- Mercredi 10 avril 2024
- Audition de M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste
- Proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans - Examen de la recevabilité financière
Mercredi 10 avril 2024
- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Audition de M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste
M. Bruno Belin, président. - Nous recevons ce matin M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste ; je vous salue et vous remercie, monsieur le président, de votre présence parmi nous ce matin.
Le groupe La Poste se situe à un moment charnière de son histoire et connaît une période de transformation accélérée. Nous sommes donc heureux de pouvoir vous entendre nous présenter les principaux enjeux auxquels il est confronté, en particulier sur le plan financier, qui nous intéresse bien sûr tout particulièrement, mais aussi d'un point de vue industriel. Votre témoignage nous semble d'autant plus précieux que cela fait désormais plus de dix ans que vous présidez aux destinées de La Poste : en effet, vous avez pris vos fonctions en 2013 après avoir dirigé pendant deux ans La Banque postale. Je salue d'ailleurs le président du directoire de La Banque Postale, M. Dedeyan, qui interviendra après vous.
Le groupe La Poste est une maison que l'on ne présente plus, tant elle est inscrite dans notre patrimoine national et participe d'un certain modèle de service public auquel nos concitoyens sont attachés. Permettez-moi néanmoins de rappeler que votre groupe représente dans son ensemble près de 240 000 agents et un chiffre d'affaires annuel de 34 milliards d'euros. Au-delà de son activité historique de distribution du courrier, le groupe La Poste a également développé des activités dans plusieurs autres secteurs, dont en particulier la logistique et les services numériques, ainsi que les services financiers, via La Banque postale, créée en 2006. Rappelons également que le législateur lui a confié quatre missions de service public : le service universel postal, l'aménagement du territoire, la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire.
Pour financer la réalisation de ces missions de service public, le groupe La Poste reçoit une subvention budgétaire versée au titre de la mission « Économie » ; elle représentera en 2024 plus de 900 millions d'euros. Alors que, depuis 2018, la mission de service universel postal est devenue déficitaire, chacune de vos quatre missions de service public fait désormais l'objet d'une dotation spécifique financée par le budget de l'État.
Alors que notre pays connaît une situation budgétaire marquée par la dégradation de ses comptes publics, la commission sera particulièrement attentive à votre diagnostic sur l'avenir du financement du service universel postal. Avant que le législateur n'ait à se prononcer sur la désignation du futur prestataire du service universel postal - à compter de 2026 -, vous nous direz quelles pistes d'évolution vous identifiez quant aux exigences de ce service public et à ses voies de financement.
Depuis votre prise de fonction il y a dix ans, force est de constater que le paysage des services postaux en France a profondément évolué.
Le groupe La Poste doit faire face à un mouvement général d'érosion du recours au service d'envoi de courriers. Ainsi, depuis 2008, le nombre de courriers envoyés en France a été divisé par trois, passant de 18 milliards à 6 milliards par an. Cette activité ne représente plus que 17 % du chiffre d'affaires du groupe La Poste en 2022, contre 41 % en 2010.
Pour répondre à ce phénomène d'attrition, La Poste a récemment fait des choix controversés, notamment en décidant de supprimer le timbre rouge à compter du 1er janvier 2023, au regard de la réduction accélérée du nombre d'usagers. Alors que, lors de l'annonce, l'économie associée à la suppression de ce service était estimée à 500 millions d'euros, vous nous direz si, avec un an de recul, ce montant vous semble toujours d'actualité.
Parallèlement à cette restructuration du service postal, le groupe La Poste a engagé un double mouvement de diversification et d'internationalisation de son activité.
En 2023, la branche financière de La Poste, incarnée par La Banque Postale, représente 21 % seulement du chiffre d'affaires du groupe, mais plus de 95 % de son résultat d'exploitation hors événements exceptionnels.
La commission souhaite savoir, à cet égard, comment La Banque postale a réagi face à la remontée des taux d'intérêt et quels sont les principaux enseignements que vous tirez du rapprochement avec CNP Assurances réalisé en 2022. Nous serons également attentifs aux éléments que vous pourrez nous communiquer quant à l'hypothèse, qui est à l'étude, de cessation des activités de la banque en ligne « Ma French Bank », que le groupe La Poste avait créée en 2019.
Au chapitre de la diversification, vous pourrez également évoquer les perspectives de développement de vos activités dans le domaine des services à la personne ou de l'accessibilité numérique.
Je vous cède maintenant la parole, monsieur le président, à vous ainsi qu'à M. le président du directoire de La Banque Postale, avant de laisser le rapporteur général, les rapporteurs spéciaux et ceux de nos collègues qui le souhaitent vous poser leurs questions.
M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. - Pour Stéphane Dedeyan et moi-même, c'est un grand honneur et une grande nécessité d'être auditionnés par vous : nous devons vous rendre des comptes.
Et nous devons vous rendre des comptes, avant tout chose, sur la transformation de La Poste. Quand La Poste a été créée, en 1990, la lettre représentait 70 % du chiffre d'affaires du groupe ; à la fin de 2024, ce taux sera de 15 % : autrement dit, la transformation a eu lieu, et ce dans des conditions économiques solides. Notre chiffre d'affaires était en 2013 de 21 milliards d'euros ; depuis lors, nous avons perdu plus de 6 milliards d'euros sur les lettres - c'est considérable : l'équivalent du chiffre d'affaires de la RATP ou du groupe Dassault Systèmes - et, en dépit de ce choc, notre chiffre d'affaires s'établit en 2023 à 34 milliards d'euros.
Cette transformation s'est traduite par une augmentation des bénéfices du groupe. Nos postières et nos postiers ont touché, au cours des trois dernières années, les plus importants montants d'intéressement de notre histoire : quand La Poste se transforme, elle le fait aussi au bénéfice de ses salariés, qui ont été les premiers acteurs de la transformation, dans des conditions - il faut le dire - difficiles, car il y va d'un changement total de leur identité professionnelle. Cette transformation, nous la leur devons.
Nous la devons aussi au soutien de nos deux actionnaires, la Caisse des dépôts consignations et l'État, ainsi qu'au Gouvernement et au législateur, car nous avons bénéficié des dispositions de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) pour mener l'opération « Mandarine », par laquelle la Caisse des dépôts est devenue le premier actionnaire du groupe La Poste et par laquelle La Banque Postale est devenue le seul actionnaire de CNP Assurances.
Cette transformation doit se poursuivre ; elle est évidemment difficile, mais elle est réussie : l'entreprise, malgré une année 2023 marquée par la crise économique et la hausse de l'inflation, a gagné de l'argent l'année dernière. Cela démontre - j'en suis particulièrement fier - que le modèle est solide et tient les épreuves de la conjoncture économique.
Nos missions de service public - Stéphane Dedeyan évoquera la mission d'accessibilité bancaire -, nous les tenons. Elles sont sous tension, vous le savez bien. Le service universel postal voit son compte se dégrader. Regardons un peu au-delà de nos frontières : partout en Europe la lettre chute. La position française à cet égard est moyenne : nous avons perdu plus de deux tiers de notre volume de courriers, les Danois 95 % - la lettre est en train de disparaître au Danemark -, les Suisses 55 %. Confrontés à cette érosion moyenne, nous avons augmenté les prix du timbre dans une proportion qui correspond elle-même à la moyenne européenne.
La suppression de la lettre rouge, l'année dernière, a produit les effets économiques que nous recherchions au titre du premier exercice, soit une économie de 120 millions d'euros, sur un total de 500 millions d'euros attendus sur une période de cinq ans, et la totalité des économies d'émissions de gaz à effet de serre que nous visions, puisque nous avons arrêté d'utiliser l'avion pour desservir le marché domestique. Nos clients ont plébiscité la lettre verte comme alternative à la lettre rouge. Quant à la e-lettre rouge, dont la vocation est de couvrir des situations d'urgence et qui a connu des débuts chaotiques, elle a fini par trouver son rythme de croisière, 7 000 par jour ; nous devons faire progresser sa qualité de service, qui est encore insuffisante. Cette nouvelle gamme de courriers nous a permis de contenir le déficit de la mission de service public qu'est le service universel postal.
Sur l'aménagement du territoire, nous avons signé l'année dernière un accord très important avec l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), qui s'applique dans de bonnes conditions. Il faut adapter notre réseau de bureaux de poste et de points de contact à la baisse de la fréquentation : 2,1 millions de personnes dans les bureaux de poste en 2010, 800 000 aujourd'hui. Nous nous appuyons à cet effet sur un outil puissant de concertation avec les élus, la commission départementale de présence postale territoriale, qui fonctionne bien.
Pour ce qui est du transport de la presse, les choses sont un peu plus difficiles. Elles ne se sont pas passées comme le prévoyait le rapport Giannesini : le portage a beaucoup baissé, car les journaux ont eu du mal à trouver des porteurs, et le postage a augmenté, ce qui veut dire que notre déficit a augmenté. Vous l'avez souligné, monsieur le président, nos missions de service public restent lourdement déficitaires. Nous sommes au travail, avec le Gouvernement, avec l'AMF, avec la Caisse des dépôts et consignations - et nous le serons un jour avec le législateur - pour voir si nous pouvons toucher au périmètre de ces missions. Cela s'avère particulièrement redoutable : très peu de ces missions sont modulables. Nous devrons également nous interroger sur le règlement du problème du déficit résiduel.
On m'interroge sur ce que La Poste pourrait faire de différent : quelles autres missions pourrait-elle exercer ? Je veux commencer par tuer tout suspense au sujet du choix du nouvel opérateur postal : La Poste et les postiers seront candidats à reprendre un « mandat » d'opérateur postal - il n'est pas complètement évident que le pays puisse trouver mieux et moins cher.
Il existe deux missions que nous pourrions sans aucun doute exercer quelle que soit leur configuration juridique ; nous avons d'ailleurs commencé de les exercer.
Dans la période récente, nous avons massivement développé notre intervention dans le secteur des services à domicile, autour du port de repas à domicile notamment : nous en livrons plus de 15 000 par jour, ce qui fait de La Poste le premier opérateur du pays en la matière - le marché national est aujourd'hui de 150 000 repas par jour. Ce service se développe à très grande vitesse. J'étais il y a quinze jours au Havre pour assister au congrès de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Unccas) pour y porter ce message : La Poste est prête à accompagner cette montée en puissance. Cette livraison de repas, qui est par définition quotidienne, installe la base d'une architecture des services de proximité, que le Gouvernement et le législateur décideront d'utiliser pour promouvoir d'autres services - « aller vers », heures de convivialité, délivrance de médicaments. En la matière, une infrastructure existe et est appelée à se densifier, mais non grâce à la lettre, évidemment, celle-ci étant en train de disparaître.
Un mot, enfin, sur le numérique : nous avons suivi les travaux des commissions parlementaires et donné un coup de main à l'État dans la régulation du compte personnel de formation (CPF), qui a fait l'objet d'escroqueries de masse. Nous avons fourni notre identité numérique à FranceConnect, qui est devenue FranceConnect+, et les escroqueries ont cessé. Nous avons délivré gratuitement, en bureau de poste, 2,5 millions d'identités numériques, qui ont permis aux gens d'accéder à leur CPF et de le protéger. Nous sommes par ailleurs engagés dans un projet de cloud souverain avec la Caisse des dépôts, le groupe Dassault et le groupe Bouygues et sommes le premier fournisseur d'une identité numérique ; nous allons nous développer dans ce sens.
M. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque Postale. - La Banque Postale a des atouts très solides qui nous permettent de jouer notre rôle de banque citoyenne au plus près des territoires et d'avoir le projet d'offrir le meilleur de la bancassurance pour tous.
Nous sommes la onzième banque de la zone euro et nous avons une base de dépôts à vue très granulaire - dans une année 2023 marquée par une baisse des dépôts à vue, nous avons gagné 0,5 point de parts de marché. Notre ratio de solvabilité est parmi les plus solides de la zone euro, et nous avons été résilients en 2023 malgré l'impact du choc de taux d'intérêt sur notre marge nette d'intérêt, qui est notre indicateur de revenu principal, et ce grâce à l'apport de CNP Assurances, qui donne une très grande stabilité à notre modèle de bancassurance. De manière générale, notre appartenance au groupe La Poste nous donne un atout de confiance et de proximité.
La Banque Postale est la banque de tous les Français : nous avons 20 millions de clients et un maillage serré au coeur des territoires, destiné tant aux particuliers qu'aux professionnels, tant aux associations qu'aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), tant aux collectivités locales qu'aux hôpitaux - je rappelle que nous sommes le premier financeur des collectivités locales et des hôpitaux, avec 4,5 milliards d'euros de financement en 2023.
J'ai évoqué notre projet d'offrir le meilleur de la bancassurance pour tous : « pour tous » désigne un spectre qui va de la mission d'accessibilité bancaire et de l'attention permanente portée aux clientèles en situation de fragilité financière jusqu'à la gestion privée et à la gestion de fortune, via Louvre Banque Privée, l'une de nos filiales. Nous démocratisons plusieurs produits et services financiers qui sont habituellement réservés à certains. Par exemple, nous rendons accessible l'option de gestion sous mandat intégral, pour les contrats d'assurance vie, à partir d'un premier versement de 70 euros et d'un abonnement mensuel de 50 euros ; or cette ingénierie, que nous mettons ainsi à la disposition du plus grand nombre, est d'habitude réservée à des clients fortunés.
En tant qu'entreprise à mission, nous assumons un leadership important dans le domaine de la finance à impact. Nous sommes notamment la première banque à avoir fait certifier par un organisme scientifique la trajectoire de décarbonation des actifs qui sont dans notre bilan. Nous proposons aussi des offres à impact : je citerai le crédit immobilier à impact, qui incite à faire des travaux de rénovation énergétique ou à bonifier le bilan énergétique du bien financé, ou notre fonds de transition énergétique qui, doté de 1 milliard d'euros, finance par exemple des projets de fermes solaires dans les territoires.
Nous avons trois priorités : consolider les fondamentaux de la banque de détail et diversifier nos activités, le choc de taux ayant montré que nous étions peut-être un peu plus dépendants que d'autres à la marge nette d'intérêt ; mener à bien nos projets de développement et de diversification autour de la banque de financement et d'investissement (BFI), de Louvre Banque Privée, de La Banque Postale Asset Management et de CNP Assurances ; incarner notre raison d'être - je rappelle que nous sommes une entreprise à mission - en combinant la technologie et l'humain.
M. Philippe Wahl. - Le groupe La Poste est à la disposition des grandes politiques publiques, qu'elles soient nationales ou locales, et nous le prouvons. Nos premiers contacts ont été intenses, en 2011, quand il s'est agi de créer une nouvelle banque des collectivités locales à la suite de la faillite de Dexia. Les postiers étaient là, à l'époque ; nous le sommes toujours, prêts à affronter les enjeux de l'avenir.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue, messieurs, la méthode qui a prévalu depuis une décennie à la transformation d'un service public en une combinaison de missions de service public et de service privé. Cette nouvelle donne n'est pas toujours bien cernée par nos élus, qui ont tendance à se préoccuper avant tout de la réduction forte du service postal, liée à l'évolution de nos modes de vie.
Je veux revenir sur ce qui justifie chaque année le versement d'une subvention par l'État, à savoir le service universel postal. La France y consacre un peu plus de 500 millions d'euros ; c'est davantage que dans certains pays - je pense à l'Italie, où la participation de l'État est deux fois inférieure. Parfois, comme en Belgique, le choix a été fait de ne distribuer que cinq jours par semaine ; dans d'autres pays, il a été décidé de réduire les contraintes et exigences de service afin de supprimer ou de réduire la subvention. Quelle est votre opinion quant à une éventuelle révision des exigences du service universel postal ? Quel regard portez-vous sur les expériences étrangères ?
J'en viens au contrat d'entreprise 2023-2027 : au titre de 2022, la participation de l'État s'élevait à 520 millions d'euros ; la compensation prévue par la loi au titre de l'année 2023 est de 500 millions d'euros. Cette baisse signifie-t-elle que le dispositif de la rémunération à la performance a disparu ? Continue-t-il d'exister ? et, le cas échéant, sous quelle forme ? Quelles sont les raisons qui auraient pu vous conduire à une moindre application de ce dispositif ?
La diversification finit souvent par reconduire l'entreprise vers deux ou trois activités seulement, qui deviennent ses activités majeures ; en l'espèce, je pense à l'activité colis : il s'agit d'un service privé concurrentiel, mais votre maillage vous permet de répondre aux besoins.
Nous représentons les élus ; je me dois donc de vous alerter : quelle est votre feuille de route pour garantir l'ouverture des bureaux de poste et des agences postales dans les plages horaires les plus larges possible ? On observe une difficulté accrue à assurer une présence du personnel en tout point du territoire. Quels sont les obstacles et les contraintes que vous rencontrez en la matière ? La situation est de plus en plus tendue...
M. Philippe Wahl. - Une précision sémantique, tout d'abord : nous ne considérons pas que nous percevons des subventions : nous touchons des compensations. La différence est très considérable : l'État nous fixe des obligations, elles entraînent des dépenses qui sont toutes contrôlées par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ; et ces dépenses font l'objet d'une compensation, et non d'une subvention.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur général, de nous comparer à ce qui se passe ailleurs dans le monde. L'Italie ne distribue plus par année que 2 milliards de lettres, soit notre futur dans dix ans : autrement dit, elle distribue trois fois moins de lettres que nous et touche deux fois moins de compensations - j'envierais presque le régime italien ! Calculer, c'est mon métier... Il n'y a là aucune subvention au sens d'une libéralité : les sommes dont il est question ont pour objet de compenser nos charges, et nous sommes, de fait, sous-compensés.
Nous sommes très opposés à la distribution du courrier cinq jours sur sept : d'une part, un tel système ne produit pas d'économies, car il ne change rien au réseau de frais fixes - infrastructures et personnel ; d'autre part, la réussite de notre pari stratégique, celui de la diversification, qui sera gagné ou non en 2030, repose sur un réseau d'hommes et de femmes, 65 000 facteurs, restant au service du pays même quand les lettres auront disparu. Nous sommes en train de gagner ce pari grâce aux colis et aux repas, mais, si nous passons à cinq jours sur sept, la promesse faite à l'Unccas du pain quotidien distribué par le facteur ne sera pas tenue.
Le fait que la compensation passe de 520 millions à 500 millions d'euros a été une surprise pour nous, je dois le dire. C'est à la direction du budget qu'en revient la décision ; le quota de performance de La Poste a été atteint - l'Arcep a considéré que nous étions au rendez-vous -, mais la régulation budgétaire nous a privés de 20 millions d'euros, que nous serions absolument ravis de retrouver dans la prochaine loi de finances. La réduction de la compensation est sans lien avec la performance, je pense qu'il est important de préserver le dispositif de bonus à la performance.
J'en viens à la diversification : quels sont les métiers qui vont émerger ? À quoi ressemblera La Poste en 2035 ? Dans dix ans, il y aura 2 milliards de lettres envoyées, comme en Italie actuellement, et ce service ne fonctionnera pas si la compensation afférente est insuffisante. Notre premier métier restera le colis, mais le repas sera la première activité des facteurs. Notre offre de repas est en effet moins chère, décarbonée, valable six jours sur sept. La Poste, demain, sera donc organisée autour de quatre métiers : colis, bancassurance, services de proximité humaine - aller vers, repas -, numérique.
Quelle est notre feuille de route en matière d'aménagement du territoire ? Nous devons gérer le paradoxe suivant : moins un réseau est utilisé, plus il est difficile de le maintenir. Moins il y a de courrier, plus il est difficile de maintenir le réseau des facteurs ; moins nos bureaux de poste sont fréquentés, plus il est difficile de les maintenir ouverts sur une large amplitude horaire.
La grande ligne de notre accord avec l'AMF consiste à rechercher la mutualisation en partageant des infrastructures dès que possible. Je connais le bureau de poste qui sera toujours ouvert dans un siècle : c'est celui du Mont Saint-Michel, où l'office du tourisme et le bureau de poste partagent la même implantation, idée que nous devons notamment à un élu de la Manche. C'est la clef : s'il y a des flux, nous restons. Or nous voulons rester dans les territoires - nous ne cherchons pas la façon la plus habile de quitter les départements ! -, mais ce n'est pas la lettre qui va nous y aider.
Voici la dernière tendance : moins d'agences postales communales et plus de sauvetages, grâce à La Poste, du dernier commerce local via un relais poste commerçant. Il est central que nous restions dans les territoires : telle est la mission que vous nous avez donnée et c'est là, aussi, que vivent les 220 000 postières et postiers - c'est aussi pour leur emploi sur le territoire que nous nous battons.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie ». - M. le rapporteur général a dit l'essentiel.
Compte tenu de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui s'échelonne jusqu'en 2027, qu'en est-il de la pérennité du financement de la mission d'aménagement du territoire de La Poste ? Avez-vous estimé le manque à gagner que représente cette suppression de la CVAE pour le fonds de péréquation territoriale de La Poste ? Avez-vous obtenu auprès du Gouvernement une augmentation à due concurrence de votre dotation budgétaire ? Je connais la réponse, mais il est important que vous nous la donniez, monsieur le président.
M. Thierry Cozic, rapporteur spécial de la mission « Économie ». - Je veux revenir sur le contrat d'entreprise 2023-2027, conclu en juin 2023 entre La Poste et l'État, qui met à la charge de l'État une obligation d'information quant au calendrier et à la méthode de désignation du futur prestataire, à compter du 1er janvier 2026, du service universel postal : disposez-vous d'informations relatives à ce calendrier ? Le Parlement sera nécessairement amené à se prononcer sur cette désignation ; quel est selon vous le calendrier adapté à cette procédure parlementaire eu égard à la proximité de l'échéance ?
Le service universel postal est déficitaire depuis 2018 ; il fait depuis 2021 l'objet d'une dotation budgétaire spécifique. Les modalités actuelles de calcul de cette dotation vous semblent-elles satisfaisantes ? Le rôle de l'Arcep dans le calcul des coûts associés au service universel postal doit-il être renforcé ?
M. Philippe Wahl. - Non, nous n'avons pas de perspective de compensation de la perte de CVAE ; non, nous n'avons pas de compensation à 100 % des charges afférentes à notre mission d'aménagement du territoire - cette compensation a même failli être amputée de 15 millions d'euros. Dans vos réflexions comme dans celles de la Commission supérieure du numérique et des postes et de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, qui m'a auditionné la semaine dernière, il s'agit du premier sujet d'inquiétude. À l'heure actuelle, nous sommes sous-compensés ; mais les discussions se poursuivent.
Je réponds sur le contrat d'entreprise et le choix de l'opérateur après 2025 : pour que l'opérateur postal soit désigné et que le service fonctionne au 1er janvier 2026, il faudrait dans l'idéal que la loi postale, qui devrait se résumer à un seul article, fût votée le 31 décembre 2024. Le suspense est assez faible quant au nombre d'entreprises candidates ; surtout, si nous étions désignés le 1er janvier 2025 pour remplir cette mission à compter du 1er janvier 2026, cela nous laisserait le temps de négocier les tarifs dans le nouveau cadre, avec l'État et avec l'Arcep - cela prend six mois. L'augmentation des tarifs du timbre a été importante en France, mais elle est restée dans la moyenne européenne ; quoi qu'il en soit, les négociations de tarif prennent beaucoup de temps.
Je plaide en tout cas pour que l'on prenne le temps d'habituer chacun aux nouveaux tarifs. En la matière, derechef, le suspense est faible : ils seront en augmentation, car toutes les postes du monde, depuis treize ans, doivent augmenter leurs tarifs pour compenser le choc que j'ai évoqué.
M. Pascal Savoldelli. - Vous avez évoqué des notions importantes : « banque citoyenne », « au plus près des territoires ».
Je vais poser deux questions très pragmatiques, très concrètes, qui concernent mon département.
Tout d'abord, les travailleurs sans papiers de Chronopost, dans le Val-de-Marne, tiennent un piquet de grève à Alfortville depuis deux ans et demi. Ils demandent leur régularisation, plusieurs rendez-vous ont eu lieu et tout le monde - préfecture, ministère de l'intérieur, ministère du travail - se renvoie la balle. La Poste n'est pas le seul employeur concerné, mais ce conflit qui touche l'une de vos activités logistiques a assez duré. Êtes-vous en mesure de délivrer des attestations d'employeur ou d'intervenir auprès de vos filiales telles que Geopost et de vos sous-traitants tels que Derichebourg ? Ces travailleurs-là, nous avons été bien contents de les avoir pendant la pandémie. Je vous demande d'agir pour qu'ils obtiennent leurs papiers ; c'est cela, aussi, la banque citoyenne.
Pour ce qui est, ensuite, d'être au plus près des territoires, vous nous avez donné des chiffres relatifs à la baisse de fréquentation des bureaux de poste. Or, dans mon département, La Poste a fermé, après très peu de concertation, le bureau de poste de l'un des centres commerciaux les plus fréquentés d'Île-de-France, Créteil Soleil. Or, en 2020, en pleine pandémie, la fréquentation moyenne de ce bureau de poste était de 400 usagers par jour ; et il avait l'avantage de répondre aux critères que vous avez vous-même énoncés, puisqu'il était situé au coeur des commerces. J'ai sollicité les autorités préfectorales pour savoir s'il y avait à cet endroit un problème d'insécurité, mais on me répond qu'il n'y en avait pas. J'avoue donc ne pas comprendre les raisons de cette fermeture.
M. Éric Bocquet. - La présence postale territoriale est bien sûr une préoccupation centrale des élus, et par voie de conséquence des sénateurs comme de l'ensemble des parlementaires. Les 17 000 points postaux que l'on dénombre sur le territoire sont soit des bureaux de poste de plein droit, soit des agences postales communales, soit des relais poste commerçant ; quel est le poids respectif de ces trois catégories ? L'évolution est en cours ; avez-vous un objectif de couverture territoriale pour chacune de ces catégories ? J'entends parler d'un objectif, à terme, de 2 000 bureaux de plein droit ; il en reste 7 000 aujourd'hui, dont 1 500 gérés par des facteurs guichetiers.
Je souhaite évoquer également la politique salariale de La Poste. Vous avez parlé d'intéressement, mais j'ai rencontré, à Maubeuge, l'un de vos salariés : 22 ans d'ancienneté et 1 450 euros de salaire mensuel. J'ai été très surpris par la faiblesse de cette rémunération. Y a-t-il une explication ? Quel est le niveau de l'intéressement qui pourrait concerner ce salarié et, au-delà, des milliers d'autres ?
L'activité courrier diminue, c'est une évidence, mais l'explosion du e-commerce entraîne celle de l'activité colis - on voit partout circuler des véhicules de livraison, y compris le dimanche, d'ailleurs. Quelle est la part de La Poste dans ce trafic lié aux colis ?
M. Marc Laménie. - Je veux commencer par saluer l'engagement de nos factrices et facteurs, interlocuteurs auxquelles restent très attachés ceux qui, comme moi, continuent de fonctionner de manière très artisanale en envoyant des lettres timbrées.
Dans les bureaux de poste ouverts en journée, il y a toujours du monde, comme je le constate à Charleville-Mézières : il y a bel et bien une demande de présence humaine.
Dans les bureaux de poste à part entière, vous réalisez des travaux. Quel est le montant des investissements que vous consentez chaque année pour améliorer l'accueil des usagers ?
Je veux souligner également l'importance, du point de vue du besoin de proximité, des distributeurs automatiques - on le voit dans les petits bourgs des Ardennes qui en sont dotés.
Je m'interroge, enfin, sur les frais bancaires qui sont facturés aux petites associations. Je participe aux activités de modestes sections d'anciens combattants ; en dépit de mouvements presque inexistants sur leur compte, elles doivent s'acquitter de frais bancaires relativement importants.
M. Michel Canévet. - Premièrement, on observe une évolution significative du nombre de bénéficiaires de l'offre destinée aux clients fragiles (OCF), qui atteint désormais 1 million : + 20 % entre 2021 et 2022, + 16,6 % l'année dernière. À quels facteurs attribuez-vous cette hausse ? Est-elle due à une meilleure connaissance du dispositif ? Pèse-t-elle beaucoup sur le fonctionnement de La Banque Postale ?
Deuxièmement, l'indemnité versée aux communes par La Poste au titre de la création et de la gestion d'une agence postale communale demeure assez modeste au regard des coûts réels associés ; il serait souhaitable qu'à l'avenir soit examinée la possibilité de la revaloriser.
Troisièmement, dans une société très conflictuelle, vos 65 000 facteurs sont-ils confrontés à des agressions de la part d'usagers ?
M. Dominique de Legge. - Vous avez évoqué la question de la présence postale ; je souligne, pour m'en réjouir, que dans le mien, en Ille-et-Vilaine, les agences postales et les relais poste commerçant fonctionnent plutôt bien. Pour autant, la présence postale ne se résume pas aux agences : il y va aussi de la distribution du courrier dans les boîtes aux lettres.
Or, en la matière, je dois vous dire mon étonnement. J'ai connu une période où avaient lieu deux distributions par jour ; je ne demande pas que l'on y revienne. J'ai connu une période où avait lieu une distribution par jour ; je peux comprendre que cela ne soit plus nécessaire compte tenu de la diminution de l'activité. Il serait bon néanmoins qu'une certaine régularité soit garantie, que l'on sache quel jour le postier passe et que les lettres perdues soient moins nombreuses.
M. Thomas Dossus. - Je vais ajouter ma voix à mon collègue Pascal Savoldelli : je ne partage pas votre optimisme concernant la relation entre les élus et vos services quant aux décisions de fermeture des bureaux de poste.
À Lyon, dans les prochaines années, vous allez fermer 30 % des bureaux et les élus se heurtent à un mur quand ils essaient d'obtenir le maintien de certains d'entre eux. Je pense à un bureau incendié dans un quartier populaire au moment des émeutes de juillet dernier : la Ville de Lyon a fait plusieurs propositions de réouverture, proposant des locaux, et vos services les ont toutes balayées, préférant attendre 2025 pour remplacer l'agence.
Vous me direz qu'en zone urbaine les gens peuvent circuler de bureau en bureau, Lyon étant bien dotée en services de transport, mais, s'agissant de populations fragiles ou âgées, la colère des habitants est d'autant plus vive qu'elle se heurte à un mur de votre côté. Cette fermeture crée des difficultés qui ne se cantonnent pas aux problèmes d'accessibilité bancaire : pour avoir travaillé dix ans, pendant ma jeunesse, au guichet de différents bureaux de poste, je connais l'importance de ce service public dans la vie d'un quartier. Le voir se déliter ainsi, au gré des fermetures massives de bureaux, inquiète beaucoup les habitants, d'autant que la concertation avec les élus fait défaut.
Vous êtes passé un peu vite par ailleurs sur la décarbonation des actifs : quel est le poids des investissements fossiles dans les actifs de La Banque Postale ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Au mois de décembre dernier, et même si la plupart des demandes de Sud PTT ont été rejetées, La Poste a été condamnée pour manquement à ses obligations résultant de la loi relative au devoir de vigilance ; vous avez fait appel. Quel est le sens de cet appel ? La politique de La Poste a-t-elle évolué en la matière - contenu du plan de vigilance, cartographie des risques, mécanismes de suivi et d'évaluation des sous-traitants - depuis que ce jugement a été prononcé ?
M. Hervé Maurey. - Monsieur le président, vous avez lancé une expérience dite des « camions jaunes », des bureaux itinérants multiservices en milieu rural ; quel bilan en tirez-vous ? Cette expérience se poursuit-elle ?
Pour ce qui concerne La Banque Postale, un changement de gouvernance est intervenu en 2023. Quelles en ont été les conséquences ?
Cela fait par ailleurs des années que j'évoque les distributeurs automatiques de billets (DAB) à chaque audition du président de La Poste, et leur nombre continue de diminuer : - 20 % en dix ans. Je plaide pour qu'un partage des coûts puisse être mis en place avec les collectivités qui le souhaitent ; nous avons lancé, dans l'Eure, un projet de cette nature, mais il n'a pas abouti. Qu'en est-il des autres départements ? Quelle est votre politique en la matière ?
M. Christian Bilhac. - L'Arcep chiffre le coût de ce que demande l'État à La Poste au titre du service universel postal ; or l'État ne paie pas ce coût : je trouve cela cavalier. Lorsqu'une autorité indépendante fixe le coût d'un service, la moindre des choses est que l'État s'acquitte de sa dette. J'y reviendrai à l'occasion de l'examen du prochain PLF : je déposerai un nouvel amendement pour élever la compensation versée à La Poste à la hauteur du montant fixé par l'Arcep. Chez moi, à la campagne, on paie ce que l'on doit.
Songez par ailleurs aux gilets jaunes - la « France périphérique », disait-on à la télé. Quelques millions d'euros de plus pour pouvoir retirer des billets non pas dans un DAB, mais à l'agence postale du village, pour que le pain ou le journal soit livré chez les personnes âgées, pour recevoir un bonjour, pour avoir un contact, ce n'est pas cher payé. Les gilets jaunes, cela a coûté beaucoup plus cher que La Poste... Je ne suis pas un dépensier, tout le monde le sait, mais il ne faut pas mégoter pour ce qui est du service universel postal, qui va bien au-delà du seul service de distribution du courrier.
Il faut mutualiser les agences : c'est ce que j'ai fait dans ma commune. La poste y était ouverte le matin, la mairie l'après-midi ; désormais, la mairie accueille l'agence postale, qui est ouverte du matin au soir, sans que cela coûte un centime de plus.
J'en viens à une remarque plus critique.
Vous avez évoqué des frais d'infrastructure incompressibles ; or votre réseau n'est pas votre force : vous ne l'utilisez pas assez. La Banque Postale n'est pas le premier prêteur des collectivités les plus rurales, tant s'en faut ; pourtant, La Poste y est présente, partout sur le territoire.
Les domaines viticoles envoient des échantillons à leurs clients ; or, bien que le facteur soit déjà présent au fin fond des vignes, puisqu'il y achemine le courrier avec sa camionnette, La Poste propose ce service de livraison d'échantillons à un prix deux fois supérieur à celui des autres opérateurs. Je peine à comprendre !
M. Jean-Marie Mizzon. - La Poste traverse, depuis longtemps maintenant, des évolutions qu'ont connues peu d'entreprises dans ces proportions. La perspective de l'avènement et de la généralisation de l'intelligence artificielle représente-t-elle pour vous un atout ou une menace ? Certaines s'en réjouissent, beaucoup s'en inquiètent...
Vous avez réaffirmé par ailleurs votre attachement à la semaine de six jours. Dans la mesure où vous avez l'ambition de devenir le principal porteur de repas à domicile, et sachant que même les gens qui sont en difficulté mangent sept jours sur sept, je me demande si, d'un point de vue stratégique, ce chiffre de six jours est le bon. Ne faudrait-il pas que vous vous adaptiez véritablement au marché si vous souhaitez vous y installer ?
Mme Florence Blatrix Contat. - La Poste est un acteur important de l'inclusion bancaire. Quel est le bilan de l'accompagnement des publics les plus fragiles dans l'accès au compte, mais aussi dans la prévention du surendettement, ce dernier phénomène connaissant une recrudescence récente ?
Quel bilan faites-vous du développement du microcrédit, qui permet à des ménages à faible solvabilité d'accéder au crédit ?
Quelles sont vos actions en matière d'inclusion numérique ?
M. Philippe Wahl. - Je vous remercie de ces questions, mesdames, messieurs les sénateurs ; elles témoignent de votre regard vigilant et critique sur notre entreprise.
Monsieur Savoldelli, les travailleurs sans papiers dont vous avez évoqué la situation ne sont pas des salariés de Chronopost. On les appelle, par convention médiatique, « les sans-papiers de La Poste », mais La Poste, non plus que Chronopost, n'emploie jamais de salariés sans papiers. Dans votre département, un sous-traitant n'a pas exercé le contrôle qui lui aurait permis de s'assurer que les salariés qu'il mettait à notre disposition avaient des papiers. J'ai rencontré Luc Carvounas à ce sujet : je lui ai dit ce que nous avions fait. En application des obligations qui nous incombent au titre de notre devoir de vigilance, nous avons arrêté le contrat qui nous liait à ce sous-traitant, le cas étant extrêmement clair. Nous nous sommes ensuite tournés vers l'État, car c'est à lui de prendre la décision.
En matière de distribution de colis dans le monde, la totalité du marché, abstraction faite des postes, est captée par des opérateurs qui utilisent la sous-traitance. Chronopost n'est pas une poste, c'est un service haut de gamme de livraison express de colis ; à ce titre, il utilise la sous-traitance. Si nous devions sortir de la sous-traitance, cela veut dire que nous sortirions du marché : dans le cadre de la législation européenne actuelle, nous avons besoin de la sous-traitance ; il faut donc que nous la gérions le mieux possible. En l'espèce, il y a eu un problème, et nous l'avons traité. La situation de ces travailleurs est désormais dans les mains de l'État.
À propos de Créteil Soleil, je dois vous dire que je ne sais pas ce qu'il en est. En tout état de cause, ce n'est pas parce que son lieu d'implantation est très fréquenté qu'il y a nécessairement beaucoup de trafic dans un bureau de poste ; mais nous reviendrons vers vous, monsieur le sénateur, pour vous communiquer les chiffres. Le maintien d'un bureau de poste est une question de fréquentation.
Je me tourne vers vous, monsieur Dossus : nous sommes en concertation avec les élus. Je rappelle qu'aux termes de notre contrat avec l'AMF nous n'avons pas le droit de transformer un bureau de poste, dans un quartier prioritaire de la politique de la ville par exemple, si le maire n'est pas d'accord ; dès lors, nous ne le faisons pas. Ce droit de veto du maire est au demeurant très utile : il nous évite, à nous, La Poste, de passer à l'as. Nous sommes en discussion en ce moment même sur l'avenir du bureau de poste de Lyon Mermoz, qui a été totalement carbonisé. Nous allons trouver une solution, monsieur le sénateur.
M. Thomas Dossus. - Avant 2025 ?
M. Philippe Wahl. - Nous avons le même problème à Poitiers, où un bureau de poste a été totalement détruit, le problème étant que le local n'appartient ni à la Ville ni à La Poste et que le propriétaire refuse de faire les travaux.
Je réponds à M. Bocquet sur l'architecture d'ensemble de la répartition de nos bureaux de poste : 17 000 points de contact, 7 000 bureaux de poste, dont 1 500 facteurs guichetiers - ceux-ci permettent de maintenir une présence physique malgré une faible fréquentation -, 5 000 agences postales communales, un peu plus de 2 000 relais poste commerçant. Le mouvement récent, notamment en milieu rural, va vers davantage de relais poste commerçant. Notre but est de garder le plus possible de bureaux de plein droit, ce qui passe par la fréquentation. Je remarque avec satisfaction que plusieurs d'entre vous ont appuyé l'idée de la mutualisation : c'est ainsi que nous tiendrons, avec les élus.
J'en viens à la politique salariale de La Poste : premièrement, cette transformation est très difficile ; deuxièmement, nous sommes sous forte contrainte de revenus ; troisièmement, au cours des dix dernières années, les négociations salariales ont à chaque fois fait l'objet d'un accord. La prime d'intéressement a été de 524 euros l'année dernière, ce qui est beaucoup pour un facteur, de 860 euros l'année précédente, de 590 euros en 2021. De manière générale, dès lors que le bénéfice de La Poste s'améliore, les salariés en tirent avantage.
La lettre s'effondre et le colis explose ; reste qu'en France le colis ne compense la lettre ni par le revenu qu'il permet de dégager ni par la charge de travail qu'il représente. Colissimo, Chronopost et DPD, nos trois marques, sont de très loin leaders sur le marché français. Notre part de marché, 67 %, est la plus importante de toutes les postes historiques européennes sur leurs marchés domestiques respectifs, mais cela ne suffit pas à compenser les 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires perdus sur l'activité d'envoi de lettres. Sur la même période, avec le colis, nous avons gagné 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France et 6 milliards à l'étranger.
Pour ce qui est de notre contribution au financement du coût réel des agences postales communales, monsieur Canévet, nous faisons ce que nous pouvons ; mais, comme nos charges de service public ne sont pas totalement compensées, je ne peux pas vous annoncer une hausse : cela va dépendre du Gouvernement et du législateur. Si La Poste a plus d'argent pour financer les commissions départementales de présence postale territoriale, elle pourra mieux contribuer. Ayez en tête malgré tout - nous en avons parlé avec David Lisnard et André Laignel, respectivement président et premier vice-président délégué de l'AMF - que dans 40 % de nos agences postales communales, notamment rurales, la fréquentation est de moins de cinq personnes par jour.
Il y a bien sûr beaucoup d'incivilités, en particulier dans les bureaux de poste, où les violences sont quotidiennes. Notre réaction est de trois ordres : nous poursuivons systématiquement en justice l'auteur d'une agression et c'est un avocat de La Poste qui défend les intérêts des salariés agressés ; si l'agression a été violente, nous fermons le compte ; nous mettons en oeuvre des plans de protection qui passent par l'embauche de vigiles ou par une formation du personnel.
Monsieur de Legge, oui, tel est le paradoxe : la distribution du courrier est d'autant plus complexe à mettre en oeuvre qu'il y a moins de courrier à distribuer... Il est d'autant plus difficile d'assurer la régularité d'un service que le réseau est moins utilisé. Désormais, le flux majeur qui détermine la régularité et le passage quotidien ou non du facteur, ce n'est plus la lettre rouge : c'est le colis. Notre nouvelle gamme courrier devrait en tout cas nous permettre de retrouver de la régularité.
Monsieur Dossus, dans la gestion des bureaux de poste, nous ne cherchons pas une seconde à être rentables : nous recherchons seulement l'équilibre des coûts, à l'euro près - sur la banque ou sur le colis, face à Amazon ou à DHL, nous cherchons à être rentables.
Je réponds à Mme Carrère-Gée à propos du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris sur le devoir de vigilance : madame la sénatrice, nous n'avons pas été condamnés, nous avons fait l'objet d'une injonction - la différence est très importante. Le syndicat Sud PTT a été débouté de cinq de ses six demandes ; sur l'une de ces demandes seulement, le tribunal a indiqué à La Poste ce qu'elle devrait faire. Nous ne sommes pas parfaits, mais le cadre législatif en matière de sous-traitance et de devoir de vigilance, tant français qu'européen, est tout sauf établi. Nous essayons de faire au mieux ; si nous faisons appel de cette décision, c'est avant tout pour que le juge nous donne davantage de précisions sur le contenu de notre devoir de vigilance, au regard notamment de la nouvelle directive.
Pour ce qui est des camions jaunes, monsieur Maurey, nous nous apprêtons à les lancer dans cinq départements très ruraux.
Je regrette que l'on n'ait pas trouvé d'accord sur les DAB dans l'Eure ; on en a trouvé dans l'Ain, c'est qu'il n'y a rien d'insurmontable : nous sommes à votre disposition, monsieur le sénateur.
Le changement de gouvernance de La Banque Postale est affaire de performance : Stéphane Dedeyan a pour mission d'atteindre un niveau de performance encore plus élevé.
Quant au rôle de l'Arcep, il dépend du législateur. L'Arcep est un régulateur très exigeant et très précis dans ses demandes, avec lequel nous travaillons très bien ; ce qui compte, c'est que ses avis soient suivis, dans tous les domaines, par nous-mêmes et par l'État - vous m'avez compris, monsieur le sénateur.
Au sujet de la livraison viticole, je ne sais vous répondre. Ce que je sais, en revanche, c'est que nous proposons un produit spécifique, Chrono Viti, qui est leader sur ce marché.
Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale - Je confirme.
M. Philippe Wahl. - Dans le Bordelais et en Bourgogne, Chrono Viti marche très bien.
M. Christian Bilhac. - Pas dans l'Hérault.
M. Philippe Wahl. - Je vous remercie de nous dire que nous avons des parts de marché à gagner chez vous ! Nous allons corriger le tir.
L'intelligence artificielle (IA), monsieur Mizzon, représente à nos yeux, comme toute chose, une occasion de transformation. Les postières et les postiers, confrontés à la disparition programmée de la lettre, ont choisi de ne pas y voir une calamité ; c'est la même chose pour l'IA. Quelque 60 000 postiers, sur 220 000, ont d'ores et déjà suivi le tutoriel « Objectif IA ».
En matière de livraison de repas, je n'ai rien contre les sept jours sur sept. La commission des finances du Sénat m'avait interrogé en 2014 sur le travail du dimanche ; ma réponse n'a pas changé : il faut que le client, en l'occurrence le CCAS, paie le service du dimanche, qui est évidemment plus cher. Cela étant dit, la livraison du samedi comporte quatre repas, et même six quand elle est faite par une régie. Si le client, CCAS ou association, nous demande de livrer le dimanche, nous le ferons : nous y sommes prêts - nous avons des volontaires -, mais cela coûtera sensiblement plus cher.
Globalement, toutes nos activités sont en concurrence ; Amazon ou les cinq grandes banques françaises sont de sacrés concurrents...
M. Stéphane Dedeyan. - Concernant les frais bancaires appliqués aux comptes des petites associations, monsieur Laménie, nous sommes soucieux de pratiquer les tarifs les plus modérés possible et, à cet égard, nous nous comparons en permanence. Une étude a été menée sur le prix global des six services de base : sur vingt et une banques, nous sommes classés en cinquième position - 161 euros, contre 582 euros pour l'offre la plus chère. Pour de nombreuses associations, c'est encore trop cher, certes...
J'en viens à l'inclusion bancaire et à l'offre aux clients fragiles. Il faut bien distinguer deux choses : il y a, d'une part, la mission d'accessibilité bancaire, destinée aux clients qui détiennent un livret A et font sur ce livret énormément d'opérations au guichet, car ils s'en servent comme d'un porte-monnaie - 1,4 million de bénéficiaires. Chaque année, des personnes entrent dans ce dispositif d'accessibilité bancaire quand d'autres, en nombre significatif, le quittent pour entrer véritablement dans le système bancaire et se mettre à utiliser un compte en banque ; cela signifie que nous avons joué notre rôle en leur mettant le pied à l'étrier : 35 % des bénéficiaires de la mission - ce chiffre est assez stable - en sortent chaque année pour être « bancarisés », ce qui est plutôt positif.
Il y a, d'autre part, les clients en situation de fragilité financière, qui bénéficient des dispositifs d'inclusion bancaire : 1,7 million de clients, dont 670 000 sont bénéficiaires de l'aide sociale et 550 000 sont accompagnés, soit par un conseiller - nous sommes la seule banque à utiliser un score de fragilité, critère extralégal d'identification proactive de la fragilité financière - soit par le biais de « L'Appui », plateforme de conseil personnalisé à distance : une trentaine de conseillers, bientôt une quarantaine, apprennent à nos clients à gérer leur budget et à remplir toutes les formalités requises pour bénéficier des aides sociales, car le taux de non-recours est encore de 30 % dans notre pays.
Qu'en est-il de la décarbonation de nos actifs ? Nous avons été la première banque à ne plus investir un seul nouvel euro dans des projets qui mettent en jeu des énergies fossiles ; toutefois, nous n'avons pas vendu tous nos actifs liés auxdites énergies - il en reste un peu, moins de 10 %, dans notre bilan. La Banque Postale sera sortie des énergies fossiles en 2030 et CNP Assurances aura fait de même au plus tard en 2040. Pourquoi n'avons-nous pas vendu ces actifs ? Notre conviction est que nous avons un meilleur rôle à jouer en restant au capital de ces sociétés : nous sommes un actionnaire exigeant dans le dialogue en assemblée générale. Chaque année, nous demandons que soit suivie une trajectoire de sortie des énergies fossiles compatible avec l'accord de Paris.
Quelles conséquences avons-nous tirées du changement de gouvernance ? J'ai lancé un plan d'économies ; nous avons le projet de fermer « Ma French Bank », succès commercial qui n'a pas trouvé son modèle économique ; nous agissons vigoureusement pour rétablir une trajectoire de rentabilité durable.
Je réponds à M. Maurey sur les DAB : nous allons entrer dans une phase de stabilisation autour de 5 500 distributeurs automatiques de billets, après une période de suppression des doublons.
M. Philippe Wahl. - Oui, le nombre de DAB baisse, mais, en la matière, la part de La Banque Postale augmente.
M. Stéphane Dedeyan. - Nous avons notre propre réseau de distributeurs ; ainsi maîtrisons-nous notre maillage, ce qui nous donne toute latitude pour agir en cas de problème à régler.
M. Philippe Wahl. - Une précision à l'attention de M. Bilhac : La Banque Postale est la première banque de financement des collectivités locales. Plus la commune est petite, plus notre part de marché est importante.
M. Stéphane Dedeyan. - Nous avons été les premiers à mettre en place le prêt vert et le prêt social, à partir de 500 000 euros, à destination des petites collectivités locales : il y va de notre mission de démocratisation de produits habituellement réservés à certains.
M. Bruno Belin, président. - Pour conclure, je veux témoigner au président Wahl ma gratitude : fin mars 2020, je présidais un département et, comme l'ensemble des présidents de conseil départemental, j'étais très inquiet, en plein confinement, quant à un éventuel non-versement des aides sociales, qui aurait embrasé le pays. C'est grâce à La Poste que nous avons pu trouver une solution, avec l'aide des services de gendarmerie. Si le 5 avril 2020 s'est bien passé, nous le devons au président Wahl.
M. Philippe Wahl. - Nous le devons aux postières et aux postiers, monsieur le président !
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Hervé Maurey rapporteur sur la proposition de loi n° 374 (2023-2024) visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.
Proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 292 (2023-2024) visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif et désigne M. Jean-François Husson rapporteur pour avis.
Proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 406 (2023-2024) visant à faciliter la transformation des bureaux en logements et désigne M. Stéphane Sautarel rapporteur pour avis.
La réunion est close à 12 heures.
- Présidence de M. Stéphane Sautarel, vice-président -
La réunion est ouverte à 18 h 10.
Proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans - Examen de la recevabilité financière
M. Stéphane Sautarel, président. - Mme Marie Lebec, ministre chargée des relations avec le Parlement, a soulevé en séance, à l'issue de la discussion générale, une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution.
Je vous rappelle tout d'abord les termes de l'article 45, alinéa 4, du Règlement du Sénat : « Tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité financière fondée sur l'article 40 de la Constitution [...]. L'irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée [...] par la commission des finances [...]. » Il revient donc à notre commission de se prononcer sur la recevabilité de la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans.
En son article unique, la proposition de loi prévoit d'abroger la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Il m'apparaît que nous sommes contraints de constater que cette abrogation aggrave manifestement une charge publique. En abaissant l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite, elle élargit les droits des personnes affiliées au régime général.
Il me semble dès lors que nous n'avons pas d'autre choix que de déclarer irrecevable la proposition de loi en application de l'article 40 de la Constitution.
M. Thierry Cozic. - Cette proposition de loi est importante : elle permet de dresser un bilan de la réforme des retraites au bout d'un an. Cela aurait mérité que nous allions au bout des débats.
Par ailleurs, je veux alerter la majorité sénatoriale, et j'en appelle à sa responsabilité. Je crains que nous ne créions un précédent : une partie des propositions de loi qui sont déposées peuvent être frappées de cette irrecevabilité financière ; je ne vois pas pourquoi l'article 40 de la Constitution ne pourrait pas être invoqué sur ces textes.
Je le répète, il aurait été pertinent d'aller au bout de la discussion, d'autant que cette proposition de loi ne comporte qu'un article unique. Nous nous prononcerons contre son irrecevabilité.
M. Thomas Dossus. - Comme je l'ai indiqué en séance, c'est une porte dangereuse que nous ouvrons en répondant positivement à la demande du Gouvernement d'activer l'article 40 de la Constitution. M. le président a rappelé que celui-ci pouvait être invoqué par tout sénateur et par le Gouvernement. Or, à y regarder de plus près, la plupart des textes discutés dans le cadre des niches parlementaires sont susceptibles de tomber sous le coup de cet article. Prévalait jusqu'à présent une forme de tolérance pour permettre la tenue de débats intéressants, qui ont même parfois permis l'adoption trans-partisane de propositions de loi aggravant les charges publiques. Aujourd'hui, nous créons une jurisprudence dangereuse pour l'initiative parlementaire, dans un contexte où le Parlement n'est pas particulièrement respecté par le Gouvernement.
M. Emmanuel Capus. - Nous sommes réunis, je le rappelle, pour déterminer si cette proposition de loi engendre, ou pas, des dépenses nouvelles - c'est notre rôle -, et je prends acte du fait que tel est le cas.
Ce n'est pas la première fois que des amendements ou des propositions de loi sont refusés pour ce motif. Cela arrive même assez régulièrement. C'est déplaisant, mais c'est la règle !
En revanche, j'ai trouvé assez désagréable que le renvoi à la commission des finances soit considéré, en soi, comme un acte d'enterrement. C'est inexact : notre rôle est bien d'examiner la recevabilité du texte, et nous allons le faire.
Certaines interventions en séance ont été surprenantes, d'autant que le débat a eu lieu, puisque nous avons achevé la discussion générale. Seul l'examen de l'article unique reste à examiner.
M. Pascal Savoldelli. - J'observe que la recevabilité de ce texte dans le cadre de la niche parlementaire avait été actée, sans quoi nous n'aurions eu ni la discussion générale ni l'intervention de la ministre. La proposition de loi était recevable, elle ne l'est plus : voilà qui est tout de même troublant. Est-ce exceptionnel ou doit-on considérer que ce pourra être le cas pour d'autres textes ?
Par ailleurs, on parle beaucoup actuellement d'une forme d'insincérité budgétaire... Le comité de suivi des retraites (CSR), un organisme placé auprès du Premier ministre, annonce 9,5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires à horizon 2070 du fait de la réforme et par rapport au droit constant, et on nous parle d'irrecevabilité d'un texte qui tend à revenir sur cette réforme. Tout cela suscite un véritable malaise, notamment eu égard au respect de la démocratie parlementaire.
M. Rémi Féraud. - La majorité sénatoriale n'a pas à être gênée aux entournures. Nous ne sommes pas à l'Assemblée nationale et la probabilité que la proposition de loi soit adoptée en séance est relativement faible.
Pourquoi créer un précédent sur la forme du débat parlementaire, à la demande du Gouvernement, alors que le texte comprend un article unique, que nous pouvons aller au bout de la discussion et que le vote ne suscite pas d'enjeu ? C'est aussi l'occasion de marquer l'autonomie de notre assemblée sur les formes de la discussion.
M. Michel Canévet. - Je voudrais réagir à deux arguments que j'ai entendus.
D'une part, je ne crois pas que la proposition de loi soit de nature à permettre d'établir un bilan de la réforme des retraites. Si tel est l'objectif, alors demandons un rapport afin de disposer d'éléments objectifs.
D'autre part, je ne crois pas non plus que nous créions un précédent. L'aggravation des charges dont nous discutons oscille entre 8 et 12 milliards d'euros, ce qui est tout à fait significatif, et l'accroissement de la taxation sur le tabac pour de tels ordres de grandeur ne serait pas suffisant.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Si nous en restons au strict respect du droit, la proposition de loi a pu être déposée devant le Sénat, mais on le sait, notre Règlement l'indique clairement, l'exception d'irrecevabilité sur le fondement de l'article 40 peut être soulevée à tout moment en séance publique, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante dans son application. Cela ne plaît pas à tout ou partie de l'assemblée, sur la forme, mais je ne suis pas sûr que nous ayons des leçons à recevoir en termes de méthode.
Je puis dire, au nom de la majorité sénatoriale, que nous avons intérêt à respecter la Constitution, ce qui nous rendra peut-être plus forts, demain, s'il faut continuer à faire part de nos désaccords au Gouvernement sur l'application de celle-ci.
M. Stéphane Sautarel, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle, même si chacun le garde à l'esprit, qu'il s'agit ici d'appliquer le Règlement du Sénat. Par ailleurs, comme l'a rappelé le rapporteur général, le débat sur l'article 40 est un débat d'ordre juridique, fondé sur l'application de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il diffère en cela du débat sur la dégradation des finances publiques, qui va nous occuper dans les mois à venir. Enfin, il y a eu des précédents en la matière, même s'ils sont assez peu fréquents : le Gouvernement a déjà invoqué l'article 40 de la Constitution sur une proposition de loi en 2011.
La commission déclare irrecevable, en application de l'article 40 de la Constitution, la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans.
La réunion est close à 18 h 25.