Jeudi 21 mars 2024
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
7e édition de la Journée des entreprises
M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux Entreprises. - Monsieur le Président du Sénat, chers collègues Sénatrices et Sénateurs, Mesdames et Messieurs, c'est un immense plaisir de vous accueillir au Sénat et à la 7e édition de la Journée des entreprises.
L'année 2024 marque le 10e anniversaire de notre délégation. En proposant sa création, Monsieur le Président du Sénat, vous aviez perçu de façon très juste la nécessité de compléter le travail des commissions thématiques par la création d'un interlocuteur dédié, à même d'appréhender dans leur globalité les problématiques des entreprises. Instance unique - elle n'a pas d'équivalent à l'Assemblée nationale - notre délégation a donc pour particularité d'étudier les sujets de façon transversale.
Visiter les entreprises de tous les territoires et être à l'écoute des attentes des chefs d'entreprise : c'est là l'ADN de notre délégation. Je souhaite rendre hommage à mes prédécesseurs, les présidents Élisabeth Lamure et Serge Babary, présents aujourd'hui, qui ont travaillé sans relâche pour sensibiliser l'ensemble des sénatrices et des sénateurs mais aussi pour alerter les gouvernements et les administrations successives sur les défis et les besoins des entreprises. Je salue aussi tous nos collègues qui se sont impliqués en étant rapporteurs des nombreuses missions d'information conduites par notre délégation.
Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, vous êtes plus de 200 à être présents ce matin et vous représentez 58 départements français. Votre présence témoigne de l'intérêt de notre démarche et de l'importance du dialogue que nous tissons. Je souhaite remercier les organisations avec lesquelles nous échangeons de façon continue, en particulier le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l'Union des entreprises de proximité (U2P), et bien évidemment les chambres consulaires, par le biais de CCI France et de CMA France.
Le 10e anniversaire de notre délégation est l'occasion de dresser le bilan de notre action et de s'interroger sur les objectifs que nous devons nous fixer pour les 10 années à venir. J'ai proposé à mes collègues de la délégation d'adopter comme fil conducteur le thème de la simplification. C'est d'ailleurs le sujet qui nous réunit aujourd'hui et nous aurons l'occasion d'en débattre au cours de deux tables rondes.
La première portera sur la simplification de la mise en oeuvre de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), et la seconde sur la simplification de l'accès des entreprises au foncier économique. La simplification était au coeur des débats en séance publique il y a à peine deux jours puisque le Sénat a examiné la proposition de loi que j'ai récemment déposée. Ce texte vise à créer une instance indépendante, composée entre autres de chefs d'entreprise, chargée de réaliser des « tests PME » qui évalueront l'impact des mesures législatives et réglementaires avant même leur adoption. Je me félicite que cette proposition de loi, qui sera je l'espère adoptée mardi prochain, soit transpartisane : c'est la force de notre délégation. Nous avons la capacité à travailler collectivement pour défendre l'intérêt général économique de notre pays.
Le choix du thème de la simplification n'est pas un effet de mode, c'est une conviction si profondément ancrée au Sénat qu'elle figure dans les missions statutaires de la délégation aux Entreprises depuis sa création en 2014. Vous aurez remarqué que l'agenda gouvernemental nous rejoint désormais !
Les normes font partie de la vie de la société et de l'économie, nous ne nous y opposons pas par principe. La normalisation, lorsqu'elle est élaborée par, ou en lien avec les entreprises et les professionnels, peut être un avantage comparatif pour nos acteurs économiques. Notre préoccupation concerne les normes édictées par des administrations déconnectées de la réalité du quotidien des entrepreneurs, décidées sans aucune concertation préalable. Leur élaboration en silo, leur accumulation, créent une indigestion. Trop, c'est trop !
L'encre de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) à peine sèche, les petites et moyennes entreprises (PME) la connaissant encore mal, que déjà la directive sur le devoir de vigilance est en passe d'être adoptée aux forceps. Oui l'entreprise doit être responsable, mais non, l'entreprise ne peut passer son temps à produire des justificatifs à l'intention d'administrations pour détailler, au-delà du raisonnable, tout ce qu'elle entreprend. Ainsi, la déclaration de performance extra-financière tend à devenir un « inventaire à la Prévert ». Les entreprises doivent aujourd'hui présenter entre autres leur action en faveur du bien-être animal, de la promotion du lien nation-armée ou encore de la pratique d'activités physiques et sportives, pour ne citer que les récents ajouts... De même, imposer aux entreprises européennes des obligations de protection de l'environnement et des droits humains tout au long de leur chaîne de production à l'échelle mondiale, c'est leur prêter un pouvoir de contrôle que même nos États seraient bien incapables d'assumer.
À force de vouloir être exemplaire, l'Europe chausse ses entreprises de semelles de plomb. Comme le disait le patron de Renault il y a quelques jours dans la presse, « les États-Unis stimulent, la Chine planifie, l'Europe réglemente ».
Nous devons absolument faire remonter vos préoccupations en amont de la production des normes européennes. En effet, lorsqu'arrive le temps de la transposition au niveau national, il est trop tard. Nous comptons donc sur vous et sur les représentants des entreprises pour nous alerter dès que possible, lorsque débute le processus normatif de l'Union européenne. Nous, parlementaires, avons à jouer un rôle de relais, au-delà des procédures parlementaires formelles qui existent déjà, comme le contrôle de subsidiarité.
Au-delà de la simplification, d'autres préoccupations ont émergé au cours de nos travaux. Nous avons tout d'abord relevé l'absence de définition européenne fine des catégories d'entreprises. Elles ne distinguent pas les entreprises de taille intermédiaire (ETI) pourtant essentielles à l'innovation et au développement économique. Ces ETI représentent 23 % de l'emploi salarié et 34 % des exportations en France. Or, la législation européenne actuelle ne distingue que les PME des grandes entreprises, par le biais d'un seuil de 250 salariés. Ce seuil peut constituer un obstacle, n'incitant pas nos entreprises à grandir car il est synonyme de moins d'aides et davantage de contraintes.
La délégation aux Entreprises du Sénat a depuis longtemps perçu l'intérêt de distinguer la catégorie des ETI, qui existe en France depuis 2008. Cette approche devrait prévaloir dans la législation européenne, mais la Commission européenne se borne à déclarer, encore tout récemment, qu'elle est « attentive » aux besoins des ETI. Je proposerai donc à mes collègues sénatrices et sénateurs de soumettre bientôt au Sénat une résolution demandant une reconnaissance européenne de cette catégorie d'entreprise.
Notre deuxième préoccupation majeure est l'appui que nous pouvons apporter à l'entreprise dans sa transition écologique. Notre délégation a consacré deux rapports à la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Nous évoquerons ce matin celui d'Anne-Sophie Romagny et de Marion Canalès relatif au décryptage de la directive CSRD. Notre délégation prépare un nouveau rapport consacré à l'impact du climat sur les entreprises et à l'impact des entreprises sur le climat, en se focalisant sur la décarbonisation des processus de production. C'est un enjeu majeur, qui mérite mieux que de simples obligations administratives.
Enfin, nous continuerons bien sûr à travailler sur des sujets qui vous touchent au quotidien, les difficultés de recrutement, la cybersécurité ou encore la transmission d'entreprise. Vous le voyez, nos thèmes d'étude sont nombreux. Nous ne manquons pas de sujets à traiter pour faire en sorte que votre vie d'entrepreneur soit facilitée, soutenue, accompagnée. Au-delà de cette Journée des Entreprises, nous sommes et nous serons à votre écoute. Nous prenons très à coeur notre mission, qui consiste à relayer vos besoins et vos préoccupations.
Nos débats seront animés aujourd'hui par Emmanuel Cugny, que je remercie.
Je salue tous mes collègues sénatrices et sénateurs présents dans la salle, ou qui nous suivent à distance, puisque nos travaux sont retransmis en direct sur le site du Sénat.
Je cède maintenant la parole au Président du Sénat qui nous fait l'honneur d'ouvrir les échanges. Monsieur le Président, je vous remercie très sincèrement et très chaleureusement au nom de la délégation.
M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Monsieur le Président de la délégation sénatoriale aux Entreprises, permettez-moi de saluer vos deux prédécesseurs, la présidente fondatrice Élisabeth Lamure et Serge Babary qui lui a succédé. Je salue également le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mes collègues sénatrices et sénateurs, vous, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, ainsi que les intervenants économiques qui vont enrichir vos débats.
Bienvenue pour cette 7e Journée des entreprises organisée au Sénat par notre délégation aux Entreprises. Cher président Olivier Rietmann, je souhaite profiter de cette occasion pour saluer votre engagement personnel, déterminé, à la tête de la délégation depuis octobre dernier.
Vous êtes régulièrement sollicités, à la fois par nos collègues et par les entreprises dans tous les territoires. Vos travaux sont attendus. Je citerai en particulier la proposition de loi visant à instaurer un « test PME », examinée ce mardi par le Sénat et qui fera l'objet d'un vote solennel dans quelques jours - c'est là un symbole fort. La proposition de loi issue de votre délégation vise à s'assurer que le Gouvernement réfléchisse avant d'établir de nouvelles normes, pour éviter les contraintes inutiles, notamment pour nos PME. C'est en renforçant les exigences pesant sur le Gouvernement en matière d'évaluation de l'impact des normes avant leur adoption que nous pourrons enfin créer une vraie culture de la simplification dans nos administrations.
Dans notre pays, nous continuons à voter des textes sans étude d'impact préalable sérieuse. Jamais nous ne mesurons les conséquences de la loi que nous votons, conséquences financières, sociales, économiques, ou en matière de complexité administrative. Il y a moins d'un mois et demi, nous étions réunis autour de la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, en présence du président de l'Association des maires de France (AMF) et des présidents d'intercommunalité et du président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), pour constater que l'indice de complexité était très élevé. Nous continuons à travailler sans étude d'impact sérieuse des textes législatifs, alors même que la réforme constitutionnelle de 2008 l'a prévu. Le Conseil constitutionnel n'est pas très attentif aux demandes successives qui lui sont présentées pour mieux contrôler le contenu de ces études d'impact préalables.
Cette année, la Journée des Entreprises a une saveur particulière. Vous avez rappelé que la délégation avait dix ans. Comme vous le savez, j'ai vu passer, en tant que président du Sénat, trois présidents de la République. Avec cette délégation, nous avons imposé une idée et l'avons traduite dans les actes, chère Élisabeth Lamure, cher Serge Babary. C'est l'occasion de saluer l'engagement des membres de la délégation, qui sont nombreux autour de vous ce jeudi matin.
Vous vous employez à éclairer les travaux du Sénat à travers une approche concrète et pragmatique de la vie des entreprises, dans leur diversité. C'est un principe cardinal de l'action au Sénat : partir du terrain pour agir au niveau national, et non pas l'inverse. Nous pensons que la verticalité doit aller vers le haut, et non vers le bas ! En 10 ans, la délégation a rencontré des milliers d'entrepreneurs et effectué un véritable « Tour de France des entreprises ». Dernièrement, vous étiez en déplacement dans les Pyrénées-Orientales, où vous avez rendu visite à des entreprises diverses : production de granulats recyclés, construction de catamarans, production textile par recyclage de déchets maritimes, viticulteurs, etc. Toujours dans la logique de cette approche de terrain, je rappelle la délégation a organisé, grâce à l'appui de CCI France que je salue, des immersions en entreprise pour les sénateurs.
Enfin et surtout - c'est l'essence du travail sénatorial - la délégation a formulé, dans ses rapports, de nombreuses propositions qu'elle a traduites, pour les mesures relevant de la loi, dans des propositions de loi ou des amendements, déposés au nom des sénateurs qui la composent. Ces propositions législatives ont débouché sur un certain nombre de réformes positives pour le développement des très petites entreprises (TPE), des PME et des ETI, que ce soit en matière d'apprentissage, de transmission par la modernisation du « pacte Dutreil », ou encore de surtransposition injustifiée. Ce terme barbare de « surtransposition » commence à connaître, à la faveur de la mobilisation des agriculteurs de notre pays, une certaine résonance citoyenne.
Je crois que les législateurs que nous sommes doivent être, eux-mêmes, particulièrement attentifs. Je suis convaincu que nos lois trop longues, si précises, constituent elles-mêmes des sources de complexité. Le Gouvernement est actuellement obligé de faire marche arrière en ce qui concerne la mise en oeuvre des zones à faible émission (ZFE). Nous l'avions annoncé ! Est-il sain que la loi « Climat-Résilience » contienne plus de 300 articles ? Comment peut-elle être compréhensible et applicable ? Je prédis un prochain demi-tour sur les objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) ! Airbus est par exemple confronté, à Toulouse, à de grandes difficultés pour opérer son expansion - après la commande de centaines d'avions, notamment par l'Inde - qui promet pourtant des retombées pour l'ensemble de son écosystème de sous-traitants. Évidemment qu'il faut veiller à ne pas gaspiller les terres agricoles et naturelles, mais avec le « ZAN », nous avons inventé des rigidités successives qui compliquent l'application des textes et le développement économique.
Revenons au thème de cette journée : « Simplifions la vie des entreprises ! », injonction qui ressemble trop souvent à un voeu pieux. Nos entreprises sont étouffées par des excès normatifs qui vont parfois jusqu'à se traduire par la nécessité de recourir à des prestataires pour comprendre ce qu'elles ont le droit de faire ou non. Il y a des normes contradictoires, des interprétations divergentes d'un endroit à l'autre, qui engendrent un excès de précaution amenant parfois à l'autocensure, et des charges qui éloignent les entrepreneurs de leur coeur de métier.
Je crois -c'est un ancien ministre du Travail qui le dit- que les entreprises ont avant tout besoin d'être reconnues pour ce qu'elles sont : des créatrices de croissance et d'emplois, des locomotives de notre économie et de notre société, qui s'inscrivent de ce fait dans un cadre normatif dont il est la responsabilité des pouvoirs publics d'assurer à la fois l'intelligibilité et la proportionnalité. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'être simpliste ou populiste : les normes sont nécessaires mais évitons l'« overdose » !
À l'aune de cet impératif de simplification, vos débats vont porter aujourd'hui sur deux sujets essentiels : simplifier la mise en oeuvre des normes applicables aux entreprises en matière de RSE, et simplifier l'accès des entreprises au foncier économique.
Le thème de la première table ronde fait écho au rapport de nos deux collègues, Anne-Sophie Romagny, sénateur de la Marne, et Marion Canalès, sénatrice du Puy-de-Dôme, toutes deux élues en octobre dernier. Vous voyez que nous nous mettons extrêmement rapidement à l'action, ici, au Sénat !
Cette table ronde est liée à la transposition de la dernière directive européenne en matière de RSE, connue sous un délicieux acronyme : « CSRD ». Je ne prononcerai pas son titre anglais, car j'ai un point commun avec Valéry Giscard d'Estaing : quand je parle anglais, tous les Français me comprennent, y compris ceux qui n'ont jamais appris l'anglais... Le rapport d'Anne-Sophie Romagny et de Marion Canalès fait suite aux alertes reçues par la délégation sur ce sujet de la part d'entreprises qui en dénoncent la complexité et le coût. D'ici 2028, plus de 7 000 entreprises supplémentaires seront concernées par ces obligations nouvelles de reporting. À sa lecture, nous pouvons penser que nous n'avons pas fini d'entendre parler de cette directive ! Il faut que la simplification se fasse à tous les étages, en particulier au niveau européen.
La seconde table ronde évoque un sujet qui préoccupe les élus et les acteurs économiques, en particulier le secteur industriel : celui de la pénurie de foncier économique. Les sénateurs Christian Klinger et Michel Masset s'en sont emparés et la délégation a pu constater, notamment en Ille-et-Vilaine, la réalité de ces difficultés. Il sera là aussi question de simplification en matière de réglementation, qui est de plus en plus complexe, au risque de mettre en péril les porteurs de croissance et d'emplois. La complexité découle notamment de ces objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) qui, malgré les efforts du Sénat - je pense notamment au travail de Valérie Létard et de Jean-Baptiste Blanc - ont été maintenus. Cependant, comme je vous le disais, le gouvernement sera sans doute contraint d'opérer un demi-tour assez rapidement.
Mieux comprendre l'environnement des entreprises pour les aider à relever les défis, c'est ce que fait notre délégation aux Entreprises, et c'est l'objet de notre rendez-vous aujourd'hui. J'ai été très heureux de venir passer ce moment avec vous et vous souhaite une excellente journée au Sénat.
Je vous rappelle également que notre assemblée organise l'Institut du Sénat, qui, comme l'Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN), accueille chaque année une « promotion » de personnes intéressées par l'activité du Parlement, afin d'établir justement ce lien avec les acteurs économiques. Il fait écho à la volonté que nous avions eue, dès 2014 avec Élisabeth Lamure, de faire se rencontrer et se parler nos deux mondes.
Table ronde : Simplifier les normes
applicables aux entreprises
en matière de responsabilité
sociale et environnementale
M. Emmanuel Cugny, président de l'Association des journalistes économiques et financiers, modérateur des débats. - Nous accueillons Mme Nathalie Gimenès, experte en RSE et gouvernance responsable, affiliée à Executive Education de Mines Paris-PSL, M. Didier Boudy, président de l'ETI Mademoiselle Desserts, qui emploie 2 000 collaborateurs dans 12 unités de fabrication en Europe et réalise 450 millions d'euros de chiffre d'affaires, et M. Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction du journal Les Échos et éditorialiste sur France Inter.
Je précise que vous, chefs d'entreprise, allez pouvoir participer aux débats. C'est votre journée. Après le débat entre nos trois invités, je vous donnerai la parole pour que vous puissiez les interroger. Mais avant cela, je vous propose de regarder la vidéo préparée par Mme Anne-Sophie Romagny et Mme Marion Canalès sur la directive CSRD qui concerne le reporting extrafinancier applicable depuis le 1er janvier.
Diffusion d'une vidéo des rapporteurs de la
mission
« Directive CSRD : du décryptage à
l'avantage ».
Mme Marion Canalès, rapporteure. - La directive CSRD peut paraître complexe dans sa mise en oeuvre pour les entreprises mais qui va leur procurer un véritable avantage et améliorer leur compétitivité. La directive va améliorer la compétitivité des 50 000 entreprises européennes concernées, dont 7 000 entreprises françaises sur les 4 millions que notre pays abrite.
Il s'agit pour les entreprises de produire un récit des actions qu'elles entreprennent dans les transitions sociales et environnementales. Ce récit existe déjà puisqu'il leur est souvent demandé par les investisseurs et les marchés financiers mais il n'était ni cadré ni harmonisé.
En revanche, après cette évolution normative qui va s'appliquer progressivement jusqu'en 2028, une pause s'impose !
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteur. - C'est essentiel pour éviter de perdre tout le monde sur le sujet. Pour que nos entreprises comprennent l'avantage de cette directive, il faut s'attarder sur son décryptage. Au-delà de nos dix recommandations, j'aimerais faire le focus sur trois propositions clés :
- la pédagogie : il est nécessaire de traduire les éléments clés de cette directive dans un langage clair de la simplification, notamment par l'allègement des normes pour les PME ;
- veiller à ce qu'aucune nouvelle information de durabilité ne soit demandée aux entreprises d'ici la fin de l'application de la directive en 2028 ;
- la prise de conscience par l'État de l'effort considérable demandé aux entreprises. Il faut qu'elles soient récompensées avec un accès facilité à la commande publique et un allègement des charges administratives qui pèsent déjà trop lourdement sur elles.
M. Emmanuel Cugny. - Dominique Seux, vous êtes un observateur privilégié de la situation économique, vous avez souvent des analyses tranchées, iconoclastes dans le monde très régulé dans lequel nous vivons. Qu'évoque pour vous le terme « simplification » ? On peut comprendre, après avoir écouté les propos liminaires des présidents, que nous sommes aujourd'hui dans un déni de démocratie.
M. Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction du journal Les Échos - La norme est normale mais trop de normes tuent la norme. La norme est normale parce qu'il n'est pas illégitime que l'État intervienne pour réguler le marché et corriger un certain nombre de défauts car la main invisible du marché n'a pas raison à 100 %. Si l'État va trop loin dans l'empilement des normes, les objectifs finaux ne sont pas atteints. Le même raisonnement est aussi valable pour la fiscalité, Le Président Larcher a souligné l'absence ou l'insuffisance des études d'impact pour les textes français ou européens. Par exemple, l'étude d'impact sur la fin en 2035 des moteurs thermiques pour les voitures neuves, a été extrêmement mince. Elle ne fait que quelques pages. J'ai cherché mais à ma grande stupéfaction, je n'ai pas trouvé d'étude d'impact digne et significative s'agissant d'un marché qui représente des millions d'emplois.
Il y a des normes dans tous les secteurs et le Covid a été un accélérateur de normes. Le phénomène s'est encore accentué avec le changement climatique. Si les objectifs climatiques doivent être atteints, il faut veiller à ne pas perdre la boussole. Pour se déplacer, il y a les zones à faibles émissions (ZFE), pour s'habiller, les bonus réparation. Si vous faites réparer une fermeture éclair de 12 cm, vous pouvez bénéficier d'un bonus de 7 centimes mais de seulement 5 centimes si elle fait 3 cm. C'est absurde ! Pour se loger, il faut tenir compte du DPE (diagnostic de performance énergétique) et de la prime Renov' dont les conditions ont été modifiées trois fois en quinze jours. Sur le ZAN, je partage la position du Président Larcher, la règle ne fonctionnera pas. On ne peut pas à la fois vouloir réindustrialiser la France et appliquer le ZAN de manière rigide.
Tous les secteurs souffrent d'un empilement de normes. L'objectif n'est pas de toutes les supprimer mais de les rendre plus lisibles et plus compréhensibles.
M. Emmanuel Cugny. - Nathalie Gimenès, les entreprises ont-elles intérêt à jouer le jeu des normes et de la CSRD, pour séduire les investisseurs, jouer la transparence et gagner des marchés ?
Mme Nathalie Gimenès, experte en RSE et gouvernance responsable affiliée à Executive Education de Mines Paris-PSL. - Pour répondre à votre question, j'ai choisi de partager avec vous trois messages, même s'il y a sans doute trop de normes.
C'est l'entreprise, quelle que soit sa taille, qui peut en premier lieu bénéficier de cette réglementation, si elle joue le rôle pour lequel elle a été créée. Sa mise en oeuvre a effectivement un impact opérationnel et un impact financier. Enfin, l'utilisation qui en sera faite par les parties prenantes est essentielle. Vous pouvez craindre de donner trop d'informations qui pourraient être exploitées par vos concurrents. J'aimerais que nous puissions au cours de cette table ronde en discuter.
M. Emmanuel Cugny. - Didier Boudy, vous êtes président de l'ETI Mademoiselle Desserts, spécialiste en pâtisserie industrielle. Quelle est votre réaction quand vous entendez le mot « norme » ou l'acronyme « CSRD » ?
M. Didier Boudy, président de l'ETI Mademoiselle Desserts. - Notre métier c'est de fabriquer des gâteaux qui sont vendus en grande distribution, dans des boutiques artisanales ou en restauration. Quand nous voyons arriver de nouvelles normes, notre première réaction est la peur. En termes de RSE, nous n'avons pas besoin d'être convaincus. Si nous sommes invités aujourd'hui, c'est parce que Mademoiselle Desserts est une entreprise engagée dans la RSE depuis 2007. Nous avons récemment été certifiés « B Corp », ce qui correspond au « Graal » que recherchent toutes les entreprises en RSE. Par ailleurs, nos objectifs de décarbonation sont validés « SBTi » (Science Based Targets).
Nous nous sommes demandé comment faire de la RSE un avantage concurrentiel. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes allés chercher la norme B Corp qui a rendu nos actions plus visibles.
Nous sommes confrontés à de nombreuses demandes de reportings RSE et il nous semble important que ces derniers soient normés pour nous éviter de remplir plusieurs tableaux Excel comprenant 1 000 lignes et 1 000 colonnes.
Vous dites que les entreprises seront les premières à bénéficier de la CSRD. Ce ne sera sans doute pas tout de suite. À court terme, la CSRD va nous coûter environ 500 000 € par an. Ce reporting va mobiliser des salariés ; nous avons acheté deux nouveaux logiciels pour organiser les données dans notre entreprise. Le document publié par l'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) indique clairement que pour l'analyse de double matérialité, il faudra regarder 1 000 critères ! Il est possible que la CSRD nous rende service, mais pas au démarrage.
M. Emmanuel Cugny. - Les chefs d'entreprise peuvent-ils aujourd'hui objectiver la CSRD ? Quel est leur ressenti ?
M. Dominique Seux. - Leur ressenti est un peu inquiétant. Toutes les demandes d'intervention ou de conférence portent sur le thème « Transition écologique : va-t-on trop vite ? ». Je pense qu'il faut aller vite, qu'il faudra aller plus vite. Je profite de mon intervention pour saluer la baisse des émissions de gaz à effet de serre de 5 % en France l'année dernière. Ce n'est pas suffisant, il faut aller plus loin, mais c'est déjà une bonne nouvelle qu'il convient de saluer puisque depuis dix ans l'État demande aux acteurs privés et publics beaucoup d'efforts. J'ai d'ailleurs été surpris que le Premier ministre privilégie hier la présentation d'un plan contre la fraude fiscale et sociale alors qu'il aurait pu faire lui-même état des bons résultats de la France en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faudrait qu'il ait l'âge de ses artères.
Il est tout à fait possible qu'il y ait un mouvement de balancier. Nous vivons une époque de transformations absolument considérables sur les modes de production, sur la décarbonation, sur la RSE au sens large et il est normal qu'il y ait des moments de flottement lorsque tous les curseurs doivent s'ajuster. J'ai mentionné les changements apportés au diagnostic de performance énergétique (DPE), ils sont peut-être normaux.
Pour répondre à votre question, les entreprises sont en ce moment inquiètes. Il faut l'entendre. On peut continuer à penser qu'il faut être dans la radicalité parce que la semaine dernière à Rio de Janeiro, la température ressentie était de 60° et, parce que l'organisation météorologique mondiale a indiqué avant-hier que la décennie passée était la plus chaude de l'ère industrielle et que 2024 serait probablement l'année la plus chaude.
Il est vrai aussi que si on n'entend pas les acteurs et le principe de réalité, on risque de tout perdre. Nous devons trouver un équilibre qu'il faut probablement modifier par rapport à ce qui était anticipé il y a 5 ans.
M. Emmanuel Cugny. - Quels sont les avantages du reporting de la CSRD pour une entreprise ?
Mme Nathalie Gimenès. - Il y a trois bonnes raisons. Tout d'abord, le reporting peut constituer un outil de gestion et de pilotage de la transition écologique au service de la pérennité de l'entreprise. Par ailleurs, c'est un outil de finance durable. Enfin, c'est un outil de transparence au service de la confiance qui lie l'entreprise à ses parties prenantes.
La CSRD entre dans le cadre des outils réglementaires qui ont été définis par l'Europe pour financer le Pacte vert, cette fameuse ambition de neutralité carbone à l'horizon 2050. Cette réglementation n'a donc pas été pensée comme un outil de conformité, même si elle en devient un. La mise en place de normes permettra de comparer les entreprises, ce qui représente une avancée importante. La CSRD a d'abord été pensée comme un outil pour aider les entreprises à mener la transition écologique. Il faut donc la voir comme un instrument de pilotage qui amène les entreprises à un travail de réflexion en profondeur sur les trajectoires à porter, que ce soit sur la trajectoire bas carbone mais aussi sur les compétences dont elle aura besoin demain pour assurer sa pérennité. Parmi les indicateurs, quelques-uns sont obligatoires mais d'autres sont volontaires. La CSRD reste un outil d'autorégulation du marché. L'objectif est de transformer l'économie européenne vers une économie plus soutenable, c'est l'idée fondamentale de cette norme. Vous devez vous l'approprier et faire de ce reporting votre boussole. Ne reportez que les informations qui vous sont utiles. Ces données seront utilisées par vos parties prenantes. Vous allez pouvoir attirer des capitaux. Vous savez aussi que le financement est de plus en plus indexé sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La CSRD vous permet de démontrer que vous êtes des bons gestionnaires, que vous savez prendre en compte les risques et donc rassurer vos investisseurs, vos banques mais aussi vos clients. En effet, les European susceptibility reporting standard (ESRS) vont vous inciter à évaluer la responsabilité de tous les acteurs de la chaîne.
M. Emmanuel Cugny. - Monsieur Boudy, comment faites-vous au quotidien ? Quel est votre ressenti en tant que chef d'entreprise ? Comment la RSE est-elle aujourd'hui gérée ? Disposez-vous de deux ou trois emplois à plein temps ? Faites-vous appel à des cabinets, souvent très onéreux ?
M. Didier Boudy. - Dans le monde de l'entreprise, la personne qui m'a formé avait l'habitude de me dire « if you don't mesure it, you don't manage it ». Il est évident que nous ne pouvons pas manager ce que nous ne mesurons pas. Quand nous avons débuté notre trajectoire RSE (nous en sommes aujourd'hui à notre quatorzième rapport en 16 ans) nous avons mis un certain nombre d'indicateurs sous contrôle en les mesurant et en fixant des objectifs. Historiquement, nous avions affecté à la RSE une cadre à mi-temps. Aujourd'hui, nous disposons d'une cadre à temps complet et nous aurons besoin a minima de deux nouvelles personnes pour assurer le reporting CSRD. Il nous faut remonter les données de nos 12 usines et les consolider. C'est un travail titanesque.
Je vous ai donné une estimation de coût de 500 000 € mais il faut lui ajouter une estimation de la « bande passante managériale ». Il est en effet important que les managers comprennent le sens de ce reporting.
M. Dominique Seux. - Est-ce que la RSE vous entrave dans des choix d'investissement ? Quelle est la balance globale ? Si elle est positive, nous nous en réjouissons.
M. Didier Boudy. - Elle est globalement positive. Nous sommes en avance sur la RSE et dès le début nous avons essayé de faire de cette démarche un avantage concurrentiel. Certains clients nous sélectionnent parce que Mademoiselle Desserts est une entreprise responsable certifiée B Corp.
M. Emmanuel Cugny. - Vous avez mis en place le programme « Captain Decarb ». Quel est son rôle ? A-t-il pour objectif de motiver vos équipes, d'anticiper un certain nombre d'actions ?
M. Didier Boudy. - Nous travaillons depuis quinze ans sur la RSE, nous publions chaque année un rapport et nous avons mobilisé nos équipes sur la certification B Corp. Aujourd'hui, nous nous intéressons à la décarbonation. C'est un gros sujet en pâtisserie puisque nous utilisons beaucoup de beurre et de chocolat. C'est un sujet qui fait peur et qui nous contraint à retravailler nos recettes.
M. Dominique Seux. - J'imagine que vous consommez beaucoup d'électricité.
M. Didier Boudy. -L'électricité pèse très peu dans notre bilan carbone au regard des matières premières que sont le beurre, le chocolat ou les oeufs. Pour améliorer ce bilan, nous devons retravailler nos recettes pour qu'elles contiennent par exemple moins de beurre.
Depuis deux ou trois ans, la décarbonation devient le sujet central. Nous avions besoin de mobiliser nos équipes sur un sujet perçu comme très contraignant. Nous avons décidé d'en faire un thème ludique. Je me suis déguisé en « Captain Decarb » et nous avons créé une adresse mail spécifique sur laquelle les collaborateurs peuvent envoyer leurs observations sur la consommation d'électricité, d'eau afin que nous puissions réagir. Cette démarche nous a permis de mobiliser les énergies sur cet enjeu majeur.
Mme Nathalie Gimenès. - Vous avez choisi le label B Corp mais il existe d'autres certifications. B Corp est normatif et aide l'entreprise dans sa transformation, ce qui est aussi le but de la CSRD. L'objectif de la CSRD est d'aider l'entreprise à progresser en termes de décarbonation, à mieux prendre en compte l'enjeu de durabilité qu'est le climat dans les états financiers actuels et futurs. Elle va pouvoir aider à travailler sur des scénarios, réfléchir, chiffrer, estimer les retours sur les investissements consentis pour la trajectoire de décarbonation.
M. Emmanuel Cugny. - Est-ce que vous comprenez que les patrons ont parfois d'autres priorités ?
Mme Nathalie Gimenès. - Choisir B Corp demande énormément de travail et la CSRD a pour objectif de construire une économie soutenable. Emmanuel Faber affirme qu'il faudrait détourner à peu près 1 % de la capitalisation financière mondiale pour financer les 4 000 milliards d'euros dont nous aurions besoin pour financer la transition. L'objectif est collectif. Il faut éclairer la prise de décision des investisseurs, des marchés financiers, des banques et des clients pour construire tous ensemble une économie soutenable, grâce à des outils de transition. Je ne travaille pas avec la Commission européenne mais j'aide des entreprises à se poser des questions.
Vous parliez d'impact et de complexité. S'il était simple d'évaluer l'impact des actions, peut-être que le Sénat ou le Gouvernement l'aurait fait depuis longtemps. La réglementation vise à inciter les entreprises à réfléchir.
M. Dominique Seux. - Il y a aujourd'hui un grand débat dans l'industrie automobile sur la neutralité technologique. Est-ce qu'on donne aux acteurs industriels un objectif qu'ils doivent atteindre comme ils le veulent ou doit-on leur imposer la technologie électrique ? Luca de Meo constate que chaque continent fait des choix différents, certains croient par exemple à l'e-fuel, le carburant de synthèse.
Dans le domaine du reporting, la même question se pose. Est-ce qu'on donne des objectifs aux entreprises sur la décarbonation, charge à elles de les atteindre comme elles le souhaitent, ou est-ce qu'on leur impose un chemin avec 1 400 indicateurs ? L'Europe a une fois de plus choisi de ne pas aller vers la neutralité technologique ou comptable Est-ce le bon choix après dix ans de travaux ?
Mme Nathalie Gimenès. - La réglementation ESRS 1 incite toutes les entreprises à définir des trajectoires alignées avec les accords de Paris.
M. Dominique Seux. - Quel est le choix des Américains ?
Mme Nathalie Gimenès. - S'il y a eu des disparités sur la double matérialité pour les normes IFRS (International Financial Reporting Standards), l'ISSB (International Sustainability Standards Board) va un peu plus loin que la CSRD, même si la SEC (Securities and Exchange Commission) vient d'annoncer l'arrêt de la publication des données du scope 3. On assiste à un alignement global entre la norme ISSB internationale soutenue par Emmanuel Faber et celle de l'Europe sur le climat, avec la volonté de construire des trajectoires alignées sur les accords de Paris, avec des objectifs basés sur la science et une règle indiquant que la compensation n'est possible que si 90 % des émissions ont été réduites. Il y a donc des règles, avec notamment les Science Based Targets (SBTi).
M. Emmanuel Cugny. - Didier Boudy, ces démarches pèsent-elles sur le plan concurrentiel ? Percevez-vous des effets sur votre capacité à gagner des marchés à l'international ?
M. Didier Boudy. --Nous avons décidé d'en faire un argument concurrentiel, c'est un argument de vente, nos présentations débutent par ce sujet et nous avons de nombreux exemples à montrer. Mademoiselle Desserts est très en avance sur ce sujet mais je m'inquiète des entreprises employant 200 personnes avec 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, qui n'ont jamais travaillé sur le sujet et devront dans deux ans publier un reporting sur le sujet. Il faudrait peut-être adopter un schéma plus progressif, avec des étapes tant la marche est haute. Nous sommes habitués mais nous avons quand même besoin de faire appel à des consultants pour nous accompagner.
M. Emmanuel Cugny. - Ces consultants coûtent très chers, est-ce que ce sont des bandits de grand chemin ?
M. Didier Boudy. - Ce sont des bandits durables.
M. Dominique Seux. - Ou des bandits professionnels.
M. Didier Boudy. - L'analyse de double matérialité est complexe. Pour la réaliser, nous recevons des offres allant de 20 à 80 000 €, certains cabinets jouant sur la peur des entreprises.
M. Emmanuel Cugny. - Faut-il réguler l'activité des cabinets de conseil ?
M. Dominique Seux. - Pouvez-vous nous donner des exemples des avantages concurrentiels que vous avez obtenus grâce à la certification B Corp ?
M. Didier Boudy. - Cette certification nous aide beaucoup dans le recrutement de cadres et d'agents de maîtrise. Notre capacité à prouver notre engagement RSE nous permet de faire la différence dans les process de recrutement. Sur le marché actuel du travail, cela représente une vraie valeur.
Sur le marché britannique, vous connaissez peut-être la chaîne « Prêt à manger », qui est la chaîne du bien manger et de la cuisine très fraîche. Nous avons été sélectionnés en tant que fournisseur de gâteaux parce que nous sommes certifiés B Corp. Avec Carrefour ou Leclerc, le poids de cette certification passe après les prix et la gamme.
M. Dominique Seux. - Vos clients acceptent-ils de payer vos produits un peu plus chers pour couvrir les salaires des trois personnes que vous avez embauchées pour le reporting RSE ?
M. Didier Boudy. - Nous parlons de Carrefour, d'Auchan et de Leclerc...
Mme Nathalie Gimenès. - Vous avez décidé de payer un label et vous êtes reconnu par le marché, c'est très bien. La CSRD est un autre standard, défini par la Commission européenne, que la France a été la première à transposer dans son droit national. Elle a la même ambition, la transformation des entreprises et vise à embarquer tous les acteurs économiques dans une démarche de transformation. Choisir un label supplémentaire vous donne une charge de travail supplémentaire et participe à la marchandisation de la publication d'informations ESG. Peut-être que la mise en place de ce standard européen conduira à la disparition des labels et permettra d'éviter toute marchandisation. Les entreprises avanceront sur le même chemin, avec des indicateurs normés qui permettront de comparer les entreprises. La CSRD peut constituer demain un avantage compétitif en s'inscrivant dans un mouvement collectif de transformation. Il faudra néanmoins du temps pour que chacun y trouve un intérêt.
M. Emmanuel Cugny. - La parole est maintenant à la salle. Je vous remercie de vous présenter rapidement avant de poser votre question.
M. Jean-Marc Barky, président de SeaLock. - J'ai fondé mon entreprise il y a vingt-sept ans et je fais partie de la deuxième promotion de l'Institut du Sénat. Grâce à Élisabeth Lamure, j'ai pu témoigner il y a quelques années sur le même sujet.
Il y a en France 3 millions d'entreprises, le CAC 40 compte 185 entreprises employant plus de 5 000 salariés, on recense un peu moins de 5 000 employant entre 500 et 2 500 salariés et 200 000 entre 11 et 250 salariés. Comment pouvons-nous réindustrialiser la France avec de nouvelles contraintes entravant ces entreprises ? Depuis 1995, nous utilisons des produits biosourcés. Nous n'avons pas besoin de nouvelles normes. Nous avons fait le choix d'obtenir la norme « EcoVadis » il y a quelques années et nous avons tout de suite bénéficié du label « EcoVadis Gold ». Nous avons choisi un système nous permettant de répondre aux questions qui nous concernaient. Il faut laisser aux entreprises le temps d'avancer. Je pense que la CSRD est un obstacle à la réindustrialisation. De nombreuses ETI et entreprises familiales seront à vendre et quitteront le pays. C'est le risque que vous prenez tous.
Mme Nathalie Gimenès. - En choisissant EcoVadis, vous vous êtes imposé une norme, que vous payez et qui vous met en dynamique de progrès. L'idée des ESRS est de préconiser un standard qui vous accompagnera de la même façon.
M. Jean-Marc Barky. - La conséquence est que je sortirai des frontières françaises. Vous ne pourrez pas m'obliger à produire en France avec ce système.
Mme Nathalie Gimenès. - Les groupes étrangers auront aussi l'obligation de répondre aux obligations de la Directive CSRD à partir de 2029 sur l'exercice 2028. Je précise que je ne suis pas responsable de la CSRD.
Mme Nathalie Gimenès. - Je ne suis pas une défenseure du système. Vous avez choisi un système comme EcoVadis pour vous mettre dans une dynamique de progrès et j'imagine que vous l'utilisez pour rassurer vos donneurs d'ordre qui vous demandent de plus en plus de données extra-financières. La CSRD doit devenir cet outil de standardisation auprès de tous les acteurs. À terme, tous les labels devront sans doute se réinventer ou disparaître.
J'entends vos difficultés mais je rappelle que les normes sont adaptées pour les PME, que le rapport de durabilité est très allégé et que la mise en place de la CSRD est très progressive. L'Europe a créé une section spécifique pour toutes les entreprises de moins de 750 salariés qui bénéficient d'un an de plus pour le scope 3, de deux ans de plus pour la biodiversité, etc.
M. Dominique Seux. - Il est toujours très compliqué de trouver un équilibre. La certification « Qualiopi » est le référentiel qui permet de qualifier les organismes de formation professionnelle. Cette validation n'est pas illégitime parce que la formation est financée en partie par de l'argent public. En même temps, c'est allé trop loin. On est passé de 50 000 à 20 000 organismes de formation, il y a eu un véritable écrémage mais, aujourd'hui un coach doit dépenser une dizaine de milliers d'euros pour la certification sur un chiffre d'affaires qui est faible pour arriver à survivre. Est-ce que la CSRD va trop loin ? L'intervenant semble penser que oui mais il ne demande pas non plus la suppression de toutes les normes. Il faut faire la part du balancier, le système est à la recherche d'un équilibre. Nous devons rester attentifs parce qu'autour de nous d'autres cherchent aussi un équilibre.
M. Didier Boudy. - Je suis également président de la Fédération de la boulangerie qui essaie d'accompagner les entreprises adhérentes sur le chemin de la RSE. Je rappelle également que les sites agroalimentaires sont soumis à de très nombreuses normes. Quand nous expliquons à des entrepreneurs d'un certain âge comment fonctionne la CSRD, nous constatons que certains vont passer la main plus rapidement pour éviter cette nouvelle étape. La CSRD va accélérer les transmissions d'entreprises.
Cependant, si on s'y intéresse, il existe de très nombreuses aides. Mademoiselle Desserts bénéficie de l'accélérateur de décarbonation mis en place par Bpifrance. Celui-ci propose des programmes remarquables sur le sujet en mettant à la disposition des entreprises des consultants de très bon niveau et en prenant en charge une part conséquente des coûts. Il faut cependant faire des démarches pour les obtenir.
Mme Nathalie Gimenès. - Le coût le plus important c'est celui de la transition, de la transformation des usines. Or, les entreprises ont à leur disposition de nombreuses aides. J'accompagne les accélérateurs de Bpifrance depuis quatre ans et je constate qu'énormément d'industriels suivent ce programme. Le Gouvernement a même créé une plateforme recensant plus de 700 dispositifs existants en France pour accompagner la transformation des entreprises.
M. Dominique Seux. - Il faudrait créer un métier de chasseur de primes.
M. Didier Boudy. - On pourrait aussi envisager de normer les aides.
M. Vincent Charpin, président directeur général de Carli. - Carli fabrique de la pâtisserie et du chocolat. Nous sommes 35 et nous nous définissons comme un grand artisan et non comme un petit industriel. Je vous rassure, nous continuerons à mettre beaucoup de beurre et beaucoup de chocolat dans nos produits. Nos clients viennent dans nos boutiques pour acheter des produits de qualité, artisanaux et si nous les décevons, nous disparaîtrons.
Vous êtes dans une démarche différente, pour des raisons environnementales tout à fait louables. Vous voulez réduire votre impact carbone en diminuant votre consommation de beurre et de chocolat. Nous respectons tous les deux parfaitement la loi. Vous avez une démarche vertueuse qui vous correspond, je n'ai pas cette démarche qui ne me correspond pas.
Cette limite est très intéressante. Je respecte la norme. Le jour où l'État me dira que je n'ai plus le droit de mettre du beurre ou du chocolat dans mes recettes, j'appliquerai la loi. Je suis chef d'entreprise et mon métier est de m'adapter aux contraintes de mon environnement.
Il existe des règles et des normes, fixées par la loi et les entrepreneurs, qui sont tous des personnes responsables. Je ne connais pas d'entrepreneurs qui ne le sont pas, je ne connais pas d'entreprises dont le budget n'a pas été équilibré pendant 40 ans. Cela n'existe pas, sinon elles disparaissent. Nous sommes responsables et nous appliquons les règles. Il faut que l'État fasse appliquer les lois et laisse le registre de la vertu aux individus ou aux organisations. On ne peut pas légiférer sur la vertu. Or, la RSE relève du registre de la vertu.
M. Didier Boudy. - Je confirme que le beurre et le chocolat pèsent lourd dans notre bilan carbone et que notre objectif est de réduire leur quantité. Cependant, nous fabriquons nous aussi des produits de qualité et nous voulons continuer à le faire. Nous continuerons à utiliser du beurre. Notre démarche RSE nous a conduits à de l'introspection et nous avons constaté que tous les beurres ne se valaient pas en termes d'impact carbone. En effet, les pratiques des éleveurs et des laiteries peuvent être vraiment différentes. Un beurre peut ainsi avoir un impact carbone 20 à 30 % inférieur à un celui d'un autre beurre. Nous avons engagé cette démarche parce que nous voulions nous améliorer sur ce volet, sans toucher à la qualité des produits. Nous avons observé les mêmes écarts sur le chocolat. Enfin, nous nous sommes rendu compte que nous faisions de la « surqualité ». Pour nous, un feuilletage devait comporter 37 % de beurre. Or, au-delà de 33 % de beurre, on ne sent plus la différence. Notre objectif est de trouver la bonne proportion de beurre dans tous nos produits tout en gardant les mêmes fonctionnalités techniques. Ce sont des questions que nous nous sommes posées parce que nous avons réfléchi à la manière d'améliorer notre empreinte carbone tout en maintenant la qualité organoleptique de nos produits, voire parfois en l'améliorant, comme nous améliorons notre performance économique.
Mme Nathalie Gimenès. - Vous venez de donner la définition de la RSE. La RSE, ce n'est pas attendre le cadre légal. C'est un mécanisme d'autorégulation du marché où des entreprises se préoccupent de leur impact et mettent en place un projet d'innovation et de gestion des ressources. La réglementation dont nous parlons depuis le début de cette table ronde porte sur le reporting de cette stratégie d'innovation.
Toutes les études montrent que dès qu'une entreprise s'inscrit dans une démarche de publication d'informations sociales et environnementales, dans une démarche de transparence, elle développe une meilleure acceptabilité sociale de ses activités par ses collaborateurs, ses parties prenantes, et plus globalement de la société.
Le reporting est important parce qu'il est cadré et la CSRD permettra de comparer les entreprises et d'éclairer la prise de décision des parties prenantes.
M. Didier Boudy. - Nous avons choisi de nous engager sur la certification B Corp parce que nous étions agacés par ces bandits qui mettaient en avant la suppression de 3 grammes de plastique sur un emballage et qui verdissaient de manière excessive leur communication. Ils s'achetaient une vertu verte alors qu'ils ne faisaient strictement rien.
Tous les entrepreneurs sont responsables mais c'est comme le beurre, toutes les responsabilités ne se valent pas.
M. Dominique Seux. - Je ne sais pas si le Sénat est le meilleur endroit pour demander d'arrêter de faire des lois. C'est une part du métier des sénateurs.
Les efforts demandés vont être de plus en plus importants. J'ai été frappé cette semaine par les informations sur le méthane communiquées par l'Agence internationale de l'énergie. Elle a publié des données montrant que les émissions de méthane avaient battu des records encore en 2023. Le méthane est un gaz beaucoup néfaste pour le climat que le CO2. Les principaux responsables des émissions de méthane sont les compagnies pétrolières et gazières qui disposent de gros moyens. La pression doit d'abord s'exercer sur les acteurs qui ont les moyens de diminuer leurs émissions et non sur les agriculteurs et les éleveurs. C'est d'autant plus important qu'elles se sont engagées à Dubaï à être vertueuses dans les années qui viennent.
Sur ces sujets, il est essentiel de disposer des ordres de grandeurs, même si cela n'exonère d'efforts, ni le chocolatier ni le pâtissier. Si les efforts demandés ne sont pas pondérés, ils se heurteront à des résistances.
M. Sébastien Ricard, groupe Guillin. - Notre groupe fabrique des emballages alimentaires en garantissant la qualité, l'hygiène et la sécurité sanitaires des aliments.
L'inflation de textes et de surtranspositions est-elle le signe que la France est en train d'abdiquer face aux fonctionnaires bruxellois ? Est-ce qu'il n'est pas trop tard pour remettre un peu de bon sens et de terrain dans les textes ?
Par ailleurs, est-ce qu'il est sain d'avoir le même niveau d'exigence en termes de reporting extra-financier, à deux ou trois ans près, pour une multinationale cotée et une ETI familiale ancrée dans les territoires ?
M. Emmanuel Cugny. - La technocratie semble toujours bien ancrée. Quelle est notre action au niveau européen ?
M. Dominique Seux. - Je n'aime pas utiliser le mot technocratie car l'Europe mène des actions formidables. Elle nous a permis d'avancer sur de nombreux sujets comme l'harmonisation d'un certain nombre de pratiques, le marché unique, etc. Je me refuse à critiquer les fonctionnaires bruxellois. En revanche, je reconnais qu'ils sont trop déconnectés des pratiques des entreprises. Toutes les organisations représentatives des agriculteurs nous ont dit que les contacts avec la Commission européenne et le Parlement européen étaient assez limités alors qu'il fallait bâtir la politique agricole commune (PAC). Il y a un manque de relations saines et professionnelles entre acteurs. Est-ce que les uns ont peur des autres ? Est-ce que les autres craignent d'être convaincus ?
Mme Nathalie Gimenès. - La norme actuelle a été allégée de plus de 40 % par rapport à ce qui était prévu au départ. Par ailleurs, les exigences ne sont pas les mêmes pour les multinationales et pour les PME. Les normes et les reportings sont allégés. L'objectif est d'aider les entreprises à s'intéresser à ces questions et à s'inscrire dans la transition écologique. Par exemple, les entreprises de moins de 750 salariés n'auront pas à publier d'informations sur le scope 3 pendant un an supplémentaire et pendant deux ans sur la biodiversité.
Mme Christelle Abatut, présidente de la CCI des Deux Sèvres et représente le président de CCI France. - Nous sommes convaincus que la RSE constitue un véritable levier de performance pour les entreprises mais elle fait peur aux PME. Les dernières enquêtes de conjoncture montrent une dégradation de la rentabilité des entreprises en raison de l'explosion des charges. Retraité de l'inflation, leur chiffre d'affaires augmente à peine. Les PME sont par ailleurs confrontées au turn-over, à des difficultés de recrutement et à des problèmes d'approvisionnement.
Elles n'ont pas toute la capacité de faire appel à un consultant pour appliquer les exigences de la réglementation. Je remercie le Sénat d'avoir déposé une proposition de loi prévoyant des tests pour les PME et j'espère qu'elle sera votée. Cette phase préalable est incontournable pour mesurer l'impact de la CSRD, a priori négatif.
En termes d'aides, le réseau des CCI recense sur son site « les-aides.fr » non pas 700 mais plus de 2000 aides pour les entreprises ! Il y a donc une problématique de lisibilité.
Enfin, les CCI accompagnent de nombreuses entreprises pour la RSE et se proposent comme opérateurs de proximité pour la phase de test PME avec leurs 14 000 salariés à la disposition des chefs d'entreprise.
Les PME ne savent pas comment elles vont faire, elles ont très peur. De nombreux chefs d'entreprise sont prêts à céder leur société car ils sont usés par la succession de crises depuis quatre ans : crise sanitaire, guerres, contexte international problématique, etc.
Mme Nathalie Gimenès. - Êtes-vous directement éligible à la CSRD ou parce que vous êtes une actrice de chaîne de valeur ?
Mme Christelle Abatut. - Je suis intervenue en tant que représentante du président de CCI France.
Mme Nathalie Gimenès. - Les PME qui ne sont pas cotées, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions d'euros, le bilan inférieur à 25 millions d'euros et qui emploient moins de 750 salariés ne sont pas directement concernées par la CSRD. Elles le sont parce qu'elles sont actrices de chaînes de valeur. Ce sont vos grands donneurs d'ordre qui vont vous inciter à produire des informations pour leur propre déclaration. Il est important de réinventer les filières et la réglementation dit clairement que les grandes entreprises doivent veiller à ne pas faire peser de pression trop importante sur les PME pour la collecte des informations.
M. Dominique Seux. - S'il y a beaucoup de tensions, c'est aussi parce que ces questions de transition écologique s'ajoutent à un climat particulier. Le contexte économique est en ce moment défini par 4 éléments. La géopolitique prime sur la politique qui l'emporte sur l'économie, il y a une grande interrogation sur la productivité, la phase d'inflation qui est peut-être en train de se terminer a chamboulé l'économie comme cela n'avait pas été le cas depuis cinquante ans et enfin les entreprises sont confrontées à des difficultés de recrutement puisque la situation de l'emploi s'est améliorée. Il est aussi possible que les générations futures considèrent que la transition écologique était le facteur le plus important et que les entreprises n'ont pas été à la hauteur. Il est difficile de pondérer les différentes urgences simultanées.
M. Romain Bentz, directeur délégué Affaires publiques du Groupe Michelin. - Pendant cinq ans je me suis occupé du reporting RSE du Groupe Michelin et je suis aujourd'hui aux affaires publiques. Mon parcours illustre le cheval de Troie que constitue une réglementation sociétale pour « tripatouiller » la stratégie des entreprises. En matière de responsabilité sociétale, le reporting est depuis toujours l'exercice structurant mais il faut rassurer les entreprises sur les notions de matérialité, de sincérité et de transparence et leur dire qu'elles ne sont pas à la merci des cabinets de conseils, notamment des Big Four. Les sénateurs sont en ce moment en train de discuter du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), ce qui fait écho à ce que je souhaite vous dire.
D'où viennent l'extension et l'intensification de la CSRD ? Nous en sommes là aujourd'hui parce qu'en 2018 le monde financier a commencé à comprendre que la RSE allait compter. Les agences de notation financière, qui font la pluie le beau temps sur les marchés comme on l'a vu depuis 2008 avec la note triple A des États, ont commencé à racheter les agences de notation extra-financière qui avaient émergé. Nous avons tiré la sonnette d'alarme en alertant les autorités sur la concentration d'un pouvoir phénoménal entre les mains d'une seule superpuissance étatique et nous avons appelé l'Europe à réagir pour éviter d'être à nouveau à la merci de cette superpuissance contrôlant le thermomètre de nos entreprises.
L'Europe a pris conscience qu'elle serait incapable de conserver une agence de notation qu'elle créerait et est peu présente dans les instances taxonomiques mondiales. Elle a donc décidé de fixer des normes, ce qu'elle maîtrise très bien, en les considérant comme une barrière douanière. Maintenant, se pose la question des clauses miroirs. Si à chaque fois que l'Europe signe un traité commercial bilatéral elle fait des concessions sur ces éléments, nos entreprises seront perdantes.
Mme Justine Lecallier, Associée et directrice générale de Circul'Egg - Je suis la cofondatrice d'une jeune start-up industrielle qui valorise les coquilles d'oeufs. Cette entreprise est née il y a quatre ans sous l'impulsion de normes. Nous ne sommes pas encore concernés par la CSRD mais je m'interroge sur l'existence de normes incitatives à côté des normes coercitives pour la RSE des entreprises, par exemple une baisse de la TVA sur les produits biosourcés ou recyclés.
Mme Nathalie Gimenès. - Toutes les normes ne sont pas coercitives et je répète que la CSRD impose aux entreprises une obligation de dire, de la transparence.
C'est en 2001 que Jacques Chirac, en réponse à l'appel que Kofi Annan à la conférence de Davos, a imposé pour la première fois aux entreprises du CAC 40 de faire preuve de transparence sur leur impact social et environnemental. Cette démarche de transparence est dans la culture française.
La règle c'est de dire, pas de faire. Les entreprises ne sont pas jugées sur leur capacité à mettre en place les plans de transition, l'auditeur ne va pas leur reprocher de ne pas avoir remplacé une chaudière par un modèle fonctionnant avec de la biomasse. L'objectif de la CSRD est d'encourager les entreprises à développer cette culture de la transparence.
M. Dominique Seux. - Sur les mesures incitatives, il y a un débat entre l'Europe et les États-Unis. Ils utilisent davantage que nous l'instrument fiscal, alors que la France et l'Europe privilégient les aides, qui sont pourtant plus compliquées à appréhender. Vous avez parlé de 2000 aides différentes existant en France pour les entreprises. Si le système américain n'est pas un océan de tranquillité et de simplicité, notre système d'aides est particulièrement complexe. C'est peut-être un chantier que le Sénat pourrait ouvrir, privilégier le levier fiscal aux aides mais l'État préfère prendre et donner, ce qui lui permet de rester au coeur des évolutions.
M. Laurent Cavard, président-directeur général d'Altho Brets. - Mon entreprise, qui fabrique des chips en Bretagne et en Ardèche est labellisée « PME+ ». La CSRD sera-t-elle opposable à toutes les demandes que nous recevons ? Nous sommes confrontés à une explosion des demandes de reporting. Est-ce qu'un jour nous pourrons répondre que nous arrêtons de diffuser de l'information ?
Depuis plus de 20 ans, les normes en comptabilité sont les normes IFRS mais le fisc français ne les applique pas pour les éléments déductibles et se réfère au plan comptable français. Le reporting RSE sera-t-il soumis au même sort et nos entreprises confrontées à des demandes allant dans tous les sens ?
Je dispose d'un méthaniseur pour lequel j'emploie trois salariés. Je dois faire un reporting à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), avec un historique de cinq ans et des données extra-comptables. Or, je n'ai ni le temps ni le personnel pour le préparer.
Pourrons-nous opposer aux administrations notre reporting CSRD ?
Mme Nathalie Gimenès. - Aujourd'hui, toutes les entreprises reçoivent des demandes ad hoc en permanence qui représentent une lourde charge administrative. J'accompagne de nombreuses entreprises pharmaceutiques dans la mise en oeuvre de la CSRD. Est-ce que vous trouvez logique que des établissements de santé publics imposent à des industriels privés de payer un label privé pour pouvoir rentrer dans la commande publique française ? Si nous voulons récompenser les efforts des entreprises qui publieront leur reporting de CSRD, il faut qu'il soit utile et que tout le monde l'utilise. C'est indispensable pour que toutes les entreprises se mettent en mouvement sinon cette norme ne servira à rien ou presque. C'est ma crainte et je remercie Mmes Romagny et Canalès d'avoir précisé ce point dans leur rapport.
M. Dominique Seux. - Si la comptabilité appliquée par le fisc n'est pas cohérente avec les normes IFRS, c'est un sujet pertinent pour Les Échos !
M. Didier Boudy. - Je confirme que nous sommes noyés sous les demandes, notamment celles émanant des acteurs de la grande distribution en France et en Europe. Ils nous demandent des reportings allant dans tous les sens mais heureusement il y a maintenant des outils informatiques qui nous aident à les produire. Nous avons investi dans des logiciels pour ranger les données et « automatiser » les réponses et ils fonctionnent correctement. Il existe donc des solutions pour aider les entreprises à faire face à cette avalanche de demandes.
M. Daniel Fischer, président de la CPME de Corrèze. - Nous sommes très heureux que le Sénat ait pris l'initiative d'une proposition de loi sur le test PME et je souhaite mettre l'accent sur l'injustice et l'incompréhension. Les chefs d'entreprise craignent d'être pris en otage par les organismes de normalisation. Par ailleurs, les débats portent plus sur le méthane émis par les gaz des vaches que sur celui émis par les plateformes pétrolières. Cette injustice s'observe à d'autres niveaux. On embête les PME mais personne ne semble choqué par des Jeux olympiques utilisant de la neige artificielle ou l'organisation du mondial de football dans des stades climatisés au Qatar. En France, les coraux de Tahiti ont été abîmés par la construction d'une tour d'arbitrage en béton de 17 mètres pour les épreuves olympiques de surf.
Sommes-nous obligés d'être les meilleurs en termes de RSE ? Pourquoi ne pas envisager un examen, les entreprises ayant la moyenne étant acceptées ? Nous sommes en train de nous tirer une balle dans le pied alors qu'à l'extérieur de l'Union européenne les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes contraintes. On peut demander aux agriculteurs ce qu'ils pensent du blé et des poulets ukrainiens.
M. Emmanuel Cugny. - Monsieur serait un bon régulateur et un bon législateur.
Mme Nathalie Gimenès. - Je suis d'accord. Je crois beaucoup aux actions des fédérations professionnelles qui doivent s'approprier ce sujet et accompagner les entreprises pour qu'elles se saisissent du sujet et construisent leur propre norme dans une optique d'autorégulation du marché. Soit les entreprises attendent, soit elles prennent le lead pour créer le marché de demain.
M. Didier Boudy. - Nous ne pouvons pas rendre nos entreprises parfaites. Nous progresserons beaucoup plus en faisant collectivement un tout petit peu mieux qu'avec quelques entreprises parfaites. Le but est de créer le mouvement, de les inciter à aller de l'avant et cela semble fonctionner. Les fournisseurs commencent à parler de RSE, la fédération professionnelle de la boulangerie incite ses adhérents à s'y intéresser. C'est ce mouvement qui va permettre de résoudre les difficultés. Il est possible d'en faire un axe de différenciation mais ce n'est pas une entreprise parfaite qui va changer la situation.
M. Jérôme Bazin, président du groupe Dimood. - Dimood est un groupe spécialisé dans l'implémentation de systèmes d'information, la data et la cybersécurité. Notre terrain de jeux regroupe l'Europe, l'Amérique du Nord et un petit peu l'Asie. Le consommateur n'a pas été évoqué au cours de nos échanges. Les normes ne sont pas applicables partout. L'Europe et l'Amérique du Nord veulent être à la pointe mais l'Asie et le Moyen-Orient sont moins concernés. Mes clients vont de la grosse PME à la grosse ETI, ce sont des entreprises françaises ou européennes qui travaillent sur l'ensemble de ces zones et leurs enjeux sont différents. Par exemple, sur le marché du textile, le consommateur qui achète des vêtements se moque généralement de savoir si les produits respectent une norme RSE. Certains font attention, des marques en ont fait un avantage concurrentiel mais globalement, on évoque des normes au niveau européen tout en sachant qu'elles ne sont pas appliquées ailleurs, ce qui fait peur aux entreprises européennes. Il faut donc créer des mécanismes de protection mais je trouve que nous sommes très timorés sur ce sujet et très ignorants des différences existant dans l'application des normes.
Mme Nathalie Gimenès. - L'ISSB a été créée pour attirer les pays dans une dynamique de norme comptable et la plupart des pays y adhèrent. Il ne faut pas croire qu'il n'y a pas de reporting ou de normes RSE dans les autres pays, même en Chine. Il y a un mouvement international vers la mise en oeuvre de cette thématique.
Mme Caroline Delloye, directrice générale adjointe du groupe Gonzales. - Nous sommes une ETI, donc nous sommes concernés par la CSRD. Mon commentaire rejoint ceux des deux dernières personnes qui ont pris la parole et porte sur l'international. J'ai parfois l'impression qu'en France et en Europe nous vivons dans une bulle. J'espère que la CSRD jouera un rôle positif en termes de barrières à nos frontières pour les produits trop polluants. Elle contraint énormément les ETI et demain les PME et coûte beaucoup d'argent. Or, nous ne vivons pas dans une bulle et les autres pays me semblent moins vertueux. Vous avez évoqué la Chine mais certains pays peuvent annoncer des dispositifs sans les mettre en oeuvre, alors que la France et l'Europe sont de bons petits soldats.
M. Didier Boudy. - Nous sommes engagés dans la RSE parce que nous avons décidé d'en faire un avantage compétitif, parce que nous sommes convaincus de l'importance de cette démarche. Même si certains ne prennent pas ce chemin, nous allons continuer, même si nous avons raison trop tôt. C'est avant tout une question de conviction.
Mme Nathalie Gimenes. - C'est d'abord et avant tout un choix des dirigeants d'entreprise. Je répète que la norme CSRD vous obligera à dire mais pas à faire. C'est vous qui déterminez le rôle de votre entreprise dans la société, son impact. L'Europe a choisi d'être le premier continent neutre en carbone mais il faut bien qu'un continent porte une ambition haute pour inciter les autres à se mettre en mouvement. Cette réflexion s'inscrit dans des défis politiques et géopolitiques qui vont au-delà de l'écologie et des droits humains. Nous avons beaucoup parlé d'écologie mais les droits humains sont très importants dans la CSRD.
Vivez la CSRD comme une opportunité de requestionner votre rôle, comme tout outil de gestion j'espère qu'elle jouera un rôle décisionnaire et qu'elle vous sera utile. Essayez de faire de cet exercice une opportunité.
M. Dominique Seux. - Le grand espoir de l'Europe depuis quinze ans est d'être une force d'impulsion et d'entraînement sur le reste du monde sur ces sujets. Ce n'est pas un échec. L'accord de Paris a été signé à Paris et Joe Biden a reconnu s'être inspiré de ce qui se fait en Europe. En revanche, les sociétés civiles aux États-Unis comme en Asie ne sont pas encore focalisées sur ces questions comme elles le sont, plus ou moins, en Europe. Aux États-Unis, les questions climatiques sont abordées sous l'angle « je rajoute un degré dans la climatisation ». 90 % des logements américains sont climatisés et le gouvernement n'évoque jamais les dérèglements climatiques, alors que les tempêtes et les ouragans concernent le pays. Les gouvernements américains ne parlent jamais du réchauffement climatique.
En Asie et notamment en Chine, le sujet est moins celui du climat que celui de la qualité de l'air, comme à Pékin. Les positions bougent mais les sociétés civiles avancent beaucoup moins vite et poussent beaucoup moins leurs gouvernements qu'en EuropeCelle-ci est en avance, un peu isolée.
Pour conclure en une phrase, il faut à la fois être très pragmatique, entendre les chefs d'entreprise, mais aussi s'interroger sur ce que penseront les générations futures de nos actions.
M. Emmanuel Cugny. - Je vous remercie tous les trois pour votre participation à cette table ronde. Je rappelle que les résumés des rapports qui ont été évoqués sont disponibles sur internet et dans les tote bags que le Sénat a déposés sur vos sièges.
Table ronde : Simplifier l'accès des entreprises au foncier économique
M. Emmanuel Cugny. - M. Sébastien Martin, vous êtes le président d'Intercommunalités de France, association de collectivités territoriales et de leurs groupements, et présidez également la communauté d'agglomération du Grand Chalon. Maître Arnaud Gossement, vous êtes avocat en droit de l'environnement et professeur associé en droit à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. M. Olivier Schiller, vous êtes vice-président du Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire (METI), et présidez Septodont, un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans la fabrication et le développement de produits destinés aux professionnels du monde dentaire.
En introduction à nos échanges, je vous propose de regarder une courte vidéo sur les difficultés d'accès au foncier économique.
Diffusion d'une vidéo des rapporteurs de la mission d'information « Difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre ? » (M. Christian Klinger, M. Michel Masset)
M. Christian Klinger, rapporteur de la mission d'information « Difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre ? ». - Il y a eu plusieurs cas emblématiques d'abandon de projets en France. Nos travaux ont démontré qu'une entreprise sur deux en France renonce, faute de site pour ses activités, à une implantation sur notre territoire.
M. Michel Masset, rapporteur de la mission d'information « Difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre ? ». - Les annonces portées par le Gouvernement concernent principalement l'implantation de giga factories ou les entreprises étrangères venant s'implanter en France. Elles contrastent avec la situation des TPE, des PME et des ETI. Ces structures sont en difficulté et ont des besoins fonciers importants. Alors qu'elles représentent la majorité du tissu économique français elles ne bénéficient pas d'accompagnement et de facilités comme les grands projets.
M. Christian Klinger, rapporteur. - Pour réindustrialiser et mener les grandes transitions de demain, il faut aller vite, il faut faire place à l'entreprise de demain, plus économique en termes de foncier et plus vertueuse en termes de RSE. Nous avons remarqué que le temps administratif n'est pas le temps économique. Il faut aller vite, raccourcir les délais et mener un effort de simplification pour ne pas amputer la compétitivité des entreprises. Nous proposons aussi d'associer les entreprises et leurs représentants plus étroitement et systématiquement lors de l'établissement des documents d'urbanisme et de planification, et de réserver une partie des aides du « Fonds friches » à des projets d'activité économique.
M. Michel Masset, rapporteur. - Il faut également mettre en place un interlocuteur national pour tous nos porteurs de projets en France, y compris petites et moyennes entreprises, sur le modèle de Business France que connaissent aujourd'hui les investisseurs étrangers.
Le nombre de recours explose. Même rejetés, ils engendrent encore coûts et délais, et poussent les entreprises à abandonner leurs projets initiaux. Attention à ne pas faire passer les besoins de l'activité économique après tout le reste.
M. Emmanuel Cugny. - Sébastien Martin, les entreprises sont confrontées à la raréfaction du foncier, la demande d'installation est loin d'être satisfaite. Quel est votre regard sur cette problématique ?
M. Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France et président de la communauté d'agglomération du Grand Chalon. - Je salue le président de la délégation aux Entreprises, qui est élu, comme moi, dans la région Bourgogne-Franche-Comté.
Nous partageons les conclusions présentées par les deux rapporteurs Christian Klinger et Michel Masset. Intercommunalités de France a réalisé une étude qui a montré que 70 % des présidents d'intercommunalités avaient soit refusé, soit été dans l'incapacité d'accompagner un projet d'implantation pour des raisons liées au foncier économique.
Cependant, je suis las de ces grandes séances de psychanalyse collective où l'on dit que tout va mal et où nous broyons du noir pendant des heures. Si nous refusons des projets, c'est parce qu'il y en a. Je vous rappelle que nous sortons d'une période de deux ou trois décennies marquées par la désindustrialisation de notre pays et que nous étions souvent plus confrontés à la gestion de fermetures, de délocalisations ou de déplacements d'entreprises, qu'à des problématiques d'accueil de nouveaux projets. C'est donc aussi une bonne nouvelle.
Je partage deux des trois propositions des sénateurs, mais je suis surpris que le Sénat, chambre des territoires et de la décentralisation, propose la mise en place d'un interlocuteur national à Paris pour les projets des PME et des ETI, alors que les intercommunalités s'efforcent déjà de mettre à la disposition des entreprises un interlocuteur unique, facilitateur de la réussite des projets de développement économique ou d'implantation d'entreprise.
M. Emmanuel Cugny. - Olivier Schiller, que pensez-vous des contradictions entre la volonté de réindustrialiser la France et les contraintes qui pèsent sur les entreprises ?
M. Olivier Schiller, président de Septodont, vice-président du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI). - Je tiens à saluer la volonté commune de réindustrialisation du pays. C'est une cause nationale à laquelle tout le monde se rallie, notamment les élus locaux, et je remercie Intercommunalités de France et son président pour leur action.
Depuis 2017, 120 000 emplois industriels ont été créés et 600 usines ont été construites en France. Les ETI y ont contribué puisque dans le même temps leur nombre a cru de 4 600 à 6 200, et nous avons créé 60 000 emplois. Nos investissements ont augmenté de 25 % entre 2022 et 2023. Ils nous ont permis de renouveler notre outil de production mais aussi d'augmenter nos capacités.
La croissance est dans l'ADN des ETI, mais la réindustrialisation est aussi le fruit de la politique gouvernementale : réforme de la fiscalité du capital, baisse des impôts de production, baisse des charges sociales et loi « Travail ». Cette politique a porté ses fruits avec un retour sur investissement immédiat.
Cependant, rien n'est gagné. Nous avons besoin de constance et d'endurance. De constance parce que les décisions qui sont prises aujourd'hui auront un impact sur l'industrie en France dans les dix prochaines années ; d'endurance car il faut poursuivre nos efforts. L'écart de coûts entre les entreprises françaises et celles des pays qui nous entourent est d'environ 80 milliards d'euros. Il faut poursuivre la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et le réalignement compétitif. Nous sommes en effet confrontés à des prix de l'énergie qui nous rendent moins concurrentiels que les pays qui nous entourent, ainsi qu'à un choc de complexité avec l'entrée en vigueur de la directive CSRD, dont nous chiffrons le coût à 2 milliards d'euros pour les ETI. Enfin, nous subissons la rareté du foncier industriel, en raison notamment des objectifs de « ZAN » introduits par la loi « Climat-Résilience ».
M. Emmanuel Cugny. - Maître Arnaud Gossement, observez-vous une réelle volonté de simplifier la vie des entreprises aujourd'hui en France ?
Me Arnaud Gossement, avocat en droit de l'environnement et professeur associé en droit à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. - Je remercie le Sénat d'avoir organisé cette Journée des Entreprises.
Avant de répondre à votre question, je souhaite définir la simplification, qui renvoie à des réalités très différentes. La simplification doit porter sur le nombre de normes - le code de l'environnement vient de dépasser un million de mots - mais aussi sur la lisibilité, sur la stabilité et sur la charge des normes, c'est-à-dire sur le temps qu'un dirigeant d'entreprise consacre au traitement des normes. Elles ne viennent pas toutes de l'État mais aussi des banques, des fournisseurs ou des conditions générales de vente des produits qu'il doit acheter.
Il y a une volonté de simplifier et des premiers résultats. Des réformes ont simplifié les procédures et réduit les délais d'instruction des dossiers : je pense notamment à la procédure d'autorisation environnementale, importante pour l'accès au foncier. Mais d'autres domaines n'ont pas été simplifiés.
Quand Bruno Le Maire a lancé le chantier du projet de loi « Industrie verte », il a demandé à des chefs d'entreprise répartis en cinq groupes de travail de plancher sur la manière de simplifier la vie des entreprises. Ces travaux ont abouti à une loi d'une cinquantaine d'articles et à un projet de décret qui compte une centaine d'articles. Simplifier est compliqué.
Les chefs d'entreprise ont besoin d'être sécurisés dans leur activité. En tant qu'avocat, j'interviens notamment auprès d'une giga factory dont l'on parle en ce moment dans les actualités nationales. Pour accéder au foncier dont il a besoin, mon client demande de la sécurité : il devra nécessairement respecter des normes, mais demande des garanties avec des contrats épais prévoyant des situations particulières.
Le foncier économique est un exemple parfait de sujet sur lequel l'on ne pourra pas simplifier à outrance.
Les solutions passent d'abord par l'allègement de la charge de ces normes pour les entreprises, sans dire en permanence que nous allons réduire le nombre des normes, ce qui n'est pas toujours possible.
M. Emmanuel Cugny. - Sébastien Martin, quelle est aujourd'hui la capacité des intercommunalités à intervenir en matière de foncier économique ?
M. Sébastien Martin. - Comme Maître Gossement, je suis toujours un peu inquiet quand j'entends parler de choc de simplification et crains au contraire de nouvelles complexités. Nous n'allons pas abaisser le niveau de protection de notre environnement.
Quand un investisseur cherche du foncier, il a besoin de sécurité. Il ne va pas investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour construire une usine sur un foncier sur lequel il y a des incertitudes. Intercommunalités de France a donc défendu une idée simple : poursuivre et amplifier la logique des « sites clés en main ». Un site industriel clé en main, c'est un foncier sur lequel la collectivité a pris à sa charge l'ensemble des études préalables à la construction de bâtiments. Si une collectivité propose un terrain sans avoir mené les études liées à l'archéologie préventive ou les études « 4 saisons » de biodiversité, l'industriel ne saura pas gérer les difficultés qui peuvent en naître, comme la découverte au milieu du chantier d'un vase gallo-romain ou d'une zone humide occupée par la pie-grièche. Tout cela peut engendrer un décalage de deux ou trois ans de son projet.
M. Emmanuel Cugny. - Avez-vous des exemples concrets ?
M. Sébastien Martin. - Il est possible de s'implanter rapidement en France. Ma communauté d'agglomération vient de céder 19 hectares au groupe industriel Atlantic pour la fabrication de pompes à chaleur. La cession a été décidée en octobre dernier et la construction de l'usine débutera en juillet prochain, soit moins d'un an après, car ils doivent simplement déposer un permis de construire et réaliser les procédures liées au statut d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). Ils n'ont pas à gérer les fouilles archéologiques ou les problématiques environnementales. Pour simplifier l'implantation des entreprises, il faut leur proposer de tels sites clés en main. En effet, une étude « 4 saisons » sera par nature toujours réalisée sur quatre saisons : nous ne parviendrons pas à raccourcir cette durée par la seule simplification.
M. Emmanuel Cugny. - Olivier Schiller, pouvez-vous citer des exemples d'entreprises confrontées à des difficultés d'accès au foncier ?
M. Olivier Schiller. - Plusieurs exemples sont connus. Bridor, une entreprise industrielle fabriquant des viennoiseries, implantée près de Rennes, avait pour projet d'investir 250 millions d'euros dans un nouveau site industriel de 21 hectares et de créer ainsi 500 emplois. Elle a été confrontée à de multiples recours d'associations environnementales. Après six ans de procédures et de mouvements « zadistes », l'entreprise a renoncé à cette implantation, ce qui est dramatique pour la région.
Un autre exemple est l'entreprise SACRED, fabriquant de caoutchouc qui a acheté en 1990 près de Mulhouse un terrain de 12 000 mètres carrés. 6 000 m2 ont été construits et 6000m2 devait constituer une réserve foncière pour des développements futurs. Lorsque le dirigeant a voulu réaliser une extension sur cette réserve en 2023, on lui a appris que cette surface avait été classée en zone humide et remarquable sans même qu'il ait été prévenu. Il n'a pu introduire de recours contre le document d'urbanisme car les délais étaient dépassés. Une mission d'experts a pourtant conclu que la qualification de zone humide et remarquable était erronée. Ce projet va être retardé de nombreuses années.
M. Emmanuel Cugny. - On peut multiplier à l'envi ces exemples dans les territoires. Maître Gossement, où sont les solutions ? Que conseillez-vous aux entreprises ?
Me Arnaud Gossement. - Je souhaite distinguer encore une fois la norme de la charge de la norme. Dans les dossiers relatifs aux aides de la politique agricole commune, le problème de l'agriculteur est de remplir ces dossiers, rédigés dans un jargon qui est difficilement compréhensible.
Aujourd'hui, quand une entreprise veut investir dans un foncier, un bâtiment, une usine ou une centrale solaire, elle doit réaliser une étude d'impact. C'est un document qui est volumineux. La durée de l'étude ne peut pas être réduite puisqu'il faut étudier l'environnement sur les 4 saisons.
C'est un document utile, qui permet à l'entreprise de savoir où elle met les pieds et le cas échéant d'imposer des conditions au vendeur. Il est aussi utile pour le vendeur, puisque l'acheteur ne pourra pas se retourner plus tard contre lui en fonction de ce qu'il aura découvert. Cependant, une étude d'impact coûte cher et engendre un risque juridique en cas de saisie d'un juge, ce qui rallonge les procédures.
Je remercie d'ailleurs les rapporteurs de la délégation aux Entreprises, qui avaient bien voulu m'entendre dans le cadre de leur très bon rapport sur l'accès des entreprises au foncier économique. Il est possible de mettre en oeuvre une réforme très simple : la mutualisation des études d'impact. Si l'étude d'impact est réalisée par l'industriel, les associations estimeront qu'elle n'est pas sincère, et le juge pourrait aller dans leur sens puisqu'elle aura été payée par ce même industriel ou par ses consultants. L'entreprise, elle, aurait pourtant préféré s'en passer puisqu'elle lui aura coûté beaucoup d'argent, fait perdre un an dans le calendrier de son projet et potentiellement coûté une subvention car il aura pris du retard dans le montage de son dossier.
Ma proposition n'est pas de supprimer cette étude, puisqu'il est nécessaire d'étudier les conséquences d'un projet sur l'environnement, la santé des travailleurs, les riverains, etc. Mais si elle est mutualisée, financée par un fonds abondé en fonction de l'importance des projets et des moyens des entreprises, la vie des entreprises sera simplifiée, la charge financière allégée et le risque devant un juge diminué, les associations ne pouvant plus mettre en avant son insincérité. C'est vraiment sur la charge de la norme que nous pouvons agir.
M. Emmanuel Cugny. - Comment les élus peuvent-ils être plus proactifs dans la simplification et l'accompagnement ? Ils sont en effet soumis à des injonctions contradictoires.
Me Arnaud Gossement. - Les élus font ce qu'ils peuvent, il faut saluer leur travail alors qu'ils sont en effet soumis à des injonctions contradictoires. On demande aux parlementaires de proposer des lois, et en même temps on leur demande de ne pas trop en voter. Lorsqu'ils discutent un projet ou une proposition de loi, ils sont destinataires de centaines de propositions d'amendements, généralement portés par des fédérations professionnelles qui craignent des ruptures de concurrence ou veulent protéger l'égalité des opérateurs sur un même marché. La loi « Industrie verte » a été proposée par des chefs d'entreprise, il est important de le rappeler.
Au niveau local, le maire qui n'a pas forcément la compétence pour s'occuper d'eau, d'assainissement, d'urbanisme, etc. est lui aussi soumis à ces injonctions contradictoires. C'est là l'importance du conseil : je ne parle pas des consultants, mais du dialogue environnemental qui malheureusement n'a pas été mis en place en droit de l'environnement (contrairement au droit du travail). Aujourd'hui, on attend la crise, la « ZAD », la cristallisation des conflits, alors que le Grenelle de l'environnement en 2007 avait tenté de mettre en place un dialogue environnemental. Il faudrait créer ce dialogue à l'image du dialogue social, qui ne constituerait pas une charge supplémentaire, notamment de reporting.
Par ailleurs, dans les situations d'urgence, il faudrait décharger les élus par la mise en place de médiations. Cela marche très bien en matière commerciale, les entreprises trouvent des solutions et évitent des années de contentieux.
M. Emmanuel Cugny. - Sébastien Martin, quelle est, sur le terrain, la bonne échelle de décisions ? Comment réagissez-vous aux propos de Maître Gossement ?
M. Sébastien Martin. - La loi est très claire, elle a donné aux intercommunalités la compétence en matière de foncier économique. Sans foncier, il n'y a pas de projets. Il appartient aux présidents d'intercommunalité de veiller à ce qu'elles soient la porte d'entrée unique pour le porteur de projet. Il n'y a rien de pire pour un chef d'entreprise que de devoir aller taper, pour un même projet, à 5 ou 6 portes différentes. C'est notre responsabilité que de nous organiser, d'accueillir le porteur de projet, en réunissant toutes les personnes concernées par le projet autour de la table. C'est d'autant plus vrai que l'intercommunalité peut porter le foncier économique, l'eau, l'assainissement, les transports et le réseau fibre optique très haut débit. On peut dialoguer avec le sous-préfet pour obtenir un conseil ou faire réaliser un « pré-examen » du dossier ICPE par la directions régionales de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) ; ou avec le représentant du Conseil régional qui est compétent pour allouer des aides pour l'innovation, l'achat de machines ou la formation. Ce regroupement des différents acteurs est important et nous crédibilise aux yeux du chef d'entreprise, pour qui la répartition des compétences entre collectivités territoriales et Etat importe peu.
M. Olivier Schiller. - Nous sommes très favorables à ce type de démarche. Nous prônons la création d'« initiatives de prospérité locale » où les chefs d'entreprise pourraient dialoguer avec l'intercommunalité, d'une part pour valoriser les externalités positives des projets en termes de création d'emplois et d'investissements, d'autre part pour se mettre d'accord sur une trajectoire en matière d'urbanisme, de fiscalité locale (cotisation foncière des entreprises, taxes foncières, versement mobilité, etc). Un groupe de travail devrait s'y atteler.
M. Emmanuel Cugny. - Qu'attendez-vous concrètement du législateur ? Quelles sont les mesures prioritaires pour les chefs d'entreprise ?
M. Olivier Schiller. - Il est important de poursuivre le réalignement compétitif, qui a porté ses fruits entre 2017 et 2022.
En matière de foncier, plus spécifiquement, il faut limiter en nombre et en durée les procédures contentieuses des associations, qui peuvent tuer des projets. L'application de la loi « Climat-Résilience », dans ses objectifs « ZAN », doit être revue. Si l'on peut comprendre qu'il faille limiter l'artificialisation des sols dans les grandes métropoles très denses, l'interdiction d'artificialisation dans des territoires où il n'y a pas d'industrie est antinomique avec la volonté de réindustrialisation du pays. C'est l'objet de ces « initiatives de prospérité locale ».
Me Arnaud Gossement. - Il faut aussi dire aux entreprises, qui n'imagineraient pas se passer de certaines fonctions comme le commercial, qu'il est dommage qu'elles n'aient pas le réflexe d'embaucher des juristes pour les aider à naviguer dans les normes - voire pour casser des idées préconçues quant au contenu de la loi. Par exemple, des rumeurs sur le « ZAN » et sur les nouvelles règles de réduction d'artificialisation des sols font parfois renoncer à des projets. On peut le regretter, car en réalité la loi n'est pas si stricte, d'autant plus qu'elle a été simplifiée.
Je plaide donc pour le recrutement de juristes, qui pourrait peut-être bénéficier d'allègements de charges. Disposer d'un juriste en interne fait une vraie différence, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Je précise que je parle bien de juristes, et non d'avocats !
M. Sébastien Martin. - Ma recommandation est la suivante : ne faites pas de nouvelle loi ! Stabilisons le cadre juridique existant, avançons sur le terrain pour le développement de « sites industriels clés en main », et organisons-nous, territoire par territoire, pour accompagner les projets tant endogènes qu'exogènes.
M. Emmanuel Cugny. - Passons maintenant aux questions.
M. Michel Masset, rapporteur. - J'étais, jusqu'à récemment, président d'une intercommunalité qui portait 4 pôles d'activités importants.
Monsieur le président Martin, je souhaite apporter une précision en réponse à vos propos, car vous avez indiqué ne pas partager la recommandation de notre rapport d'information visant à identifier un interlocuteur unique pour les projets des entreprises. Il n'est nullement question que cet interlocuteur unique que nous appelons de nos voeux dans notre rapport soit exclusivement parisien. Il doit être désigné par territoire communautaire ou par département. Il s'agit de créer une porte d'entrée pour les entreprises, avec un interlocuteur qui connaîtra le potentiel de foncier disponible sur le territoire.
Pour les projets pouvant viser plusieurs territoires, nous recommandons un interlocuteur national qui pourrait disposer d'une vision globale.
Enfin, je souhaite souligner que l'un des freins aux projets est lié à l'acceptabilité et aux nombreux recours déposés : c'est un aspect très important.
M. Laurent Cavard, président-directeur général d'Altho Brets. - J'ai un projet de construction d'usine sur une emprise de 12 hectares, pour un investissement d'environ 100 millions d'euros. Je peux donc témoigner de la manière dont l'instruction du dossier se déroule. Le terrain nous appartient depuis 10 ans. Des fouilles archéologiques préventives ont eu lieu, suivies de fouilles complémentaires pour un coût de 500 000 €, somme non négligeable au regard du coût total du projet, et qui n'est pas fiscalement déductible.
Je m'interroge sur la vitesse de la justice administrative. Nous sommes soumis à des recours contre le permis de construire, et avons d'ailleurs nous-mêmes déposé un recours contre le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) qui vient d'être purgé. Nous nous attendons aussi à un recours contre l'autorisation d'exploiter, puisque nous sommes confrontés à l'association qui a déjà attaqué le projet de l'entreprise Bridor évoqué précédemment par l'un des intervenants.
Or, le temps de justice administrative est long, complètement déconnecté du temps de la vie de l'entreprise. Notre nouvelle usine doit démarrer en janvier 2026, mais si j'attends que le recours contre l'autorisation d'exploiter soit purgé, elle ne démarrera qu'en 2028 au mieux, avec à la clé des pertes de marchés. Fera-t-on quelque chose pour accélérer les délais de la justice administrative ? Il est normal que l'on puisse formuler des interrogations sur un projet, mais de tels délais sont anormaux : c'est un goulot d'étranglement.
Me Arnaud Gossement. - Sur les dix dernières années, les délais de la justice administrative ont quasiment été divisés par deux. Les décisions sont aujourd'hui rendues en moins d'un an, en moyenne. Quand il se défend devant une juridiction administrative, l'industriel lui-même a besoin de temps pour produire des documents et organiser sa défense.
Par ailleurs, il y a aussi des industriels qui saisissent les juridictions administratives. J'ai parmi mes clients un promoteur immobilier qui en attaque un autre et conteste son permis de construire. Les recours ne sont pas le monopole des associations.
Enfin, l'assurance-recours doit se développer. Il est important qu'une entreprise puisse commencer à construire rapidement, notamment si elle a besoin d'une subvention. Les produits assurantiels liés au risque juridique ne sont pas suffisamment développés et coûtent cher. Il serait intéressant que le risque lié aux recours soit assuré pour permettre à l'industriel de construire, tout en préservant le droit au recours. Si celui-ci aboutit à une annulation du permis de construire, l'assurance prendra en charge les coûts afférents. De surcroît, les annulations de permis sont de plus en plus rares car il est désormais possible de régulariser le permis en cours d'instance, grâce à une réforme conduite en 2017 qui produit des effets très intéressants.
Enfin, je rappelle que la France manque cruellement de magistrats et de greffiers. Gouvernement après gouvernement, les moyens de la justice restent malheureusement le parent pauvre du budget de l'État.
M. Sébastien Martin. - Je souhaite revenir sur la question de l'acceptabilité des projets économiques. Nous croyons beaucoup à la logique de sites industriels clés en main pour faciliter cette acceptabilité. Pour que des emprises soient « clés en main », il faut du temps, car la collectivité doit porter toutes les études que j'ai déjà mentionnées.
Ce temps va permettre d'organiser des réunions publiques, de mener une enquête publique en cas de création d'une zone d'aménagement concerté (ZAC), et donc de lever des inquiétudes face au projet de développement d'un foncier à vocation économique.
Quoiqu'il en soit, le citoyen qui ne veut pas d'une usine à côté de chez lui multipliera les recours et il est sera difficile de lutter contre cela.
Je pense aussi que la réindustrialisation sera plus facile dans les territoires qui ont vécu avec, et qui ont gardé une culture industrielle. Sur ces territoires, il y a dans toutes les familles un membre qui a travaillé dans les usines locales : chez moi, c'était chez Kodak, à Sochaux, chez Peugeot, etc. Dans ces territoires, la construction d'une nouvelle usine n'est pas perçue de la même manière que dans les territoires où la sociologie a beaucoup changé.
En Bretagne par exemple, la pandémie de Covid-19 a accéléré les changements sociologiques avec l'arrivée de populations beaucoup plus urbaines, parfois de la région parisienne, qui n'ont pas exactement la même relation avec le développement économique territorial et la place de l'industrie. J'ai aussi rencontré des porteurs de projets issus de vallées industrielles près d'Annecy qui sont venus chercher des implantations à Chalon-sur-Saône, parce qu'ils n'arrivaient plus à développer leur projet chez eux, en effet la population d'aujourd'hui ne veut plus d'usines. C'est un frein, mais heureusement certains territoires sont prêts à accueillir le développement industriel.
François Schneider, fondateur et directeur général de la Fondation François Schneider - Je conduis un projet qui concerne simultanément les domaines de la culture, du tourisme et de la production artisanale. Chaque jour - et ce n'est pas une figure de style - je découvre des subventions, des aides, en prêts ou en fonds propres. D'une part, je suis frustré, car je crains d'en oublier ou de passer à côté de certaines. D'autre part, je suis stupéfait par le temps nécessaire à un chef d'entreprise ou à un créateur d'entreprise pour remplir chaque dossier, sous des formes à chaque fois différentes.
Pourquoi ne pas mettre en place dans chaque département, dans chaque région ou dans chaque intercommunalité un unique interlocuteur qui connaîtra toutes les aides et qui permettra de rendre le dossier acceptable pour chacun des organismes sollicités ?
M. Emmanuel Cugny. - C'est le sens de l'une des propositions du rapport du Sénat sur les difficultés d'accès au foncier économique, que nous avons déjà évoquée précédemment. La synthèse de ce rapport est à votre disposition dans les tote bags qui vous ont été remis.
M. Sébastien Martin. - Je suis entièrement d'accord avec vous. De nombreux territoires sont aujourd'hui parfaitement armés pour gérer toutes les aides. Il y a dans mon agglomération une direction du développement économique composée d'une vingtaine de collaborateurs. Elle accueille les entrepreneurs et les accompagne tout au long de leur projet.
Nous avons besoin de la région, mais uniquement en tant que financeur. Il faudrait qu'elle nous le verse directement pour que nous puissions le gérer avec les porteurs de projet au sein d'un dossier unique. C'est aujourd'hui déjà possible, par des délégations de compétences vers les intercommunalités, mais toutes les régions ne sont pas prêtes à le faire : il nous faut avancer sur ce sujet.
M. Olivier Schiller. - Les entreprises ne sont pas des chasseurs de primes. Elles souhaitent avant tout que les charges qui pèsent sur elles soient réduites.
Les ETI sont très mal placées pour bénéficier des aides. Seuls 4 % du volume des aides du plan France 2030 sont affectés aux ETI. En effet, les règles européennes ne permettent pas aux ETI d'en bénéficier. La proposition du président de la délégation aux Entreprises, évoquée en ouverture de nos échanges, de créer au niveau européen une catégorie d'entreprise permettant d'alléger les contraintes pesant sur les ETI va dans le bon sens. Il faut aussi les différencier des grandes entreprises et supprimer le plafond d'aides fixé à 10 % pour toutes les entreprises de plus de 150 salariés.
Mme Corinne Besnard, présidente de l'entreprise Créatic Emball Services, - On dénombre actuellement 320 000 normes imposées aux entreprises et aux ménages, ce qui représente, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un coût estimé à 4 % du produit intérieur brut (PIB) français, soit environ 4 milliards d'euros.
Nous sommes passés d'une société qui aide à une société qui limite, qui empêche, avec des normes qui s'empilent. Il serait peut-être intéressant de fixer une échéance d'évaluation de chacune des normes, pour analyser notamment leur compatibilité avec de nouvelles normes.
La question de notre compétitivité à l'échelle mondiale est posée : on parle de réindustrialisation, mais plus personne ne veut d'usine à côté de chez lui. Les grands projets peinent à voir le jour, comme nous l'avons vu en Loire-Atlantique avec l'aéroport Notre-Dame-des-Landes. Des pans entiers de l'économie disparaissent et notre souveraineté est en remise cause - pensons à la production de panneaux photovoltaïques notamment.
M. Sébastien Martin. - Nous n'enregistrons pas que de mauvaises nouvelles : 6 usines sont en train de sortir de terre sur le territoire de l'intercommunalité que je préside. Dans beaucoup de territoires, j'observe un véritable engouement pour la réindustrialisation : ainsi à Béthune, marquée par le drame de la fermeture de Bridgestone, on réindustrialise.
Les normes ont longuement été abordées au cours de la table ronde précédente. Le législateur n'est pas seul à produire de la norme. Elle est parfois produite à la demande des entreprises ou par des organismes gérés par le monde économique lui-même. Nous sommes un pays très cartésien, mais l'excès de précision engendre parfois de la complexité. Je comprends votre réaction face à l'impact des normes mais je suis un peu moins pessimiste que vous.
M. Olivier Schiller. - Septodont produit des anesthésiques dans deux usines équivalentes, l'une à Saint-Maur-des-Fossés dans la banlieue est de Paris, l'autre à côté de Toronto au Canada. Le code du travail français compte environ 3 500 pages, alors que le code du travail canadien n'en compte que 200. Pourtant, on ne peut pas dire que le Canada maltraite ses salariés. Au Canada, on fait confiance aux partenaires sociaux, aux chefs d'entreprise, aux syndicats, aux représentants du personnel pour négocier.
En France, le législateur veut absolument légiférer sur tout. Par exemple, une nouvelle disposition détaille le partage des bénéfices exceptionnels et nous oblige à ouvrir des négociations avec les instances représentatives du personnel - cela implique des procédures spécifiques. Je ne comprends pas pourquoi l'État se mêle de façon aussi précise de ce qui se passe au sein des entreprises. Il faudrait que l'État se concentre sur ce qui relève de l'ordre public, sur l'essentiel et, pour le reste, qu'il fasse confiance aux parties prenantes. Tant que ce changement culturel, ce « paradigm shift » (changement de paradigme) n'aura pas été opéré, nous ne parviendrons pas à simplifier.
Me Arnaud Gossement. - Vous avez employé le terme de confiance qui me tient très à coeur. Nous avons le sentiment d'être envahis par les normes parce que nous ne faisons plus confiance à l'autre. Depuis vingt ans que j'exerce au barreau de Paris, j'ai observé que les contrats juridiques sont de plus en plus longs. Je n'ai de cesse d'indiquer à mes clients que leurs contrats sont trop longs et leur rappelle que Napoléon disait, en parlant de la Constitution, qu'une bonne norme devait être courte et obscure, courte pour qu'elle soit vite rédigée, obscure pour que chacun y trouve ce qu'il a envie d'y trouver. C'est là un bon contrat.
Aujourd'hui, comme les différentes parties ne se font pas confiance, elles veulent prévoir par avance toutes les situations particulières. Les conditions générales de vente sont interminables, sans compter les chartes, les pactes, les guides et les engagements volontaires des entreprises. Nous créons notre propre problème.
Je suis moi aussi chef d'entreprise, j'emploie 12 personnes et exerce qui plus est une profession réglementée : mon Ordre ajoute sans cesse de nouvelles normes qui viennent en sus de la loi. Je m'occupe du papier toilette, de la convention de compte avec la banque ou du loyer de mes locaux. Je sais ce que c'est de progresser dans la hiérarchie d'une entreprise et d'avoir le sentiment de passer de plus en plus de temps à s'occuper de ce qui ne relève pas du coeur de notre métier, la boulangerie, la pâtisserie, la production d'énergie renouvelable, etc.
Certains agriculteurs m'indiquent être en contentieux depuis cinq ans autour de la création d'une unité de méthanisation, alors qu'ils voulaient simplement pouvoir valoriser les effluents agricoles, non pas devenir des champions de la norme et du recours devant le juge administratif...
Comme nous ne nous faisons pas confiance, nous réclamons tous des plus en plus normes. On peut blâmer les élus, mais on leur demande de produire ces lois. Le décret de la loi « Industrie verte » comporte aujourd'hui 100 pages, mais je vous garantis que d'ici deux semaines, il fera 10 pages de plus. Ce n'est pas parce que l'État l'aura souhaité, mais parce que telle entreprise aura dit qu'elle ne souhaite pas que son concurrent ait tel pourcentage de plus pour son produit ou son marché. Il faut que nous apprenions à nous refaire confiance. À l'époque de nos grands-parents, la parole comptait, il y avait un témoin et l'on évitait beaucoup de procédures inutiles.
M. Laurent Granier, directeur activité pré-développement de l'entreprise GSE. - GSE est une ETI qui conçoit et construit des bâtiments pour les industries : l'enjeu du foncier économique est donc au coeur de notre activité.
La temporalité et la variabilité des règles du jeu constituent un aspect particulièrement important. Souvent, quand l'on choisit une voie pour s'adapter aux normes, la règle du jeu vient ensuite changer. Or, il y a parfois des points de non-retour qui font que l'on ne peut jamais s'engager sur un calendrier.
En raison de la rareté du foncier, beaucoup d'entreprises acceptent de modifier leurs bâtiments et de prendre en compte des contraintes nouvelles, par exemple de construire des systèmes à étages. Ces démarches sont compliquées, mais elles ne bénéficient d'aucun bonus, d'aucune aide, d'aucune subvention. Il n'y a pas de pendant « positif » à la contrainte.
Enfin, dans ce contexte de rareté, nous constatons que le bail à construction devient une modalité fréquente de mise à disposition de foncier, mais le modèle économique des banques n'est pas prêt à suivre. Le foncier économique est de moins en moins présenté à l'acquisition, en faveur de la location. Cela peut être favorable comme défavorable, car le foncier a également un intérêt patrimonial pour les entreprises ; mais en tout cas, les banques ne prêtent pas pour ces projets aujourd'hui.
Me Arnaud Gossement. - Votre témoignage est capital quant à l'enjeu de la stabilité de la norme. La norme change en permanence.
Prenons l'exemple de la dérogation à la destruction d'espèces protégées. Elle partait d'un bon sentiment : nombre de projets sont bloqués en raison de la présence d'une espèce protégée sur le site. Il faut alors engager une procédure qui dure un an, avec un risque juridique et contentieux très important. C'est aujourd'hui le premier problème en matière environnementale.
Or, les oiseaux ont disparu de nos villes et de nos champs : il faut écouter les scientifiques et protéger ces espèces. L'État, à la demande de certains acteurs économiques, a simplifié la règle du jeu, mais l'a modifié au passage. Les industriels qui s'étaient engagés dans la procédure de dérogation à la destruction des espèces protégées font face à une règle différente, ils ne peuvent plus invoquer de la même manière la raison impérative d'intérêt public majeur et doivent recommencer la procédure s'ils l'avaient déjà suivie.
Au-delà du poids des normes et de leur nombre, nous avons besoin de stabilité. Quand l'on commence un jeu de société, il ne faut pas que la règle change en cours de jeu, c'est sinon trop facile de gagner pour celui qui parvient à la faire changer auprès des législateurs et au détriment des autres. La stabilité de la norme est fondamentale.
M. Sébastien Martin. - Je reviens sur l'évolution des politiques d'aménagement du territoire. Nous avons besoin de vrais observatoires du foncier économique sur nos territoires, dotés de bons outils de pilotage. On découvre que certains fonciers sont aujourd'hui disponibles, mais étaient à l'abandon et n'ont pas été remis à jour par rapport aux normes de protection de l'environnement.
Nous sommes en effet en train de changer les modalités de construction des sites industriels. Je m'interroge toutefois sur la pertinence des subventions dans ce cadre, car l'on peut objecter qu'il faudra remplir encore un dossier supplémentaire. On ne peut pas demander d'un côté davantage de légèreté, et de l'autre des interventions publiques accrues, avec davantage de subventions.
Je souhaite évoquer l'enjeu des friches, qui est évoqué par le rapport de la délégation aux Entreprises. Aujourd'hui, on estime que 20 000 hectares sont nécessaires pour réindustrialiser le pays et ramener la part de l'industrie dans le PIB à un niveau raisonnable. Parallèlement, nous disposons de 100 000 hectares de friches, qui ne sont, certes, pas toujours situées aux bons endroits. Le rapport du Sénat formule une préconisation qui me semble extrêmement intéressante : la délégation aux Entreprises propose de privilégier, dans le « Fonds Friches », les projets de réindustrialisation. Je ne parle pas d'activité économique au sens large, car certains projets de développement économique se traduisent par l'installation de zones commerciales. Il faut avoir le courage de prévoir qu'au moins 50 % des moyens du « Fonds Friches » soient alloués à des projets de réindustrialisation.
M. Olivier Schiller. - Je voudrais souligner l'intérêt économique du « Made in France ». Grâce à notre parc d'énergies renouvelables et à notre parc nucléaire, la production d'un kilowattheure (KWh) en France génère 70 g de CO2 contre 450 g en Allemagne, soit 7 fois plus. Par conséquent, faciliter l'installation d'usines en France a un impact environnemental extrêmement important.
M. Serge Wermelinger,dirigeant fondateur de FL Résidences - Je dirige une entreprise de promotion immobilière familiale en Alsace, mais j'interviens aussi en qualité de vice-président du pôle Habitat de la FBTP du Grand Est. Je tiens à saluer le président Martin, car je suis Alsacien de naissance mais Chalonnais de coeur, ville où j'ai pu suivre votre développement économique intelligent. Bon nombre d'intercommunalités pourraient prendre exemple sur votre façon de faire.
J'attire votre attention sur la situation des entreprises de construction. La réindustrialisation du tissu économique français passe par des salariés compétents, qu'il faut loger. Or, nous assistons aujourd'hui à un effondrement de l'activité de notre profession. Je crains que les velléités de développement économique soient freinées par l'impossibilité de loger nos concitoyens travaillant dans les usines. Il faut en prendre conscience.
M. Emmanuel Cugny. - Nous connaissons en effet une forte crise du logement, qui interroge l'objectif de plein-emploi que le président de la République a déclaré souhaiter atteindre en 2027.
M. Sébastien Martin. - Les dix minutes qui nous restent ne seraient pas suffisantes pour évoquer pleinement la crise du logement. Cette crise est protéiforme. Ce n'est pas la même crise dans les territoires frontaliers, marqués par l'explosion des prix et une forte tension sur les logements ; et dans d'autres territoires moins denses, où la problématique est de proposer des logements qui correspondent aux souhaits de nouvelles populations arrivant sur nos bassins d'emploi, attirées par les nouvelles usines, et où il convient de transformer les logements vacants.
Nous avons peu évoqué ce matin l'enjeu des compétences et des ressources humaines. Faut-il attirer de nouveaux travailleurs ou fidéliser, notamment les jeunes ? C'est là l'un des angles morts de la politique actuelle en matière de réindustrialisation. Notre pays a connu un phénomène massif de transformation de pans entiers de l'économie vers les services et, dans certains territoires, vers les services à forte valeur ajoutée. Logiquement, l'outil universitaire s'est beaucoup orienté vers ces services dans les territoires métropolitains
Or, la réindustrialisation s'opère dans les territoires dits intermédiaires. Nous devons nous interroger sur la manière de créer les outils nécessaires à la formation, à l'enseignement supérieur dans ces territoires, parce que l'industrie de demain aura davantage de de valeur ajoutée, et utiliser davantage les technologies du numérique. On ne peut pas se contenter de former les jeunes dans la grande ville universitaire située à 150 ou 200 km, car il sera ensuite extrêmement compliqué de les faire revenir dans la ville moyenne.
M. Fabien Gayon, président du groupe Gayon. - Pour nos projets, notre groupe recherche systématiquement du foncier économique raccordé à la voie ferrée. Nous sommes un groupe de transport routier de marchandises mais travaillons depuis dix ans à la décarbonation de nos activités en transférant nos flux routiers sur des flux rail-route, par report modal. Pour cela, nous avons besoin de terminaux ferroviaires.
Or, réunion après réunion, nous constatons que ce foncier raccordé au fret est introuvable. Il y a certaines réussites, mais le temps est très long. Nous avons récemment ouvert un terminal multimodal à Clermont-Ferrand, après 8 ans d'efforts avec l'ensemble des institutionnels, grâce à un industriel local qui a accepté de nous vendre le site.
Si avec la RSE, on joue sur l'attractivité de nos entreprises, avec le foncier économique, on joue sur celle de nos territoires. Les industriels ont des besoins sur l'ensemble de leur chaîne logistique, nous sommes prêts à décarboner mais nous avons besoin de solutions.
M. David Peyral, président de SAS DIREO. - La question de l'efficacité de la réglementation se pose pour les TPE. Qui est responsable d'appliquer la norme et de la comprendre ? Est-ce le dirigeant, qui doit déjà être performant en comptabilité, en gestion, en ressources humaines, en communication, en droit général, en droit des sociétés, en droit du commerce et maîtriser plus de 7 000 textes de loi ? Si c'est le cas, combien de personnes dans notre pays sont-elles capables d'être performantes dans tous ces domaines ? Ce n'est pas mon cas. À quelles catégories de nos concitoyens demande-t-on autant, avec si peu de retour ? Il y a peu, voire pas de couverture sociale pour les dirigeants de TPE. Veut-on favoriser le maintien et le développement du tissu de TPE dans notre pays ?
Je remettrai au président Rietmann un manifeste, « Les Abeilles de l'économie », rédigé avec la conviction que les TPE sont une richesse sous-estimée pour notre pays.
Me Arnaud Gossement. - Je souhaite conclure sur une note optimiste. Être chef d'entreprise est passionnant - c'est aussi très difficile, mais cela apporte d'immenses satisfactions. Le pire, c'est de ne pas réussir à être chef d'entreprise lorsque l'on souhaite l'être. Il faut absolument éviter que les entreprises disparaissent.
Vous avez raison, personne ne peut être omniscient. C'est pourquoi j'insiste sur le rôle du conseil. L'État ne doit pas simplement être un contrôleur ou un policier, il doit, en amont, prévenir les difficultés. On l'a vu avec le mouvement des agriculteurs et la « grogne » contre les agents de la police de l'environnement. Il faut que ces mêmes agents puissent faire de la prévention, de l'accompagnement, dialoguer, mais ils ne sont pas assez nombreux.
Un industriel qui veut implanter une usine, qui cherche des solutions logistiques, doit trouver à ses côtés des hommes et des femmes dans la fonction publique pour l'aider et l'accompagner, lui indiquer quelles sont les aides auxquelles il a droit, de manière qu'il n'y ait pas que les grandes entreprises qui bénéficient de conseils parce qu'elles ont les moyens de recruter les personnes qui leur apportent cette expertise. Les chambres consulaires jouent un rôle important, mais elles ne peuvent pas résoudre les problèmes juridiques de chacune des entreprises qui viennent les voir. Il faut donc que l'État lui-même assure cette mission de prévention, d'accompagnement et de conseil.
En 2013, le gouvernement a réuni les États généraux du droit de l'environnement pour le simplifier. Ce qui m'a frappé est que la plupart des acteurs économiques que j'ai rencontrés à la demande de la ministre Delphine Batho m'ont dit qu'ils ne souhaitaient pas de mesures de simplification, mais plutôt être aidés, accompagnés et assistés. C'est cet accompagnement, ce conseil qui manquent aujourd'hui aux TPE : nous devons nous y atteler.
M. Sébastien Martin. - J'invite le chef d'entreprise du Puy-de-Dôme à se rapprocher de la sénatrice de l'Oise, Sylvie Valente Le Hir, car une entreprise chimique de ce département a réussi à réaliser son embranchement ferroviaire dans des délais raisonnables, grâce à la mobilisation de l'intercommunalité et de la région des Hauts-de-France. Cela a redonné un élan de compétitivité au site.
On parle beaucoup de l'implantation des entreprises exogènes, mais on ne fait rien sans l'endogène. On n'attire pas sur du sable, sur un désert économique : on attire grâce à un tissu d'entreprises organisé et dynamique. C'est la conviction de nombreux présidents d'intercommunalités.
C'est pourquoi Intercommunalités de France a défendu le programme « Territoires d'industrie », dans lequel presque une intercommunalité sur deux est aujourd'hui engagée. À travers ce dispositif, nous montrons que les territoires ont la volonté d'accompagner « leurs » chefs d'entreprise dans la voie de la réindustrialisation, d'entamer le dialogue avec eux. Cela permet aussi de démontrer à nos populations, y compris aux parents qui se posent des questions sur l'avenir de leurs enfants et qui ont connu des fermetures d'usine, que nous croyons à l'industrie, que nous avons envie d'y aller. Cela passe évidemment par les PME.
M. Emmanuel Cugny. - Je remercie tous nos invités pour cette conclusion positive et leur présence aujourd'hui.
Conclusion
M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux Entreprises. - Au nom du Sénat, je remercie les invités qui sont intervenus au cours des deux tables rondes et dont les regards et témoignages ont été précieux. Je les remercie d'avoir partagé leurs analyses si pertinentes avec beaucoup d'enthousiasme, ainsi qu'Emmanuel Cugny qui a assumé la lourde tâche de modérateur.
Je remercie également mes collègues membres de la délégation aux Entreprises, ses vice-présidents, nos collègues qui sont sur le terrain et tous les sénateurs et sénatrices qui sont vos interlocuteurs, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise. N'hésitez pas à les solliciter, à nous faire remonter vos problèmes, nous sommes à votre disposition.
Je tiens à remercier sincèrement les équipes de la délégation aux Entreprises qui ont fait en sorte, avec dynamisme et efficacité, que cette journée puisse exister, ainsi que les agents du Sénat et les stagiaires et apprentis.
Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, merci pour votre présence, votre sincérité, merci pour ce que vous faites pour nos territoires, pour notre économie et pour la France. Monstre sacré du cinéma français, Jean Gabin disait des acteurs, « c'est bath un acteur, j'aime les acteurs ». Je dis à mon tour « c'est bath un chef d'entreprise ou une cheffe d'entreprise » : au Sénat et en particulier à la délégation aux entreprises, on vous aime !
La 7e édition de la Journée des entreprises s'achève à 12 heures 05.