Jeudi 28 mars 2024
- Présidence de Jean-François Rapin, président, et M. Charles Sitzenstuhl, Vice-président de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Institutions européennes - Bilan de la législature européenne avec les présidents de délégations françaises des groupes politiques du Parlement européen ou leurs représentants - Réunion commune avec la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale
M. Charles Sitzenstuhl, président. - J'ai le plaisir d'ouvrir cette réunion commune avec la commission des affaires européennes du Sénat consacrée à un échange avec les représentants de délégations françaises au sein des groupes politiques du Parlement européen sur le bilan de la législature 2019-2024. Il nous a semblé important d'organiser cet échange alors que les citoyens des 27 États membres de l'Union seront appelés aux urnes le 9 juin pour désigner leurs représentants au Parlement européen.
Je me réjouis de coprésider cette réunion avec Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes du Sénat, et j'excuse auparavant le président Pieyre-Alexandre Anglade qui a été empêché ce matin de participer à cette réunion et m'a demandé de le suppléer.
Mesdames et Messieurs les députés européens, nous allons d'abord vous entendre pour que vous nous présentiez votre analyse du bilan de la législature européenne en cours. Nous donnerons ensuite la parole aux représentants des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat par alternance entre nos assemblées. Cette réunion est retransmise sur le portail vidéo et les réseaux sociaux des assemblées.
À titre personnel, je me réjouis de cette réunion qui montre que le Parlement européen - et l'Union européenne au sens plus large - est une institution qui fonctionne selon des principes démocratiques et en assurant une pluralité des points de vue dans les échanges.
M. Jean-François Rapin. - Merci Monsieur le président de nous accueillir à l'Assemblée nationale. Nous sommes à un moment charnière de la vie démocratique européenne qui voit s'achever la fin de la mandature du Parlement européen et celle de la Commission européenne. C'est donc l'heure des bilans, mais aussi des projets.
Pourtant, les événements intenses qui ont marqué la législature qui s'achève montrent combien il est difficile de se projeter. Qui, en 2019, aurait anticipé la pandémie de Covid-19, la levée d'un emprunt commun, puis l'agression russe en Ukraine ?
Bien sûr, les tendances de fond auxquelles tentait de répondre le programme stratégique 2019-2024 qui a été fixé par le Conseil européen et les priorités de la Commission européenne déclinées dans son programme de travail annuel n'ont pas varié. Le réchauffement climatique, la révolution numérique, la pression migratoire, le défi démocratique, les menaces sur l'État de droit restent autant de défis pour l'Union européenne. Sur ces défis au long cours, il est important de faire le point, de saluer les avancées comme en matière de régulation du numérique, de déplorer la marche forcée avec laquelle certaines ont pu être menées, de regretter la lenteur d'autres réponses européennes - je pense au nouveau Pacte sur l'asile et la migration dont la négociation aura pris plus de quatre ans - et de dénoncer la trop grande inertie de l'Union sur certaines priorités comme l'amélioration du fonctionnement démocratique, la finalisation de nouvelles ressources propres pour le budget européen ou encore la lutte contre la corruption.
Nous ne pouvons cependant pas ignorer le cours de l'histoire qui a conduit à dévier de ces sujets de fond. Quatre sujets majeurs qui n'étaient pas considérés en 2019 comme prioritaires se sont ainsi imposés dans l'agenda européen, à savoir la santé, l'énergie, la souveraineté européenne et la défense. Il nous revient aussi ce matin d'apprécier dans quelle mesure l'Union européenne a su y faire face.
Faire le bilan du passé, c'est aussi se demander s'il a permis de préparer l'avenir. L'Union européenne a-t-elle mis à profit ces années pour se préparer aux nouveaux défis du prochain quinquennat ? La guerre est à nos portes. L'espace est devenu un enjeu de souveraineté majeure. L'intelligence artificielle bouleverse l'économie, le marché de l'emploi, mais aussi le fonctionnement démocratique.
Tous ces défis de demain se préparent aujourd'hui et nous ne pouvons les ignorer dans le bilan que nous dresserons ensemble ce matin.
Mes chers collègues députés, nous vous proposons de vous exprimer.
M. François-Xavier Bellamy, député européen. - Il est effectivement important que nous puissions nous réunir pour faire le bilan de cette législature européenne et dessiner aussi les perspectives d'action qui nous attendent.
Ces cinq années auront été marquées par une succession de crises qui étaient bien loin des perspectives de l'Union européenne lorsque nous avons commencé ce mandat en 2019.
Nous avons tous en mémoire la crise du Covid-19 qui nous aura empêché de vivre dans sa plénitude l'expérience parlementaire. Pourtant, le Parlement européen a réagi pour pouvoir continuer à travailler pendant cette période qui aura mis au jour les vulnérabilités de l'Europe. Il en va de même de la crise créée par l'agression de la Russie contre l'Ukraine.
À chaque fois, l'Europe n'avait pas les moyens de faire face avec assez de solidité et de robustesse à ces crises. Nous avons constaté, pendant la crise du Covid-19, le manque de masques, de blouses et de produits de première nécessité pour nos personnels soignants. La guerre en Ukraine a révélé aussi nos vulnérabilités stratégiques, notamment en matière d'industrie de défense.
Face à ces crises, l'Europe a su réagir et mettre en oeuvre des revirements qui sont vraiment historiques à l'échelle de l'Union européenne. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières me paraît à ce titre déterminant. Pour la première fois, l'Union européenne fait de son premier atout, son grand marché unique, un levier pour la décarbonation. Même si ce levier devra être complété, c'est un levier utile. Il permettra de donner un prix au carbone et d'inciter les grands producteurs mondiaux à progresser vers la décarbonation. Il s'agit de sortir de la vision d'une mondialisation dérégulée pour fixer des priorités politiques autour de notre politique commerciale. La bataille du climat est essentielle et je regrette pour ma part que cette prise de conscience ait été encore très imparfaite.
Par ailleurs, malgré les réveils que ces crises successives auront suscités, l'Union européenne a continué à compliquer la vie de ceux qui produisent sur son sol alors qu'elle aurait dû se déterminer d'une manière plus rapide pour investir dans des filières stratégiques.
Concernant l'agriculture, nous nous sommes opposés avec le groupe PPE de manière déterminée à un texte comme Restauration de la nature qui devait aboutir à une baisse de la production agricole en Europe.
Nous avons défendu la filière nucléaire, quand tant d'autres s'y opposaient parce que nous croyons à la nécessité de produire l'énergie dont nous avons besoin.
Nous avons dit la nécessité d'un moratoire législatif sur les sujets environnementaux, parce que là où les acteurs européens ont déjà effectué une transition extrêmement exigeante, le but est d'abord de les protéger et de leur permettre de continuer à produire plutôt que de contribuer à une politique de surenchère normative qui finit par leur rendre la tâche de plus en plus difficile.
En matière migratoire, il faut que l'Europe retrouve les moyens de maîtriser son destin par le contrôle de ses frontières extérieures.
Mme Aurore Lalucq, députée européenne. - La mandature a commencé par le Green Deal, c'est-à-dire par un compromis gauche-droite qui découle du constat qu'il faut absolument agir dans le domaine environnemental avant qu'il ne soit trop tard. Le signal envoyé a été extrêmement fort.
Puis, la crise du Covid-19 est survenue et cela a été un réveil douloureux pour l'Union européenne. Nous avons réalisé que nous ne savions plus produire de masques, de paracétamol et de certaines molécules. C'est la fin de la croyance dans la mondialisation heureuse où nous dépendons tous les uns des autres. Il est apparu que ce système supposément hyper-efficace ne l'était pas forcément. Cela a été un réveil douloureux, surtout que nous avons toujours regardé les autres pays, notamment les États-Unis, avec un peu de mépris s'agissant de leur modèle social, de production ou de santé.
L'Inflation Reduction Act aux États-Unis, est un autre réveil douloureux car, si avec le Green Deal nous sommes le premier continent à revendiquer une neutralité carbone en 2050, ce sont les États-Unis qui agissent pour réaliser cet objectif.
Les États-Unis ne mettent pas d'idéologie dans leurs moyens : quand ils font de la politique industrielle, ils utilisent tous les leviers à leur disposition. Nous avons finalement compris que nous devions agir comme eux, mais cela nous a pris du temps.
Enfin, l'invasion de l'Ukraine a été un réveil terrible pour certains. Nous avons compris qu'il fallait absolument revoir notre autonomie stratégique. Pour ma part, je fais partie d'une délégation qui a toujours été très claire sur les risques que représentait la Russie pour l'Union européenne et l'ensemble des démocraties occidentales.
Au cours de ce mandat, l'Europe a pris conscience qu'il lui fallait construire l'Europe de la défense et se doter d'une politique industrielle. De nombreux tabous sont tombés et c'est important. Maintenant, il faut que l'Union européenne devienne une entité politique et se dote des moyens pour y parvenir, à savoir, entre autres, des ressources financières et un Buy European Act afin que la commande publique puisse être activée pour restructurer nos filières de production.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne. - Comme cela a été rappelé, cette mandature a été celle de tous les défis et de tous les chocs. Quand nous sommes arrivés au Parlement européen, le Brexit était déjà un sujet extrêmement important. Un État membre qui quitte la famille de l'Union européenne, ce n'est pas anodin.
Un des premiers textes que nous avons adoptés, à une large majorité, portait sur le pacte climatique et la réduction des émissions de CO2. Cette politique publique du changement climatique a irrigué toute notre action pendant ces cinq années.
Les ambitions que nous nous étions fixées ont cependant été confrontées à différents chocs. Le choc du Covid-19 a été un accélérateur pour bâtir une politique industrielle plus forte et réformer la gouvernance économique et la politique commerciale. Il y a eu un changement de logiciel qui s'est exercé au sein des institutions européennes et s'est matérialisé par la production de vaccins sur le territoire européen et par un endettement commun. Ce qui paraissait impensable est devenu possible et a permis d'irriguer l'ensemble de nos territoires. Lorsque l'Union européenne est au pied du mur, elle parvient souvent à débloquer les freins opposés par certains États membres.
Nous sommes parvenus à répondre au choc du Covid-19 sur les plans sanitaire, économique et social : tout l'enjeu consiste maintenant à bâtir une relance coordonnée qui soit juste socialement, innovatrice sur le plan économique et responsable sur le plan écologique.
Ce cap s'est malheureusement heurté au retour de la guerre sur le continent européen. Là aussi nous constatons les différences de réponses apportées à ce choc qui questionne la souveraineté de l'Europe. Alors que certains États membres veulent repartir sur des solutions du passé, nous pensons qu'il faut davantage investir et aller plus loin que le plan de relance.
Il nous reste encore beaucoup à bâtir. Les dépendances restent très fortes sur le plan énergétique, de l'alimentation, mais nous avançons ensemble quand nous trouvons une volonté et un chemin communs.
M. le Président, vous avez évoqué le Pacte sur l'asile et la migration et les blocages auxquels nous avons été confrontés. Le Parlement européen a la volonté d'avancer et d'apporter des solutions sur ce sujet car on risque sinon d'attiser le populisme et des refus d'aller de l'avant. L'Union européenne est une partie prenante de la solution et n'est pas responsable de tous nos maux.
M. Philippe Olivier, député européen. - Pour établir un bilan de la mandature 2019-2024, il convient de remonter aux sources du « von der Leyisme ». Permettez-moi de rompre un peu le consensus.
Le « von der Leyisme », c'est le pacte des migrations ou la submersion, le pacte vert ou la décroissance, l'approfondissement ou la dépossession institutionnelle et l'élargissement ou l'extension sans limite.
Le pacte des migrations a été discuté en dehors de tout processus parlementaire et viendra au vote avant la fin de la mandature sans aucun débat ni aucune information. Il prévoit de transférer la compétence migratoire à l'Union européenne et met en oeuvre trois principes : la sécurisation des cheminements, en pratique un pont maritime entre l'Afrique et l'Europe ; l'obligation d'accueil avec des relocalisations obligatoires de migrants dans les villes ou les villages ; l'entrave aux expulsions avec la mise sous tutelle des États par les ONG ou les prétendus experts.
Le pacte vert est d'inspiration allemande - il est inspiré par les Grünen - et repose sur une logique « décroissantiste ». L'homme est considéré comme un prédateur pour les autres espèces, un oppresseur de la nature et doit être réduit dans ses activités : décroissance énergétique avec l'entrave au nucléaire, décroissance industrielle avec la fin des moteurs thermiques, décroissance agricole avec la réduction des surfaces et des rendements et décroissance en matière d'élevage avec la réduction imposée des cheptels.
L'approfondissement, c'est la captation des pouvoirs des États par la Commission. C'est la méthode des petits pas. C'est l'utilisation des crises, la crise migratoire de 2015 pour aboutir au pacte des migrations, la crise du Covid-19 pour s'emparer de la compétence de santé, la crise en Ukraine pour acquérir de la compétence en matière de défense et de diplomatie. Les compétences prises ne sont jamais rendues.
Dernier pilier enfin, l'élargissement avec le projet d'étendre le grand marché soit par voie terrestre (il y a neuf projets d'adhésion), soit par voie juridique avec les traités de libre-échange.
L'Union européenne se vit comme un empire. Elle était au départ une organisation internationale entre nations. Elle se considère aujourd'hui comme un État et s'en donne les attributs : un hymne, un drapeau, des institutions, des tribunaux, une monnaie, une libre circulation intérieure, etc. Elle a dépassé le modèle fédéraliste pour tendre vers un État unitaire centralisé. C'est un empire wokiste. Elle en a toutes les caractéristiques : une autorité centrale qui doit devenir une incarnation avec le président de l'Union européenne ; des valeurs prétendument supérieures, les « valeurs de l'Union européenne » ; des populations administrées, c'est-à-dire déconsidérées ; la prétention d'être l'aboutissement de l'Histoire, et la promesse d'éternité. Mais ce qui est rassurant, c'est que les empires ne durent pas.
Vous l'aurez compris, le Rassemblement national souhaite réformer l'Union européenne pour cesser d'abîmer la belle idée européenne que nous estimons dévoyée.
M. Yunus Omarjee, député européen. - Lorsque nous avons commencé cette législature en 2019, nous étions très loin d'imaginer que nous serions rattrapés par trois événements historiques majeurs, la sortie d'un pays de l'Union européenne avec le Brexit, la pandémie du Covid-19 et le retour de la guerre en Europe avec la guerre en Ukraine.
Nous avons vu aussi que les crises sont devenues une donnée permanente, qu'elles sont multiples et qu'elles se combinent. La responsabilité politique est de naviguer dans cet océan d'imprévisibilité parfois et d'incertitude souvent, et de trouver des solutions.
S'agissant du Brexit, nous avons tenté au sein de la Commission du développement régional de trouver les solutions pour tempérer les impacts sur les régions françaises les plus concernées et nous avons doté l'Union européenne d'une réglementation très intéressante dont je regrette que la France n'ait pas pu tirer toute la substance.
La crise du Covid-19 a été un révélateur des fragilités de l'Union européenne mais aussi de sa capacité à trouver des solutions parfois innovantes. Nous avons effectivement mis en oeuvre des réponses très concrètes pour acheter des masques ou des respirateurs artificiels et permettre la prise en charge du chômage partiel. Nous avons vu que l'Union européenne est sortie un peu de son dogmatisme, puisqu'il a été possible d'assouplir les règles du pacte de stabilité budgétaire. Pourquoi au sortir de la crise, l'Union européenne renoue-t-elle avec ses vieilles habitudes idéologiques ?
Nous avons été également aux avant-postes de la guerre en Ukraine. Nous avons su faire face au plus grand mouvement de populations depuis la seconde guerre mondiale et grâce au règlement CARE (action de cohésion pour les réfugiés en Europe), nous avons pu venir en aide aux réfugiés ukrainiens. Cela me permet de faire un lien avec le pacte asile et migrations. Nous constatons que les facilités apportées aux réfugiés ukrainiens ne bénéficient pas aux réfugiés venus d'ailleurs et livrés aux violences de l'accueil dans les pays européens.
Je terminerai sur la question de la guerre à Gaza pour dire qu'il y a aujourd'hui une fracture entre l'Europe qui s'est effondrée moralement et le reste du monde. Cela doit être pour nous un sujet de préoccupation.
M. le Président Charles Sitzenstuhl. - Merci Mesdames et Messieurs les députés européens. Nous passons aux interventions des parlementaires nationaux.
M. Frédéric Petit, député. - Je crois que l'Union européenne, c'est le contraire de l'impérialisme. Dans l'Union européenne, nous débattons et nous n'avons aucune puissance qui nous impose quoi que ce soit de l'extérieur, y compris avec des chars ou des assassinats politiques.
Comment porter le bilan de cette législature européenne dans des territoires qui n'ont pas toujours pleinement conscience que l'Union européenne est un projet qui nous concerne tous, y compris dans notre quotidien ?
Mme Constance Le Grip, députée. - Ce mandat 2019-2024, ce sont cinq années de chocs, de crises et de défis relevés ensemble : la pandémie de Covid-19, l'agression à grande échelle par la Russie de l'Ukraine, la compétition économique et industrielle « de haute intensité » émanant par exemple de grandes puissances comme la République populaire de Chine, le retour de certaines formes de protectionnisme avec l'Inflation Reduction Act américain, l'accélération des dérèglements climatiques majeurs, l'évolution numérique avec l'émergence de l'intelligence artificielle et la place de plus en plus grande prise dans nos vies par des plateformes numériques qui ne sont pas européennes.
Face à beaucoup de ces défis et à l'occasion de beaucoup de ces crises, l'Union européenne a su réagir en accélérant ses ripostes, en s'adaptant et en allant au-delà de ses modes de fonctionnement et de ses processus décisionnels habituels. Ce sont autant de changements de paradigmes qui ont progressivement transformé le paysage européen.
S'agissant du pacte asile et migration, comment voyez-vous l'avenir de cette proposition législative ?
Mme Christine Lavarde. - Je souhaiterais vous interroger sur la dette climatique et la dette budgétaire, qui sont deux enjeux aussi bien nationaux qu'européens.
Sur la dette climatique, le Parlement européen a décidé la fin de vente des véhicules thermiques en 2035. Comment avez-vous pu voter une telle mesure sans aucune étude d'impact ? N'avez-vous pas l'impression de vous donner bonne conscience en diminuant notre bilan carbone par l'importation du carbone chinois ? N'avez-vous pas le sentiment que la dérogation accordée à l'Allemagne en mars 2023 remet en cause le fonctionnement des institutions ?
Sur la dette budgétaire, la dette commune levée par l'Union européenne est un véritable projet politique mais cela ne doit pas devenir un projet budgétaire. L'Union européenne doit emprunter à la place des États pour mettre en place des politiques communes, mais ne doit pas emprunter pour les États. Pour autant, le stock de dette européenne augmente considérablement et avec la remontée des taux d'intérêt, la charge d'intérêts va s'alourdir. Comment la financer, alors que ce n'est pas prévu dans le budget européen ? Quelles sont les nouvelles ressources propres que vous préconisez ? Un rapport du Parlement européen très récent propose de taxer les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ou encore de taxer le volume de déchets alimentaires. Sont-ce des réponses auxquelles vous croyez ?
M. Thibaut François, député. - A l'exception de Monsieur Philippe Olivier, tous les députés européens qui se sont exprimés appartiennent à une même majorité, celle qui a permis l'adoption de 80 % des textes avec le soutien des groupes politiques PPE, S&D, Renew, Verts et de l'extrême gauche.
Cette législature a été rythmée par de nombreux enjeux et problèmes qui demeurent sans réponse efficace. Le pacte asile et migration vise à uniformiser les politiques migratoires dans l'Union européenne et contribue à l'insécurité de notre continent, alors que celui-ci est touché par des vagues migratoires successives de plus en plus importantes. La submersion migratoire atteint l'ensemble du continent européen : pour rappel, en 2023, les chiffres de Frontex ont recensé 380 000 franchissements irréguliers aux frontières extérieures de l'Union européenne. Cette pression migratoire est l'illustration même du manque de volonté de la Commission européenne d'Ursula von der Leyen. Les élus du Rassemblement national continueront de s'opposer à ce pacte qui veut imposer une répartition des clandestins dans l'Union européenne sous peine d'amende pour les États.
Ma question s'adressera à Monsieur Bellamy. Je souhaiterais connaître la position des Républicains en France sur le pacte asile et migration, car je crois savoir que le PPE le soutiendra au Parlement européen. Je souhaiterais également avoir des précisions quant au soutien ou non du PPE au renouvellement du mandat de Mme von der Leyen. Je crois savoir qu'il y a une différence entre la position des Républicains en France et le fait qu'Ursula von der Leyen est la candidate officielle du PPE.
Mme Karine Daniel. - Trente ans après la réforme Mac Sharry qui a contribué au découplage des aides directes en matière agricole, nous avons quand même atteint aujourd'hui des niveaux d'aides directes qui sont sensiblement importants par rapport à d'autres secteurs et des niveaux de prix qui sont bas.
Or lors de la transmission des exploitations agricoles, les aides directes contribuent à augmenter le coût des exploitations. Nous sommes donc peut-être arrivés au bout du système d'attribution de ces aides basé sur les facteurs car nous avons aujourd'hui un niveau des prix et surtout une variabilité des prix qui insécurisent les agriculteurs mais aussi les filières toutes entières. Je voulais donc savoir comment, durant ce mandat, vous avez appréhendé ces mécanismes qui ont produit des effets dévastateurs et comment ils peuvent être appréhendés pour calibrer les réformes à venir ?
Mme Nathalie Oziol, députée. - L'Union européenne se résume actuellement à un marché unique au sein duquel les peuples sont soumis à la domination des banques et de la finance.
Dans ce contexte, il y a, d'une part, les eurodéputés qui défendent les traités européens, le dumping social, fiscal, environnemental, l'austérité, ou qui s'accommodent du dogme de la concurrence de tous et contre tous ; et, d'autre part, il y a ceux qui défendent sans relâche la paix, le respect des peuples, qui mènent la bataille pour le progrès social et la protection des travailleurs, notamment avec l'adoption de la directive pour l'amélioration des conditions de travail des travailleurs « ubérisés ».
Les accords de libre-échange vont contre la volonté des peuples et sont à contresens des urgences climatiques. Outre l'accord de libre-échange entre l'UE et la Nouvelle-Zélande et celui entre l'Union et le Mercosur, au moins deux autres accords sont en cours de négociation avec le Chili et le Kenya. Au Parlement européen, seul le groupe de la Gauche présidé par Manon Aubry s'est opposé systématiquement à tous les accords de libre-échange.
Je voudrais demander à Yunus Omarjee, premier président ultramarin d'une commission au Parlement européen, celle du développement régional, quel est le bilan de l'action de sa commission, ce qui a été mis en place pour venir en aide aux plus vulnérables et les positions prises par les élus ultramarins en faveur des régions d'outre-mer.
M. François Bonneau. - L'invasion russe est venue mettre notre politique de défense au coeur de notre actualité européenne. D'ailleurs, la Russie ne se cache pas de faire la guerre à l'Occident et elle s'y emploie d'ores et déjà.
L'Union européenne est partagée entre deux visions : une vision plus atlantiste portée par ses membres les plus à l'est, notamment les pays baltes et la Pologne, qui fait prioritairement reposer la défense sur l'OTAN, et une vision plus européenne de l'Ouest, portée au premier chef par la France, plaidant pour une structure de sécurité commune répondant à une ambition d'autonomie stratégique.
Dans le même temps, l'OTAN a vu des pays comme la Suède et la Finlande la rejoindre très récemment. Compte tenu du poids de l'OTAN, pensez-vous que cela puisse ralentir nos progrès européens vers une politique de sécurité et de défense commune ?
M. Vincent Louault. - Il y a encore trop de règles purement européennes qui ne sont pas des règles reconnues en commerce international et qui portent atteinte à l'agriculture européenne. Nous voyons bien que nous traînons encore l'histoire des accords du GATT où les céréales étaient surtout l'apanage des Européens et les protéines celui du continent américain. Tout cela est dépassé.
Mme Marietta Karamanli, députée. - La lutte contre le réchauffement de la planète passe par la lutte contre l'injustice fiscale et donc in fine contre les inégalités sociales. Les États européens pourraient voir leurs recettes augmenter de 170 milliards d'euros par an en cas d'instauration d'une taxe mondiale de 25 % sur les bénéfices des multinationales. Il y a eu beaucoup d'espoir quand 140 pays se sont mis d'accord sur le principe d'une taxe minimale de 15 % sur les bénéfices des sociétés multinationales. Même si le taux proposé est nettement plus faible que ce que doivent payer les PME, c'est la première fois qu'un accord international fixe un taux minimum d'imposition. En l'état, le projet semble déjà mité par des niches ou pratiques qui en diminuent l'efficacité : le dernier rapport mondial sur l'évasion fiscale en 2024 en montre les enjeux et les limites. Aucune grande entreprise au monde ne devrait échapper à une taxation minimale capable de financer une partie de la transition écologique. Par ailleurs, la taxation des 499 milliardaires européens pourrait rapporter 40 milliards d'euros de recettes fiscales, de quoi donc financer une partie de la transition écologique.
Quelles initiatives ont été prises par vos groupes pour parvenir à une meilleure répartition de la richesse ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Mme Marie-Pierre Vedrenne a parlé de nos dépendances à l'énergie et à l'alimentation mais elle n'a jamais parlé de nos dépendances au numérique. Madame Constance Le Grip a bien rappelé l'existence des plateformes extra-européennes qui dominent tout l'écosystème.
Ces cinq dernières années, l'Europe a enfin légiféré et régulé. C'est bien, mais je note que l'ambition industrielle n'est pas encore au rendez-vous. Le document « Boussole numérique 2030 » est un document relativement flou qui énonce des objectifs louables, mais qui ne se traduit pas par des budgets dédiés, ni par une méthodologie, des objectifs à atteindre pour construire certaines filières.
Comment avez-vous réagi à ce document? Pour ma part, je ne vois aucune stratégie de développement du marché de l'informatique en nuage. Quelle est la réelle ambition industrielle pour l'Europe ?
M. Jean-Pierre Pont, député. - S'agissant de la pêche, le plan d'accompagnement individuel a fait beaucoup de « casse » parmi nos bateaux. Il a été suivi de l'interdiction d'un mois de pêche dans le golfe de Gascogne. Il faut noter également l'instauration d'aires marines protégées qui interdisent la pêche à nos bateaux et les futures négociations en 2026 avec le Royaume-Uni ainsi que la perspective d'une interdiction du chalutage profond, qui va impacter significativement nos pêcheries.
Vous pouvez donc comprendre que nos pêcheurs soient très inquiets et qu'ils veuillent être entendus.
Mme Pascale Gruny. - Il ne vous a pas échappé que nous avions une crise agricole inédite. Au-delà du Green Deal, qui a mis le feu et dont vous nous avez fait l'apologie, je voudrais surtout vous interroger sur la renationalisation de la politique agricole commune (PAC). La renationalisation, c'est la concurrence à l'intérieur de l'Union européenne. Je voudrais donc vous demander s'il vous semble possible de continuer comme cela ou si vous allez décider d'en finir totalement avec la PAC.
M. le Président Charles Sitzenstuhl. Sur la question de l'agriculture, je me demande si nous ne sommes pas en train de faire peur inutilement aux Européens. La souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire du continent sont des acquis de la politique agricole commune depuis 60 ans. Au terme du travail que j'ai mené à ce sujet comme rapporteur, je peux conclure qu'il n'y a pas de problème de souveraineté alimentaire en Europe. Les taux d'auto-approvisionnement approchent ou dépassent 100 % sur les principales productions. Tous les scientifiques et tous les chercheurs que nous avons auditionnés dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur la souveraineté alimentaire nous confirment la souveraineté et la sécurité alimentaire de la France et de l'Europe.
M. Alain Cadec. - Je voudrais quand même signaler que nous importons 75 % du poisson consommé en France.
Jean-Pierre Pont évoquait la fin de la période de transition avec le Royaume-Uni en 2026. Est-ce que vous y avez réfléchi ?
Par ailleurs, nous venons de rejeter le CETA (accord économique et commercial global euro-canadien) au Sénat. Cela ne servira à rien puisque le Gouvernement l'appliquera quand même... mais il y a aussi l'accord en négociation entre l'Union européenne et le Mercosur. Quelle est la position des parlementaires européens sur les accords de libre-échange et surtout sur les futurs accords de libre-échange ?
Mme Louise Morel, députée. - Pendant cinq ans, l'Union européenne a su garder le cap sur ses priorités. Les forces pro-européennes ont réussi à jeter les bases d'une nouvelle économie propre et circulaire et lancer le plan Next Generation EU. Nous pouvons être fiers de ce bilan et je voudrais saluer celles et ceux qui y ont contribué.
Je me demande dans quel monde le Rassemblement national vit. Les propos de M. Philippe Olivier ont le mérite de confirmer aux humanistes, aux démocrates et aux protecteurs de l'environnement qu'ils ont raison de s'engager. J'ai entendu dans vos propos un égoïsme sécuritaire et économique, un irréalisme populiste sur les sujets agricoles et une irresponsabilité environnementale majeure. Vous souhaitez réformer l'Union européenne mais je n'ai pas entendu une proposition de réforme.
Au-delà de dénoncer la fin des véhicules thermiques, je n'ai pas très bien compris comment vous entendez répondre au réchauffement climatique, aux décès provoqués par la pollution de l'air ou encore quelle réponse vous voulez apporter à la sixième extinction de masse que nous sommes en train de vivre sur le plan de la biodiversité.
M. Charles Sitzenstuhl, député. - Nous redonnons la parole aux eurodéputés dans l'ordre du début.
M. François-Xavier Bellamy, député européen. - Sur la question de la souveraineté alimentaire, je rappellerai que, depuis 2019, la balance commerciale française est déficitaire - hors vins et spiritueux qui ne contribuent pas nécessairement à la sécurité alimentaire. Nous sommes dans une situation de crise agricole majeure qui met en danger notre sécurité alimentaire.
M. le Président Sitzenstuhl, vous faites partie d'une majorité qui aura contribué à détruire la sécurité d'approvisionnement de notre pays sur le plan énergétique, avec la fermeture de Fessenheim et avec la PPE (Programmation pluriannuelle de l'énergie) actuelle qui prévoit la fermeture de 12 réacteurs nucléaires. Va-t-il falloir vivre une crise alimentaire mondiale pour découvrir que ce n'est pas en faisant venir des tonnes de lait en poudre de Nouvelle-Zélande que nous réussirons à sécuriser notre pays ? C'est la raison pour laquelle nous avons voté contre le texte dit de Restauration de la nature et contre la stratégie De la ferme à la fourchette.
Si nous voulons préserver nos démocraties, nous devons nous en donner les moyens concrets. Il faut donc renforcer nos filières stratégiques, et l'agriculture en est une.
Sur le sujet de notre industrie, nous avons, avec le PPE, voté contre le 100 % véhicules électriques, parce que je suis convaincu que nous devons défendre la neutralité technologique. Cela doit conduire à laisser les industriels libres de développer les moyens nécessaires pour atteindre l'objectif de décarbonation. Nous sommes législateurs, nous ne sommes pas les meilleurs pour dire quelle technologie doit être adoptée pour atteindre un objectif.
Concernant notre production énergétique, nous avons défendu l'énergie nucléaire parce que nous croyons là aussi à la neutralité technologique : le nucléaire est une énergie décarbonée qui permet de lutter contre le dérèglement climatique, sécuriser l'approvisionnement énergétique et maîtriser les prix de l'électricité.
Sur la pêche, j'ai été rapporteur sur la réserve d'ajustement Brexit et nous nous sommes battus pour obtenir des dizaines de millions d'euros supplémentaires pour les pêcheurs français touchés par le Brexit. Il est regrettable que ces millions d'euros aient été consacrés à un plan de sortie de flotte. Alors qu'ils devaient servir à investir dans l'avenir, ils ont servi à casser des bateaux et nous sommes maintenant dans une situation de crise existentielle.
Je suis très heureux que vous parliez des outre-mer car nous avons obtenu très récemment le renouvellement de la flotte dans les outre-mer.
Plusieurs collègues ont posé des questions sur le pacte asile et migration. Certains des textes qui composent ce pacte vont dans la bonne direction et nous les voterons. D'autres poursuivent de bonnes intentions comme la procédure d'asile aux frontières mais ont été vidés de leur substance par la gauche qui a introduit des voies de recours qui en compliquent inutilement le fonctionnement. Nous marquerons notre opposition déterminée à des textes qui ne contribuent pas au renforcement de l'Europe sur les questions migratoires.
M. François, il n'y a pas de coalition au Parlement européen. Les majorités se font et se défont texte par texte, article par article, amendement par amendement. Nous n'appartenons pas avec les autres groupes politiques à une même majorité : la preuve en est que nous nous opposons à de très nombreux textes, notamment certains portant sur les questions migratoires.
Nous sommes la voix des Français à l'intérieur du groupe PPE. Nous cherchons à obtenir un changement de cap pour l'Europe. C'est parce que nous croyons à la nécessité de ce changement de cap que nous nous sommes opposés à la reconduction de Mme von der Leyen.
L'Europe est un combat. Il n'y a pas de majorité. Les clivages sont parfois politiques ou nationaux. Les Français doivent savoir que l'Europe, c'est d'abord un travail de fond qui doit être mené de l'intérieur, un combat de tous les jours pour faire en sorte que les sujets avancent.
Mme Aurore Lalucq, députée européenne. - J'accepte les critiques de ceux qui ont un bilan. En tant que négociatrice pour les socio-démocrates, j'ai eu à appeler les groupes politiques un par un. Je n'ai jamais réussi à joindre un représentant du groupe Identité et Démocratie (ID), je le dis très clairement.
Nous sommes un continent de 445 millions de consommateurs. Il n'est pas normal que, dans les débats sur la question du numérique ou l'intelligence artificielle, l'Europe ait totalement disparu et que cela ne choque personne. Nous devons absolument intégrer ces questions à notre politique industrielle.
Il faut nous doter des outils appropriés. Il nous faut adopter un acte qui impose d'« acheter européen » et utiliser la commande publique pour réorganiser nos filières industrielles. Aujourd'hui, 60 % de la chaîne de valeur sur les questions de technologies vertes est d'origine chinoise. Cela est aberrant. Nous devons absolument devenir autonomes sur le plan stratégique.
Sur la question de la dette climatique, du Green Deal, des véhicules thermiques, des taux d'intérêt et des ressources propres, nous ne devons pas renoncer car sinon, nous mettrons beaucoup d'entrepreneurs dans une situation difficile. Les entrepreneurs ont besoin de stabilité.
Je fais partie de ceux qui ont lutté pour que la Banque centrale européenne n'augmente pas trop vite les taux d'intérêt. Malheureusement, nous n'avons pas été écoutés.
Il nous faut de nouvelles ressources propres reposant sur la taxation des superprofits et des ultra-riches, ou sur une Exit Tax comme aux États-Unis. Nous avons besoin d'un budget européen suffisant pour être capables de nous défendre.
Sur la question fiscale, nous sommes le premier continent au monde à avoir mis en place la taxation minimale des multinationales.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne. - J'ai fait adopter en octobre 2020 un amendement qui s'oppose à l'approbation de l'accord avec le Mercosur. Grâce à cet amendement qui est devenu la position officielle du Parlement européen, cet accord n'a pas été ratifié. Cet amendement a forcé la Commission européenne à changer de logiciel. Nous avons mené un travail d'influence pour faire en sorte que la politique commerciale corresponde aux enjeux et aux priorités politiques qui sont les nôtres, à savoir faire de l'Union européenne une puissance souveraine.
Cela ne signifie pas pour autant que nous sommes opposés à tous les accords de commerce. Quand un accord nous permet de sortir de certaines dépendances et de renforcer la réciprocité, nous le soutenons. C'est le cas du CETA et de l'accord avec la Nouvelle-Zélande ou avec le Kenya. Il existe également d'autres leviers tels que la réciprocité sur les marchés publics qui nous permettent de défendre nos intérêts.
Par notre action et par notre travail, nous arrivons à obtenir des résultats et nous pouvons en être satisfaits collectivement.
Sur la question agricole, notre cap est très clair depuis le début du mandat. Nous sommes les artisans du Pacte vert et nous ne reviendrons pas sur ses objectifs. Le cap est fixé, c'est celui de la neutralité carbone à horizon 2050. Il s'agit maintenant de préciser les moyens d'y parvenir tout en soutenant des productions sur le territoire européen et en créant des conditions de protection. À ce titre, les mesures miroirs sont des éléments extrêmement importants. Il faut aller de l'avant et je pense que cela doit être un engagement collectif français.
Sur la question du numérique, nous avons effectivement des vulnérabilités. L'Union européenne est une puissance normative et un travail important a été réalisé pendant ce mandat, mais ce n'est pas suffisant. Si cette puissance normative ne s'accompagne pas d'un choc d'investissement, notamment par la commande publique, alors nous ne répondrons pas aux enjeux.
Par ailleurs, je vous rejoins sur la question des sanctions extraterritoriales. C'est un sujet sur lequel nous avançons.
Sur la question du pacte asile et migration, nous voterons l'ensemble des textes. Si nous voulons avancer, il nous faut des textes organisant la responsabilité mais aussi la solidarité.
Sur la question de l'OTAN et de la défense, nous avons avancé avec la création du Fonds européen de défense. Nous devons continuer à affirmer très clairement qu'il n'y a pas d'opposition entre l'OTAN et l'Union en matière de défense.
M. Philippe Olivier, député européen. - Je voudrais d'abord répondre à deux objections. La première concerne notre absence et notre incompétence. Si nous sommes si inopérants, pourquoi effrayons-nous autant nos adversaires ? Ils savent que nous avons un vrai jugement et que nous sommes une vraie opposition.
Au Parlement européen, certaines règles s'appliquent à géométrie variable. Une règle voudrait notamment que l'opposition ait accès à un certain nombre de postes et de rapports. Nous sommes exclus de cette règle.
Sur le réchauffement climatique, je dirais que nous vivons dans le vrai monde, le monde de ceux qui sont excédés par vos normes, celui des agriculteurs qui n'arrivent pas à vivre avec 800 euros, celui des Français qui ne peuvent pas acheter une voiture à 45 000 euros, et celui de ceux qui veulent produire et qui sont empêchés de travailler.
Nous vivons d'ailleurs tellement dans ce monde que nous avons mis en avant la France des oubliés que certains ont découverte ensuite avec les gilets jaunes. J'ai pour ma part, manifesté avec des farmers hollandais il y a deux ans et demi alors que vous ne découvrez la crise agricole que maintenant. Le Pacte vert va consumer les systèmes politiques, comme au Pays-Bas.
En fait, vous êtes des progressistes qui ne croyez pas en la science. Les textes du Parlement européen sont faits de restrictions, de limitations ou d'interdictions : il n'y a aucune perspective scientifique. Des produits sont interdits alors qu'aucun produit de substitution n'est recherché et surtout des agendas intenables sont fixés. Les normes s'ajoutent aux normes.
Vous nous dites qu'il faut interdire les moteurs thermiques pour sauver la planète. Mais cela est décidé sans études préalables et sans s'interroger sur la production, le recyclage, ni la dépendance envers la Chine. Ensuite, après avoir blâmé les moteurs thermiques, vous découvrez la pollution avec les fibres de pneus et vous décidez de vous attaquer aux voitures les plus lourdes qui sont les voitures électriques. C'est sans fin.
La France a fait sa transition écologique dans les années 1970 avec le plan Messmer et le nucléaire. Pourtant, vous nous expliquez qu'il faut entraver le nucléaire. C'est une logique de destruction de notre potentiel énergétique.
Il existe des pistes comme l'hydrogène, dont Marine Le Pen a parlé dès 2005. Il existe beaucoup d'autres pistes qui ne sont pas étudiées par l'Union européenne, parce qu'elle se situe dans une logique décroissantiste.
L'Union européenne intervient dans notre vie quotidienne, mais ce n'est pas forcément pour notre bien. Ainsi, le traitement de l'énergie aboutit à l'explosion des factures énergétiques pour les ménages et pour les entreprises.
La politique menée concernant l'agriculture ou l'élevage annonce une augmentation considérable du prix de la viande. Ce sont les catégories les plus modestes qui en feront les frais. L'Union européenne s'invite dans nos vies mais pas de manière positive. Elle est d'ailleurs assez impopulaire.
Sur les accords de libre-échange, même leurs partisans s'aperçoivent qu'ils ne fonctionnent pas.
Il faut sauver la planète mais des cargos hyperpolluants sillonnent les océans parce que nous ne savons pas rompre avec la logique mondialiste, alors même que les États-Unis deviennent protectionnistes. L'Union européenne est la seule à n'avoir pas compris que le cycle mondialiste était fini. Pour notre part, nous ne sommes pas pour le libre-échange mais pour le juste échange. C'est pourquoi, bien évidemment, il faut des clauses miroirs. Les agriculteurs français sont la variable d'ajustement des accords de libre-échange.
Concernant la PAC, nous nous félicitons qu'elle ait été plutôt nationalisée. L'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne constituerait cependant une menace parce que tous les crédits de la PAC bénéficieraient à ce pays.
Sur l'intelligence artificielle, l'Union européenne n'a une vision que normative. Elle n'a aucun projet industriel, ou technologique, ou scientifique. Par conséquent, nous sommes une colonie numérique américaine.
Enfin, de nouvelles ressources propres seraient des impôts européens. L'Union européenne échapperait à tout contrôle. 800 milliards de dettes ont déjà été créés. Quand les capacités nationales d'emprunt sont épuisées, on crée un fardeau supplémentaire de dettes européennes.
M. Yunus Omarjee, député européen. - Je sais que pendant les campagnes électorales, la vérité déserte parfois le débat. Il y a tout de même des limites dans la distorsion entre ce qui est énoncé et ce qui est fait.
Vous aurez remarqué que quasiment tout le monde critique la Politique agricole commune ce matin. Elle a pourtant été approuvée par quasiment tous les groupes politiques qui sont dans la cogestion avec la présidente von der Leyen.
Il est savoureux de noter que tout le monde découvre les effets négatifs des accords de libre-échange sur notre production et sur nos emplois alors que ce sont exactement les raisons pour lesquelles nous nous y opposons.
La Commission européenne doit repenser sa vision en matière de régime des aides d'État. Ce qu'il a été possible de faire pendant la pandémie du Covid-19 devrait pouvoir être pérennisé.
S'agissant du Green Deal, la question de l'adaptation au réchauffement climatique n'est jamais évoquée. C'est un trou noir dans la politique climatique de l'Union européenne. Pourtant, chaque été en Europe et en France, nous devons faire face à des inondations, à des feux de forêt, à une série de tempêtes, à une série de catastrophes qui fragilisent nos territoires. Ce Green Deal est un Green Deal unijambiste.
Le budget européen est un autre sujet qui a été évoqué. Nous avons commencé la législature avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, soit environ 50 milliards d'euros en moins. Puis, les crises sont arrivées et il a fallu trouver des solutions. Par ailleurs, nous savons que nous allons à nouveau vers un budget contraint de l'Union européenne, avec des priorités qui sont toujours de plus en plus nombreuses.
Nous avons donc proposé d'instaurer de nouvelles ressources propres, et en particulier une taxe sur les transactions financières. Cette proposition n'a jamais été retenue. Nous n'avons pas non plus avancé sur la question de l'évasion fiscale.
Je voudrais enfin évoquer la question de l'élargissement car ce sera la question centrale de la future législature. S'il y a effectivement beaucoup d'inquiétudes concernant la PAC parce que l'Ukraine est un géant à nos portes, l'élargissement aura aussi un impact sur les dotations pour les régions françaises. Alors que les régions d'outre-mer sont considérées comme les moins développées d'Europe, elles seront remplacées par les régions ukrainiennes. Nous y perdrons énormément. Est-ce ce que nous voulons ? Notre délégation a défendu les intérêts de la France au cours de ces cinq années et c'est la ligne qui sera la nôtre pour les cinq années à venir.
- Présidence de Jean-François Rapin, président, et Mme Marietta Karamanli, vice-présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale -
M. Jean-François Rapin. - Nous proposons aux parlementaires nationaux de reprendre la parole pour un temps très court.
M. Arnaud Le Gall, député. - En 2021, la Commission européenne a lancé la phase d'étude pour la création de l'euro numérique. Cela implique notamment que les données de paiement soient ultra-centralisées. L'entreprise Amazon a été choisie comme entreprise pour les solutions de paiement dans la phase test. Comment est-ce possible ? Qu'en pensez-vous ?
M. Thibaut François, député. - Il me semble avoir été mis en cause par Madame Lalucq. Je l'invite à faire profil bas au regard du plus gros scandale qui a éclaboussé le Parlement européen. Le « Qatargate » a en effet incriminé plus de quatre des députés européens de votre groupe.
Par ailleurs, quelle est la position des orateurs sur l'intégration des Balkans à l'Union européenne et les possibilités de convergence ? Je rappellerai que le salaire moyen en 2024 s'établit à 472 euros en Macédoine du Nord et à 596 euros en Bosnie-Herzégovine.
Mme Constance Le Grip, députée. - Nos échanges ont illustré la diversité des positions et des conceptions au sein du Parlement européen, ce dont je me félicite. Les propos des uns et des autres ont également fait surgir assez clairement qu'il y a une opposition entre les familles politiques engagées de manière constructive dans la poursuite du projet européen et une famille politique qui est clairement dans la déconstruction de l'intérieur du projet européen et dont la vision pourrait faire resurgir les nationalismes.
J'ajoute que les manipulations d'information, les désinformations et ces poisons qui minent la sincérité et la clarté du débat démocratique sont un autre défi commun que nos pays européens doivent affronter.
Mme Christine Lavarde. - Certains nous ont expliqué qu'il était nécessaire de produire sur le territoire européen et qu'il fallait mettre en place des mesures de protection. Dès lors, comment pouvez-vous expliquer que la taxe carbone aux frontières ne soit toujours pas mise en oeuvre ? Cette taxe carbone devait être une des ressources propres de l'Union européenne et devait lui permettre de financer les nouvelles politiques. Qu'avez-vous fait chacun dans vos délégations respectives pour que ce sujet avance vraiment ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Pour revenir sur la stratégie cloud, qu'est-ce qui a été fait concrètement après l'échec du projet Gaia-X ? Pourquoi ne pas assumer une préférence communautaire ? J'aimerais bien que chaque groupe puisse répondre.
M. Jean-François Rapin. - Nous passons aux conclusions des parlementaires européens.
M. François-Xavier Bellamy, député européen. - Avec les Républicains, nous disons qu'il n'est pas possible de procéder à de nouveaux élargissements. L'Europe a d'abord besoin de se réformer. Nous proposons également de développer le statut d'État associé afin que certains pays puissent être européens sans être membres de l'Union.
S'agissant d'Amazon ou de Gaia-X, nous avons de grandes difficultés à faire admettre à nos amis européens qu'il est nécessaire de définir une stratégie commerciale plus offensive qui soit une stratégie de défense de nos intérêts.
Mais au-delà des instruments à mettre en oeuvre au niveau européen et de la nécessité de compléter le MACF (mécanisme d'ajustement carbone aux frontières), il est urgent que la France redevienne crédible dans le débat européen.
Quand la France dit qu'il faut mieux protéger le marché et défendre les intérêts européens, son record de déficit commercial, à hauteur de -100 milliards d'euros l'an dernier, alors que l'Europe est excédentaire commercialement rend sa position difficilement défendable. Nos partenaires européens ont le sentiment que nous voulons moins protéger l'Europe que nous protéger contre nos propres fragilités et parfois nos propres paresses. De ce point de vue, l'irresponsabilité de la gestion des finances publiques françaises met la France en situation d'extrême faiblesse pour défendre une position pourtant nécessaire dans le débat européen.
Mme Aurore Lalucq, députée européenne. - Sur la question du cloud européen, je suis entièrement d'accord avec Mme Catherine Morin-Desailly. Le problème, c'est que nous n'avons pas encore de majorité en ce sens.
Sur la question de la guerre hybride, des fake news et des ingérences, je partage tout à fait l'inquiétude. Nous avons tenté d'alerter dès le début du mandat sur ces questions mais malheureusement nous avons été peu entendus.
Sur la question du signal prix qui est important, mon groupe parlementaire a fait partie des négociations pour l'établissement du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Cependant, un signal prix n'est pas suffisant. Il faut aussi créer des alternatives en investissant massivement. Je rappelle que 50 % des investissements dans la transition écologique ne sont pas rentables à court terme, nous devons donc compter aussi sur l'argent public. Cela nous ramène à la question des ressources propres et du budget.
Sur la question de l'énergie, l'Union européenne n'interdit rien concernant le nucléaire. C'est un enjeu national. Nous avons besoin du nucléaire mais il ne faut pas l'opposer aux énergies renouvelables car le nucléaire ne peut être la solution à lui tout seul.
Mme Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne. - Nos échanges montrent à quel point nous avons besoin d'Europe et à quel point il faudra envoyer des parlementaires au Parlement européen qui soient capables de bâtir des majorités crédibles, influentes et efficaces. Il ne s'agit pas seulement d'avoir raison entre Français, il s'agit d'embarquer nos collègues à l'échelle de l'Union européenne.
Nous avons gagné la bataille des idées, notamment sur la question de la souveraineté ou celle du Pacte vert. Nous continuerons à agir pour embarquer les autres États membres sur cet enjeu de souveraineté, avec un choc des investissements, parce que c'est un élément capital pour notre prospérité.
Sur les questions liées à la guerre en Ukraine, l'objectif est de créer des zones de stabilité aux frontières de l'Union européenne.
Sur l'élargissement, une réforme institutionnelle est nécessaire pour créer les conditions nécessaires à un bon accueil.
M. Philippe Olivier, député européen. - La grande question qui est posée par ces élections, et d'une manière générale par tous les débats européens, c'est la question de l'effacement de la France. Je maintiens que l'Union européenne se vit comme un empire qui veut écraser les nations et les diluer.
Pour y parvenir, il y a un enjeu institutionnel avec le rapport Verhofstadt qui veut supprimer la règle de l'unanimité. Des décisions contraires à nos intérêts vitaux pourraient dès lors nous être imposées. La prise de possession par l'Union européenne de l'arme nucléaire française ou du siège de la France au Conseil de sécurité de l'ONU constitueraient une dépossession des instruments de la puissance et du rayonnement de la France sur la scène internationale.
À propos du Pacte vert, nous sommes dans un nouveau clivage qui va opposer ceux qui sont pour la décroissance et ceux qui sont pour la puissance. Le rapport de force pourrait s'inverser dans la nouvelle assemblée qui verra le jour.
M. Yunus Omarjee, député européen. - La souveraineté européenne ne peut pas être et ne doit pas être un slogan. Elle doit être accompagnée d'actes concrets. Or ce que nous observons actuellement, c'est que cette souveraineté est malmenée par l'ensemble des politiques européennes. Par exemple, sur les questions internationales, il existe un atlantisme partagé par beaucoup de pays et par la présidente von der Leyen qui affaiblit la souveraineté européenne.
Sur les questions économiques, il y a une dérive d'Ursula von der Leyen, accompagnée par les groupes politiques au Parlement européen de la majorité, qui affaiblit l'industrie européenne.
Enfin, il n'y a rien qui définisse plus la souveraineté que la monnaie et pourtant, elle est confiée à Amazon. C'est un scandale absolu, révélateur de l'affaiblissement de la souveraineté.
Je conclurai en rappelant que 85 millions d'Européens sont concernés par la pauvreté ou l'exclusion sociale et qu'ils seront plus de 120 millions d'ici la fin de la prochaine législature si nous continuons avec les politiques actuelles.
M. Jean-François Rapin. - Merci à tous. C'était un débat très intéressant que nous devrions pouvoir renouveler, hors période électorale.
Mme Marietta Karamanli, députée. - Je vous remercie également. Je pense que nous manquons de moments de travail de ce type et qu'il serait utile qu'ils soient plus fréquents. Pour conclure, je voudrais excuser Mounir Satouri qui a été empêché de participer à nos travaux.
La réunion est close à 11 h 40.