Jeudi 11 avril 2024

- Présidence de Mme Annick Petrus -

Étude sur l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer - Audition M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée, direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice

Mme Annick Petrus, présidente. - Chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de notre présidente qui a dû rentrer à Saint-Barthélemy et qui m'a demandé de la remplacer pour cette réunion en qualité de vice-présidente. Elle est connectée en visioconférence et elle interviendra si elle le souhaite.

Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons ce matin M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée auprès de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice.

Nous vous remercions de participer ce matin à cette audition en remplacement de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces.

La question de la justice outre-mer entre naturellement dans le périmètre de notre mission d'information. Nous avons auditionné Me Patrick Lingibé qui a dressé un tableau critique de la situation.

Par ailleurs, la délégation aux outre-mer s'est rendue à La Réunion où nos deux rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel ont pu rencontrer la quasi-totalité des acteurs de la sécurité et de la justice sur l'île. La délégation sera par ailleurs aux Antilles la semaine prochaine et à Mayotte fin mai.

Nous avons également suivi avec attention la première journée consacrée à la justice outre-mer et organisée par votre ministère le 26 mars dernier.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis. Nos interrogations portent notamment sur l'adaptation de la politique pénale outre-mer compte tenu des spécificités marquées de la délinquance et de la criminalité, ainsi que de leur intensité. Des adaptations existent déjà, mais faut-il aller plus loin pour faire face aux enjeux ? La dimension régionale, voire internationale de ces phénomènes est aussi très forte, à tel point qu'elle interroge la capacité souveraine de la France dans ces territoires.

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire d'une quinzaine de minutes puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée, direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice. - Je vous remercie de nous offrir l'opportunité de contribuer à votre étude sur l'adaptation des moyens de l'action de l'État dans les outre-mer qui s'inscrit dans la trajectoire que nous nous sommes fixée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces depuis maintenant un peu plus de 3 ans. Les territoires ultramarins font l'objet d'une attention toute particulière qui se traduit par un certain nombre d'initiatives.

Notre direction est en charge de la norme en matière pénale. C'est elle qui participe au travail législatif aux fins de refonte du Code pénal et du Code de procédure pénale et qui traduit la politique pénale du garde des Sceaux par la diffusion d'un certain nombre d'instructions, de circulaires nationales ou territoriales. Ces circulaires permettent de décliner les priorités de l'action publique sur le territoire national mais aussi au niveau local, en fonction des spécificités des territoires. À ce titre, la direction et ma sous-direction se projettent régulièrement dans les territoires pour prendre la mesure de l'état des phénomènes ou des menaces, afin de poser des diagnostics et de déterminer les voies d'adaptation constantes des moyens, des outils procéduraux, des outils techniques et des outils infractionnels qui sont à la disposition des acteurs judiciaires.

L'objectif de cet exercice de déclinaison de la politique pénale nationale est de trouver le juste équilibre entre la nécessité d'assurer une unité dans la mise en oeuvre de l'action judiciaire sur le territoire national au titre des grandes priorités d'action publique qui n'ont pas vocation à être distinctes en fonction des territoires comme la lutte contre les violences faites aux femmes, les violences intrafamiliales, les trafics de stupéfiants, les circuits de blanchiment, le terrorisme et toutes les menaces, y compris cyber, qui sont susceptibles de déstabiliser nos institutions, et la prise en compte des spécificités, ici ultramarines, en territorialisant la politique pénale.

Cela s'est traduit notamment par un très gros investissement sur le diagnostic et le soutien à l'action judiciaire locale. Le directeur des affaires criminelles et des grâces, accompagné d'une délégation, s'est rendu à plusieurs reprises dans les territoires ultramarins, par exemple en Guyane, en novembre 2021 et fin septembre 2022 pour accompagner le ministre de la Justice, le ministre de l'Intérieur et le ministre du Budget. En novembre 2022 nous nous sommes déplacés à Papeete à l'occasion d'un séminaire consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiants dans le Pacifique. Tahiti est malheureusement sous la menace de la consommation et de l'importation de la drogue « ice ». Nous sommes également allés à Nouméa en novembre 2023, à Saint-Denis de La Réunion et à Mayotte en janvier 2024. En juillet 2022 j'ai participé à La Réunion à une réunion interjuridictionnelle avec le procureur général de la Cour des comptes et en décembre 2022 j'étais à Cayenne et au Suriname.

Ces déplacements ont pour objectif de rencontrer les acteurs au plus près des réalités du terrain et des difficultés qu'ils sont susceptibles de rencontrer à l'occasion du traitement de certains contentieux. À Cayenne, il s'agissait du traitement du contentieux des mules qui a fait l'objet d'une forte action partenariale de l'ensemble des services de l'État pour tenter de juguler ou au moins d'entraver ce phénomène et identifier les moyens d'adaptation de la procédure pénale et les priorités d'allocations de moyens pour traiter l'ensemble de ces phénomènes.

Ces déplacements précèdent ou accompagnent la plupart du temps la diffusion de circulaires de politique pénale territoriale. Une circulaire a été diffusée à Mayotte en septembre 2022, une autre en Guyane en septembre 2022, actualisant les menaces auxquelles ces territoires font face depuis maintenant plusieurs années.

Enfin, toujours dans le cadre de notre très fort investissement dans les territoires ultramarins, nous avons réuni pour la première fois les 6 procureurs généraux des outre-mer le 11 janvier 2024 autour des spécificités de l'action judiciaire outre-mer.

Nos diagnostics se basent sur le constat d'une évolution assez inquiétante de certains phénomènes dans un grand nombre de territoires ultramarins. Les phénomènes en présence relèvent pour certains d'une forme de délinquance endogène ou de menaces liées à une sociologie et une démographie propres à chacun des territoires et de menaces exogènes, importées, qui exploitent les richesses, la position géographique et les infrastructures des territoires ultramarins.

Dans chaque territoire, nous disposons d'outils de suivi de l'évolution de la structure du contentieux qui nous permettent d'avoir une photographie de la délinquance qui est très liée aux équilibres sociaux et démographiques et au taux de chômage. Nous notons un recours accru à la violence sous différentes formes, avec l'utilisation dans certains territoires, je pense notamment aux Antilles, d'armes à feu. Dans l'océan Indien, ce sont plutôt des armes blanches qui sont utilisées. Dans d'autres territoires la délinquance est liée à de fortes consommations addictives d'alcool ou de stupéfiants.

À ces menaces endogènes s'ajoutent des menaces importées qui peuvent constituer une menace pour la souveraineté de l'État et la capacité de forces de sécurité intérieure à assurer la sécurité de nos concitoyens. Elles concernent pour l'essentiel le haut du spectre de la criminalité organisée. Elles font partie de nos points d'attention majeurs. Elles se traduisent à Mayotte par des formes de criminalité graves, induites par l'exploitation de l'immigration clandestine et de l'habitat indigne, et par des violences de milices identitaires à l'origine de décasage d'individus qui requièrent une forte coordination des forces de sécurité.

L'arc caribéen est très impacté par la menace liée aux organisations criminelles de trafic de stupéfiants, par le trafic de cocaïne, tant par la voie maritime que par la voie aérienne. Ces affaires constituent environ 60 % des dossiers dont la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Fort-de-France se saisit. Nous sommes également confrontés au développement de réseaux locaux de trafic de stupéfiants, associés à la banalisation de l'utilisation des armes à feu qui sont à l'origine d'un essor des règlements de comptes entre trafiquants, tant en Martinique qu'en Guadeloupe. En 2022 le parquet de Fort-de-France a recensé 78 homicides et tentatives d'homicide dans ce contexte.

La Polynésie française est marquée par le trafic de l'« ice » sous forme de méthamphétamines produites dans des laboratoires clandestins aux États-Unis et qui a des conséquences sanitaires absolument dramatiques pour la population. C'est la raison pour laquelle nous avons participé au séminaire international permettant de mettre en tension la coordination entre la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis.

L'océan Indien connaît également du narcotrafic en haute mer en raison de l'emplacement géographique de La Réunion, donc sur la route entre le Pakistan et l'Afrique du Sud, qui conduit régulièrement le parquet de Saint-Denis de La Réunion à connaître d'importantes saisies de stupéfiants.

Enfin, la criminalité guyanaise présente des spécificités liées au positionnement du territoire sur le continent, avec une grande densité de la forêt et des richesses naturelles qui génèrent depuis des années un trafic qui ne faiblit pas, lié à l'orpaillage illégal et à l'activité des réseaux criminels implantés au Brésil et au Suriname. Ces réseaux n'hésitent pas à investir ce territoire pour poursuivre leurs actions. Nous constatons la montée en puissance d'une délinquance ultra-violente dans l'utilisation des armes et le recours au règlement de comptes. La Guyane est également marquée par le phénomène dramatique des mules dans le trafic de stupéfiants, où des jeunes empruntent des avions chargés de cocaïne. C'est la raison pour laquelle Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, et Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des outre-mer, se sont déplacés à Cayenne en septembre 2022 pour adapter les moyens mis en oeuvre.

Nos diagnostics nous permettent de décliner une action lisible, visible et surtout efficace en agissant sur les curseurs de l'action pénale. Le contentieux pénal est caractérisé par un volume massif de procédures à absorber, extrêmement consommatrices en moyens judiciaires. Les juridictions sont confrontées à la pression de la délinquance au quotidien qui est en hausse dans certains territoires, à laquelle s'ajoute la pression des menaces exogènes. Le risque est que ce flux et ces surcroîts d'activité obèrent la capacité des services d'enquête et des services judiciaires à faire face. C'est la raison pour laquelle le ministère de la Justice, en lien avec le ministère de l'Intérieur, a mené des actions fortes.

La première est d'armer une stratégie de coordination des différents échelons de traitement judiciaire qui s'agrègent autour du traitement du contentieux des territoires. Les territoires ne sont pas isolés, les tribunaux judiciaires n'ont pas la charge exclusive de l'ensemble du traitement de la criminalité spécifique. Notre organisation judiciaire arme des échelons spécialisés de traitement que sont les JIRS. Deux JIRS officient sur les territoires ultramarins, dont la JIRS de Fort-de-France pour l'axe caribéen et la Guyane. Elles ont la possibilité d'attraire des contentieux spécifiques très consommateurs en moyens d'enquête et nécessitant une spécificité dans la manière dont sont mises en oeuvre les techniques spéciales d'enquête et les moyens d'action pour juguler les trafics. Elle agit tant en matière de criminalité organisée qu'en matière économique et financière. Sur cette dernière thématique, nous disposons d'un autre échelon très actif, qui a beaucoup investi les territoires ultramarins, le parquet national financier. Il se positionne, en lien avec les services de police spécialisés comme l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ou la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), sur les affaires les plus complexes en matière fiscale ou en matière d'atteinte à la probité. Nous disposons également de pôles régionaux environnementaux, des juridictions du littoral spécialisées (JULIS) en matière de pollution maritime et des pôles accidents collectifs et de santé publique de Paris et de Marseille qui ont vocation à se saisir des affaires les plus complexes. Nous veillons à animer l'ensemble de ces échelons de traitement pour identifier celui qui apparaît le mieux à même de traiter un certain nombre de phénomènes complexes.

La deuxième porte sur l'adaptation des outils procéduraux permettant de soulager l'action judiciaire des contraintes inhérentes aux spécificités de ces territoires, notamment à l'éloignement géographique et à l'absence d'un certain nombre d'acteurs indispensables à la conduite des investigations et des procès, je pense notamment aux avocats, aux interprètes ou aux médecins.

La troisième concerne le développement d'appuis opérationnels du ministère de la Justice qui a parfaitement pris la mesure de ces surcroîts d'activité qui peuvent être temporaires mais qui nécessitent d'adapter la voilure. Nous avons développé les brigades de magistrats et de fonctionnaires. Elles ont été pérennisées à l'occasion de la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) et soutiennent les territoires.

Enfin, la quatrième, en lien direct avec le caractère exogène d'un certain nombre de menaces, porte sur la nécessité d'investir très fortement la coopération internationale. C'est un très grand marqueur de l'activité des juridictions ultramarines qui nous amène non seulement à revoir les conventions qui nous lient à ces États, tant sur le volet entraide que sur le volet extraditionnel, mais aussi à activer ou réactiver l'utilisation des instruments de reconnaissance mutuelle de l'Union européenne lorsqu'ils sont susceptibles d'être mis en oeuvre entre la France et les autres États. Nous déployons également des magistrats de liaison qui permettent de fluidifier l'action, en lien avec le démantèlement des trafics que nous poursuivons au titre d'une action proactive.

Les interlocuteurs que vous rencontrerez au cours de vos déplacements pourront vous confirmer la trajectoire que je viens de dépeindre. Vous avez prévu un déplacement aux Antilles la semaine prochaine. Je serai moi-même en Martinique mardi prochain pour l'installation par le procureur général d'une instance de coordination destinée à lutter contre les trafics de stupéfiants dans la zone. Celle-ci fait partie des instances que le ministère de la Justice promeut. L'une a été déployée à Marseille, une autre au Havre pour faire face à ces phénomènes.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je vous remercie pour vos explications. J'invite notre rapporteur à vous interroger.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie pour votre exposé très complet qui montre les points communs entre nos outre-mer et les singularités de chaque territoire, avec des problèmes parfois très aigus qui varient d'une collectivité à l'autre.

Je tiens également à saluer notre présidente qui nous écoute de loin et qui a vaillamment mis son réveil à 3 heures du matin pour suivre notre réunion.

Vous avez évoqué beaucoup de sujets. Je voudrais revenir sur l'adaptation des moyens. Vous avez ouvert la thématique mais vous n'êtes pas entré dans le détail. Je suis parfois surpris de voir à quel point nous sommes submergés dans certains de nos territoires par les problèmes d'insécurité. Vous les avez décrits et vous avez mis l'accent sur les menaces importées, qui sont très déstabilisatrices. Nos compatriotes ultramarins sont de plus en plus inquiets.

Les États voisins ont des systèmes judiciaires, je ne parle pas de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, à la fois défaillants mais aussi, quand ils les mobilisent, redoutablement efficaces au point d'être expéditifs. Certains délinquants qui font l'objet de poursuites au Brésil ou au Suriname trouvent refuge en Guyane.

Sur l'adaptation des moyens, quand nous manquons d'effectifs d'officiers de police judiciaire pour constater des délits ou des crimes, nous pourrions davantage recourir à d'autres services de l'État, je pense à la douane ou même à l'armée. Il y a en Guyane des équipes composées de fonctionnaires relevant de services différents. C'est une démarche intéressante. Est-ce qu'elle fonctionne bien ? Est-ce que vous en êtes satisfaits ?

Vous n'avez pas parlé des violences urbaines. Or, elles se développent, y compris dans des collectivités réputées plus stables que d'autres, par exemple à La Réunion, avec des violences sporadiques, difficiles à maîtriser. Quelle est votre vision de ce phénomène ? Il y a aussi des violences intrafamiliales, souvent liées aux phénomènes d'addiction. Quelle place prennent ces deux types de violences dans la politique pénale des territoires ultramarins ?

Enfin, la coopération internationale est fondamentale. Est-ce qu'elle donne des résultats vis-à-vis de la Dominique, de Sainte-Lucie, du Suriname ? C'est une question à laquelle nous sommes confrontés depuis longtemps. Vous pouvez peut-être nous dire également comment vous voyez la coopération avec les Comores.

M. Julien Retailleau. - Vous m'interrogez sur la manière dont les forces de sécurité intérieure parviennent à faire face aux flux et à coordonner leurs actions pour juguler les trafics et avoir l'ascendant sur les groupes criminels.

La Guyane est fortement marquée par l'implantation des réseaux criminels brésiliens et surinamais. Les forces armées déploient depuis plusieurs années une action spécifique, à l'occasion de différentes opérations, notamment l'opération Harpie dans la forêt guyanaise. Elles se coordonnent étroitement avec les services de la gendarmerie nationale qui prennent le relais des enquêtes pour démanteler un certain nombre de réseaux. On connaît la tension extrême autour de cette action qui a malheureusement abouti au meurtre d'un gendarme du GIGN en mars 2023. La JIRS de Fort-de-France s'est saisie de ces investigations pour démanteler ce réseau. Le préfet et le procureur général s'entendent sur la nécessité d'une coordination très forte entre l'ensemble des services pour démultiplier leur capacité d'action et leur force de frappe. Le maintien des forces armées sur place est jugé absolument indispensable pour soutenir les services de gendarmerie et de police au moment des interpellations. Une fois interpellés, les individus sont remis bien sûr aux officiers de police judiciaire et la procédure pénale s'applique, avec des résultats positifs. Le maintien en détention des criminels brésiliens peut être amélioré. Depuis la prison, ils continuent leur action et maintiennent leur emprise sur des territoires. De même, à leur sortie de la maison d'arrêt ils ne retournent pas tous au Brésil. Nous discutons avec les autorités brésiliennes d'une convention de transfèrement des prisonniers ce qui nous donnera la capacité de mettre à l'écart ceux qui sont susceptibles de générer durablement de la criminalité sur notre territoire.

Il y a aussi un enjeu de préservation du territoire et des frontières. Le territoire est immense et le contrôle des frontières nécessite des moyens extrêmement importants. Ces moyens ont été renforcés, notamment sur l'orpaillage illégal, mais aussi à la faveur des opérations « 100 % contrôle» effectuées notamment à l'aéroport de Cayenne pour s'attaquer au trafic de stupéfiants, l'objectif étant d'assécher les routes d'acheminement de la drogue depuis ce territoire vers l'Hexagone et de perturber, de déstabiliser les stratégies de saturation mises en oeuvre par les organisations criminelles. Cette stratégie consiste à mettre en tension les moyens de traitement, les capacités de placement en garde à vue et les capacités de placement en chambre d'expulsion. Cette action s'est accompagnée en septembre 2022 de l'augmentation substantielle des moyens de l'antenne de l'Office anti-stupéfiants (OFAST) de Cayenne et des douanes. Le tribunal de Cayenne a également été renforcé à la suite de la circulaire de politique pénale territoriale par la constitution d'un pôle dédié à la criminalité organisée. Un magistrat référent a été identifié. Il est en contact permanent avec la JIRS de Fort-de-France pour lui permettre de se saisir de ces dossiers mais aussi pour permettre à Cayenne d'être autonome dans le traitement de cette forme de criminalité et ainsi éviter que le traitement de ces dossiers ne soit déporté en Martinique.

Je n'ai en effet abordé les violences urbaines que par l'usage inquiétant des armes à feu qui se généralise aux Antilles, avec un taux de tentatives d'homicide voire d'homicide qui est très préoccupant, sans commune mesure avec ce que l'on observe dans l'Hexagone, et par l'usage d'armes blanches, notamment à Mayotte et à La Réunion. En Guyane, les violences urbaines sont liées au trafic de stupéfiants, avec des assassinats sur fond de vengeance, et aux violences intrafamiliales. Elles font l'objet d'une appropriation très puissante des parquets à l'échelle nationale. Ils ont développé des modalités de traitement, de suivi et d'action qui sont décuplés au travers des instances de coordination. C'est une politique qui donne des résultats, notamment par la mise en oeuvre des bracelets anti-rapprochement ou d'un certain nombre de mesures d'éloignement, avec certaines limites sur les territoires très contraints.

Face au développement des violences aux abords des établissements scolaires, le parquet de Cayenne a mis en place des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) qui associent l'ensemble des acteurs autour de la régulation des phénomènes et qui permettent d'avoir une action forte, ciblée de la part de l'autorité judiciaire.

La coopération internationale est un point clé. Nous avons affecté un magistrat au sein du parquet général de Fort-de-France qui est en charge de la dynamisation de la coopération régionale en rencontrant les autorités judiciaires locales, notamment à la Dominique et à Sainte-Lucie. La coopération c'est connaître et se connaître. Nous devons connaître les instruments qui nous permettent de mettre en oeuvre une coopération, une entraide efficace. Ces instruments peuvent être bilatéraux ou multilatéraux. Je me suis rendu au Suriname en décembre 2022 pour identifier les instruments multilatéraux sur lesquels nous pouvons nous adosser pour lutter contre le trafic de stupéfiants dans un cadre juridique de mise en oeuvre de la coopération judiciaire, tant en matière d'entraide qu'en matière d'extradition. Des commissions rogatoires internationales ont été adressées aux autorités surinamaises, qui ont également mis en place une coopération policière et douanière assez forte le long du fleuve Maroni pour identifier les trafics qui s'agrègent autour de l'orpaillage illégal et interpeller les individus avant leur traversée du fleuve.

Je vous transmettrai la liste des conventions qui nous lient aux différents États et celles qui sont en cours de négociation. Nous avons récemment signé une convention d'entraide pénale avec le Suriname et nous espérons qu'elle sera ratifiée au cours de l'année. C'est important car un certain nombre d'États comme le Suriname sont attachés à disposer d'un cadre juridique sécurisé dans la mise en oeuvre des opérations de coopération.

Le procureur général de Fort-de-France que vous rencontrerez la semaine prochaine vous décrira l'ensemble des initiatives qu'il a prises au cours des 6 derniers mois pour nouer des liens très forts avec les pays partenaires de la France.

Enfin, le garde des Sceaux a décidé de nommer un magistrat de liaison dans les Caraïbes. Il sera basé à Sainte-Lucie pour dynamiser l'action diplomatique et judiciaire avec l'ensemble de ces États. Les magistrats de liaison sont des facilitateurs de l'entraide et permettent de resserrer les liens. Un magistrat de liaison est en poste au Brésil. Il est également compétent pour le Suriname et pour la zone des États exportateurs de stupéfiants comme la Bolivie ou le Venezuela.

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'aimerais revenir sur la coopération internationale, notamment sur les conventions de transfèrement. Vous les avez évoquées pour la zone Caraïbe mais pas pour l'océan Indien, notamment entre la France et les Comores. Les faits que vous avez décrits sont particulièrement aigus dans cette zone. J'ajoute que la peine devant être dissuasive, si elle ne l'est pas suffisamment, cela influe sur la récidive. Un enfermement reste un enfermement, c'est terrible pour un être humain, mais le caractère dissuasif de la peine mérite d'être souligné. Une convention de ce type est-elle prévue avec les Comores ?

Sur l'aspect immobilier, lorsque le garde des Sceaux est venu à Mayotte, celui-ci a fait des déclarations sur la nécessité d'une nouvelle cité judiciaire, d'une deuxième prison et d'un centre éducatif fermé. Où en sont ces projets ? Aujourd'hui, les jeunes poursuivis à Mayotte et qui sont du ressort d'un centre éducatif fermé, sont transférés à La Réunion. À l'issue de leur enfermement, ils sont relâchés dans la nature, avec les conséquences que nous avons vues. Il me paraît plus qu'urgent que le centre éducatif fermé que tous les élus réclament depuis des années soit enfin construit.

Enfin, je m'interroge sur les reconnaissances de complaisance d'enfants. Reconnaître un enfant qui n'est pas le sien ne constitue pas un délit mais une fausse reconnaissance peut faire l'objet d'une action civile du procureur. Elle se transforme en délit de faux et usage de faux si elle s'accompagne de la remise d'un titre de séjour ou du versement d'argent. Cette pratique est massivement développée à Mayotte et a pour conséquence de favoriser l'immigration clandestine. Au moment où on parle de supprimer le droit du sol, si une lutte farouche contre les reconnaissances de complaisance n'est pas menée, on passera du droit du sol au droit du sang. Quelle attention particulière portez-vous à cette situation qui dégrade encore plus la situation à Mayotte ? Les lois existantes sont-elles correctement appliquées ?

M. Julien Retailleau. - Dans l'océan Indien, la France est liée par une convention d'entraide judiciaire en matière pénale et par une convention d'extradition avec Maurice qui ont été signées le 10 novembre 2022. Elles ont été ratifiées par Maurice le 19 mai 2023 et par la France le 6 février 2024. Elles entreront en vigueur le 1er mai prochain.

Nous ne disposons pas de convention bilatérale avec les Comores mais nous nous appuyons sur des conventions multilatérales. En février 2014, une convention d'entraide judiciaire avait été signée avec Moroni mais si elle a été ratifiée par la France, les Comores n'ont pas mené les démarches permettant son entrée en vigueur. Cependant, les autorités administratives et diplomatiques se coordonnent, notamment pour empêcher des arrivées à Mayotte.

Le procureur de la République et le procureur général sont très investis sur le sujet de la fraude documentaire qui nécessite une action coordonnée avec l'ensemble des services amenés à constater des situations de fraude manifeste. C'est un point majeur et prioritaire, qui est abordé dans le cadre du comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF). Les reconnaissances de complaisance sont placées dans un circuit de traitement judiciaire.

Le garde des Sceaux a en effet fait des annonces sur les projets immobiliers. Je ne dispose pas d'éléments plus précis puisque ce sujet ne relève pas de ma direction. Cependant, je reconnais que l'absence de centre éducatif fermé peut constituer un frein à la réponse pénale à la délinquance des mineurs, même si ces sujets relèvent parfois des compétences législatives et réglementaires des autorités locales.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Mayotte est un département !

M. Julien Retailleau. - Je pensais à la Nouvelle-Calédonie.

M. Saïd Omar Oili. - Je vous ai écouté avec attention mais je sortirai de cette audition plus inquiet. Il est très compliqué de rendre la justice à Mayotte car il faut des interprètes parce que de nombreux Mahorais ne parlent pas français, même si Mayotte est française depuis 1841. Les interprètes doivent désormais disposer d'une licence pour exercer alors que pour parler mahorais nous n'avons pas besoin de ce niveau. Nous manquons également d'avocats, ce qui conduit le tribunal à renvoyer un grand nombre d'affaires. Nous n'avons plus de cour d'appel, les dossiers sont traités par celle de La Réunion.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas incarcérer les mineurs puisque la prison n'offre que 278 places pour 600 détenus. Ils portent des bracelets électroniques mais ils habitent dans des quartiers où il n'y a pas de réseau. Quand j'étais maire, ils venaient souvent me demander de les aider à enlever leur bracelet alors qu'ils devaient être dans leur quartier situé à 1 ou 2 kilomètres. Ils se promènent librement et risquent de commettre de nouvelles actions violentes.

À Mayotte, la sanction pour les immigrés clandestins est l'expulsion. Or, ils reviennent souvent dès le lendemain de leur expulsion.

Vous avez parlé des violences urbaines. Combien de condamnés à Mayotte sont aujourd'hui incarcérés à La Réunion ? Par ailleurs, une fois leur peine purgée, restent-ils à La Réunion ?

M. Julien Retailleau. - La visite du directeur des affaires criminelles et des grâces à Mayotte le mois dernier a permis de poser un certain nombre de diagnostics avec les autorités judiciaires locales.

Le Code de procédure pénale, depuis novembre 2023, autorise le recours en urgence à un interprète par visioconférence ou tout autre moyen de communication. Je reconnais qu'il est difficile sur le territoire de Mayotte de trouver des interprètes mais aussi des avocats ou des médecins prêts à se déplacer en garde à vue. Ces éléments mettent en tension la capacité de traitement des affaires par la chaîne pénale mahoraise.

Je ne dispose pas des chiffres sur le nombre de détenus mahorais à La Réunion mais je m'efforcerai de les obtenir pour vous les transmettre, comme ceux portant sur les suites de l'incarcération. Nous devons mettre en place une politique dynamique d'aménagement des peines et de réinsertion, ce qui nécessite de doter l'ensemble du secteur de la probation de suffisamment de moyens. Les projets de réinsertion sont complexes à mettre en oeuvre en raison des difficultés de l'habitat, des difficultés pour trouver un travail ou pour s'inscrire à des formations sur des territoires où l'offre est limitée.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je donne la parole à deux autres collègues mais je vous invite à leur répondre par écrit.

Mme Jocelyne Guidez. - Le trafic d'armes à la Martinique est en constante augmentation et rien n'indique une diminution. De même, les échanges de petits sachets de drogue se déroulent devant nos yeux, ce qui est nouveau, et les revendeurs font preuve d'une certaine agressivité avec les touristes. Les forces de l'ordre sont absentes des plages et ce phénomène est en augmentation.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je reste sur ma faim car vous n'avez donné aucune statistique. J'attendais plus de détails, que j'espère obtenir par écrit, sur le type de délinquance dans les territoires ultramarins par rapport à l'Hexagone.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Il y a quelques jours le syndicat FO pénitentiaire de La Réunion a tiré la sonnette d'alarme sur la situation de surpopulation carcérale. Le centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion héberge 800 détenus pour 560 places. 86 détenus sont contraints de dormir à même le sol. Dans le même temps, le syndicat pointe une baisse d'effectifs, alors que la population carcérale n'a jamais été aussi importante. Nous ne comprenons pas cette politique. Il y a un entassement de petites peines et bon nombre de détenus ne sont même plus éligibles aux aménagements de peine. Cette surpopulation carcérale conjuguée à la baisse des moyens produit de l'insécurité dans nos prisons.

Dans quelle mesure le ministère de la Justice serait prêt à travailler avec ses services déconcentrés pour une amélioration concrète des conditions de travail des agents pénitentiaires et des conditions de vie des détenus ?

Le manque de personnel dans nos centres pénitentiaires n'est pas le résultat d'un manque de vocation. Les Réunionnais dans la pénitentiaire sont nombreux dans l'Hexagone et nombre d'entre eux attendent une mutation pour un retour dans leur département d'origine où les besoins sont importants. Comptez-vous abonder les effectifs de ces centres ? Une nouvelle politique de mutation pour le retour de nos agents au pays est-elle envisagée ?

Mme Solanges Nadille. - Je vous remercie pour votre présentation. Connaissez-vous la Guadeloupe ? Connaissez-vous la dimension archipélagique de la Guadeloupe ? Que faites-vous contre les menaces importées ?

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie de vos constats qui sont très préoccupants pour nos territoires. Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont deux petites îles et je rejoins ce que disait notre collègue Solanges Nadille sur la dimension archipélagique. Nous dépendons du tribunal judiciaire de Basse-Terre. Saint-Martin et Saint-Barthélemy disposent d'un commandement de gendarmerie, d'une préfecture. Quand comptez-vous ouvrir un tribunal judiciaire sur ces territoires ?

M. Georges Naturel. - Il existe en Nouvelle-Calédonie, depuis 1982, des assesseurs coutumiers. Il serait intéressant que nous disposions d'un bilan de ce type de fonction pour ajuster le dispositif.

Nous réclamons tous des centres fermés mais les moyens budgétaires dont dispose le ministère rendent difficile leur construction. Avec mon collègue Robert Wienie Xowie, j'ai écrit au garde des Sceaux pour lui proposer de mettre en place une réinsertion, notamment des jeunes, via le travail agricole. Nous attendons sa réponse.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - La Présidente suggérait que vous répondiez par écrit car nous faisons attendre vos collègues de la Chancellerie depuis un quart d'heure.

M. Julien Retailleau. - Je dispose bien entendu de toutes les statistiques mais je ne voulais pas alourdir mon propos. Les violences représentent par exemple 18 % de la structure du contentieux au niveau national mais 30 % en outre-mer.

Nous nous déplaçons dans les ressorts des cours d'appel pour faire des diagnostics et voir comment les procureurs généraux et les procureurs de la République s'emparent des structures du contentieux pour développer les moyens de l'action judiciaire.

Enfin, le renforcement par les brigades a permis d'apurer les contentieux comme les violences urbaines ou le trafic de stupéfiants.

La Guadeloupe fait face à des menaces très importantes en lien avec le trafic de stupéfiants. La JIRS de Fort-de-France est très engagée sur ce sujet et l'instance de coordination qui sera mise en place par le procureur général de Fort-de-France a pour objectif de lutter contre ces trafics. Par ailleurs, une antenne de l'OFAST a été déployée en Martinique et des opérations « 100 % contrôle » sont menées sur ces territoires. Le procureur de la République est pleinement engagé dans ces opérations, d'autant plus que la délinquance qui gravite autour de ces trafics génère une forme de violence et d'insécurité qu'il est impératif de juguler.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous vous remercions pour vos réponses.

Étude sur l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer - Audition de MM. Paul Huber, directeur des services judiciaires, et de Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice

Mme Annick Petrus, présidente. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous poursuivons nos auditions sur le thème de la justice outre-mer. Après l'audition de M. Julien Retailleau, qui a principalement porté sur la politique pénale outre-mer, nous recevons M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, et M. Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice.

Je vous prie d'excuser l'absence de notre présidente qui a dû rentrer à Saint-Barthélemy mais qui nous suit à distance en visioconférence.

Comme je le rappelais tout à l'heure, la question de la justice outre-mer entre naturellement dans le périmètre de notre mission d'information.

La délégation aux outre-mer auprès du secrétariat général est une création de juillet 2023. Elle témoigne d'une prise de conscience assez récente du ministère de la Justice des spécificités et contraintes propres aux outre-mer. La première journée de la justice outre-mer organisée par votre ministère le 26 mars dernier en est une autre illustration.

Me Patrick Lingibé, que nous avons auditionné il y a deux mois, avait fait part de l'insuffisante prise en considération des outre-mer à l'occasion des États généraux de la Justice.

Messieurs, vous nous direz à vos différents niveaux de responsabilité ce qu'il en est désormais et quelles sont les évolutions profondes en cours ou à l'étude.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis. Nos interrogations portent notamment sur l'attractivité des emplois outre-mer, l'adaptation des moyens, en particulier à Mayotte et en Guyane, mais aussi sur la carte judiciaire ou la manière d'exercer ses fonctions outre-mer. Le rôle, les moyens et les objectifs de cette nouvelle délégation outre-mer du ministère de la Justice sont également à préciser.

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Vous avez la parole pour une quinzaine de minutes.

M. Paul Huber, directeur des services judiciaires du ministère de la Justice. - Merci beaucoup pour votre invitation. L'invitation que vous avez adressée au ministère de la Justice était plutôt pour notre délégué ministériel aux outre-mer mais au regard des questions que vous nous avez transmises, Mme la secrétaire générale a souhaité que je participe à cette audition. En effet, un grand nombre de questions concernent l'adaptation de l'organisation judiciaire et l'accompagnement des magistrats et des fonctionnaires.

Le ministère de la Justice est très investi sur les sujets outre-mer. Vous avez évoqué la journée du 26 mars qui était une première et je remercie les parlementaires qui y ont participé. Pour la première fois, nous avons réuni l'ensemble des acteurs de la justice outre-mer.

La direction des services judiciaires s'est énormément investie ces dernières années sur l'ensemble des sujets outre-mer, avec un certain nombre d'innovations qui intéressent le reste de la fonction publique et la direction générale des outre-mer, notamment sur l'accompagnement RH renforcé ou les dispositifs mis en place pour les cours d'appel qui font face à un certain nombre de difficultés d'attractivité.

Je me suis rendu dans toutes les cours d'appel outre-mer, il me reste à visiter la juridiction de Saint-Pierre-et-Miquelon. J'ai pu mesurer les très fortes attentes et cette impression d'isolement et d'éloignement vis-à-vis de l'administration centrale. J'ai également demandé à mes équipes d'être bien plus présentes sur certains territoires, notamment en Guyane et à Mayotte. Presque tous les 6 mois, mes sous-directeurs se rendent dans ces territoires pour rencontrer les agents et les chefs de cours et suivre l'ensemble des évolutions que nous essayons de mettre en place.

Le ministère de la Justice investi énormément sur les sujets immobiliers, tous les territoires ultramarins ont des projets immobiliers importants mais je tiens surtout à revenir sur l'accompagnement RH.

Nous avons constaté que les cours d'appel outre-mer n'avaient pas les mêmes problématiques. Certaines sont très attractives, d'autres pas du tout. Il faut donc que nous ajustions notre accompagnement et notre politique au regard des différentes situations. Ma priorité a été d'accompagner les cours d'appel de Cayenne et Saint-Denis de La Réunion et le tribunal judiciaire de Mamoudzou à Mayotte au regard de leurs difficultés de recrutement. Nous avons mis en place un accompagnement RH renforcé avec des priorités d'affectation. Un agent qui accepte de partir dans ces ressorts pendant une durée minimum de 3 ans bénéficie d'une priorité d'affectation dans le ressort de son choix. C'est un dispositif innovant, qui a été mis en place pour les magistrats depuis presque 3 ans du fait de nos règles particulières. Nous commençons à avoir des résultats positifs même si la situation à Mamoudzou a pu complexifier l'arrivée de magistrats dans le cadre de cet accompagnement RH renforcé. Cependant, les auditeurs de justice sont en train de choisir leur premier poste et nous avons bon espoir que certains choisissent Mayotte grâce à notre dispositif d'accompagnement.

Nous l'avons combiné avec des nominations pour des durées courtes, de 6 mois pour la magistrature et de 3 mois pour les fonctionnaires (greffiers, directeurs des services de greffe) sur ces deux territoires qui rencontrent des difficultés d'attractivité. Elles ont été construites en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature puisqu'elles nécessitent des décrets de nomination pour une durée de 6 mois et des retours sur le poste d'origine. Nous parlons de brigades de soutien de magistrats et de fonctionnaires. Nous les avons étendues aux juridictions de la cour d'appel de Bastia qui font face à des problématiques similaires d'attractivité.

Nous avons souhaité compléter ces mesures dans la loi organique du 20 novembre 2023 par un dispositif d'intervention immédiate en cas d'événements posant des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire et de continuité du service public de la justice. Nous avons rencontré de tels événements en Martinique et en Guadeloupe il y a un ou deux ans. Si les magistrats ne peuvent pas se rendre au tribunal alors qu'il y a une vraie nécessité de continuité du service public de la justice pour faire face à des événements, il faut que nous puissions soutenir l'activité juridictionnelle. La loi organique nous permet d'envoyer des renforts depuis les cours d'appel de Paris et d'Aix-en-Provence pour soutenir rapidement les juridictions en difficulté.

Ces dispositifs très particuliers sont propres à la magistrature. Nous avons évoqué leur extension aux fonctionnaires qui dépendent de la direction générale des outre-mer et de la direction générale de la fonction publique. C'est une manière de répondre aux difficultés d'attractivité des cours d'appel et nous examinons la possibilité de l'étendre selon les situations aux différentes cours d'appel ultramarins.

Nous avons étendu le dispositif d'accompagnement RH renforcé à quelques juridictions de l'Hexagone qui n'avaient aucun candidat aux postes de premier grade. C'est une nouvelle stratégie pour répondre aux problématiques d'attractivité.

Pour d'autres cours d'appel, nous sommes confrontés à une difficulté inverse. Les magistrats restent beaucoup trop longtemps sans y avoir d'attaches matérielles ou familiales. Le Sénat avait proposé, dans le cadre du débat parlementaire sur le statut de la magistrature, une disposition qui limitait à 10 ans l'exercice dans toutes les juridictions. Cette disposition n'a pas été retenue dans le projet final mais il y a toujours un sujet de durée d'affectation dans certaines juridictions outre-mer que nous devons combiner avec la nécessité pour ceux qui sont originaires de ces territoires et qui y ont des intérêts matériels et moraux de pouvoir s'y installer.

Les enjeux ne sont pas les mêmes pour les fonctionnaires et pour les magistrats. Il n'y a plus de magistrats kanaks et seulement un magistrat polynésien. Nous cherchons pourtant à recruter des magistrats qui connaissent les enjeux de ces territoires. Nous avons un travail à mener avec les universités pour attirer et accompagner des candidats.

La magistrature n'a pas bénéficié des dispositifs qui existent pour les fonctionnaires de limitation de durée d'exercice dans certaines cours d'appel, comme en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française. Nous réfléchissons à aligner la magistrature sur ces règles car il n'y a aucune raison qu'un magistrat reste 15 ou 18 ans en Polynésie française, alors que les fonctionnaires doivent repartir plus rapidement.

Vous m'avez demandé d'être succinct, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions mais je tenais à signaler l'engagement de la direction des services judiciaires sur les différentes cours d'appel et vous faire part des innovations que nous avons mises en place pour soutenir l'attractivité des juridictions.

M. Fabien Neyrat, délégué pour les outre-mer, secrétariat général du ministère de la Justice. - Je vous remercie de m'avoir invité. Le poste de délégué pour les outre-mer est une création récente, j'ai pris mes fonctions en avril 2023. Cette initiative souligne la volonté du ministère de se doter d'un appareil administratif en lien avec les outre-mer pour adapter les fonctions ministérielles aux spécificités et aux besoins de ces territoires. Avant mon arrivée, un certain nombre de coordinateurs territoriaux du secrétariat général avaient été déployés. Ils relaient localement les missions du secrétariat général. Nous disposons actuellement d'un coordinateur océan Indien qui couvre La Réunion et Mayotte, basé à La Réunion, d'une coordinatrice nommée en septembre 2023 pour les Antilles, basée en Guadeloupe et d'une coordinatrice en Guyane. Il y a également dans tous les territoires deux techniciens informatiques qui sont le relais de proximité du secrétariat général et un assistant des services sociaux.

En 2019, l'inspection générale de la Justice a été missionnée pour réfléchir à l'organisation du secrétariat général du ministère pour les outre-mer. En 2017, les directions interrégionales du secrétariat général ont été mises en place dans l'Hexagone. Elles regroupent, autour d'un délégué, entre 50 et 60 agents, et ont pour mission de reproduire en proximité les fonctions du secrétariat général. C'est dans ce cadre qu'une première réponse a été apportée avec la création d'une délégation qui préfigure le modèle organisationnel le plus optimal et le plus efficace pour répondre aux besoins ultramarins.

Ma première mission a été d'élaborer un plan d'actions ministériel outre-mer. J'ai travaillé avec les juridictions et l'ensemble des directions qui répondaient déjà aux besoins ultramarins. Ce plan a permis de faire un état des lieux des mesures de convergence, comme un accompagnement renforcé des magistrats. Nous nous interrogeons sur la transposabilité de ce modèle pour d'autres corps du ministère de la Justice, comme la direction générale des services, la direction de l'administration pénitentiaire et les éducateurs.

Il y a également une forte dynamique pour investir davantage le champ interministériel, notamment pour nouer un lien plus étroit avec la direction générale des outre-mer dans l'élaboration de la norme et pour rappeler les positions du ministère de la Justice. J'ai ainsi mis en place un certain nombre de réunions bilatérales annuelles entre la secrétaire générale du ministère de la Justice et le directeur général des outre-mer. Nous avons par exemple signé la charte interministérielle de la mobilité et nous en déclinerons la plupart des mesures au sein des directions et des services.

La secrétaire générale a souhaité se déplacer dans les territoires ultramarins. Elle s'est rendue en Guyane où le ministère pilote son projet immobilier le plus important dans les outre-mer avec la cité judiciaire à Saint-Laurent du Maroni. Elle est récemment allée à La Réunion et à Mayotte qui connaît actuellement une crise hydrique et sécuritaire.

Enfin, nous avons mis en place cette première journée du ministère de la Justice en outre-mer qui avait pour ambition de réunir tous les acteurs du ministère qui ne se connaissent pas forcément et ne connaissent pas les spécificités d'un territoire à un autre. C'était un moment important pour montrer l'ambition du ministère de la Justice en outre-mer. Les parlementaires et les professions du droit étaient invités le matin et l'après-midi a été consacrée aux mesures que nous mettons en place pour répondre aux besoins extrêmement divers.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je vous remercie et passe la parole à notre rapporteur.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie Monsieur le directeur et Monsieur le délégué pour cette introduction.

La situation est préoccupante. Nous avons vu avec M. Julien Retailleau que nous avons auditionnée avant vous qu'il y avait une augmentation du nombre d'affaires criminelles, de nombre de délits, de violences intrafamiliales, de violences urbaines et de trafics de stupéfiants. Face à cela, nous constatons une difficulté, que vous ne nous cachez pas, de recrutement pour des affectations dans un certain nombre de juridictions. Nous en avons la confirmation quand nous nous déplaçons en voyant que beaucoup de nos magistrats outre-mer sont débordés par la tâche.

Vous nous signalez à la fois que sur certains postes vous n'arrivez pas à trouver des candidats et que sur d'autres postes il y a une insuffisante mobilité, ce qui ne permet pas d'apporter du sang neuf.

Nous constatons que vous déployez de nouveaux outils, avec des affectations temporaires et les fameuses brigades de soutien. Il y a également de nouvelles dispositions législatives, avec le nouvel article 27-2 de l'ordonnance de 1958.

Ces moyens sont-ils vraiment à la mesure des difficultés que le service public de la justice rencontre, peut-être pas dans tous les outre-mer mais dans certains d'entre eux qui sont particulièrement exposés à une augmentation du nombre d'affaires à traiter ? Pouvez-vous détailler l'évolution des emplois ouverts et des vacances depuis peut-être 10 ou 15 ans ? Est-ce que l'action du ministère a porté ses fruits ? Faut-il passer à la vitesse supérieure et s'interroger sur un bouleversement des règles, sans abaisser le niveau requis des magistrats qui doit être partout le même sur le territoire national ?

Je souhaite que nous partions d'un constat chiffré, même si les chiffres n'épuisent pas la représentation de la réalité, pour voir si véritablement nous apportons des réponses à la mesure du problème, si au contraire, il s'aggrave ou s'il reste en l'état.

M. Paul Huber. - Nous sommes déjà passés à la vitesse supérieure, avec les dispositifs innovants que nous avons mis en place pour la magistrature pour faire face aux problématiques de certaines cours d'appel. Les cours d'appel et les juridictions outre-mer font l'objet d'une attention toute particulière sur leurs effectifs. Au début du mois d'avril il n'y avait quasiment aucun poste vacant dans les juridictions outre-mer, à l'exception de Basse-Terre. Toutes les autres juridictions ont des postes en surnombre. Nous avons, plus que dans l'Hexagone, la volonté de ne laisser aucun poste vacant. Par ailleurs, les effectifs ont augmenté au cours des dernières années beaucoup plus rapidement que dans l'Hexagone avec une hausse de 23 % sur 10 ans. Je pourrai vous communiquer les chiffres par ressort. À Cayenne, où nous avons pourtant un problème d'attractivité, le nombre de magistrats a augmenté de 53 %, de 15 % à Saint-Denis de La Réunion ou encore de 29 % à Fort-de-France.

Le garde des Sceaux a annoncé la semaine dernière une nouvelle augmentation des effectifs dans le cadre du plan quinquennal à la suite de l'adoption par le Parlement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Ce plan prévoit une augmentation d'environ 15 % des effectifs de toutes les juridictions outre-mer.

En 2022, il avait annoncé un plan d'actions spécifique pour la Guyane et pour Mayotte, avec un accompagnement RH particulier, sur le logement, l'aide au déménagement, l'accompagnement du conjoint, la recherche d'établissements scolaires, etc. Nous avons mis en place un marché public pour aider les magistrats qui arrivent en outre-mer. D'abord réservé aux chefs de juridiction, le bénéfice de cet accompagnement a été étendu à tous les magistrats. Nous avons également déployé des dispositifs de rémunération et d'action sociale que je détaillerai dans ma réponse écrite.

La magistrature a innové, c'est important de le souligner parce qu'on lui reproche parfois de ne pas le faire suffisamment. Mayotte et la Guyane bénéficient de dispositifs qu'on ne retrouve pas ailleurs pour l'instant dans le reste de la fonction publique. J'ai échangé avec le directeur général des outre-mer qui est intéressé par ces dispositifs de contrat de mobilité, de priorité d'affectation après une période de 3 ans en outre-mer car nous avons besoin d'une continuité du service public, avec les mêmes enjeux de qualité que dans l'Hexagone.

Entre 2021 et 2023, 62 magistrats ont bénéficié de cet accompagnement RH renforcé et 29 magistrats sont partis dans le cadre des brigades renforcées à Cayenne et à Mamoudzou. Cependant, envoyer des magistrats pour 6 mois ne nous satisfait pas. Le vrai sujet est l'attractivité et nous devons trouver des systèmes incitant les magistrats à s'inscrire dans la durée. Certains magistrats partis en brigade ont décidé de rester. Nous avons tout un travail de connaissance à mener, d'information préalable sur les enjeux que traversent les cours d'appel que nous essayons de renforcer. Quand nous proposons des postes aux auditeurs de justice, nous les informons très longtemps en avance pour qu'ils puissent se projeter sur une première prise de fonction en outre-mer.

Avec l'École nationale de la magistrature nous avons construit des formations spécifiques « être magistrat en outre-mer » pour mieux accompagner, mieux anticiper et attirer des candidatures. De la même manière, nous sommes extrêmement prudents sur la sélection des magistrats et des fonctionnaires vers les outre-mer. Il y a souvent beaucoup de raisons personnelles qui peuvent jouer, il y a tous ceux qui sont en rapprochement familial, qui ont des intérêts matériels et moraux, mais il y a aussi ceux qui peuvent projeter avec un départ en outre-mer la résolution de difficultés personnelles. Nous devons veiller à ce que les prises de fonction en outre-mer ne conduisent pas à des échecs. Nous en avons connu et nous avons appris de ces difficultés, avec une meilleure sélectivité des profils.

Nous faisons du sur-mesure et nous sommes donc passés à la vitesse supérieure.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Quand vous envoyez 29 magistrats dans les brigades de soutien, la décision d'affectation passe-t-elle par le Conseil supérieur de la magistrature ?

M. Paul Huber. - Ces départs s'inscrivent dans les règles de nomination des magistrats. Ils sont nommés sur une proposition du garde des Sceaux après avis du Conseil supérieur de la magistrature, conforme ou favorable selon qu'il s'agit de magistrats du siège ou du parquet. Ces postes répondent à un appel à candidatures spécifique. Les magistrats partent 6 mois et candidatent rapidement pour la mobilité suivante pour laquelle ils feront l'objet d'une nouvelle proposition de nomination, avec un nouvel avis et un nouveau décret comme nous en sommes convenus avec le Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons sélectionné des magistrats qui avaient une véritable expérience d'encadrement, notamment intermédiaire, ou dans des domaines techniques particuliers. Nous lançons des appels à candidatures très profilés.

Ce dispositif a été décliné pour les fonctionnaires, pour les greffiers et les directeurs des services de greffe, sur des délégations plus courtes de 3 mois renouvelables une fois, avec un appel à candidatures annuel.

Enfin, ces magistrats et ces fonctionnaires bénéficient d'un accompagnement particulier.

Mme Solanges Nadille. - Je vous remercie pour votre présentation. Je note que les magistrats qui postulent pour la Guadeloupe et pour les territoires ultramarins sont très accompagnés.

L'augmentation des effectifs est-elle liée comme pour la police à celle de la population ?

M. Paul Huber. - L'augmentation est calculée sur plusieurs critères. Tout d'abord, il était nécessaire de procéder à un rattrapage. Nous avons également pris en compte les enjeux de criminalité et les spécificités de certaines cours d'appel, notamment celle de Fort-de-France qui accueille la JIRS et qui était saturée. Enfin, pour la construction des effectifs dans le plan quinquennal, nous avons élaboré une méthodologie qui prend en compte l'augmentation de la population et les indicateurs de l'Insee qui peuvent avoir un impact direct sur le besoin de justice dans les territoires.

Mme Solanges Nadille. - Je suis d'accord sur le rattrapage mais je ne pense pas que les effectifs augmenteront en Guadeloupe puisque la population diminue.

M. Paul Huber. - Nous ne regardons pas uniquement les critères démographiques, nous nous intéressons aux critères sociaux et économiques.

M. Saïd Omar Oili. - La loi « asile et immigration » de 2018 et plus particulièrement l'amendement de mon collègue Thani Mohamed Soilihi limitant l'accès à la nationalité française pour les étrangers résidents à Mayotte ont-ils eu des effets sur les flux migratoires à Mayotte ? Quel est le bilan de cet amendement ? Combien de personnes ont-elles été exclues du droit de naturalisation ? Quel est le nombre de contentieux en cours ?

Allez-vous construire une nouvelle prison à Mayotte ou agrandir celle qui est en service ?

Enfin, dans le cadre de la préparation de l'opération Wuambushu 2, les services du ministère de la Justice ont-ils été consultés pour renforcer les moyens en direction des mineurs dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ?

M. Paul Huber. - Je ne dispose des chiffres pour répondre à votre première question. Je vais regarder qui pourra vous communiquer ces éléments sur le flux migratoire. Je peux cependant vous dire que les enjeux sont majeurs et que le déplacement du garde des Sceaux a permis de débloquer un certain nombre de sujets dans les échanges avec les élus, notamment sur la cité judiciaire et sur les logements pour les magistrats et les fonctionnaires. L'impact de Wuambushu 1 et de Wuambushu 2 a été bien évidemment travaillé au niveau interministériel pour que nous adaptions les effectifs aux différentes opérations. La situation à Mayotte nous a conduit à mettre en place une cellule de crise avec les chefs de juridiction et la zone de défense et nous avons adapté nos effectifs et notre organisation à ces enjeux.

M. Fabien Neyrat. - Sur le centre éducatif fermé (CEF) de Mayotte et le second établissement pénitentiaire, la décision est passée en réunion interministérielle. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) va préparer un travail de communication avec les élus sur le CEF. Je ne peux pas être plus précis mais je compléterai cette réponse par écrit après avoir interrogé le directeur de l'administration pénitentiaire.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Les questions que je voulais poser sur l'immobilier (CEF, cité judiciaire, 2e prison) ont déjà été évoquées. Ce sont des infrastructures majeures. Si elles ne voient pas le jour rapidement, la réponse judiciaire, notamment la réponse pénale n'aura pas de sens. Aujourd'hui, nous sommes obligés de composer avec La Réunion ou l'Hexagone et cette politique a des limites. Je suis preneur de précisions écrites sur l'avancement de ces chantiers.

En outre-mer, l'entretien des bâtiments coûte plus cher que dans l'Hexagone en raison du climat. Le coût de cet entretien est-il pris en compte dans la programmation budgétaire ?

M. Paul Huber. - Les chantiers immobiliers sont extrêmement nombreux sur l'ensemble des outre-mer et notamment à Mayotte. L'APIJ s'est déplacée pour rencontrer l'ensemble des acteurs locaux et échanger sur la cité judiciaire avec les chefs de cour et les chefs de juridiction. Nous pourrons vous communiquer les résultats de cette visite.

Je vérifierai que le coût d'entretien des bâtiments est bien pris en compte dans nos budgets. Nous recrutons des techniciens immobiliers qui assurent la maintenance immobilière et accompagnent les projets immobiliers. Ils font le lien avec l'APIJ et les services du secrétariat général.

M. Fabien Neyrat. - Nous avons pris des mesures importantes et fortes sur l'immobilier, qui est un sujet de préoccupation majeure. L'adaptation et la structuration de la fonction immobilière du ministère de la Justice pour les outre-mer est la priorité du secrétariat général et de la délégation.

L'APIJ gère la construction des grands projets immobiliers mais elle a aussi, contrairement à l'Hexagone, la mission de gros entretien et de réparation (GER) du patrimoine immobilier de la justice en outre-mer pour les travaux dont le montant est compris entre 150 K€ et 1 M€. Cela n'est pas sans poser de difficultés parce que l'APIJ n'est pas toujours à l'aise pour piloter des projets modestes, son ingénierie étant adaptée aux gros projets. Nous disposons d'un coordinateur de proximité dans les territoires, qui est l'interface entre les utilisateurs finaux et l'APIJ. Il remonte les difficultés, priorise certains éléments et son rôle est extrêmement précieux. Par exemple, pour la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par l'APIJ, le coordinateur a siégé dans les différents comités techniques pour faire entendre la voix du ministère de la Justice.

Enfin, nous travaillons sur la mise en place d'un département immobilier outre-mer au sein du ministère à l'instar des délégations hexagonales. Un préfigurateur est en cours de recrutement et proposera un modèle d'organisation avant la fin de l'année.

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je souhaite vous interroger sur l'accès à la formation professionnelle des personnes placées sous-main de justice en outre-mer et sur les moyens que le ministère accorde à cette politique.

Le financement de ces actions de formation a été confié aux régions il y a bientôt 10 ans mais elles sont pilotées par un partenariat entre la région, les chefs d'établissement pénitentiaire et la direction des services pénitentiaires de l'insertion et de la probation. Quels moyens mettez-vous en place à travers la convention qui est signée pour organiser cette politique publique au regard de la surpopulation carcérale en outre-mer et du chômage endémique ? En effet, pour être vraiment utiles, les actions de formation professionnelle doivent être corrélées à des perspectives de débouchés professionnels. Cela implique une adaptation, un dialogue entre la confection de ces programmes de formation et la réinsertion des détenus puisque la finalité de la prison est de permettre la réinsertion et de lutter contre la récidive.

M. Paul Huber. - Je ne peux malheureusement pas répondre à votre question. Je la transmettrai à mon collègue en charge de l'administration pénitentiaire et je vous communiquerai sa réponse par écrit. Il se tient également à votre disposition comme la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Avant de conclure et de remercier nos deux intervenants, j'observe que ce sont souvent des débutants qui sont envoyés à Mayotte. Je crains que faire débuter de jeunes magistrats dans des départements très complexes ne les démotive. Par ailleurs, envoyer des magistrats dans une juridiction dans laquelle ils n'avaient pas forcément envie d'aller en leur offrant la possibilité d'intégrer la juridiction de leur choix après 3 ans risque de conduire à l'affectation de personnes qui ne seront pas très motivées. Nous avons eu un incident à Saint-Barthélemy en mars 2023. Une altercation assez vive entre une juge et un procureur montrait de manière flagrante qu'elle n'était pas intéressée par les sujets qu'elle avait à traiter. Elle a repoussé 30 dossiers lors d'une audience foraine et n'avait manifestement pas envie de venir à Saint-Barthélemy.

Au regard de la complexité des affaires à traiter en outre-mer, il serait peut-être plus judicieux d'affecter des magistrats aguerris ayant une grande expérience.

M. Paul Huber. - Le cas dont vous venez de parler n'est pas admissible mais la juge n'était pas une jeune magistrate. Elle avait une certaine expérience professionnelle. C'est pourquoi nous sommes très attentifs aux motivations des magistrats qui candidatent sur des postes outre-mer. Nous devons redoubler de vigilance. Ce n'est pas parce que nous rencontrons des difficultés d'attractivité dans certaines juridictions que nous devons y envoyer des magistrats sans vérifier les raisons pour lesquelles ils acceptent d'y aller. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs d'entretiens préalables mais aussi du mentorat et du coaching pour mieux accompagner ces magistrats. Il peut y avoir des loupés mais nous redoublons d'attention et de vigilance avant de proposer un magistrat à la mobilité.

Tous les magistrats qui partent en outre-mer bénéficient d'un accompagnement RH renforcé et font l'objet d'un entretien préalable pour vérifier les raisons pour lesquelles ils partent. Parfois nous constatons qu'ils ne connaissent pas suffisamment les enjeux locaux et qu'ils veulent partir pour de mauvaises raisons. Nous sommes très vigilants et le Conseil supérieur de la magistrature réalise également des contrôles.

Je ne souhaite pas envoyer des auditeurs de justice de manière contrainte vers ces juridictions. Je suis d'accord avec vous, ce n'est pas comme cela que nous pouvons assurer un bon fonctionnement de ces juridictions. Les enjeux sont extrêmement lourds et nécessitent de l'expérience. Si nous continuons à proposer ces postes aux auditeurs de justice c'est parce que nous n'avons pas d'autre choix pour faire face à ces défauts d'attractivité.

C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place toute une stratégie parallèle de renforcement de cette attractivité, avec des accompagnements individuels, les brigades ou l'accompagnement RH. À terme, nous espérons pouvoir éviter de proposer ces postes aux auditeurs de justice. Il est clair que nous n'enverrons pas à Mayotte, surtout en ce moment, des auditeurs de justice de manière contrainte. Nous ne voulons pas les mettre en échec et risquer des rappels.

L'enjeu est que les postes soient attractifs pour les magistrats qui ont de l'expérience. Les brigades nous permettent de constater que des collègues qui hésitent partent 6 mois et décident de rester, notamment sur l'encadrement intermédiaire pour les postes de vice-président, de vice-procureur ou de procureur adjoint.

M. Fabien Neyrat. - Je me permets d'ajouter que pour augmenter l'attractivité des juridictions des outre-mer nous allons regrouper en juin 2024 l'ensemble des partants outre-mer des trois directions et leur proposer en partenariat avec la chaire Sciences Po outre-mer et la direction générale des outre-mer un ensemble de formations sur les enjeux des territoires ultramarins, des expertises, des témoignages sur la situation sanitaire, sécuritaire ou sociale, pour qu'ils aient tous le même niveau de connaissance et surtout qu'ils puissent se connaître. Il est important qu'ils aient le sentiment d'intégrer un territoire avec d'autres collègues, ce qui permet de renforcer les réseaux informels de solidarité qui sont particulièrement utiles et appréciés dans les territoires les plus difficiles.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie. Ces deux auditions nous confortent dans l'étude menée par notre délégation et montrent l'importance de se déplacer sur le terrain, puisque d'un territoire à l'autre les aspects sont différents, les besoins sont différents et les attentes sont différentes.

Je salue le travail, le courage et la ténacité de tous ces magistrats qui sont pleins de bonne volonté, qui ont envie que les choses avancent mais qui sont parfois complètement débordés par le nombre des dossiers et par la nature des cas qu'ils ont à traiter et qui sont d'une extrême violence et d'une extrême complexité.

Nous sommes preneurs de toutes les informations complémentaires que vous pourrez nous apporter et nous aurons l'opportunité de nous déplacer bientôt en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin et même à Saint-Barthélemy pour rencontrer les services judiciaires mais aussi les douanes et tous les autres services de l'État de manière à adapter le rôle de l'État aux réalités des territoires ultramarins.

Je remercie Annick Petrus de m'avoir remplacée à Paris, notre rapporteur Philippe Bas et tous les membres de la délégation qui ont participé à cette audition.