Mardi 22 octobre 2024
Cérémonie de remise du Prix 2024 de la délégation aux droits des femmes
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, chères lauréates et cher lauréat, Mesdames et Messieurs, c'est avec un grand plaisir que je vous accueille au Palais du Luxembourg pour la sixième cérémonie de remise du prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat, ma première en tant que présidente de la délégation.
Ce prix a été créé en 2019 par notre ancienne présidente Annick Billon à l'occasion du vingtième anniversaire de la délégation. Il vise à affirmer notre considération, et celle du Sénat tout entier, à l'égard d'actrices et d'acteurs de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible. Chaque année, nous honorons des personnalités qui ont enrichi et éclairé nos travaux par leur réflexion et leur engagement.
Comme toujours, nos travaux ont été riches cette année. Au cours de l'année écoulée, nous avons travaillé sur divers sujets, notamment les familles monoparentales - nous venons d'ailleurs de remettre notre rapport sur le sujet à la ministre chargée de la famille et de la petite enfance, Agnès Canayer -, la place des femmes dans l'intelligence artificielle, qui préfigure notre futur travail sur les femmes dans les sciences, les femmes sans abri - sujet de notre dernier rapport, tout juste publié -, la constitutionnalisation de l'accès à l'avortement, les violences sexistes et sexuelles dans les armées ou le cinéma, ou encore l'excision.
Pour l'édition 2024 du prix de la délégation, nous avons choisi de distinguer des personnalités et une association autour de trois thématiques essentielles, à commencer par la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans toutes leurs dimensions et dans tous les domaines de la société. Ce combat est inscrit dans l'ADN de notre délégation.
L'audition de Judith Godrèche en février dernier nous a particulièrement marqués. À l'occasion de son témoignage et de son appel à une meilleure protection des mineurs sur les plateaux de tournage, nous nous étions engagés à ne pas l'avoir oubliée six mois plus tard. Nous avons tenu parole. Lui remettre notre prix signifie que nous continuons le combat et que nous le poursuivrons tant que nous n'aurons pas obtenu la mise en place d'une protection efficace des victimes.
Malheureusement, Judith Godrèche nous a fait savoir en fin de matinée qu'elle était souffrante et ne pourrait donc pas être présente à notre cérémonie. Nous lui ferons parvenir son prix ultérieurement.
L'accès à l'avortement constitue le deuxième axe majeur de nos travaux. La constitutionnalisation de l'IVG, c'est-à-dire la liberté des femmes de disposer de leur corps, cinquante ans après l'adoption de la loi Veil, a marqué un nouveau chapitre dans l'histoire des droits des femmes.
C'est cette avancée forte que nous saluons en remettant le prix de la délégation à deux personnalités qui ont nourri nos argumentaires, par les analyses et les témoignages qu'ils ont partagés avec nous : Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF), ainsi que Maître Sandra Vizzavona, auteure du livre Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu, adapté au théâtre, pièce que nous sommes allés voir en délégation.
Enfin, notre principal rapport de cette année, publié au début du mois, a porté sur les femmes sans domicile et sans abri, ces femmes invisibles, « face cachée de la rue », exposées à toutes les violences.
Pour notre palmarès 2024, nous avons tenu à saluer l'important travail accompli par les salariés et les bénévoles d'associations, les médecins, les travailleurs sociaux, les écoutants du 115 et l'ensemble des personnes qui accueillent et accompagnent ces femmes.
Je suis donc très heureuse de remettre notre prix au Docteur Aurélie Tinland, psychiatre à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (APHM), chercheuse en santé publique et responsable de l'équipe mobile psychiatrie-précarité Marss qui intervient auprès des personnes sans abri de Marseille, ainsi qu'au Samusocial de Paris pour ses multiples actions en faveur des femmes sans domicile.
Chères lauréates, cher lauréat, vos engagements, vos combats et vos actions concrètes incarnent les valeurs que notre délégation s'efforce de défendre quotidiennement. En vous honorant aujourd'hui, nous souhaitons rappeler que la lutte pour les droits des femmes et l'égalité entre les femmes et les hommes n'est jamais terminée. C'est un combat constant, que nous devons mener ensemble, sans relâche.
Nous vous exprimons aujourd'hui toute notre gratitude pour l'exemple que vous donnez et les pistes de travail que vous partagez avec nous, parlementaires. Merci à vous, et félicitations pour cette reconnaissance plus que méritée.
C'est avec fierté et émotion que je vais maintenant procéder à la remise du prix de la délégation aux lauréates et lauréat de la promotion 2024.
J'invite dans un premier temps notre seul lauréat - puisque nous récompenserons ensuite des lauréates -, Neil Datta, à me rejoindre. Je ne remettrai pas ce prix seule : j'invite mes collègues Sylvie Valente Le Hir et Laurence Rossignol, qui avaient animé nos tables rondes consacrées à l'accès à l'avortement dans le monde en novembre dernier, à me rejoindre.
Cher Neil, vous êtes depuis plus de vingt ans le directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, et, à ce titre, un spécialiste reconnu des mouvements anti-IVG dans le monde. On ne le sait pas nécessairement, mais l'EPF a été fondé au Sénat au début des années 2000, à l'initiative de notre regretté collègue, Lucien Neuwirth.
Je suis ravie de vous retrouver ici aujourd'hui, car nous nous connaissons bien maintenant. Vous êtes un grand connaisseur de l'architecture politique et financière globale des mouvements anti-IVG et de leur impact sur l'accès à l'avortement dans le monde. Votre analyse des stratégies développées par ces mouvements, très organisés au plan international, avait été particulièrement éclairante pour notre délégation lors du colloque organisé le 23 novembre dernier, consacré à l'accès à l'IVG dans le monde, en amont de la constitutionnalisation par la France du droit à l'IVG.
Cette analyse nous avait rappelé qu'en matière de protection du droit des femmes à disposer de leur corps, une vigilance de tous les instants est indispensable.
Vous aviez notamment souligné la nouvelle organisation des contestations de l'IVG au niveau international, émanant d'acteurs tels que des ONG, des think tanks ou des partis politiques nouvellement créés, avec un champ d'action élargi à la santé sexuelle et reproductive. En effet, il ne faut pas s'y tromper, ces mouvements ne luttent pas uniquement contre le droit à l'avortement, ils militent également contre toute forme de contraception, contre la procréation médicalement assistée et contre l'éducation des enfants à la vie sexuelle et affective. J'en profite pour excuser l'absence de Salima Saa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui rencontrait la ministre de l'éducation nationale pour lui parler, entre autres, des trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle. Je l'excuse d'autant plus volontiers que la cause en vaut véritablement la peine.
Vous nous aviez également alertés sur la professionnalisation de ces organisations, qui maîtrisent parfaitement le fonctionnement des institutions nationales comme internationales.
Enfin, vous aviez mis au jour l'explosion des moyens financiers de ces mouvements, passés, en Europe, de moins de 20 millions de dollars par an au début des années 2010 à environ 130 millions de dollars par an aujourd'hui.
Par vos analyses, enquêtes et rapports de grande qualité, vous êtes un acteur incontournable de la lutte pour l'accès aux droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe. Vous avez constitué un appui précieux dans notre combat pour la constitutionnalisation de la liberté des femmes à recourir à l'IVG.
Cher Neil Datta, je laisse nos rapporteures vous remettre le prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
[Applaudissements dans la salle.]
M. Neil Datta, directeur exécutif du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF). - Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers la délégation aux droits des femmes du Sénat. Cette reconnaissance m'émeut sincèrement. Je ne m'attendais nullement à me retrouver ici aujourd'hui, lorsqu'on m'a invité à témoigner devant la délégation lors du colloque sur l'IVG dans le monde.
Cette reconnaissance a pour moi une dimension personnelle, mais elle souligne avant tout le travail collectif accompli face à la menace que représentent les mouvements anti-genres pour les droits humains, les droits des femmes, et même pour la démocratie que nous avons bâtie en Europe.
C'est la première fois qu'une telle reconnaissance émane d'une institution aussi prestigieuse que le Sénat de la République française. Je tiens donc à vous en remercier et je suis extrêmement fier que cette humble contribution ait pu apporter des arguments supplémentaires en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG. Merci beaucoup.
Mme Dominique Vérien, présidente. - J'en profite pour saluer la présence d'Agathe Hamel, présidente de la délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et de sa vice-présidente Patricia Blancard. C'est grâce à Agathe Hamel que je vous ai rencontré, que j'ai perçu l'intérêt de vos travaux et que j'ai souhaité les partager avec la délégation aux droits des femmes.
J'invite désormais Maître Sandra Vizzavona à me rejoindre.
Maître, chère Sandra Vizzavona, nous nous sommes rencontrées un soir de décembre 2023 au Théâtre Antoine, après la représentation d'Interruption, pièce adaptée de votre livre paru en février 2021, Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu. Cette pièce a profondément marqué les sénatrices et sénateurs présents par son originalité, sa sincérité et sa force. En effet, quelques mois avant les débats sur la constitutionnalisation de la liberté d'avorter en France, nous étions plongés dans la vérité du discours de celles qui ont eu recours à un ou plusieurs avortements au cours de leur vie. Un discours puissant sur la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles l'entendent.
Mêlant témoignages, documents d'archives et réflexions intimes sur le rapport des femmes à la sexualité et à la maternité, votre pièce, portée par une mise en scène et des actrices remarquables, constitue un outil précieux pour comprendre les enjeux de la lutte pour le droit à l'avortement. Alors que ce droit est de plus en plus contesté dans le monde, la France a été pionnière en le constitutionnalisant, le protégeant ainsi d'éventuels retours en arrière.
Si nous, politiques, portons une lourde responsabilité dans la protection de ce droit fondamental, des initiatives telles que la vôtre, émanant de la société civile et touchant le grand public, sont tout aussi essentielles pour défendre ce droit acquis de haute lutte.
Nous célébrerons prochainement le cinquantième anniversaire de la promulgation de la loi Veil. Bien que cinquante ans représentent peu à l'échelle de l'humanité, nous pouvons être fiers d'être le premier et seul pays au monde à avoir constitutionnalisé ce droit. Nous constituons un espoir pour toutes les femmes vivant dans des pays où ce droit est menacé ou non reconnu, pas seulement dans des pays du tiers monde.
Chère Sandra Vizavona, pour saluer votre engagement en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps, je suis heureuse de vous remettre, au nom de notre délégation, un prix spécial du jury. En effet, bien que vous n'ayez pas fait partie des personnes auditionnées, votre pièce de théâtre nous a permis d'aborder cette réflexion sous un angle différent. Personnellement, le fait que votre oeuvre se présente comme une boucle m'a profondément touchée. C'est donc avec une grande joie que je vous remets ce prix.
[Applaudissements dans la salle.]
Maître Sandra Vizzavona, avocate, auteure du livre Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu. - Je vous remercie vivement pour ce prix spécial et pour le travail remarquable de la délégation aux droits des femmes, ainsi que pour vos votes. Celui du 1er février 2023 a fait tomber un barrage et a rendu possible une révision constitutionnelle. Il a été suivi de celui du 28 février 2024 sur le projet de loi constitutionnelle. Cette reconnaissance par une délégation parlementaire revêt une importance particulière pour moi, car elle illustre l'évolution de ma démarche.
Initialement, en écrivant mon livre, je n'affichais pas d'ambition militante. Je voulais simplement partager mon expérience et donner la parole aux femmes sur leur IVG, afin de mettre en lumière la diversité de leurs situations sans les juger. Cependant, au fil des témoignages recueillis, j'ai pris conscience de la fragilité du droit à l'avortement et du poids du silence et de la culpabilité qui pèsent sur les femmes. Cette prise de conscience m'a poussée à sortir de ma réserve et à m'engager dans un combat politique.
À la suite de la publication du livre, nous avons développé un projet théâtral avec Hannah Levin, metteuse en scène, et Pascale Arbillot, comédienne. Le festival Parole Citoyenne nous a offert l'opportunité de présenter notre pièce et de participer à des tables rondes sur l'IVG. Initialement prévue pour une unique représentation le 16 avril 2023, la pièce Interruption a ensuite été programmée au Théâtre Antoine pour une vingtaine de représentations, se prolongeant finalement jusqu'en avril 2024.
Pendant que nous étions en représentation, le calendrier politique s'est accéléré, aboutissant au vote de la loi constitutionnelle par le Congrès le 4 mars 2024. Nous avons observé une évolution dans la réception du public au cours des débats parlementaires. Les représentations qui ont suivi le vote de la loi constitutionnelle ont été accueillies avec une joie et un enthousiasme particuliers. Nous avons ressenti la fierté du public de vivre dans un pays offrant une protection constitutionnelle au droit à l'IVG.
Aujourd'hui, la France fait figure d'exemple dans le monde grâce à votre vote. Néanmoins, la modification du texte constitutionnel n'est pas suffisante. Il est crucial de veiller à l'effectivité de ce droit au quotidien et dans tous les territoires. Nous devons également penser aux femmes au-delà de nos frontières, à toutes celles vivant là où les droits reproductifs stagnent ou régressent de manière alarmante.
La maîtrise des droits reproductifs est par ailleurs une condition nécessaire, mais non suffisante, pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes. D'autres travaux que vous menez sont essentiels. Je pense notamment à la situation des mères isolées et des familles monoparentales.
Je tiens à exprimer ma gratitude envers Chantal Birman, présente aujourd'hui, qui m'a grandement inspirée et m'a accordé un entretien déterminant pour l'écriture de mon livre et la création de la pièce de théâtre. Je suis profondément honorée d'être parmi vous aujourd'hui.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je me suis rendue à la représentation de votre pièce d'abord pour des raisons professionnelles liées à nos débats autour de la constitutionnalisation de l'IVG, et j'ai finalement découvert une pièce exceptionnelle. Je comprends désormais son succès fulgurant, car lorsqu'on y a assisté, on a envie d'y inviter notre entourage.
J'invite désormais la docteure Aurélie Tinland, à me rejoindre, ainsi que mes collègues Olivia Richard et Laurence Rossignol, rapporteures de notre rapport d'information sur les femmes sans abri, que nous avons rendu public le 9 octobre dernier.
Chère Aurélie Tinland, notre déplacement à Marseille au printemps dernier a constitué un temps fort des travaux que nous avons menés cette année sur les femmes sans abri, et a permis de nourrir notre rapport publié le 9 octobre dernier, intitulé Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Grâce à vous, qui nous avez servi de guide et d'intermédiaire, nous avons pu effectuer des maraudes, rencontrer des femmes sans abri ou accueillies à l'Auberge marseillaise et à la pension de famille Claire Lacombe, échanger avec des pair-aidantes, des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de l'équipe mobile psychiatrie-précarité Marss, du programme « Un chez soi d'abord », de l'association « Just » ou encore des « Régisseurs sociaux »...Depuis des années, vous êtes engagée en faveur du droit au logement et du droit à la santé, notamment mentale, des personnes sans domicile. Avec l'équipe Marss, vous arpentez les rues de Marseille pour aller à la rencontre des personnes, notamment des femmes, souffrant de troubles psychiques et psychiatriques sévères. Mais comment ne pas en souffrir, lorsqu'on vit dans la rue ?
Lors de notre rencontre à Marseille, vous nous avez fait part d'une réalité glaçante. Vous nous aviez expliqué, en vous fondant sur les témoignages des très nombreuses femmes que vous rencontrez, que « au bout d'un an à la rue, 100 % des femmes ont été victimes d'un viol, et ce quel que soit leur âge et quelle que soit leur apparence ». Cette déclaration percutante, nous avons choisi de la mettre en exergue dans la synthèse de notre rapport, afin de bousculer l'opinion publique et de lui faire prendre conscience de l'infamie des violences subies par les femmes sans abri.
En tant que psychiatre et chercheuse en santé publique, vous ne vous limitez pas à une pratique entre les murs de l'APHM ou de laboratoires. Vous êtes résolument une actrice de terrain. Votre pratique de médecin se nourrit de vos connaissances empiriques et inversement. Vous privilégiez des méthodes pragmatiques et la pair-aidance pour accompagner les personnes en difficulté sociale et psychique.
Aujourd'hui, nous souhaitons saluer votre double engagement de médecin-chercheuse et de militante de terrain. C'est avec une grande satisfaction que mes collègues et moi-même vous remettons le prix de notre délégation.
[Applaudissements dans la salle.]
Docteure Aurélie Tinland, psychiatre à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM), chercheuse en santé publique et responsable de l'équipe mobile psychiatrie-précarité Marss. - Merci beaucoup. J'ai lu vos travaux consacrés aux femmes sans abri et les ai trouvés impressionnants. Ils m'ont donné le sentiment d'être entendue. Depuis des années, nous lançons des alertes sur la situation, évoquant la pénurie de places d'hébergement et les difficultés des femmes à la rue. Nous avions l'impression que rien ne se passait, ce qui était désespérant.
Les femmes sans abri ne sont pas entendues elles non plus. En effet, nous avons mené une étude sur les appels au 115 pour une mise à l'abri. 50 % des appels émanant de femmes n'obtiennent pas de réponse. Nous avons constaté que le sentiment de ne pas être entendu lors d'un appel à l'aide affectait profondément la confiance en la société et les liens sociaux. La détresse qui en résulte est considérable. L'impact de ne pas être écouté est délétère.
À l'inverse, la reconnaissance que vous m'accordez à travers vos recommandations fortes et pragmatiques est réparatrice et réconfortante. J'ai le sentiment d'avoir pu transmettre mes préoccupations. Vous avez repris le terme d'alerte et vous vous êtes engagées fortement. Je trouve ce rapport excellent.
Par ailleurs, aborder le sans-abrisme global par le prisme du sans-abrisme féminin est pertinent. Ces femmes sont vulnérables, mais aussi résilientes, compétentes et pleines de ressources. Nous devons considérer à la fois leur vulnérabilité et leur force.
Ce projet est prometteur et j'ai beaucoup d'espoir dans les travaux que vous avez réussi à faire adopter. Je pense également à mon équipe, car à travers moi, ce sont toutes les actions dont vous avez parlé et toutes ces personnes qui luttent quotidiennement pour plus de justice qui sont reconnues. C'est leur prix. Je le placerai dans notre bureau à Marseille, pour Just, pour HAS (Habitat alternatif et social) et pour l'équipe Marss. Merci.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous rencontrons la ministre du logement le 27 novembre prochain pour lui remettre notre rapport. En effet, la priorité nous semble être le logement plutôt que l'hébergement. Nous devons faire en sorte que personne ne passe, ne serait-ce qu'un seul jour, à la rue. Nous savons que nos rapports sont écoutés, comme en témoigne Agnès Canayer qui nous a informés avoir déjà discuté de notre rapport sur les familles monoparentales avec Valérie Létard. Il serait bénéfique de compter plus de sénateurs - et surtout de sénatrices - au Gouvernement pour une meilleure efficacité !
J'invite enfin Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, à me rejoindre. Je salue également Élisabeth Moreno qui vient de se joindre à nous.
Chère Vanessa Benoit, Mesdames et Messieurs les membres du Samusocial de Paris qui êtes présents parmi nous ce soir, chaque année nous choisissons de distinguer, au-delà de personnalités marquantes, une association ou une structure dont nous souhaitons saluer l'action en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Cette année, à l'issue de dix mois de travaux sur les femmes sans abri, notre choix s'est très spontanément et unanimement porté sur le Samusocial de Paris, un groupement d'intérêt public.
Nous vous avons rencontrée à deux reprises. Tout d'abord, lors d'une table ronde au Sénat en mars dernier, en compagnie d'autres associations et structures engagées dans l'accompagnement des personnes sans domicile, et dont l'action mérite elle aussi d'être saluée : la Fédération des acteurs de la solidarité, la Fondation Emmaüs et la Croix-Rouge française. Vous nous aviez alors décrit les parcours des femmes sans abri que vous accompagnez, les violences qu'elles subissent et la façon dont les dispositifs actuels vous semblaient inadaptés à ces femmes et à leurs difficultés.
Nous vous avions de nouveau rencontrée trois mois plus tard, cette fois directement dans vos locaux, avec vos équipes, et notamment des écoutants sociaux. Nous avions pu procéder à des doubles écoutes en compagnie de plusieurs écoutants. Nous avions alors été particulièrement marquées par un double constat : d'une part, la bienveillance des écoutants, profondément engagés dans leur mission d'accueil et d'orientation, et d'autre part, un certain découragement face à l'absence de solutions à proposer aux personnes à l'autre bout du fil, y compris des femmes et des couples avec parfois des enfants âgés de 6 ans, de 3 ans, voire de quelques mois.
En remettant aujourd'hui le prix de la délégation au Samusocial de Paris, nous souhaitons leur exprimer notre soutien, ainsi que notre reconnaissance pour leur engagement.
Si tout le monde connaît le Samusocial de Paris, on ignore bien souvent tout ce qu'il accomplit. En effet, il gère le numéro d'urgence 115 pour les appels émis depuis Paris et régule les places d'hébergement d'urgence et les nuitées hôtelières. Il gère également en direct des établissements, assure la coordination de maraudes, accompagne des parcours de la rue au logement et mène des études d'observation sociale.
En outre, le Samusocial de Paris s'est engagé pour apporter aux femmes sans domicile un accueil et un accompagnement adaptés. En partenariat avec diverses associations, des centres d'hébergement et des bains douches dédiés aux femmes ont été créés. Un accompagnement spécifique est également développé afin de prendre en charge la santé physique et mentale de ces femmes, mais aussi la santé périnatale, les violences sexuelles et sexistes, ainsi que la précarité menstruelle.
Si nous avons consacré une partie de notre rapport à l'engagement des travailleurs sociaux, votre organisation n'y est pas pour rien. En effet, nos rencontres nous ont permis de saisir toute la détresse qu'ils peuvent ressentir face au manque de solutions, tout en maintenant leur bienveillance et leur volonté d'accompagnement
Je suis donc très heureuse de remettre aujourd'hui le prix de notre délégation au Samusocial de Paris et, à travers sa directrice générale Vanessa Benoit, à l'ensemble des professionnels qui le font vivre.
[Applaudissements dans la salle.]
Mme Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris. - Je suis profondément honorée et émue d'accepter ce prix au nom du Samusocial de Paris. Je ne suis pas seule pour le recevoir, nous sommes venus nombreux aujourd'hui pour représenter notre organisation, avec son président, ses professionnels et les personnes que nous accompagnons. Nous vous exprimons notre sincère gratitude pour cette reconnaissance de nos missions et du travail quotidien que nous accomplissons pour les plus démunis.
Nous vous remercions particulièrement d'avoir choisi le sujet des femmes sans domicile et sans abri pour vos travaux. Comme je l'avais souligné lors de l'audition, il est crucial pour nous que cette problématique soit prise en compte. Votre rapport, détaillé et approfondi, formule des propositions fortes et concrètes. Nous espérons qu'elles seront entendues. Vous démontrez que ces questions méritent d'être débattues publiquement et appellent des décisions politiques, transcendant les clivages partisans.
Au Samusocial de Paris, nous sommes convaincus que le sans-domicilisme, en particulier celui des femmes, doit être au coeur du débat public et faire l'objet de décisions pour construire une société plus inclusive. Nous vous remercions d'avoir mis en lumière ce sujet, de l'avoir étudié en profondeur et d'avoir formulé ces propositions.
Par ailleurs, votre invitation symbolise l'accueil des invisibles au sein du Palais de la République. Les femmes sans domicile sont souvent doublement invisibles. En effet, si l'on voit peu les personnes sans abri, les femmes concernées sont encore moins visibles, car elles ont de très bonnes raisons de se cacher. Elles développent des stratégies pour passer inaperçues et sont trop souvent oubliées, y compris dans les actions mises en oeuvre, qui leur sont parfois destinées, mais qui, malgré notre bonne volonté, ne répondent pas toujours à leurs besoins spécifiques. Il est donc doublement important qu'elles soient présentes ici aujourd'hui.
Nous vous sommes aussi reconnaissants de n'avoir pas oublié celles et ceux qui les accompagnent et travaillent à leurs côtés au quotidien. Vos dernières paroles, adressées aux professionnels du Samusocial de Paris, témoignent de votre compréhension de leur engagement. Vous avez su percevoir leur dévouement et leur professionnalisme, mais aussi leur désarroi silencieux face à l'impossibilité d'apporter des réponses adaptées. Ces travailleurs, majoritairement des femmes, oeuvrent dans l'ombre, et leur présence aujourd'hui est une forme de reconnaissance. Vos paroles leur seront rapportées. Merci beaucoup.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Notre approche du sujet des sans-abris, comme pour tous les thèmes traités par la délégation aux droits des femmes, est résolument transpartisane. Nous sommes en outre convaincus que les avancées pour les droits des femmes bénéficient également aux hommes. Toute simplification mise en place pour les femmes profite aussi aux hommes. Messieurs, vous pouvez nous en être reconnaissants !
Notre cérémonie touche à sa fin. Je tiens à remercier chaleureusement les lauréates et le lauréat, nos invités, ainsi que tous mes collègues pour leur présence cet après-midi.
Jeudi 24 octobre 2024
Audition de Mme Marzieh Hamidi, athlète afghane
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous avons l'honneur d'accueillir Marzieh Hamidi, jeune athlète afghane, championne de taekwondo, réfugiée en France depuis plus de trois ans, après avoir fui l'Afghanistan lorsque les talibans reprirent le contrôle de Kaboul en août 2021.
Je précise que cette audition fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site du Sénat et qu'elle est ouverte à la presse.
Chère Marzieh Hamidi, vous êtes une sportive de haut niveau mais, aujourd'hui, vous êtes surtout une athlète féministe en lutte contre le régime des talibans. Vous avez ainsi déclaré quelques mois après votre arrivée à Paris : « Après la chute de Kaboul, mon sport est devenu plus qu'une passion. Avant je m'entraînais pour moi, je voulais être championne. Maintenant c'est vraiment une lutte contre un groupe terroriste ».
Le 3 septembre dernier, vous déposiez une plainte pour cyberharcèlement à la suite de menaces de mort et de viol formulées à votre encontre. Vous êtes désormais placée sous protection policière et l'enquête menée dans le cadre de votre plainte a été confiée au Pôle national de lutte contre la haine en ligne.
Malgré ces multiples menaces, ces injures, le harcèlement dont vous êtes victime, vous avez décidé de ne pas vous taire et de poursuivre votre combat pour les droits des femmes et contre le régime tyrannique des talibans.
Notre délégation est particulièrement sensible à votre combat et nous avons déjà, à plusieurs reprises, exprimé le soutien du Sénat aux femmes et filles d'Afghanistan.
Ainsi, dès le 23 août 2021, notre délégation exprimait, par voie de communiqué de presse, sa profonde inquiétude quant au sort des afghanes, premières cibles des talibans, et en appelait à la mobilisation de la communauté européenne et internationale pour protéger celles condamnées à revivre les heures les plus noires de l'histoire de l'Afghanistan.
Le 25 novembre 2021, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, nous organisions un grand colloque international sur la situation tragique des femmes et des filles en Afghanistan.
Le 25 octobre 2022, nous remettions le prix de la délégation à Shoukria Haidar, présidente de l'association Negar - Soutien aux femmes d'Afghanistan, qui oeuvre en faveur des droits des filles et femmes à travers des actions pour l'éducation.
Enfin, le 17 octobre 2024, la commission des affaires européennes du Sénat adoptait une proposition de résolution européenne de notre collègue Pascal Allizard, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans, parmi lesquelles l'interdiction d'éducation pour les filles de plus de 12 ans ; l'interdiction de travailler ; l'exclusion des compétitions sportives ; l'interdiction de détenir un téléphone portable ou d'aller et venir dans l'espace public sans la présence d'un « tuteur » ; la fermeture des salons de beauté, dernier lieu où les femmes pouvaient se rassembler...
Chère Marzieh Hamidi, vous l'aurez compris, notre délégation aux droits des femmes et le Sénat tout entier sont particulièrement investis dans la défense des droits des femmes afghanes.
Mais si continuer à témoigner et à faire la lumière sur la barbarie du régime taliban en Afghanistan est essentiel, comment ne pas se sentir impuissant alors qu'à quelques milliers de kilomètres, c'est un crime contre l'humanité fondé sur le genre qui est en train de se dérouler, au XXIe siècle ?
Aujourd'hui, nous devons continuer à faire entendre la voix de ces Afghanes à qui les talibans interdisent même de chanter. Ne baissons pas les bras face à l'infamie et à la férocité d'un régime qui n'a d'autre but que de briser et de réduire au silence toutes les femmes et petites filles d'Afghanistan et, ce faisant, de plonger notre monde dans les ténèbres de l'inhumanité.
Mme Marzieh Hamidi, athlète afghane réfugiée en France. - Merci pour votre accueil. Le sort des femmes afghanes a changé du jour au lendemain, nous sommes revenus à des pratiques moyenâgeuses, les femmes ont perdu leurs droits fondamentaux après vingt ans de sacrifices de la communauté internationale et du peuple afghan pour établir ces droits - avec le retour des talibans, la moitié de la population a perdu tous ses droits, jusqu'à celui de respirer. Avec le retour de ce régime barbare, l'éducation est devenue un sujet de controverse. Il faut ouvrir l'éducation aux filles, mais il faut s'interroger également sur le programme scolaire, c'est tout aussi important que l'accès à l'éducation ; les talibans préparent une génération de talibans filles, en particulier dans les régions pachtounes. En tant que défenseurs des libertés humaines, nous devons adopter une position claire et dénoncer ce projet qui ne libèrera pas les Afghanes.
Je demande trois actions à la communauté internationale. D'abord, soutenir les femmes afghanes dans leur quête d'une vie digne, en accord avec les valeurs modernes ; elles devraient recevoir une éducation qui les prépare au monde moderne, plutôt que de les renvoyer au passé. Ensuite, reconnaitre l'apartheid de genre en tant que crime contre l'humanité. Enfin, assurer que la jeune génération soit présente dans la décision publique, car ce sont les générations plus âgées qui ont échoué dans la gestion du pays, qui ont empêché toute prospérité et toute stabilité - et c'est d'abord à nous, les jeunes, de définir notre avenir. Soyons unis avec la jeune génération afghane, c'est elle qui a envie de créer un avenir meilleur.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour vos propos. Nous soutenons les femmes afghanes, nous dénonçons l'apartheid de genre qui a cours en Afghanistan et il faut, comme vous le dites, s'adresser à la jeunesse, pour qu'elle ne considère pas comme normale la façon dont elle est éduquée en Afghanistan. Je vais tout de suite passer la parole à Elsa Schalck, qui était rapporteure, au nom de la commission des affaires européennes, sur la proposition de résolution européenne de notre collègue Pascal Allizard, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans.
Mme Elsa Schalck. - Je tiens à vous remercier pour votre présence et votre témoignage, nous vous apportons tout notre soutien face aux menaces auxquelles vous faites face. Je salue votre courage de faire entendre la voix des Afghanes, de faire vivre la liberté et de continuer à vivre votre vie de sportive et votre vie de femme - les vidéos que vous diffusez le montrent très bien, vous êtes une athlète et une jeune femme qui se maquille, qui montre sa féminité. Je salue aussi votre courage de mettre en lumière la situation des femmes afghanes plongées dans l'obscurité par un régime féroce, les Afghanes font l'objet d'une politique d'effacement parfaitement assumée par les talibans, puisqu'ils leur ont interdit tout emploi public, tout emploi dans une ONG, et qu'ils leur imposent la présence d'un « tuteur » masculin pour sortir de chez elles. L'instruction leur est interdite à partir de 12 ans, cela pose évidemment la question de leur avenir - alors qu'elles avaient obtenu le droit à l'enseignement en 1947. Depuis le retour des talibans en 2021, nous assistons à une véritable régression, qui s'est encore aggravée cet été puisque, depuis août dernier, les femmes n'ont même plus le droit de faire entendre leur voix en public. Merci, donc, d'être le porte-voix de celles qui n'en n'ont plus. L'actrice américaine Meryl Streep l'a très justement dit devant l'ONU : « les écureuils ont en Afghanistan plus de droits que les femmes, puisqu'ils peuvent, eux, aller et venir seuls dans les parcs publics, ce qui est interdit aux femmes. »
Votre combat doit être notre combat, à toutes et tous ici. Au Sénat, nous venons d'adopter une proposition de résolution européenne (PPRE) de Pascal Allizard, au travers de laquelle nous avons condamné la politique d'invisibilisation des femmes en Afghanistan, et demandé aux gouvernements européens de mener toute action complémentaire pour faire cesser ces violations graves des droits humains. L'Union européenne a déjà pris des sanctions, gelé les avoirs des responsables talibans : ces mesures vous paraissent-elle avoir une incidence sur la situation ?
N'est-il pas nécessaire de reconnaître que l'apartheid de genre est un crime contre l'humanité ?
Enfin, avez-vous gardé des liens avec des sportives en Afghanistan ? Comment font-elles pour pratiquer leur sport ? Y a-t-il des pratiques clandestines, qui leur permettent de continuer quand même ?
Mme Marzieh Hamidi. - Je suis heureuse que les responsables politiques européens se mobilisent pour les Afghanes. L'apartheid de genre est là, dirigé contre les femmes, cela n'existe nulle part ailleurs dans le monde : les femmes ont l'interdiction de marcher dans la rue sans un tuteur, elles n'ont en fait pas d'identité par elles-mêmes. Dans le régime des talibans, les femmes sont des esclaves qui ne servent qu'à faire des enfants, lesquels sont de futurs talibans. C'est pourquoi il faut reconnaître que cet apartheid de genre est un crime contre l'humanité - ne pas le faire, c'est apporter un soutien aux talibans.
Que pouvez-vous faire, en Europe et dans le monde ? Il faut boycotter les talibans, les empêcher de venir en Europe, leur refuser de parler au nom des Afghans : ce sont des terroristes, ils contraignent toute la société afghane, les femmes et les filles, mais aussi les garçons, qu'ils forcent à aller dans des madrassas pour devenir des talibans. C'est toute la société qui est concernée - même si je me concentre sur les femmes en tant qu'athlète femme et aussi parce que les femmes sont toujours les premières victimes des crises et des injustices. Je suis donc pleinement pour la reconnaissance de l'apartheid de genre comme un crime contre l'humanité.
Je suis en contact avec des amies restées en Afghanistan, avec des athlètes, et dans nos échanges, je me sens coupable de raconter ma vie ici, j'ai un sentiment de honte et de culpabilité d'être libre alors que mes amies ne le sont pas. En réalité, je ne peux même pas être fière de ce que je fais ici, je me consacre à la lutte contre les talibans mais je culpabilise de mon sort particulier, face à mes soeurs qui sont coincées dans un système qui leur demande de se détester en tant que femmes. Je parle à mes amies, je les écoute, mais j'évite de leur dire trop ce que je fais, quelle est ma vie ici. Elles ont une vie sombre, elles ont perdu trois ans sans éducation, sans entraînement sportif, elles vivent coincées à la maison. C'est horrible de se dire que cela se passe aujourd'hui. Aller à l'école, faire du sport, ce sont des droits fondamentaux, c'est seulement en Afghanistan que c'est interdit aux femmes, l'Afghanistan est devenu un pays pour les hommes, où seuls les hommes ont une identité, c'est contre cela qu'il faut se battre. Il faut boycotter les talibans, il ne faut pas les reconnaitre, le monde est trop complaisant : les talibans sont un groupe de terroristes, ils sont coupables d'un crime contre l'humanité et il n'y a aucune complaisance à avoir envers eux, il ne faut pas arrondir les angles, ni faire comme s'ils parlaient au nom des Afghans. Pourquoi les autoriser à venir en Europe, alors que des Afghanes sont coincées en Turquie et dans les pays frontaliers de l'Afghanistan, pourquoi recevoir des talibans en Europe alors que leurs victimes ne peuvent pas toujours rejoindre l'Europe ?
Les discours sont importants, mais on a besoin de mesures fortes, et d'abord de tirer les conséquences de l'apartheid de genre imposé par les talibans, qui est un crime contre l'humanité. Il faut donc les boycotter, mais aussi faire bien attention à ce qu'ils font, par exemple lorsqu'ils parlent d'accès à l'éducation : ce qu'ils veulent faire pour les filles, ce sont des écoles talibanes focalisées sur le djihad, comme le sont les madrassas où ils enrôlent déjà de force les garçons. On ne peut certainement pas sortir toutes les Afghanes d'Afghanistan, mais on peut les aider en leur proposant une éducation en ligne, on peut les aider à réaliser qu'avec une éducation moderne, elles peuvent trouver leur voie et lutter contre le terrorisme. L'éducation est centrale, primordiale, pour libérer contre le terrorisme.
Mme Laurence Rossignol. - Merci pour votre combat et bravo pour votre carrière sportive. J'ai été étonnée par l'ampleur du cyberharcèlement dont vous avez été victime en France, je me suis demandé comment les talibans pouvaient avoir autant de soutiens à l'extérieur de l'Afghanistan. Qui sont leurs réseaux, leurs soutiens, et comment faire plus de bruit, être plus présents en « cybersoutien », contre le cyberharcèlement ?
Ensuite, je sais que des Afghanes résistent au quotidien, elles biaisent certaines obligations, il y a des actes courageux, des femmes manifestent, chantent dans la rue. Comment diffuser, relayer ces actes de résistance ? Des hommes sont-ils en soutien ? Comment cela se passe dans la vie réelle des gens, face à la terreur talibane ?
Mme Marzieh Hamidi. - C'est une bonne chose d'accueillir des réfugiés afghans, mais il faut savoir que nous ne sommes pas ici en sécurité. En arrivant ici, j'ai constaté que des gens étaient en contact avec talibans ; je l'ai vécu très concrètement, dans mes cours de français : il y avait là deux garçons afghans, j'ai bien vu qu'ils soutenaient les talibans et je ne me suis pas sentie en sécurité ; j'ai dû quitter la classe, j'ai dit à la responsable que ces deux garçons étaient en fait des talibans en contact avec le régime, mais je n'ai pas été prise au sérieux. Aujourd'hui, je suis en danger, j'ai peur que les talibans me tuent, c'est un stress permanent. Ils ont un groupe sur WhatsApp sur lequel ils ont partagé mon numéro de téléphone, ils m'y insultent, disent qu'il faut me remettre sur ce qu'ils appellent le « droit chemin » - et tous ont un numéro européen, ils sont en Europe ; ils ont très agressifs et très actifs, j'ai eu 8 000 appels sur ma messagerie, un soir j'ai reçu 500 messages et appels, c'est forcément le résultat d'un groupe motivé par les talibans depuis l'Afghanistan, il y a ici des gens qui souhaitent me violer, me tuer, c'est horrible. Je suis venue, comme d'autres, pour être en sécurité, mais je ne le suis pas, je me prépare en permanence à une agression, je me cache, je vis dans la peur, tout cela parce que je suis cette fille qui a osé élever la voix contre eux. Ces gens ont une équipe, c'est une famille et ils sont aussi présents en Europe ; c'est bien pourquoi j'appelle la France et les autres pays européens à combattre ce groupe terroriste. Je ne suis pas la seule victime, nous sommes toutes en danger : les Afghanes ne sont pas les seules concernées, toutes les femmes sont menacées, parce que cette idéologie vaut pour le monde entier, ne croyez pas que ces terroristes ne veulent pas agir ici aussi, ils sont présents, implantés, ils peuvent agir ici aussi, il faut prendre cette menace très au sérieux, il faut les dénoncer et que la justice fasse son travail en renvoyant en Afghanistan les Afghans qui soutiennent les talibans, j'aimerais une action plus forte contre ces terroristes.
Sur la situation au quotidien en Afghanistan, je sais que les femmes qui protestent sur place, qui font des vidéos par exemple, le font spontanément, je reçois des messages de femmes qui me demandent comment agir et me parlent de leur vie au quotidien, j'essaie de trouver des solutions. Je sais qu'il y a aussi des écoles en ligne pour les filles, elles ne sont pas disponibles pour tout le monde, parce que leur accès est difficile. Les filles se voient aussi à la maison, elles ne devraient pas avoir à se cacher. En fait, pas grand-chose n'est fait, peu accèdent à l'éducation, il faudrait renforcer les actions dans ce sens pour les aider.
Mme Olivia Richard. - Je suis frappée par votre sentiment de culpabilité, quel témoignage capital. Bravo d'être devant nous, car si nous avons été effarés de voir ce pays entier sombrer dans la nuit, malheureusement l'actualité fait que les événements se succèdent et se remplacent, et heureusement que vous êtes là pour nous rappeler cette réalité. Vous avez aujourd'hui devant vous des sénatrices qui veulent rendre visibles des femmes qui ne le sont pas, c'est le premier travail à faire. En Iran, les femmes ne peuvent pas non plus chanter dans la rue, mais il y en a qui se réunissent sous un pont à Téhéran, en secret... La justice française a récemment reconnu que le simple fait d'être afghane suffit à accorder l'asile, c'est très important - notre pays a accueilli 50 000 Afghanes depuis 2021, c'est tout à notre honneur.
Pour prolonger la question de ma collègue Laurence Rossignol, quelle est l'attitude des hommes en Afghanistan ? Nous savons que si le combat pour les droits des femmes mobilise surtout les femmes, la bataille se gagne aussi quand les hommes s'engagent. Comment les hommes réagissent-ils en Afghanistan ?
Quel regard portez-vous sur les droits des femmes en France ? Est-ce que certaines tendances, certaines remarques vous évoquent des régressions ? La France a constitutionnalisé la liberté pour les femmes d'interrompre leur grossesse, pensez-vous que les droits des femmes soient un acquis définitif ?
Vous pratiquez un sport de combat, vous êtes une combattante, cela doit probablement vous aider à vous relever...
Mme Marzieh Hamidi. - La plupart des hommes en Afghanistan ne soutiennent pas la liberté des femmes, ils sont par exemple en général d'accord pour que les filles aillent à l'école, mais couvertes du voile, et ils ne sont pas pour autoriser les filles à chanter. Quant à manifester dans la rue le soutien aux droits des femmes, on peut mourir de l'avoir tenté, les hommes ont peur. Il y a donc des femmes qui se rebellent, mais elles se sentent seules, et en dehors de l'Afghanistan peu d'hommes prennent la parole, peu comprennent la liberté, beaucoup ne comprennent pas qu'on puisse rejeter le foulard, par exemple dans le sport. Avant le retour des talibans, quand les femmes manifestaient pour demander plus de droits, beaucoup d'hommes se moquaient de nous, en nous annonçant qu'un jour ce serait fini pour nous - et beaucoup d'hommes se sont réjouis de voir nos libertés disparaître quand les talibans sont revenus. En fait, ce qui met les hommes en colère, c'est la situation économique, c'est le fait que les talibans ont plongé le pays dans la pauvreté, mais seule une poignée d'hommes se préoccupent des femmes, je dirais que 80 % des hommes se moquent de la situation des femmes, alors que même eux voient leurs libertés réduites, ils ne peuvent plus aller chez le barbier ou le coiffeur, par exemple, et c'est bien la société tout entière qui doit se battre contre les talibans, qui sont des terroristes.
Il m'est difficile de comparer la lutte pour les droits des femmes en France et en Afghanistan, on ne se bat pas du tout pour la même chose. Je suis née et j'ai grandi en Iran, j'ai connu la dictature, je sais ce que c'est de ne pas être libre. Ici je suis libre d'être ce que je veux, les femmes se battent pour faire ce qu'elles veulent, c'est incomparable. En Afghanistan, je me bats contre une idéologie qui détruit un pays, vous ne savez pas ce que c'est, les Françaises ne savent pas ce que c'est que d'être battue à mort par la police parce qu'on est une femme. Les différences sont très importantes entre ici et là-bas, une seule journée en Afghanistan suffirait à vous le démontrer...
Mme Colombe Brossel. - Merci pour votre témoignage saisissant. À votre avis, qui sont ceux qui s'opposent, en France et en Europe, au fait de reconnaître l'apartheid de genre et d'en faire un crime contre l'humanité ? Comment aider à cette reconnaissance, de là où nous sommes ?
Mme Marzieh Hamidi. - Je suis surprise de rencontrer des adversaires ou des sceptiques y compris parmi des militants des droits des femmes, parmi des féministes, je leur demande s'il faut que les talibans tuent plus de femmes encore pour que ce crime soit reconnu pour ce qu'il est, un crime contre l'humanité, s'il faut plus de victimes encore... Et j'ai demandé une protection policière parce que je ne veux pas être une victime de plus. La situation en Afghanistan ne concerne pas seulement les femmes, les garçons sont forcés à aller dans les écoles coraniques, mais il y a aussi un apartheid de genre et je ne comprends pas qu'on ne le reconnaisse pas.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il y a aussi un débat sur l'aide humanitaire. Les talibans ont mis le pays à genoux, ce qui nous incite à vouloir plus d'aide humanitaire ; mais aider aujourd'hui l'Afghanistan, n'est-ce pas aider les talibans à rester en place ?
Mme Marzieh Hamidi. - La plupart des pays envoient de l'aide humanitaire, que les talibans captent sans rien donner à la population. Pourquoi des Afghans meurent-ils de faim ? Parce que les talibans confisquent ce qui est envoyé. La population n'a plus rien, alors quand on aide, il ne faut surtout pas passer par les talibans, parce qu'ils gardent tout pour eux. Mieux vaut choisir d'autres voies, avec un envoi direct par exemple à des chefs de familles, je connais des gens qui travaillent avec des ONG, des associations, des gens sont prêts à prendre ce risque. C'est la meilleure façon pour aider les gens sur place, donc ne pas passer par les talibans. Il faut le dire clairement : oui pour soutenir des citoyens afghans, mais pas les talibans.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Aujourd'hui, le fait d'être afghane permet d'obtenir l'asile automatique en France, mais encore faut-il pouvoir y venir. Vous le dites, il faut veiller à ce que ce droit soit effectif.
Mme Olivia Richard. - Il y a désormais la possibilité de demander un visa depuis les consulats de France, des demandes ont été traitées par cette voie.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Oui, il faut alors les traiter rapidement. Partout où l'on libère les femmes, tout le monde gagne, y compris les hommes. Dommage que les hommes afghans ne s'en saisissent pas, car c'est un combat pour l'humanité. Nous sommes à vos côtés, parce que le combat pour les femmes est toujours un combat pour l'humanité.
Mme Marzieh Hamidi. - Je suis ravie que la France ait pris cette décision d'accorder l'asile aux Afghanes, mais attention, il faut savoir que des Afghanes soutiennent des talibans, parce qu'elles ont subi un lavage de cerveau. On peut aider, mais il faut être prudent quand on accueille, des gens m'ont menacée ici même, il faut faire attention à ne pas aider les soutiens des talibans. Ensuite, l'Europe ne va pas accueillir des millions d'Afghanes, l'accueil ne règlera pas tout - je crois qu'il faut surtout promouvoir l'éducation, trouver des façons d'aider à ce que les femmes, à ce que la société afghane dans son ensemble se rebellent contre les talibans. Je ne veux pas abandonner mon pays, il faut penser aux femmes qui y vivent, je suis convaincue que l'action utile passe par l'éducation, c'est la clé pour lutter contre cette idéologie. Les talibans sont des enfants dont le cerveau a été lavé, il faut protéger les jeunes contre ce lavage de cerveau opéré en madrassa, c'est de là que vient la violence contre les femmes, on y apprend à ne pas regarder les femmes, on y apprend aux garçons que le corps des femmes est une honte, un monstre qu'il faut enfermer - et les garçons qui sortent des madrassas sont des monstres. Attention, donc, à ne pas importer l'idéologie talibane : en Belgique le gouvernement a exclu de l'asile un Afghan qui avait une activité pro-taliban, il faut être prudent.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Le ministre de l'intérieur saura y veiller. Nous retenons cette idée d'aider les réseaux d'éducation en ligne, même si nous savons que les réseaux sont peu diffusés en Afghanistan. Merci encore pour votre témoignage.