- Mercredi 30 octobre 2024
- Enjeux de la lutte contre le changement climatique à l'heure de la COP29 - Audition de Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD), Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air et M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, ainsi que M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat
- Communication sur la réunion du Bureau de la commission
- Audition de M François Durovray, ministre délégué chargé des Transports
Mercredi 30 octobre 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Enjeux de la lutte contre le changement climatique à l'heure de la COP29 - Audition de Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD), Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air et M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, ainsi que M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat
M. Jean-François Longeot, président. - Ce matin notre réunion plénière consiste en une table ronde consacrée à la COP29 sur le climat, qui aura lieu en Azerbaïdjan, à Bakou, du 11 au 22 novembre prochains.
Les conséquences du dérèglement climatique sont aujourd'hui perceptibles par tous. Nous en sommes particulièrement conscients dans cette commission puisque nous avons adopté en septembre dernier le rapport d'information de Jean-François Rapin et de Jean-Yves Roux relatif aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 puis, la semaine dernière, le rapport pour avis de Pascal Martin sur la proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles de notre collègue Christine Lavarde.
Au-delà de l'adaptation à ses effets, l'atténuation du changement climatique reste plus que jamais nécessaire. C'est le sens de l'accord de Paris de 2015, adopté lors de la COP21, qui vise à contenir l'augmentation de la température bien en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence sans dépasser 1,5 degré.
Neuf ans après cet accord historique, le respect des objectifs climatiques mondiaux est loin d'être garanti. La conférence qui s'ouvrira dans quelques semaines est cruciale pour le respect des objectifs climatiques. En effet, si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur un nouveau cadre d'aide aux pays en développement, ces derniers pourraient relâcher leurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le nouveau cadre de financement de l'action climatique constitue ainsi l'enjeu central de cette conférence.
Lors de la COP15 à Copenhague de 2009, les pays industrialisés se sont engagés à renforcer les financements climat à destination des pays en développement pour atteindre 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020 et maintenir l'effort jusqu'en 2025. Ce montant d'aide, qui agrège des financements publics et privés, a été tenu en 2022, avec deux ans de retard.
Un des principaux objectifs de la présidence de la COP29 à Bakou est la négociation d'une nouvelle cible en matière de financement climatique, qui remplacerait en 2025 l'objectif de 100 milliards de dollars par an.
Les parties auront à concilier durant cette conférence de nombreuses divergences, portant à la fois sur le montant des contributions financières, qui doit être à la hauteur du défi, et sur la liste des pays contributeurs, qui pourrait intégrer les recompositions à l'oeuvre de l'économie mondiale. À l'occasion du débat préalable au Conseil européen du 9 octobre dernier en séance publique, le ministre délégué chargé de l'Europe avait déclaré : « tous les pays qui sont en mesure de le faire doivent participer à la solidarité financière internationale ». La contribution des pays émergents sera certainement un point de négociation majeur.
La France, qui a participé au financement de l'action climatique à hauteur de 7,6 milliards d'euros en 2022, a aujourd'hui dépassé son objectif de 6 milliards d'euros de financement. Notre pays est donc parfaitement légitime pour continuer à être, avec l'Union européenne, un moteur de la négociation climatique internationale, comme il l'a superbement montré durant la COP21 en contribuant à l'élaboration d'une position de compromis dépassant les clivages traditionnels lors des négociations climatiques.
Au-delà de la question du financement, la COP29 permettra aux États d'aborder d'autres questions centrales, comme la création d'un marché mondial du carbone, nécessaire au financement de l'action climatique, la première actualisation des contributions déterminées au niveau national (CDN), prévue par l'accord de Paris de 2015, ou encore la réduction des subventions aux énergies fossiles.
Pour aborder les enjeux de cette conférence, nous accueillons aujourd'hui Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD) ; Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques ; M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au même ministère et M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement et président de la fondation Gold Standard.
Ma première question portera naturellement sur la cible de financement. Le groupe de haut niveau sur la finance climatique, institué par l'Organisation des Nations Unies, estime les besoins de financement climatique pour les pays en développement à 2 400 milliards de dollars par an d'ici à 2030. Quel nouvel objectif de financement permettrait selon vous d'atteindre les ambitieux objectifs climatiques de l'accord de Paris ? L'évolution de la liste des pays contributeurs apparaît-elle souhaitable et réaliste ?
Je souhaiterais également vous entendre sur le rôle de la France dans cette négociation internationale. Le Conseil de l'Union européenne a adopté le 14 octobre dernier son mandat de négociation. Il appelle à un nouvel objectif quantifié de financement, qui s'appuierait davantage sur l'investissement privé ainsi que sur un groupe plus large de contributeurs. Quelle est votre position sur ce mandat de négociation ? Comment la France et l'Union européenne doivent-elles, selon vous, se positionner en amont des négociations ?
Mme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - En ce qui concerne les obligations de la France s'agissant de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les objectifs internationaux sont, comme vous le savez, déclinés au niveau européen. L'Union européenne a annoncé vouloir réduire ces émissions de 55 % à l'horizon de 2030. À l'échelle nationale, la France doit réduire ses émissions de 50 % sur la même période.
Depuis l'année dernière, nous avons réduit nos émissions de 4,8 %. Nous sommes sur la bonne trajectoire pour atteindre notre objectif en 2030 si nous maintenons ce rythme chaque année. Cette position n'est pas seulement celle de l'État : le Haut Conseil pour le climat (HCC) a déclaré que l'année dernière, pour la première fois, la France s'est mise sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs en 2030.
Ces résultats sont pour partie dus à la conjoncture, tout en reposant également sur des évolutions structurelles. Le HCC estime qu'un tiers de cette diminution est due à des effets conjoncturels et deux tiers à des effets structurels. Cela démontre que les mesures que nous mettons en oeuvre sont efficaces pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Nous le savons, l'effort sera de plus en plus ardu, mais le budget carbone 2019-2023 a été respecté et nous devons rester sur la trajectoire permettant d'atteindre nos objectifs. Tout l'enjeu de la stratégie nationale bas-carbone, qui fera l'objet d'une concertation préalable à partir du 2 novembre pendant six semaines, est de sécuriser cette trajectoire et de donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs.
Pour la première fois, nous allons essayer de définir un objectif portant non pas seulement sur nos émissions nationales, mais aussi sur notre empreinte carbone. Nous savons en effet que celle-ci diminue moins vite que nos émissions nationales, et il est important de ne pas exporter nos émissions. C'est l'objet de mesures comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui a été adopté dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe , pour nous permettre de baisser nos émissions tout en poursuivant notre réindustrialisation.
Le Premier ministre a présenté vendredi dernier le projet de plan national d'adaptation au changement climatique, qui définit une trajectoire de référence pour l'adaptation climatique. Nous devons nous préparer à un réchauffement de 4 degrés à l'horizon de 2100. J'ai vu dans la presse des réactions considérant que c'était un renoncement à l'accord de Paris. Ce n'est évidemment pas le cas. Au contraire, nous mettons tout en oeuvre pour respecter nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a publié la semaine dernière un rapport montrant que les engagements pris aujourd'hui au niveau international nous placent sur une trajectoire de réchauffement de 3,1 degrés. Cela correspond à 4 degrés pour la France, parce que l'Europe se réchauffe plus vite que la moyenne du globe. En France, d'ailleurs, le réchauffement enregistré dépasse déjà 1,7 degré.
M. Philippe Depredurant, sous-directeur de l'action internationale au ministère de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques. - À l'échelle internationale, les enjeux de la COP29 sont majeurs. Le dernier rapport du PNUE a souligné l'urgence de la situation, qui avait déjà été particulièrement bien décrite par le rapport de synthèse du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) en mars dernier. D'après ces documents, il faudrait réduire les émissions mondiales de 43 % à partir de 2030. Cela fait croître la pression à chacune des COP, et la prochaine ne fera pas exception.
Elle constituera un moment charnière. Elle arrive en effet après la COP28, qui s'est tenue aux Émirats arabes unis et a permis de dresser le premier bilan mondial de l'accord de Paris, et un an avant la COP30 de Belém, au Brésil, qui devra déterminer ce que l'on appelle le prochain cycle de l'ambition, c'est-à-dire l'actualisation des contributions déterminées au niveau national, celles-ci faisant l'objet d'une révision tous les cinq ans.
Le premier bilan mondial est mitigé, d'ailleurs, même s'il y a des points positifs, comme l'affirmation, pour la première fois, de la nécessité d'une sortie progressive des énergies fossiles. Il a fallu attendre la COP29 pour que ce point fasse consensus. L'objectif de triplement des énergies renouvelables ou du doublement du taux d'efficacité énergétique dans le monde sont également bienvenus. En revanche, un langage peu enthousiasmant est à noter sur la sortie du charbon - qui, pour mémoire, est l'ennemi numéro un en termes de changement climatique.
La COP29 aura trois enjeux majeurs : la détermination d'une nouvelle cible de financement pour les pays en développement, la finalisation des négociations sur les marchés carbone et l'élaboration de contributions ambitieuse par les différents États membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Le premier enjeu est désigné par l'acronyme NCQG, pour New Collective Quantified Goal. L'objectif précédent était de 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement, fournis par les États développés. Après un départ un peu compliqué en 2020, puis en 2021, du fait de la pandémie, cet objectif a été clairement dépassé dès 2022, puisque nous avons atteint un total de 115,9 milliards de dollars. C'est un point extrêmement positif, qu'il faut mettre en avant. Nous n'avons pas encore les chiffres pour 2023, mais rien ne laisse penser que le total sera inférieur.
D'une manière générale, il faut mobiliser l'ensemble des financements, publics comme privés - ces derniers sont pour l'instant en deçà des besoins. L'enjeu est de déployer ce que le Président de la République a appelé un choc de financement. Cette expression date du sommet pour le nouveau pacte financier mondial. Cette conférence, aussi appelée sommet de Paris pour les peuples et la planète, tenue en juin 2023, a réuni un grand nombre de chefs d'État et de gouvernements, et d'autres autorités politiques, autour du Président de la République, ce qui a permis de lancer un certain nombre de réflexions qui seront très utiles dans le cadre des négociations sur ce nouvel objectif quantifié.
Toutefois, ces négociations s'annoncent difficiles. Le contexte international a déjà été meilleur : je ne rappellerai pas ici les tensions ou les incertitudes géopolitiques actuelles... Puis, dans beaucoup d'États développés, les difficultés économiques réduisent assez nettement la marge de manoeuvre budgétaire. Ceux-ci vont donc chercher à s'entendre sur un montant ambitieux, mais réaliste, atteignable, en essayant toutefois de dépasser le montant de 100 milliards de dollars. L'objectif est d'élargir la base des contributeurs et de faciliter un meilleur engagement des banques multilatérales de développement. Il s'agit également de renforcer le levier que la finance publique constitue pour la mobilisation des investissements privés.
Le second sujet sera la mobilisation collective, politique, pour le prochain cycle des contributions déterminées au niveau national. Le premier bilan mondial est mitigé, mais nous avons au moins un cadre relativement strict pour définir ces contributions. Nous faisons face actuellement à un double déficit en matière d'ambition climat. Le premier est un déficit d'offre : les contributions déterminées au niveau national sont actuellement trop peu ambitieuses pour répondre aux besoins estimés par le Giec. Le second est un déficit de mise en oeuvre : les contributions relativement ambitieuses, notamment dans un certain nombre d'États non européens, ne se concrétisent pas véritablement. Il faudra profiter de cette COP pour donner l'élan politique nécessaire pour déboucher à Belém, dans un an, sur un ensemble de contributions déterminées au niveau national qui soient à la hauteur des enjeux.
Le dernier sujet concerne ce qu'on appelle les marchés carbone. Décrits dans l'article 6 de l'accord de Paris, ceux-ci n'ont toujours pas été opérationnalisés. Nous avons encore enregistré un échec lors des négociations de la COP précédente, à Dubaï. On peut imaginer que cette fois-ci, le dernier segment de l'accord de Paris pourra enfin être mis en application. La France, comme ses partenaires européens, est particulièrement attachée à la question de l'intégrité environnementale. Le but est que les marchés carbone facilitent la réduction des émissions et soient transparents et robustes dans le temps pour convaincre les investisseurs, notamment privés.
Bien sûr, une conférence de ce type prend en compte l'ensemble des segments de négociation ; je me suis concentré sur les trois principaux enjeux.
M. Yannick Glemarec, ancien directeur exécutif du Fonds vert pour le climat, directeur de recherche au Centre international de recherche sur l'environnement et le développement et président de la fondation Gold Standard. - En tant qu'ancien directeur du Fonds vert pour le climat, je remercie la France pour le rôle clé qu'elle a joué dans la recapitalisation de ce fonds, à hauteur de 10 milliards de dollars en 2019 et 12,8 milliards de dollars en 2023. C'était une très bonne nouvelle pour la fin de mon mandat, survenu cette même année 2023, et une très bonne nouvelle pour les négociations climatiques.
La COP29 a été nommée la COP du financement parce qu'au moins quatre grands sujets de financement vont s'y enchevêtrer. Ou bien nous saurons dégager de bonnes synergies, ou bien ils risquent, au contraire, de s'annuler.
Le premier sujet est le nouvel objectif collectif quantifié censé remplacer les 100 milliards de dollars actuels. Le deuxième sujet porte sur les marchés carbone. Le troisième est la crise de la dette - on demande actuellement aux pays en voie de développement d'augmenter leur contribution déterminée au niveau national, alors qu'ils sont nombreux à souffrir d'une crise de la dette catastrophique, d'un niveau que l'on n'a pas vu depuis 2001. Le quatrième est le financement des pertes et préjudices.
Au début de ma carrière, on ne parlait que d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Vers le milieu de ma carrière, on a commencé à parler d'adaptation. Mme Simiu vient de souligner la perspective des 4 degrés supplémentaires, qui pourraient en fait être 5 degrés.
Au début de ma carrière, on ne voulait pas parler d'adaptation, parce que cela revenait à admettre la défaite de l'atténuation. Vers le milieu de ma carrière, il était clair qu'il fallait s'adapter, et très vite. Puis, on s'est mis à parler des pertes et préjudices. Le changement climatique n'est désormais plus à attendre dans le futur ; il est déjà présent. Beaucoup de petits États insulaires peuvent perdre plus de 100 % de leur PIB en l'espace de quelques heures à cause d'un ouragan. Sans soutien international, ils seraient alors incapables de se relever.
Je m'étendrai surtout sur le premier sujet, le nouvel objectif collectif quantifié. Un accord est difficile à trouver parce qu'il n'y a pas de définition unique au niveau international de ce qu'est la finance climatique. Les négociateurs ne se sont jamais mis d'accord sur une définition de la finance pour le climat. La définition de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques parle de « toute action menant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre ou à augmenter l'adaptation aux changements climatiques ». Mais elle ne dit rien sur les sources du financement, sur son emploi ou sur sa destination. Ces questions rendent cette négociation extrêmement difficile.
Le rapport du groupe d'étude sur la finance climatique chiffre à 2 400 milliards de dollars les besoins totaux des pays en voie de développement, dont 1 000 milliards d'euros devraient venir de l'extérieur. Sur les quelque 1 500 milliards d'euros restant, les deux tiers devraient venir du secteur privé, et un tiers du secteur public. Les négociateurs des pays du sud demandent donc ces 1 000 milliards d'euros, et ceux des pays du nord, en général, diminuent ce montant d'un ordre de grandeur. La négociation sur le volume sera donc très importante.
La question suivante est de savoir qui finance. Les pays membres de l'OCDE en 1992 ? Ou faut-il faire contribuer la Chine et les autres grands émergents ? Singapour, par exemple, dont le PIB par habitant est le triple de celui du Portugal, ne contribue pas parce que considéré comme un pays en voie de développement. Singapour pourrait même recevoir des fonds de l'ONU. Une remise à plat s'impose donc, peut-être en définissant des tranches différentes de contributeurs. Ce sera l'un des grands sujets de négociation.
Il faudra se demander aussi ce qu'il faut financer. Y a-t-il une fenêtre pour l'adaptation, une pour l'atténuation, une pour les pertes et préjudices ? En ce qui concerne les bénéficiaires, y a-t-il une fenêtre pour les petits États insulaires, une fenêtre pour les pays les moins avancés ? Quels types de financement doivent être mobilisés ? Des dons ? Des prêts ? Des garanties pour mobiliser des financements privés ? Ou de l'investissement direct en capital privé ? Cette négociation sera extrêmement difficile et couvrira un champ beaucoup plus large que les seuls volumes.
Sur les marchés carbones, je dirai simplement qu'une tonne de carbone n'en vaut pas une autre. Une tonne de carbone émise par des énergies fossiles ne peut être compensée par une tonne de carbone enlevée par reboisement : on ne parle pas de la même durabilité. Une tonne de carbone évitée à partir d'une approche technique comme la capture directe dans l'air n'a aucun bénéfice en termes de développement, alors qu'une tonne de carbone évitée à partir du renouvelable au niveau communautaire en a beaucoup.
La négociation carbone porte à la fois sur l'intégrité, la durabilité et la définition de l'additionnalité. Faut-il simplement éviter d'émettre davantage de carbone ou faut-il aussi chercher le coût le plus faible pour les acheteurs et un maximum de bénéfices de développement ? L'Europe et les États-Unis, en général, ne veulent pas la même chose. L'Europe a mis l'accent sur la qualité du marché, même si celui-ci est assez petit, alors que les États-Unis pensent au volume et veulent essayer de faire croître ce marché au plus vite. Ce sera aussi une négociation assez difficile.
J'en viens à la dette. Imaginez qu'en France il n'y ait pas de loi sur les faillites. Comment résoudrait-on nos problèmes économiques ? C'est le cas au niveau international. En 2001, on arrivait à s'arranger parce que tous les bailleurs de fonds venaient du même groupe de pays. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Une part importante de la dette est détenue par le secteur privé, qui n'est pas ouvert aux renégociations. Une autre partie est entre les mains de pays émergents. Cette négociation s'annonce extrêmement difficile et, ne nous berçons pas d'illusions, sans résolution de la question, il n'y aura pas d'ambition climatique !
Enfin, où trouver l'argent pour indemniser les pertes et préjudices ? Des discussions ont lieu sur les instruments innovants, comme une taxation de 2 % sur le patrimoine au niveau global. Il y aura sans doute beaucoup de demandes des pays émergents pour trouver un mécanisme prévisible de provision des pertes et préjudices.
Mme Marie Bjornson-Langen, directrice exécutive adjointe solutions développement durable de l'Agence française de développement (AFD). - Je commencerai par un rappel de la stratégie de l'AFD en faveur du climat. Nous sommes en train de finaliser une nouvelle feuille de route « Planète », qui traite conjointement du climat et de la biodiversité. En plus de l'alignement sur l'accord de Paris auquel nous nous étions engagés dès 2017, nous allons nous aligner sur l'accord de Kunming-Montréal de 2022.
Cette feuille de route est le fruit d'un travail important au sein du groupe, de ses différentes entités, de nos filiales. Elle découle aussi de discussions riches et approfondies avec les ministères, qui nous ont fait des retours très positifs, et avec les ONG du climat et de la biodiversité, avec lesquelles les échanges ont également été riches et fructueux.
À ce stade, cette feuille de route a été validée en interne par notre comité exécutif. Elle sera présentée dans quelques mois, en même temps que notre nouveau plan d'orientation stratégique et que deux autres feuilles de route - l'une sur le lien social, qui traite notamment du genre et des inégalités, et l'autre sur le citoyen et les institutions démocratiques. Ces trois feuilles de route sont, d'une certaine manière, la signature de l'AFD, en sus de nos engagements sectoriels.
Dans ce document, nous fixons quatre objectifs principaux. Le premier objectif est de maximiser l'impact de nos financements à la fois sur le climat et sur la biodiversité. Le deuxième objectif est d'accompagner nos clients, les pays dans lesquels nous intervenons, vers des trajectoires bas carbone et résilientes. Nous voulons aussi aider les acteurs non souverains dans leur transformation, dans leur engagement en faveur du climat et de la biodiversité, dans l'évolution de leurs modes de gouvernance pour accompagner leur transition. Le troisième objectif est de continuer à mobiliser autour des financements pour amplifier notre action. Nous souhaitons avoir un effet de levier important sur les financements externes et continuer à influencer tous les réseaux qui travaillent sur ces sujets pour la mise en place de pratiques vertueuses en matière de finances durables. Enfin, notre dernier objectif est interne : nous allons continuer à faire notre propre transition, notamment en matière de formation.
Cette feuille de route « Planète » sera bientôt présentée à notre conseil d'administration.
Mon deuxième point porte sur les objectifs et les résultats de l'AFD en matière de climat. L'AFD intervient dans 160 pays et onze départements et territoires d'outre-mer. En 2023, nous avons octroyé 12 milliards d'euros de financement, si on laisse de côté l'activité d'Expertise France et les fonds qui nous sont délégués. Nos équipes interviennent sur 3 600 projets dans le monde. L'AFD a été la première banque publique de développement à s'engager à un alignement total sur l'accord de Paris. Depuis, cet engagement a été repris par la plupart des grands bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale ou la Banque européenne d'investissement (BEI).
De plus, l'AFD s'est engagée à octroyer au moins 50 % de financements à co-bénéfices climat chaque année. Cet objectif est dépassé depuis plusieurs années. En 2023, le volume de finances climat s'est élevé à 7,5 milliards d'euros, sur un total de 12 milliards d'euros, le montant se répartissant ainsi : 4,5 milliards d'euros sur l'atténuation et 3 milliards d'euros sur l'adaptation. Sur ces sommes, 6,2 milliards d'euros ont été déclarés à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, compte tenu des règles de comptabilisation des périmètres géographiques. Ce montant représente 87 % de la finance climat déclarée par la France au titre de 2023. Plusieurs institutions soulignent que la France fournit sa part équitable de finance climat, bien que les objectifs mondiaux en la matière ne soient pas aujourd'hui répartis par pays.
L'AFD accorde également beaucoup d'importance à l'accompagnement de ses partenaires et clients dans l'élaboration de stratégies long terme bas carbone et dans l'accompagnement, via des actions de renforcement de capacité, des autorités nationales et locales. Nous souhaitons aussi continuer à mobiliser nos partenaires sur des pratiques vertueuses, au-delà des financements que nous octroyons. Nous avons donc été à l'initiative de la création de deux cercles, l'International Development Finance Club (IDFC), qui rassemble 26 banques publiques de développement, et la coalition Finances en commun, qui se réunit annuellement en sommet.
La COP29 sera une COP de la finance, puisque l'un des objectifs en est la définition d'un nouvel objectif de finance climat. Les négociations ont régulièrement abordé la question de la définition de la finance climat. Aujourd'hui, tous les financeurs n'ont pas adopté une approche standardisée, comme l'AFD, l'IDFC, ou la plupart des banques multilatérales de développement, pour quantifier de manière rigoureuse cette finance climat. Nous sommes en faveur d'une plus large utilisation de principes communs, de méthodes standardisées. Au-delà de la définition de la finance climat, il faut aller plus loin sur la caractérisation de l'impact des financements apportés. L'idée est de promouvoir des actions qui permettent de faire évoluer structurellement les manières de faire, les stratégies. Cela passe par des dialogues approfondis sur les politiques publiques avec les pays avec lesquels on travaille, par des financements budgétaires, aussi, qui permettent de mettre en oeuvre des réformes et des mesures ambitieuses.
Notre feuille de route « Planète » a justement pour projet de mieux caractériser cette finance que l'on appelle « transformationnelle », et ce afin que nous soyons aussi redevables de ce type d'actions, particulièrement structurantes à nos yeux, en plus des volumes de financements apportés.
Concernant les crédits carbone, nous menons actuellement un travail pour accompagner quelques partenaires dans une phase pilote de mise en place de cadres réglementaires et nationaux, et peut-être aussi le financement de quelques projets pilotes.
Pour l'adaptation, nous avons réalisé un travail important pour nous assurer que la question de la résilience est bien intégrée dans toutes les instructions des financements que nous octroyons, via une analyse des aléas climatiques de chaque projet.
Enfin, sur la question des pertes et préjudices, je voudrais signaler que nous mettons en place un système de clauses qui permet aux pays particulièrement vulnérables de suspendre le remboursement de leurs dettes en cas de catastrophe climatique.
M. Jacques Fernique. - La seule méthode possible est le multilatéralisme. Or, face aux périls climatiques, la prise en compte multilatérale se révèle défaillante. Nous avons chaque semaine des manifestations du réchauffement climatique, alors que nous ne sommes qu'à un réchauffement de 1,7 degré, quand le PNUE annonce bien pire pour la fin du siècle.
Si les différents pays réalisaient effectivement les contributions déterminées au niveau national annoncées, la baisse des émissions de gaz à effet de serre serait de 4 % d'ici à 2030, bien loin des 43 % visés. La COP devrait en toute logique chercher à changer cette donne mortifère. Mais elle est présidée par l'Azerbaïdjan, qui n'est pas un modèle de démocratie et qui est très dépendant des énergies fossiles. Comment voyez-vous les choses à cet égard ?
La situation géopolitique s'est considérablement dégradée depuis l'accord de Paris : tensions, crises, logiques de blocs, sans compter le scénario de l'élection de Donald Trump qui se profile... Cela laisse-t-il, selon vous, un espace pour renforcer la démarche multilatérale ?
En ce temps d'élaboration budgétaire, nous mesurons combien il est difficile, et parfois quasi impossible, de garantir la montée en puissance des investissements de la transition écologique face à la dette. Et dans les pays moins bien lotis - je pense aux pays en développement -, où le surendettement est considérable, c'est encore plus compliqué. Quelles pistes concrètes viables pourraient sortir de Bakou pour s'attaquer au poids des dettes existantes ? Comment mobiliser les contributeurs publics et privés pour élargir et sécuriser l'accès au financement climat ?
M. Stéphane Demilly. - À quelques semaines de la COP29, les négociations climatiques avancent millimètre par millimètre et s'annoncent difficiles. L'année 2024 est en passe de devenir la plus chaude jamais enregistrée ; canicules et inondations meurtrières se multiplient.
Monsieur Glemarec, que pensez-vous du parti pris des associations environnementales, qui appellent à privilégier les dons plutôt que les prêts, afin de ne pas alourdir le fardeau de la dette des pays du Sud ?
Les États doivent revoir à la hausse leurs engagements climatiques d'ici mars 2025. Les Émirats arabes unis, l'Azerbaïdjan et le Brésil, qui président respectivement la COP28, la COP29 et la COP30, ont promis de livrer leurs nouveaux plans climatiques. Or, à ce stade, la transition hors des fossiles est loin d'être lancée : bien au contraire, ces trois pays sont en passe d'augmenter collectivement leur production de pétrole et de gaz d'un tiers d'ici à 2035. De même, les États-Unis, le Canada, l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni sont responsables de la moitié de l'expansion mondiale dans de nouveaux gisements. De telles décisions stratégiques de la part de ces grands pays peuvent apparaître paradoxales à la veille de la réunion internationale. Qu'en pensez-vous ?
Mme Nadège Havet. - Aux termes de l'accord de Paris, un nouvel objectif chiffré collectif pour le financement climatique devait être fixé avant la fin de l'année 2025. Il était construit sur la base de l'engagement de mobiliser 100 milliards de dollars par an. Est-ce encore le cas ? Concrètement, à quoi pourrions-nous aboutir avant la fin de l'année 2025 ?
M. Philippe Depredurant. - Avec la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, nous avons un outil de gouvernance universel, relativement souple. Comme tout système onusien, il n'est pas parfait ; nous en voyons régulièrement les limites, notamment en termes de portée et de calendrier. Mais il a le mérite d'exister, et il a déjà produit des résultats : la trajectoire carbone est inférieure à ce qu'elle aurait été sans les CDN.
On peut voir cette COP de manière positive : la quasi-totalité des États de la planète y participe ; seuls trois pays, l'Iran, la Libye et le Yémen, ne sont pas membres de la Convention-cadre. Les gros émetteurs de la planète sont tous autour de la table. Certes, pour nous, Européens, et, surtout, Français, qui souhaitons toujours être à la pointe de l'ambition, les résultats peuvent être décevants. Mais, sur d'autres sujets, les choses avancent. La sortie progressive des énergies fossiles a été acceptée au consensus, y compris par l'ensemble des États producteurs d'hydrocarbures ; c'est un engagement fort pour eux.
Le résultat des négociations est difficilement anticipable. Tout se décante dans les deux derniers jours. Et il faut ensuite en assurer la mise en oeuvre. La sortie progressive des énergies fossiles, qui figure pourtant dans les conclusions de la COP précédente, est assez largement remise en cause. Il faudra donc continuer à trouver des espaces de négociation pour concrétiser cette décision de la communauté internationale dans le cadre de la COP29.
Mme Marie Bjornson-Langen. - Les pays que vous avez mentionnés s'inscrivent dans les accords multilatéraux. Bien qu'ils soient producteurs, ils prennent des engagements sur le développement des énergies renouvelables, et ils sont contributeurs sur la finance climat.
M. Yannick Glemarec. - Je centrerai mon propos sur la résolution de la dette. Ce qui a marché en 2001, lorsqu'un petit groupe de pays se sont mis d'accord pour oublier leur dette, ne marchera pas cette fois. Il faudra sans doute distinguer les pays ayant un problème de liquidités de ceux qui ne sont pas solvables.
Beaucoup de pays qui ont un problème de remboursement de leur dette sont solvables ; ils ont simplement un immense problème de liquidités. Dans ce cas, la priorité est de les refinancer, par exemple en augmentant la capacité de refinancement des banques multilatérales, ce qui implique des réformes du système de financement international.
Pour les pays qui ne sont pas solvables, il faut renégocier le principal de la dette. Comme ils sont beaucoup moins nombreux, cela devrait être possible. Le cadre commun de renégociation de la dette institué avec les nouveaux pays bailleurs de fonds ne marche pas très bien, mais il est possible de l'améliorer, notamment en mettant en place des dates butoirs. L'une des conditions sera l'égalité de traitement des bailleurs de fonds : il faudra faire en sorte que les acteurs privés acceptent les mêmes conditions que les acteurs publics.
La question de la dette est, me semble-t-il, à séparer de celle du financement pour le climat international. Pour le climat, nous avons en effet besoin de beaucoup plus de dons.
Les dons permettent d'abord d'investir dans le renforcement des capacités, dans le renforcement institutionnel, dans le renforcement réglementaire, donc de créer un cadre porteur pour les investisseurs privés.
Les dons sont ensuite utiles pour tous les projets qui ont une valeur sociale énorme, sans retour financier sur investissement. En France, c'est souvent de l'argent public sous forme de dons qui finance les projets à haute valeur sociale. Pourquoi ne serait-ce pas le cas aussi dans les pays pauvres ?
Enfin, il est possible de transformer un don, soit une monnaie fongible, en n'importe quel instrument financier. Par exemple, on peut utiliser les dons pour investir en capital direct, ce qui permet de créer des garanties pour mobiliser le secteur privé.
Mme Diane Simiu. - Nous avons des leviers, à la fois commerciaux et réglementaires, pour agir à l'échelon européen lorsque des pays continuent à augmenter leur consommation d'énergie fossile. La France est en pointe sur ces sujets.
Sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, nous devons faire en sorte de mettre sur un pied d'égalité les industriels européens assujettis au système européen d'échange de quotas et des importateurs qui ne seraient pas soumis à ce type d'obligations dans leur pays. Il s'agit non pas de protectionnisme, mais de respect de nos engagements climatiques.
En outre, nous réservons le bonus pour les véhicules électriques aux véhicules atteignant un certain score environnemental, et nous défendons ce principe en Europe.
Parmi les leviers dont nous disposons dans nos négociations commerciales à l'échelle européenne, nous pouvons systématiser l'intégration du respect de l'accord de Paris aux clauses essentielles des accords commerciaux.
M. Jean-Claude Anglars. - La COP28 s'est déroulée à Dubaï en 2023. Le pays voisin, l'Arabie saoudite, organisera les jeux Asiatiques d'hiver en 2029 - c'est bien connu, il y a beaucoup de neige en Arabie Saoudite... La COP29 se déroulera en Azerbaïdjan : rien de tel qu'un pays dont l'économie repose sur le pétrole pour prêcher les vertus des énergies renouvelables ! Le pays dans lequel on s'apprête à parler du climat, en conflit avec l'Arménie concernant la région du Haut-Karabakh, se classe au 154e rang mondiale sur la liberté de presse, au 128e rang en termes de corruption, et a récemment mené des actions d'ingérence en Nouvelle-Calédonie en soutenant des mouvements plus ou moins factieux et en diffusant de la désinformation.
Voilà qui montre, même si les défis climatiques transcendent les frontières politiques et géographiques, l'absurdité du paradigme climatologique appliqué sans nuance et sans prise en compte des contextes nationaux et locaux. Pensez-vous vraiment que les 800 membres de la délégation française doivent se rendre dans un tel pays ?
M. Jean Bacci. - Selon les scientifiques travaillant sur la question, 6 % des émissions de gaz à effet de serre sont dues aux feux de forêt mondiaux. Ce problème est-il pris en compte ? Selon AgroParisTech et l'université de Toulouse, investir 1 euro pour protéger la forêt permet d'économiser 29 euros quand il faut combattre le feu et restaurer ce qui a été brûlé.
M. Simon Uzenat. - Chaque année, nous constatons que l'année qui vient de s'écouler est la plus chaude jamais enregistrée.
Nous ne pouvons pas passer sous silence les violations des droits humains en Azerbaïdjan. Elles entrent totalement en contradiction avec les principes défendus, en particulier, par les Nations unies. Les ressources que ce pays tire des énergies fossiles contribuent à alimenter l'effort de guerre de la Russie. Et l'Azerbaïdjan affiche clairement la volonté d'augmenter sa production d'énergie fossile de 35 % au cours des dix prochaines années, alors que la sortie progressive des énergies fossiles a été actée à Dubaï.
La question de la démonétisation des COP se pose. Que pensez-vous du transfert des temps d'échanges vers d'autres instances plus opérationnelles, comme le G20 ?
Monsieur Glemarec, la distinction que vous opérez entre les pays insolvables et ceux qui rencontrent des problèmes de liquidités est intéressante. Mais pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les dons ? Le Giec appelle par ailleurs à un mécanisme mondial de garantie, en complément des financements sous forme de prêts.
Sur la stratégie nationale bas-carbone dite SNBC-3, la ministre a évoqué un décret d'ici à la fin de l'année 2025 ; nous étions déjà très en retard, et nous le sommes encore plus. En outre, dans le projet de loi de finances pour 2025, les crédits de la transition écologique, en particulier sur l'aide publique au développement, sont en très nette baisse. Nous avons besoin de retrouver une crédibilité de la parole, notamment de la part des puissances ayant une responsabilité toute particulière dans les règlements climatiques.
Le Gouvernement a affiché des intentions en termes de stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. Mais la mission d'information de la délégation aux entreprises dont j'étais corapporteur a bien insisté sur la faiblesse actuelle du soutien de l'accompagnement des entreprises, qui auraient besoin d'être davantage aidées. Pour les collectivités, on va rogner le fonds vert de 1,5 milliard d'euros tout en leur demandant de faire plus : il y a là une contradiction majeure.
La négociation climatique se nourrit de confiance et de crédibilité. Pourriez-vous nous apporter quelques éclairages sur la trajectoire envisagée par le Gouvernement, notamment s'agissant des financements de l'aide publique au développement ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - L'Azerbaïdjan vit essentiellement des énergies fossiles. Une partie du gaz qu'il fournit à l'Europe vient de toute évidence de la Russie. Le pouvoir dans ce pays n'est pas un modèle de démocratie. Durant la guerre des 44 jours contre le Haut-Karabakh, il y a eu des comportements qui relèvent du crime contre l'humanité. Et l'Azerbaïdjan menace toujours l'Arménie. Cela me choque que la COP29, dont je vois bien l'intérêt et l'importance, se déroule dans un tel pays. En tant que président du groupe d'amitié interparlementaire France-Arménie, j'ai écrit au président du Sénat pour lui faire part de notre souhait qu'il n'y ait pas de délégation de sénatrices et de sénateurs à cette COP29.
Mme Diane Simiu. - Les feux de forêt revêtent effectivement un enjeu très important. Le plan national d'adaptation au changement climatique présenté vendredi par le Premier ministre contient des mesures pour nous préparer face à l'augmentation attendue des incendies.
Le règlement sur la déforestation de l'Union européenne, même si sa mise en oeuvre est un peu décalée, vise à protéger les forêts mondiales en refusant d'importer des produits issus de la déforestation. C'est un enjeu important du Pacte vert pour l'Europe : pour la première fois, nous avons adopté des mesures portant sur les effets de la consommation européenne sur le climat et la biodiversité ailleurs dans le monde. La France a été à l'initiative de ce virage essentiel.
M. Philippe Depredurant. - En tant que fonctionnaire du ministère de la transition écologique, il ne me revient pas de répondre à la question, clairement politique, sur l'Azerbaïdjan. Je crois savoir que vous entendrez bientôt les autorités politiques chargées des négociations.
Je rappellerai simplement quelques éléments factuels. D'abord, la détermination des pays hôtes se fait de manière décentralisée : le groupe des États d'Europe orientale a décidé, au consensus, d'accorder la présidence à l'Azerbaïdjan. Ensuite, la délégation française ne sera pas de 800 personnes : il y a bien entendu les autorités politiques, mais également les représentants de nos entreprises, de nos ONG et de notre monde académique, qui ne font pas partie de la délégation de négociation.
La forêt - c'est également le cas de l'océan - prend une ampleur transverse dans les grandes négociations internationales sur le développement durable. La France fait énormément d'efforts pour promouvoir la protection de la forêt, dans les pays du Sud comme dans les pays plus développés. Je fais par exemple référence à la priorité que nous mettons dans nos actions d'influence sur ce que l'on appelle les « solutions fondées sur la nature ».
S'agissant du système multilatéral, les COP climat sont toujours organisés en fin d'année. Elles sont précédées par une série d'étapes, plus ou moins formelles. Parmi celles-ci, il y a l'étape du G7, qui prépare ensuite celle du G20. Le G20 offre une capacité d'impulsion, mais il a plusieurs effets pervers. D'abord, il peut clairement ne pas enthousiasmer les autres États, notamment les États particulièrement vulnérables, qui se sentent toujours un peu écartés de la scène. Ensuite, il ne débouche pas toujours sur des engagements forts de ses leaders. Nous l'avons bien vu depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie : le G20 a bien du mal à faire des communiqués consensuels, et rien ne dit que cela va s'améliorer. Le G20 et les COP sont des organes utiles, mais non suffisants.
Mme Marie Bjornson-Langen. - Je souhaite apporter des précisions sur deux points.
D'abord, l'AFD octroie également des financements en faveur de la protection de la forêt dans un certain nombre de pays, notamment en Turquie, en partenariat avec l'Office national des forêts (ONF), mais également au Maroc et dans certains pays d'Asie. Je précise à cet égard que 20 % de nos financements consacrés à la biodiversité sont spécifiquement orientés vers la protection des écosystèmes, ce qui inclut la forêt.
Ensuite, je veux revenir sur l'alternative entre prêt et don. Vous le savez, l'AFD intervient majoritairement au travers de prêts, qui représentent entre 80 % et 85 % de ses actions. Évidemment, le choix entre prêt et don dépend tant du niveau de développement du pays que de l'objet du projet financé. Vous l'avez souligné, eu égard aux prévisions budgétaires de 2025, l'aide au développement sera sans doute moins importante, ce qui aura probablement des conséquences sur le volume de finance climat octroyé. Même si une partie seulement des dons est affectée aux projets en eux-mêmes, le reste étant consacré à leur préparation, à leur accompagnement ou encore à l'assistance technique, il n'est pas impossible que cela ait un impact, notamment pour les projets liés à l'adaptation.
Les prêts présentent un avantage : ils permettent de mobiliser des financements beaucoup plus ambitieux que le don, ce qui a son intérêt pour certains pays. Toutefois, je tiens à insister en conclusion sur l'importance, pour les sujets liés au climat, de la mobilisation des autres types de financement, en particulier de la finance privée ; même si nous avons encore du mal à en quantifier l'ampleur, on sait qu'elle n'est pas suffisamment mobilisée au regard des enjeux.
M. Yannick Glemarec. - La multiplication des organes a donné lieu, voilà une vingtaine d'années, à une forme de cacophonie ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'une des avancées majeures auxquelles nous assistons dans le domaine multilatéral est que les grandes instances internationales se parlent de plus en plus ; par exemple, pour ce qui concerne la négociation climatique, le G7, le G20 et la COP commencent à se parler ; de même, la convention sur les changements climatiques échange avec la convention sur la biodiversité et avec la convention sur la lutte contre la désertification. C'est très positif, car cela multiplie les points d'accord et les motivations pour l'action.
La question des feux, malheureusement, est de plus en plus centrale. Quand le Giec a établi un budget carbone de 500 gigatonnes pour maintenir le réchauffement global sous 1,5 degré, il partait du postulat que les océans et les forêts continueraient de jouer le rôle de puits de carbone qu'ils jouaient à l'époque et même que l'on pourrait augmenter ce rôle au travers de la reforestation. Malheureusement, c'est le contraire qui se produit. D'abord, le budget carbone n'est plus que de 200 millions à 250 millions de gigatonnes, mais, en outre, les puits de carbone traditionnels sont de plus en plus faibles. Par exemple, cette année, les feux touchant la forêt canadienne ont émis plus de gaz à effet de serre que l'industrie pétrolière canadienne, ce qui n'est pas peu dire ; l'Amazonie est devenue une source et non plus un puits de dioxyde de carbone. C'est un véritable problème et il convient d'agir sur ce point.
Or on constate que, parmi les financements climatiques, il y a très peu d'argent fléché vers les forêts. C'est pourquoi il serait important de mettre à jour ce volet, dans le cadre d'une réforme du système de financement en faveur du climat. Lors de la COP21, il y avait eu une reconnaissance de l'importance des écosystèmes et des forêts, et la décision de Glasgow a entériné l'arrêt du déboisement à l'horizon de 2030, mais on n'est pas dans les clous. Il faut donc relancer cette question, peut-être à l'occasion de la COP29.
En ce qui concerne la question de l'alternative entre prêt et don, je pense pour ma part qu'il convient d'augmenter la part du don, car elle est insuffisante. Il y a sans doute des situations dans lesquelles on ne doit surtout pas passer par le don, par exemple dans le cas des financements climatiques hybrides, qui reposent sur des financements publics et privés : on n'a pas envie de faire bénéficier d'un don une compagnie privée qui peut déjà profiter d'un taux de rendement parfaitement décent avec un prêt. Le Fonds vert pour le climat avait une méthode pour cela. Il disposait d'une grille d'analyse financière permettant d'abord de déterminer si un projet avait besoin ou non de l'argent public. S'il n'en avait pas besoin, on le rejetait, et, s'il en avait besoin, on se demandait s'il lui fallait un prêt au taux de marché ou un prêt à un taux plus faible ou encore des garanties. Le don était l'ultime recours ; c'est vrai, nous étions beaucoup plus ouverts à l'hypothèse du don en faveur des pays à revenus faibles, car ce sont le pays et le secteur qui priment. Cela étant dit, même si tous les instruments financiers sont nécessaires, on a besoin de plus de dons.
M. Simon Uzenat. - Que pensez-vous du mécanisme mondial de garanties promu par le Giec ?
M. Yannick Glemarec. - J'ai fait paraître, la semaine dernière, une tribune sur ce sujet dans le journal Le Monde. Le Fonds vert et la Banque mondiale ne peuvent pas fournir de garanties, parce qu'ils sont tenus de mettre en réserve 100 % du montant garanti, ce qui est un non-sens. En revanche, les États souverains, disposant du pouvoir de lever l'impôt, ne sont pas tenus de constituer cette réserve, ce qui permet d'atteindre des effets leviers de l'ordre de 30 pour 1. C'est la raison pour laquelle, selon moi, il est essentiel de mettre en place un mécanisme de garantie multisouverain, reposant sur la capacité budgétaire des pays, afin d'offrir une garantie aux projets. Dans ce cas, le seul coût serait celui du risque de crédit, qui s'élève à environ 2 %, auquel s'ajoute le coût d'opération de cette garantie ; et, plus le mécanisme est étendu, plus le coût est faible...
Ainsi, pour la Banque mondiale ou le Fonds vert pour le climat, apporter une garantie est hors de prix ; pour la France, en association avec d'autres pays, c'est un instrument extraordinairement efficace. Or les infrastructures représentent 80 % du coût des actions pour le climat et les infrastructures exigent des garanties...
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions sur ces enjeux cruciaux. Une prise de conscience est nécessaire, mais il faut maintenant surtout prendre des décisions et les appliquer, afin de lutter efficacement contre le changement climatique.
Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.
Communication sur la réunion du Bureau de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, le Bureau de notre commission s'est réuni ce matin pour établir son programme de travail des prochains mois.
D'abord, dans le domaine législatif, il a donné son accord pour que la commission saisie pour avis travaille en lien avec la commission des finances dans le cadre de l'examen du budget 2025. L'inscription à l'ordre du jour de l'examen de la proposition de loi n° 431 (2023-2024) visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite fast fashion est apparue opportune et nous allons demander au Président du Sénat son inscription à l'ordre du jour.
En ce qui concerne l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne annoncé en janvier, un consensus s'est dégagé pour que les commissions permanentes, et la nôtre en particulier, instruisent le texte, considérant que le renvoi à une commission spéciale conduit à une perte d'expertise. Aucune difficulté dans la répartition des articles entre les commissions compétentes n'est au demeurant à relever.
Ensuite, en ce qui concerne nos travaux de contrôle, le Bureau a acté le principe de la création d'une mission d'information sur l'application de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec). Le Bureau de la commission a également approuvé le lancement d'une prochaine mission d'information sur les nuisances sonores. Pour ces travaux de contrôle, des rapporteurs seront donc prochainement désignés.
Mes chers collègues, nous poursuivrons nos travaux par l'audition du ministre des transports à 16 h 45.
La réunion est close à 11 h 35.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 16 heures 50.
Audition de M François Durovray, ministre délégué chargé des Transports
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous ouvrons ce matin le cycle traditionnel des auditions budgétaires avec M. François Durovray, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé des transports.
Monsieur le ministre, il s'agit de votre première audition devant notre commission depuis votre prise de fonctions, le 21 septembre dernier. Outre l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, dans un cadre budgétaire très contraint, cette réunion est l'occasion de nous présenter les priorités de votre ministère, ainsi que votre feuille de route pour les transports. Vous vous êtes déjà plié à cet exercice la semaine dernière devant nos homologues de l'Assemblée nationale et je ne doute pas que mes collègues auront de nombreuses questions à vous poser sur la manière dont vous entendez mener votre plan d'action, tout en résolvant l'équation budgétaire à laquelle vous êtes soumis.
Alors que l'année 2024 entérinait une dynamique positive en faveur des transports, à la suite de la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et de l'annonce du plan d'avenir pour les transports en 2023, le PLF pour 2025 marque un certain retour en arrière, en prévoyant une baisse des crédits, notamment pour l'entretien et la modernisation des infrastructures de transport massifié, les aides au verdissement du parc automobile, ou encore les crédits alloués aux mobilités durables par le fonds vert. Cette situation soulève de vives inquiétudes auprès des élus locaux et de nos concitoyens, car le secteur des transports est essentiel pour le développement des territoires et les mobilités quotidiennes des Français, tout en étant un levier primordial pour atteindre nos objectifs climatiques.
Avant de céder la parole à nos trois rapporteurs budgétaires pour détailler les dispositions et crédits prévus dans le PLF pour 2025, je souhaite aborder trois sujets d'actualité qui ont directement trait au modèle de financement des infrastructures de transport.
Premièrement, comme vous le savez, Élisabeth Borne avait annoncé en février 2023 vouloir dégager 100 milliards d'euros d'ici à 2040 afin de financer une « Nouvelle donne ferroviaire ». Ce montant devait être destiné aux opérations de régénération, de modernisation, mais aussi de développement du réseau, notamment pour permettre la réalisation des services express régionaux métropolitains (Serm), à un moment où un choc d'offre de transports collectifs est plus que jamais nécessaire dans les territoires. Néanmoins, les sources de financement, la part de chacun des acteurs - État, SNCF, collectivités territoriales et Union européenne - dans cet effort collectif et la ventilation précise des dépenses restent floues.
Vos récentes annonces ont laissé planer le doute quant à votre volonté de reprendre à votre compte cette promesse du précédent gouvernement. Le 3 octobre dernier, vous avez déclaré souhaiter, pour les infrastructures les plus lourdes, une feuille de route qui « n'impacte pas le budget de l'État comme il l'a fait auparavant ». L'annonce du lancement prochain d'un plan national dédié au déploiement de cars express a accentué la crainte d'une renonciation à l'objectif d'investir 100 milliards d'euros dans les infrastructures ferroviaires. Pourtant, vous avez également indiqué que cette ambition resterait bien la feuille de route du Gouvernement.
Monsieur le ministre, allez-vous réellement acter l'engagement de consacrer 100 milliards d'euros d'investissements au transport ferroviaire dans les quinze prochaines années ? Si oui, quelles pistes envisagez-vous pour consolider le financement de ce plan et le mettre à l'abri des contraintes budgétaires qui pèsent aujourd'hui sur l'État ? Faudrait-il mettre davantage à contribution les modes polluants, selon vous ?
Dans le prolongement de cette question, le financement des infrastructures de transport repose à l'heure actuelle pour l'essentiel sur les fonds de concours de l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afit France), dont les ressources, comme vous le savez, sont marquées par une forte incertitude.
Le PLF pour 2025 ne remédie pas à cette situation, puisqu'il prévoit une baisse de 900 millions d'euros des ressources de l'Afit France en 2025 par rapport à 2024, notamment due à une nette baisse des recettes affectées au titre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Monsieur le ministre, quels seront les principaux postes de dépense et les modes de transport touchés par cette évolution ? Allez-vous revoir à la baisse le financement de certains grands projets d'infrastructures déjà en cours, comme celui du tunnel ferroviaire sur la ligne Lyon-Turin ?
Je souhaite également faire un point sur les récents contentieux rencontrés avec les sociétés concessionnaires d'autoroute (SCA) sur les recettes de l'Afit France. D'une part, les SCA refusent de s'acquitter depuis 2021 de la contribution volontaire exceptionnelle, ce qui représente un manque à gagner de l'ordre de 60 millions d'euros par an. En mars dernier, le juge administratif a rejeté la requête des SCA qui contestaient les titres de perception émis par l'Afit France : où en est-on de ce dossier et à quelle échéance les SCA régleront-elles les sommes réclamées ?
Par ailleurs, afin de sécuriser les ressources de l'Afit France, nous avons voté en loi de finances initiale pour 2024 l'instauration d'une taxe sur l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance. Pourriez-vous faire un point sur la première année de recouvrement de cette nouvelle taxe ? En particulier, j'aimerais savoir si les 600 millions d'euros de recettes prévus ont bien été perçus et si, outre les SCA et les grands aérodromes, d'autres gestionnaires d'infrastructures de transport, dans les secteurs ferroviaire, fluvial et maritime, ont été touchés.
Enfin, je souhaite aborder les critiques formulées par la Cour des comptes au sujet de l'Afit France depuis de nombreuses années, réitérées dans un rapport de décembre 2023.
La Cour fustige le caractère fluctuant et incertain des recettes de l'agence, à rebours de la prévisibilité nécessaire aux investissements en matière d'infrastructures de transport, et le manque de lisibilité de la politique d'investissement de l'État sur ce sujet. Surtout, elle critique le fait que l'Afit constitue un outil permettant chaque année au Gouvernement de s'affranchir du contrôle parlementaire pour plus de la moitié de ses dépenses relatives aux transports. Certes, le Parlement peut se prononcer sur les montants de fonds de concours attribués à chaque programme budgétaire, mais l'absence de visibilité sur le budget prévisionnel de l'Afit France au moment de l'examen du PLF ne facilite pas cet exercice. La Cour déplore également la pratique récurrente des reports de crédits d'une année sur l'autre, sur laquelle les parlementaires n'ont aucune prise.
Monsieur le ministre, il me semble que le contexte d'incertitude budgétaire que nous connaissons doit aussi conduire à une réflexion sur le contrôle exercé par le Parlement en matière d'investissement dans les infrastructures de transport. A minima, un renforcement des informations mises à disposition du Parlement sur ce sujet lors de l'examen du budget serait opportun.
Aussi, j'aimerais savoir comment vous appréhendez cette question. Quel regard portez-vous sur les recommandations de la Cour des comptes s'agissant de l'Afit France, notamment la proposition de compléter le projet annuel de performance de la mission « Écologie » d'un état des concours financiers de l'État en faveur de l'investissement dans les transports ? Cette proposition permettrait à tout le moins d'avoir une vision consolidée des financements prévus chaque année, qu'ils proviennent de crédits budgétaires, de fonds de concours de l'Afit ou encore d'autres fonds ou sources de financement.
Monsieur le ministre, je ne serai pas plus long et vous cède la parole pour répondre à ces questions liminaires. Je laisserai ensuite intervenir nos trois rapporteurs pour avis sur les crédits relatifs aux transports : Philippe Tabarot, sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes ; Olivier Jacquin, pour ceux relatifs au transport routier ; enfin, Stéphane Demilly, sur les crédits relatifs au transport aérien.
M. François Durovray, ministre délégué auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, chargé des transports. - Je vous remercie de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur les enjeux budgétaires de 2025, mais aussi sur les projets que je souhaite mener en priorité à la tête de ce ministère.
Je suis avant tout un élu local. Je suis d'ailleurs toujours à la tête d'un conseil départemental, institution d'échange et de compromis. Je crois savoir que votre commission a également cette culture du compromis sur les sujets essentiels qui sont de sa compétence, qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens. Cela nécessite d'avoir une vision de long terme qui dépasse bien souvent les mandats que nous ont confiés les électeurs.
Le secteur des transports est essentiel à plus d'un titre. Il représente une part importante du budget de nos concitoyens. Par ailleurs, il est au coeur de l'enjeu écologique, les mobilités constituant 32 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), un taux constant depuis plus de vingt ans : c'est à la fois un tiers des problèmes, mais aussi un tiers des solutions, sachant que nous arrivons à un moment où la technologie va permettre, je l'espère, de réduire l'empreinte carbone des mobilités.
Ensuite, il ne faut pas oublier que les mobilités rassemblent les femmes et les hommes et contribuent à une meilleure connaissance de l'autre et à la paix entre les peuples. Elles participent donc du mieux vivre ensemble.
J'ai beaucoup insisté depuis ma nomination sur l'enjeu que représentent les transports pour ceux qui n'en ont pas. Il s'agit de ma première priorité. Mes propos sur les cars express ont été parfois caricaturés. Je ne veux bien évidemment pas abandonner le train. Je considère que l'on doit développer tous les modes de transport, mais force est de constater qu'au cours des dernières années, dans notre pays, on a bien équipé les villes avec des tramways et des réseaux de transports publics qui sont efficaces et sur lesquels on doit évidemment continuer à progresser. On a par ailleurs relié les grandes villes françaises avec des réseaux de longue distance. En revanche, on ne s'est pas beaucoup occupé des transports entre les centres et leurs périphéries. Résultat : 15 millions de Français sont en précarité de mobilité. En outre, 10 millions d'entre eux effectuent chaque jour plus de 50 kilomètres pour aller travailler, pour un coût moyen de 500 euros par mois, sans solution alternative à la voiture.
Nous devons donc offrir des solutions de mobilité à ceux qui n'en ont pas, des solutions s'appuyant sur des techniques connues, de transport ferroviaire ou routier. Aujourd'hui, la route est pleine de voitures ! Il faut mettre plus de monde sur la route, mais dans moins de véhicules, qui pourraient en outre être motorisés différemment. Cela nous permettrait de traiter la question écologique, en réduisant fortement les émissions de GES grâce au covoiturage, aux bus ou aux trains, mais également la question du pouvoir d'achat, les collectivités développant des abonnements pris en charge pour moitié par les employeurs, ce qui peut permettre de diviser par dix le coût de la mobilité. C'est enfin une question de démocratie et d'égalité entre les citoyens.
Ma deuxième priorité, c'est la décarbonation des transports. À ce sujet, nous devons nous appuyer sur toutes les solutions existantes - plan vélo, place du piéton, électrification du parc de véhicules -, sans exclusive aucune. Les objectifs que nous assigne l'Union européenne d'ici à 2035 nous obligent à réfléchir rapidement à la question des poids lourds et des transports publics : il y a encore des interrogations sur leur électrification, et je n'ai pas d'opinion arrêtée sur ce sujet. Peut-être devons-nous remettre l'ouvrage sur le métier à cet égard.
J'étais récemment à Toulouse, où j'ai pu évoquer la décarbonation de l'aviation. Sachant que la France produit aujourd'hui plus de 50 % des avions dans le monde et que le secteur représente 3 % des émissions de GES au plan international, nous avons un rôle fondamental à jouer à l'avenir si nous parvenons à accompagner efficacement l'évolution de cette filière, à travers notamment le développement de l'électrique et, un jour, de l'hydrogène ainsi que des carburants aériens durables, notamment les carburants de synthèse.
Ma troisième priorité concerne les infrastructures existantes. Nous avons devant nous un énorme travail de régénération de l'ensemble des réseaux - routiers, ferroviaires, fluviaux, ou même aéronautiques. Le COI a établi un diagnostic très précis, même s'il a un peu laissé de côté la question de l'adaptation au changement climatique. Nous avons ainsi récemment assisté à des phénomènes climatiques extrêmes qui sont venus mettre nos infrastructures à rude épreuve, particulièrement dans les départements du Rhône et de la Loire. Ce sujet mériterait d'être mieux expertisé par le COI.
J'en viens au budget 2025. Les crédits de l'Afit France sont en baisse par rapport à 2024, mais en hausse par rapport à 2023. Ils nous permettront de réaliser l'an prochain la totalité des engagements de l'État, mais ils n'autoriseront pas d'ouvrir de nouveaux chantiers.
Nous avons la responsabilité de faire en sorte que 2026 ne ressemble pas à 2025. Aussi, je vous propose d'organiser, au début de l'année prochaine, une conférence nationale sur le financement des mobilités. Matignon m'a donné son accord pour l'organisation de cette conférence, qui doit aboutir à une feuille de route de nature à nous éviter les affres de l'annualité budgétaire qui sévit aujourd'hui, « yo-yo » particulièrement mortifère pour le financement des infrastructures : les acteurs du secteur ont besoin de visibilité et de lisibilité sur plusieurs années.
Manifestement, la trajectoire retenue requiert plus de financements, mais l'argent public se raréfie. Aussi, nous devons nous interroger sur les outils juridiques et financiers qui nous permettront de mobiliser davantage de crédits affectés pour faire face à ce mur d'investissements, sachant que la ressource de la TICPE va baisser à mesure de l'électrification du parc automobile, baisse estimée par l'État à 13 milliards d'euros à l'horizon 2030. C'est un risque pour le financement de nos infrastructures, pour le budget de l'État et pour celui des collectivités : rien ne serait pire que de fermer les yeux sur cette évolution prévisible. Toutefois, plusieurs solutions alternatives existent ; je veux en citer trois.
Il y a tout d'abord l'affectation à la mobilité des certificats d'économies d'énergie (C2E). Aujourd'hui les obligés sont, pour moitié, des acteurs liés à la mobilité, comme TotalEnergies ou Engie. Or la mobilité ne récupère que 6 % des C2E, parce qu'il est plus compliqué de réduire la consommation dans ce secteur que, par exemple, dans le bâtiment. Avec Catherine Vautrin et Agnès Pannier-Runacher, nous souhaitons explorer cette voie.
Ensuite, une partie des quotas carbone pourrait être affectée à la mobilité. L'Union des transports publics et ferroviaires (UTPF) et le Medef n'y sont pas hostiles.
Enfin, nous devrons être attentifs à la fin des concessions autoroutières, entre 2031 et 2036. L'Autorité de régulation des transports (ART), ainsi que le sénateur Hervé Maurey, qui a beaucoup travaillé sur cette question, préconisent de s'assurer que ces concessions seront rendues aux Français en bon état et de préparer l'avenir du réseau autoroutier. C'est une opportunité pour le financement de nos infrastructures, puisque nous pourrons flécher une partie des péages payés par les Français vers des objets de mobilité, routiers ou ferroviaires.
J'ai également l'intention de réunir la conférence sur le financement des Serm, initialement prévue au mois de juin dernier. J'espère que les débats budgétaires qui s'ouvrent permettront d'éclairer le sujet et que nous aurons l'occasion, lors de cette conférence de financement, de tracer une voie avec les collectivités pour lancer les 24 Serm d'ores et déjà labellisés, en fonction d'un calendrier qui ne sera évidemment pas le même pour tous.
Je souhaite également que voie le jour la stratégie nationale fluviale amorcée par mon prédécesseur. C'est un bel enjeu, puisque nous avons la chance d'avoir un réseau dense et sous-utilisé. La capacité des fleuves est trois à quatre fois supérieure à leur utilisation actuelle. Nous mettons en valeur l'axe Seine, structuré autour du port du Havre. J'espère que la stratégie nationale fluviale nous permettra d'enclencher une dynamique similaire pour l'axe Rhône-Saône, depuis Marseille jusqu'à Lyon. Il y a enfin l'axe Rhin, ou Est, depuis les ports étrangers jusqu'à Strasbourg - je souhaite m'emparer de ce sujet -, ainsi que l'axe Seine-Nord, cher à Franck Dhersin, qui doit faire l'objet de travaux, les crédits étant sécurisés dans le budget 2025.
Il ne vous a pas échappé que mon ministère est désormais rattaché à celui de la décentralisation et du partenariat avec les territoires. Le Premier ministre a ainsi voulu montrer que les infrastructures relient avant tout des territoires et des hommes, au-delà des enjeux écologiques, sociaux ou financiers.
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. - Monsieur le ministre, je voudrais avant tout apporter deux précisions. Tout d'abord, Hervé Maurey et la commission des finances ne sont pas seuls à avoir travaillé sur les concessions autoroutières : notre commission a également des propositions à vous faire. Ensuite, je me réjouis de l'organisation en février de cette conférence sur le financement des Serm, puisque son principe même résulte d'une initiative du Sénat.
Dans un contexte budgétaire dégradé, il est légitime que le Gouvernement cherche à réduire le déficit public. Nous abordons ce PLF, comme d'habitude, dans un esprit de responsabilité.
Le Gouvernement a entrepris de lever de nouvelles recettes, notamment la contribution exceptionnelle sur le bénéfice des grandes entreprises ; il serait bon de savoir si la SNCF sera affectée par cette contribution. Ce serait d'autant plus inquiétant que ses bénéfices sont actuellement fléchés vers un fonds de concours visant à financer le réseau ferroviaire, en se substituant au moins partiellement à l'État. N'oublions pas non plus la contribution demandée aux grandes entreprises du transport maritime. Je ne vous cache pas que nous sommes inquiets pour la SNCF, dont la situation n'est pas des plus florissantes. Le Gouvernement propose aussi, par amendement, d'augmenter le tarif de solidarité sur les billets d'avion, pour 1 milliard d'euros - mon collègue rapporteur Stéphane Demilly l'évoquera également. Le PLF prévoit en outre de réduire l'affectation de TICPE à l'Afit France d'environ 900 millions d'euros.
En clair, il y aura plus d'impôts sur les transports et moins de recettes fléchées vers leur financement ! L'esprit de responsabilité qui nous guide exige que je vous mette en garde : attention à ne pas trop charger la barque, sinon elle coulera, et les recettes avec. Nous ne pourrons de toute façon pas nous permettre une nouvelle année blanche en 2026.
L'ART m'a indiqué qu'il manquait environ 700 millions d'euros cette année pour régénérer et moderniser le réseau ferroviaire. Réduire les dépenses d'investissement, en diminuant les moyens de l'Afit France et de SNCF Réseau, est un raisonnement à courte vue, qui mènera à une paupérisation du réseau et à une chute des recettes fiscales que les circulations ferroviaires engendrent.
Nos collectivités territoriales, que vous connaissez bien, sont soumises à une règle d'or budgétaire : elles ne peuvent emprunter que pour financer des dépenses d'investissement, et non des dépenses de fonctionnement. Il me paraît discutable que l'État choisisse le chemin inverse : financer son train de vie en réduisant ses investissements pour la décarbonation des mobilités.
Pour éviter cet écueil, ne pourriez-vous pas, monsieur le ministre, flécher davantage les contributions fiscales assises sur les transports vers le financement du report modal ? Ne serait-il pas pertinent d'affecter certaines recettes à l'Afit France, notamment une part des produits de la TICPE et du tarif de solidarité sur les billets d'avion ? Il me semble que c'est une question de justice.
Par ailleurs, les collectivités territoriales, auxquelles vous demandez de nombreux efforts, doivent financer les Serm. On leur demande souvent beaucoup, mais tout de même, les élus locaux ne sont pas des magiciens. Il me paraît nécessaire de leur permettre d'augmenter le plafond du versement mobilité (VM) et de débloquer des possibilités de VM additionnel si ces recettes sont fléchées vers les Serm. Le Gouvernement donnera-t-il un avis favorable à d'éventuels amendements allant dans ce sens ?
J'en arrive aux transports fluviaux et aux ports, sur lesquels j'aurai quelques questions à vous poser.
Tout d'abord, pourriez-vous nous dire un mot de la stratégie nationale fluviale en cours d'élaboration ? Quels en seront les principaux axes ? Prévoyez-vous des évolutions pour inciter davantage les chargeurs à recourir au mode fluvial, notamment à travers l'« aide à la pince » ? Il était question que ce dispositif, qui bénéficie au transport multimodal, soit maintenu à hauteur de 47 millions d'euros par an jusqu'en 2030 : le projet annuel de performance annexé au PLF pour 2025 ne comporte cependant pas d'information précise quant à son maintien ou non. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Ensuite, l'actualisation du contrat d'objectifs et de performance de Voies navigables de France (VNF), voilà un peu moins d'un an, a conduit à définir une ambitieuse trajectoire d'investissements dans le réseau pour la période 2023-2032, établie à plus de 4 milliards d'euros. La diminution des ressources de l'Afit France, proposée dans ce PLF, aura-t-elle une incidence sur cette trajectoire ?
Concernant les ports maritimes, de grands armateurs ont récemment décidé de ne plus desservir ceux du Havre et de Marseille-Fos avec leurs porte-conteneurs géants à partir de février 2025 : quelles conclusions faut-il en tirer pour l'attractivité des grands ports maritimes français ? La stratégie nationale portuaire, publiée en 2021, avait fixé d'ambitieux objectifs de hausse de parts de marché de nos grands ports maritimes pour le fret : où en est-on de cet objectif et ne faudrait-il pas, trois ans après, dresser un premier bilan de cette stratégie ?
M. François Durovray, ministre délégué. - D'emblée, je précise que j'ai bien eu connaissance des excellents travaux menés par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les concessions autoroutières. En ce qui concerne les conférences de que j'ai évoquées, je confirme qu'il y en aura deux : la conférence de financement sur les Serm, prévue à l'initiative du Sénat dans la loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, et une conférence plus large sur le financement des mobilités et des infrastructures.
Dans le cadre du PLF pour 2025, et dans des conditions encore à déterminer, la question du VM sera sans doute posée par les assemblées et regardée avec intérêt par le Gouvernement. Nous savons que les régions doivent faire face à des enjeux financiers lourds, qui concernent d'abord le financement de l'offre ferroviaire qu'elles assurent. Pour ce qui est des Serm, l'État s'est engagé à hauteur de 700 millions d'euros. L'engagement des collectivités et le véhicule le plus adapté devront être abordés lors de la conférence de financement. Des discussions se tiennent aujourd'hui avec Régions de France sur le sujet. Il faudra voir de quelle façon ce débat peut prospérer dans le cadre du PLF.
Sur l'évolution du VM pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), je me permets de resituer ce débat dans le cadre d'un bilan plus large de la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui reste à faire. La LOM avait déterminé des autorités organisatrices de premier rang, communautés de communes ou communautés d'agglomération ; à défaut, les régions pouvaient prendre la compétence. Cinq ans après, on constate une prise en main assez différenciée de cette compétence d'un territoire à l'autre, avec notamment de grandes disparités entre le sud et le nord de la Loire.
J'ai le sentiment que les communautés de communes ou d'agglomération qui se sont saisies de cette compétence n'ont pas la capacité, financière ou d'ingénierie, de proposer une offre à la hauteur des aspirations de nos concitoyens. Je souhaite donc que l'on travaille à une évolution du VM qui prenne en compte une association des territoires. Des modèles juridiques permettent d'associer les métropoles avec les agglomérations périphériques, les régions avec les métropoles et les agglomérations. Des syndicats mixtes ont commencé à se développer à Bordeaux, en Bretagne ou à Strasbourg, et je sens un intérêt grandissant de nombreux territoires. L'avantage est de pouvoir lever un VM additionnel ; le Gouvernement étudie la possibilité pour le syndicat de percevoir ce VM additionnel sur l'ensemble de son périmètre, alors que ce n'est possible actuellement que dans les communes de moins de 100 000 habitants. J'espère que le Sénat se saisira de cette question.
Vous m'interrogez sur la SNCF. Mes services m'ont indiqué que, vraisemblablement, l'entreprise publique ferroviaire ne serait pas concernée par le prélèvement sur les sociétés dont le chiffre d'affaires est supérieur à un milliard d'euros, au motif que la SNCF a des déficits fiscaux importants. Je vous invite néanmoins à être vigilants lors des débats du PLF, car il pourrait y avoir des incidences sur son contrat de performance.
J'en profite pour répondre à une question du président Longeot sur la taxe sur l'exploitation d'infrastructures de longue distance. La loi de finances initiale pour 2024 avait fixé un rendement de 600 millions d'euros et l'on s'attend à récolter finalement 575 millions d'euros, 125 millions versés par Aéroports de Paris, et le reste par les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Ce montant estimatif est donc très proche des prévisions.
Je termine sur les enjeux de stratégie fluviale et de financement de VNF. Les crédits inscrits aujourd'hui pour l'Afit France permettent d'assurer le programme de cet organisme. Néanmoins, les besoins sont supérieurs et j'attends que la conférence de financement aborde cette question. Le président par intérim de VNF souhaite d'ailleurs une révision du contrat d'objectifs et de performance (COP), signé avec l'État.
Je suis pour ma part ouvert à cette révision, compte tenu des enjeux. La stratégie nationale fluviale, qui sera dévoilée au début de l'année prochaine, permettra, je l'espère, de traiter à la fois la régénération et la maintenance d'un réseau qui, je le répète, est très dense. Vous n'êtes pas sans savoir que VNF est engagé dans un programme ambitieux de modernisation de ses écluses, de nature à optimiser la gestion et à améliorer la qualité du service dû aux usagers. La gestion du réseau fluvial recouvre également des enjeux de préservation de la biodiversité. Les fleuves relient aussi les territoires et les hommes, ce qui justifie une association des collectivités territoriales via une contractualisation avec VNF.
Il y a enfin le défi du transport de marchandises. J'ai observé comme vous le positionnement de certains armateurs, qui regardent plus vers le nord que vers l'Hexagone. C'est évidemment une source de préoccupation pour le ministre que je suis, alors même que nous disposons d'une situation géographique exceptionnelle et qu'à mes yeux, le port du Havre devrait être le port de Prague. Il ne faut pas que les marchandises venant de toutes les parties du monde arrivent dans les ports d'Anvers ou de Rotterdam, pour ensuite essaimer dans toute l'Europe par la route ou, mieux, par le fer. À partir de Marseille et du Havre, nous pourrions irriguer tout le continent en connectant mieux les ports au fer.
Nous constatons une orientation plutôt positive sur les flux de marchandises, mais la dynamique de croissance observée à l'étranger est encore plus forte. Plutôt que de rattraper notre retard, nous le creusons. La stratégie nationale fluviale doit mettre un coup d'arrêt à cette tendance.
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports routiers. - Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur cinq points relatifs au volet du PLF pour 2025 consacré aux transports routiers et, plus généralement, à votre feuille de route sur cette thématique.
Mes premières questions portent sur le plan national de cars express que vous avez annoncé pour le premier semestre 2025. Lors de votre audition à l'Assemblée nationale la semaine dernière, vous avez rappelé que la route demeurerait, de loin - même en doublant la part modale du ferroviaire -, le mode de transport majoritaire ; le développement de services de cars express constitue donc un levier intéressant pour massifier le trafic routier et en réduire le coût environnemental.
Le déploiement de lignes de cars express, le plus souvent via des voies dédiées, devra s'accompagner d'une réflexion approfondie sur la conciliation des usages et le partage de la route, en intégrant la montée en puissance des mobilités douces. Surtout, il importe de réfléchir à l'articulation de ces services de cars express avec l'offre de transport ferroviaire et les réseaux cyclables à haut niveau de service, afin d'éviter toute concurrence néfaste avec ces modes de transport plus durables. Comment envisagez-vous cette articulation et le champ de pertinence de l'offre de cars express ?
À compter du 1er janvier 2025, la totalité des autobus et autocars renouvelés par les collectivités territoriales dotées d'une flotte de plus de vingt véhicules devra être à faible émission. Comment allez-vous accompagner les AOM qui souhaiteront mettre en place des lignes de cars express dans l'acquisition de matériels peu polluants ? L'idée d'un prêt à taux zéro vous semble-t-elle pertinente ?
Ma deuxième interrogation concerne les aides à l'acquisition de véhicules propres, dont les crédits baissent de plus de 500 millions d'euros dans le PLF 2025 par rapport à 2024 ; le Gouvernement vient d'annoncer que cette diminution serait portée à 700 millions d'euros par amendement. Ne craignez-vous pas d'envoyer un très mauvais signal au secteur et de donner un coup de frein à la transition vers l'électrique ?
Le Gouvernement souhaite cibler davantage les ménages modestes : allez-vous revoir les paramètres du leasing social afin de toucher les ménages les plus précaires et les plus dépendants de la voiture, notamment en zone rurale ?
Le développement du marché de l'occasion faciliterait l'accès de nombreux Français aux véhicules électriques. Or l'électrification des flottes d'entreprises, levier significatif pour alimenter ce marché, peine encore à se déployer. En outre, depuis cette année, les personnes morales ne peuvent plus bénéficier du bonus écologique pour acquérir un véhicule électrique. Là encore, n'y a-t-il pas un problème de cohérence et de temporalité ? Envisagez-vous des évolutions ?
Sur un tout autre sujet : le véhicule intermédiaire a-t-il un avenir selon vous ?
Le Gouvernement s'était engagé à mobiliser 250 millions d'euros chaque année dans le cadre du plan vélo et marche 2023-2027, avec l'objectif de disposer de 100 000 kilomètres d'aménagements cyclables sécurisés d'ici à 2030. Pourtant, en 2024, le fonds mobilités actives, qui soutient les collectivités territoriales dans leurs projets de création d'itinéraires cyclables, a été gelé : alors que les lauréats du septième appel à projets « aménagements cyclables » auraient dû être annoncés au printemps dernier, les collectivités territoriales, qui sont plus de 400 à avoir candidaté, sont sans réponse de l'État. L'avenir n'est guère plus rassurant, puisque, si j'en crois les annexes du PLF, aucune autorisation d'engagement n'est prévue pour le plan vélo en 2025. Faut-il y voir une volonté du Gouvernement d'éteindre progressivement le plan vélo ?
Cela serait d'autant plus étonnant que vous avez annoncé le lancement d'une mission sur la lutte contre les violences routières à la suite du dramatique accident qui a coûté la vie à un jeune cycliste il y a quinze jours : si on ne peut que saluer cette initiative, comment pourrions-nous protéger plus efficacement les cyclistes tout en mettant un coup d'arrêt à la réalisation d'aménagements cyclables par les collectivités ?
Mon troisième point concerne le financement des services de transport par les AOM situées en espace peu dense. La loi conditionne la possibilité de lever le VM pour les AOM locales au fait d'organiser des services réguliers de transport public de personnes. En pratique, de nombreuses AOM de petite taille ne disposent pas de bases fiscales suffisantes pour lever le VM, quand bien même elles rempliraient les critères pour le faire.
Monsieur le ministre, je m'adresse au président de département que vous êtes, qui plus est d'un département comportant de nombreuses communes rurales : êtes-vous prêt à avancer sur la question du VM en zone peu dense, par exemple en élargissant la définition du « transport régulier de personnes » aux lignes de covoiturage ou de transport à la demande ? Ne faudrait-il pas évaluer précisément le nombre d'AOM ne disposant pas de bases fiscales suffisantes pour lever le VM et prévoir pour elles une ressource dédiée leur permettant de mettre en place des services de mobilité ?
Mon quatrième point concerne l'écotaxe sur les poids lourds, mise en place par une ordonnance de 2023, en application de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Depuis le 1er janvier 2024, les régions susceptibles de subir un report significatif de trafic de poids lourds du fait de l'instauration d'une écocontribution sur un territoire limitrophe peuvent mettre en place une écotaxe sur les poids lourds. Néanmoins, à ce stade, seule ma région, Grand Est, a manifesté son souhait de recourir à cet outil, sur les portions de réseau routier national qui vont être mises à sa disposition en application de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS.
Monsieur le ministre, vous avez souligné ces dernières semaines la nécessité de dégager de nouvelles recettes pérennes pour financer les infrastructures de transport. Quel regard portez-vous sur l'idée d'ouvrir à l'ensemble des régions volontaires la possibilité de mettre en place une écotaxe sur les poids lourds ?
Mon cinquième point a trait à la préparation de la fin des concessions autoroutières, qui s'étalera de 2031 à 2036 principalement. Où en sont les travaux sur la définition du bon état des biens restitués ? Allez-vous enfin lancer les assises des autoroutes, promises depuis plusieurs années par le Gouvernement, pour réfléchir collectivement à l'avenir du modèle concessif et à ses futurs paramètres ?
Hervé Maurey vient de rappeler dans un récent rapport d'information sur l'avenir des concessions autoroutières certaines conclusions de la commission d'enquête sénatoriale de 2020. Avez-vous identifié des recommandations dont vous pourriez vous inspirer ?
Enfin, le président Longeot vous a interrogé sur le contentieux en cours avec les concessionnaires et les fameux 60 millions d'euros annuels qu'ils refusent de payer. Où en sommes-nous ?
M. François Durovray, ministre délégué. - J'ai déjà répondu sur certains points dans mon propos liminaire.
Les cars express visent à réduire le nombre d'usagers de la voiture et non du train. Il s'agit d'une offre de mobilité à développer là où le ferroviaire n'est pas adapté. Le Mass Transit n'est plus le même qu'il y a quelques années. Certaines offres ferroviaires, comme la Draisy, permettent une desserte fine du territoire et de mettre du train là où l'on ne pensait plus en mettre. Mais le car est aussi une solution de mobilité rapide, peu coûteuse et écologique.
Il n'appartient pas au ministre de déterminer les lignes. Dans mon rapport à la présidente d'Île-de-France Mobilités (IDFM), j'ai considéré que la mise en place de cars express était intéressante à partir de 400 trajets quotidiens et que les voies réservées étaient nécessaires sur 10 % des parcours : on peut donc créer les lignes avant d'aménager les voies et de construire les gares routières.
En revanche, il appartient au ministre de mettre en place le cadre juridique et économique adapté. Les deux volets du VM permettent aux collectivités d'amorcer la pompe. À mon sens, un rehaussement du VM devrait servir à financer de l'offre supplémentaire et non la gratuité, et permettre de travailler sur la problématique des déplacements domicile-travail, qui n'est pas suffisamment traitée sur certains territoires. En outre, le VM étant un impôt de production payé par les entreprises, un dialogue est nécessaire pour prendre en compte les demandes des acteurs économiques locaux.
Pour soutenir l'acquisition de véhicules peu polluants, trois dispositifs existent : le bonus-malus, la prime à la conversion et le leasing social. Ce dernier a rencontré un grand succès l'an dernier, mais présente quelques effets de bord qu'il convient de limiter pour conserver sa vocation sociale. Je travaille donc avec mes collègues Agnès Pannier-Runacher et Olga Givernet pour reformater le dispositif en 2025. Les crédits budgétaires sont en baisse, mais nous allons mobiliser les certificats d'économies d'énergie. Je considère qu'il faudra tenir compte du type de véhicule concerné - notamment de son poids - et des avancées technologiques des constructeurs automobiles. Par ailleurs, l'État n'a pas vocation à subventionner les foyers qui ont les moyens de financer leur passage à l'électrique.
Je serai attentif à quatre sujets : tout d'abord à l'électrification des flottes automobiles, car les entreprises achètent moins de véhicules électriques que les particuliers et leurs flottes constitueront le marché de l'occasion de demain.
Ensuite, les dispositifs d'aide doivent aussi concerner le marché de l'occasion, car 85 % des Français achètent d'occasion.
Le sujet du rétrofit, solution adaptée pour les véhicules utilitaires - mais pas seulement - mérite également d'être consolidé.
Enfin, la prime à la conversion pourrait changer de nom et cibler les personnes qui résident en dehors des zones à faibles émissions (ZFE), mais doivent s'y rendre pour leur travail.
Depuis le 21 septembre, le Gouvernement travaille à la modification de certains éléments des lettres plafonds, dans des délais extrêmement courts. Alors que le VM n'est affecté qu'à des transports réguliers, j'ai proposé qu'on s'appuie sur les syndicats mixtes de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dits syndicats SRU, ce qui répondrait à votre préoccupation et permettrait, dès lors qu'il existe un service régulier, de créer aussi des services non réguliers - c'est en cours d'expertise. Je ne sais pas si nous serons en mesure de traiter ce sujet dans le PLF pour 2025, mais je suis très attentif à cette question : bien entendu, on ne va pas mettre des bus à haut niveau de service en milieu rural, il faut y trouver d'autres solutions de mobilité, notamment à travers le covoiturage.
La Collectivité européenne d'Alsace (CEA) a voté à l'unanimité le principe d'une écotaxe et, en tant que ministre, je suis en appui pour que cela se passe le mieux possible, notamment pour voir comment en exonérer certains acteurs économiques. D'autres collectivités sont intéressées par ce dispositif qui permet de faire contribuer les usagers, d'éviter les phénomènes de déport et de générer des recettes, mais qui pose aussi quelques difficultés que je ne méconnais pas, notamment pour les transporteurs routiers.
Je souhaite que le nouveau modèle des concessions autoroutières soit « encapsulé » dans la conférence nationale sur les mobilités, car c'est une des modalités de financement des mobilités de demain. C'est un sujet très populaire, mais potentiellement inflammable. Nous devons être capables de poser collectivement le bon diagnostic. Des discussions doivent s'engager avec les entreprises concernées, que je recevrai dans dix jours. Le contrat avec Sanef arrivera à échéance en 2031 ; l'État doit d'ici au 31 décembre 2024 indiquer à cette société la liste des travaux à conduire pour assurer le « bon état » des biens à restituer ; mais je ne suis pas prisonnier de cette date. Le plus important est d'établir une doctrine, avec sérieux, car les règles que nous définirons pour la fin de la première concession s'appliqueront aux concessions suivantes. Nous devons nous appuyer sur les travaux du Parlement et de l'ART, ainsi que sur l'expertise de l'administration.
S'agissant du contentieux sur la CVE, sachez que les 180 millions d'euros dus par les SCA au titre des années 2021, 2022 et 2023 ont été payés.
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis. - Pour des contentieux qu'ils ont perdus !
M. François Durovray, ministre délégué. - L'État ne se désengagera pas totalement du plan vélo : il reste quelque 300 millions d'euros dans les contrats de plan État-région (CPER) pour développer des infrastructures. Je suis ouvert à des discussions, mais dans un cadre budgétaire contraint, qui nous invite tous à la responsabilité. J'ai entendu des élus locaux indiquer que, bien évidemment, il s'agit d'une manne bienvenue pour les collectivités, mais que l'État est surtout attendu sur la lutte contre la violence routière, la communication et les sanctions. C'est pourquoi, à la suite du décès de Paul Varry, j'ai lancé une mission pour avoir un nouveau regard sur les différents usages de la route.
M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports aériens. - Monsieur le ministre, recevez tous mes voeux de succès dans vos nouvelles fonctions.
Prenons un peu de hauteur, si je puis dire : le transport aérien est à la croisée des chemins. Le trafic a connu un redémarrage d'ampleur après la crise sanitaire, mais nous ne sommes pas revenus à la situation antérieure. Il y a moins de vols intérieurs : ils plafonnent sous les 80 % de leur niveau de 2019, tandis que les vols internationaux poursuivent leur essor.
Le secteur connaît de multiples transformations : tout d'abord, la modernisation du contrôle aérien français, avec la signature d'un nouveau protocole social au sein de la direction générale de l'aviation civile (DGAC), qui devrait avoir un coût, supporté par le secteur, d'environ 100 millions d'euros par an.
Ensuite, l'intensification de la charge fiscale. Après un effort de 150 millions d'euros l'an dernier, via la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance, un amendement du Gouvernement alourdit de 1 milliard d'euros la TSBA.
L'effort de décarbonation, enfin, avec notamment l'adoption du règlement européen ReFuel EU Aviation.
Sur le contrôle aérien, Vincent Capo-Canellas estime à 100 millions d'euros le coût annuel de l'accord entre les principaux syndicats des contrôleurs aériens et l'administration. En échange d'augmentations salariales, les contrôleurs aériens ont accepté le plan de modernisation réduisant le nombre de centres de contrôle au cours de la prochaine décennie. Confirmez-vous ce montant ? Pouvez-vous revenir sur le contexte particulièrement conflictuel, marqué par de nombreuses grèves, ayant mené à la signature de cet accord ?
La DGAC reconnaît elle-même que le contrôle aérien français est la lanterne rouge des grands pays d'Europe et engendre de nombreux retards, coûteux pour les compagnies aériennes. Prenez-vous l'engagement d'améliorer la situation ? Ce protocole social mettra-t-il fin à cette situation inacceptable ?
La décarbonation du secteur nécessite de très importants investissements. Or le contexte budgétaire est pour le moins contraint : tous les acteurs économiques doivent prendre leur part dans le redressement des finances publiques. Une hausse du tarif de solidarité serait une des moins mauvaises solutions, en se fondant sur la destination finale du passager et en limitant ainsi les effets de distorsion de concurrence au profit de vols avec des escales hors de France.
Mais l'ampleur de cette hausse massive, d'environ 1 milliard d'euros, m'inquiète beaucoup. Vous connaissez peut-être la métaphore du colibri qui transporte une goutte d'eau dans son bec pour éteindre un incendie, démontrant ainsi que l'effort collectif n'est finalement que la conjugaison des efforts individuels. Mais dans le cas présent, notre colibri se transforme en véritable Canadair... Je connais la tentation budgétaire de certains mouvements - même de certains lobbies - qui voient dans l'aérien une poule aux oeufs d'or ; mais comme dans la fable, attention de ne pas tuer la poule ! Le secteur doit en effet mener un coûteux effort de décarbonation : ne pensez-vous pas qu'un tel effort fiscal - 1 milliard d'euros -, combiné à la hausse du coût du contrôle aérien, pourrait briser les ailes de notre économie aéronautique ?
Le secteur aérien risque d'être victime d'une forme d'effet de ciseaux, hausse des taxes et baisse des crédits consacrés à sa décarbonation. Quels montants seront consacrés dans ce PLF au soutien à la recherche aéronautique civile ? Ces moyens sont-ils conformes à la promesse présidentielle d'un soutien de l'État à hauteur de 300 millions d'euros par an ?
Dans son rapport d'information sur la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique adopté par notre commission l'année dernière, le rapporteur Didier Mandelli a mis en lumière l'insuffisance de la réponse publique aux nuisances sonores aériennes. En début d'année, le plafond de prise en charge des travaux d'insonorisation des logements situés à proximité des aéroports a été relevé de 25 %. Auparavant, il était si faible que les riverains ne pouvaient pas financer leurs travaux : si l'on voulait fragiliser l'acceptabilité sociale de l'aviation, on n'aurait pas pu mieux s'y prendre... Quel bilan peut-on tirer de cette hausse ? Est-elle suffisante ?
Pour conclure, je tiens à vous faire part d'une inquiétante rumeur : le précédent gouvernement aurait acté en début d'année le principe du non-renouvellement des crédits destinés à soutenir les lignes d'aménagement du territoire (LAT) en métropole à compter du PLF pour 2026, aucun appel d'offres n'étant renouvelé cette année. Ces lignes sont pourtant essentielles pour desservir certains territoires enclavés et isolés. Confirmez-vous cette information ou n'est-ce qu'une rumeur infondée ? Le Gouvernement entend-il revenir, le cas échéant, sur cette décision incompréhensible et néfaste pour l'équité territoriale ?
Le projet de barreau Roissy-Picardie est une nouvelle ligne ferroviaire de 6,5 kilomètres qui doit relier la ligne à grande vitesse de Roissy à la ligne classique Paris-Creil-Amiens. Mais le coût du projet a fortement augmenté et l'Union européenne a annoncé le 22 juin 2023 qu'elle ne le financerait pas. C'est un énième bâton dans les roues de ce projet vital pour la Picardie, qui devait initialement voir le jour fin 2025. Les collectivités se trouvent démunies face à un projet dont le coût est passé de 350 millions d'euros en 2017 à 570 millions aujourd'hui. Quelles mesures vont être prises pour mieux soutenir ce grand projet économique et écologique qui permettra à des milliers de voyageurs de se déplacer plus vite, plus propre et moins cher ?
M. François Durovray, ministre délégué. - À ma connaissance - je viens passer en revue de projets avec mes services -, tous les engagements de l'État sont tenus sur le Roissy-Picardie : les 360 millions d'euros de l'État sont bien prévus. Soyez rassuré.
M. Franck Dhersin. - L'Europe a fortement baissé sa dotation, d'où l'effort supplémentaire demandé aux collectivités et à l'État. Si l'État ne contribue pas plus, le projet ne verra pas le jour.
M. François Durovray, ministre délégué. - Sauf erreur de ma part - je vous apporterai des précisions par écrit si je me trompe -, à l'issue du comité de pilotage du 14 mars dernier, l'État a revu sa participation à hauteur de 360 millions d'euros, ce qui représente 67 % du coût du projet. L'État fait donc face au désengagement de l'Union européenne sur ce projet.
Monsieur Demilly, l'État n'a aucune intention de diminuer sa participation au financement des LAT, qui ont toutes été renouvelées - Paris-Brive il y a quelques semaines. Cependant, l'équilibre financier des LAT est compliqué, tant pour l'État que pour les collectivités, en raison d'une diminution du trafic domestique. Les collectivités ont donc du mal à maintenir les liaisons, le modèle est réinterrogé et participe à la transformation du secteur aérien.
La somme que vous mentionnez sur le contrôle aérien est exacte. Je ne peux pas vous garantir qu'il n'y aura pas de conflit social dans le contrôle aérien, mais dès ma prise de fonctions, j'ai rencontré tous les syndicats, qui sont au courant de la très prochaine mise en oeuvre de la réforme. Un protocole d'accord a été signé avec certaines organisations. Des points d'attention demeurent, comme le contrôle biométrique à l'arrivée du contrôleur aérien à son poste, conformément aux préconisations du bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) à la suite de l'incident survenu le 31 décembre 2022 à Bordeaux.
Nous avons un enjeu partagé d'amélioration de la performance. Je n'accepte pas le terme de lanterne rouge : le contrôle aérien français a perdu en performance, mais il doit retrouver sa place. Pour cela, il faut mener à bien la réforme en resserrant le nombre de postes territoriaux, dans le cadre du dialogue avec les territoires que mène la DGAC, avec des mesures concernant le personnel - dont des avancées sociales - et un investissement important de l'État sur la technologie.
La réforme du tarif de solidarité sur les billets d'avion figurait dans la lettre plafond que j'ai trouvée en arrivant au ministère. Le Gouvernement propose toutefois aujourd'hui, par amendement, des règles du jeu différentes. L'objectif de rendement reste le même - un milliard d'euros -, mais nous avons écarté de soumettre à la TVA le kérosène sur les vols intérieurs et avons prévu un nouveau dispositif de modulation de la taxe selon les types de vol : en augmentant la taxe sur les vols intérieurs et continentaux, ce qui touchera plus les compagnies à bas coûts, en veillant à ce que les moyens courriers comprennent tout le Moyen-Orient, notamment le Qatar, et en réduisant la taxe sur les longs courriers afin de préserver le modèle économique de notre compagnie nationale. J'ai conscience que cela intervient dans un moment de transformation des compagnies aériennes et que nous devons être particulièrement vigilants.
Nous devons également décider du bon niveau de la taxe payée par les compagnies d'affaires. S'agissant d'un mécanisme déclaratif, nous pouvons probablement conserver le même objectif de rendement en diminuant le montant de la taxe, tout en en améliorant la collecte.
Nous travaillons également à une modulation de la taxation en fonction de l'effort de décarbonation des compagnies - n'oublions pas que les carburants durables ont un coût plus élevé -, mais nous ne serons peut-être pas prêts pour le PLF 2025.
M. Demilly m'a soumis au supplice chinois... L'effort de décarbonation des compagnies aériennes, indispensable pour que l'aéronautique française reste au premier plan, est majeur, mais l'engagement de l'État a été révisé à la baisse à deux reprises : 450 millions d'euros, puis 300, puis 230. Je continue à porter ce sujet. Le monde aéronautique peut comprendre que l'État est dans une situation budgétaire compliquée et que chacun doit contribuer à l'effort. Je participerai demain à une réunion avec le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) pour définir une trajectoire. L'État doit continuer à accompagner les compagnies aériennes dans cet effort de transformation et à donner de la visibilité à ce secteur.
Sur l'insonorisation des logements autour des aéroports, le plafond a été rehaussé de 25 % en début d'année : c'est un vrai progrès. Les recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) avaient considérablement baissé avec la crise du covid, elles sont reparties à la hausse. Je n'ai pas encore de bilan, mais dès que possible, peut-être au début de l'année 2025, nous présenterons un état partagé à votre commission.
M. Bruno Rojouan. - Vous allez entamer le « tour de France », avec les questions relatives à des problématiques locales.
Sénateur de l'Allier, j'attire votre attention sur la nécessaire amélioration de la desserte ferroviaire de Montluçon depuis et vers Paris. Le 7 octobre, des travaux de modernisation et d'amélioration ont été inaugurés - la ligne était très endommagée et la vitesse limitée. Mais, pour aller de Montluçon à Paris, la correspondance est obligatoire à Bourges ou à Vierzon : Montluçon est enclavé ! C'est un handicap considérable pour le bassin montluçonnais, notamment pour la mine de lithium qui ouvre à proximité.
Une liaison directe Montluçon-Paris est un besoin vital pour le territoire. A minima, il faudrait un train direct le matin et un le soir. Allez-vous prendre l'attache du maire de Montluçon et des deux conseils régionaux concernés pour avancer ?
Mme Nicole Bonnefoy. - La route est pleine de voitures, dites-vous, mais elle est aussi pleine de camions ! Voilà cinq ans que j'interviens régulièrement pour dénoncer les poids lourds qui traversent nos départements en empruntant les routes nationales gratuites. Chez moi, en Charente, chaque jour, 15 000 camions empruntent la route nationale pour économiser 50 euros de péage sur l'A10, avec de multiples externalités négatives : pollution, accidents, déchets, travaux, etc. Avec Rémy Pointereau, j'ai rédigé un rapport d'information sur le transport de marchandises face à aux impératifs environnementaux en 2021 et nous avons déposé une proposition de loi pour identifier les itinéraires de fuite et expérimenter des interdictions dans certaines zones. Je vous ai écrit à ce sujet en septembre.
En tant que président de département, vous avez limité la vitesse sur la RN 20 à 70 km/heure, afin de dissuader les camions d'emprunter cette route nationale. Cela fonctionne-t-il ? Si oui, pourquoi ne pas faire de même ailleurs ? Le Rassemblement national est en train de s'emparer de ces sujets : il faut apporter des réponses.
Je vous ai également écrit au sujet de la RN 141, en Charente, sur laquelle passent plus de 20 000 véhicules par jour et qui est inscrite au CPER. Voilà vingt ans que nous attendons sa mise à deux fois deux voies - elle se ferait sur 19 kilomètres, mais 1,5 kilomètre ne serait pas réalisé, créant un goulot d'étranglement. Cela n'est pas acceptable.
M. Jacques Fernique. - Les transports pour ceux qui n'en ont pas et la résorption de la précarité en matière de mobilité sont au coeur de votre ambition. Ma première question, que je vous adresse également dans une tribune parue ce jour dans Libération, avec les acteurs de la mobilité solidaire, porte sur la prime à la conversion : elle pourrait disparaître, comme vous l'avez souligné. Or, en supprimant la prime à la conversion, nous ferions aussi disparaître l'opportunité du réemploi de certains véhicules destinés à la casse via ce dispositif, avant même que les dispositions de la loi du 5 avril 2024 visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires, dont j'ai été rapporteur, soient mises en oeuvre au profit des garages solidaires, donc des personnes les plus précaires. Nous attendons en effet toujours le décret d'application de cette loi...
Le bénéfice environnemental de cette prime est avéré, ainsi que son bénéfice social, notamment dans les ZFE. Avec la possibilité ouverte par la loi sur le réemploi des véhicules, la prime à la conversion permettrait également un vrai bénéfice en termes de solidarité. Maintenez la prime à la conversion et publiez ce décret !
Assiste-t-on à l'abandon des engagements du plan vélo 2023-2027 ? Les 2 milliards d'euros prévus vont-ils se dégonfler ? En réduisant les crédits de paiement de 33 millions d'euros, vous ne prévoyez plus que 100 millions d'euros pour 2025, soit ce que la ville de Strasbourg consacre à son propre plan vélo... Quelque 400 dossiers de collectivités sont gelés. Les 27 lauréats de l'appel à projets de 2023 seront-ils les premiers et les derniers ? Hier, Bercy nous rétorquait que les millions qui manquaient pour les trains de nuit étaient allés au plan vélo... Finalement, c'est perdu pour tout le monde ! Oui, il y a les CPER, mais un tiens vaut mieux que deux tu l'auras !
M. Damien Michallet. - En janvier 2020, l'État et la région Auvergne-Rhône-Alpes ont conclu un accord crucial permettant de débloquer la demande de subvention européenne pour financer les études du tracé français du Lyon-Turin. Le dossier de financement a été soumis dans les délais. Laurent Wauquiez, alors président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et pleinement investi sur ce projet, l'avait souligné : nous sommes passés près de la catastrophe !
En mai dernier, le Premier ministre Gabriel Attal s'est rendu en Maurienne pour suivre les travaux du tunnel de base. L'annonce du lancement, au début de l'année 2025, des études d'avant-projet détaillé de la section française ouvre une nouvelle séquence : les élus locaux prennent conscience de la réalité du projet. Il ne s'agit plus d'être pour ou contre, mais de savoir comment nous allons accompagner les trois départements, les 50 communes et la dizaine d'intercommunalités traversées : accès, abords, ponts, voiries, expropriations, gestion de l'eau, nuisances du chantier, impacts environnementaux, mesures de compensation, etc.
Et quid du ZAN, l'objectif « zéro artificialisation nette » ? Les capacités à bâtir des communes traversées seront-elles affectées ? Avec le président Longeot et notre collègue Philippe Tabarot, nous vous invitons en Isère pour rencontrer les élus locaux et visiter ce chantier pharaonique. Quelle est la position de l'État sur ce projet stratégique pour notre région et pour l'Europe ?
Ce projet nous conduit aussi à nous interroger sur le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise - CFAL Nord et CFAL Sud - qui suscite des inquiétudes. Qu'en est-il de ces deux projets, de leurs études et de leur financement ? Pouvons-nous nous rencontrer localement pour en parler, les pieds dans la terre ?
M. Pierre Barros. - Vous avez réuni hier les organisations syndicales pour confirmer la liquidation de Fret SNCF, comme vos prédécesseurs qui étaient, eux aussi, favorables au plan de discontinuité. Dans ces conditions, comment pourrez-vous respecter leur engagement de doubler la part du fret d'ici à 2030 ? Un rapport de l'Assemblée nationale propose un moratoire afin d'entamer un nouveau cycle de discussions avec la Commission européenne. Des projets alternatifs existent, mais ils nécessitent le maintien d'un opérateur public qui ne se focalisera pas sur les sillons les plus rentables pour répondre aux besoins des chargeurs. C'est stratégique pour réindustrialiser la France, ainsi que le souhaite le Président de la République.
Le projet Roissy-Picardie va longer une partie du RER D - que vous connaissez bien. Une gare est en construction à Fosses, dans le Val-d'Oise : le projet est donc lancé et les moyens devront être mis sur la table pour le terminer.
M. François Durovray, ministre délégué. - Monsieur Rojouan, la demande d'une liaison quotidienne directe entre Paris et Montluçon est légitime, mais l'État n'est pas seul responsable - les lignes Montluçon-Vierzon et Montluçon-Bourges sont de la responsabilité de la région Centre-Val de Loire. Mais le sujet me concerne aussi, dans la mesure où Bourges sera capitale européenne de la culture en 2028. L'État et les deux régions devront travailler ensemble pour améliorer la desserte de Montluçon. Sachez que des crédits d'études sont prévus pour la desserte de la future carrière de lithium dans l'Allier.
Madame Bonnefoy, veuillez m'excuser de ne pas avoir encore répondu à vos courriers. Je suis naturellement favorable à l'idée de travailler sur la question du trafic routier, qui se pose dans de nombreux départements. J'ai donc demandé à mes services d'évaluer les besoins, ce qui n'empêche pas d'expérimenter, et saisir le préfet de Charente pour connaître son avis. J'ai bien en tête le dossier de la RN 141, mais je ne peux pas vous apporter de réponse définitive. Lorsque je me rendrai à Limoges pour évoquer la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt), je ferai également le point sur la RN 141 en Charente.
Mme Nicole Bonnefoy. - Le préfet de Charente est favorable à l'expérimentation d'une limitation de la vitesse à 70 km/h, mais uniquement sur l'agglomération d'Angoulême, ce qui est ridicule : la limitation de la vitesse doit concerner toute la nationale.
M. François Durovray, ministre délégué. - Cela suppose aussi une capacité de contrôle. Je partage votre préoccupation. Voyons comment nous pouvons avancer.
Monsieur Fernique, je suis attaché à maintenir un dispositif de prime à la conversion notamment pour les personnes concernées par les ZFE et pour le rétrofit : les arbitrages sont en cours.
M. Jacques Fernique. - La loi du 5 avril 2024 ne traite pas seulement du rétrofit, mais également du réemploi de véhicules issus de la conversion.
M. François Durovray, ministre délégué. - Je n'avais pas en tête que des décrets d'application devaient être pris : je vous répondrai par écrit.
M. Jacques Fernique. - La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) n'a pas pris les décrets, craignant que la prime disparaisse.
M. François Durovray, ministre délégué. - Je mettrai ce sujet à l'ordre du jour de la réunion que j'aurai avec la directrice générale de l'énergie et du climat dans une dizaine de jours.
Les 100 millions d'euros du plan vélo de Strasbourg sont sur sept ans, pas sur un an ! L'État maintiendra son effort dans les CPER. J'entends votre remarque, mais vous devez avoir conscience de la situation budgétaire et des choix à opérer.
Il est plus facile de réduire des dépenses d'investissement que des dépenses de fonctionnement - ce n'est pas propre à ce Gouvernement... Mais les dépenses d'investissement méritent d'être préservées, car ce sont des dépenses d'avenir. L'État est plus dans son rôle sur les infrastructures de Mass Transit, et notamment le ferroviaire, que pour le vélo, même s'il a joué un rôle d'accélérateur. Depuis, les collectivités territoriales se sont emparées de ce sujet.
Monsieur Michallet, j'ai rencontré le président de la société du tunnel euralpin Lyon-Turin (Telt) et j'ai promis au président Longeot de me rendre en Maurienne, à la fin de l'hiver, pour la réouverture du trafic ferroviaire et, je l'espère, du trafic routier. Je pourrai alors également visiter le chantier et vous confirmer que les engagements financiers de l'État seront tenus.
J'espère que je pourrai aussi vous annoncer des avancées sur le CFAL, qui est l'un des sujets que j'ai évoqués avec la métropole et la région Auvergne-Rhône-Alpes lorsque je me suis rendu à Lyon. C'est un projet préalable essentiel. Nous devons tous être au rendez-vous. J'espère que, grâce à mon travail de persuasion, nous pourrons inscrire tous les crédits nécessaires dans le CPER qui pourrait être signé avant la fin de l'hiver.
Le chantier du Lyon-Turin sera bien imputé sur l'enveloppe nationale de consommation du ZAN et non sur l'enveloppe locale ; cela sera donc sans impact pour les collectivités territoriales.
Monsieur Barros, j'ai reçu les organisations syndicales de Fret SNCF lundi dernier. Nous étions sous le coup d'une demande de la Commission européenne de remboursement de 5 milliards d'euros d'aides dont Fret SNCF a bénéficié dans les années 2010, ce qui a un goût sinon amer, du moins particulier au moment où Fret SNCF s'est redressé. Mais je pense que nous allions vers le remboursement et vers une liquidation totale, avec des conséquences importantes pour l'entreprise nationale. La Commission européenne veut probablement traiter aussi sévèrement la France et l'Allemagne, avec DB Cargo. L'entreprise et ses agents ont fait des efforts très importants depuis un an et demi pour se remettre sur pied, en limitant le nombre de services de fret donnés à la concurrence : 24 services ont été repris par des entreprises ferroviaires, sans basculer sur la route. Nous restons vigilants sur l'emploi, afin que les salariés restent dans le groupe, et sur le plan d'affaires qui, je l'espère, repartira sur une dynamique positive.
Je l'ai dit, il faut mieux concilier le maritime avec le fluvial et le ferroviaire. Seul, le ferroviaire ne pourra pas s'en sortir. Dans le PLF pour 2025, l'État ajoute 30 millions d'euros pour le wagon isolé. Je respecte les positions divergentes, mais je maintiens la position de mes prédécesseurs pour écrire une nouvelle page de l'histoire du fret. Je sais que je ne vous convaincrai pas...
M. Franck Dhersin. - La commission des finances de l'Assemblée nationale a voté la possibilité pour les régions de prélever le VM en lieu et place des intercommunalités quand ces dernières n'exercent pas cette compétence, ce dont je me félicite.
Toutefois, les propos de Mme Vautrin, qui souhaite conditionner la hausse du VM à l'augmentation de l'offre de transports, me semblent aller à l'encontre de la logique de décentralisation. En décembre 2023, vous aviez d'ailleurs signé une tribune intitulée « L'appel des Girondins », dans laquelle vous interpelliez Emmanuel Macron sur le manque d'ambition de la mission confiée à Éric Woerth et exprimiez le souhait de libérer les collectivités territoriales d'une bureaucratie étatique parfois inutile.
Le souhait de toutes les AOM, qu'elles soient régionales ou métropolitaines, est de disposer librement du pouvoir de fixation du taux. Nous partageons tous l'objectif d'une augmentation de l'offre de transports, mais je ne vois pas en quoi l'État devrait donner quitus aux AOM. Pouvez-vous nous rassurer quant aux intentions du Gouvernement dans ce domaine ? Lors de la table ronde du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), vous aviez déclaré : « Concernant le financement des mobilités, nous devons donner aux collectivités les moyens d'agir et elles savent faire, ce n'est pas à l'État de dire quelles sont les meilleures solutions à mettre en oeuvre, nous donnons une marche à suivre, une feuille de route ».
Par ailleurs, vous avez indiqué que l'augmentation du VM n'avait pas vocation à financer la gratuité. Or, si Dunkerque, Calais, le bassin minier ou Montpellier ont souhaité adopter cette mesure, je ne vois pas à quel titre l'État s'y opposerait.
Enfin, vous avez fait part de votre souhait de lancer une réflexion sur les dessertes TGV non rentables dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du réseau. Vous soulignez, à juste titre, que les entreprises concurrentes de la SNCF n'iront pas exploiter des lignes non rentables - propos accueillis avec enthousiasme par certains de ses dirigeants -, mais l'entreprise publique se serait-elle lancée en Espagne pour exploiter des liaisons non rentables ? Certainement pas ! La solution ne pourrait-elle pas consister à moduler les péages ferroviaires des liaisons déficitaires, afin d'inciter les acteurs à les desservir ?
M. Pierre Jean Rochette. - Le Gouvernement entend développer les poids lourds électriques, mais je n'ai pas connaissance d'enveloppe budgétaire dédiée dans le budget. Les certificats d'économies d'énergie pourraient être retenus, mais pour un montant inférieur à celui de 2024, à savoir 130 millions d'euros.
Par ailleurs, la discussion autour des concessions autoroutières devra englober la question du transport public. Concernant les allotissements ferroviaires, quelle est pour vous la bonne maille afin que les territoires ruraux ne soient pas oubliés ?
M. Sébastien Fagnen. - Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir à quelle échéance le contrat de performance actualisé entre l'État et SNCF Réseau sera présenté. Comment les différents acteurs, au premier rang desquels le Parlement, y seront-ils associés ? Quelle sera l'ambition portée par ce contrat, à la fois sur le plan budgétaire et par rapport à l'enjeu du changement climatique ? Lors du discours de politique générale du Premier ministre, il est apparu que l'ambition portée par Élisabeth Borne et par le plan de 100 milliards d'euros allait faire l'objet non pas d'une révision des priorités au bénéfice des lignes du quotidien, mais d'une attrition de ses moyens dans le contexte budgétaire que nous connaissons.
J'en viens à un projet d'intérêt national, à savoir la ligne nouvelle Paris-Normandie, en associant à mon propos mon collègue Pascal Martin et l'ensemble des parlementaires de la région Normandie, qui se sont exprimés après la volte-face de Mme Valérie Pécresse quant au soutien du conseil régional d'Île-de-France à la concrétisation de cette infrastructure particulièrement stratégique. Vous avez vous-même évoqué la nécessité de connecter notre façade portuaire, qui ne sera qu'un voeu pieux tant que cette situation de blocage perdurera.
Que comptez-vous faire à ce sujet afin de donner corps à ce projet - transpartisan dès sa genèse - et de fixer une échéance concrète pour sa réalisation, qui ne répondra pas seulement aux attentes des habitants de Normandie, mais également aux besoins de la région Île-de-France, quoi qu'en pense sa présidente ?
M. Jean-François Longeot, président. - M. Pascal Martin a dû nous quitter, mais souhaitait vous interroger sur le contournement ouest de Rouen.
M. Didier Mandelli. - Je me satisfais, en tant que rapporteur de la LOM, de vous entendre évoquer des enjeux tels que le VM à taux minoré, qui avait été un point d'achoppement en commission mixte paritaire. Nous avions sans doute eu raison trop tôt, l'offre de transports pouvant se développer sans être nécessairement collective. De la même manière, j'ai apprécié vos déclarations sur le rétrofit, les C2E et le transport maritime, auquel le groupe d'études « Mer et littoral » est très attaché.
Je tiens aussi à formuler une proposition dans le prolongement de la conférence de financement des mobilités que vous avez annoncée : ne serait-il pas judicieux de pérenniser une structure qui rassemblerait l'Afit France et le COI et qui permettrait de tenir une conférence annuelle dédiée aux financements en son sein ?
M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le ministre, j'avais interrogé votre prédécesseur au sujet de la gare maritime de Dzaoudzi, à Mayotte, par laquelle transitent chaque année plus de 30 000 personnes. Dépourvu de scanner, ce port est une véritable passoire et les marchandises et personnes passent sans contrôle réel. Deux douaniers viennent d'ailleurs d'être arrêtés pour corruption et contrebande. Quand les travaux démarreront-ils dans cette gare ?
Par ailleurs, la piste d'atterrissage de Mayotte, souvent inondée, ne devrait plus être viable en 2035, mais aucune étude ne semble avoir été effectuée pour identifier la localisation d'une nouvelle piste. Les parlementaires mahorais pourront-ils, à terme, venir ici assister aux réunions du Parlement ?
M. Alain Duffourg. - Monsieur le ministre, je représente un département totalement enclavé, le Gers, qui fait partie des neuf départements dépourvus d'autoroutes. En quarante ans, nous n'avons pu obtenir que 50 kilomètres de routes à deux fois deux voies. Pouvons-nous espérer davantage dans le cadre de la prochaine conférence de financement ?
M. Olivier Jacquin, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux transports routiers. - Je salue le moratoire que vous avez décrété sur les horaires des lignes secondaires de la desserte Paris-Strasbourg et l'engagement que vous avez pris d'une réflexion sur l'avenir de ces dessertes. Ne devrait-on pas imaginer un nouvel acte législatif pour accompagner le ferroviaire là où les dessertes sont fragiles et mettre en place un contrat de service public, à l'image du contrat passé entre l'État et La Poste ?
Par ailleurs, l'étude commandée par votre prédécesseur sur les péages ferroviaires sera-t-elle rendue publique avant la conférence de financement que vous avez annoncée ?
Enfin, vous avez récemment suggéré que les nouveaux entrants ferroviaires pourraient être contraints de desservir des villes moins rentables que les grandes métropoles. Ne pourrait-on pas imaginer qu'ils contribuent également au fonds de concours de SNCF Réseau, au-delà de la période de trois ans durant laquelle ils bénéficient de péages moins coûteux ? SNCF Voyageurs ne devrait en effet pas être l'unique contributeur.
M. François Durovray, ministre délégué. - Monsieur Dhersin, chaque collectivité est en effet libre de fixer une tarification, même si j'estime que la priorité doit être accordée à l'offre plutôt qu'à la demande. Au risque peut-être de choquer, si le Gouvernement avance sur le sujet du VM, je souhaite que la part correspondante puisse être consacrée à l'offre.
Il faudrait trouver un gentleman's agreement qui permette d'allouer le fruit des efforts de l'État et des entreprises à de nouvelles dessertes plutôt qu'à la politique tarifaire. Mes interlocuteurs n'ont pas exprimé de réticences particulières à ce sujet, des politiques tarifaires distinctes pouvant toujours être menées par les collectivités territoriales au niveau de leur propre budget.
En ce qui concerne les dessertes non rentables de TGV, nous devons intégrer l'arrivée de nouveaux entrants. L'expérience sur la ligne Paris-Lyon montre que cette dernière est synonyme d'une augmentation de l'offre et d'une baisse des tarifs, le processus étant donc plutôt vertueux. Pour autant, ces évolutions ne doivent pas intervenir au détriment des logiques d'aménagement du territoire. J'ai demandé à mes services d'étudier la manière dont un nouvel entrant pourrait se voir imposer des dessertes d'aménagement du territoire : dans le cas des liaisons Paris-Rennes ou Paris-Lyon, nous pourrions ainsi solliciter une desserte occasionnelle de Quimper, Brest ou du Creusot.
Dans le cas contraire, la SNCF fera légitimement valoir qu'elle ne peut pas assumer ces contraintes et qu'un financement de l'État est requis. Si je suis favorable à la concurrence, elle ne saurait se réduire à la privatisation des profits et à la collectivisation des pertes. L'État doit être en mesure de fixer un cadre un peu plus contraignant pour les nouveaux entrants, mes services devant creuser ce point.
S'agissant des poids lourds électriques, un appel à manifestation d'intérêt (AMI) sera retenu, comme en 2024. Les volumes ne permettent certes pas une électrification massive de la flotte, mais il s'agit d'amorcer le mouvement, afin de trouver un modèle économique pour le secteur. Un poids lourd électrique coûte 450 000 euros, soit en effet trois fois plus cher qu'un camion thermique, la massification de l'achat de véhicules électriques devant permettre d'en abaisser le coût.
Par ailleurs, s'agissant du modèle juridique futur des concessions autoroutières, je n'ai pas d'a priori, toutes les pistes sont donc sur la table. Je souhaite que la conférence nationale sur le financement des infrastructures se penche sur l'avenir des sociétés concessionnaires d'autoroutes et soit l'instance pour aborder toutes les questions, juridiques comme financières. Les futurs contrats seront très probablement plus courts, car les autoroutes sont construites et les risques sont plus faibles, mais je ne souhaite pas préempter ce débat.
La présentation du contrat de performance de la SNCF sera quant à elle sans doute décalée à l'été 2025, sachant qu'il faudra la combiner avec la fin du mandat de Jean-Pierre Farandou en mai prochain. Cet exercice doit être l'occasion d'évaluer la contribution de la SNCF à la régénération de son réseau, l'État ayant considérablement contribué au redressement de l'entreprise en reprenant sa dette. L'État souhaite que la SNCF fournisse sa part d'efforts, tout en tenant compte des contraintes qu'elle évoque légitimement. Nous veillerons à ce que les parlementaires soient associés aux échanges à ce sujet.
Quant à la ligne nouvelle Paris-Normandie, il s'agit clairement d'un projet d'intérêt national qui doit dépasser les positionnements de chacune des régions, ce qui ne signifie pas que les régions ne puissent pas porter une série de demandes. J'ai l'intention de nommer un nouveau préfet coordonnateur des actions de l'État pour l'aménagement de la vallée de la Seine afin de convaincre chaque territoire des gains attendus de cette infrastructure : ils sont évidents pour la Normandie, moins pour l'Île-de-France aujourd'hui.
Le processus doit se concrétiser par la signature du contrat de plan interrégional (CPIER) associant l'État et les deux régions. Je m'engage, vis-à-vis de la région Île-de-France, à ce que le préfet puisse prendre en compte ses préoccupations, en particulier la demande de desserte du Mantois et les inquiétudes relatives aux nuisances. Des travaux devront sans doute être réalisés autour des grandes villes et notamment autour de Rouen. Soyez assurés de ma volonté d'aboutir sur ce projet, essentiel pour la Normandie et pour l'Île-de-France en termes de logistique : première région d'Europe, celle-ci a intérêt à ce que les marchandises arrivent par le train et non par la route.
Le contournement ouest de Rouen, ensuite, est un dossier fort complexe que je dois encore expertiser. Je souhaite écouter tous les interlocuteurs avant de prendre une position.
Je vous remercie, monsieur Mandelli, pour votre intervention. Le COI a toute sa place dans la conférence nationale de financement des infrastructures, tandis que l'Afit France a été critiquée par la Cour des comptes. J'ignore si le futur véhicule juridique dont nous aurons besoin pourrait résulter d'une fusion des deux structures, mais je prends note de votre suggestion.
Monsieur Omar Oili, les services de Bruno Retailleau, compétents pour la gare maritime de Dzaoudzi, m'ont indiqué qu'un audit de sûreté conduit en septembre 2023 avait conclu à une nette amélioration de la sûreté portuaire et qu'aucune non-conformité majeure n'avait été relevée, mais je transmettrai votre question à mon collègue. Un projet de réfection totale de cette gare est également à l'étude.
S'agissant de la piste d'atterrissage, le Gouvernement entend construire un nouvel aéroport dans un endroit qui a déjà été identifié, me semble-t-il. J'entends votre requête relative à une meilleure association des élus locaux et demanderai à la DGAC de les tenir informés.
Enfin, monsieur Duffourg, le département du Gers a repris la gestion de toutes les routes nationales dans le cadre de la loi 3DS. Nous nous sommes engagés à apporter une participation dans la mise à deux fois deux voies du tronçon entre Gimont et L'Isle-Jourdain dans le cadre du volet routier du CPER, à hauteur de 31 millions d'euros.
M. Alain Duffourg. - Ce chantier doit effectivement être réalisé pour le 1er trimestre 2027. Rien n'est prévu, en revanche, pour l'ancienne nationale 21.
M. François Durovray, ministre délégué. - Je pense qu'il n'existe aucun autre projet à date et qu'il paraît malaisé d'aller plus loin compte tenu des calendriers et des contraintes de financement. Je vous apporterai une réponse sur une phase ultérieure de travaux, qui pourrait intervenir dans le cadre du prochain CPER.
Monsieur Jacquin, vous avez évoqué l'enjeu des péages ferroviaires. Nous avons une spécificité sur le transport de voyageurs longue distance, avec un coût des péages qui a des répercussions sur le prix des billets. Les acteurs de la conférence de financement pourraient décider d'aborder la légitime question des péages et des dessertes d'aménagement du territoire : une diminution du prix du péage pourrait avoir un effet sur le prix du billet, mais il faudrait aussi évaluer son impact sur le niveau d'investissement. Nous devrons identifier à la fois une enveloppe et un véhicule juridique appropriés.
Quant aux contrats de service public que vous appelez de vos voeux, la question des compensations financières de l'État doit être mise en débat.
Je vous remercie pour cet échange, qui a confirmé que les sénateurs ont une fine connaissance des dossiers dont j'ai désormais la responsabilité. J'espère avoir répondu le plus précisément possible à vos interrogations et espère revenir devant vous avec des avancées sur un certain nombre de sujets.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour votre présence, qui a été l'occasion de démontrer que vous connaissez vos dossiers et que vous souhaitez associer les sénateurs à un travail commun, ce dont je me félicite.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 15.