- Mercredi 3 avril 2024
- Proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève - Examen du rapport et du texte de la commission
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Mercredi 3 avril 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous nous réunissons ce matin pour examiner le rapport de Philippe Tabarot et élaborer le texte de la commission sur la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transport avec l'exercice du droit de grève. Ce texte a été déposé par Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues le 14 février dernier, à la suite des importants mouvements de grèves intervenus à la veille de grands départs en vacances.
Avant toute chose, je remercie le rapporteur, Philippe Tabarot, d'avoir conduit ses auditions - plus d'une quinzaine - dans des délais, comme c'est souvent le cas, malheureusement très contraints, et sur un sujet que je sais épineux.
Cette proposition de loi sera examinée en séance publique le mardi 9 avril prochain à 14 h 30. Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance publique est fixé au lundi 8 avril à 12 heures.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui mon rapport sur la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève, déposée par le président Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues.
Je suis bien conscient que les conditions d'exercice du droit constitutionnel de grève et sa nécessaire conciliation avec d'autres droits, également constitutionnels, sont un sujet pouvant susciter des débats passionnels. J'ai donc ouvert les auditions préparatoires à l'ensemble des commissaires, afin que nous parvenions au moins à établir un diagnostic commun sur la situation actuelle.
Le texte que nous examinons aujourd'hui prévoit un maximum de 60 jours par an au cours desquels l'exercice du droit de grève dans les services publics de transport pourrait être suspendu. Il tend donc à sanctuariser certaines périodes qui répondent à des besoins essentiels de la Nation, pendant lesquelles les usagers auraient la garantie qu'une grève ne pourrait pas perturber le fonctionnement des transports publics. Le bon déroulement des grands départs, des scrutins électoraux et des grands événements nationaux, notamment sportifs et culturels, pourrait donc être concilié avec la survenue des aléas consécutifs à l'exercice du droit de grève. Ce dispositif s'inspire de l'exemple italien, où un système analogue est en vigueur depuis près de trente ans.
Je tiens à souligner que ce texte fait de la négociation collective l'un des préalables de l'application du dispositif. Le pouvoir réglementaire ne pourra fixer précisément les jours entrant dans le champ de cette sanctuarisation des déplacements qu'après une négociation avec les partenaires sociaux. La proposition de loi prévoit également que ces périodes ne pourront être définies qu'au moins quatre-vingt-dix jours avant le début de la première période concernée ; elles ne pourront durer plus de quinze jours consécutifs.
Loin de s'opposer au droit de grève en lui-même, ce texte tend à concilier son exercice avec d'autres droits et libertés à valeur constitutionnelle, tels que la continuité du service public, la préservation de l'ordre public, la liberté d'aller et venir ou encore la liberté d'entreprendre.
Le premier axe de mon rapport a consisté à accentuer cette logique de conciliation, et à renforcer la proportionnalité du dispositif. Seuls les aménagements de l'exercice du droit de grève strictement nécessaires aux objectifs d'intérêt général poursuivis dans ce texte me semblent devoir être conservés.
Le deuxième axe de mon rapport s'inscrit dans une même logique d'ajustement de l'exercice du droit de grève : certains abus peuvent miner l'acceptation sociale de ce droit auquel je suis fermement attaché. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé plusieurs amendements tendant à en empêcher certains détournements et à en limiter les conséquences les plus néfastes pour les usagers, notamment ceux qui utilisent les transports collectifs dans leurs mobilités quotidiennes et pour se rendre au travail.
Afin de renforcer la proportionnalité du dispositif, je vous proposerai tout à l'heure un amendement tendant à mieux encadrer les périodes de protection des déplacements durant lesquelles le droit de grève pourra être suspendu. Il me semble opportun de réduire leur plafond annuel à trente jours au lieu de soixante jours, et de fixer le nombre maximal de jours consécutifs sanctuarisés à sept jours plutôt que quinze. Conscient qu'une franchise totale de grève ces jours-ci est sans doute insuffisamment proportionnée, j'ai cherché, dans un souci d'équilibre, à ne prévoir qu'une suspension partielle du droit de grève, c'est-à-dire à certaines heures de la journée, qui correspondent aux heures de pointe.
Je ne doute pas que vous partagerez mon analyse, puisqu'elle reprend la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel : il revient au législateur d'assurer la bonne conciliation entre le droit de grève et les autres droits auxquels il est susceptible de porter atteinte.
Aussi, et pour ne pas trop laisser les coudées franches au pouvoir réglementaire dans la détermination de ces périodes de protection renforcée de la liberté d'aller et venir, j'ai tenu à préciser que celles-ci ne peuvent être fixées que les jours fériés et les jours d'élections et de référendums, ainsi que les jours les précédant et les suivant, et pendant les vacances scolaires et les événements d'importance majeure sur le territoire. Bien entendu, la détermination de ces périodes ne pourra avoir lieu qu'après concertation avec les partenaires sociaux des branches concernées.
Afin de m'assurer de la proportionnalité du dispositif et de son efficacité, j'ai également cherché à en clarifier le champ d'application. Il me semble en effet essentiel que seuls les agents indispensables à l'exécution du service soient concernés par cet aménagement de leur droit de grève : gardons-nous d'en priver l'ensemble des agents du secteur. Il m'a paru en outre nécessaire de clarifier le fait que les services librement organisés (SLO) de transport ferroviaire de voyageurs -- en clair, les lignes à grande vitesse -- soient bien inclus dans le champ du texte ; c'était là l'intention première de son auteur.
Enfin, il ne m'a pas semblé opportun de conserver le transport aérien dans le champ d'application du texte. Il est en effet nécessaire de laisser le temps à la loi du 28 décembre 2023 relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic de produire l'ensemble de ses effets. Pour rappel, notre commission avait examiné au fond ce texte de notre collègue Vincent Capo-Canellas au printemps dernier.
Enfin, pour qu'une loi soit bien appliquée, il faut qu'il y ait des sanctions à l'encontre des éventuelles personnes qui ne se conformeraient pas à ses dispositions. Le dispositif prévoit donc des sanctions pénales en cas de manquement. Il me paraît plus équilibré d'en rester à des sanctions disciplinaires, ce qui est la règle générale en cas d'exercice du droit de grève dans des conditions illicites. Une telle substitution est en outre de nature à renforcer la constitutionnalité du texte.
J'en viens maintenant au deuxième axe de mon rapport : la lutte contre les détournements du droit de grève et ses effets les plus marqués sur les mobilités du quotidien.
Le droit de grève est, je le répète, un droit constitutionnel et précieux. C'est bien pour cette raison qu'il est essentiel de lutter contre les détournements de son exercice par une minorité, qui en fragilisent l'acceptation sociale.
Au cours de mes travaux préparatoires, j'ai été frappé par le discours des opérateurs, qui ont décrit avec précision certains abus auxquels il faut mettre un terme.
Dans les services publics, une grève ne peut être déclenchée que cinq jours francs après le dépôt d'un préavis par une organisation syndicale. De surcroît, dans le secteur des transports terrestres de voyageurs, un mécanisme dit d'alerte précoce est prévu en amont de ce dépôt. L'objet de ces dispositions est d'ouvrir une période de dialogue entre l'autorité hiérarchique et les organisations syndicales : la grève n'est ainsi déclenchée qu'en dernier recours, après l'échec éventuel du dialogue.
Or certains syndicats déposent des préavis de grève d'une durée illimitée ou très longue, utilisables ainsi en permanence. La période de dialogue social est ainsi contournée : une grève peut être déclenchée en s'appuyant sur un préavis déposé des mois plus tôt, appelé couramment « préavis dormant », et ce sans repasser par la « case » négociation.
En outre, ces préavis permanents sont parfois utilisés par certains agents pour des raisons individuelles -- je n'ose pas dire de convenance...
Or la grève est un droit collectif et revendicatif. Il est donc nécessaire de veiller à ce que son cadre légal ne soit pas utilisé pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les conflits collectifs de travail et de renforcer le rôle du dialogue social afin de prévenir ces conflits.
Je vous proposerai donc un amendement tendant à prévoir la limitation à trente jours des préavis de grève dans le secteur des transports et la caducité des préavis qui n'ont pas été utilisés par au moins deux agents pendant une période de quarante-huit heures.
J'en viens maintenant à un deuxième détournement du droit de grève. Ce sont les grèves de courte durée, les fameuses « grèves de 59 minutes ». Dans les transports publics, il peut arriver que certains agents fassent grève moins d'une heure, à un moment stratégique de la journée, ce qui rend de fait impossible leur réaffectation par la suite. Ainsi, les conséquences sont très lourdes sur le trafic. Elles sont également disproportionnées, compte tenu du coût relativement faible de cette grève de 59 minutes pour un salarié qui peut pourtant rester inactif, faute de réaffectation, pendant plusieurs heures.
Afin d'encadrer le recours abusif à cette pratique, je vous proposerai un amendement prévoyant que, en cas de risque de désordre manifeste à l'exécution du service public, les agents indispensables au bon fonctionnement du service ne puissent exercer leur droit de grève qu'au début de l'une de leurs prises de service et jusqu'à son terme.
Les grèves de 59 minutes, comme les préavis dormants, causent de nombreuses « micro-perturbations » dont on ne s'émeut guère au niveau national. Des RER et des TER sont annulés ou retardés tous les jours. Ce sont autant de cailloux dans les chaussures de nos concitoyens qui empruntent au quotidien des moyens de transport décarbonés ; je souhaite me faire leur porte-parole. Bien souvent, beaucoup d'entre eux n'ont d'ailleurs pas d'autres solutions que d'utiliser les transports en commun, pour des raisons économiques ou en raison de la congestion routière. Évitons de leur mettre des bâtons dans les roues en permanence.
C'est également afin de simplifier la vie de nos concitoyens en cas de mouvement social que je vous propose une mesure de bon sens. Aujourd'hui, en cas de grève dans les transports publics terrestres de voyageurs, les agents indispensables au bon fonctionnement du service indiquent individuellement quarante-huit heures en amont du mouvement qu'ils comptent y participer. Ils disposent alors d'un délai de rétractation supplémentaire de vingt-quatre heures.
Ces délais sont trop courts pour que les opérateurs optimisent efficacement leur offre de transport et définissent de façon appropriée les modalités de mise en place du plan de transport adapté. Par conséquent, ils n'ont pas la capacité d'assurer une information prévisible et fiable à destination des usagers en amont de la grève alors qu'ils ont l'obligation d'y procéder vingt-quatre heures avant son commencement.
Avancer ces délais de déclaration individuelle de vingt-quatre heures faciliterait donc l'organisation du service par les opérateurs de transport et garantirait la transmission d'une information plus fiable aux usagers dans les délais légaux.
En cas de grève, les « cols blancs » - même si je n'aime pas beaucoup cette expression - peuvent télétravailler. Ceux qui sont contraints de prendre tout de même les transports en commun sont souvent les travailleurs les plus modestes et les plus précaires, qui habitent d'ailleurs fréquemment loin de leur lieu de travail. Ne les laissons pas sur le quai de la gare, si je puis dire.
C'est également afin de mieux protéger ces mobilités du quotidien, notamment les trajets entre le domicile et le travail, que je vous propose d'adopter un amendement prévoyant que le niveau minimal de service en cas de grève, défini par l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM), corresponde à la couverture des besoins essentiels de la population, notamment aux heures de pointe.
J'ai cherché une position d'équilibre, tout d'abord entre le droit de grève et les autres libertés constitutionnelles. Il est nécessaire de ne pas porter des atteintes disproportionnées ou non nécessaires au droit de grève. L'équilibre n'exclut d'ailleurs pas la fermeté : c'est bien pour cette raison que je suis formellement opposé à toute forme de détournement du droit de grève.
Ensuite, j'ai également tenté de trouver un point d'équilibre entre la protection des grands déplacements et les jours exceptionnels, d'une part, et celle du quotidien des Français, d'autre part. Pour citer Mao Tsé-toung, « il faut marcher sur ses deux jambes » : une forme de sanctuarisation des déplacements pendant certaines périodes est opportune, mais il faut également veiller à la qualité des transports pris chaque jour par des millions de Français.
M. Jacques Fernique. - L'exercice du droit de grève dans la Chine de Mao Tsé-toung est sujet à caution...
Cette proposition de loi relève d'une réaction disproportionnée et à l'emporte-pièce, plus épidermique qu'équilibrée.
Dans le contexte social actuel, et alors que les transports publics rencontrent de nombreuses difficultés à la veille des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), tant en matière de qualité que de capacité, rouvrir un chantier parlementaire sur l'exercice du droit de grève de manière aussi outrée n'est pas la meilleure façon de faire en sorte que nos services de transport abordent cette période compliquée dans de bonnes conditions.
L'euphémisme ne trompera personne : la suspension, c'est tout bonnement une interdiction, pendant 60 ou 30 jours par an, 15 ou 7 jours consécutifs et uniquement à certaines heures de la journée. Il s'agit bien de la suppression d'un droit essentiel et constitutionnel durant un temps donné, celui où l'exercice de ce droit a l'impact le plus fort. En fait, il s'agit d'une réquisition générale des agents durant ces périodes, alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les besoins essentiels du pays est constante : les services de transport n'en font pas partie, car il existe des solutions alternatives en cas de grève, et l'arrêt du service n'est jamais total.
Nos transports collectifs revêtent une importance économique, sociale et climatique majeure. C'est un dialogue social performant et fluide qui assurera leur développement et leur qualité. Ce n'est pas en amputant le droit de grève et la liberté d'action syndicale que l'on y contribuera.
Je retrouve dans ce texte et dans de nombreux amendements des revendications des employeurs, qui visent à amoindrir, décourager et complexifier l'action collective des salariés. Pour cela, ils ont pointé certains abus, mais ceux-ci ont été montés en épingle et caricaturés. Or l'intérêt général passe par la recherche d'un équilibre, notamment en améliorant le fonctionnement du régime issu de la loi de 2007 : alarme sociale, période de dialogue prise au sérieux, facilitation de l'exercice des fonctions de représentation du personnel, valorisation du travail des organisations représentatives, déclarations individuelles d'intentions qui ne soient pas utilisées pour faire pression sur les salariés et les dissuader de faire grève, autant de pistes autrement plus positives que des interdictions, des réquisitions ou des sanctions pénales et disciplinaires.
Pour les usagers, la création du service organisé sur la base des grévistes prévus et l'information des voyageurs ont été de réels progrès : faisons fonctionner ces dispositifs au mieux plutôt que de limiter excessivement, de contraindre, et, finalement, d'attiser ce que l'on prétendait apaiser.
M. Stéphane Demilly. - L'aviation fait partie de mon ADN ; j'ai été maire et député d'une ville dont le développement reposait uniquement sur l'aéronautique.
En ma qualité de rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, j'ai constaté que la concurrence était féroce dans ce secteur. C'est moins le cas pour le ferroviaire, qui, en raison de sa situation monopolistique, est en mesure de bloquer tous les déplacements en train du jour au lendemain. Résultat : nos concitoyens ne disposent pas de solutions alternatives pour se déplacer, pour reprendre un terme utilisé par Jacques Fernique. Cette proposition de loi est donc tout à fait légitime.
Comme l'a souligné le rapporteur, il n'est pas utile que ce texte couvre le champ du secteur aérien. Ce dernier est déjà encadré par la loi Diard de 2012, qui oblige tout salarié concourant directement à la réalisation des vols à se déclarer gréviste au plus tard quarante-huit heures avant le mouvement, et par la loi dont l'auteur était notre collègue Vincent Capo-Canellas de 2023, qui assure un haut niveau de prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social des contrôleurs aériens.
Je salue le travail de l'auteur du texte et du rapporteur : conscients de ces subtilités, ils sont parvenus à un consensus équilibré. Je citerai moi aussi Mao Tsé-toung : « Le fondement de la théorie, c'est la pratique. » Nous y sommes, grâce au consensus qui a été trouvé.
Cela dit, comment faire pour rassurer les acteurs du secteur qui craignent que la suspension du droit de grève pour une durée clairement limitée ne soit la porte ouverte à un encadrement plus large du droit de grève ?
M. Olivier Jacquin. - À mon tour de détourner Mao Tsé-toung, qui a aussi dit que « c'est dans l'ignorance que l'on dirige un peuple ». Pour notre part, nous ne serons pas ignorants : il s'agit bien d'un texte épidermique et de circonstance, dont le but est de nuire au droit de grève.
Voilà une étonnante inversion de la valeur travail : nos collègues en viennent à défendre le droit aux vacances...
Cette proposition de loi est probablement inconstitutionnelle ; de plus, elle opère de multiples confusions entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire.
Vous auriez plutôt dû utiliser votre énergie à améliorer les procédures de prévention des conflits en amont de la grève et le dialogue social, seul moyen de limiter la pratique de la grève et d'améliorer la situation générale du service public et celle des travailleurs.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je salue le talent de Philippe Tabarot et sa capacité à masquer une volonté à revenir sur le droit de grève...
On parle beaucoup ici de simplification des normes : je ne suis pas sûr que cela soit le cas avec ce texte, dont les failles complexifieront les choses.
La loi relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic de 2023 dont Vincent Capo-Canellas a été à l'origine concerne uniquement les contrôleurs aériens, pas le reste du personnel : pourquoi l'aviation, à moins qu'elle ne remplisse pas une mission de service public, serait-elle exclue du champ de ce texte ?
Comme j'ai pu l'entendre lors des auditions du rapporteur, dans certaines compagnies aériennes - c'est le cas pour Air France -, le dialogue social n'est pas mené de la même manière qu'à la SNCF : il évite aux agents de recourir à la grève, solution ultime ; on ne fait jamais grève pour le plaisir. La grève résulte toujours d'une faille dans le dialogue social de l'entreprise. À entendre Philippe Tabarot, on dirait que tout va bien dans ces entreprises. Or ce n'est pas le cas.
Comme l'a souligné Olivier Jacquin, ce texte opère des confusions entre ce qui relève de la loi et du règlement.
Dans mon territoire, nos concitoyens se plaignent non pas des grèves, mais de la situation dégradée des transports du quotidien. Prenez le cas de la ligne ferroviaire entre Lyon et Ambérieu-en-Bugey : entre ces deux extrémités, le service fonctionne correctement. En revanche, si vous habitez à Montluel, vous courez le risque que votre train ne s'arrête pas à la gare, voire qu'il soit supprimé. Résultat : les personnes concernées utilisent de nouveau leur voiture au quotidien.
J'ai le sentiment que la droite évolue : elle essayait de supprimer le droit de grève au nom du droit au travail. Aujourd'hui, elle revient à la charge au nom du droit aux congés.
M. Pierre Barros. - Merci pour votre brillante intervention, monsieur le rapporteur.
De nombreuses propositions de loi ont été déposées depuis plusieurs années à ce sujet, notamment par Bruno Retailleau, Stéphane Le Rudulier et vous-même, Philippe Tabarot.
Je me place du point de vue des usagers. Si la dégradation du service de transport était due aux grèves, tout irait très bien ! Lors des grèves, nous sommes avertis en temps et en heure. Ce n'est pas le cas lors des dysfonctionnements techniques, qui durent souvent plusieurs heures et pendant lesquels l'information fait souvent défaut. Ceux-ci expliquent la plupart des retards, notamment en Île-de-France. Trains en panne, défaut d'alimentation électrique ou manque de conducteurs : voilà le quotidien des usagers. Les grèves ne représentent pas la majorité des problèmes.
Ce texte est une énième tentative pour empêcher les gens de se mobiliser. La grève représente un moment particulier du dialogue social. Les négociations ont évidemment commencé bien avant : comme l'ont indiqué les organisations syndicales lors des auditions préparatoires, la grève intervient en dernier ressort en cas de rupture dans les négociations. Elle est source de pertes de salaire et les agents sont bien conscients des problèmes causés aux usagers. Salariés et employeurs, tous sont alors responsables de la situation.
Avec ce texte, on retire la capacité aux salariés de disposer d'outils pouvant peser sur la négociation collective. C'est très dangereux. Le patronat a besoin des organisations syndicales : sans elles, le système s'effondre. Les syndicats sont les garants d'un amortisseur social. J'irai plus loin : ce sont les meilleurs amis des gestionnaires, à condition de travailler à armes égales avec eux. Si les outils des uns sont disproportionnés par rapport à ceux des autres, le résultat est dommageable, avec, notamment, le développement de collectifs de salariés qui peuvent faire grève de façon autonome. On arrive à un dérapage, qui est le résultat d'un matraquage systématique du droit des salariés à se mobiliser et à se mettre en grève.
Le jour où les grandes organisations syndicales telles que la CGT et la CFDT seront remplacées par des collectifs spontanés de salariés issus de groupes WhatsApp, la situation sera nettement plus difficile qu'aujourd'hui.
M. Cédric Chevalier. - Remettre en cause certains sujets, faire évoluer notre droit dans certaines matières, c'est normal. Et le rapporteur a cherché à préserver les équilibres actuels.
La grève, c'est l'échec du dialogue social. C'est seulement lorsque les différentes parties ne s'entendent plus que ce droit doit être mis en oeuvre. C'est l'arme ultime. La grève affecte les usagers, qu'ils aillent travailler ou se divertir, le bilan financier et la réputation de l'entreprise, les salariés grévistes - on ne fait pas grève par plaisir - et les salariés mobilisés pour maintenir la continuité du service ; pensons à ces femmes et à ces hommes mobilisés pour maintenir un service minimum pour l'ensemble des usagers ! À mon avis, on ne tient pas assez compte des conséquences d'une grève sur leur vie personnelle et professionnelle : ils peuvent être rappelés alors qu'ils étaient en congé !
Aussi, je défendrai un amendement tendant à prendre compte les jours ouvrés plutôt qu'un délai de quarante-huit ou de soixante-douze heures concernant les déclarations individuelles de participation à la grève. Cela permet de répondre à la situation de ceux qui doivent organiser le service, et qui ont aussi le droit au repos.
Ce texte permet de conserver l'équilibre entre ceux qui font grève et les autres, d'améliorer les conditions de dialogue entre l'ensemble des collaborateurs, tout en préservant la richesse des entreprises, c'est-à-dire les femmes et les hommes qui la composent.
M. Saïd Omar Oili. - La particularité du mode de transport en outre-mer n'a pas été prise en compte dans ce texte, me semble-t-il. À Mayotte, pour nous rendre sur l'île de la Petite-Terre ou de la Grande-Terre, nous sommes obligés de prendre une barge ; l'unique mode de transport est maritime. En Guyane, les enfants vont à l'école en pirogue.
Comment la limitation du droit de grève, prévue par ce texte, pourra-t-elle s'appliquer à ce mode de transport, propre à nos collectivités ?
M. Hervé Reynaud. - Il est heureux de pouvoir réfléchir sur des sujets déjà bien établis.
En tant qu'élus locaux, nous avons, à de nombreuses occasions, discuté avec des représentants d'organisations syndicales. Cependant, le droit de grève est souvent dévoyé, et je le regrette : certains acteurs syndicaux responsables, avec lesquels nous pouvons parfaitement travailler, sont débordés par des collectifs qui utilisent des préavis dormants.
Avançons sur ce sujet ! Les cols blancs et les cols bleus, pour reprendre l'expression de notre rapporteur, doivent pouvoir aller travailler tous les jours.
Cette proposition de loi n'a pas pour objet de gérer l'amélioration des transports du quotidien, pour laquelle il faut prendre en compte d'autres facteurs, et nous avons débattu de la sûreté dans les transports voilà quelques semaines. Il nous appartient de faire en sorte que notre pays - son image est en jeu - organise de grands événements dans de bonnes conditions ou que les Français puissent partir en vacances ; souvent bien méritées, elles sont aussi l'aboutissement de luttes antérieures, ne l'oublions pas.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Monsieur Reynaud, nous partageons votre constat.
Monsieur Chevalier, j'ai la même analyse que vous et j'entends votre message, malgré une petite différence par rapport à l'amendement que vous proposez.
Monsieur Omar Oili, si l'excellent amendement déposé par M. Mandelli est adopté, le texte répondra concrètement à la situation dans les territoires d'outre-mer.
Monsieur Demilly, à la suite des auditions de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), d'Air France, de l'Union des aéroports français (UAF) et d'ADP, nous avons décidé de ne pas inclure le transport aérien dans ce texte. Il n'a pas semblé opportun à nos interlocuteurs de légiférer de nouveau sur ce point, étant donné qu'a été récemment promulguée la loi relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic, déposée par M. Capo-Canellas. De plus, pour répondre à Gilbert-Luc Devinaz, peu de lignes servent à assurer la continuité du service public.
Nous avons précisé les périodes concernées par les suspensions - les événements d'importance majeure comme les examens, les grandes compétitions sportives et culturelles - au cours desquelles notre pays ne doit pas être bloqué, notamment pour des raisons de sécurité. D'ailleurs, le fiasco du Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai 2022 est dû en partie à une grève dans les services de transports en commun et à un manque d'information des usagers. Si le délai de soixante-douze heures, plutôt que de quarante-huit heures, pour les déclarations individuelles avait été la règle, des problèmes auraient sans doute été évités.
Nous avons complété le texte initial en y ajoutant des mesures portant spécifiquement sur les mobilités du quotidien et en veillant à sa constitutionnalité. Jacques Fernique, le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur le caractère essentiel du transport public de voyageurs ; sa jurisprudence précise seulement qu'il revient au législateur d'assurer la bonne conciliation entre le droit de grève et les autres droits auxquels il est susceptible de porter atteinte.
Nous avons souhaité faire évoluer la suspension - ou l'interdiction, c'est selon - pour qu'elle concerne des plages horaires ; mais elle ne s'applique qu'au personnel indispensable au bon fonctionnement du service.
J'ai entendu les remarques de MM. Jacquin, Barros, Devinaz et Fernique. Lors des auditions préparatoires auxquelles je vous ai conviés dans un souci de transparence, vous avez pu entendre les positions des différents acteurs. D'ailleurs, vous n'avez pas fait preuve de la même ouverture en ne m'invitant pas à entendre à vos côtés certains acteurs ! Vous aviez sans doute des secrets à vous partager, notamment pour préparer vos armes...
Tous les mercredis matin, nous vous écoutons, attentivement toujours et longuement souvent, et nous partageons même certains de vos constats, empreints de bon sens. En revanche, lorsqu'il s'agit de préserver la sûreté dans les transports ou d'éviter le détournement du droit de grève, votre idéologie prend le dessus. Et la défense du ferroviaire, sujet qui vous intéresse - vous déposez avec nous des amendements en la matière -, ne retient alors plus votre attention !
Une forte grève peut coûter 10 millions d'euros par jour à la SNCF, et même jusqu'à 100 millions d'euros, comme on le voit dans les résultats financiers de l'entreprise. C'est autant d'investissements en moins dans le réseau que nous défendons pourtant ensemble, alors même qu'ils sont à la charge de l'entreprise, l'État n'étant plus en mesure de les faire. Et vous prétendez que ce n'est pas un sujet, que le problème, c'est l'absence de dialogue social ? Je ne comprends pas ; on ne peut pas défendre le ferroviaire et ne pas regarder en face les répercussions financières importantes des mouvements sociaux.
Avez-vous vu les derniers sondages ? La SNCF est l'entreprise la plus détestée des Français ; elle a perdu vingt-deux places au classement des entreprises françaises. C'est en partie lié aux grèves...
M. Olivier Jacquin. - N'importe quoi !
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Avez-vous vu les images des quais bondés du mois de février ? Avez-vous entendu parler de ces familles qui n'ont pas pu se retrouver ? Certains parents séparés ont eu des difficultés à emmener leurs enfants à l'autre parent pendant les vacances scolaires.
Quand on parle de droit de grève et de sûreté dans les transports, vous êtes aveuglés par une idéologie qui n'est plus d'actualité, et vous perdez votre logique.
Parlementaires, nous sommes aussi les représentants des usagers, alors que vous considérez être uniquement les représentants des grévistes. La situation a beaucoup changé, et c'est à cette aune qu'il faut revoir les conditions de l'exercice du droit de grève, car l'abus n'est pas un droit.
Voilà un certain nombre d'années que le droit de grève est, à mon sens, dévoyé. Et certains syndicats eux-mêmes l'ont reconnu. Personne n'a nié l'existence de grèves de confort. Écoutez M. Barros : en décembre 2022 et en février 2024, des corporations, au sein d'entreprises ferroviaires, ont souhaité lancer des grèves sur les réseaux sociaux sans l'accord de syndicats ; ils en ont eu cependant besoin pour fonder leur mouvement de s'appuyer sur les préavis dormants que les syndicats avaient déposés auparavant. Si cette procédure avait été limitée, ces corporations n'auraient pas été en mesure de faire grève.
Bien sûr, le dialogue social peut se heurter à certaines difficultés dans notre pays, mais si la grève devient le préalable à tout dialogue social, alors c'est du chantage !
Déclencher un mouvement de grève ne doit être qu'une solution - extrême - de dernier recours, qui intervient après des jours et des nuits de discussion dans le cadre du dialogue social. Cela ne doit pas consister à choisir de déposer des jours de grève, après avoir consulté le calendrier des manifestations importantes en France, au prétexte que cela donnerait de la force dans le dialogue social ; c'est du chantage !
Pensez-vous que Jean-Pierre Farandou ou Jean Castex sont contre le dialogue social ? Les présidents d'AOM - et vous l'avez été - sont-ils opposés au dialogue social ? Non !
Si nous ne luttons pas contre le détournement - j'y insiste - du droit de grève, alors nous lui ferons perdre son essence. Toutes les grandes avancées que notre pays a connues dans le ferroviaire en particulier et dans les autres modes de transport en général sont aujourd'hui dévoyées par le détournement du droit de grève et des mouvements sociaux.
M. Jean-François Longeot, président. - Je partage le propos de notre rapporteur.
Monsieur Fernique, les images des usagers attendant sur les quais un train qui n'est jamais arrivé ne sont pas caricaturales.
Issu de la fonction publique territoriale, je défends l'idée que le service public doit être au service du public. Lorsque ce n'est pas le cas, les agents publics sont caricaturés ; on se moque d'eux et l'on explique alors qu'ils coûtent cher et qu'ils ne servent à rien, ce que je ne veux pas entendre ! La notion de service public est importante.
De plus, dans certains territoires, les réseaux sont dans un si mauvais état qu'il faut absolument s'en occuper ; la SNCF ne peut pas se priver de recettes, au risque que les usagers choisissent un autre mode de déplacement. Nous voulons défendre l'utilisation des transports en commun, des modes de transport qui protègent notre environnement, etc.. Si nous ne réglons pas le problème de la continuité, nous ferons l'inverse de ce que nous souhaitons.
M. Hervé Gillé. - Monsieur le rapporteur, je trouve votre position excessive ; et tout ce qui est excessif est insignifiant.
Nous n'avons jamais dit que nous étions contre le dialogue social ! Au contraire, chacun d'entre nous cherche à renforcer la qualité du dialogue social et à remettre en perspective les conditions dans lesquelles les conflits surviennent : on peut penser qu'un dialogue social de qualité aurait permis de les éviter.
En revanche, vos propos renforcent-ils la qualité du dialogue social ? Rien n'est moins sûr !
Le dialogue social répond à des qualités de médiation et d'équilibre qui permettent d'avancer ensemble. Nous ne contestons pas que, aujourd'hui, il existe des positions qui sont pour ainsi dire irritantes, mais un tel constat mérite d'être analysé en profondeur.
Au reste, la situation française est-elle en décalage par rapport à celle des autres pays européens ? Non ; pour s'en convaincre, il suffit de regarder le nombre de journées de grève déclenchées en Allemagne. Aujourd'hui, la situation française est plus favorable qu'auparavant. Mesurez vos propos !
Il n'est pas possible de tenir des propos aussi caricaturaux, surtout lorsqu'il s'agit de travailler ensemble, comme nous le faisons souvent au sein de cette commission sur nombre de sujets. Je ne puis adhérer à vos propos, monsieur le rapporteur ; ce n'est pas la philosophie de travail de cette commission.
M. Didier Mandelli. - Je rappelle que nous sommes des parlementaires, représentants d'un territoire et soucieux du bien public.
Une proposition de loi n'arrive jamais par hasard. Elle répond à une situation particulière et vise à améliorer le droit en vigueur.
Le rapporteur a travaillé et procédé à des auditions : le texte qu'il défend tente de répondre à de réelles difficultés qu'il a constatées, au même titre que l'auteur de la proposition de loi.
Le rapporteur a réussi à éviter les clichés et les caricatures et a tenté de répondre avec finesse à cette situation ; et je partage ce qu'il a dit sur la nature de vos propos, mes chers collègues : nous aurions eu intérêt à poursuivre nos débats avec des échanges de qualité, car ce texte répond à une situation que nous connaissons tous.
Je rappelle que, lors des auditions que nous menons au titre de l'article 13 de la Constitution, les candidats à la présidence de la SNCF ou de la RATP affichent comme priorité le dialogue social ; relisez les comptes rendus des auditions !
Le dialogue social existe, il est bien mené, mais depuis quelque temps, nous assistons à un dévoiement du droit de grève, qui n'est pas digne de ceux qui engagent ces démarches, qui discréditent le mouvement syndical. Ceux qui se sont battus pour le droit de grève doivent se retourner dans leur tombe lorsque de prétendues revendications sont posées comme préalables à tout dialogue. Agiter en permanence le chiffon rouge n'est pas digne des représentants syndicaux.
M. Franck Dhersin. - S'inspirer du système italien, qui fonctionne parfaitement depuis trente ans, est-ce une caricature ? Non !
Instaurer trente jours de sanctuarisation, est-ce une caricature ? Absolument pas !
Fixer de manière précise les jours d'importance majeure après concertation ? Non plus !
Préférer des sanctions disciplinaires plutôt que pénales ? Toujours pas !
Lutter contre le détournement du droit de grève ? Absolument pas !
Lutter contre des grèves de cinquante-neuf minutes en heure de pointe, est-ce une caricature ? Non et non !
Cette proposition de loi est légitime, souhaitable et attendue par tous les usagers. Elle préserve le dialogue social.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - La région où est élu Franck Dhersin a subi les effets des grèves.
Monsieur Gillé, entre 2012 et 2021, en Allemagne, il y a eu dix-huit jours non travaillés en raison de grève par an en moyenne pour 1 000 salariés, contre quatre-vingt-douze en France à la même période.
Chaque année, dans ma région nous subissons l'impact de quatre-vingt-dix jours de grèves. Voilà la réalité et non la caricature !
En ce moment, il y a vingt-deux préavis dormants à la RATP et il y en a jusqu'en 2045 à la SNCF, n'est-ce pas ça la caricature ? Voilà pour les faits.
Mes propos sont ceux d'un passionné, d'un membre d'un exécutif local qui a subi cette situation, qui veut se faire le porte-parole des usagers qui ne supportent plus un certain nombre de pratiques.
Nous respectons le droit de grève ; mais aujourd'hui il est dévoyé.
J'en viens à présent à la présentation à la commission du périmètre pour l'établissement du texte au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du règlement du Sénat. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux conditions de préservation de la continuité du service public de transport de voyageurs en cas de grève ; aux modalités d'encadrement de l'exercice du droit de grève des personnels concourant au fonctionnement des services de transport de voyageurs ; aux modalités de négociation avec les partenaires sociaux dans la mise en oeuvre de ces règles et aux sanctions prévues en cas de non-respect de ces règles.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-8 a pour objet de renforcer la constitutionnalité de la proposition de loi. En premier lieu, il précise son champ d'application : seraient ainsi concernés par cette mesure les services publics de transport terrestre régulier de personnes ainsi que les services librement organisés de transport ferroviaire de voyageurs, hormis les liaisons internationales.
En second lieu, il procède à plusieurs évolutions afin que le dispositif soit davantage proportionné à l'objectif poursuivi, qui est d'assurer la continuité des services de transport terrestre lors de journées balisées et caractérisées par d'importants afflux de voyageurs, mais également de préserver la liberté d'aller et venir et de veiller au respect de l'ordre public.
Pour ce faire, cet amendement vise notamment à restreindre l'application de la suspension de l'exercice du droit de grève aux seuls personnels dont le concours est indispensable au fonctionnement des services de transport. Il a également pour objet de préciser les périodes concernées par ces suspensions, à la fois les types de jours concernés - jours fériés, vacances, élections, événements d'importance majeure, à l'instar des épreuves du baccalauréat -, mais aussi les plages horaires, en privilégiant les heures de pointe. Il tend également à diminuer le nombre maximum de jours concernés par cette suspension, en les portant de soixante à trente par an, sur des périodes de sept jours continus maximum, plutôt que quinze et à remplacer les sanctions pénales par des sanctions disciplinaires, qui sont plus adaptées et plus proportionnées à un manquement à une obligation professionnelle.
L'amendement COM-14 de M. Hochart a pour objet d'abaisser considérablement le nombre de jours pendant lesquels la suspension du droit de grève pourrait être appliquée, en les restreignant aux seuls week-ends compris dans la période de vacances scolaires. Or ces dispositions conduiraient à limiter la portée du dispositif et à ne pas pouvoir l'appliquer pendant certaines périodes où cela s'avérerait pourtant nécessaire, à l'instar de certains grands événements, d'élections, ou de jours fériés. Aussi, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement COM-13 de M. Hochart vise à supprimer la peine d'un an d'emprisonnement prévu par l'article unique de la proposition de loi. Son amendement est en partie satisfait par le mien. Pour autant, il ne revient ni sur l'amende de 15 000 euros ni sur la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle en lien avec un service public pour une durée de cinq ans maximum.
Ces sanctions, qui me semblent disproportionnées, constituent une fragilité d'ordre constitutionnelle. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. Joshua Hochart. - Mes deux amendements visent à restreindre la limitation, la suspension, ou l'interdiction - chacun utilisera le mot qu'il souhaite - du droit de grève, afin que les décisions relèvent moins du domaine du règlement ; on connaît les conséquences d'un pouvoir réglementaire trop large ! Il s'agit également d'alléger les peines. Ces dispositions étant reprises dans votre amendement COM-8, je les retire, au bénéfice de l'amendement COM-8.
Les amendements COM-13 et COM-14 sont retirés.
M. Olivier Jacquin. - Je regrette la tonalité de la réponse du rapporteur. C'est la première fois que je vois une telle attitude en commission...
M. Jean-François Longeot, président. - Il faut vous exprimer sur l'amendement, mon cher collègue.
M. Olivier Jacquin. - Je répondrai non pas ici, mais en séance publique, au chiffon rouge agité devant nous !
M. Jacques Fernique. - Cet amendement prévoit de diviser par deux les dispositions de la proposition de loi, en passant de soixante jours à trente jours, de périodes de quinze jours à sept jours, et de transformer la sanction pénale en sanction disciplinaire.
J'ai l'impression que le sentiment sur la disproportion de la proposition de loi est partagé...
M. Jean-François Longeot, président. - Vous allez donc voter l'amendement du rapporteur...
M. Jacques Fernique. - Non, car la notion d'interdiction est mentionnée, ce qui soulève un véritable problème.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-15 a pour objet de réduire le délai de quatre-vingt-dix à soixante jours entre la publication du décret fixant les périodes concernées par la suspension de l'exercice du droit de grève et la première période concernée.
Compte tenu de la limitation apportée au droit de grève qu'implique le dispositif prévu, il me semble nécessaire de permettre au personnel concerné, tout comme aux voyageurs, de bénéficier d'un maximum de prévisibilité et d'anticipation. C'est pourquoi la réduction du délai prévue par cet amendement ne me paraît pas opportune. Avis défavorable.
L'amendement COM-15 n'est pas adopté.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-4 tend à simplifier la procédure de suspension de l'exercice du droit de grève dans les transports publics prévue au présent article à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ; une multitude de préavis de grève a été déposée lors de cet événement international, ô combien important pour notre pays.
Il réduit ainsi, à titre transitoire, le délai minimal entre la parution du décret déterminant la période de suspension et le commencement de ladite période, en le faisant passer de quatre-vingt-dix jours à trente jours. Il prévoit également que la période de négociation avec les partenaires sociaux préalable à la publication dudit décret soit ramenée de trente jours à quinze jours.
Le temps dévolu à la navette parlementaire ne permettra vraisemblablement pas que cette proposition de loi soit adoptée suffisamment rapidement pour être applicable pour les jeux Olympiques. Le dispositif prévu par l'amendement, qui résout cette difficulté sans pour autant sacrifier le principe d'une négociation avec les partenaires sociaux, me semble opportun.
J'y suis donc favorable, sous réserve de l'adoption du sous-amendement de coordination COM-16 à l'amendement COM-8 que je vous ai présenté.
Le sous-amendement COM-16 est adopté. L'amendement COM-4, ainsi sous-amendé, est adopté.
L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Les amendements identiques COM-10 et COM-1 rectifié ter ont pour objet de lutter contre les préavis de grève permanents dits préavis dormants dans les services publics de transport terrestre de voyageurs.
Ils prévoient ainsi la caducité des préavis qui n'ont pas donné lieu à une cessation concertée du travail par au moins deux agents pendant quarante-huit heures. Ils tendent également à encadrer la durée maximale de ces préavis, dont la validité ne pourrait excéder trente jours.
En effet, des préavis d'une durée illimitée peuvent être utilisés pour déclencher des grèves des mois ou des années après leur dépôt sans que le temps dévolu au dialogue social dans le cadre de la procédure dite d'alarme précoce, prévue avant le dépôt d'un préavis, ait lieu. En outre, certains préavis peuvent être utilisés par certains salariés pour des raisons individuelles, alors que la grève est un droit collectif et revendicatif.
M. Jacques Fernique. - Les préavis dormants soulèvent des questions, s'agissant d'une action collective utilisée pour des convenances individuelles.
Cela étant dit, le diagnostic est différent selon que l'on écoute les employeurs ou les syndicalistes. Certains parlent de dizaines de préavis pour des dizaines d'années ; d'autres parlent de moins.
Cette question relève du cadre général fixé par la loi de 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics. S'il faut revoir ce cadre, un dialogue serein est nécessaire.
Les amendements identiques COM-10 et COM-1 rectifié ter sont adoptés et deviennent article additionnel.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Les trois amendements suivants ont pour objet de renforcer la prévisibilité du trafic et l'information des voyageurs en cas de grève dans les transports.
Les amendements identiques COM-9 et COM-2 rectifié augmentent de vingt-quatre heures les délais des déclarations individuelles de participation à la grève et de rétractation, en les faisant passer respectivement de quarante-huit heures à soixante-douze heures et de vingt-quatre heures à quarante-huit heures.
L'amendement COM-7 les fait passer, respectivement, à trois jours ouvrés et à deux jours ouvrés.
Un allongement de ces délais serait de nature à faciliter l'organisation du service par les opérateurs de transport et donc la continuité du service public en cas de grève. Cela faciliterait la transmission d'une information plus fiable dans les délais légaux aux usagers, ce qui éviterait qu'ils ne se rendent dans les gares sur le fondement d'informations erronées. Cela éviterait assurément des troubles à l'ordre public.
Je suis favorable à un simple allongement de vingt-quatre heures des délais existants, sans mention des jours ouvrés. Une telle modification paramétrique, qui ne porterait pas d'atteinte disproportionnée à l'exercice du droit de grève, aurait de nombreux effets salutaires.
En revanche, l'introduction de la notion de jours ouvrés aurait des effets de bord problématiques. Les organisations syndicales étant tenues de déposer un préavis de grève cinq jours francs avant la grève, un délai de trois jours ouvrés, qui peut correspondre à un délai réel de cinq jours, dans le cas où le préavis serait déposé le jeudi ou le vendredi, ne laisserait pas le temps nécessaire aux salariés pour se déclarer grévistes après le dépôt du préavis. Une telle disposition, qui en pratique rend plus difficile l'exercice du droit de grève, pourrait être regardée comme y portant une atteinte disproportionnée.
J'émets un avis favorable sur l'amendement COM-2 rectifié, identique à mon amendement COM-9, mais j'émets un avis défavorable sur l'amendement COM-7.
M. Cédric Chevalier. - L'objet de l'amendement COM-7 est de préserver la quiétude des salariés qui avaient décidé de ne pas faire grève et qui sont rappelés pour aider lors des jours de congés, afin de préserver leur qualité de vie au travail. Et cela éviterait qu'ils fassent grève pour demander, demain, une amélioration de leurs conditions de travail !
Je loue votre capacité à préserver le droit de grève, monsieur le rapporteur. Je retire donc mon amendement.
L'amendement COM-7 est retiré.
Les amendements identiques COM-9 et COM-2 rectifié sont adoptés et deviennent article additionnel.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-11 concerne le recours aux grèves de cinquante-neuf minutes. Cette pratique se multiplie ; elle a lieu en plein milieu du service ; cela désorganise complètement le service !
L'amendement COM-11 est adopté et devient article additionnel.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-3 rectifié vise lui aussi à lutter contre le recours abusif aux grèves de courte durée. Il utilise pour cela un autre levier, celui du décompte des absences en cas de grève. En l'état actuel du droit, les salariés qui participent à une grève de cinquante-neuf minutes ne se voient décompter qu'une heure de salaire, même s'ils ne sont pas réaffectés par leur employeur et sont de ce fait inactifs pendant plusieurs heures.
Je suis favorable à l'objet poursuivi par cet amendement. Cependant, j'estime qu'il est déjà satisfait par mon amendement COM-11 qui prévoit qu'en cas de désordre manifeste les salariés indispensables à l'exécution du service ne puissent exercer leur droit de grève qu'au début de l'une de leurs prises de service et jusqu'à son terme, et répond ainsi aux difficultés posées par les grèves de courte durée.
En outre, cet amendement présente un risque conventionnel et constitutionnel, car toute règle de retenue sur salaire supérieure à la durée de participation à la grève pourrait être assimilée à une punition pour avoir fait grève, ce que l'on ne souhaite surtout pas !
M. Franck Dhersin. - L'amendement de la commission étant plus complet et plus précis que le mien, je retire le mien !
L'amendement COM-3 rectifié est retiré.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-6 rectifié ter de M. Mandelli vise à étendre aux transports maritimes réguliers publics pour la desserte des îles françaises des dispositions relatives à la prévisibilité du trafic, au dialogue social et à l'exercice du droit de grève en vigueur dans les transports publics terrestres de voyageurs. Il prévoit en particulier l'application du dispositif de déclaration individuelle de participation à la grève pour le personnel indispensable à l'exécution du service en amont du mouvement au sein de ces services de transports.
J'émets un avis favorable sur cet amendement, car il résout une véritable anomalie. La continuité du service public et la prévisibilité du trafic doivent pouvoir être assurées dans des conditions satisfaisantes dans les liaisons maritimes à destination des îles françaises. Les transports maritimes sont en effet le seul mode de transport assurant une continuité territoriale entre les îles et le reste du territoire.
Nous avons souhaité exclure le transport aérien n'entre du champ de l'application de cette proposition de loi, car il semble satisfait par l'application de dispositions législatives existantes, ce qui n'est pas le cas pour le transport maritime.
L'amendement COM-6 rectifié bis est adopté et devient article additionnel.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Mon amendement COM-12 a pour objet de mieux prendre en compte les heures de pointe dans la définition du niveau minimal de service par l'AOM.
Ce point vient combler les trous dans la raquette de la loi de 2007 identifiés par ses auteurs, MM. Xavier Bertrand et Dominique Bussereau, lors de nos auditions.
L'amendement COM-12 est adopté et devient article additionnel.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'amendement COM-5 pointe un véritable enjeu : le niveau minimal de service n'a de sens que si nous nous donnons les moyens de le garantir. C'est ce que tend à faire cet amendement, qui prévoit la possibilité, pour l'AOM d'enjoindre à l'entreprise de transport de requérir les personnels indispensables pour assurer ce niveau de service, et ce conformément à l'accord collectif ou au plan de prévisibilité.
Cette mesure est proportionnée, puisqu'elle ne serait mise en oeuvre que dans le cas où le niveau minimal de service ne serait pas constaté trois jours consécutifs. Cela doit rendre plus efficace la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, qui ne prévoit pas de service minimum garanti.
Le texte, ainsi modifié en commission, devrait permettre désormais d'assurer la continuité du service public. J'émets donc un avis très favorable.
M. Jacques Fernique. - Cet amendement nous fait franchir un cap ! La réquisition sur la base d'un service minimum n'existe pas aujourd'hui dans les services de transport terrestre. Si cet amendement était adopté, le texte serait donc totalement différent. Les opérateurs nous ont dit qu'ils ne souhaitaient pas fonctionner avec du personnel réquisitionné !
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Les opérateurs considèrent, il est vrai, que la réquisition ne serait pas indispensable, si les dispositions relatives au passage de quarante-huit heures à soixante-douze heures pour la déclaration individuelle et la lutte contre les grèves de cinquante-neuf minutes et les préavis dormants sont adoptées. Pour autant, nous nous sommes aperçus que la loi de 2007 n'a pas résolu concrètement le problème du service minimum.
Il est faux de dire que la réquisition n'est pas utilisée dans le domaine des transports, puisqu'elle est appliquée dans le cas des aiguilleurs du ciel. De plus, nombre de nos concitoyens n'ont pas le droit de faire grève, dans l'armée ou la police, par exemple.
Si le transport est un produit de première nécessité - et plusieurs d'entre nous revendiquent à ce titre que lui soit appliqué un taux de TVA réduit à 5,5 % -, alors il faut solliciter un certain nombre de salariés pour le garantir, faute de quoi le pays serait bloqué, ce qui entraînerait un trouble à l'ordre public.
C'est la raison pour laquelle je précise bien que cette mesure doit intervenir après toutes celles que nous avons votées. Si, au bout de trois jours de grève, le service de transport n'est pas assuré pour nos concitoyens, la réquisition me paraît nécessaire.
M. Pierre Barros. - Si la grève ne sert plus à rien parce que ses conséquences sont amoindries, à quoi cela peut-il servir de faire grève ? Par ailleurs, à quels membres du personnel s'adressera-t-on pour effectuer des tâches qui seraient normalement exécutées par des grévistes : des grévistes, ou des non-grévistes ? Si les conducteurs se mettent en grève, je doute que les autres agents présentent une polyvalence suffisante pour les remplacer au pied levé. Cette disposition semble donc difficilement applicable.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Le service minimum n'est pas la panacée. L'enjeu est d'assurer par exemple la moitié du service aux heures de pointe, pour que les personnes qui sont obligées de se déplacer pour travailler puissent le faire.
Il revient aux AOM de veiller à la bonne organisation du service minimum. Les opérateurs savent qui peut être indispensable au fonctionnement du service. La réquisition interviendrait, j'y insiste, ultimement, au bout de trois jours de tentative de mise en place d'un service minimum.
L'amendement de M. Gueret est encadré et raisonnable. Il donne aux AOM et aux opérateurs la possibilité d'utiliser la réquisition, mais seulement en cas d'urgence absolue.
L'amendement COM-5 est adopté et devient article additionnel.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous en venons maintenant au rapport de Jean-Yves Roux sur la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole. Ce texte a été présenté par notre collègue Michel Masset, dont je salue la présence avec nous ce matin, les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) et plus de vingt sénateurs d'autres groupes politiques.
Je remercie tout d'abord le rapporteur Jean-Yves Roux d'avoir mené un cycle complet d'auditions dans un délai, comme toujours, assez contraint et de son investissement pour assurer l'information de la commission.
L'examen de cette proposition de loi intervient vingt ans après la première détection du frelon asiatique à pattes jaunes sur notre territoire, vingt années durant lesquelles cette espèce n'a cessé de proliférer sans qu'une politique cohérente, efficace et globale ne permette de réduire l'ampleur de ce fléau, dont le secteur apicole est l'une des premières victimes.
Ce texte n'est pas le premier à être déposé au Sénat : je mentionnerai notamment la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, déposée en 2011, et le texte élaboré par notre collègue Kristina Pluchet en février 2023, qui nous rappelait déjà l'importance de prendre des mesures rapides.
Alors que, avec l'arrivée du printemps, le frelon asiatique se rappelle à notre bon souvenir, puisque les femelles fondatrices sortent de leur hibernation pour reconstituer les nids, il nous revient d'étudier l'article unique de cette proposition de loi qui servira de cadre législatif à la définition d'une politique ambitieuse de lutte contre cette espèce exotique envahissante.
Cette politique s'organisera autour de deux axes : tout d'abord, la définition d'un plan national de lutte contre le frelon asiatique ainsi que sa déclinaison au niveau départemental afin de fixer les objectifs et les moyens à mettre en oeuvre ; ensuite, la création d'un régime de déclaration des nids et d'indemnisation des dommages au secteur apicole imputables à cette espèce.
Cette proposition de loi sénatoriale est inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat au sein d'un espace réservé au groupe du RDSE. Dans ce cadre, je vous rappelle que le gentlemen's agreement s'applique, dans l'objectif de préserver l'initiative sénatoriale. Aussi, les groupes minoritaires ou d'opposition ont le droit à l'examen, jusqu'à leur terme, des textes dont ils sont les auteurs et qui sont inscrits dans leur espace réservé. Sauf accord du groupe à l'origine de la demande d'inscription à l'ordre du jour, la commission ne peut donc modifier le texte de la proposition de loi et, à défaut, elle peut seulement ne pas l'adopter pour permettre son examen article par article en séance publique. En outre, la commission et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions.
Je vous rappelle que le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au lundi 8 avril prochain à 12 heures et que la commission se réunira pour examiner les amendements de séance le mercredi 10 avril prochain à 9 heures. L'examen en séance publique aura lieu le matin du jeudi 11 avril.
M. Michel Masset, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de m'avoir invité au sein de votre commission pour vous présenter mon texte. À titre liminaire, je souhaite saluer les travaux de nombreux parlementaires, députés et sénateurs, qui ont précédé ce travail. Je pense à Kristina Pluchet qui a déposé l'année dernière une proposition de loi en ce sens, ou à Nicole Bonnefoy. J'aimerais également remercier les nombreux collègues, toutes tendances politiques confondues, qui ont soutenu ce texte en le cosignant.
En ce moment même, c'est la période de nidification des frelons asiatiques. Ils sont désormais présents sur tout le territoire national, mais également dans les pays voisins, et c'est malheureusement dans mon département, le Lot-et-Garonne, que l'invasion a commencé il y a vingt ans. Sans ressentir de culpabilité, je ne peux m'empêcher de trouver une certaine cohérence à ce que ce soit un sénateur issu de ce département qui porte aujourd'hui ce texte devant vous.
Vous connaissez les enjeux et les conséquences de la présence de cette espèce invasive dans nos territoires. En tant qu'élus municipaux ou départementaux, nous avons tous été confrontés à des citoyens démunis face ce fléau. J'aimerais revenir sur trois enjeux qui, selon moi, sous-tendent ce sujet.
Le premier enjeu, sûrement le plus évident, est sanitaire. En effet, la pression du frelon va grandissante et les nids ne sont plus seulement à la cime des arbres en pleine forêt. On en retrouve aujourd'hui dans les cours d'école, à proximité des lieux accueillant du public, dans les charpentes, dans les buissons, dans les abris de jardin, etc. Or, on le sait, la piqûre du frelon peut être très dangereuse, si elle est répétée, voire mortelle pour les personnes allergiques ou pour les enfants. Ainsi, il devient indispensable d'avoir une véritable politique publique pour préserver la sécurité des personnes et le bien-vivre.
Le deuxième enjeu est, bien sûr, environnemental. Le frelon asiatique est un prédateur des pollinisateurs et notamment un des responsables de la mortalité des abeilles. C'est une véritable problématique pour la pollinisation à double titre : pour l'ensemble de la biodiversité, mais aussi pour l'agriculture. Les abeilles sont responsables de 80 % de la pollinisation nécessaire au maintien et au développement de la production agricole, notamment arboricole. Il est urgent de protéger les abeilles pour préserver les services écosystémiques immenses qu'elles rendent.
Enfin, le troisième enjeu est économique. D'une part, le chiffrage de la production alimentaire qui dépend de l'action des insectes pollinisateurs s'élève à plusieurs milliards d'euros par an. D'autre part, c'est le deuxième volet de ma proposition de loi, les conséquences du frelon asiatique sur la filière apicole sont très importantes. Les frelons déciment les ruches et stressent les abeilles, ce qui conduit à la diminution de la production de miel. La perte de chiffre d'affaires pour la filière apicole est estimée à 12 millions d'euros par an, soit près de 14 % du chiffre d'affaires global du secteur. Or les apiculteurs connaissent déjà une période de morosité économique sans précédent, subissant la baisse du pouvoir d'achat et la concurrence déloyale des miels importés, de Chine ou d'Europe de l'Est, souvent frauduleux.
Face à ces enjeux, quelle position l'État a-t-il prise depuis le début de l'invasion ? De l'aveu même du Gouvernement, la problématique est trop large pour être prise en charge uniquement par l'État. Cela nous questionne véritablement sur l'intérêt d'un travail collectif. Ne prend-on pas des mesures d'indemnisation pour les éleveurs dont le cheptel est victime de la prédation du loup ? Ne prend-on pas des mesures d'indemnisation pour les dégâts causés par le gibier ? La place de l'État doit être la même face au frelon : l'organisation de la prévention, de la protection et de la mutualisation des risques par l'indemnisation. Tel est l'objet de la présente loi.
Loin de faire de l'État le seul comptable des politiques de lutte contre les conséquences délétères du frelon asiatique, le texte prévoit d'en faire un pilote pour mettre en cohérence les actions. De nombreuses collectivités territoriales ont tracé le chemin en mettant en oeuvre de véritables politiques de lutte. Je pense au Calvados, à la Charente ou encore à la Gironde, tant de départements sursollicités par les particuliers et les professionnels. Les maires sont aussi, souvent, en première ligne face à ce danger. Avec les départements, ils financent régulièrement des destructions de nids ou des opérations de prévention. Mais ces investissements demeurent insuffisants par manque de coordination, notamment entre les territoires voisins. Le frelon ne se soucie pas des frontières administratives, comme vous le savez.
Il faut soutenir ces initiatives, notamment en participant à leur financement. Certains organismes à vocation sanitaire tentent également de mettre en place des outils de protection des ruches, mais ces initiatives ne sont pas ou peu soutenues. Enfin, c'est par le nécessaire financement de la recherche sur l'espèce que nous parviendrons à améliorer l'efficacité de nos outils ou de nos techniques de lutte tout en veillant à ce que leur impact sur le reste de la biodiversité soit minime. Ce travail est d'autant plus nécessaire au vu de l'apparition du frelon oriental et du frelon vespa mandarinia. Voilà ce qui m'a conduit à déposer ce texte. Je me réjouis qu'il soit examiné par notre chambre. Il était temps d'en parler, vingt ans après !
Je crois que l'adoption de ce texte nous permettra, à l'avenir, d'évaluer notre capacité à répondre à l'invasion d'autres espèces. J'ai toute confiance dans le travail de votre commission pour avancer collectivement sur ce texte, aussi bien ici qu'en séance pour répondre à la vraie détresse exprimée par nos territoires face à ce redoutable prédateur, et pas seulement les territoires ruraux.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - J'ai le plaisir de vous présenter mon rapport sur la proposition de loi de notre collègue Michel Masset visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole. Mon propos condense et synthétise les informations recueillies au terme d'une dizaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre près d'une trentaine d'intervenants, les acteurs de la filière apicole bien entendu, mais aussi des élus locaux, des scientifiques et experts du Muséum national d'histoire naturelle et de l'Office français de la biodiversité (OFB), les chambres d'agriculture, sans oublier des échanges avec les apiculteurs de mon département des Alpes de Haute-Provence et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), où le miel et ses produits dérivés constituent un marqueur fort du savoir-faire territorial.
Ces auditions ont mis en évidence plusieurs constats, largement partagés par les acteurs et la littérature scientifique. Tout d'abord, la réponse publique face aux menaces et à la progression du frelon asiatique a manqué de cohérence, de moyens et n'a pas répondu aux attentes des territoires et des apiculteurs face à ce redoutable prédateur de l'abeille domestique et de l'entomofaune. Ensuite, l'État a pris trop tardivement la mesure de la progression de cette espèce exotique envahissante et des préjudices qu'elle cause à la filière apicole, à l'arboriculture et à la biodiversité. En outre, les mesures réglementaires ont manqué d'ambition, d'agilité et d'efficacité. Enfin, la lutte contre le frelon asiatique s'est organisée en ordre dispersé, avec un soutien notoirement insuffisant de l'État, par les apiculteurs eux-mêmes, qui ont tenté d'atténuer les dégâts causés aux ruchers au travers de leurs structures syndicales et des organismes à vocation sanitaire, bien souvent aidés par l'accompagnement volontariste des collectivités territoriales.
Ce manque de cohérence en matière de lutte contre l'invasion du frelon asiatique a contribué à l'échec et à l'impuissance collective face à la progression du front de colonisation de cette espèce, dont les capacités de dispersion ont été évaluées pour la France à 78 kilomètres par an depuis sa détection en 2004 dans le Lot-et-Garonne.
Vingt ans à peine après sa détection, le frelon asiatique a colonisé l'ensemble du territoire national et est désormais une espèce endémique dont il est devenu illusoire d'espérer l'éradication. Les apiculteurs sont désemparés face à cette pression supplémentaire pesant sur leur activité, l'État est aux abonnés absents en matière d'indemnisation, les assureurs refusent de couvrir ce type de risque et les collectivités territoriales en sont réduites à colmater les brèches en tentant de pallier les défaillances du système assurantiel.
Sans entrer dans une description d'entomologiste, je me contenterai de présenter les principales caractéristiques du frelon asiatique à pattes jaunes. Il s'agit d'une espèce exotique envahissante, originaire d'Asie, qui s'est implantée en France en raison des flux commerciaux internationaux, à partir d'une seule femelle. Espèce opportuniste et très résiliente aux parasites, elle n'a rencontré aucune concurrence ni aucun prédateur sur son segment écologique. Les conditions climatiques ont favorisé son invasion du territoire national, d'autant que cette espèce se caractérise par de fortes capacités de dispersion. Son bol alimentaire est composé d'environ un tiers d'abeilles domestiques, le reste consistant en des pollinisateurs sauvages et des insectes sociaux. L'abeille européenne, n'ayant pas co-évolué avec le frelon asiatique, n'a développé aucune technique de défense pour se protéger des prédations.
Aujourd'hui, neuf pays européens sont, à des degrés divers, infestés par le frelon asiatique. Les seules barrières qu'il rencontre sont d'ordre climatique et topographique : on ne le retrouve pas au-delà d'une certaine altitude, estimée à 1 300 ou 1 400 mètres, et en deçà d'une certaine température. Les techniques de piégeage et de lutte ont jusqu'à présent échoué à réduire les pressions de prédation et à endiguer sa prolifération. Environ 20 % de la mortalité totale des abeilles est imputable au frelon asiatique, entraînant un manque à gagner pour la filière apicole estimé à 12 millions d'euros par an et des pertes indirectes bien supérieures, difficiles à estimer faute d'organismes pour assurer ce suivi. Voilà dressé le portrait-robot de ce prédateur d'abeilles et de pollinisateurs auxiliaires de culture.
Quelle a été la réponse publique face à ce fléau noir et jaune ? Le frelon asiatique a été classé de 2012 à 2022 sur la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille domestique, mais il a été déclassé pour mise en conformité avec la réglementation européenne concernant la santé animale. Aujourd'hui, le frelon asiatique fait l'objet d'une réglementation au titre des espèces exotiques envahissantes, mais la lutte n'est pas obligatoire et aucun régime indemnitaire n'est prévu dans ce cadre : l'État n'accompagne pas les apiculteurs au regard des dégâts causés par le frelon asiatique. J'y vois là une lacune de premier plan. Le mérite de cette proposition de loi est de contribuer à définir un cadre législatif de lutte contre cette espèce envahissante, avec des objectifs, des modalités, des financements dédiés et une organisation territoriale pour coordonner les actions afin de réduire les pressions exercées par les frelons asiatiques.
Le dispositif proposé présente plusieurs avantages. Il organise de manière cohérente et concertée la lutte contre cette espèce, qui occasionne des dégâts significatifs à notre agriculture - apiculture, arboriculture et toutes les espèces végétales dont la croissance est assurée par des pollinisateurs -, en plaçant l'État au centre du jeu, en associant les collectivités, les acteurs et les filières, afin de coordonner les méthodes de lutte qui ont fait la preuve de leur efficacité : piégeage de printemps, destruction des nids et protection des ruches.
Il apporte également une réponse volontariste à la détresse des apiculteurs, qui désespéraient de ne rien voir venir. L'élaboration d'un plan dédié constitue une avancée par rapport à la lutte qui s'articule dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Du fait de la dilution des moyens pour lutter contre les autres espèces exotiques envahissantes - il en existe plus de 2 000 rien qu'en France ! -, seulement une dizaine d'opérations coups de poing ont concerné le frelon asiatique. Quand on sait que l'Europe continentale consacre 12,5 milliards d'euros par an pour réparer les dommages causés par les invasions biologiques et qu'un département français fait face en moyenne à l'installation de cinq nouvelles espèces envahissantes tous les dix ans, l'action n'est pas une option, mais une nécessité.
Ce dispositif constitue en outre la première brique d'une réponse publique plus cohérente, mieux dimensionnée et territorialisée contre le frelon asiatique, en associant tous les acteurs sous l'égide de l'État et de son représentant dans les départements. L'article 40 de la Constitution encadre notre capacité à allouer à cette stratégie les financements qui lui permettraient de répondre aux enjeux, mais j'ai bon espoir que le Gouvernement s'appuie sur la sagesse du Sénat et se range à l'idée que je propose d'un fonds dédié au financement des actions du plan national de lutte. Participeraient au financement de ce fonds l'État, les collectivités territoriales, la profession apicole, les organismes à vocation sanitaire, pour mutualiser et fédérer des financements aujourd'hui épars afin d'optimiser l'efficacité de chaque euro dépensé dans ce cadre. Cette évolution pourrait être proposée d'ici à la séance publique.
Mes auditions ont mis en lumière la nécessité de procéder à quelques modifications législatives par amendement, pour améliorer la lisibilité et la clarté du dispositif et préciser des axes qui ne figuraient pas dans le texte initial, que je vous présenterai tout à l'heure, avec l'accord de l'auteur du texte bien sûr, conformément à la procédure du gentlemen's agreement.
En conclusion, je vous propose d'adopter cette proposition de loi, sous le bénéfice de l'adoption de six amendements que je vous présenterai. Ce texte répond aux attentes de la filière, après plus d'une décennie d'atermoiements et un engagement trop timide de la part de l'État. Je ne vous cache pas que ce texte arrive un peu tard quand on analyse la carte de France de l'invasion par le frelon asiatique, mais, comme le dit l'adage, mieux vaut tard que jamais.
La lutte ne sera pas aisée, l'éradication de l'espèce n'est pas un horizon réaliste, mais cette première réponse constitue un signal politique fort et redonnera confiance aux acteurs qui luttent contre cette espèce envahissante de façon isolée, avec un plan qui s'appuiera sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, articulera et coordonnera les méthodes de lutte - piégeage, destruction de nids et protection des ruchers - afin d'accompagner la filière apicole et tous les acteurs dont le revenu dépend, à un titre ou un autre, des services écosystémiques rendus par les pollinisateurs.
M. Guillaume Chevrollier. - Cette proposition de loi touche un sujet important pour nos territoires ruraux et la biodiversité de façon générale. Comment ce nouveau texte s'articulera-t-il avec le plan national de lutte contre le frelon asiatique, récemment adopté par l'ensemble des organismes à vocation sanitaire ? Nous veillons à ne pas alourdir les strates administratives et à simplifier la vie de nos compatriotes pour plus d'efficacité. De nombreux acteurs sont déjà mobilisés sur le terrain sur le sujet. Je pense notamment au réseau Polleniz. Quel impact le texte pourrait-il avoir sur ces acteurs, qui ont fait la preuve de leur efficacité ?
Vous proposez que le préfet organise les destructions des nids déclarés. Que deviendront les professionnels qui interviennent aujourd'hui sur ce point ? Les filières organisées risquent-elles de se trouver déstructurées par l'organisation de marchés publics ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Cette proposition de loi a le mérite d'aborder un sujet vieux d'une vingtaine d'années. Comme cela a été rappelé, j'avais déposé une proposition de loi en 2011 tendant à créer un fonds de prévention contre la prolifération du frelon asiatique.
Nous sommes nombreux à avoir interpellé le Gouvernement à ce sujet. En janvier dernier j'ai moi-même questionné le ministère de la transition écologique sur l'absence de stratégie nationale contre le frelon asiatique. Le Gouvernement s'est défaussé sur des études au long cours et sur les financements des collectivités territoriales. Ces dernières tentent de mettre en oeuvre des aides parfois substantielles pour venir en aide aux particuliers confrontés à cette nuisance. Dans mon département, la Charente, en lien avec le sénateur et président du conseil départemental de l'époque, Michel Boutant, nous avions lancé en 2012 un plan de lutte contre le frelon asiatique, qui avait donné des résultats. Toutefois, il faut une lutte égale partout sur le territoire national, pour une réelle efficacité.
Même si l'espèce a fait souche, la situation actuelle n'est pas acceptable. Il faut soutenir le volontarisme des collectivités territoriales et le mettre en cohérence avec une stratégie nationale. L'incurie de l'État a permis au frelon asiatique de se propager jusqu'au Portugal et en Allemagne. La politique de l'autruche doit enfin cesser. Saisissons l'opportunité de ce texte pour répondre à cet enjeu, organiser les bonnes volontés et apporter des solutions pratiques au problème, et ce pour les apiculteurs et les particuliers.
Notre groupe n'a pas déposé d'amendements conformément au gentlemen's agreement. Nous voterons la plupart des amendements du rapporteur, mais nous nous abstiendrons sur les amendements COM-5 et COM-6.
M. Ronan Dantec. - Cette proposition de loi soulève deux questions importantes. Tout d'abord, au vu de l'importance de la filière apicole en France, pourquoi ne pas nous mobiliser, au-delà du frelon asiatique, sur les autres causes de disparition des abeilles comme l'utilisation des néonicotinoïdes ?
Ensuite, le frelon asiatique prolifère depuis vingt ans. Ce n'est pas la première fois que l'État met ainsi un temps considérable à réagir. Ainsi, alors que la plante envahissante qu'est la jussie commençait à poser d'importants problèmes pour la gestion des espaces humides, elle était encore en vente dans les jardineries.
Une véritable stratégie est-elle déployée contre les espèces invasives, qui sont l'une des cinq causes de disparition de la biodiversité ? Pourquoi l'État met-il ainsi des années à réagir ?
Au-delà de ce texte qui va dans le bon sens, nous devons interpeller l'État sur la lenteur de ses réactions face aux espèces invasives, d'autant que ces dernières proliféreront à la faveur du réchauffement climatique dans les trente à quarante prochaines années. Nous devrons alors faire le tri entre certaines espèces aux impacts négatifs forts et d'autres qui seraient liées à l'adaptation des écosystèmes. Il y a une réflexion à approfondir sur ce point. Quoi qu'il en soit, l'incurie de l'État face au frelon asiatique doit être dénoncée.
La lutte contre cette espèce ne peut être la responsabilité des collectivités territoriales, le frelon asiatique ne connaissant pas les frontières départementales ou nationales. Une coordination européenne pourrait d'ailleurs être bienvenue à ce sujet. Cette proposition de loi constitue donc une première étape.
Une fois que l'espèce est installée et que nous luttons contre sa prolifération, nous devons faire attention aux conséquences potentielles de cette lutte sur d'autres espèces d'abeilles sauvages ou d'hyménoptères. L'amendement du rapporteur qui soulève ce point est bienvenu.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les enjeux liés à la prolifération du frelon asiatique sont bien mis en exergue dans ce texte, que nous approuvons et que je regrette de ne pas avoir cosigné : enjeu sanitaire, enjeu environnemental et agricole et enjeu économique. La perte de chiffre d'affaires pour la filière apicole est estimée à 12 millions d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable.
Ce frelon est présent en France, en Espagne, au Portugal et en Belgique. Chaque nid produit mille nouvelles fondatrices ! C'est une véritable invasion.
Nos abeilles n'ont aucun système de défense. A contrario, celles d'Asie ont compris que le frelon asiatique ne résistait pas à des températures de 45 degrés alors qu'elles-mêmes pouvaient survivre par 50 degrés. Elles font donc cercle autour de lui, battent des ailes jusqu'à augmenter la température et le tuer par hyperthermie. Nos abeilles apprendront peut-être à faire de même.
Le texte prévoit l'accompagnement financier des collectivités territoriales par l'État ainsi que l'indemnisation des dommages causés aux apiculteurs, mais il reste un peu flou sur les modalités de mise en oeuvre de ces principes. Pourrez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Mme Kristina Pluchet. - Nous avons essayé d'élaborer le texte le plus efficace et le plus abouti possible pour lutter contre le frelon asiatique, en prenant en compte des données scientifiques, mais aussi les initiatives des acteurs de terrain qui ont instauré parfois des piégeages efficaces.
Le frelon asiatique concerne par ailleurs toute une chaîne, outre la filière apicole : les productions maraîchères, l'arboriculture, et plus largement toute l'entomofaune. Une colonie de frelons consomme environ 11 kilos d'insectes, ce qui affecte la pollinisation. Cela fait en outre moins d'insectes pour les oiseaux.
Ce texte est abouti et bienvenu. Nous appelons à voter en sa faveur.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Nous nous sommes appuyés sur le plan national de lutte contre le frelon asiatique pour le décliner au niveau départemental. Certaines collectivités territoriales financent parfois le piégeage, mais de façon dispersée. Nous proposons de rationaliser ces initiatives, par l'intermédiaire d'un fonds dédié.
Le texte ne changera rien pour les sociétés privées qui se chargent de détruire les nids de frelons. Les collectivités territoriales appellent indistinctement les sapeurs-pompiers ou des entreprises privées pour intervenir sur le domaine public. Le fonds que nous proposons devra inclure tous les participants à la lutte contre le frelon.
Nous avons travaillé cette proposition de loi avec les apiculteurs et les associations de défense des abeilles, qui y sont très favorables. Ce texte est transpartisan. Nous constatons que l'État aurait dû anticiper davantage ce problème. Nous avons expliqué au Gouvernement que d'autres frelons, comme le frelon oriental, risquaient d'arriver, par exemple dans le sud de la France. Nous espérons que l'État anticipera davantage leur arrivée.
Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de recevabilité des amendements inclue des dispositions relatives aux objectifs, aux modalités et à l'organisation nationale et territoriale de la lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes ; à la surveillance, la déclaration et la destruction des nids de frelons ; au régime d'indemnisation des apiculteurs dont les ruchers ont subi des pertes imputables au frelon asiatique à pattes jaunes et aux aides à l'acquisition de techniques de prévention et de lutte contre cette espèce exotique envahissante.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à préciser, pour lever toute ambiguïté, que l'espèce ciblée par le plan de lutte prévu par la proposition de loi est le frelon asiatique à pattes jaunes, vespa velutina nigrithorax.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-2 tend à préciser le contenu et la portée du plan national de lutte contre le frelon asiatique, pour axer la recherche sur la connaissance du frelon asiatique et sur des systèmes de piégeage plus sélectifs, pour accentuer l'information du public et soutenir l'acquisition de moyens de lutte au niveau du rucher.
L'amendement COM-7 vise les dégâts directs et indirects causés par le frelon asiatique pour opérer le classement des départements. Il est satisfait par la rédaction que je propose, car l'amendement COM-2 englobe les dommages aux ruchers et aux pollinisateurs sauvages. À ce propos, je voudrais saluer la qualité des échanges que nous avons eus avec notre collègue Kristina Pluchet. Je partage notamment sa mise en garde sur le fait qu'il ne faut pas réduire la lutte contre le frelon à son volet apicole, mais intégrer également son impact sur l'entomofaune. Je demande donc le retrait de l'amendement COM-7 pour maintenir la cohérence du dispositif proposé. Je demande également le retrait de l'amendement COM-8 rectifié.
Mme Kristina Pluchet. - Il faut citer l'ensemble des dégâts causés par le frelon asiatique. C'est toute une chaîne qui est concernée, associant notamment les productions maraîchère et arboricole. La mention « dégâts directs et indirects » me semble plus précise à cet égard. Si les abeilles disparaissent, un tiers du contenu de nos assiettes risque de disparaître avec elles.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Il est déjà difficile de déterminer les dégâts « indirects » causés par le frelon, la causalité sera malaisée à établir. La disposition proposée me semble donc peu applicable. Par ailleurs, l'amendement COM-2 insiste sur le rôle des départements dans la lutte contre le frelon asiatique et sa rédaction souligne l'impact de ce dernier sur l'ensemble de la biodiversité et non sur les seules abeilles. Nous pourrons retravailler ensemble sur ce point.
Mme Kristina Pluchet. - On a trop souvent tendance à considérer que ce problème ne touche que la filière apicole. En fait, c'est toute une chaîne qui est affectée.
M. Jean-François Longeot, président. - Vous pourrez redéposer votre amendement en séance publique après l'avoir retravaillé.
L'amendement COM-7 est retiré. L'amendement COM-2 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-3 a pour objet de préciser les modalités de concertation et d'élaboration du plan national de lutte contre le frelon asiatique.
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-4 précise les modalités d'élaboration du plan départemental et son articulation avec le plan national de lutte contre le frelon asiatique.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à remplacer l'obligation générale faite au préfet de procéder à la destruction des nids de frelons asiatiques qui lui sont signalés par un régime lui laissant une marge d'appréciation, en tenant compte du danger qu'il comporte pour la santé publique et du cycle de vie du frelon.
M. Ronan Dantec. - Cet amendement donne le sentiment que l'État pourra toujours trouver une raison de ne pas agir. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - Il est ici question d'une période déterminée. Après le mois d'octobre, il n'y a plus de frelons dans les nids, il est donc inutile de les détruire, d'autant plus que cette espèce ne recolonise pas les anciens nids. Il faut agir surtout au printemps.
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Jean-François Longeot, président. - Qu'en est-il de l'amendement COM-8 rectifié ?
Mme Kristina Pluchet. - Mettre du piégeage sélectif n'importe où, n'importe comment, est inutile. Il faut positionner ces outils au bon endroit et au bon moment, pour gagner en efficacité. L'idée de cet amendement est d'insérer le mot « techniques » à l'alinéa 5 de l'article unique pour piéger le mieux possible le frelon asiatique.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-2 répond à cette préoccupation, d'où ma demande de retrait. Toutefois, nous pourrons envisager une évolution rédactionnelle d'ici la séance publique.
L'amendement COM-8 rectifié est retiré.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à préciser le régime d'indemnisation des apiculteurs en raison des préjudices causés au rucher par la prédation du frelon asiatique. Seraient éligibles les chefs d'exploitation apicole, dont une part significative de l'activité repose sur la vente des produits de la ruche et l'exploitation des ruchers.
L'amendement COM-6 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
La réunion est close à 11 h 30.