Mercredi 3 juillet 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Institutions européennes - Priorités de la présidence hongroise du Conseil de l'Union européenne - Audition de S. E. M. Georges Habsbourg-Lorraine, Ambassadeur de Hongrie en France (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Voisinage et élargissement - Déplacement d'une délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux en Bosnie-Herzégovine du 22 au 26 avril 2024 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Marta de Cidrac va maintenant présenter le compte rendu du déplacement qu'elle a effectué en Bosnie-Herzégovine, en avril dernier, en qualité de présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux du Sénat ; Didier Mandelli, président délégué de ce groupe d'amitié pour la Bosnie-Herzégovine, y a aussi participé et je lui souhaite la bienvenue.

Le 21 mars dernier, le Conseil européen a décidé d'ouvrir les négociations d'adhésion à l'Union européenne avec la Bosnie-Herzégovine, laquelle s'était vu reconnaître le statut de pays candidat quinze mois plus tôt. Aussi le bureau de notre commission avait-il prévu qu'une délégation se rendrait en Bosnie-Herzégovine au cours de l'année. Toutefois, l'ordre du jour des travaux de notre commission étant particulièrement chargé, nous n'avons pu organiser un tel déplacement à cette heure. Nous sommes donc particulièrement intéressés de vous entendre.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux. - Sous ma présidence, une délégation du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux du Sénat, composée de Didier Mandelli, président délégué pour la Bosnie-Herzégovine, et de Laurence Harribey, présidente déléguée pour le Monténégro, s'est effectivement rendue en Bosnie-Herzégovine du 22 au 26 avril 2024.

À Sarajevo, à Banja Luka et à Mostar, nous avons rencontré les principaux responsables politiques, les représentants de la communauté internationale et plusieurs membres de la société civile. Tout au long de notre séjour, nous avons bénéficié de l'aide précieuse de l'ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine, François Delmas. Je l'en remercie.

Ce déplacement avait pour objectif de dresser un état des lieux de la situation en Bosnie-Herzégovine, près de trente ans après la signature des accords de Dayton-Paris. Nous souhaitions faire le point non seulement sur les tensions entre les différentes communautés dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi sur le processus de rapprochement avec l'Union européenne.

À la demande du président Rapin, je vous présenterai, en trois points, les principaux enseignements que nous avons retirés de notre déplacement : tout d'abord, je ferai l'état des lieux de la situation institutionnelle ; ensuite, je décrirai les tensions entre les différentes communautés ; enfin, j'évoquerai le rôle de l'Union européenne et de la France.

L'architecture institutionnelle de la Bosnie-Herzégovine est issue de la dislocation de la Yougoslavie et du conflit qui, entre 1992 et 1995, a déchiré le pays et a causé la mort d'environ 100 000 personnes. Ce conflit, rappelons-le, opposait les Serbes de Bosnie et de Serbie majoritairement orthodoxes aux Bosniaques musulmans et aux Croates traditionnellement catholiques, ces derniers s'étant parfois querellés entre eux.

La capitale, Sarajevo, a été assiégée pendant toute la guerre et porte toujours les stigmates des bombardements. Le massacre de la population bosniaque de Srebrenica en juillet 1995 par l'armée bosno-serbe a été qualifié de génocide par la Cour internationale de justice (CIJ) et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

Après plus de trois ans de conflit, l'intervention de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) a contraint les belligérants à accepter un cessez-le-feu et à signer, en décembre 1995, les accords de paix de Dayton-Paris.

Au cours de notre déplacement, nous avons déposé une gerbe devant le monument dédié aux quatre-vingt-quatre soldats français tombés durant les opérations.

La Constitution de Bosnie-Herzégovine, qui n'est autre que l'annexe IV des accords de Dayton, institue un système politique particulièrement complexe qui s'efforce d'assurer un équilibre entre les trois peuples constitutifs : les Bosniaques musulmans, les Bosno-Serbes et les Bosno-Croates, qui représentent respectivement environ 50 %, 30 % et 15 % de la population.

Aujourd'hui, deux entités composent ce pays de 3,5 millions d'habitants : la Republika Srpska, à dominante serbe, et la fédération de Bosnie-Herzégovine, qui réunit Bosniaques musulmans et Croates.

Leurs frontières ont été définies en fonction des positions des belligérants au moment de la signature des accords de Dayton. Le texte prévoit la mise en place d'un État fédéral qui regroupe les deux entités et dont les compétences sont relativement limitées, l'essentiel du pouvoir étant décentralisé.

Le fonctionnement des deux entités n'est pas pour autant identique : la Republika Srpska est centralisée, tandis que la fédération croato-bosniaque est très décentralisée et divisée en dix cantons, notamment pour garantir la représentation des Croates, chaque canton disposant d'un gouvernement et d'un parlement. À l'échelon central, il existe une présidence collégiale tournante comprenant trois membres, un par peuple constitutif.

In fine, l'exercice du pouvoir en Bosnie-Herzégovine est fragmenté entre quatorze gouvernements, réunissant au total près de 180 ministres, ce qui rend d'autant plus difficile la prise de décision.

Combinée à des dispositions constitutionnelles garantissant à chacun des trois peuples constitutifs une capacité de blocage de toute décision jugée contraire à ses intérêts, une telle architecture institutionnelle aboutit à une paralysie de l'action politique.

La vie politique locale reflète d'ailleurs cet état d'esprit. Les trois peuples constitutifs restent divisés et poursuivent chacun leur agenda : les Bosniaques, majoritaires, cherchent à renforcer les institutions centrales, tandis que les Bosno-Serbes et les Bosno-Croates, chacun selon des modalités différentes, militent en sens inverse pour plus d'autonomie et expriment parfois des velléités sécessionnistes.

Les partis nationalistes dominent la vie politique et entretiennent une relation clientéliste dans leurs fiefs géographiques respectifs, où ils distribuent emplois publics, marchés et subventions.

Le souvenir de la guerre et la haine latente entre anciens belligérants fragilisent tout rapprochement. Ainsi, le projet de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies relatif à la création d'une journée internationale de réflexion et de commémoration du génocide de Srebrenica est fortement contesté par les Serbes.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a, de son côté, remis en question le modèle institutionnel bosniaque au travers de l'arrêt Sedjiæ et Finci c. Bosnie-Herzégovine, rendu le 22 décembre 2009.

À l'heure actuelle, la Constitution du pays ne permet pas aux citoyens non membres des trois peuples constitutifs - Juifs ou Roms, par exemple - de se présenter aux élections centrales. Quatorze minorités se voient ainsi privées d'éligibilité. Pour autant, la mise en conformité de la Constitution avec cet arrêt ne semble pas une priorité, quand bien même elle détermine l'avenir européen du pays.

Au cours de notre visite, nous avons pu rencontrer les trois membres de la présidence collégiale. Ils ont chacun tenu un discours très nationaliste, à l'exception du représentant bosno-croate, qui a défendu une approche civique. Sachez que les Croates le considèrent comme illégitime, dès lors qu'il a été élu avec les voix des Bosniaques.

Une tutelle sur la Bosnie-Herzégovine a été créée sous la forme d'un haut représentant international chargé de surveiller la mise en oeuvre des accords de Dayton. Doté de pouvoirs importants, dits pouvoirs de Bonn, le haut représentant peut non seulement imposer des lois ou s'y opposer, en dépit des décisions prises par le Parlement élu, mais aussi destituer les responsables politiques locaux qui contreviendraient aux accords de paix.

Christian Schmidt, l'actuel haut représentant, semble avoir une conception très poussée de son rôle. Il a ainsi eu recours aux pouvoirs de Bonn pour annuler la loi électorale le jour même des élections. À l'évidence, sa présence dans le pays pose question : d'un côté, le haut représentant est un garant de la stabilité, mais, de l'autre, il constitue un facteur déresponsabilisant pour l'engagement des réformes.

Il existe bel et bien un consensus entre les parties en présence sur les insuffisances des institutions en place, mais chacune d'entre elles préfère assigner la responsabilité de l'échec à la communauté voisine.

J'en viens aux fortes tensions internes observées en Bosnie-Herzégovine, que la guerre en Ukraine a accentuées. La Bosnie-Herzégovine mène une politique étrangère largement rendue complexe par ses divisions internes.

La position du pays doit être en principe déterminée de façon consensuelle par la présidence tripartite. Pourtant, chacun des trois peuples constitutifs entretient des relations extérieures parallèles avec ses partenaires privilégiés : la Croatie pour les Bosno-Croates ; la Serbie et la Russie pour les Bosno-Serbes ; la Turquie pour les Bosniaques.

Ainsi, la Bosnie-Herzégovine n'a pas reconnu l'indépendance du Kosovo, en raison de l'hostilité des Bosno-Serbes.

Un consensus existe en faveur de l'intégration européenne, mais les Bosniaques restent divisés sur la question du rapprochement avec l'Otan. En effet, si les Bosniaques et les Bosno-Croates soutiennent l'adhésion à l'Alliance atlantique, les Bosno-Serbes y sont hostiles et plaident pour la neutralité.

Je le disais, la guerre en Ukraine a aggravé les tensions entre les trois communautés. Alors que les Bosniaques et Bosno-Croates prônent un alignement sur les positions de l'Union européenne, y compris en matière de sanctions, les Bosno-Serbes s'y opposent et continuent de ménager la Russie.

Le Président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, que nous avons reçu au Sénat peu avant notre visite, tient un discours ouvertement sécessionniste et prorusse. Il a instauré un régime autoritaire et clientéliste et cultive des liens avec la Serbie et la Russie de Vladimir Poutine. Il conteste la légitimité du haut représentant, du fait qu'il n'a pas été désigné par le Conseil de sécurité des Nations unies, et celle de la Cour constitutionnelle, qui comprend des juges étrangers.

Placé sous sanctions américaines et poursuivi par le procureur général de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik a agité à plusieurs reprises la menace d'un retrait des Bosno-Serbes des institutions de l'État, voire d'une sécession pacifique de la Republika Srpska du reste de la Bosnie-Herzégovine.

Cette crise a atteint son paroxysme lorsque, le 26 mars dernier, le haut représentant a utilisé les pouvoirs de Bonn pour modifier la loi électorale en vue de lutter contre la fraude. Le projet de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies pour l'instauration d'une journée de commémoration du génocide de Srebrenica n'a pas arrangé les choses, car cela pourrait faire porter l'accusation d'une responsabilité sur l'ensemble des Serbes.

Comme nous avons pu le constater lors de notre entretien avec le maire croate de la ville de Mostar, les Bosno-Croates craignent d'être marginalisés par rapport aux Bosniaques musulmans. Certains revendiquent une plus grande autonomie, voire la création d'une troisième entité.

Dans ce contexte, faut-il craindre un regain de violence qui pourrait être attisé par la Russie, sans doute pour ouvrir un nouveau front, ce qui aurait pour effet de déstabiliser l'ensemble de la région des Balkans ?

Dans le cadre du volet militaire des accords de Dayton, l'Union européenne a succédé à l'Otan en assurant une présence militaire via l'opération Althea. Les effectifs, réduits de 7 000 à 600 soldats entre 2004 et 2012, ont été récemment accrus : on compte désormais 1 600 soldats, avec le renfort d'un bataillon français d'environ 250 soldats que nous avons rencontrés.

Le mandat de l'opération militaire est fixé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, renouvelée chaque année à l'automne. Les effectifs seraient insuffisants pour faire face à d'éventuels affrontements armés, mais cette présence militaire remplit une fonction dissuasive.

Si les tensions politiques restent vives, nous avons le sentiment que la majorité de la population aspire à la paix et au développement économique. En effet, la Bosnie-Herzégovine demeure l'un des pays ayant le plus faible niveau de vie en Europe. En outre, elle subit une crise démographique en raison de la baisse de la natalité et d'une émigration massive, en particulier de la jeunesse.

Dans ce contexte, l'adhésion à l'Union européenne constitue l'un des rares objectifs communs partagés entre les trois communautés.

Je conclurai en évoquant le rôle de la France et de l'Union européenne. La perspective d'adhésion des pays des Balkans occidentaux a été reconnue dès 2000, sous présidence française de l'Union européenne. Alors que plusieurs pays issus de l'ex-Yougoslavie sont aujourd'hui membres de l'Union européenne, comme la Slovénie et la Croatie, ou engagés dans un processus de négociations, comme le Monténégro et la Serbie, la Bosnie-Herzégovine est longtemps restée en retrait. La principale raison tient au blocage des réformes résultant de la paralysie du système institutionnel.

En décembre 2022, le Conseil européen a accordé à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays candidat et a approuvé, les 21 et 23 mars 2024, l'ouverture des négociations d'adhésion. Cette mesure, qui a été unanimement saluée en Bosnie-Herzégovine, constitue un clair signal d'encouragement aux dirigeants bosniaques à poursuivre les réformes nécessaires dans la voie vers l'adhésion, ainsi qu'un avertissement pour le maintien de l'unité et la stabilité du pays.

Elle signifie aussi la volonté de l'Union européenne de ne pas oublier les pays des Balkans occidentaux, dans le contexte de l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie.

L'ouverture effective des négociations reste toutefois conditionnée à la mise en oeuvre de quatorze priorités clés. Définies par la Commission européenne en mai 2019, elles portent notamment sur le renforcement de l'État de droit et sur les réformes institutionnelles. Or la crise politique actuelle née de la multiplication des menaces sécessionnistes en Republika Srpska semble pour le moment bloquer le pays dans la réalisation des réformes nécessaires à la poursuite du processus.

Pour autant, notre délégation considère que l'Union européenne devrait continuer à encourager la Bosnie-Herzégovine à poursuivre ses efforts dans la voie du rapprochement avec l'Union européenne, car cela contribue à la stabilité du pays et de l'ensemble des Balkans.

Enfin, bien qu'elle ait joué un rôle majeur pour mettre un terme au conflit, la France n'occupe qu'une place réduite en matière économique ou d'influence politique, surtout par rapport à l'Allemagne.

Notre pays ne figure respectivement qu'aux quinzième et neuvième rangs en matière d'importations et d'exportations avec la Bosnie-Herzégovine. Nous nous plaçons ainsi loin derrière l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et la Turquie.

La Bosnie-Herzégovine dispose pourtant d'un potentiel important en matière de ressources naturelles - le lithium notamment -, de tourisme, d'infrastructures et de gestion de l'eau et des déchets. À cet égard, le déploiement prochain de l'Agence française de développement (AFD) pourrait contribuer à renforcer nos relations économiques.

Notre dispositif culturel s'appuie sur l'Institut français de Sarajevo et ses antennes de Mostar et Banja Luka, même si la place de la langue française est faible par rapport à l'anglais et à l'allemand. Notre pays pourrait faire davantage pour encourager la francophonie, en accordant plus de bourses aux étudiants.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie de ce compte rendu, chère collègue. Force est de constater que de multiples conflits ont marqué l'histoire de ces nations.

M. Didier Mandelli, président délégué pour la Bosnie-Herzégovine. - La Bosnie-Herzégovine est un pays d'une grande complexité que nous avons découvert à l'occasion de notre déplacement. ; d'ailleurs, nous en sommes revenus sans être complètement éclairés.

Bien qu'ils aient été signés il y a bientôt trente ans, les accords de Dayton sont relativement récents à l'échelle de l'histoire... Le dernier ouvrage du général Lecointre, ancien chef d'état-major des armées, qui a dirigé nos soldats à Sarajevo, est riche d'enseignements : nous comprenons mieux pourquoi nous en sommes là aujourd'hui.

Il reste de l'espoir, notamment parce que le haut représentant à vocation à se retirer progressivement au fur et à mesure que le projet d'adhésion à l'Union européenne avance. Il faudra sans doute mener des négociations sur ce sujet au sein des Nations unies.

Comment constituer un seul pays à partir de trois entités distinctes qui possèdent chacune son drapeau et sa langue ? Voilà la vraie question qui se pose aujourd'hui.

Le processus d'adhésion à l'Union européenne est très vertueux. Les citoyens de Bosnie-Herzégovine montrent une vraie appétence pour l'Europe, notamment pour la France. Nous avons ainsi rencontré de jeunes viticulteurs formés à Bordeaux puis revenus dans leur pays pour y développer des activités. Dans ce contexte, la diplomatie française aurait intérêt à amplifier les relations avec la Bosnie-Herzégovine.

M. Claude Kern. - En ma qualité de membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je sais combien la Bosnie-Herzégovine est dans le collimateur : il suffit d'une étincelle pour que les conflits repartent. Ces sujets sont donc à surveiller de très près.

M. Pascal Allizard. - Ayant dirigé la mission d'observation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) lors des élections de septembre 2022 en Bosnie-Herzégovine, je peux certifier que la présence du haut représentant est très mal vécue non seulement par les habitants et les dirigeants de Bosnie-Herzégovine, mais aussi par l'ensemble du réseau diplomatique local. Son intervention a été jugée contreproductive et complètement à rebours des aspirations du pays.

Depuis, les choses ont peu bougé. Toutefois, la jeunesse qui, après des études dans les pays de l'Union européenne ou aux États-Unis, revient au pays pour entreprendre donne l'espoir de voir un jour la Bosnie-Herzégovine décoller dans le bon sens. Il faut faire le pari de l'avenir à l'échelle européenne, sans quoi nous en serons toujours au même point dans vingt ans.

M. Michaël Weber- Les hauts représentants se succèdent en Bosnie-Herzégovine, où leur intervention renforce le sentiment d'une tutelle internationale. La perspective de leur retrait semble plutôt saine dans ce pays démocratique.

En Bosnie-Herzégovine, on voit bien que la religion divise plus qu'elle n'unit. Dans ce contexte, comment donner du sens à un destin commun ? Il est primordial de répondre à cette question si l'on souhaite voir un jour ce pays sortir de la situation complexe dans laquelle il se trouve.

M. Didier Mandelli, président délégué pour la Bosnie-Herzégovine. - En effet, il n'est pas simple de faire communauté tant les divisions existent en matière religieuse, économique et sociale. Sur quel dénominateur commun le pays peut-il prospérer ? Les interlocuteurs que nous avons rencontrés s'accordent tous à dire que le processus d'adhésion à l'Union européenne est une chance pour fédérer et construire.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux. - Le consensus autour de l'adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne est clair. Nous, Européens convaincus, devons saisir cette chance et aider ce pays à nous rejoindre.

Parallèlement, plusieurs leviers peuvent être actionnés, comme l'AFD, qui bénéficie d'une implantation solide dans les Balkans. Nous avons un rôle économique à jouer ; il s'agit d'ancrer la population de Bosnie-Herzégovine autour de ses propres ressources. C'est un pari gagnant-gagnant à la fois pour les Français et les Européens, mais aussi pour les acteurs locaux.

M. Alain Cadec. - La Bosnie-Herzégovine souhaite intégrer l'Union européenne, mais ne nous faisons pas d'illusions : elle n'est pas près d'y arriver à court terme. Les accords de Dayton sont une bonne chose, mais ils ont été signés il y a presque trente ans. Depuis, les conflits ethniques et religieux prospèrent à tel point que les habitants du pays se haïssent toujours.

Avant que la Bosnie-Herzégovine gagne en stabilité, beaucoup d'eau aura coulé sous le vieux pont de Mostar ! Vous l'aurez compris : je suis très inquiet sur la situation du pays.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Balkans occidentaux. - Il faut faire la part entre le discours politique des partis nationalistes et les opinions de la société civile.

Nous restons optimistes, car nous avons le sentiment que la population, qu'il s'agisse des Serbes, des Croates ou des Bosniaques, n'a absolument pas envie de se battre pour les motifs de dissension évoqués. L'animosité qui peut se manifester à l'échelon politique ne s'observe pas à l'échelle de la population.

Reste que ce pays demeure dans une situation complexe : c'est pourquoi nous devons l'arrimer à l'Union européenne. Toutefois, une adhésion rapide ne paraît pas envisageable car le pays n'est pas prêt.

Au demeurant, il existe en Bosnie-Herzégovine un islam séculaire qui pourrait disparaître en raison de l'importation d'un autre type d'islam. Aussi, méfions-nous des influences étrangères, notamment celle de la Russie, bien évidemment.

Plutôt que de choisir la politique de la chaise vide, efforçons-nous de trouver le dénominateur commun, aussi petit soit-il, qui permettra d'intégrer la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne. À cette fin, il nous faut agir au travers des volets culturel et économique et faire confiance à la jeunesse de ce pays.

Culture - Inscription des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l'Unesco - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Pour conclure notre réunion, Catherine-Morin Desailly va présenter la candidature des plages du Débarquement de Normandie à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. La procédure, engagée il y a un certain nombre d'années, est relancée à l'occasion du 80ème anniversaire du Débarquement : nous allons réfléchir, grâce à notre collègue, aux actions à mener pour la faire aboutir et faire ainsi reconnaître l'importance historique et mémorielle de ces plages, devenues symbole des valeurs qui fondent notre continent.

Mme Catherine Morin-Desailly. - En effet, cette candidature n'intéresse pas seulement la région Normandie ; elle concerne la France entière et, au-delà, tous les pays qui sont attachés à défendre la paix et la liberté.

L'idée de patrimoine mondial remonte aux sept merveilles du monde antique, mais il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la notion de patrimoine exceptionnel soit affirmée à l'échelle internationale via la création de l'Unesco.

Les valeurs de cette organisation, rattachée aux Nations unies, sont proclamées à l'article 1er de son acte constitutif : « [Elle] se propose de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l'éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d'assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples. »

La candidature pour l'inscription des plages du Débarquement de Normandie reflète pleinement ces valeurs.

La convention du patrimoine mondial de 1972 vise deux objectifs : d'une part, protéger la nature, les paysages, les sites culturels et les monuments ; d'autre part, assurer la conservation du patrimoine immatériel. La convention fixe également les droits et les devoirs des États signataires, notamment en ce qui concerne la gestion et la transmission des biens classés.

J'appelle votre attention sur la notion de valeur universelle exceptionnelle, définie pour chacun des biens inscrits. Elle « signifie une importance culturelle et/ou naturelle tellement exceptionnelle qu'elle transcende les frontières nationales et qu'elle présente le même caractère inestimable pour les générations actuelles et futures de l'ensemble de l'humanité ». À cet égard, la protection permanente des plages du Débarquement revêt la plus haute importance pour la communauté internationale tout entière.

La candidature que je soumets à votre attention intègre la protection du paysage et des reliques du Débarquement sur 80 kilomètres de côte répartis entre le département du Calvados et celui de la Manche. Le périmètre de biens dont nous demandons l'inscription au patrimoine mondial comprend les cinq grandes plages du Débarquement - Utah Beach, Omaha Beach, Gold Beach, Juno Beach et Sword Beach -, mais aussi la pointe du Hoc, la batterie de Longues-sur-Mer et le port artificiel d'Arromanches-les-Bains.

Ces lieux sont déjà inscrits sur la liste indicative des biens que le comité français, au sein duquel j'ai l'honneur de siéger intuitu personæ, est chargé d'examiner après dépôt d'une demande par l'État, les collectivités locales ou les associations. Les biens concernés sont ensuite examinés par un comité mondial.

Le dossier a été déposé en 2008 par la région Basse-Normandie ; il a été repris en 2015 par la région Normandie. Étant présidente de la commission Culture, tourisme, patrimoine de l'exécutif régional, je me suis vue confier le pilotage de ce dossier.

Nous avons franchi les différentes étapes après plusieurs auditions. C'est un parcours du combattant, car il s'agit d'un dossier extrêmement complexe. De nombreuses recherches scientifiques et culturelles ont été menées par un comité international de scientifiques et d'experts.

En 2018, une fois passées ces étapes, la France a déposé la candidature d'inscription des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l'Unesco. Il s'agit d'un bien particulier, qui va bien au-delà des paysages, des monuments et du patrimoine immatériel, puisqu'il concerne des sites de guerre d'un conflit récent. D'autres dossiers de candidature visant notamment les itinéraires de la Grande Guerre ou les sites du génocide au Rwanda ont également été déposés.

Face à des demandes concernant un nouveau type de bien, le comité mondial a décidé d'un moratoire, de façon à définir précisément les critères d'éligibilité et de conformité à la notion de valeur universelle exceptionnelle. En effet, tout site de conflit récent n'y répond pas forcément et ce peut être source de débats, voire de contestations.

La crise de la covid-19 a retardé ce processus, mais, en janvier 2023, les critères ont été fixés et portent sur la façon dont la gestion du bien, sa transmission et son interprétation contribuent à la mission de paix de l'Unesco.

Les sites de la Grande Guerre ont été inscrits au patrimoine de l'Unesco en 2023, puisque le dossier a été déposé avant. Le nôtre est en bonne voie : il est en phase d'actualisation pour se conformer aux principes directeurs émis par le comité mondial, même s'il s'inscrivait d'ores et déjà dans cet objectif de promotion des valeurs de paix et de liberté. Le paysage fait lui-même événement, quand on connaît l'histoire du Débarquement.

Nous travaillons avec les collectivités territoriales, le comité du Débarquement, toutes les associations parties prenantes, mais également des instances étrangères. La gestion des biens concerne en effet aussi les Américains, les Canadiens et les Britanniques.

Le dossier sera déposé en 2025 pour être étudié en 2026, année où les plages du Débarquement pourraient être inscrites au patrimoine mondial de l'Unesco.

Une telle démarche est importante. Nous avons vu l'émotion importante suscitée par les cérémonies du Débarquement dans le contexte de fragilisation de la paix que nous connaissons. Il faut rappeler que les hommes et les femmes qui ont contribué au débarquement, à la bataille de Normandie, puis à la libération de la France et de l'Europe, se sont battus pour des idéaux de paix et de liberté. La valeur universelle de cet événement est manifeste.

Je précise que, dans ce dossier, les Allemands sont partie prenante. La dimension de réconciliation est essentielle, notamment dans l'interprétation que l'on peut faire des reliques que l'on trouve.

Plus que jamais, à l'heure où la construction européenne est remise en cause, l'inscription des plages du Débarquement est importante : elle revêt un caractère encore plus symbolique.

Qui plus est, nous allons basculer dans l'histoire : l'âge des derniers vétérans fait que la transmission est finie. Il y a donc urgence à proposer une interprétation de cet événement, après avoir recueilli les témoignages de ces derniers témoins. Cela nous oblige à sanctuariser et valoriser ce site dans le cadre d'un plan de gestion partagée pour promouvoir plus encore le tourisme mémoriel en Normandie.

Le président de la région Normandie, dans la perspective du 80e anniversaire du Débarquement, a écrit au Président la République pour demander qu'un document commun soit signé par l'ensemble des quinze États-nations ayant participé au Débarquement. Cela n'a malheureusement pas abouti.

M. Jean-François Rapin, président. - J'ai tenu à ce que cette présentation ait lieu dans le cadre d'une réunion de la commission des affaires européennes, car on mesure bien la dimension européenne de cette démarche. Il est important de la soutenir.

M. Pascal Allizard. - Je remercie Catherine Morin-Desailly pour son implication. C'est une bonne chose que ce dossier avance, pas seulement parce qu'il engage la Normandie. Je n'ai pas de remarque particulière à formuler, sinon qu'il faut que le Sénat, en particulier la commission des affaires européennes, appuie cette demande.

Mme Christine Lavarde. - Comment a été défini ce périmètre ? Sur la carte qui nous est soumise, j'ai l'impression que certaines parties du littoral ont été retirées, notamment entre Ver-sur-Mer et Courseulles-sur-Mer, et que, à l'inverse, dans cette même zone, certaines terres ont été incluses.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le périmètre défini est à la fois maritime, lié aux vestiges subaquatiques, et terrestre, et il existe sur le littoral une zone tampon, qui inclut les vestiges et les lieux du Débarquement.

En tout état de cause, il n'y a pas de discontinuité sur les 80 kilomètres de côtes. La carte qui vous a été transmise n'est sans doute pas assez précise.

M. Pascal Allizard. - Je n'ai aucune inquiétude au sujet du périmètre.

Catherine Morin-Desailly a insisté sur la nécessité d'associer les Allemands à cette démarche. Cela me semble une évidence.

Les cimetières militaires britannique et allemand qui sont situés à Saint-Désir-de-Lisieux, à 200 mètres l'un de l'autre, ne sont pas inclus dans le périmètre, qui concerne exclusivement les plages du Débarquement : ils sont pourtant extrêmement importants. Pendant des années, ils n'étaient pas reliés ; grâce à des fonds européens, c'est désormais chose faite. Je vous invite à vous y rendre, d'autant que les cimetières militaires allemands sont extrêmement impressionnants, à la fois dans leur conception et au regard de l'âge des soldats.

À Lisieux, un travail sur la réconciliation franco-allemande a donc été accompli avec des crédits européens. Tout cela doit être valorisé, car cela fait partie de l'environnement de cette opération de préservation.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Il existe un itinéraire culturel européen, reconnu par le Conseil de l'Europe : la Route de la Libération de l'Europe.

On le voit, plusieurs portes d'entrée sont possibles. Les cimetières ne sont pas dans la zone du Débarquement proprement dite, mais rien n'est oublié dans le tourisme de mémoire. Les associations sont très actives et y sont très attentives.

M. Jean-François Rapin, président. - Le soutien unanime de la commission des affaires européennes et l'intérêt qu'elle porte à ce projet pourraient se manifester au travers de trois courriers envoyés respectivement à Audrey Azoulay, directrice générale de l'Unesco, Yves Saint-Geours, président de la commission nationale française pour l'Unesco, et Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture. Nous pourrons également adresser un courrier au nouveau ministre de la culture quand il sera nommé.

Ce serait une pierre supplémentaire à l'édifice et pourrait accélérer la reconnaissance de ce site.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le président du Sénat, qui a déjà soutenu la candidature de la baguette de pain française au patrimoine immatériel de l'Unesco, s'est saisi de ce dossier et m'a confirmé qu'il soutiendrait l'inscription des plages du Débarquement. Il a demandé à l'Assemblée nationale du Québec de prendre une délibération en ce sens.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons sans doute tenu aujourd'hui notre dernière réunion de commission, avant la reprise de la session de plein droit qui débutera le 18 juillet avec l'installation de la nouvelle Assemblée nationale.

La réunion est close à 15h35.