Mardi 28 mai 2024

- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Hugo Franck, président, et Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale, du syndicat de l'architecture

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France (ABF). Nous recevons à présent M. Hugo Franck, président du Syndicat de l'architecture, et Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale. Avec un taux de représentativité de plus de 48 % en 2021, le Syndicat de l'architecture représente un acteur incontournable du monde de l'architecture et siège au collège employeur de la branche architecture.

Monsieur Franck, vous êtes président du Syndicat de l'architecture depuis juin 2022. Vous êtes titulaire d'un diplôme d'architecte délivré par le gouvernement (DPLG) obtenu à l'École nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand et vous avez créé votre agence en 2007. Votre cabinet a reçu le prix spécial du jury European France pour un projet intitulé « Back-ground », mêlant lieu de production, de services et de résidence, avec pour idée première de « ne pas construire, mais libérer le sol ». Les dimensions écologiques et culturelles prévalent dans vos réalisations. Vous avez récemment déclaré : « Au regard des crises que nous traversons, nos moyens de production doivent s'ajuster, et nos compétences en tant qu'architectes doivent être déployées. L'architecture fait partie des réponses aux défis écologiques et culturels que nous devons relever collectivement, au service de notre société et de notre démocratie ». Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Votre témoignage ainsi que celui de Mme Raoul-Duval enrichiront à n'en pas douter nos débats.

Notre mission, je le rappelle, est le fruit d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et territoires (LIRT) du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen. Nos premières auditions ont mis en lumière la complexité des missions des ABF, et les incompréhensions, parfois, qui en résultent. Un manque de moyens a été également évoqué, avec en toile de fond la lenteur de la mise en oeuvre des périmètres délimités des abords (DPA) et des sites patrimoniaux remarquables (SPR), dans un contexte exigeant de transition écologique et énergétique.

Je vous invite, monsieur le président et madame la secrétaire générale, à nous livrer un propos liminaire dans lequel vous évoquerez vos rapports avec les ABF, dont la situation est au coeur du travail de notre mission.

M. Hugo Franck, président du Syndicat de l'architecture. - Le syndicat de l'architecture, vous l'avez dit madame la présidente, est un syndicat représentatif des architectes et des professionnels de l'architecture. Il est l'un des deux syndicats nationaux en France, constitués à la faveur de la promulgation de la loi de 1977 sur l'architecture, sur laquelle nous reviendrons d'ailleurs peut-être, car selon nous elle contient des mécanismes qu'il pourrait être intéressant d'exploiter davantage, en particulier sur la relation avec les ABF. Notre syndicat représente des architectes libéraux ou associés. Aucun ABF n'y adhère, puisque les ABF n'exercent pas à titre libéral ou en tant qu'associés. En revanche, nous comptons dans nos rangs d'anciens ABF et, peut-être, de futurs ABF.

Notre syndicat oeuvre au sein de la branche architecture avec les autres syndicats d'employeurs et de salariés. Il participe à la négociation des accords, ainsi qu'à la gestion de la convention collective et des fonds de formation professionnelle. Au-delà des entreprises d'architecture, la branche architecture représente les paysagistes, les urbanistes, les architectes d'intérieur, en somme tout le monde de la grande architecture, soit 50 000 structures environ.

En outre, le syndicat défend la profession d'architecte aux échelles territoriales et nationales, en lien avec le ministère de la culture et le ministère du travail, mais aussi à une échelle internationale, puisqu'il fait partie de la délégation qui représente la France à l'Union internationale des architectes et au Conseil des architectes d'Europe, qui agit directement auprès de la Commission européenne. Il entretient des liens avec de nombreux représentants du monde de l'architecture dans le monde entier, ce qui nous permet d'apprécier la variété de l'appréhension du patrimoine dans les différents pays. À ce titre, je considère que nous pouvons nous enorgueillir de notre histoire et de notre patrimoine, et nous montrer fiers de la manière dont nous en prenons la mesure. Nous pouvons ici revendiquer l'exception culturelle de la France, non pas de manière conservatrice, mais en termes de protection et de mise en valeur. Nos relations avec les ABF s'entendent en termes d'évolution des villes, la recherche et l'exploration demeurant au service de l'adaptation de notre société à de nouveaux paradigmes environnementaux.

Nous regroupons des entreprises d'architecture et des architectes qui prônent une vision et une pratique éthiques de leur métier et revendiquent la production d'une architecture de qualité. Nos compétences sont appelées et devraient d'ailleurs l'être davantage, au service du public et de notre démocratie. Nous défendons également l'indépendance de la profession d'architecte, sur la base d'une déontologie fortement affirmée, incluant une responsabilité pouvant aller jusqu'à la responsabilité pénale, que nous nous efforçons de mettre en avant face à des enjeux personnels ou financiers qui altèrent la qualité de notre production initiale.

Les architectes des bâtiments de France sont nos confrères et nos consoeurs, et il nous paraît indispensable qu'ils ne se trouvent pas sous la coupe d'intérêts politiques ou financiers. Nous avons conscience qu'il existe une véritable saturation administrative au sein des unités départementales, traduisant un manque de personnel et de moyens. Nous n'entretenons pas de relations conflictuelles avec les ABF. Nous avons suivi les mêmes études, nous parlons le même langage. Néanmoins, nous déplorons le manque de disponibilité des ABF, qui sont par trop accaparés par de nombreuses tâches, et les délais excessifs pour l'examen de nos propositions.

À titre personnel, je ne dépose jamais une demande de permis de construire avant d'avoir recueilli l'avis d'un ABF. Notre métier consiste à mettre en cohérence un certain nombre d'éléments techniques et réglementaires, que d'aucuns nommeraient des contraintes, un contexte, un programme et un budget. Les éléments fournis par les ABF comptent parmi ces éléments qu'il nous appartient d'inclure dans nos projets, et qu'il faut inclure le plus en amont possible, afin d'apporter à nos clients une réponse en adéquation avec les différentes réglementations et avec leur budget. En effet, lorsque des demandes spécifiques surgissent après les premières phases d'évolution du projet, après l'esquisse, après l'avant-projet sommaire, voire après l'avant-projet définitif et le permis de construire, un blocage ne manque pas de se produire. C'est la raison pour laquelle nous encourageons nos clients à accepter le temps long d'un projet, plutôt que passer outre certains éléments, au risque de faire perdre un temps considérable par la suite. C'est pourquoi nous nous efforçons de mettre tout en oeuvre afin d'obtenir un avis favorable, ce qui suppose de dialoguer avec les responsables et avec les futurs utilisateurs d'un projet.

Dès lors, l'accès aux ABF est primordial et, de ce point de vue, des améliorations sont nécessaires. Nous devons nous appuyer sur ce langage commun que j'évoquais précédemment. Des discussions en amont d'un projet permettent à l'ABF de formuler des recommandations et à l'architecte d'en tenir compte, sans que ce dernier soit tenu de présenter le projet dans ses moindres détails. Si un ABF exprime au préalable son refus de la construction d'un bâtiment qui, par exemple, dépasserait en hauteur un autre, alors il revient à l'architecte d'adapter son projet, avant même de commencer à dessiner, et ainsi gagner du temps. L'architecte des bâtiments de France n'est pas un empêcheur, il ne nous dicte pas la conduite de nos projets, n'a pas d'exigences inconsidérées et entend les problématiques inhérentes aux commandes de nos clients. Cette relation est primordiale afin d'éviter les avis défavorables et les ralentissements. Elle suppose de produire un effort de pédagogie en direction de nos clients. De manière générale, les clients sont rassurés que l'architecte prenne en charge la relation avec l'ABF, qui est parfois perçu comme une autorité inaccessible et redoutable.

Je considère que la concertation et le processus de création pourraient inclure d'autres interlocuteurs que les architectes praticiens et les ABF. De nombreux architectes autres que les praticiens oeuvrent sur le territoire. Je pense en particulier aux architectes-conseils qui interviennent auprès de municipalités ou de l'État, mais aussi des paysagistes-conseils, c'est-à-dire des intermédiaires susceptibles d'intervenir auprès de décisionnaires privés ou d'élus locaux, afin de renforcer le dialogue avec les ABF.

La formation est un enjeu capital. Au sein de la branche architecture, nous négocions les fonds de formation et nous labellisons des formations. Nous constatons une demande forte de formation en lien avec le bâti existant, ainsi qu'une demande grandissante de formation sur des techniques constructives qui étaient bien connues et appliquées auparavant, et qui le sont moins aujourd'hui. Nous avons le sentiment que de nombreux architectes révisent leur mode de fonctionnement et leur mode de création. Il existe une appétence forte pour la réhabilitation et pour la ruralité. La nouvelle génération d'architecte est particulièrement orientée vers la prise en compte de nouveaux paradigmes dans l'exercice du métier. Dès lors, les architectes doivent acquérir davantage de compétences sur les pratiques en lien avec le bâti existant. Un architecte plus compétent en termes de réhabilitation sur des sites protégés, ou de réhabilitation patrimoniale, sera un interlocuteur privilégié et un médiateur en amont entre le particulier et l'ABF, ou entre les élus locaux et les ABF.

Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale du Syndicat de l'architecture. - Comme l'a rappelé M. Franck, nous avons besoin des architectes des bâtiments de France, qui sont des confrères et des consoeurs et qui, ainsi que j'ai pu l'éprouver à travers mon expérience d'architecte, nous accompagnent. En parallèle de mon activité d'architecte, j'enseigne en école d'architecture sur les thématiques liées au carbone, et je peux témoigner du fait que la réutilisation et la réhabilitation se trouvent désormais au coeur de la formation. Or la réutilisation et la réhabilitation supposent d'intervenir sur le bâti existant. À ce titre, nous avons besoin d'architectes compétents sur les questions de patrimoine, afin de prendre en compte les nouvelles réglementations et les exigences imposées par les crises environnementales, sociales et économiques que nous traversons.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez décrit une certaine contradiction souvent relevée au cours de nos échanges et de nos auditions. D'un côté, vous avez insisté sur la nécessité d'échanger en amont avec les ABF, de l'autre vous avez rappelé que ces mêmes ABF sont souvent si accaparés qu'ils n'ont pas le temps de se consacrer à ces échanges. L'échange avec les ABF s'en trouve par conséquent empêché. Comment vous, architectes, procédez-vous lorsque l'ABF n'est pas accessible, lorsque l'échange en amont est impossible, en particulier dans un périmètre dépourvu de référentiels ou de documents d'urbanisme, tels qu'un plan local d'urbanisme (PLU) par exemple ?

Vous avez également évoqué la sensibilité des architectes à l'égard de nouvelles problématiques. De quelle manière pourriez-vous avancer de concert avec les ABF sur ces questions ? Est-il nécessaire, selon vous, de formaliser et d'institutionnaliser certains éléments de formation, afin que chacun dispose d'un même savoir et d'une même sensibilité sur ces sujets ?

Enfin, vous avez rappelé que les ABF ont suivi les mêmes études que les architectes. Nous avons souvent entendu que le métier d'ABF souffrait d'un manque d'attractivité, en termes de rémunération et d'image. Est-ce un phénomène que vous observez ?

M. Hugo Franck. - Les études d'architecture sont pareilles à un tunnel : on y entre avec pour seule perspective de devenir architecte. Elles ne préparent à aucun autre métier. Il me semble que de moins en moins d'étudiants sont disposés à aller jusqu'au bout du cursus, et à endosser, à la fin, la responsabilité de devenir architecte, étant donné la pression d'adaptation qu'elle génère, et un certain manque de valorisation du métier. Être ABF suppose une responsabilité plus forte encore, ce qui nuit à l'évidence à son attractivité.

Un ABF, comme tout architecte, est formé à la conception de projets architecturaux, de projets d'aménagement, à l'élaboration d'une vision du paysage urbain. Or une rupture apparaît dans la perception par les plus jeunes du métier d'ABF, au sens où ils se persuadent que l'ABF ne mène aucun projet, mais se contente de livrer un avis sur les projets des autres. Cette perspective peut décourager des étudiants portés par le désir de produire eux-mêmes des projets architecturaux. Hormis ses décisions de conservation et ses actions sur les monuments dont il a la charge, il convient de reconnaître que l'ABF, aujourd'hui, n'exerce plus le métier d'architecte, ce qui est un problème insoluble. On vient au métier d'ABF soit en toute connaissance de cause, par vocation, soit plus tard parce qu'on souhaite évoluer dans sa carrière, et que notre formation nous le permet, puisque des concours sont ouverts afin de devenir architecte-conseil ou ABF.

Il convient de rappeler que si l'ABF est indispensable. Si sa voix compte, c'est aussi parce qu'il a effectué un certain nombre d'années d'études, qu'il a réussi un concours, et qu'il jouit de savoirs et de compétences importants, supérieurs même à ceux des architectes. J'ai échangé récemment avec un ABF, qui m'a donné un véritable cours sur l'ardoise, alors que j'exerce depuis dix-sept ans. Un autre m'a donné des pistes sur un chantier, que je m'efforcerai d'appliquer au mieux et qui, certainement, m'éviteront de commettre des erreurs. Je veux exprimer par ces exemples la grande qualité des échanges que nous, architectes, sommes amenés à avoir avec les ABF.

Nous avons toujours accès à un ABF, même s'il est surchargé de travail, et il en existe au moins un dans chaque département. Certes, ils ne sont pas en nombre suffisant, mais l'ABF n'est pas une personne seule retranchée dans sa tour d'ivoire. Il a lui aussi besoin de se former, de discuter avec des confrères, il a besoin de la même émulation collective que les architectes praticiens.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez pourtant signalé que les ABF sont parfois peu accessibles.

M. Hugo Franck. - En effet, les délais d'instruction des projets sont parfois longs. Mais, comme je l'ai indiqué, je ne dépose jamais de demande de permis de construire tant que je n'ai pas présenté mon projet à l'ABF. De plus, je préfère attendre son avis plutôt qu'entamer mes travaux, au risque de devoir revoir mon projet en conséquence d'un avis défavorable, qui suppose de relancer une longue instruction.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ainsi vous évitez les recours.

M. Hugo Franck. - Personnellement, je n'ai jamais formulé de recours. Je n'ai pas de conseil à donner à mes confrères et mes consoeurs, mais, pour ma part, j'inclus toujours dans mes contrats qu'une intervention sur un site protégé ajoute au minimum deux mois supplémentaires au calendrier d'étude, et j'inclus des honoraires supplémentaires dans mon forfait au titre du temps passé à discuter avec différents acteurs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Quel est votre regard sur les documents d'urbanisme que vous consultez ? Sont-ils au niveau des demandes, en ce qui concerne les constructions possibles ou le type de matériaux ?

M. Hugo Franck. - Tout dépend du contexte dans lequel nous intervenons, et il est délicat d'exprimer des généralités, donc de formuler des réglementations. La seule formalisation possible devrait concerner un périmètre délimité. Dans le cadre d'un PLU, l'architecte des bâtiments de France ne pourrait pas émettre des recommandations pour chaque parcelle.

Les maires peuvent travailler de concert avec un ABF lorsqu'ils construisent un règlement d'urbanisme, ce qui permet d'élaborer les premières règles, d'ouvrir des pistes ou de prononcer certaines interdictions précoces. Il est toutefois impossible de tout réglementer, parce que les architectes exercent toujours en fonction d'un contexte et que, d'une parcelle à l'autre, au sein d'un même secteur, les enjeux sont susceptibles de varier.

Mme Emmanuelle Raoul-Duval. - Les documents d'urbanisme, par nature, ne sont pas unifiés pour chaque ville ou chaque village. C'est la raison pour laquelle il convient de dialoguer avec des interlocuteurs locaux afin d'éclairer les interrogations des architectes.

M. Hugo Franck. - Si les ABF étaient déployés en nombre suffisant, la concertation en serait d'autant améliorée, et ils seraient en mesure d'intervenir plus fréquemment auprès des élus, de leurs confrères architectes et aussi auprès du public. Il serait également utile qu'ils interviennent auprès des services instructeurs, puisque les instructeurs ont de nombreux dossiers à instruire, sans bénéficier d'une formation à l'architecture, et encore moins au patrimoine.

M. Vincent Éblé. - Vos propos sont éclairants sur la relation étroite et quotidienne qu'entretiennent les architectes avec les ABF. Nos précédentes auditions ont mis en lumière la surcharge de travail que subissent les ABF, ce qui complique le travail en amont avec eux, en particulier sur les projets de taille modeste. Par conséquent, leurs prescriptions interviennent de façon tardive et sont parfois perçues comme abruptes.

L'ABF est tenu, vous l'avez rappelé monsieur Franck, de faire preuve d'une pédagogie qui s'exerce de différentes manières. Elle s'exerce de manière générique, en s'appuyant sur des cahiers de prescription, des plans d'occupation des sols dans des secteurs sauvegardés, ou des plans de sauvegarde extrêmement détaillés. Tous permettent de se prémunir contre certaines difficultés. Mais cette pédagogie s'exerce également au cas par cas, en fonction du dossier lui-même, et alors les cahiers de prescription peuvent s'avérer insuffisants. Dans tous les cas, rien ne remplace cette phase de dialogue et de concertation autour d'un projet. C'est pourquoi la question de la disponibilité des ABF est indispensable, afin d'éviter des situations d'incompréhension ou de potentiels contentieux.

J'ai apprécié votre propos, monsieur Franck, parce que vous reconnaissez et respectez l'expertise et le savoir des ABF, alors que l'architecte est en quelque sorte en situation d'affrontement avec lui, puisqu'il a besoin de faire avancer un projet et que l'ABF est susceptible de lui imposer des prescriptions ou des contraintes. Je déplore, comme vous, que l'ABF soit trop souvent considéré comme une entrave à la liberté de l'architecte, alors que la qualité de son regard est précieuse.

Mme Guylène Pantel. - Pour le dire de manière un peu provocatrice, les relations avec les ABF que vous décrivez me semblent quelque peu idylliques. Je dis cela au regard de la situation dans certains départements ruraux, où ce type de rapports privilégiés est impossible compte tenu de l'inaccessibilité des ABF. Dans mon département de la Lozère, il y a un ABF pour 76 000 habitants. Les maires ne cessent de me solliciter à ce sujet, et se plaignent de l'inaccessibilité des ABF qui, certes, ne peuvent se déplacer incessamment dans l'ensemble de leur territoire. En outre, le suivi est défaillant dans les départements ruraux, et il manque une ligne directrice dans la durée. Certains élus réclament la mise en place de commissions départementales réunissant le maire de la commune concernée par un projet, l'ABF et un représentant de la préfecture.

Vous avez par ailleurs souligné, monsieur Franck, le manque de formation des instructeurs. Il s'agit d'une réalité propre aux petites communes et aux communes rurales où, en effet, les adjoints à l'urbanisme ne possèdent pas d'expertise sur les sujets d'architecture et d'aménagement. Il convient d'en tenir compte, parce qu'il est évident que l'on ne peut avoir un architecte dans chaque conseil municipal. À cet égard, la pédagogie des professionnels est importante.

Mme Monique de Marco. - J'ai relevé, dans votre propos, la question du manque de formation sur le bâti existant et sur les techniques de construction, ainsi que l'appétence des nouvelles générations pour la rénovation et la ruralité. Pensez-vous que l'enseignement dispensé dans les écoles d'architecture devrait évoluer afin de tenir compte de ces phénomènes ? Qu'en est-il de la formation continue ? Il me semble, mais il s'agit là d'un point de vue extérieur, que la formation à l'École de Chaillot a très peu évolué.

Par ailleurs, pensez-vous qu'une évolution de la loi sur l'architecture de 1977 est nécessaire ? Le cas échéant, dans quelle direction doit-elle évoluer ?

Mme Sabine Drexler. - J'aimerais connaître votre point de vue sur le diagnostic de performance énergétique (DPE). Vous semble-t-il adapté au bâti patrimonial ? Prend-il suffisamment en compte ses spécificités ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - L'équilibre entre patrimoine et transition écologique est un véritable défi. Pensez-vous qu'il convienne de changer notre approche légale sur ce sujet ?

M. Hugo Franck. - Sur la question du patrimoine, il convient en premier lieu de se demander ce que l'on entend par ce terme. Qu'est-ce qui fait patrimoine aujourd'hui ? Les constructions industrielles font-elles partie du patrimoine ? Des bâtiments de la fin du XXe siècle peuvent-ils être inclus dans le patrimoine ?

Les architectes n'ont jamais été consultés sur le DPE et sur sa mise en place, ce qui ne laisse pas d'étonner. La création d'un DPE patrimonial est actuellement en discussion, et on ne peut que s'en féliciter. Cependant, dans quelle mesure est-il possible de mettre en place ce DPE patrimonial ? À titre personnel, cela me semble impossible. Chaque construction est unique, et réaliser un DPE dans un site patrimonial ne saurait consister à cocher des cases sur une liste. Un DPE patrimonial requiert une visite par des architectes ou des professionnels de la construction, c'est-à-dire des personnes disposant de compétences constructives, de compétences de projets, de compétences culturelles, et qui sont en mesure d'apporter une réponse contextuelle adaptée. Il me semble irréaliste d'envisager une procédure généralisable à tout le bâti patrimonial.

En ce qui concerne la formation, je m'étonne toujours que le rapport à l'espace ne soit pas enseigné, alors que nous vivons en permanence dans l'architecture. Nous marchons dans des rues façonnées par l'urbanisme, nous vivons et nous travaillons dans des bâtiments conçus par des architectes. Dès lors, comment un élu qui n'a jamais reçu la moindre formation en architecture pourrait-il comprendre les exigences formulées par un ABF ou un architecte ? Il est difficile, et c'est bien naturel, de dialoguer avec un architecte lorsqu'on n'a jamais reçu cette éducation à l'espace, au patrimoine, et cette initiation aux enjeux de société que porte l'architecture. C'est la raison pour laquelle je considère que ces matières doivent être enseignées, ce qui permettra, en outre, de rendre plus lisibles les avis, les processus de fabrication, les règlements et les contextes.

Je ne connais pas assez l'École de Chaillot pour répondre précisément à votre question, madame de Marco. En revanche, il apparaît que les évolutions, de toutes sortes, nous obligent à acquérir des compétences supplémentaires. Les architectes se forment beaucoup par eux-mêmes, de chantier en chantier. Ils prennent en compte les éléments nouveaux qui surgissent au fil du temps, quand ils ne les initient pas eux-mêmes. Il appartient à la formation de suivre cette évolution permanente.

C'est au nom de cet impératif que l'ensemble des syndicats oeuvrant au sein de la branche architecture ont présenté au ministère de la culture un projet de revalorisation du diplôme d'architecte. Aujourd'hui, nous n'avons plus de diplômes, nous avons une habilitation, c'est-à-dire un stage inutile de six mois en agence à la fin de nos études. Nous souhaitons plutôt que les architectes sortent de l'école en sachant construire. À cette fin, il n'est pas nécessaire de passer des années en agence.

Le Syndicat de l'architecture a par ailleurs produit une proposition très générale concernant la nécessaire évolution de la loi de 1977, en lien avec la question du patrimoine. Nous vous la transmettrons. L'intérêt public de l'architecture ne se limite pas à l'intervention sur la construction neuve. L'intervention sur le bâti existant est au coeur de l'activité, et elle le sera de plus en plus dans un monde où l'on construira de moins en moins, puisqu'il n'est pas toujours utile de construire lorsqu'il existe tant de bâtiments à réhabiliter. C'est pourquoi l'inscription de la réhabilitation d'intérêt public dans la loi de 1977 est primordiale.

Une prise de conscience des vertus de la réhabilitation est indispensable. Aujourd'hui, on construit du logement et on fait vivre les gens dans des cases. La réhabilitation permet de déstandardiser la production, d'une manière considérable et automatique. Il nous appartient de créer de nouveaux usages dans l'existant. Nous devons, en outre, nous adapter à de nouveaux éléments. J'estime d'ailleurs que plus nous avons de contraintes à intégrer, meilleurs seront nos projets.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions pour vos interventions.

La réunion est close à 16 heures.

Audition de M. Stéphane Bern, animateur de radio et de télévision (en visioconférence)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Bonjour à toutes et tous. Nous accueillons en visioconférence une personnalité qui, pour des millions de Français, incarne le patrimoine, M. Stéphane Bern, que je remercie vraiment d'avoir accepté cette audition. Je suis accompagnée de M. Pierre-Jean Verzelen qui est le rapporteur de cette mission. Vous êtes intervenu en audition auprès de nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon sur une mission concernant le patrimoine religieux et vous êtes venu à d'autres occasions nous parler des architectes des bâtiments de France (ABF). Notre mission porte sur le périmètre d'intervention des ABF. Vous êtes également très mobilisé sur la ruralité et vous savez comment les ABF y interviennent. Votre éclairage nous intéresse donc particulièrement.

M. Stéphane Bern, animateur de radio et de télévision. - Merci, madame la présidente. Merci à tous de m'auditionner. C'est toujours une joie de parler avec les sénatrices et les sénateurs, parce que le Sénat a toujours le souci de la ruralité et de la défense du patrimoine. Il m'a été demandé de réfléchir à l'utilité des politiques de protection du patrimoine en France pour la préservation des paysages. Je voudrais donc d'abord rappeler le rôle des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) qui veillent au respect de l'application des règlementations en matière de patrimoine, d'urbanisme et d'environnement et qui accompagnent les collectivités territoriales et les propriétaires privés dans leurs projets de travaux, notamment dans des immeubles situés au sein d'espaces protégés pour leur intérêt patrimonial, à savoir les sites patrimoniaux remarquables (SPR), les abords des monuments historiques et les sites classés ou inscrits au titre du Code de l'environnement.

Dans le cadre de l'étude des candidatures reçues chaque année pour la mission patrimoine, certaines délégations de la Fondation du patrimoine associent des ABF au choix des dossiers qui sont ensuite remontés au comité de sélection lors de réunions conjointes avec les délégations régionales des affaires culturelles (DRAC) et les délégations régionales de la Fondation du patrimoine à ce sujet. En effet, la mission patrimoine que je porte est déployée par la Fondation du patrimoine avec le soutien appuyé des DRAC qui valident notamment en amont les dossiers concernant les projets protégés monuments historiques. En région, les ABF sont ainsi associés au choix des projets protégés et si nécessaire, la Fondation du patrimoine les sollicite également pour valider la qualité du programme de travaux prévus par un propriétaire, notamment en cas de doute sur l'importance ou l'intérêt de tel ou tel dossier.

Le rôle des ABF est primordial dans la protection et la préservation du patrimoine français dans sa diversité. Ce sont les gardiens du respect des caractéristiques patrimoniales propres à chaque territoire et en ce sens, leur avis conforme, parfois contraignant, est indispensable. L'ABF est également un référent dont l'expertise est précieuse pour les collectivités qui souhaitent travailler sur la création d'un périmètre de protection comme les SPR. Les ABF sont plus largement sollicités lors de l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU). Sa mission de conseil s'applique également aux propriétaires privés sans que les recommandations formulées soient obligatoires, même si, en 2017, je m'étais indigné de la loi qui libéraliserait tout cela et le Sénat avait été plus en pointe que l'Assemblée nationale à ce sujet, car il est important d'avoir une police du patrimoine et un avis conforme des ABF. Autrefois, les maires se plaignaient beaucoup des ABF, raison pour laquelle on a voulu leur « couper la tête » ou leur « rogner les griffes ». Les maires disaient : « moi, je suis favorable à ce que vous construisiez une véranda immonde, mais mon ABF ne veut pas ». L'ABF servait de « paravent » en quelque sorte, permettant au maire de ne pas être en première ligne. Si le maire acceptait une construction immonde dans un périmètre protégé, il enlaidissait son village, mais il gagnait une voix, alors que s'il refusait, il perdait une voix, mais protégeait son village. Aujourd'hui, tout est laissé à la discrétion du maire. Pourtant, il est très important d'écouter les ABF.

Vous m'avez interrogé sur l'insuffisance des moyens publics en faveur du patrimoine, notamment au niveau des UDAP. Il y a effectivement un manque de moyens humains. Dans certains départements, en raison d'un manque d'effectifs ou d'un nombre trop important de dossiers à traiter, le délai des réponses des UDAP aux demandes d'avis conforme, dans le cadre notamment du label qui est délivré par la Fondation du patrimoine, peut durer plusieurs mois, ce qui pousse parfois les propriétaires privés à abandonner leurs demandes. Cela peut par ailleurs bloquer le démarrage de certains chantiers. Pour d'autres, ce sont les exigences formulées, disparates d'un département à un autre, qui posent problème et créent de l'incompréhension pour les propriétaires. On ne comprend pas pourquoi un ABF dans un département n'est pas en conformité avec celui d'un autre département. Je crois qu'il faut dans un premier temps renforcer les équipes des UDAP. Dans le cadre du label, une autre piste pour accélérer le processus et décharger les ABF consisterait à déléguer l'avis conforme pour des projets simples aux techniciens au sein des UDAP. Il faudrait également une clarification, une harmonisation des exigences techniques des UDAP. La Fondation du patrimoine souhaite travailler à des normes techniques uniformisées avec les UDAP, qui sont les critères essentiels à leur avis favorable, pour la qualité par exemple des programmes de travaux engagés, afin notamment d'accélérer le processus de délivrance de leur avis. Il existe au sein de la région Centre-Val de Loire l'expérience réussie d'un guide commun diffusé aux propriétaires avec des critères établis, des règles établies, ce qui permet de mener ensemble une réflexion au sein de la DRAC avec tous les ABF pour aboutir à un cahier des charges commun harmonisant toutes les exigences techniques.

Je me fais le porte-parole de la Fondation du patrimoine qui aimerait que les ABF puissent dégager du temps afin de pouvoir développer avec leur expertise une action en matière environnementale, par exemple développer des labels sur les parcs et jardins, identifier des projets vertueux de restauration du patrimoine qui prennent en compte les enjeux d'écorénovation pour amplifier encore davantage l'impact environnemental du secteur du patrimoine. Je pense qu'il n'est pas possible de détacher le patrimoine bâti du patrimoine naturel, du patrimoine environnemental. Sur ces aspects, les compétences et les avis des ABF pourraient être précieux pour définir des recommandations, diffuser des bonnes pratiques et participer au choix des projets. Avec la Fondation du patrimoine, nous avons d'ailleurs émis des recommandations que je pourrai vous faire parvenir, en ce qui concerne les perspectives de process entre les UDAP et les délégations régionales de la Fondation du patrimoine qui, je le rappelle, jouent un rôle important. Il s'agit de bénévoles qui me remontent les dossiers, ce qui me permet ensuite de donner de l'argent du loto du Patrimoine. Il existe une formidable coordination entre les équipes locales de la Fondation du patrimoine et les UDAP qui travaillent dans la majorité des cas en bonne entente pour la préservation du patrimoine de nos territoires. Parfois, nous avons quand même des retours du terrain dans quelques départements où il serait possible d'envisager quelques évolutions. Les UDAP font face à un accroissement des demandes d'urbanisme et à un manque de moyens humains et souvent, les dossiers portés par la Fondation du patrimoine ne sont pas prioritaires et souffrent de longs délais qui découragent les porteurs de projet, particulièrement les porteurs privés. Je pense que dans le cadre du label de la Fondation du patrimoine, il faut aller vers une clarification, une harmonisation des exigences techniques des UDAP, faire reconnaître l'expertise technique de la Fondation et déléguer l'avis conforme pour des projets simples aux techniciens au sein des UDAP. Peut-être serait-il en outre possible d'envisager la définition d'un délai commun de réponse. La charte signée en 2009 mentionnait un délai de 30 jours ouvrés, mais ce délai n'est pas respecté. Nous pourrions aussi imaginer une digitalisation de la transmission des dossiers, car cela faciliterait le partage des documents et permettrait d'automatiser certaines relances. Avec la Fondation du patrimoine, nous vous avons préparé des notes que je pourrai mettre à votre disposition, pour améliorer et fluidifier les relations entre les UDAP et permettre aux ABF de donner un avis favorable plus rapidement.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci de votre intervention très synthétique, mais dense. Je ne poserai qu'une seule question. Vous savez qu'un certain nombre de maires et de porteurs de projets privés, en raison du manque de moyen, n'ont pas la possibilité de rencontrer les ABF ou même les personnes travaillant au sein des UDAP et se limitent donc à l'avis qui leur est donné, lequel peut être défavorable ou favorable avec des recommandations qui leur paraissent très lourdes. Les décisions rendues par l'ABF peuvent être vécues, par des élus ou par des particuliers, avec une forme d'incompréhension, parfois avec une forme d'injustice, voire de mépris social. Il existe donc un problème de sensibilisation ou d'enseignement au patrimoine. Je voudrais avoir votre vision des choses sur le sujet, peut-être sur la proposition d'incorporer cette sensibilisation au patrimoine dans l'enseignement scolaire. Comment voyez-vous les choses pour que les uns et les autres, nous nous sensibilisions de plus en plus à notre environnement patrimonial ?

M. Stéphane Bern. - Monsieur le rapporteur, vous avez tout à fait raison, vous souligner le point essentiel : comment faire, et c'est tout mon travail, pour que la jeune génération, celle qui arrive, soit sensibilisée au beau, à l'art, au patrimoine, au respect du patrimoine bâti et du patrimoine naturel et environnemental. C'est tout l'enjeu. Je suis le parrain de l'association « Les enfants du patrimoine » et nous essayons de transmettre à ces générations qui devront prendre la relève et assurer la protection du patrimoine.

Vous parlez d'incompréhension, c'est évident. Nous avons l'impression que l'arbitraire décide parfois de ce qui est beau, de ce qui est bien. J'ai plaidé auprès du Président de la République depuis tant d'années, sept ans maintenant, pour une police du patrimoine. Nous ne faisons pas respecter le patrimoine. Il existe des périmètres protégés et les gens ne comprennent pas les raisons pour lesquelles ils sont « embêtés » et des travaux leur ont été demandés par la DRAC, tandis que d'autres ont la latitude - parce qu'on n'ose pas leur dire - de construire des éléments monstrueux dans un périmètre protégé. Cela manque d'harmonisation, de cahier des charges très précis et de respect des périmètres. J'ai ici une nouvelle ABF que j'ai rencontrée à la préfecture d'Eure-et-Loir à Chartres et qui m'a dit qu'elle n'avait pas le temps de venir me voir, contrairement au préfet. À deux heures de route en revanche, à Orléans, la conservatrice en chef des monuments historiques prend, elle, le temps de venir me voir. Pour un particulier comme moi, certes connu, les gens ont plutôt l'habitude de s'inviter pour venir voir mon monument historique, mais pour l'abbatiale qui est juste derrière moi et qui a besoin de travaux, l'ABF ne vient pas, ce qui illustre un deux poids deux mesures. La loi NOTRe a fait en sorte que la DRAC doive faire des milliers de kilomètres pour aller voir chaque petite église de village. Je pense que les délégués de la Fondation du patrimoine, qui font un travail incroyable sur le terrain, pourraient servir de relai. Il faut trouver des relais pour rendre les choses moins abruptes et mettre du liant avec les collectivités territoriales, les petites communes qui se sentent complètement larguées et les particuliers qui ne comprennent pas les avis des ABF qui ne sont pas qualifiés ni explicités. Je vous ferai passer les deux notes que nous avons rédigées conjointement avec la Fondation du patrimoine pour essayer de trouver comment harmoniser les liens avec les ABF et les UDAP.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions de cette contribution écrite et si d'autres éléments vous viennent en tête, vous pouvez toujours nous écrire jusqu'à la mi-juin.

Mme Sabine Drexler. - Monsieur Bern, la commission culture du Sénat est très inquiète par rapport au patrimoine non protégé qui fait actuellement les frais d'un DPE que nous estimons inadapté au bâti patrimonial et de préconisations relatives à tout ce qui relève de l'isolation énergétique, avec notamment l'application de panneaux de polystyrène sur des pans de bois ou des maisons en pierre. Nous parlons de cette heure où l'ABF n'intervient pas et où tout est possible. Nous aimerions avoir votre avis sur ce fameux DPE. Je me demandais par ailleurs s'il ne faudrait pas, au regard de ce qu'il se passe depuis la loi Climat et résilience, pouvoir identifier tout ce qui fait partie du patrimoine en France, y compris dans les secteurs qui ne bénéficient d'aucune protection.

M. Stéphane Bern. - Madame la sénatrice, je sais que vous avez fait un travail remarquable, que je lis d'ailleurs, pour la commission culture du Sénat sur le patrimoine et que vous m'avez très aimablement envoyé ces derniers mois. Vous avez mille fois raison et c'est ce qui remonte de tous les propriétaires d'un bâti protégé et qui se sentent démunis face aux nouvelles règles qui s'imposent pour l'isolation. Quand j'en discute avec les différentes DRAC, on me dit qu'il existe des dérogations. J'ai fait remonter à la ministre de la culture que les propriétaires privés se sentaient démunis devant les demandes aberrantes qui leur sont faites, comme celles de changer les volets, de changer les fenêtres qui datent du XVIIIe siècle ainsi que les huisseries qui ont auparavant été protégées à grands frais. Au nom de cette loi, des normes européennes s'appliquent de façon drastique sans aucune préoccupation des caractéristiques de l'habitat régional de notre pays - une ferme comtoise ne se rénove pas de la même manière qu'une longère percheronne ou qu'une maison basque. Une inquiétude naît donc de la part des propriétaires privés. Je n'ai malheureusement pas la réponse à votre question, mais je dois participer vendredi après-midi pour les cent ans de la Demeure historique à Villandry à une table ronde où l'État sera questionné sur cette imposition de normes qui vont détruire le patrimoine.

Mme Sabine Drexler. - Je pense que vous êtes un véritable allié et nous avons besoin d'entendre la voix de personnes comme vous pour faire comprendre ce qui est en train de se passer, car c'est éminemment grave pour ce qu'est notre pays.

M. Stéphane Bern. - Bien sûr. Cela concerne tout le patrimoine régional, de commune en commune, de village en village. Je présente « Le village préféré des Français » et je vois de nombreux maires dont certains sont désespérés et ont le sentiment qu'on leur demande de protéger le patrimoine tout en prenant des mesures qui vont le détruire. L'application de ces normes est une catastrophe pour notre patrimoine. Je n'ai pas la réponse, je ne me fais que le porte-voix de la société civile. J'ai une mission qui m'a permis jusqu'à présent de sauver 875 sites et nous allons en sauver 120 autres cette année, mais en même temps, je vois tout le patrimoine non protégé qui souffre terriblement de ces normes qui vont lui être imposées. Merci, madame la sénatrice, de soulever ce problème.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions pour votre présence à cette audition.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mmes Valérie Charollais, directrice de la Fédération nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime, et Eléonore Chambras Lafuente, en charge des relations parlementaires de la FNCAUE

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons avec l'audition de la Fédération nationale du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE). J'ai la chance d'avoir un CAUE au sein de mon département et en tant qu'élue locale, j'ai beaucoup travaillé avec le CAUE de mon département. Organismes privés investis d'une mission d'intérêt public créés en 1977, les CAUE représentent de véritables services de proximité au niveau du département pour conseiller, former et informer sur la promotion de la qualité de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement. Nous avons le plaisir d'auditionner Mme Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE, Mme Éléonore Chambras-Lafuente qui est en charge des relations parlementaires de la Fédération, et Mme Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime.

Les CAUE ont souvent été cités dans le cadre de nos auditions. Pour autant, vos missions ne sont pas toujours bien connues de nos concitoyens. En quoi consistent-elles ? Quel est votre maillage territorial ? Quelle est la composition des CAUE ? Quels sont vos relations avec les différents acteurs intervenant en matière de sauvegarde du patrimoine et, en particulier, les architectes des bâtiments de France (ABF) ? Qui fait le plus souvent appel à vous ? Voilà autant de questions que nous nous posons. Votre témoignage permettra donc non seulement d'enrichir nos travaux sur les ABF, mais également d'apprendre à mieux vous connaître.

Je rappelle que notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen. Les premières auditions ont déjà souligné la complexité des nombreuses missions des ABF et parfois quelques incompréhensions qui en résultent. Un manque de moyens a presque tout le temps été cité, avec la mise en oeuvre des périmètres délimités des abords (PDA) et des sites patrimoniaux remarquables (SPR) dans un contexte très exigeant de la transition écologique et énergétique. Mesdames les directrices, je vous propose d'ouvrir nos échanges avec un propos liminaire d'une dizaine de minutes. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur.

Mme Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE. - Merci de nous recevoir et de nous donner l'occasion de présenter les CAUE et leur articulation avec la mission des ABF et de donner notre point de vue sur les ABF, leurs missions et les conditions d'exercice de leur métier dans les territoires. Nous avons proposé à Pascale Francisco, directrice d'un CAUE, de venir avec nous, dans la mesure où elle a été dans une vie antérieure elle-même ABF.

Les CAUE ont la particularité d'avoir des statuts qui, en 1977, anticipaient la décentralisation, puisqu'ils sont à la fois à l'écoute des territoires en répondant à leurs besoins et en même temps des relais des politiques publiques nationales. La gouvernance est particulière et nous avons coutume de dire qu'il s'agit d'une conférence territoriale avant l'heure, car les CAUE comprennent un quart de représentants élus désignés par le conseil départemental, un quart de représentants de l'État issus de l'Éducation nationale, de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et du ministère de la Culture avec les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP), et un quart de représentants de la société civile (associations, entrepreneurs, etc.). Il existe 92 CAUE constituant une maille départementale extrêmement dense, car moins de 10 territoires n'ont pas de CAUE. Cette ingénierie territoriale représente environ 1 200 collaborateurs. Le dernier CAUE a été créé à Mayotte en 2022. Ce besoin d'ingénierie technique, culturelle et pédagogique est donc toujours existant et cela permet d'ouvrir le dialogue avec de nouveaux élus qui seraient intéressés.

Les CAUE ont pour mission de conseiller, former et sensibiliser dans tous les champs de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement. Ils ne font pas de maîtrise d'oeuvre, mais proposent une aide à la décision, du conseil, l'appui à des diagnostics et à des scénarios, etc. Près de 80 000 conseils sont dispensés chaque année à des particuliers (candidats à la construction, bailleurs sociaux, entrepreneurs, agriculteurs, etc.) ainsi que 12 000 actions d'accompagnement de collectivités (communes, établissements publics de coopération intercommunale - EPCI, département et régions). Les CAUE dispensent par ailleurs des formations à destination des élus ou à destination des professionnels. La mission des CAUE est assez large, ce qui rend parfois difficile la compréhension de « l'objet CAUE », mais ils interviennent sur tous les champs du cadre de vie et du développement territorial. À ce titre, les équipes des CAUE sont issues de différentes formations : architectes (dont architectes du patrimoine), urbanistes, paysagistes, professionnels de l'image (identité visuelle, webmaster) et quelques spécialités locales (sociologues, historiens de l'art). Les équipes pluridisciplinaires des CAUE sont amenées à croiser les ABF et leurs services. Une enquête a été menée il y a quelques années pour interroger la relation entre les CAUE et les ABF et le bilan était extrêmement positif des deux côtés. Les CAUE ont en effet un rôle de conseil aux particuliers et sont donc très sollicités par les particuliers. Ils peuvent croiser l'ABF en cas de refus, auquel cas le particulier concerné sollicite le CAUE. À l'inverse, l'ABF peut parfois renvoyer de lui-même vers le CAUE pour une médiation. Les relations entre les CAUE et les ABF sont très positives.

Votre mission porte sur les ABF. À la base, la mission des ABF pose la question de la culture architecturale des élus et des Français en général. Or, la culture architecturale n'est pas particulièrement développée en France et il est donc nécessaire de transmettre cette culture « citoyenne » de l'architecture. Par nos actions, nous essayons ainsi de toucher les élus, les habitants et les acteurs économiques. Nous développons un certain nombre d'outils et de médias pour essayer d'inculquer cette culture citoyenne, dont l'objectif n'est pas nécessairement de devenir maître d'oeuvre, mais plutôt de reconnaître son cadre de vie et de savoir l'apprécier, le respecter, participer à son évolution, etc. En ce qui concerne la mission des ABF, nous faisons le constat suivant, en qualité de témoins de ce qui se passe dans les territoires et en qualité d'acteurs de ces territoires puisque nous accompagnons les particuliers, les professionnels, les élus et le grand public : la France est une destination touristique majeure et ce ne sont pas tellement les zones commerciales ou les espaces « banalisés » que les touristes viennent visiter ; l'une des dimensions expliquant le succès touristique de la France concerne la qualité de certains sites et de certains ensembles. Il doit donc exister un lien entre la protection qui a été mise en place à travers différentes lois autour du patrimoine et ce succès. Les Français sont par ailleurs attachés au patrimoine - le succès des Journées européennes du patrimoine renforce ce constat. Le réseau des CAUE organise une l'opération « Les enfants du patrimoine » la veille des Journées européennes du patrimoine, permettant de toucher en une journée 40 000 enfants qui font des activités autour de leur patrimoine de proximité. Cela fait cinq ans seulement que cette opération est nationale et les CAUE ont aujourd'hui un partenariat avec la SNCF, les centres des monuments historiques, etc. Il existe donc un sujet autour des jeunes qui sont les ambassadeurs de notre patrimoine par rapport à leurs parents et qui seront les acteurs de demain. Nous développons par ailleurs des parcours avec l'application numérique Archistoire, avec l'idée qu'il est possible de découvrir son patrimoine de proximité à la fois physiquement, mais également virtuellement, en travaillant avec des applications numériques, etc. Nous sommes convaincus de l'intérêt de continuer à protéger le patrimoine bâti. Le patrimoine constitue également un levier économique et social et nous connaissons le succès des politiques nationales comme « Action coeur de ville » ou « Petite ville de demain » qui s'appuient beaucoup sur la qualité des centres-bourgs et des espaces assimilés.

Certains projets ne seront jamais vus par un architecte, sauf par un ABF, car il n'existe aucune obligation de recours à un architecte. 7 % seulement des avis des ABF sont par ailleurs défavorables, ce qui ne signifie pas que le projet n'aura pas lieu, mais plutôt qu'il devra être retravaillé. Nous entendons qu'il puisse exister des difficultés et des incompréhensions par rapport à des avis parfois contradictoires, mais les avis défavorables des ABF restent peu nombreux. En outre, le patrimoine constitue un atout pour la France et un élément d'attractivité et nous pensons que ce succès n'intervient pas par hasard, mais qu'il est lié aux politiques patrimoniales, aux outils et aux moyens mis en place. Cela ne signifie pas que nos paysages sont immuables et il ne faut pas mettre sous cloche les paysages urbains et les paysages ruraux. Aujourd'hui, il se construit le paysage de l'après-pétrole, ce qui signifie que tout doit être imprégné d'enjeux nouveaux, comme l'accueil d'éoliennes et du photovoltaïque, l'adaptation à certains types de mobilité, etc. Nous y travaillons, parfois en lien avec les ABF ou les UDAP sur certains projets. En Meurthe-et-Moselle, le projet « Mon village 54 » a pour objectif de visualiser et de rendre visible ce que donneraient des paysages de l'après-pétrole avec des mesures respectueuses des enjeux d'aujourd'hui, soit en milieu urbain, soit en milieu rural. Dans l'Ain, des formations sont dispensées, dont une sur les énergies renouvelables dans le cadre d'une démarche paysagère architecturale et règlementaire. Dans les Hautes-Pyrénées, un guide d'interprétation des installations solaires sur le bâti a été rédigé. Ces documents sont réalisés soit en interne, soit en collaboration avec les UDAP ou d'autres services départementaux, qui visent à renforcer une culture architecturale. En Ariège, un document a été élaboré sur la rénovation du bâti ancien, tandis que dans le Lot, un document intitulé « production de l'énergie solaire et préservation du patrimoine sur les Causses du Quercy » a été élaboré.

En résumé, il existe pour nous une vertu évidente à protéger ce patrimoine que nous avons dans nos grandes villes, nos petites villes et parfois même dans nos villages. Nous recherchons des solutions pour améliorer les conditions d'exercice du métier de l'ABF et les pratiques professionnelles. Certes, les ABF peuvent différer selon les territoires et ne pas avoir tout à fait l'appréciation, mais il existe des raisons.

Mme Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime. - L'architecture est complexe, les études sont longues et malheureusement très peu partagées. Nous essayons de défendre les particularités des territoires et la qualité du cadre de vie, sachant que chaque territoire représente un terroir avec des matériaux pris sur place. Il s'agit de l'inverse de ce qui peut se voir dans le pavillonnaire avec la même maison du nord au sud.

Pour revenir sur mon parcours, je suis architecte DPLG diplômée par le gouvernement. J'ai fait l'École d'architecture de Clermont-Ferrand et j'ai travaillé une dizaine d'années comme salariée ainsi qu'à mon compte au sein d'une société d'architecture. Je ne me retrouvais pas dans ces missions dans lesquelles nous ne répondons qu'à un seul client. À cette occasion, j'ai travaillé pour une commune et élaboré un projet au pied de l'église classée, mais l'ABF a rendu un avis défavorable sur ce projet. J'ai donc pris rendez-vous avec lui et nous avons pu échanger sur le projet que j'avais dessiné. Après ce rendez-vous, j'étais très contente, car non seulement mon projet était amélioré, ce qui m'a permis de le redéposer et d'obtenir un avis favorable, mais en outre, il était ressorti meilleur que ce que j'avais pu faire toute seule. Cet échange est resté dans ma mémoire. Après mon diplôme, j'ai dû quitter l'Auvergne et je ne me suis pas retrouvé dans une agence parisienne, où le travail est très séquencé. J'ai été architecte contractuelle en Seine-et-Marne pendant trois ans, puis j'ai passé le concours des ABF que j'ai obtenu et je suis partie dans le Cantal. J'y ai eu la chance de très bien travailler avec le CAUE du Cantal, en particulier sur l'opération « Coeur de village », dans le cadre de laquelle le CAUE faisait un diagnostic partagé avec les élus, la DDT, l'ABF et le conseil départemental. Sur la base de ce diagnostic partagé, la commune lançait une consultation de maîtrise d'oeuvre pluridisciplinaire prenant en compte ce diagnostic partagé y compris avec la population lors de présentations publiques. Nous avons réalisé de très belles opérations dans le Cantal, dont je pense que le département peut être assez fier.

Quand je suis arrivée en tant qu'ABF dans la Loire, il n'y existait pas de CAUE et j'ai pu mesurer ce manque en termes d'échanges et d'acculturation. Tous les acteurs du cadre de vie (le directeur de l'École d'architecture, les architectes libéraux et les architectes-conseils du département) se sont mobilisés pour essayer de monter un CAUE, mais nous n'y sommes pas parvenus. J'ai ensuite été ABF dans les Ardennes, où il n'existait pas non plus de CAUE. Mon expérience du Cantal m'avait vraiment convaincue de la nécessité des CAUE et de leur travail de fond. Je me suis donc mobilisée auprès du préfet et de certains parlementaires pour essaye de créer un CAUE. J'ai moi-même postulé à un poste de directrice de CAUE, car j'adore ce travail de terrain et que je suis convaincue que ce rôle de sensibilisation et de conseil est primordial, en particulier sur le cadre de vie et les enfants qui sont de véritables ambassadeurs. Si les enfants apprennent à voir ce qui les entoure, leur village, leur paysage, ils seront nécessairement attachés à leur territoire. Or, comme cela n'est pas enseigné, il faut que nous puissions semer de graines. Il s'agit d'une forte orientation que j'ai portée auprès de ma présidente, Mme Rabelle, qui m'a suivi sur cet axe pour le CAUE de Charente-Maritime.

Mme Valérie Charollais. - L'ABF n'est pas tout seul et le constat est fait d'un manque de moyens humains pour rendre les avis dans de bonnes conditions. Cela suppose en effet d'avoir le temps d'aller sur le territoire, de rencontrer les élus et les pétitionnaires et de faire la pédagogie qui va avec. Le CAUE ne peut se substituer à l'ABF en matière de pédagogie et il faut que l'ABF puisse motiver ses avis. Ce manque de moyens nous semble malheureusement avéré.

Mme Pascale Francisco. - La situation est en effet assez catastrophique. Dans tous les UDAP dans lesquels j'ai pu travailler, il existe un manque criant de personnel. Quand je suis arrivée dans le Cantal, j'étais la première ABF seule, sans adjoint. Il manque également des techniciens, des secrétaires, etc. Lorsque je suis arrivée dans les Ardennes, nous avons eu quatre techniciens des bâtiments de France en quatre ans. Après le départ d'un technicien qui avait une grande ancienneté, comme personne ne voulait venir sur le territoire, un sortant de concours d'ingénieur a pris le poste, mais il est parti un an plus tard au moment de sa titularisation. S'en est suivie une vacance durant laquelle nous avons récupéré le territoire comme nous l'avons pu entre les autres techniciens, mon adjointe et moi. Nous avons ensuite récupéré une personne qui venait d'avoir le concours de technicien des bâtiments de France qui était un ancien éducateur spécialisé. Cette personne n'est même pas restée un an. Une période d'intérim a suivi, puis un jeune contractuel venant d'Arles et qui sortait de l'École a été embauché, qu'il a également fallu former et qui n'est resté qu'un an. Une autre personne est arrivée après mon départ. Dans la Loire, j'ai travaillé quasiment sans secrétaire. Nos missions ne cessaient d'augmenter avec des moyens à la baisse. En termes de rémunération également, un secrétaire dans la Loire avait passé le concours de technicien des bâtiments de France, mais il gagnait moins que lorsqu'il était secrétaire. Il manque en outre des concours pour faire progresser les personnes. L'UDAP constitue une équipe et les ABF n'ont pas pour seule mission de rendre des avis.

Mme Valérie Charollais. - Nos propositions seraient les suivantes : instaurer une obligation de rencontre entre l'ABF et le pétitionnaire pour ne pas rendre d'avis sans échange ; retrouver le temps de la pédagogie auprès des pétitionnaires ; renforcer les services ; travailler sur l'attractivité de la fonction d'ABF et des fonctions en général à l'intérieur même des services ; soutenir financièrement certains travaux ; proposer des formations continues obligatoires sur les techniques de construction, les normes, la règlementation, la médiation ; requestionner la formation même de l'architecte - j'appartiens à l'Observatoire économique de la filière architecture au sein du ministère de la Culture et tout le monde réclame une meilleure intégration dans la formation des architectes du travail sur le déjà existant, qui est davantage pris en compte dans d'autres pays.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci. En France, 80 % des territoires sont ruraux et les communes de moins de 500 habitants représentent 50 % des communes tandis que celles de moins de 2 000 habitants représentent plus de 70 % des communes. La France est bien rurale et est composée de nombreuses petites communes qui n'ont pas les moyens. Les CAUE leur apportent une aide et un accompagnement qu'elles ne peuvent pas se payer autrement.

Vous avez parlé d'un bilan que vous avez fait des relations avec les ABF. Pourriez-vous nous l'envoyer si cela est possible ?

Mme Valérie Charollais. - Il était piloté par le ministère de la Culture et il faudrait donc le leur redemander.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez par ailleurs parlé de 12 000 accompagnements de collectivités territoriales. Ces accompagnements se font-ils plutôt sur des zones rurales ou urbaines ?

Mme Valérie Charollais. - L'accompagnement peut aussi bien porter sur des politiques de l'habitat que sur des politiques de mobilité ou sur des diagnostics, en zone urbaine comme en zone rurale.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci pour votre présentation. Je suis élu dans le département de l'Aisne qui dispose d'un CAUE. Je suis élu depuis 2015, j'ai été maire et président d'intercommunalité, mais je n'ai jamais été en contact, même physique, avec le CAUE. Pourtant, tous ceux qui ont fait une démarche d'aller vers le CAUE en ont été ravis. Au fur et à mesure des auditions, il apparaît que les méthodes de travail et le champ des actions ne sont pas tout à fait les mêmes. Existe-t-il au niveau national une volonté d'uniformiser les méthodes et les champs d'action des CAUE dans les territoires qui en sont dotés ?

Je pense que le CAUE a été cité à toutes les auditions, ce qui signifie que le rôle des CAUE est important. Comment voyez-vous cette complémentarité entre l'ABF et le CAUE ? Avez-vous des exemples dans lesquels ce duo, ou même cette relation à trois avec les communes, les intercommunalités ou les services de la DDT, fonctionne bien ou est plus avancé qu'ailleurs ? Dans un monde idéal, quel serait le fonctionnement le plus abouti de cette relation, quel serait le rôle du CAUE ? L'idée d'un cahier des charges revient souvent à cet égard. Cela existe-t-il dans certains territoires et cela vous semble-t-il possible de le développer sur les territoires ?

En ce qui concerne les PDA, il semble qu'ils fonctionnent bien là où ils existent. Si vous avez l'occasion dans votre carrière de participer au processus de mise en place d'un PDA, voyez-vous des étapes qui permettraient d'alléger la démarche ou de raccourcir les délais ?

Mme Valérie Charollais. - En ce qui concerne l'uniformisation, la FNCAUE a pour rôle, entre autres, de produire des outils mutualisés entre CAUE. Nous pouvons travailler sur certains sujets à plusieurs et nous avons par exemple un groupe de travail sur la rénovation du bâti ancien. Une tête de réseau a normalement vocation à capitaliser les expériences et mutualiser des pratiques éventuellement. Nous avons ainsi certains guides qui peuvent être reproduits dans plusieurs territoires. Les CAUE présentent cependant la particularité d'être à l'écoute des territoires - il apparaît à cet égard qu'au vu de la diversité des demandes, il est plus difficile de les regrouper sous un même chapeau - et de faire du « sur-mesure ». Nous n'avons par exemple pas produit de guide d'aménagement qui serait le même partout, car la question de l'aménagement ne s'appréhende pas de la même façon sur tous les territoires. Il semble dès lors compliqué d'uniformiser vraiment l'action des CAUE et de nombreuses publications sont géolocalisées. Il relève cependant du rôle de la Fédération d'essayer de faire ces travaux d'harmonisation. Nous avons notamment un partenariat avec le ministère de la Transition écologique et l'association des maires de France qui nous permet de décliner une formation nationale sur le paysage pour les élus, identique à 80 % pour l'ensemble des territoires, mais adaptée aux spécificités locales pour 20 %.

Mme Pascale Francisco. - En ce qui concerne le couple UDAP-CAUE, nous avons dans le Cantal travaillé à plusieurs avec le CAUE sur les opérations « Coeur de village », mais également avec le parc naturel régional (PNR) des volcans d'Auvergne à son initiative. Nous avons notamment créé un atelier rural d'urbanisme auquel étaient présents les DDT du Cantal et du Puy-de-Dôme (le parc est à cheval entre les deux départements), les ABF des deux départements et les communes du parc. Nous avons ainsi fait un travail de sensibilisation sur la manière d'étendre son village en respectant son identité. Dans les territoires dans lesquels il n'existait pas de CAUE, cela a été très difficile pour moi. Les relations avec les UDAP fonctionnent très bien et nous travaillons dans le même sens.

Mme Valérie Charollais. - Le CAUE a une mission de sensibilisation des élus, sachant que les élus sont des décideurs et qu'ils doivent donc savoir de quoi ils parlent et comment faire. Nous essayons de développer ce « savoir de quoi il est question », de sensibiliser les élus à l'architecture. Il s'agit également d'aider les élus à prendre les bonnes décisions. Plus le CAUE a les moyens de faire cela, plus les demandes de permis d'urbanisme formulées par les élus ou les particuliers ont de chances d'être bien conçues. Il est important que l'ABF puisse assurer un point de contact avec le pétitionnaire pour parfaire l'exigence en site concerné par son périmètre, mais il faut globalement d'abord avoir une culture de l'architecture et ne pas avoir peur d'en parler, sans pour autant entrer dans un langage technique nécessairement. Le rôle des CAUE se situe en amont, pour sensibiliser le grand public et les élus, faire du récit autour de l'architecture et dédramatiser le sujet.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quand je parlais de partage de méthodes de travail, il s'agissait surtout de faire de la pédagogie sur l'utilité et le rôle des CAUE.

Mme Valérie Charollais. - Vous avez raison. Notre président fait la tournée de toutes les collectivités, communes et EPCI, mais il faut du temps. Or, un CAUE compte neuf ETP en moyenne.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Je reviens sur le sujet du cahier des charges par commune ou par intercommunalité, afin de travailler à l'échelle d'un territoire entre l'ABF, les élus locaux et le CAUE. Existe-t-il des exemples dans lesquels vous avez réussi à établir ce genre de guide pratique ?

Mme Pascale Francisco. - Le plan local d'urbanisme (PLU) donne déjà des règles. À la suite des lois de décentralisation pour supprimer les périmètres des monuments historiques, des zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU) ont été créées, puis des ZPPAUP (P pour paysage) dix ans plus tard. Cela répondait au souhait par les élus contre l'avis dit arbitraire des ABF. Il s'agit d'un cofinancement de la commune et du ministère de la Culture qui missionnent une équipe avec un architecte du patrimoine et souvent aussi un paysagiste et un urbaniste, laquelle équipe prend en compte le territoire entier de la commune. Les ZPPAUP sont ensuite devenues des aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP), au nombre de 800, puis des SPR englobant la centaine de secteurs sauvegardés en France. Les CAUE élaborent sur quasiment tous les territoires des chartes de recommandations qui sont suivies on non, mais cela reste du conseil.

Mme Sabine Drexler. - Pour ma part, je suis élue d'Alsace et nous avons deux CAUE, l'un dans le Haut-Rhin et l'autre dans le Bas-Rhin. Je suis également conseillère d'Alsace en charge du patrimoine et au niveau de la collectivité européenne d'Alsace nous travaillons de manière très étroite avec nos CAUE qui prodiguent la partie ingénierie : les membres des CAUE vont voir les propriétaires qui demandent des subventions au conseil d'Alsace, leur donnent des conseils et valident les travaux avant la notification des subventions. J'ai entendu qu'il existait de nombreux supports, chartes et guides qui sont mis à la disposition des propriétaires pour les aider à concilier patrimoine et rénovation énergétique en tenant compte des ressources locales. Cependant, ces propriétaires sont actuellement soumis à un DPE standardisé et à des préconisations dont nous entendons qu'elles sont tout aussi standardisées. N'existe-t-il pas une sorte d'antagonisme entre ce qu'il faudrait pouvoir faire en termes de rénovation respectueuse du bâti et ce qui est actuellement préconisé et même subventionné ?

Mme Valérie Charollais. - L'énergie constitue aujourd'hui un secteur essentiellement pris par les énergéticiens. Si nous arrivons aujourd'hui à cette difficulté d'un DPE qu'il faudrait améliorer et de rénovations énergétiques qui ne sont pas toujours des réussites, c'est probablement parce que le monde de l'architecture et le monde de l'énergie ont du mal à se parler, même au plus haut niveau. Nous siégeons au comité piloté par l'ADEME, le ministère de la Transition écologique, etc., et il est très compliqué de faire entendre la voix de l'architecture et de poser la question de la qualité architecturale et celle des usages. Dans tous les comités de pilotage auxquels nous participons, nous insistons sur la nécessité de mettre autour de la table le monde de l'architecture et le monde de l'énergie.

Mme Éléonore Chambras-Lafuente, en charge des relations parlementaires de la FNCAUE. - Les comités s'inscrivent plutôt dans des logiques quantitatives et de chiffres, avec l'ambition d'atteindre des objectifs, sans trop s'interroger sur la durabilité ou sur le risque, en utilisant des techniques peu adéquates vis-à-vis du bâti ancien, de générer des problèmes qui n'existaient pas.

Mme Valérie Charollais. - Il faut certes faire des choses au nom de l'écologie et de la santé, mais il faut parvenir à mettre tous les acteurs concernés autour de la table, ce que les CAUE tentent de faire. S'il est important d'avoir des objectifs quantifiés, il ne faut pas que cela se fasse au détriment, dans la durée, de la vie des bâtiments que nous allons restaurer ou réaménager. Or, il s'agit aujourd'hui du chemin que nous prenons.

Les lois et les normes produites en France sont très nombreuses et il faut s'interroger sur la manière dont les artisans vont pouvoir se former à ces normes. Il n'est pas certain que les primes soient vraiment bien placées aujourd'hui.

Mme Pascale Francisco. - Dans les Ardennes, des personnes se sont fait démarcher et leur maison a été bardée de polystyrène pour un euro, mais elles ont été verbalisées ensuite, car il s'agissait de bâti ancien et que le polystyrène n'était pas compatible. Ces personnes n'avaient aucun élément pour se retourner contre ceux qui leur avaient installé le polystyrène. Ces pratiques sont malheureusement très courantes et placent certaines personnes dans une situation délicate.

Mme Sabine Drexler. - Cela a également été fait dans ma commune où nous avons un PDA. Malgré l'avis négatif de l'ABF, certaines personnes ont quand même réalisé des travaux et cela a encouragé d'autres personnes à acheter des panneaux de polystyrène, alors que nous sommes dans un secteur protégé. Nous sommes parvenus à faire démonter les plaques de polystyrènes grâce au PDA, mais seuls 8 % du territoire sont protégés en France, ce qui signifie que sur le reste du territoire, il est possible de faire n'importe quoi. Si nous laissons faire, cela sera catastrophique.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons compris que dix territoires n'ont pas de CAUE. Vous avez expliqué que vous aviez essayé de monter un CAUE sur certains territoires, mais que cela n'avait pas fonctionné. De quoi cela dépend-il ?

Mme Valérie Charollais. - Il existe 92 CAUE sur 99 départements.

Mme Pascale Francisco. - La création d'un CAUE dépend de la décision du conseil départemental. Il nous a été opposé l'argument selon lequel créer un CAUE sans avoir de taxe d'aménagement n'avait pas beaucoup de sens en termes de financement. Les départements qui n'ont pas de CAUE aujourd'hui ont pour autant créé une taxe d'aménagement et la flèchent vers la politique des espaces naturels sensibles et/ou vers le CAUE. Il n'est pas facile de promouvoir un CAUE ni d'en créer un, mais il faut aussi respecter le local.

Mme Pascale Francisco. - Quand un territoire n'a jamais eu de CAUE, il est parfois difficile d'en expliquer l'utilité.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci. Si vous avez d'autres documents, vous pouvez nous les transmettre et vous pouvez également porter à notre connaissance d'autres faits si vous le souhaitez.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.