Mercredi 22 mai 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9h30.

Audition de M. Thierry Francou, président-directeur général d'Eurenco

M. Cédric Perrin, président. - Après avoir entendu des représentants de SAFRAN, KNDS-NEXTER et MBDA nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la production des munitions en accueillant M. Thierry Francou, président-directeur général d'Eurenco.

Je rappelle qu'Eurenco a été créé en 2004 en fusionnant la SNPE d'une part et l'entreprise Nexplo d'autre part, société commune entre le suédois Saab et le finlandais Patria.

Depuis que nous avons engagé ce cycle d'auditions au début de l'année la situation en Ukraine a évolué sensiblement. Après de difficiles tractations qui ont durée de longs mois, le Congrès des Etats-Unis a voté le 23 avril dernier une aide de 61 milliards de dollars à l'Ukraine. Toutefois cette somme ne recouvre pas seulement une aide militaire et il est entendu que les matériels qu'elle permettra de financer mettront du temps à arriver en première ligne.

Pendant ce temps-là, la Russie est repassée à l'offensive afin de tirer parti du manque de matériels et de munitions des unités ukrainiennes. Son effort de guerre s'inscrit par ailleurs dans la durée dans le cadre d'une véritable économie de guerre faisant craindre un « rouleau compresseur » russe très difficile à arrêter.

Face à cette perspective, le président de la République a cherché à mobiliser notre industrie. Notre objectif est d'évaluer l'étendue de notre effort, la réalité de nos moyens ainsi que le détail des difficultés rencontrées.

La production de munitions a été identifiée comme l'une de nos faiblesses du fait du faible volume des commandes passées par l'État, mais aussi du fait des difficultés d'approvisionnement en matières premières permettant de produire des charges modulaires ainsi que des charges explosives.

L'entreprise Eurenco est aujourd'hui au centre de toutes les attentions puisqu'elle produit les poudres et explosifs nécessaires au fonctionnement des munitions (obus, bombes et missiles). Eurenco possède plusieurs sites de productions en Europe dont le site de Bergerac en France qui a accueilli le président de la République le mois dernier pour lancer la construction d'une nouvelle unité de fabrication de poudres.

Si nous avons souhaité vous entendre, Monsieur le Président, c'est pour faire le point sur la réalité de vos commandes, sur les perspectives ouvertes par le projet de nouvelle unité de production mais aussi sur les moyens qui seraient nécessaires pour multiplier la production de munitions. Il semblerait que la nouvelle unité de production devrait permettre à NEXTER d'élever sa production à 100 000 obus de 155 par an. Que faudrait-il, par exemple, pour porter cette production à 500 000 obus par an ? Est-ce qu'un tel objectif, qui correspond à ce que visent nos alliés britanniques et allemands, vous semble réalisable ?

Vous connaissez notre état d'esprit et notre sens de l'intérêt national. Notre seule préoccupation est de préparer au mieux la défense de notre pays et je rappelle que contrôler l'action du Gouvernement est la mission que nous fixe la Constitution.

Après votre intervention vous serez interrogé par nos rapporteurs du programme 146, puis par l'ensemble de nos collègues. Je vous remercie et je vous cède la parole.

M. Thierry Francou, président-directeur général d'Eurenco. - Afin d'augmenter sa production Eurenco a pu bénéficier de crédits de la DGA à hauteur de 10 millions d'euros et de l'Union européenne pour 76 millions d'euros. L'entreprise devrait doubler sa production d'ici 2025 avec pour objectif de décupler ses capacités propres. Elle a également pour projet de doubler ses capacités de production de poudre pour petit calibre. Le site de Bergerac prévoit de produire 1,2 million de charges modulaires contre 500 000 actuellement. Dans l'attente de cette nouvelle capacité, nous utilisons, suite à initiative conjointe avec le Ministère des Armées, des poudres fabriquées dans les années 90 et qui étaient vouées à la destruction.

Notre entreprise a constitué un stock de coton pour les besoins de fabrication de nitro-cellulose. Cette matière est achetée aux Etats-Unis et nous envisageons de la remplacer par de la cellulose de bois produite par une filière en Aquitaine. Nous avons gommé notre dépendance vis-à-vis de l'Asie du Sud-Est et de l'Inde au moment des crises covid, grâce à un plan pour garantir la robustesse de notre résilience en cas de crise mondiale. Il reste quelques actions d'accélération sur les intrants - acide nitrique concentré et cellulose - pour fabriquer la nitrocellulose qui sert de base à l'ensemble de nos poudres propulsives.

Concernant l'Australie, un accord franco-australien nous permet de sourcer, en complément de nos propres capacités, de l'hexogène de type 1, qui sert à fabriquer les munitions à haute sécurité. Nous avons reçu les premières centaines de tonnes d'Australie en complément de notre production et disposons d'un stock stratégique d'explosifs. Nous n'avons donc pas attendu le décret pour constituer les stocks. Certains appartiennent à l'État et nous en assurons le stockage via des commandes DGA ; d'autres sont des stocks stratégiques propres pour assurer la continuité industrielle de notre chaîne de production. Avec l'Australie, nous essayons de passer de l'accord gouvernemental à un accord entre opérateurs industriels - l'opérateur étant Thalès dans ce pays - pour générer des dépendances croisées et se fournir mutuellement en cas de crise sur une zone.

Nous avons recruté 500 personnes en net en quelques années, ce qui correspond à 750 recrutements au total. Nous avons mis en place un plan d'action de formation et d'intégration de ce personnel.

Alors que certaines sociétés ferment à proximité de nos sites, nous recrutons. Ce contexte favorise indubitablement le recrutement de personnels ouvriers et techniciens sur nos bassins d'emploi d'Avignon et de Bergerac. Le marché des cadres et ingénieurs est quant à lui plutôt national.

J'insiste beaucoup sur la dualité de notre entreprise, nécessaire pour entretenir notre compétence sur le long terme. La défense offre une très bonne croissance à court terme, mais se passer des activités civiles a serait obérer la pérennité de l'entreprise.

Concernant le recrutement, les métiers en tension chez nous sont les mêmes qu'ailleurs. Notre plan prévoit d'arriver à un effectif de 1 600 à 1 800 personnes, pour 1 400 aujourd'hui : c'est à nos yeux le maximum atteignable sur nos bassins d'emploi. Sur le long terme, nous aurons un problème de compétences critiques.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Bravo pour votre succès, avec une courbe ascendante sur le plan financier comme sur ceux de l'investissement et du recrutement. Le président de la République a incité les industriels à produire plus et plus vite ; vous donnez le bon exemple en la matière, parce que vos carnets de commande sont remplis. Beaucoup de nos industriels, n'ayant pas la visibilité suffisante ni la trésorerie nécessaire, ont peur d'investir.

Bénéficiez-vous d'aides européennes, et sont-elles suffisantes ? Nous avons quelques difficultés à définir une réalité concrète de l'expression « économie de guerre », dont on ne voit pas bien ce qu'elle recouvre - le pays ne s'est pas mobilisé derrière son industrie de défense. Avez-vous néanmoins observé une mobilisation des collectivités locales, et a-t-elle contribué au développement que vous venez de nous décrire ?

M. Thierry Francou. - Dans le cadre de l'action de soutien à la production de munitions (Asap) de la commission européenne, nous avons reçu 76 millions d'euros d'attributions, ce qui nous place au premier rang : Rheinmetall est légèrement devant, mais en coopération avec d'autres industriels, au contraire d'Eurenco. Nous avons reçu un excellent soutien de la DGA et des services de l'Etat, qui nous ont aidés à préparer les dossiers. Sur ces 76 millions, 69 millions reviennent en France : cela illustre le travail réalisé. Cette aide nous est très utile, la comitologie européenne étant complexe pour une société de notre taille.

Pour revenir à la visibilité des investissements que vous avez évoquée, nous sommes confrontés au problème de la poule et de l'oeuf. Si nous avions attendu d'avoir les commandes pour lancer les investissements, nous n'en aurions aucune aujourd'hui. Il y avait un manque de capacités mondiales. Nous avons lancé nos investissements, estimant que quoi qu'il arrive, nous saurions vendre ; parallèlement, nous sommes allés chercher les commandes.

Je constate qu'en Europe, plus nos clients sont proches de la frontière ukrainienne, plus les munitionnaires qui y sont installés prennent des risques. Les Tchèques, les Polonais nous passent commande sans avoir de commandes fermes ; mais ils savent que pour tenir les délais de reconstitution de leurs stocks, il faut lancer les investissements tout de suite. Nous discutons aujourd'hui les commandes de 2028-2032 et 2032-2036, avec des commandes fermes. Rheinmetall, en Allemagne, est également offensif.

Les Américains, les Coréens sont aussi très actifs en Europe et investissent lourdement. Il y a davantage de risques à rester inactif, notamment vis-à-vis du groupe coréen Hanwha. Les Coréens vendent des canons K9 de 155 mm en grande quantité et livrent les munitions avec : les munitions deviennent une commodité. Quand ils auront installé une industrie en Europe, ils seront dominant avec Rheinmetall. Comment se positionner à cet égard, si nous voulons rester leader européen sur les matériaux énergétiques ?

Je n'ignore pas que ce discours diffère de celui de mes collègues de la BITD, mais EURENCO sert l'ensemble des munitionnaires européens et je vois comment se comportent les concurrents.

Concernant les collectivités locales, je vois beaucoup de visibilité et d'opportunités, mais peu de soutien concret pour le moment à l'exception des Régions. Nous sommes une entreprise de chimie Seveso seuil haut, avec des sites actifs depuis un siècle. Malgré cela, à Bergerac, les habitants s'inquiètent que nous devenions une cible en temps de guerre. Il y a donc un enjeu de communication et d'intégration dans les territoires. Nous avions envisagé, avant la guerre en Ukraine, une forme de journée du patrimoine, avec des visites de site pour mieux nous faire connaître. Il court beaucoup de légendes urbaines autour des poudreries ; faire découvrir l'intérieur des usines, avec la robotisation, permet de dissiper le mythe. Les gens ne soupçonnent pas la quantité de technologie présente sur les sites.

Nous rencontrons parfois des blocages sur les permis de construire. En revanche, à Bergerac, tous les délais administratifs ont été tenus. On parle d'économie de guerre, mais nous sommes soumis à une réglementation de temps de paix : le lancement de l'usine de Bergerac nécessite un an d'études environnementales - alors que nous venions d'achever la dépollution de la zone et d'obtenir l'arrêté de récolement de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). En temps de guerre, nous aurions gagné neuf mois... Nous respectons strictement l'ensemble de la réglementation. Or le zéro artificialisation nette (ZAN) pose un problème clair à l'égard de la réindustrialisation en France.

M. Yves Traissac, directeur général d'Eurenco. - Lorsque nous avons traversé une période difficile, la région Nouvelle-Aquitaine nous a aidés à maintenir la compétence et à investir dans l'innovation.

Le soutien économique des régions porte sur les projets duaux : les dossiers de défense que nous présentons n'entrent pas dans leur cahier des charges. Nous travaillons donc sur des investissements qui relèvent aujourd'hui de la défense mais pourraient, demain, trouver des utilisations civiles.

Le soutien des collectivités a été efficace dans le projet de Bergerac : nous avons pu accélérer le franchissement des différentes étapes et tenir les délais grâce au suivi des collectivités impliquées et de la préfecture.

Je souhaite insister également sur l'enjeu qui consiste à attirer les talents à Bergerac ou Avignon, qui n'ont pas l'attractivité des grandes villes. Pour les salariés en col bleu ou opérateurs, nous parvenons à trouver des personnes que nous formons à la production d'explosifs. Pour les cols blancs ou ingénieurs, nous avons la chance de bénéficier d'une certaine visibilité, et nous recrutons des personnes venues de groupes prestigieux.

Avec les collectivités, nous essayons de développer la formation dans les petites villes comme Bergerac. Avec le soutien de la région, du département et de la mairie, nous essayons de mettre en place des antennes de grandes écoles pour délivrer des formations Bac+3 de type Bachelor.

M. Thierry Francou. - Nous travaillons avec les collectivités sur la formation au niveau local, mais aussi, avec le département, sur les aspects logistiques - accès et routes. Nous travaillons ainsi sur la cohérence de notre montée en capacité, avec les écoles et les crèches. Nous nous efforçons de donner aux collectivités de la visibilité sur notre croissance, afin de leur permettre d'anticiper et d'évaluer l'impact sur leur territoire. Tout cela est en train de se mettre en place, mais cela s'inscrit dans un temps plus long.

M. Cédric Perrin, président. - Vous savez ce que vous allez produire dans les dix à quinze ans compte tenu des contrats avec l'État et les autres industriels européens ?

M. Thierry Francou. - Le site de Bergerac produira les charges modulaires pour l'équivalent de 20 000 coups complets pour les besoins de la France. Nous n'avons pas de visibilité concernant les commandes futures de l'État mais l'essentiel de nos commandes est à l'export (plus de 80%). La problématique est de réserver une capacité suffisante pour les besoins nationaux alors que certains clients passent des commandes fermes au-delà de 2032.

Concernant la filière petit calibre, nous avons la plus grande usine de poudre d'Europe en Belgique et nous sommes en train de doubler la capacité de production. C'est un marché très cyclique.

M. Olivier Cadic. - Hier, une conférence de presse était tenue par Sébastien Lecornu et son homologue belge, Ludivine Dedonder, au cours de laquelle les deux ministres ont mis en avant une approche coordonnée entre nos deux pays. La filière des petits calibres était citée en exemple. À votre niveau, cette coopération se vérifie-t-elle ? Pour les approvisionnements par exemple, existe-t-il une vision coordonnée ? Si cette coopération entre nos deux pays optimise la production, comme cela semblait être affirmé par les ministres, identifiez-vous d'autres pays cibles sur lesquels notre action diplomatique devrait s'orienter pour sécuriser notre base ?

M. Thierry Francou. - Il y a eu beaucoup de débats sur la filière petit calibre depuis de nombreuses années. Le besoin régalien de la France comprenant le ministère de l'intérieur et le ministère des armées correspond à une centaine de tonnes de poudre par an. Notre site de Clermont en Belgique produit 2 300 tonnes et va passer à 5 000 tonnes. Le besoin régalien français sera donc couvert en environ deux jours. Nous disposons aujourd'hui de la plus importante capacité de production de poudre de petit calibre installée en Europe. Certains partenaires souhaitent que nous dupliquions notre usine belge ailleurs en Europe et sont prêts à contribuer très fortement à l'investissement tout en nous laissant le contrôle de cette société. En faisant un copier-coller de ces usines, nous pouvons aller vite et assurer le fonctionnement de ces usines car nous disposons des compétences et du socle technique.

Mon point de préoccupation permanent s'agissant des petits calibres c'est que c'est un marché très cyclique. Quand j'ai pris mes fonctions en 2019, le site de Clermont était en arrêt par manque de commande. Aux États-Unis, à chaque élection, des stocks sont constitués en fonction des prévisions, des sondages et on se retrouve avec un marché qui s'accélère ou s'arrête. Nous avons actuellement une conjonction d'élections aux États-Unis et deux guerres en Ukraine et en Palestine. Le marché sur le petit calibre est donc très instable. Il faut des usines dont l'activité de dépend pas uniquement du petit calibre.

Deux sujets vont arriver sur le petit calibre. Premièrement, l'encartouchage. Mes clients font de l'encartouchage au kilomètre dans des usines très automatisées. Il s'agit d'une industrie de masse. Deuxièmement, le socle de base qu'est la nitrocellulose risque de manquer très rapidement. Nous pouvons donc nous retrouver dans une situation où nous disposons d'usines capables de fabriquer de la poudre mais qui n'auront pas la matière première pour la produire. Un atelier de nitrocellulose dans une usine qui fonctionne représente un investissement de 150 M€, pour des produits qui se vendent à quelques euros du kilo. Quand vous êtes sur des marchés instables, il est compliqué d'investir. Il y a donc une rareté. Si Eurenco, deuxième acteur en Europe, dispose de la matière première de base pour ses besoins, certains acteurs qui produisent de la poudre sans maitriser la nitrocellulose pourront se retrouver en arrêt faute d'être livrés.

M. Étienne Blanc. - En matière de recherche, vous utilisez des systèmes dont vous indiquez qu'ils ne sont pas complexes avec des produits de base connus. Quelle est votre stratégie de recherche pour développer l'efficience de votre production ?

M. Thierry Francou. - Depuis que j'ai pris la tête du groupe, j'ai changé les orientations stratégiques en matière de recherche. Nous mettons désormais l'accent plutôt sur les nouveaux modes de production que sur les molécules. Historiquement, nous cherchions à proposer la molécule du futur à nos clients étatiques. Or depuis la création de la dynamite par Nobel, on a gagné que très peu en efficacité sur les explosifs. Ce qui fait la différence c'est donc la manière de produire. Il s'agit de produire en série avec des produits standardisés. C'est ce que nous faisons à Bergerac avec de nouveaux systèmes. Pour faire simple : nous fabriquons des pâtes, nous les découpons et nous les mettons en forme comme chez Barilla, sauf que ce ne sont pas des pâtes, ce sont des poudres. Toute une partie de notre métier est proche d'une industrie agroalimentaire, l'autre partie est de la chimie. Par exemple, si on mélange dix fois plus vite on gagne dix fois la capacité et nous n'avons donc pas besoin d'investir. Nous consacrons 5 % du chiffre d'affaires à la recherche. Par parenthèse, ces 5 % sont en autofinancement car il n'y a pas ou peu de ruissellement des crédits d'études amont versés aux grands industriels vers les ETI et PME.

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons déposé un amendement lors de l'examen de la loi de programmation militaire pour flécher une partie des crédits consacrés aux projets technologiques de défense (PTD) vers les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes entreprises (PME). Avec le délégué général pour l'armement, nous étions parvenus à identifier une cible de 10 %. Ce qui représente tout de même de l'ordre de 100M€. Nous devons nous assurer que cela sera mis en application.

M. François Bonneau. - Sur le terrain ukrainien, de très nombreux équipements, et munitions coexistent, à tel point que l'on parle de la « Samaritaine » de l'armement. Avez-vous des discussions avec vos partenaires pour avoir plus de standardisation compte-tenu des difficultés que cela pose sur un front de gérer autant d'équipements différents ?

M. Thierry Francou. - Cela fait partie de nos axes stratégiques. Il y a la théorie et la pratique. En théorie, par exemple, les charges modulaires sont sur un standard OTAN. En pratique, chaque munitionnaire dans ce standard OTAN ajoute des spécificités. Si le projectile, la charge ou le système est modifié, il faut requalifier. C'est un héritage de l'histoire. Dans les discussions que nous avons avec nos clients hors Europe, certains cherchent le maximum d'interoperabilité entre leurs systèmes. Il y a donc des simplifications possibles. La question des compétences techniques perdues dans l'industrie et au sein de la direction générale de l'armement (DGA) ainsi que la remontée en capacité doivent nous conduire à mener une réflexion sur la standardisation et le niveau de spécification. La particularité d'Eurenco est d'être le seul chimiste de la BITD et de transformer des produits chimiques de base en explosifs et poudres entrant dans les produits de l'ensemble des munitionnaires. L'entretien de ces compétences est donc clé pour le long terme et c'est ce qui avait conduit à transférer notamment les compétences poudres sur notre site suédois dès la création de la société et qui permet aujourd'hui de pouvoir rapidement redéployer l'effort. J'évoquais tout à l'heure l'utilisation de poudres anciennes. Lorsque nous avons envisagé ce scénario, certains experts techniques m'assuraient que la durée de vie des poudres ne dépassait pas dix ans. Or nous utilisons aujourd'hui avec succès des poudres des années 1990...

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Vous avez évoqué la nécessaire coopération entre les territoires et les sites industriels. En Dordogne, il faut rassurer aussi les populations. Quels sont vos dispositifs de sécurité des sites ? Dans le Vaucluse, vous faites de la formation en pyrotechnie militaire. Avez-vous d'autres projets près de Bergerac ?

M. Thierry Francou. - Concernant la sûreté physique, nous avons renforcé dès 2020 la sureté physique de nos sites et la cybersécurité. Nous subissons régulièrement des vagues d'attaques externes. Nous avons créé une antenne à Avignon du campus « pyrotechnie » de Bourges et nous envisageons de faire de même à Bergerac.

M. Bruno Sido. - Je suppose que les États vous surveillent ? Les poudres servent-elles aussi pour les boosters ?

M. Thierry Francou. - J'ai deux tutelles : les ministères des armées et des finances ; nous leur parlons, nous avons aussi des contacts avec les services français et suédois. Nous ne fabriquons pas les propergols solides même si nous avons des discussions techniques avec les producteurs et un socle de compétences commun.

M. Patrice Joly. - Quelles sont l'expertise et la capacité de vos homologues russes et chinois ?

M. Thierry Francou. - Les Chinois ont le même niveau que nous, mais avec une capacité de production bien supérieure. Côté russe, la capacité est plus faible, avec néanmoins des produits efficaces et du volume.

Un sujet pour nous est de nous adapter à une diminution ultérieure du marché : comment garder les capacités pour ne pas encore à repartir de zéro par la suite ? Quand les Américains ont arrêté la navette spatiale, ils ont continué à payer les frais fixes d'une ligne de production de perchlorate d'ammonium utilisé également dans la propulsion des missiles et qui ne produisait plus : c'est une assurance capacitaire.

M. Cédric Perrin. - Bravo pour votre vision stratégique, qui n'est malheureusement pas partagée par tous les acteurs en France.

Audition de M. Nicolas Kassianides, consul général de France à Jérusalem (ne sera pas publié)

Cette audition ne fera pas l'objet d'une publication sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12h20.