Jeudi 14 mars 2024

- Présidence de Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Institutions européennes - Première partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) du 22 au 26 janvier 2024 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous allons ce matin évoquer des activités importantes menées par nos collègues hors du Sénat, mais qui intéressent très directement notre commission : que ce soit à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) ou au Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'EUROPOL.

Je vous propose de commencer en écoutant une communication de notre collègue Alain Milon, premier vice-président de la délégation française à l'APCE. J'en salue les membres ici présents. Nous n'avons pas eu l'occasion de vous entendre depuis le renouvellement sénatorial d'octobre dernier : il était temps pour notre commission d'avoir des échos des travaux menés à l'APCE, qui nous permettent d'élargir notre regard au-delà des frontières de la seule Union européenne et d'appréhender sous un autre angle les évolutions de la situation sur le continent européen. Le Président Larcher lui-même a pu bénéficier de cette ouverture en recevant la semaine dernière en entretien le Président de l'APCE. Cher collègue, je vous cède la parole.

M. Alain Milon, premier vice-président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. - Merci, Monsieur le Président. Je suis heureux de venir devant votre commission présenter les derniers développements des travaux et débats menés à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Je veux tout d'abord relever qu'à la suite des dernières élections sénatoriales, la moitié des sénateurs membres de la délégation ont été renouvelés. Nous avons notamment perdu des figures qui étaient très investies à l'APCE, comme Bernard Fournier, André Gattolin, André Vallini, François Calvet ou encore Jacques Le Nay. Le groupe LR dispose désormais de quatre sièges, contre six auparavant. Le groupe CRCE-Kanaky a ainsi fait son entrée à l'APCE à l'occasion de ce renouvellement sénatorial. Les titulaires actuels, outre moi-même, sont Alain Cadec, Didier Marie, Claude Kern, Olivier Bitz et Michelle Gréaume. Les six membres suppléants sont Sylvie Goy-Chavent, Christian Klinger, Christophe Chaillou, François Bonneau, Nicole Duranton et Silvana Silvani.

Je voudrais maintenant évoquer quelques enjeux que nous avons abordés au cours de la première partie de session du mois de janvier ou au cours de la commission permanente qui s'est tenue la semaine dernière au Sénat, et qui seront également d'actualité dans les prochains mois.

Mon premier point concerne les élections de personnalités. Je n'évoquerai pas spécifiquement les élections des juges à la Cour européenne des droits de l'homme, mais plutôt les postes de Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et de Secrétaire général du Conseil de l'Europe, qui ont donné ou donnent lieu à d'intenses campagnes.

M. Michael O'Flaherty, ancien directeur de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été élu par l'APCE Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe lors de la session de janvier. Au mois de juin, nous serons appelés à élire le futur Secrétaire général de l'Organisation, poste pour lequel trois candidatures ont été enregistrées : celle d'un ancien parlementaire et ministre estonien, M. Indrek Saar ; celle de l'ancien Président de la Confédération helvétique, M. Alain Berset, et celle de l'actuel commissaire européen à la Justice, M. Didier Reynders, qui s'était déjà porté candidat il y a cinq ans et avait alors été battu.

Les deux premiers mènent activement campagne, alors que Didier Reynders se fait discret pour le moment. Dans une organisation dont le périmètre géographique excède celui de l'Union européenne, le fait d'avoir élu un membre sortant d'une agence de l'Union européenne au poste de Commissaire aux droits de l'homme pourrait jouer en défaveur de M. Reynders et bénéficier au candidat suisse, par ailleurs fort habile. Mais la campagne est encore longue !

Par ailleurs, l'APCE a élu un nouveau président, dans le cadre d'un tourniquet entre les groupes politiques. Le Grec Theodoros Rousopoulos, appartenant au groupe PPE, a ainsi été élu pour un mandat d'un an renouvelable une fois. Par ailleurs, s'agissant de la délégation française, le président de la délégation, le député Bertrand Bouyx, a été élu président de la commission des questions politiques et de la démocratie. Notre collègue Claude Kern, qui présidait jusqu'alors la sous-commission sur les conflits concernant les États membres du Conseil de l'Europe, a été élu deuxième vice-président de la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe, dite commission de suivi.

Je voudrais maintenant évoquer plus avant quelques sujets de fond, sans naturellement être exhaustif.

Le premier sujet concerne l'Azerbaïdjan. La session de janvier a en effet été marquée par la contestation des pouvoirs de la délégation de l'Azerbaïdjan. Après examen par les commissions de suivi et du Règlement, l'APCE a décidé de ne pas ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise, estimant que le pays n'avait pas rempli les « engagements majeurs » découlant de son adhésion au Conseil de l'Europe il y a 20 ans. La participation de la délégation de l'Azerbaïdjan aux travaux de l'APCE est ainsi suspendue. Elle pourra reprendre ses activités au sein de l'Assemblée lorsque les conditions prévues par le Règlement seront réunies. Cette décision ne remet toutefois pas en cause la participation aux travaux du Comité des Ministres de l'Azerbaïdjan, qui reste membre à part entière du Conseil de l'Europe.

Nos collègues Claude Kern, en tant que vice-président de la commission de suivi, et François Bonneau sont intervenus dans le débat sur la contestation des pouvoirs pour soutenir la position finalement adoptée par l'APCE. Je rappelle à cet égard que le Bureau du Sénat a adopté une position très ferme, le 14 décembre dernier, en restreignant l'activité du groupe interparlementaire d'amitié France-Azerbaïdjan aux seules auditions de chercheurs, de journalistes ou d'opposants, les relations avec les ambassades, les homologues parlementaires et les autorités de ce pays étant gelées. La décision prise par l'APCE va ainsi dans le sens de l'orientation prise par le Bureau du Sénat.

Au-delà du non-respect des engagements pris par l'Azerbaïdjan depuis 20 ans, la réaction forte de l'APCE fait suite à une vexation infligée par le Président Aliev, qui n'a pas convié l'APCE à participer à l'observation des dernières élections, contrairement à l'OSCE. Traditionnellement, les deux organisations travaillent étroitement ensemble sur ces dossiers. Cette vexation a été perçue comme une nouvelle marque de raidissement du régime et une tentative de déstabilisation de l'APCE, dont les rapporteurs n'ont pas non plus été autorisés à rencontrer un certain nombre de prisonniers à caractère politique ou, pour d'autres, à entrer dans le pays.

Cette décision a évidemment une forte portée symbolique et nous verrons comment les autorités azerbaïdjanaises réagiront. Elle interroge néanmoins sur la dynamique institutionnelle du Conseil de l'Europe, alors que cette Organisation fêtera cette année son 75ème anniversaire. Le Conseil de l'Europe, qui a de fait perdu sa vocation pan-européenne, a vécu l'exclusion de la Russie en mars 2022 comme une crise existentielle.

On observe par ailleurs une montée des tensions entre plusieurs États membres. Je pense évidemment à l'Arménie et à l'Azerbaïdjan, mais aussi à la Grèce et à la Turquie, ou encore à la Serbie et au Kosovo, sans parler des tensions internes observées en Géorgie ou en Moldavie. On constate également une remise en cause des valeurs du Conseil de l'Europe dans un certain nombre d'États.

Ces circonstances avaient conduit l'Organisation à convoquer, les 16 et 17 mai 2023, un sommet des chefs d'État ou de gouvernement, le quatrième de ce type seulement depuis sa création. Les différentes instances du Conseil de l'Europe espéraient que ce sommet permettrait de réaffirmer son rôle central en tant qu'organisation chargée de promouvoir et de défendre les droits de l'Homme, la démocratie et le respect de l'État de droit. En apparence, ce fut le cas. Les chefs d'État ou de gouvernement ont alors décidé d'établir un registre des dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, sous forme d'un accord partiel élargi du Conseil de l'Europe. Dans une déclaration intitulée « Unis autour de nos valeurs », ils sont également convenus de renforcer le Conseil de l'Europe et son action, en soulignant en particulier le rôle important de la Cour européenne des droits de l'homme et la nécessité de respecter ses arrêts. Ils ont en outre esquissé la perspective d'élaborer des outils juridiques pour relever les nouveaux défis, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies et de l'environnement.

En réalité, les facteurs de division au sein du Conseil de l'Europe semblent aller croissant. La suspension des droits de la délégation parlementaire de l'Azerbaïdjan l'illustre de manière flagrante, mais ce n'est évidemment pas le seul cas problématique. La Turquie, qui refuse avec force d'appliquer certains arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et qui s'est retirée de la Convention d'Istanbul, est un autre cas problématique pour le Conseil. La situation dans les Balkans apparaît également explosive.

Même dans les « grandes démocraties », le modèle du Conseil de l'Europe est source de tensions politiques, comme c'est le cas au Royaume-Uni à travers le projet de loi sur l'immigration défendu par le Premier ministre Rishi Sunak, visant à permettre le transfert de migrants au Rwanda - défini comme un pays tiers sûr - pour l'examen de leur demande d'asile. Le rôle et la place de la Cour européenne des droits de l'homme sont également contestés par le gouvernement britannique, une partie de l'aile droite du parti conservateur prônant une sortie pure et simple de la Convention européenne des droits de l'homme, et donc, ce faisant, du Conseil de l'Europe. Je ne m'appesantirai pas sur les débats que nous pouvons également avoir périodiquement en France concernant certains arrêts sensibles de la Cour européenne des droits de l'Homme : je sais que vous avez mené un travail important avec la commission des lois sur ces questions. Au total, les fractures internes à l'Europe et le recul de « l'esprit multilatéral » mettent cette organisation sous forte tension.

La question des valeurs a également été au coeur d'un débat particulièrement vif sur la situation au Proche-Orient, auquel des parlementaires israéliens et palestiniens ont participé. Je rappelle en effet qu'Israël a un statut d'Observateur, tandis que la Palestine a un statut de partenaire pour la démocratie. Tout en condamnant sans équivoque et avec la plus grande fermeté l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 et en affirmant le droit d'Israël à la légitime défense, l'APCE a appelé à un cessez-le-feu permanent et à la reprise des efforts en vue d'une solution politique, « à condition que tous les otages bénéficient d'une libération immédiate et inconditionnelle » et « que l'organisation terroriste Hamas soit démantelée ». Elle a également demandé un accès rapide, sûr et sans entrave à l'aide humanitaire pour la population de Gaza.

L'APCE reste par ailleurs bien évidemment très mobilisée sur le soutien à l'Ukraine et sur la liaison avec les oppositions en Russie et en Biélorussie. Ce fut le cas en janvier avec la participation de Mme Tsikhanouskaya à nos débats, tout comme lors de la commission permanente qui s'est tenue au Sénat au travers d'un débat sur la mort d'Alexeï Navalny et sur le bilan de deux ans de guerre en Ukraine. Je n'insiste pas sur ce point car c'est récurrent. J'aurai l'occasion d'en reparler lors de prochaines communications.

Je voudrais en revanche insister sur un point important concernant le Kosovo. La délégation française a reçu pour la deuxième fois le Président de l'Assemblée du Kosovo, après avoir également reçu la vice-Première ministre. L'Assemblée parlementaire a été saisie par le Comité des Ministres, le 24 avril 2023, d'une demande d'avis concernant la demande d'adhésion au Conseil de l'Europe présentée par le Kosovo en mai 2022.

Le Kosovo est aujourd'hui reconnu par 34 des 46 États membres du Conseil de l'Europe. Il espère obtenir le vote favorable de deux-tiers des États membres lors d'une session ministérielle du Comité des ministres, soit à Strasbourg en mai 2024, ce qui suppose l'adoption d'un avis de l'APCE au mois d'avril prochain, soit à Luxembourg en mai 2025.

L'APCE a désigné un rapporteur principal, en l'occurrence la présidente de la délégation grecque et ancienne ministre des affaires étrangères du pays, Dora Bakoyannis. Une note d'information a été examinée la semaine dernière en commission des questions politiques. Je laisserai notre collègue Claude Kern, qui a pu y assister, développer ce point s'il le souhaite.

Pour être adopté par l'Assemblée, l'avis devra recueillir la majorité des deux tiers des suffrages exprimés. Il sera ensuite transmis au Comité des Ministres et comprendra une recommandation sur l'opportunité ou non d'inviter le pays candidat à adhérer à l'Organisation et, dans l'affirmative, énoncera une liste d'engagements et d'obligations. L'avis rendu par l'Assemblée est consultatif, la décision finale concernant toute demande d'adhésion étant prise par le Comité des Ministres. Si la décision est adoptée par le Comité des Ministres réuni au niveau des Délégués des Ministres, un vote pris à l'unanimité est requis. Cela apparaît impossible du fait de la position de la Serbie. Si la décision est adoptée par les ministres, un vote à la majorité des deux tiers est en principe suffisant.

Dans l'histoire du Conseil de l'Europe, les décisions relatives à l'admission de nouveaux membres ont toujours été prises au niveau des délégués, à l'exception de celles concernant l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui ont été prises par les ministres par consensus.

Le dossier reste très sensible pour plusieurs États membres qui n'ont pas reconnu le Kosovo, comme l'Espagne ou l'Ukraine. Mais l'enjeu est surtout de taille pour la Serbie, dont le Président a tenu des propos très durs à l'encontre du Kosovo au cours des derniers mois. L'accord de Bruxelles du 27 février 2023 prévoit un principe de non-objection à l'adhésion du Kosovo à une quelconque organisation internationale. Mais le Statut du Conseil de l'Europe s'applique uniquement aux « États », ce qui constituerait une étape significative dans la reconnaissance internationale du Kosovo. La Serbie n'hésite pas à agiter régulièrement le spectre d'une sortie de plusieurs conventions ou accords partiels élargis en cas d'adhésion précipitée du Kosovo au Conseil de l'Europe.

La probabilité d'un report de l'adhésion du Kosovo au printemps 2025 apparaît ainsi élevée, a fortiori si les autorités kosovares ne prennent pas de décision rapide sur trois questions-clés : la création de l'association des municipalités à majorité serbe du Kosovo, la mise en oeuvre de l'arrêt de la Cour constitutionnelle sur le monastère de Visoki/Deèani et le respect des garanties juridiques élémentaires en matière d'expropriation. En tout état de cause, l'APCE formulera très certainement des conditions qui devront être remplies en vue d'une adhésion à l'Organisation.

Lors du dernier échange que nous avons eu avec lui, le Président de l'Assemblée du Kosovo a essayé de démontrer tous les efforts déjà accomplis et a souvent mis en avant la séparation des pouvoirs, le respect des procédures judiciaires en cours et le respect de la décentralisation pour expliquer que le gouvernement du Kosovo n'avait pas forcément la possibilité d'agir. Il a aussi mis en cause la Serbie concernant la dégradation de la situation sécuritaire dans le Nord.

J'observe néanmoins avec satisfaction que la pression mise par l'APCE au travers de ce processus d'adhésion fait bouger les lignes. Le gouvernement du Kosovo a en effet annoncé hier qu'il reconnaissait les droits de propriété du monastère orthodoxe de Decani sur 24 hectares de terres l'entourant, soldant ainsi une dispute vieille de plus de 20 ans, pour permettre l'entrée au Conseil de l'Europe. De même, un référendum sera organisé le 21 avril en vue de la révocation de quatre maires albanais, élus l'an dernier dans des villes à majorité serbe du nord du Kosovo. C'est un élément important sur la voie de la désescalade des tensions avec la Serbie.

Voilà très brièvement, Monsieur le Président, chers collègues, quelques points que je souhaitais évoquer avec vous ce matin.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cet éclairage toujours utile. Mes chers collègues, avez-vous des questions ou des remarques ?

Mme Michelle Gréaume. - Lors d'un récent déplacement dans les Balkans occidentaux effectué l'an dernier avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j'ai pu également mesurer l'ampleur des tensions entre la Serbie et le Kosovo. Au-delà de l'éventuelle adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe, cette situation m'apparaît d'autant plus importante à signaler qu'elle peut avoir un impact sur la stabilité de la région. Je rappelle également que la Serbie, qui revendique une position d'équilibre entre l'Union européenne et la Russie, est elle-même candidate pour adhérer à l'Union européenne. C'est donc un sujet dont les implications dépassent le seul Conseil de l'Europe.

M. Jean-François Rapin, président. - Ces tensions apparaissent aussi lors des réunions avec nos homologues à la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union (COSAC), à laquelle la Serbie participe avec un statut d'observateur. Il faudra probablement plusieurs générations pour parvenir à les surmonter.

M. Alain Milon. - Lors d'une réunion de la commission des questions politiques et de la démocratie de l'APCE, qui se tenait en Crète, les tensions étaient telles que parlementaires serbes et kosovars ont failli en venir aux mains. C'est une députée kosovare qui est parvenue à ramener le calme, pour un temps, en racontant les atrocités commises à l'encontre de sa famille et en appelant à la paix.

Justice et affaires intérieures - Réunion du Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol des 17 et 18 février 2024 à Gand (Belgique) - Communication

M. Jean-François Rapin. - Nous allons maintenant revenir sur la récente réunion du Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol qui s'est tenue il y a trois semaines à Gand - nous sommes en effet sous présidence belge - et à laquelle notre collègue Audrey Linkenheld a participé au nom du Sénat. Ce groupe réunit des parlementaires de tous les États membres de l'Union européenne et il a pour objet d'assurer le contrôle de l'agence Europol, agence de l'Union créée il y a 25 ans pour faciliter l'échange de renseignements entre polices nationales, que ce soit en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale ou de pédocriminalité au sein de l'Union européenne. Ce contrôle parlementaire sur les agences de l'Union européenne est fondamental, aussi je remercie Audrey Linkenheld d'avoir assuré la représentation du Sénat français à cette réunion et de bien vouloir nous tenir aujourd'hui informés de l'évolution d'EUROPOL.

Mme Audrey Linkenheld. - Je voudrais vous présenter le compte-rendu de la réunion du Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, qui s'est tenue à Gand le 19 février dernier, où j'ai représenté le Sénat, aux côtés des députées françaises Liliana Tanguy et Marietta Karamanli.

Je rappellerai d'abord qu'Europol est un office européen de police créée en 1998 et qui a son siège à La Haye. Europol n'est pas une sorte de « FBI européen » et ne dispose pas de pouvoirs propres d'enquête. Il s'agit, plus modestement, d'un organisme chargé d'apporter un appui aux enquêtes des services répressifs des États membres, en permettant notamment des échanges d'informations sur les formes graves de criminalité transnationale, comme le terrorisme, le trafic de drogue ou encore la cybercriminalité. L'office européen de police est surtout un « méga-moteur de recherche » qui collecte des millions de données.

Par l'échange d'informations, l'analyse du renseignement et l'expertise, Europol contribue chaque année à plus de 18 000 enquêtes transfrontalières. Son effectif est d'environ 1000 personnes et son budget de l'ordre de 200 millions d'euros par an.

Doté du statut d'agence européenne, Europol est dirigé par un conseil d'administration, composé des représentants des États membres, et par un directeur exécutif, nommé par le Conseil des ministres de l'intérieur. Depuis 2017, la directrice exécutive est Mme Catherine de Boll, ancienne commissaire de police belge. Elle est secondée depuis 2021 par un français, le général de gendarmerie Jean-Philippe Le Couffe.

Un Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol a été prévu par le traité de Lisbonne. Il vise à exercer un contrôle démocratique sur l'office européen de police, en faisant intervenir à la fois des députés européens membres de la commission « Libé » du Parlement européen et des représentants des Parlements nationaux. En effet, la coopération policière opérationnelle relève des prérogatives régaliennes des États membres. Les Parlements nationaux ont donc un rôle essentiel à jouer pour assurer un contrôle sur les activités d'Europol. Au sein du groupe, chaque parlement national est représenté par quatre membres (deux membres pour chaque assemblée dans le cas des Parlements bicaméraux) et le Parlement européen par seize députés.

Ce groupe de contrôle parlementaire se réunit deux fois par an. Il est co-présidé par le Parlement européen et le Parlement de l'État qui exerce la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, actuellement la Belgique.

Il dispose de droits à l'information assez étendus qui découlent du règlement qui a institué Europol et qui a été mis en oeuvre dans son règlement intérieur : droit d'auditionner le président du conseil d'administration, la directrice exécutive et le contrôleur européen de la protection des données ; droit d'accéder à certains documents ; droit de chaque parlementaire de poser des questions à Europol ; participation d'un membre du groupe au conseil d'administration de l'agence.

Lors de sa dernière réunion, qui s'est tenue à Gand, sous présidence belge du Conseil, le Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol a approuvé un amendement à son règlement intérieur visant à créer un Forum consultatif sur les droits fondamentaux. Il s'agit d'une revendication ancienne, notamment du Parlement européen. La composition et le statut de ce forum consultatif seront décidés ultérieurement.

La première session a été consacrée à une présentation, par la directrice exécutive Mme Catherine de Bolle, de l'activité d'Europol, suivie par un échange avec les députés européens et les parlementaires nationaux. La directrice d'Europol a souligné en particulier l'action d'Europol en matière de lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de drogue et la cybercriminalité, qui est en forte augmentation dans l'Union européenne. Concernant les relations extérieures, la priorité est la coopération avec le voisinage de l'Union, notamment le Royaume-Uni, les pays des Balkans, l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Le respect des droits fondamentaux et la protection des données à caractère personnel restent des priorités pour Europol, sous le contrôle du contrôleur européen de la protection des données, qui était présent à Gand.

La deuxième session a été consacrée aux enjeux soulevés par l'utilisation des nouvelles technologies, notamment l'intelligence artificielle, et l'importance de donner aux services répressifs des États membres les moyens de pouvoir agir dans l'environnement numérique. Pour l'ensemble des participants, il est important de débattre au niveau politique de ces questions qui concernent directement les droits fondamentaux. Ainsi, la question de l'utilisation de l'intelligence artificielle par les services répressifs, et son contrôle, ont été au centre des débats.

La troisième et la quatrième session ont été, à mes yeux, les plus intéressantes car elles ont été les plus concrètes. En effet, la troisième session a été consacrée à la lutte contre les organisations criminelles, la traite des êtres humains et le trafic de drogue et la quatrième à la criminalité financière et économique. Il est ressorti des présentations le constat d'une augmentation inquiétante de ces formes graves de criminalité, et une augmentation de la corruption et du blanchiment d'argent, qui gangrènent progressivement l'économie. Cela conforte la position qu'a récemment prise notre commission plaidant pour une détermination accrue au niveau européen dans la lutte contre la corruption et invitant à aller plus loin que ne le propose la Commission européenne.

Le trafic de stupéfiants est ainsi en forte augmentation au sein de l'Union européenne, qui est à la fois un continent consommateur, importateur mais aussi producteur de drogues de synthèse. Le trafic est contrôlé par de véritables organisations criminelles, et l'on constate une augmentation de la violence, y compris à l'égard des forces de l'ordre, de la part des trafiquants.

Le trafic d'armes, y compris des armes de guerre, en provenance des pays des Balkans ou d'Ukraine, est aussi une source majeure de préoccupation, tant en ce qui concerne la menace terroriste que la criminalité organisée.

Lors de la réunion, il a été indiqué qu'environ 440 000 armes avaient été volées ou perdues depuis deux ans en Ukraine.

On peut aussi mentionner le recours aux imprimantes 3D pour la fabrication d'armes.

Parallèlement, on constate une augmentation très inquiétante de l'usage des armes, y compris des armes de guerre, par des délinquants, souvent de plus en plus jeunes, en particulier lors de règlements de comptes dans le cadre de trafic de stupéfiants.

Enfin, la cybercriminalité, qu'il s'agisse de la fraude sur Internet ou de la pédopornographie, est en pleine explosion et ne connaît pas de frontières, à la différence des services répressifs des États membres.

Les échanges ont porté sur les moyens dont disposent les services de police ou de gendarmerie pour lutter contre ces formes de criminalité, et l'utilisation d'outils comme le gel et la confiscation des avoirs criminels en Europe. Des exemples concrets d'opérations communes d'enquêtes menées grâce à l'appui d'Europol ont été présentés lors de la réunion.

Ainsi, une opération, baptisée « LOTUS », menée dans plusieurs pays européens en 2022 et 2023, a mis en lumière un vaste réseau criminel de traite des êtres humains, à des fins d'exploitation sexuelle ou de travail, dirigé par une organisation criminelle chinoise. Les gains étaient estimés à 10 millions d'euros par an. 38 suspects ont été arrêtés. Une autre opération, baptisée « MOBILE », a permis de démanteler un réseau criminel originaire des Balkans, utilisant des mineurs âgés de 5 à 17 ans, qui se livraient à des vols et à de la prostitution en Allemagne, en Autriche et en France.

Au cours de la réunion, tant la directrice exécutive d'Europol que les parlementaires ont insisté sur la nécessité d'augmenter les effectifs et les moyens d'Europol pour lui permettre de remplir efficacement ses missions, dans un contexte d'extension de ses tâches et d'une hausse de la criminalité organisée.

Voilà en quelques mots ce que je retiens de la réunion sur Europol et je suis naturellement disposée à répondre à vos questions éventuelles.

M. Jean-François Rapin. - Je vous remercie pour ce compte rendu, qui met en lumière l'importance de la coopération européenne pour lutter contre les formes graves de criminalité transnationale. Au-delà de la coopération entre les services répressifs, on peut s'interroger sur les suites judiciaires qui sont données aux enquêtes réalisées dans différents pays européens avec l'appui d'Europol. Face à des formes graves de criminalité et aux organisations criminelles qui ignorent les frontières nationales, les différences entre les systèmes judiciaires des vingt-sept États membres ne constituent-elles pas un obstacle à une lutte efficace contre ces formes graves de criminalité transnationale ? Qu'en est-il à cet égard de la création du Parquet européen et de ses conséquences sur les enquêtes d'Europol ?

Mme Audrey Linkenheld. - Les frontières nationales sont ignorées par les organisations criminelles mais elles existent toujours pour les policiers et les magistrats. Une lutte efficace contre la criminalité transnationale suppose donc une coopération étroite entre les services répressifs, mais aussi pour les poursuites judiciaires, qui continuent de relever de la compétence des autorités judiciaires nationales. En effet, cela ne sert à rien de réaliser une « belle enquête » si elle ne débouche pas ensuite sur des poursuites judiciaires et la condamnation des criminels ! Cela soulève donc la question de l'harmonisation des règles pénales et de procédure pénale et de la coopération judiciaire entre les différents parquets. À cet égard, l'unité de coopération judiciaire Eurojust peut apporter un soutien pour faciliter la coopération judiciaire. La compétence du Parquet européen est, quant à elle, limitée jusqu'à présent à la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne mais il a été proposé d'élargir son mandat, notamment pour lutter contre les crimes environnementaux.

M. Olivier Henno. - Comme vous le soulignez, l'efficacité d'Europol et des enquêtes dépendent en réalité de l'attitude des différents services d'enquête des États membres, qui restent compétents pour conduire les enquêtes et qui peuvent se montrer plus ou moins coopératifs avec leurs homologues. Je voudrais donc savoir s'il existe des données au niveau européen sur le degré de coopération des différents États membres en matière d'enquête et si tous les pays européens sont ouverts à une coopération européenne.

M. Jacques Fernique. - Ma question rejoint celle de notre collègue. Comme vous le soulignez, la conduite des enquêtes continue actuellement de relever des prérogatives des États membres et Europol ne fait qu'apporter un appui. Mais face à l'augmentation des formes graves de criminalité organisée transnationale au sein de l'Union européenne, ne faudrait-il pas envisager d'aller plus loin et de donner plus de prérogatives à Europol ?

Mme Michelle Gréaume. - Je suis préoccupée par les profits générés par les formes graves de criminalité et le blanchiment d'argent qui gangrènent peu à peu l'économie réelle. Quelles sont les mesures prises par l'Union européenne pour lutter contre ce fléau et comment renforcer la coopération entre les différents services fiscaux des États membres ?

Mme Audrey Linkenheld. - L'efficacité de la coopération policière et judiciaire reste effectivement dépendante de l'attitude des différents services de police ou de justice des États membres, qui reste variable selon les pays. À cet égard, le principal enjeu est la confiance entre les différents services des États membres. Cela soulève aussi la question de la coopération avec les pays tiers et celle de l'élargissement de l'Union européenne qui implique le respect des critères d'adhésion par les pays candidats, notamment en matière de lutte contre la corruption et de respect de l'État de droit.

L'Union européenne a décidé de créer une nouvelle agence européenne de lutte contre le blanchiment d'argent précisément pour renforcer la coopération dans ce domaine. Paris était d'ailleurs candidate pour accueillir le siège de cette agence, mais les États membres ont finalement décidé que son siège sera situé à Francfort, ce que l'on peut regretter.

M. Jean-François Rapin. - Je vous remercie pour ces échanges très intéressants. Nous aurons certainement l'occasion de revenir prochainement sur les enjeux de sécurité intérieure au niveau européen, qui intéressent directement les citoyens européens.

La réunion est close à 09 h 20