dans le cadre du congé de naissance.
Aujourd'hui, sept pères sur dix prennent leur congé de paternité. Quant au congé de naissance, il a vocation à combler les lacunes de la PreParE, dont toutes les familles ne peuvent pas bénéficier. Compte tenu du coût de la vie, tout le monde ne peut pas profiter de ce temps, qui est pourtant nécessaire à la construction affective de l'enfant. Le congé de naissance sera mieux rémunéré. Sa durée est en cours de discussion. Il ne remplacera pas les congés de paternité et de maternité, il viendra s'y ajouter.
J'ajoute que nous tenons à préserver le libre choix entre PreParE et congé de naissance, dont les possibilités de répartition entre les parents doivent encore être précisées ; les concertations se poursuivent. Mais, pour que le congé de naissance ait du sens, il faut assurer la montée en charge du service public de la petite enfance. C'est bien la question des moyens d'accueil du jeune enfant qui est essentielle. Il faut proposer à toutes les familles des solutions de qualité à des prix raisonnables. Il faut réduire l'écart constaté entre la garde assurée par les assistantes maternelles et les modes de garde collectifs, à commencer par les crèches. On ne saurait prétendre - je le précise - qu'un mode de garde est meilleur qu'un autre. C'est bien dans un esprit de convergence que des réformes ont déjà été menées sur le complément de mode de garde (CMG).
Il convient également de renforcer l'attractivité des métiers de la petite enfance et d'obtenir la mobilisation du bloc communal et intercommunal. C'est absolument indispensable.
Nous disposons, à cette fin, d'une convention d'objectifs et de gestion (COG) d'une ampleur historique : plus de 6 milliards d'euros supplémentaires ont été mobilisés pour permettre le développement du service public de la petite enfance. Mais cette extension ne se décrétera pas. Elle exige d'abord des hommes et des femmes, puis des mesures de soutien. Dans les zones très urbaines, nous agissons en matière de foncier. Ailleurs, nous entendons soutenir les maisons d'assistantes maternelles (MAM). Un certain nombre de travaux sont en cours.
Il faut garder à l'esprit cette réalité démographique : plus de 40 % des assistantes maternelles vont partir à la retraite d'ici à 2030, ce qui représente plus de 300 000 places. Or, aujourd'hui, 200 000 places manquent déjà. Il faut que la nouvelle génération prenne la relève, sinon le service public de la petite enfance ne restera qu'un voeu pieux.
Quant au rapport Igas-IGF, je ne l'ai pas encore reçu, mais cela ne saurait tarder et ce document sera rendu public. J'examinerai ses conclusions avec le plus grand intérêt et pourrai évidemment revenir sur ce point avec vous.
Mme Laurence Muller-Bronn. - La belle mission qui vous est confiée recouvre des réalités parfois difficiles.
J'attire ainsi votre attention sur la situation préoccupante de la Ciivise, laquelle a pourtant été saluée pour le sérieux, l'efficacité et la qualité de son travail. En novembre 2023, la Ciivise a publié un rapport très épais, fruit de trois années d'un travail inédit reposant sur le recueil de plus de 30 000 témoignages. Mais, depuis lors, son avenir n'a cessé d'être remis en cause.
L'éviction du juge Édouard Durand, dont les professionnels de la protection de l'enfance et les associations demandaient pourtant le maintien, a entraîné la démission de onze membres sur les vingt que comptait la Ciivise. Parmi les démissionnaires figure la psychiatre Muriel Salmona, dont l'expertise a considérablement fait progresser la compréhension des victimes.
La semaine dernière, l'audition au Sénat de l'actrice Judith Godrèche a permis de rappeler l'incompréhension provoquée par cette éviction et par les décisions gouvernementales qui ont suivi : d'autres pistes ont alors été évoquées, au mépris du travail accompli.
Depuis la démission de la nouvelle présidente de la Ciivise, le 5 février dernier, l'activité de cette instance est de nouveau en suspens. Or, dans ce domaine, le temps perdu entraîne une grave perte de chance pour les quelque 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. À quelle échéance le Gouvernement entend-il assurer la continuité des travaux de la Ciivise ? Comment compte-t-il poursuivre la mise en oeuvre de ses travaux ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis que vous entendiez poursuivre la politique à la fois riche et complète engagée par vos prédécesseurs. Je me félicite en particulier que les 1 000 premiers jours restent une priorité ; en la matière, la ville d'Arras a d'ailleurs joué un rôle précurseur en la matière en créant une maison des 1 000 premiers jours - il s'agit même d'un véritable complexe - inaugurée par M. Cyrulnik.
À moyen terme, ne serait-il pas opportun de repenser la politique des prestations familiales ? Cette politique est devenue un véritable labyrinthe. Elle souffre d'un certain nombre d'effets de seuil qui créent des injustices et des incompréhensions, voire aggravent le non-recours. Pour favoriser la reprise démographique, ne pourrait-on envisager le versement des allocations familiales dès le premier enfant et développer encore davantage l'accompagnement des familles ?
M. Xavier Iacovelli. - Depuis Laurence Rossignol, la France n'avait pas eu de ministre chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles : je me réjouis d'autant plus de votre nomination. C'est une véritable reconnaissance de ces politiques.
Vous entendez assurer la pleine application de la loi Taquet, ce qui n'est manifestement pas simple. Je pense notamment à l'hébergement hôtelier des enfants relevant de l'ASE. L'article 3 de la loi Taquet l'interdit, mais les décrets d'application permettent la labellisation d'un certain nombre d'hôtels sociaux et de campings : la volonté du législateur est donc contournée. Quel contrôle l'État entend-il mettre en oeuvre pour proscrire concrètement l'hébergement hôtelier ?
De même, le registre des données relatives aux enfants placés, prévu par la loi depuis 2012, reste malheureusement vide, car les départements ne font pas remonter les informations. En résultent de véritables problèmes, aujourd'hui, pour les anciens enfants placés.
En parallèle - chacun en a conscience -, la population des assistants familiaux vieillit. Lors de l'examen du projet de loi Taquet, nous avions proposé, sans succès, que des couples ou des personnes seules travaillant puissent accueillir des enfants de l'ASE. Que pensez-vous de cette solution, qui mériterait évidemment d'être encadrée ?
Enfin, les problèmes de surpoids et d'obésité coûteraient à tout le moins 14 milliards d'euros par an à l'assurance maladie. Plusieurs groupes politiques du Sénat, dont le nôtre, ont défendu en conséquence l'instauration de taxes comportementales, notamment sur le sucre, qui est aussi addictif que la cocaïne ; mais l'industrie agroalimentaire a contré notre initiative. Quelle est votre feuille de route sur ces questions ?
M. Khalifé Khalifé. - Vous couvrez à vous seule plus de la moitié des compétences des départements : je vous en félicite et je m'en réjouis, car votre ministère est, pour les conseils départementaux, un interlocuteur unique, ce qui est plus simple.
C'est précisément au nom des conseils départementaux que je vous interroge. Leurs dépenses liées à l'enfance et aux familles augmentent sensiblement, qu'il s'agisse de la protection de l'enfance et des MNA ou du handicap. L'État a conscience de ces enjeux - je le sais -, mais votre prédécesseur a eu un mot malheureux en évoquant la recentralisation de la politique de protection de l'enfance. Quelles actions comptez-vous mener dans ce domaine ?
En outre, vous savez dans quelle situation de précarité se trouvent certains étudiants. Les collectivités territoriales tentent par tous les moyens d'y faire face. Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) de Paris a demandé à bon nombre d'étudiants de quitter leur appartement précocement cette année, du fait de la tenue des jeux Olympiques. De même, on a fait comprendre aux jeunes bénévoles qu'ils devront se débrouiller pour se déplacer et se loger pendant les Jeux. Pouvez-vous nous éclairer sur ces questions ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Madame Muller-Bronn, lorsque j'ai pris mes fonctions, la Ciivise connaissait une crise du fait de la démission de ses deux co-présidents. Pour ma part, j'ai pu travailler sur la base de son rapport, d'une très grande qualité, qui comprend plus de 82 propositions et plus de 30 000 témoignages - une libération de la parole et la levée d'un tabou comme rarement depuis les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase).
J'ai reçu les membres de la Ciivise quelques jours après mon arrivée au ministère, et le juge Édouard Durand sera reçu par ma ministre de tutelle, Catherine Vautrin. Notre objectif est que les travaux de cette commission se poursuivent et que soit mise en place une nouvelle gouvernance - j'espère que ce sera le cas dans les prochains jours. Les 30 000 témoignages recueillis ne sont que le début d'un mouvement ; mon prédécesseur Adrien Taquet disait que cette libération de la parole et cette prise en compte des violences sexuelles au sein des familles prendraient au moins dix ans. Lors de cette rencontre, les membres de la Ciivise ont insisté sur l'importance de la prise de la parole de l'enfant dès le plus jeune âge et sur les doubles vulnérabilités, notamment en cas de handicap.
Il est essentiel que les travaux de cette commission se poursuivent pour permettre aux victimes de parler et pour mettre en oeuvre ses recommandations. Il convient donc de sortir de cette situation difficile et violente.
Monsieur Vanlerenberghe, la question du versement des prestations familiales dès le premier enfant doit être posée, car c'est un moment important pour les familles. Dans le même esprit, nous avions décidé du versement de la prime à la naissance pendant la grossesse. Je souhaite réduire un certain nombre d'effets de seuil qui affectent plus particulièrement les classes moyennes. Le complément de libre choix du mode de garde (CMG) a été réformé en ce sens et pour une application en 2025 ; ainsi, pour les familles monoparentales, il sera étendu jusqu'aux 12 ans de l'enfant. Les deux parents pourront bénéficier de ce complément lorsque l'enfant est en garde alternée. Il s'agit d'adapter les dispositifs aux réalités de notre temps.
Vous avez salué les travaux portant sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. Je serai au rendez-vous pour soutenir ce magnifique projet qui prend aussi effet dans les territoires, et notamment le vôtre, monsieur le sénateur.
Vous avez évoqué la question du non-recours aux droits. Nous avons engagé des travaux sur les solidarités à la source, afin de permettre aux familles qui ne connaissent pas leurs droits de les faire valoir ; ce chantier est porté par Catherine Vautrin.
Monsieur le sénateur Iacovelli, vous m'avez interrogée sur l'application de la loi Taquet. Tous les décrets ne sont pas encore sortis. Deux semaines après mon arrivée, nous avons publié trois décrets, portant respectivement sur l'hébergement en hôtel, le mentorat et le parrainage. Le premier de ces décrets - très attendu -, qui acte l'interdiction stricte d'héberger des jeunes de moins de 16 ans en hôtel, correspond à l'esprit de ladite loi. Des dérogations très limitées ont été prévues, après des discussions avec les départements qui ont duré plus de deux ans. Un jeune ne pourra pas être hébergé en hôtel plus de deux mois et la présence d'un adulte formé sera obligatoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
M. Xavier Iacovelli. - Formé ou diplômé ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Cette question n'est pas clairement réglée. Je me suis publiquement engagée à ce qu'un nouveau décret précise ce point. La question de la qualification de l'adulte, et notamment de la nécessité d'être titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), a ainsi été posée. Il conviendra de tirer les conséquences de l'application du décret interdisant l'hébergement en hôtel. Je précise que les dérogations prévues ne peuvent s'appliquer que dans des cas très urgents, et en aucune façon à des enfants en situation de handicap. Le dialogue est engagé avec les départements. Je suis consciente des problèmes de recrutement ; pour autant, on ne saurait se satisfaire d'une situation dans laquelle les enfants ne seraient ni accompagnés ni protégés. Je suis très mobilisée sur ce dossier, en lien avec les présidents de département. J'entends votre alerte : le décret à venir permettra d'affiner nos travaux.
Je souhaite qu'il y ait davantage d'assistants familiaux, car les enfants qu'il convient de protéger sont de plus en plus nombreux. Aujourd'hui, ces professionnels ne peuvent exercer une profession en plus de celle-ci. Pour ma part, je ne vois pas de raison objective justifiant cette interdiction. Nous manquons cruellement de places et de familles d'accueil. Or de nombreuses personnes souhaitent accueillir ces enfants. Il nous faut donc accompagner cet élan, en prévoyant les formations nécessaires.
La mise en oeuvre du fichier national des agréments des assistants familiaux a pris du retard ; je vais m'atteler à régler cette question.
Monsieur le sénateur Khalifé, pour ce qui concerne les jeux Olympiques et Paralympiques et le logement des étudiants pendant cette période, votre intuition était la bonne, mais la ministre des sports et la ministre de l'enseignement supérieur pourront vous donner des réponses plus précises. La réquisition des logements des résidences des Crous a été validée par le Conseil d'État. Ces derniers proposeront aux étudiants une solution de relogement, et ceux-ci percevront une indemnité. Enfin, pour que les Jeux soient un moment populaire et accessible à tous, le monde associatif, les bénévoles et les jeunes bénéficieront d'un certain nombre de places.
J'en viens au secteur de la protection de l'enfance. Des présidents de département vivent des situations de plus en plus difficiles à cause du manque d'attractivité de ces métiers. Les professionnels, qui ne sont pas assez nombreux, sont fatigués. La méthode que je suivrai consistera à accompagner les départements afin d'assurer le respect de l'ensemble de la loi Taquet, à soutenir les professionnels qui proposent des alternatives et à apporter une solution spécifique aux jeunes en situation de double, voire triple, vulnérabilité.
Mon objectif est que ces enfants bénéficient de l'accompagnement nécessaire et que les décisions soient mises en oeuvre dans chaque territoire. C'est pourquoi j'ai reçu le président des Départements de France (DF), François Sauvadet, dès ma prise de fonctions, ainsi que les associations concernées. L'urgence est réelle car, il faut le dire, la protection de l'enfance vit une situation de crise.
Mme Laurence Rossignol. - Vous avez dit que le congé de naissance ne se substituerait ni au congé de maternité ni au congé de paternité - nous le savions -, et que votre philosophie était celle du libre choix ; nous n'en avions jamais douté.
Votre prédécesseur avait fait des annonces plus précises quant à l'objectif de la prestation partagée d'éducation de l'enfant. Qu'en est-il ?
Parmi les 82 propositions de la Ciivise, lesquelles comptez-vous reprendre ? Les acteurs du secteur réclament unanimement le retour du juge Édouard Durand au sein de cette commission. Pourquoi n'y est-il plus ? Où est le blocage ?
L'ancienne secrétaire d'État chargée de l'enfance Charlotte Caubel avait annoncé la fin du pécule versé aux jeunes de l'ASE. Reprenez-vous cette proposition à votre compte ? Que comptez-vous faire pour que le pécule soit versé à tous ceux qui y ont droit, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ?
Il est indispensable de parler avec le président Sauvadet, mais il existe une disparité totale entre les départements, notamment en termes de mise en oeuvre des politiques. La question du versement du pécule se pose ainsi dans certains d'entre eux.
Le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) a demandé un plan Marshall pour la protection de l'enfance. Vous dites que vous accompagnerez les départements pour les aider à renforcer l'attractivité des métiers concernés. Or la majeure partie des décisions dans ce domaine ne relèvent pas de ces collectivités ; nous parlons en effet de diplômes d'État, de refonte des formations, de prérecrutement d'éducateurs : autant de questions qui relèvent de l'État. On laisse trop les départements se débrouiller seuls avec la politique très complexe de la protection de l'enfance, alors même qu'ils n'ont pas les moyens de l'assumer... Il faut piloter cette politique ! Sur ce point, l'attractivité des métiers est déterminante, car il y a trop de roulement de personnel et de sous-qualification.
Quel est le rôle de votre ministère dans la lutte contre l'infertilité, qui est, selon moi, un problème de santé publique ?
Mme Marion Canalès. - On peut regretter que ces sujets, liés à ceux de la santé, de l'éducation nationale, de la justice, de l'enseignement supérieur et des collectivités territoriales, ne soient pas de la responsabilité d'un ministre de plein exercice - ce n'est pas une critique à votre endroit, madame la ministre.
Un plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants avait été annoncé par Élisabeth Borne lors du troisième comité interministériel à l'enfance. À cet égard, le dispositif « Santé protégée » devait être généralisé. Un contact a-t-il été pris avec la Conférence des directeurs généraux de centre hospitalier universitaire (CHU) ? Une expérimentation a lieu au CHU de Nantes, mais l'annonce a été faite qu'il ne restait plus qu'une année pour mettre en oeuvre ce dispositif.
Quels sont vos objectifs en ce qui concerne le programme d'expérimentation Pegase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance) ?
Des jeunes relevant de la politique de protection de l'enfance ont une santé très dégradée et sont surmédicalisés, ce qui représente un coût exorbitant, selon certaines revues scientifiques. Il faudrait se pencher sur ce sujet.
Les agences régionales de santé (ARS) semblent parfois assez peu concernées par la protection de l'enfance, car elles considèrent que cette question relève des départements et des autres services de l'État. Or la santé des enfants, physique ou mentale, est un problème grave. Qu'en est-il des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, annoncées depuis longtemps ?
L'article 35 de la loi Taquet prévoit qu'un rapport nous soit fourni sur les actes des infirmiers en protection maternelle et infantile (PMI) pris en charge par la sécurité sociale. Ce rapport n'est jamais sorti ! Dans certains départements, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) rembourse ces actes, dans d'autres ce n'est pas le cas.
Des « grand-messes » ont eu lieu en présence de votre prédécesseur Charlotte Caubel et de représentants des comités départementaux de la protection de l'enfance (CDPE), et une expérimentation est en cours dans une dizaine de territoires. Mais quid de la mise en oeuvre finale de ce dispositif des CDPE ? Quelle est l'implication des préfets de région dans ces comités ? Tous les acteurs devront se mettre autour de la table.
En ce qui concerne l'exécution des décisions de justice, il arrive souvent que les juges des enfants prennent des décisions d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui ne sont pas appliquées ; il faut alors procéder à une mesure de placement. Or le nombre de places est insuffisant et les familles d'accueil sont vieillissantes.
La loi Taquet prévoyait une disposition visant à favoriser l'accueil par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance. Or ce type d'accueil est en baisse continue depuis 2010.
Mme Borne avait également annoncé des mesures en faveur de la scolarité protégée. Qu'en est-il ?
Mme Chantal Deseyne. - On constate une telle pénurie d'offre de modes de garde pour la petite enfance, que certaines mères de famille renoncent à reprendre un emploi. Quelle politique d'offre met-on en place, avec quel financement ? Le reste à charge pour les familles est relativement élevé...
J'ai commis avec mes collègues Brigitte Devésa et Michelle Meunier voilà dix-huit mois un rapport intitulé Surpoids et obésité, l'autre pandémie. Plus le repérage et le diagnostic sont précoces, meilleure est la prise en charge. Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre ce problème ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Madame la ministre, je me félicite du large périmètre de votre ministère délégué.
Le congé parental d'éducation suscite beaucoup d'intérêt et d'attentes chez ceux des responsables politiques que la chute de la natalité préoccupe et parmi les parents désireux de passer un temps de qualité auprès de leurs jeunes enfants. Le Président de la République avait évoqué une durée de six mois ; pour votre part, vous avez dit dans une interview récente que celle-ci n'était pas véritablement fixée. Quelle que soit cette durée, chaque parent pourra-t-il bénéficier de l'entièreté de ce congé, ou celui-ci sera-t-il partagé ? Dans les familles séparées, le père et la mère pourront-ils tous deux bénéficier du congé ? Si l'un des parents ne souhaite pas bénéficier de la totalité de ce congé, lui sera-t-il possible de le mutualiser avec l'autre parent ?
En tant qu'élue locale, vous connaissez les difficultés liées au continuum de prise en charge. Les attributions de places en crèche s'intègrent souvent dans un cycle de trois ans. Lorsque l'on a manqué une commission d'attribution, il est très difficile de trouver une place...
Se pose en outre le problème du foncier et des maisons d'assistants maternels.
Vos fonctions étant au carrefour de nombreux sujets, il vous faut mener une politique globale. Comment procéderez-vous ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Sur le congé de naissance, les décisions définitives ne sont pas encore prises, car des discussions ont encore lieu - notamment avec les associations familiales. La situation des familles monoparentales est pour moi une priorité, mais il est un peu tôt pour que je vous réponde précisément sur ce point. Je suis à votre disposition pour travailler sur les propositions relatives à la durée de ce congé et à son partage entre les parents.
La question du libre choix est essentielle. Le congé de naissance, dont le modèle serait différent de celui de la PreParE, serait financé par des indemnités journalières. Cela permettra de faire bénéficier les classes moyennes d'un congé de qualité, dont la durée exacte n'est pas décidée. Cette mesure est un progrès, mais elle ne peut avoir de sens que si l'offre de modes de garde est suffisante. Cette conditionnalité est réelle ! Les attributions de places en crèche s'inscrivent dans un calendrier ; j'en ai une expérience toute personnelle. Cette procédure ne cadre ni avec la vie familiale ni avec l'arrivée d'un enfant. Disant cela, je ne mets pas en doute la transparence de l'attribution de places. Il convient aussi d'accompagner les fratries susceptibles de bénéficier d'un mode de garde collectif.
Je souhaite permettre le développement de tous les modes de garde en réduisant les écarts de coût, qui sont un frein pour de nombreuses familles.
La PreParE continuera de constituer une réponse pour les familles qui le souhaitent, mais il nous faut élargir les réponses possibles.
Mme la sénatrice Rossignol a évoqué le plan contre l'infertilité. Ce sujet, qui n'est pas exclusivement médical et touche un couple sur quatre, est encore un tabou dans notre société. Je vous renvoie sur cette question au rapport sur les causes d'infertilité du professeur Samir Hamamah et de Mme Salomé Berliou, qui mentionne la santé environnementale et l'âge de plus en plus tardif de l'arrivée du premier enfant. Il nous faut informer et proposer un accompagnement sociétal pour ne pas laisser les personnes seules face à ce problème. Pourquoi pas un bilan de fertilité à 25 ans, qui ne ferait pas l'objet d'une injonction ?
Madame la sénatrice Deseyne, vous avez raison, le reste à charge est trop important, au point de retarder le retour au travail de certaines femmes. Je tiens aussi à insister sur le problème des disparités salariales lorsque les femmes reprennent un emploi à la suite d'une première maternité. On en revient à la question de l'offre de modes de garde. À cet égard, la revalorisation prévue dans la convention collective des salariés de la petite enfance est une première étape. J'ai la volonté de mobiliser tous les salariés de ce secteur, qu'ils relèvent d'un mode de garde individuel ou collectif. C'est une avancée dans le sens de l'attractivité de ces métiers.
Mon ministère est outillé pour traiter du problème du surpoids et de l'obésité en favorisant la prévention à l'école, mais aussi dans les secteurs périscolaire et extrascolaire. Ce sujet s'inscrit aussi dans le cadre de la politique de soutien à la parentalité, mais il faut trouver des professionnels, surtout en zone rurale. Votre rapport, madame la sénatrice, sera l'un des éléments structurants du plan à venir, qui est l'une de mes priorités.
Madame la sénatrice Canalès, la mise en place du conseil départemental pour la protection de l'enfance est en effet expérimentée dans dix départements, dont je réunirai les représentants afin de dresser un premier bilan.
Mme la sénatrice Rossignol m'a conseillé de ne pas parler au seul président Sauvadet. Je vous rassure ; je travaille avec l'ensemble des présidents de département ! Je me suis rendue en Meurthe-et-Moselle, j'irai demain dans le Maine-et-Loire, puis dans plusieurs départements ruraux, pour prendre connaissance des opportunités présentes pour chaque territoire. Je trouve évident de travailler avec les hommes et les femmes qui accompagnent nos enfants au quotidien.
Mme Corinne Imbert. - En tant qu'élue départementale, le sujet de la protection de l'enfance me tient à coeur. Or, vous l'avez dit, ce secteur traverse une crise. Cette politique doit s'évaluer sur le temps long. Par ailleurs, 25 % à 30 % des enfants qui sont confiés présentent des troubles du comportement ; un grand nombre d'entre eux ont un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Un accompagnement très professionnel leur est donc nécessaire.
Quelle est votre vision des foyers de l'enfance, dont on connaît le rôle d'accueil d'urgence, et qui sont confrontés à un problème de recrutement d'éducateurs ? Quel soutien apporterez-vous aux conseils départementaux de la protection de l'enfance ?
Certains éducateurs spécialisés de la protection de l'enfance, qui sont de très bons professionnels, choisissent le statut d'autoentrepreneur pour proposer leurs prestations. Est-il bon que les enfants changent régulièrement d'accompagnateur ?
Mme Pascale Gruny. - Les enfants sont l'avenir de la France, notre avenir. Nous sommes tous concernés - et notamment l'ensemble du Gouvernement -, mais peu en ont conscience. Nous vous assurons donc de notre soutien.
Rapporteur du projet de loi pour le plein emploi, en 2023, et du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, en 2018, j'ai entendu bien des promesses. Une ordonnance relative aux services aux familles a été publiée trois ans après la première habilitation législative. Pour les classes moyennes, la crèche coûte très cher. On n'en parle jamais. Et que se passe-t-il lorsque la personne à laquelle on confie son enfant est en arrêt de travail ?
Votre prédécesseur avait commencé à travailler sur la parentalité. Des parents désemparés peuvent négliger l'éducation de leur enfant, qui peut sombrer dans la délinquance.
Les élus des départements des Hauts-de-France, qui font partie des dix départements les plus pauvres de France, vous ont écrit le 5 mars dernier pour vous demander de venir discuter avec eux de l'ASE, dont les dépenses sont, chez nous, en train de rattraper celui du RSA. Nous ne savons plus comment faire...
Mme Nadia Sollogoub. - Dans mon territoire très rural de la Nièvre, les élus savent que l'offre de modes de garde de qualité est un levier important pour attirer de nouveaux habitants. Les élus construisent donc des crèches. Mais il y a un problème d'articulation entre l'éducation nationale et la CAF au moment de l'élaboration de la carte scolaire. J'en veux pour preuve la situation de la commune nivernaise de Saint-Parize-le-Châtel, dont la crèche est pleine mais où l'on ferme une classe. Je sais bien qu'il ne faut pas mélanger école et structure de garde, mais que peuvent faire concrètement les familles et les maires ? Faudrait-il compter les élèves préscolarisés dans les effectifs de l'école ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je partage vos propos, madame la ministre. Comme le disait Mme Gruny, le sujet de l'enfant concerne tous les membres du Gouvernement, ainsi que l'ensemble des Françaises et des Français : l'enfant est l'avenir de l'homme, de la femme et de la famille.
J'ai récemment rencontré le nouveau directeur départemental de la police nationale de mon département. Selon ses dires, il y a dans les commissariats du Pas-de-Calais 2 500 dossiers de violences familiales non traités, dont à peu près 1 000 concernent de jeunes enfants. Ces dossiers devraient être prioritaires.
La reconnaissance des métiers de la protection de l'enfance est essentielle. Dans le Pas-de-Calais, environ 7 000 enfants sont confiés à l'ASE. Or on ne trouve plus d'assistants familiaux ! Nous affichons des annonces un peu partout pour en recruter.
Le métier d'assistant familial n'est pas assez valorisé. Dans les départements, seuls ces professionnels n'ont pas le statut de fonctionnaire ; ils se sentent donc un peu à l'écart. Nous devons travailler sur la reconnaissance et la revalorisation de tous ces métiers.
Madame la ministre, j'espère que nous pourrons nous rencontrer dans mon département.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - J'ai bien reçu l'invitation des élus des Hauts-de-France et je vais m'y rendre.
Madame Apourceau-Poly, je partage votre plaidoyer en faveur des assistants familiaux. Il faut assouplir les conditions d'accès à cette profession et la reconnaître. Cette reconnaissance était d'ailleurs prévue dans la loi Taquet, au travers de ses dispositions relatives au statut et à l'attribution du Smic dès le premier enfant gardé. La question de l'attractivité de ces métiers est importante, de même que celles de la place de ces professionnels au sein des équipes pédagogiques et de leurs relations avec les PMI. C'est l'un des chantiers auxquels je m'attellerai.
La question du répit se pose aussi pour les assistants familiaux.
Mme Élisabeth Doineau. - Un décret est-il sorti pour préciser le droit au repos mensuel ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Je vérifierai.
La question de la coordination entre l'éducation nationale et les CAF concerne tous les territoires. Le comité départemental des services aux familles (CDSF) peut être un lieu de discussion, puisque le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) y siège et que la CAF le préside ; ils doivent donc pouvoir se coordonner. Visiblement, il y a eu un problème dans votre département de la Nièvre, Mme la sénatrice.
Les foyers de l'enfance sont des dispositifs clefs, tout à fait nécessaires, car ils apportent des réponses à des jeunes qui ont des besoins spécifiques ; il s'agit désormais d'accompagner davantage ces jeunes. L'objectif est de renforcer l'attractivité de ces métiers. Certains éducateurs sont prêts à accompagner des enfants en situation de double, voire triple, vulnérabilité, et d'autres non.
Les éducateurs qui choisissent le statut d'auto-entrepreneur deviennent prestataires de service. Cette situation n'est pas idéale pour les enfants. Ce sujet a été évoqué avec les représentants des départements.
Sept sujets ont été identifiés, sur lesquels les présidents ou les vice-présidents de département travailleront, en lien avec les services de l'État : l'attractivité des métiers et la fidélisation des professionnels ; les mesures de prévention et d'alternative au placement, question liée à celle de l'accueil des enfants par un tiers digne de confiance ou leur entourage ; la sécurisation de la qualité des placements par le renforcement des parcours sans rupture ; l'accès aux droits des enfants de l'ASE et le projet d'autonomie - à cet égard, je précise à Mme Rossignol que nous ne touchons pas à leur pécule, mais que nous voulons nous assurer qu'ils disposent d'un compte bancaire sur lequel le verser - ; les mineurs non accompagnés ; le renforcement de la gouvernance ; l'accompagnement des jeunes majeurs de 18 à 21 ans.
Je n'oublie pas non plus que la solidarité familiale est précieuse lorsqu'il s'agit de faire garder son enfant ; elle m'a permis de m'entretenir avec vous aujourd'hui !
M. le président. - Un rapport de la Cour des comptes portant sur l'accueil du jeune enfant nous sera présenté en juin prochain. Ce sera pour nous l'occasion de revenir sur certains de ces sujets.
Nous vous remercions, madame la ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 10.