Jeudi 7 novembre 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques, président -
La réunion est ouverte à 8 h 45.
Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des Outre-mer
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons l'honneur et le très grand plaisir de recevoir M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des Outre-mer.
Je commencerai par une annonce en lien avec la constitution du nouveau Gouvernement : au cours de sa séance du 23 octobre dernier, le Sénat a désigné Olivier Bitz, sénateur de l'Orne, Alain Milon, sénateur du Vaucluse, Salama Ramia, sénatrice de Mayotte, et Laurent Somon, sénateur de la Somme, comme membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, en remplacement respectivement de Jean-François Longeot, de Sophie Primas, de Thani Mohamed Soilihi et de Agnès Canayer.
Nous souhaitons la bienvenue à nos nouveaux collègues et nous nous réjouissons de les compter parmi nous, dans cette délégation qui a la spécificité de réunir autant de sénateurs hexagonaux que d'ultramarins.
Je vous remercie sincèrement, Monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre invitation afin de faire un point sur votre « feuille de route » pour les outre-mer avant l'examen des crédits de votre ministère dans l'hémicycle qui devrait intervenir 5 décembre.
Nous attendons de votre part que vous nous éclairiez sur la vision et les engagements du Gouvernement pour nos outre-mer et que vous répondiez à nosnombreuses interrogationsQuand et comment envisagez- vous le prochain Comité interministériel des outre-mer (CIOM) ? Pourriez-vous nous communiquer un bilan du dernier CIOM ?
Face aux manifestations contre la vie chère qui se sont déplacées au coeur de Paris le week-end dernier, quelles annonces peut encore faire l'État, sachant qu'un protocole d'accord, signé le 16 octobre, n'a pas suffi à apaiser les tensions qui secouent la Martinique depuis plusieurs semaines ?
Le Gouvernement est-il prêt à prendre les textes d'application du marquage « région ultra-périphérique » (RUP) des matériaux de construction, dès que le règlement européen en cours de révision aura été définitivement adopté ? Les professionnels du secteur l'attendent avec impatience, ils m'ont remis le Livre blanc de la construction durable outre-mer en septembre dernier - et nous allons continuer à travailler sur le sujet des normes européennes avec la commission des affaires européennes du Sénat.
Voici quelques-unes des questions sur lesquelles nous aimerions vous entendre. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du Premier ministre, chargé des Outre-mer. - Un mois et demi après mon arrivée au ministère, je veux vous faire part de quelques remarques générales.
Les crédits pour la mission outre-mer doivent naturellement s'inscrire dans l'objectif général du Gouvernement de réduction du déficit public. Cependant, j'ai découvert à mon arrivée rue Oudinot une diminution très forte pour le programme 123, « Conditions de vie outre-mer », qui porte des actions déterminantes au service des territoires, avec 37% d'autorisations d'engagements en moins, c'est ce que dit la lettre d'engagement signée le 28 août, donc avant mon arrivée. Je vais tenir un langage de vérité en prônant le respect des engagements de l'État, qu'ils portent sur les contrats de convergence et de transformation ou bien sur la réforme de la continuité territoriale.
J'ai bon espoir que mon budget puisse être rapidement adapté à ces orientations. Cela participe aussi au lien de confiance entre l'État, les territoires ultramarins et leurs élus, auquel je suis particulièrement attaché. Ce ne sont pas là que des mots ; nous faisons tous de la politique dans le bon sens du terme, et nous avons intérêt à tenir notre parole et nos engagements, il faut que l'engagement de l'État soit tenu : c'est mon objectif. Et dans cette période de construction budgétaire, le Sénat va jouer un rôle stratégique, quasiment de co-construction, je vous le dis sincèrement.
Les financements adaptés aux besoins sont essentiels, mais ils ne sont pas suffisants - et j'évoquerai avec vous ma vision pour les outre-mer et ma méthode. La délégation sénatoriale aux outre-mer, forte de 13 années d'existence, le sait mieux que quiconque : la construction d'une politique publique est une question d'analyse, de méthode, de synergie et de bonne volonté des acteurs - et le problème, c'est souvent qu'il manque une pierre à l'édifice. Sur l'analyse, d'abord, je veux m'appuyer sur les acteurs de terrain, sur les rapports qu'ont écrit les élus, sur leurs préconisations - tout ne sortira pas tout fait du ministère, les rapports de votre délégation, par exemple, ne doivent pas rester dans les tiroirs, mais nourrir l'analyse et les propositions. Je pense en particulier au rapport de votre délégation sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer relatives à l'océan Indien, je veux m'y référer au moment où nous devons organiser la prochaine conférence de coopération régionale dans ce bassin océanique. Je pense aussi au rapport du Sénat sur le logement dans les outre-mer, je dois dire que j'ai été très surpris par l'état du logement outre-mer, c'est un sujet majeur, il faudra prendre également en compte le Livre blanc de la construction durable outre-mer lorsque nous finaliserons le troisième Plan Logement Outre-Mer (Plom 3).
Je pense également qu'avant toute initiative législative ou réglementaire, une « culture » de la consultation des outre-mer doit être développée, consistant à saisir les collectivités très en amont, y compris sur les études d'impact, afin de garantir une adaptation réelle des dispositifs aux spécificités des outre-mer. Chacun sait que les normes de l'Hexagone ne sont pas toujours les bienvenues dans nos territoires ultramarins et que la moindre des choses, c'est de s'adapter au territoire où l'on est. En termes de méthode toujours, je crois qu'il faut de la clarté, de l'ouverture et peut-être ce qui est le plus fondamental, du bon sens. D'abord, l'écoute, le dialogue, la concertation, le respect de la parole donnée, il faut aussi agir pour l'adaptation, la différenciation et la responsabilisation des acteurs, accélérer et simplifier les procédures, car le temps est un luxe. Nous devons agir avec rapidité et détermination pour s'affranchir des contraintes inutiles.
Je vous rejoins donc sur l'indispensable travail d'adaptation des normes. La possibilité donnée par les institutions européennes, sur proposition de la France, de s'affranchir du marquage « CE », avec un nouveau marquage « RUP », pour les produits du BTP, est une première étape. Nous devons la mettre en oeuvre et la compléter. Il convient de traduire cette possibilité au niveau réglementaire. Un décret doit définir notamment les commissions locales qui seront mises en place en vue d'attribuer ces marquages RUP. Je vais veiller à l'adoption rapide de ce texte.
De manière plus générale, les dispositions réglementaires doivent être pleinement utilisées pour les adaptations nécessaires aux outre-mer dès l'adoption des textes communautaires, pour éviter d'avoir à attendre des adaptations, des mises au point. En matière de construction de logements sociaux, je proposerai à ma collègue ministre en charge du logement de passer en revue les procédures, afin d'accélérer la construction chaque fois que cela est possible - nous avions prévu de construire cette année 11 000 logements sociaux outre-mer, nous sommes à 6 000, alors que les crédits sont là ; on me dit qu'il faut souvent cinq ans pour construire, c'est trop et il faut avancer.
Nous souhaitons aussi nous appuyer sur le pouvoir de dérogation des préfets et l'utiliser pleinement au service de l'agilité territoriale, c'est décisif, ce principe vaut pour le pays tout entier. Des signaux positifs me font croire qu'il est non seulement possible mais indispensable de dépasser les différences d'approche de chacun, afin de s'attaquer aux problématiques concrètes auxquelles sont confrontés nos compatriotes.
Je citerai deux exemples.
D'abord, celui de la réponse apportée aux revendications légitimes de nos concitoyens qui souhaitent une hausse de leur pouvoir d'achat. Celle-ci repose sur une hausse des revenus et donc de l'activité et de l'emploi, mais aussi sur la lutte contre ce qu'il est convenu d'appeler « la vie chère ». Je remercie les parlementaires martiniquais pour leur mobilisation lors des tables rondes. Je tiens à rendre hommage au préfet de la Martinique pour avoir su accompagner la signature d'un protocole qui permettra une baisse de prix de près de 20 % sur l'ensemble des mesures relatives à 6 000 produits environ. Surtout, ce protocole concrétise des efforts partagés entre acteurs publics et privés. La Martinique, comme l'État, se sont engagés dans des baisses conjointes de taxes, d'octroi de mer et de TVA. C'est bien la démonstration qu'une action concertée au service du consommateur est possible. Cette réponse est-elle ponctuelle ou bien doit-elle s'inscrire dans la durée ? Ma conviction, c'est qu'on doit travailler sur une révision structurelle de la formation des prix outre-mer, on ne peut pas continuer à avoir dans nos territoires ultramarins des prix 30 à 40 % supérieurs à ceux de l'Hexagone, alors que la population ultramarine a moins de revenus, il faut une réforme structurelle.
Ensuite, l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, où j'ai effectué mon premier déplacement mi-octobre. J'ai pu mesurer les dommages matériels massifs et annoncer des mesures de soutien. Au-delà de cet appui, dans une situation d'urgence absolue, j'ai acquis la conviction que l'État était attendu pour jouer un rôle central dans la reprise du dialogue et la construction d'un avenir commun.
Ma feuille de route, ensuite, consiste à servir l'intérêt général, je le conçois comme étant celui qui rend le plus service à la population des territoires - l'enjeu n'est pas de faire plaisir à tel ou tel, mais de servir les populations. Je voudrais donc qu'on accélère la création de valeur outre-mer, quantitative et qualitative, pour générer une croissance plus vertueuse au service de tous. Le premier objectif est de poursuivre la lutte contre le chômage et de favoriser des emplois à plus forte valeur ajoutée. Même s'il s'est réduit depuis plusieurs années, le chômage se situe encore à des niveaux beaucoup trop élevés outre-mer, avec des taux qui représentent en moyenne le double de la valeur nationale et même 34 % à Mayotte. Le chômage n'est pas qu'un sujet de chiffres et de données froides, il est surtout le principal facteur d'écarts de pouvoir d'achat entre l'Hexagone et les territoires ultramarins, c'est un fléau qu'il nous faut combattre.
Le deuxième objectif que je vois derrière la création de valeur est tout simplement de permettre aux entreprises, aux collectivités locales, à tous nos concitoyens, de tirer tout le parti du potentiel extraordinaire et des atouts des territoires. Depuis l'Hexagone, on perçoit trop souvent les outre-mer comme un problème, avec l'idée que même avec plus d'argent public, les difficultés restent - alors qu'en réalité, il y a un potentiel considérable, ce sont des territoires magnifiques et nous avons la capacité d'assurer leur propre capacité de développement, de création de valeur, il faut simplement l'organiser et la structurer à moyen et long termes.
J'en ai bien conscience, les effets d'une trop grande spécialisation économique des outre-mer pendant des décennies ou bien d'une sur-représentation du secteur public, se font encore sentir aujourd'hui. Sans nier les difficultés, pour lesquelles il existe déjà des dispositifs de compensation partielle comme la défiscalisation des investissements productifs ou l'aide au fret, il me semble essentiel de nous focaliser beaucoup plus sur les atouts des territoires, leurs projets de développement, la manière de les accompagner.
Ces atouts sont immenses : de la cosmétopée à l'exploitation durable des ressources minières ou forestières ; des énergies renouvelables à l'agriculture - la Martinique est à seulement 20 % d'autosuffisance alimentaire, il y a de fortes marges de progrès - ; des produits de la mer au tourisme... Je n'oublie pas non plus la richesse culturelle, les outre-mer ont donné naissance à tellement d'écrivains illustres et à tant d'autres artistes. Et à travers cette valorisation de tous ces atouts, je voudrais qu'on redonne de l'honneur et de la fierté à tous les territoires.
Ces besoins, ces projets, je vous proposerai de les identifier ensemble. Le prochain Comité interministériel des outre-mer (CIOM), annoncé par le Premier ministre à l'occasion de son discours de politique générale, sera l'occasion de définir les bons leviers et les bons cadres d'action. Il devrait se tenir au mois de mars, parce qu'il faut qu'on se donne un peu de temps, celui du diagnostic, de l'évaluation, et d'examen de projets nouveaux qui concrétisent l'ambition dont je vous parle. C'est un travail ambitieux, vous y serez associés, je souhaite que notre propos soit partagé - je souhaite associer étroitement les parlementaires à la préparation du prochain CIOM.
Certains axes me paraissent déjà incontournables, je pense d'abord au développement de la souveraineté alimentaire. Les taux de couverture de la consommation par les productions locales sont parfois inférieurs à 30 %. Des plans territoriaux d'autonomie alimentaire ont été élaborés dans chaque direction régionale des outre-mer. Il faut analyser précisément les freins à leur développement et y remédier, mais aussi mieux utiliser le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) au service des cultures de diversification. On a, par exemple, prévu 2 millions d'euros pour aider l'agriculture locale en Martinique cette année, il faut continuer dans ce sens.
De manière générale, la structuration de filières pourra être un outil puissant de développement.
L'accélération de la transition écologique dans les outre-mer constitue également une orientation forte. Le Premier ministre a souhaité que les outre-mer soient pionniers en matière de décarbonation énergétique. Les risques naturels et les conséquences sur plusieurs territoires de la montée du niveau des océans, appellent des politiques volontaristes d'anticipation et de prévention. Il faut donner des perspectives, le réchauffement climatique n'est pas une vue de l'esprit, ses conséquences à moyen et long termes seront effectives, on ne peut pas faire comme si nous ne savions pas et il faut donc s'adapter vite.
Je suis aussi persuadé qu'il faut davantage mettre en synergie les acteurs au service de l'innovation dans les territoires. Je veux parler de la recherche, du soutien à l'innovation porté par la belle ambition France 2030 ou encore par les différentes French Tech. J'ai participé, en Nouvelle-Calédonie, à une réunion de la French Tech du Pacifique, j'y ai rencontré des gens formidables, qui ont des idées, il y a de la capacité à créer de la valeur, il faut les soutenir - ce que mon ministère a fait, avec un budget global de 210 millions d'euros. Je rencontrerai prochainement Bruno Bonnel, secrétaire général pour l'investissement, en charge de France 2030, dans cette perspective. Un rapprochement a aussi été annoncé entre Business France et Atout France, deux opérateurs partenaires de mon ministère. Il paraît essentiel d'intensifier l'effort en faveur de stratégies d'exportation fondées sur les atouts des outre-mer. Ce sont autant de relais de croissance.
Bien entendu, je n'oublie pas qu'un territoire a besoin d'infrastructures et de services essentiels pour se développer. Mon ministère continuera ses efforts, en interne et avec l'ensemble des ministères ou collectivités concernés, pour financer et accompagner la réalisation d'infrastructures dans le cadre des contrats de convergence territoriale et contrats de développement. Il y a des projets d'infrastructures, il faut avancer, ou bien il n'y aura pas de développement, c'est décisif. Je souhaite aussi que cette commande publique profite mieux à l'ensemble des entreprises, les petites entreprises locales à travers une optimisation du code des marchés publics, mais aussi l'ensemble du tissu économique. Vous le savez comme moi, les retards de paiement constituent un fléau outre-mer qui fragilise chaque jour des entreprises.
Enfin, en Nouvelle-Calédonie, la mission interministérielle qui sera placée auprès du Premier ministre et de moi-même aura pour tâche d'accompagner les efforts de relance et de redressement du territoire. M. Emmanuel Moulin a été désigné pour préfigurer cette mission, elle comprendra 4 ou 5 personnes, sa vocation est technique, elle doit aider à ce que l'argent investi dans le territoire soit utilisé le plus rapidement possible. Nous avons décidé aussi de verser des subventions directement aux collectivités territoriales de Nouvelle-Calédonie, sans passer par le gouvernement du territoire, pour aller plus vite et pour que les collectivités payent plus rapidement leurs fournisseurs.
Le deuxième moteur de mon action portera sur les enjeux du quotidien. Au-delà d'une action forte à mener pour dynamiser la production et la réhabilitation de logements sociaux, comme de logements privés, nous accompagnerons les investissements dans les réseaux d'eau, qui sont essentiels. Je partagerai les enjeux de santé avec ma collègue Geneviève Darrieussecq autour d'actions concrètes, sans oublier la bonne mise en oeuvre du Plan chlordécone IV - c'est également essentiel, on ne développera pas correctement l'agriculture si on n'a pas réglé ce problème, je ne prétends pas tout régler en le disant, mais il faut en être conscient et, à partir de là, trouver le chemin pour avancer.
Enfin, la lutte contre la vie chère sera au coeur de ces mesures dédiées spécifiquement aux enjeux du quotidien. Je souhaite qu'au-delà du protocole signé en Martinique, nous travaillions sur le fond, sur la structure, et que nous favorisions l'adoption de documents analogues dans les autres territoires pour mutualiser la baisse des prix, il faut atteindre une certaine masse pour que les prix baissent effectivement. Je compte tout poser sur la table, voir ce qui permet d'avancer ou pas, les contrôles nécessaires - parce qu'on ne peut pas continuer comme ça, nos outre-mer ne peuvent pas se trouver régulièrement pris dans des situations de crise violente qui rendent la vie impossible à nos concitoyens, c'est cela qui me choque. Nous devons achever le travail entrepris en particulier sur l'octroi de mer ou encore la réglementation du prix des carburants, dans les Antilles et en Guyane. Je serai aussi tout particulièrement intéressé par votre prochain rapport sur la vie chère. Certains demandent la fin de l'octroi de mer, je dis qu'il faut faire attention : il finance les collectivités locales, et d'abord les communes - alors qu'on en débatte, oui, qu'on envisage de le faire évoluer, cela fait partie du débat, mais je dis qu'il faut être prudent sur les effets.
Le troisième moteur de mon action portera sur une meilleure insertion de notre jeunesse, que soit dans l'emploi, la vie locale et bien sûr la vie de la nation. La proportion de jeunes « ni en emploi, ni en études, ni en formation » (NEET) est deux fois plus élevée que dans l'Hexagone. Peut-on s'en satisfaire ? Non, donc nous avons tous un travail à faire, important, pour redonner des perspectives à travers la formation et la création d'emplois. Est-ce que j'enfonce des portes ouvertes ? Je vous parle directement, à partir des constats que je fais depuis un mois et demi.
D'ores et déjà, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), dont mon ministère assure la tutelle, effectue un virage à 180°, en concentrant son action sur les aides au retour dans les territoires. Je parle des territoires en forte déprise démographique, comme la Guadeloupe ou la Martinique, qui perdent entre 2 000 et 3 000 habitants chaque année, c'est énorme - la déprise démographique ne concerne pas seulement la Nouvelle-Calédonie. LADOM déploie en particulier le programme « Cadres d'avenir », pour accompagner des étudiants à fort potentiel afin qu'ils effectuent une formation universitaire en mobilité, dans le cadre d'un engagement au retour ; 110 jeunes en ont profité à cette rentrée, je souhaite renforcer ces premières promotions. LADOM devrait aussi, l'an prochain, déployer l'aide au retour annoncée par le dernier CIOM et définie par le PLF pour 2024 ; elle s'adresse aux anciens bénéficiaires d'un accompagnement de LADOM qui s'engagent à retourner dans leur territoire pour y exercer leur activité professionnelle. L'agence doit également travailler en partenariat avec tous les acteurs de l'aide au retour et de l'attractivité : associations, acteurs immobiliers, régions... Ces retours sont difficiles à mettre en place, mais ils sont décisifs pour changer la situation dans nos territoires ultramarins.
Sur ce modèle, je souhaite que l'on puisse bâtir des stratégies partagées pour agir de manière coordonnée, en faveur de la lutte contre le décrochage scolaire et les difficultés de lecture, mais aussi pour trouver des solutions de formation à tous les âges. La réussite de l'entrée dans la vie active est évidemment importante.
S'agissant de Mayotte, je souhaite reprendre le sujet de la convergence sociale, sous l'angle de l'insertion de la jeunesse, j'aimerais sanctuariser 100 millions d'euros sur ce point.
Nous devrons aussi préserver les capacités d'action du service militaire adapté (SMA), fleuron de l'insertion professionnelle des publics les plus éloignés du marché de l'emploi, c'est un outil formidable qu'il faut soutenir et que j'espère voir se développer.
Enfin, je ne saurais terminer mon propos sans évoquer la préoccupation de tout le monde ou presque : les évolutions institutionnelles. Elles sont de toute nature et je veux vous dire ma conviction. D'abord, il faut y mettre un peu de méthode, comme partout. On ne part pas d'une feuille blanche, il y a des choses qui fonctionnent, d'autres moins bien, il y a des adaptations à faire, il y a des gens qui veulent l'indépendance, d'autres de l'autonomie, d'autres encore le statu quo... Je crois qu'il faut éviter de faire « un jardin à la française », c'est-à-dire tailler tout sur le même modèle, comme si les situations étaient identiques, nous n'en sommes plus là ; il ne faut pas croire non plus qu'une réforme institutionnelle règlera tous les problèmes, le statut est un outil aux mains des élus locaux pour développer leur territoire et il faut l'évaluer à l'aune de ce qu'il peut leur apporter dans cette tâche, c'est ma conviction. Votre délégation a beaucoup travaillé sur ces sujets, il faut écouter les projets et ne pas fermer les choses par principe, il faut les examiner à l'aune du service aux populations, aux territoires, à la République.
La France a besoin de ses outre-mer, mais les outre-mer ont aussi besoin de l'Hexagone, c'est incontestable. Il faut donc qu'on travaille sur le fond, pour des perspectives de moyen et long termes, c'est stratégique, mais aussi qu'on règle les problèmes immédiats, qui sont nombreux. Le logement est un problème majeur ; la formation des jeunes, la possibilité qu'ils trouvent du travail sur place, c'est essentiel - on sait qu'ils partent se former dans l'Hexagone ou ailleurs, et qu'il leur est difficile de revenir après, quand bien même ils veulent servir leur territoire. Dans toute cette action à réaliser, le ministère a un rôle d'aiguillon et d'accompagnateur. Il faut accompagner, en réglant les urgences et en mettant de la perspective ; on ne part pas de rien, on ne va pas tout révolutionner, beaucoup de propositions sont sur la table, il y a des réussites, la direction générale des outre-mer est un outil formidable - et je pense que si l'on est bien organisé et qu'on travaille correctement ensemble et que les choses avancent, on devrait pouvoir créer un peu d'avenir et de la perspective. La vie chère est un sujet de fond, le logement est un sujet de fond et le développement économique est un sujet majeur, indépendamment de tous les sujets environnementaux qui, eux, sont peut-être le fil rouge du dispositif.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour cette bouffée d'oxygène. Je donne la parole à mes collègues.
M. Frédéric Buval. - Monsieur le Ministre, j'ai eu l'occasion de vous interpeler, il y a déjà plusieurs semaines sur les tensions sociales qui ébranlent actuellement mon territoire : depuis le mois de septembre, la Martinique doit faire face à des mobilisations, populaires, massives et malheureusement parfois violentes contre les conséquences iniques, et souvent confiscatoires, de la vie chère.
Comment pourrait-il en être autrement - quand on sait que la pauvreté touche 27 % de la population en Martinique, contre 15 % dans l'Hexagone, et que les prix à la consommation, y sont en moyenne 20 % plus élevés, et cela monte même à 40 % pour les produits alimentaires ? Dans de telles conditions de vie, qui certes ne datent pas d'aujourd'hui, tout le monde peut comprendre que la colère et la contestation soient partagées par tous, et soient considérées comme étant justes et légitimes. Car au-delà de la question de la vie chère, les attentes du peuple de Martinique sont simples, identiques à celles de tous nos concitoyens des outre-mer et de l'Hexagone. Ce sont des demandes d'équité, de santé, de sécurité, d'emploi, de formation, de continuité territoriale, de transport, de services publics... En somme, le respect de la promesse républicaine d'égalité, de fraternité et de solidarité. Rien de plus, rien de moins !
Aussi, ne pas répondre aux demandes récurrentes portées par les populations, par les élus locaux ou par nous les parlementaires, cela ne peut occasionner que violence et incompréhension. C'est certes regrettable, mais évitable.
C'est pour cette raison qu'il est nécessaire, et dans l'intérêt de tous, de soutenir le protocole d'accord, signé à la mi-octobre, à la suite de réunions de concertation, menées par le Président du Conseil exécutif de la Martinique, M. Serge Letchimy, sous l'égide du Préfet, avec tous les acteurs concernés.
Monsieur le ministre, vous qui êtes désormais le garant du respect de la promesse républicaine pour les outre-mer, comment comptez-vous restaurer l'inaliénable dignité du peuple de Martinique, avec un budget de l'État qui n'épargne pas les outre-mer ?
Je tiens à dire que le préfet de la Martinique a été à la hauteur de la situation, avec bien sûr les élus de la Martinique, je le remercie pour la qualité de sa présence pendant ces journées de violence qui ne sont peut-être pas terminées.
Mme Audrey Bélim. - Monsieur le Ministre, vous qui êtes attaché aux collectivités territoriales, comme ancien sénateur, vous n'êtes certainement pas insensible au fait que l'article 64 du projet de loi de finances pour 2025 inclut les communes et intercommunalités des outre-mer dans le redressement des finances publiques. Pour La Réunion, cela représente un prélèvement de 36 millions d'euros. Si, officiellement, les communes de plus de 30 000 habitants sont seules concernées, ce seront en réalité toutes les communes réunionnaises puisque nos cinq intercommunalités sont mises à contribution. Les critères qui permettraient à nos communes d'être exemptées ne sont pas applicables outre-mer puisque la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) y sont remplacées par la dotation d'aménagement des communes d'outre-mer (Dacom). Ainsi, dans une situation sociale comparable, une commune réunionnaise verrait ses ressources diminuer et pas une commune hexagonale. Ericka Bareigts, vice-présidente de l'Association des Maires de France (AMF), vous a fait part de ce problème, vous lui avez répondu que vous l'examineriez. Le conseiller spécial du Premier ministre, Michel Cadot, nous a dit, lui, ne pas avoir vu cette mesure injuste pour les communes des outre-mer. L'association des maires de La Réunion a exprimé sa vive inquiétude. Nous confirmez-vous que nos collectivités seront traitées comme les autres ? Comment comptez-vous procéder ?
Autre inquiétude : l'article 6 du PLFSS pour 2025 prévoit une réforme des exonérations de charges patronales prévues par la loi pour l'ouverture et le développement économique de l'outre-mer (LODEOM), alors que le rapport de l'IGAS et l'IGF qui évalue ce dispositif n'a pas encore été remis au Gouvernement. Le législateur doit être associé à cette réforme. Êtes-vous prêt, Monsieur le ministre, à reporter cette réforme d'un an, pour prendre le temps de l'évaluation et de la concertation ? Vous comprenez que dans un territoire comme La Réunion, où le taux de chômage atteint 17 %, il faut y regarder à deux fois avant toute modification inconsidérée.
Enfin, je souligne qu'après une réduction sans précédent de 78,8 millions d'euros des crédits du ministère en février dernier, la mission « Outre-mer » est amputée de 250 millions d'euros par le PLF pour 2025, passant de 2,74 milliards à 2,49 milliards d'euros, soit moins 9 %. C'est donc une triple peine pour les outre-mer, avec un goulot d'étranglement pour les communes et intercommunalités, avec des hausses de charges pour nos entreprises et des économies dans tous les domaines qu'il s'agisse du sport, de la culture ou de l'environnement. Lors d'une conférence tenue hier par des élus locaux, des parlementaires, des associations, des acteurs économiques réunionnais, chacun a fait part de cette grande inquiétude sur l'ambition de l'État pour les outre-mer. Nous attendons, et vous l'avez compris, de connaître le désir d'outre-mer du Gouvernement.
Mme Salama Ramia. - Le Premier ministre a récemment exprimé sa volonté de promouvoir une transformation numérique plus inclusive. Cette orientation est porteuse d'espoir pour Mayotte, dernier département français à entreprendre un projet de déploiement de la fibre. À l'heure où les campus connectés offrent de nouvelles perspectives, la jeunesse mahoraise, les TPE/PME et les collectivités locales aspirent à pallier l'éloignement géographique, économique et social par une meilleure connectivité.
Il ne m'est pas possible de dresser ici un état complet du dossier de la fibre à Mayotte. La loi de finances pour 2024 lui avait initialement prévu une enveloppe de 50,5 millions d'euros, qui a ensuite été réduite à environ 13 millions d'euros, avant que le décret du Premier ministre Gabriel Attal, en date du 21 février 2024, n'annule purement et simplement les crédits alloués. Un tel revirement envoie un signal inquiétant aux opérateurs privés et aux maîtres d'oeuvre.
Monsieur le ministre, en collaboration avec Madame la Secrétaire d'État en charge du numérique, nous vous demandons de rétablir les autorisations d'engagement nécessaires au déploiement de la fibre à Mayotte dans cette loi de finances. Pouvez-vous également nous indiquer le montant total des crédits de paiement effectivement alloués jusqu'à ce jour ? Ensemble, restaurons la confiance et offrons aux Mahorais la possibilité de bâtir leur avenir connecté !
M. François-Noël Buffet, ministre. - Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit, en particulier pour saluer l'action du préfet en Martinique qui a obtenu un accord très utile qu'il faut soutenir - c'est pourquoi je serai à La Martinique la semaine prochaine.
Le PLF pour 2025 comportera des dispositions sur la TVA, nous en aurons besoin. Et comme je vous l'ai indiqué, nous allons, d'ici au prochain CIOM, identifier les projets structurants et s'assurer de leur mise en oeuvre. Nous allons travailler dans ce sens, je ne peux vous dire mieux.
Les communes ne seront pas impactées par le rabot de l'article 64 du PLF. Il reste trois intercommunalités concernées à La Réunion, j'espère que nous pourrons régler les choses dans le débat budgétaire.
L'article 6 du PLFSS a été supprimé à l'Assemblée nationale, et s'il réapparaissait, il faudrait plaider encore pour les outre-mer. Il faut une étude d'impact et, pour une fois, je suis favorable à une ordonnance, dès lors que le Gouvernement s'engage à partager son analyse et la définition de la réforme.
À Mayotte, - mon premier contact avec l'outre-mer, en 2006 -, nous allons remettre de l'argent pour le déploiement de la fibre. La question mahoraise demande qu'on travaille sur l'aspect économique, peut-être encore plus qu'ailleurs.
Mme Vivette Lopez. - Les rapports ne doivent pas rester dans les tiroirs, dites-vous. Nous en avions fait un en 2017 sur le BTP dans les outre-mer, avec des recommandations précises : qu'est-il devenu ? Les bureaux de contrôle locaux ont des solutions, mais elles sont toujours difficiles à faire appliquer, parce que tout doit d'abord passer par Paris et Bruxelles, avec des surcoûts et plus de délais. Des solutions existent, notre rapport avait suscité un vif engouement, j'avais demandé un suivi : où en est-on ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Le Président de la République, lors de sa visite en Guyane, avait annoncé la création d'une piste améliorée entre Apatou et Papaïchton. Selon mes informations, les études menées par l'armée sont terminées, mais personne n'a pu consulter son rapport. Monsieur le ministre, savez-vous où se trouve ce rapport ?
Cette semaine, le rectorat a été dans l'obligation de fermer plusieurs écoles, car le niveau du Maroni, fleuve frontière, est exceptionnellement bas. Au-delà des écoles, cette situation pénalise l'ensemble de la population comme il n'existe pas de route pour relier ces villages. L'avion reste une option, mais à quel prix ! C'est la collectivité de Guyane qui porte à bout de bras la continuité interne. Sur une enveloppe estimée à 12 millions d'euros, l'État ne contribue qu'à hauteur de 1,5 million. Pourtant, l'un de vos prédécesseurs, Jean-François Carenco, s'était engagé à augmenter la participation de l'État. La collectivité est toujours en attente.
Enfin, vous savez qu'en Guyane, comme en Guadeloupe, voire à La Réunion, certains de mes compatriotes n'attendent qu'une étincelle pour lancer un mouvement. Néanmoins, je n'ai pas l'impression que l'État a pris la mesure de la situation ni cherché à désamorcer les tensions. Pourquoi des discussions générales sur la vie chère n'ont-elles pas été lancées sur l'ensemble des outre-mer, même si les contextes sont différents ?
Mme Catherine Conconne. - On a tout dit et tout écrit sur les outre-mer. Je vous parlerai de La Martinique, qui a ses problèmes propres - la question du logement ne se pose pas comme à Mayotte, par exemple, nous avons 11 000 demandes en souffrance mais aussi 20 000 logements vides, c'est dans notre équation. Nous avons des problèmes de foncier, car nous n'avons plus de grands terrains disponibles et que les grands ensembles ne sont plus souhaités, ils posent des problèmes de cohabitation, donc la construction prend du temps et j'aimerais qu'en matière de logement, on aille dans le réglage fin, le sur-mesure. La Martinique, ensuite, vit avec une épée de Damoclès, car si l'on n'inverse pas la tendance démographique par une politique d'aide au retour, nous n'existons plus d'ici 30 ans ! Nous sommes passés de 400 000 à 340 000 habitants, la part des plus de 60 ans progresse, il y a une urgence démographique qui commande tout le reste - car à quoi bon des logements, des écoles et des entreprises s'il n'y a plus personne... Nous sommes passés de 100 000 à 60 000 élèves, cela fait 15 ans que la démographie scolaire recule, il faut changer de braquet.
Deuxième urgence, l'accès aux soins. Le Grenelle de la santé a débloqué de l'argent pour des investissements, mais il faut trouver des locaux, la part de l'État est là mais il faut trouver des financements complémentaires, c'est très compliqué quand il manque déjà de tout, quand notre CHU n'est plus aux normes, quand nos structures sont vieillissantes, quand il manque des médecins, des médicaments et même des pansements ! En réalité, les pertes de chances sont énormes face à certaines pathologies, je vous invite à venir visiter notre unité d'oncologie, Monsieur le ministre, c'est une honte, j'en suis à solliciter une fondation d'entreprise pour refaire la toiture, je connais d'expérience l'état de cet équipement parce que mon conjoint y est décédé récemment, j'ai vu ce qu'il en était de ce scandale de la République et des difficultés d'y mettre fin, puisque nos hôpitaux sont déjà endettés...
Il y a des choses qui marchent, cependant, par exemple le plan chlordécone, il est bien enclenché, on avance dans le bon sens, le budget est sur la table, même si l'on peut toujours mieux faire - il y en a qui disent qu'on pourrait aller plus loin, mais ce que je vois, c'est qu'on indemnise les victimes, c'est un bon pas.
Enfin, l'éducation est aussi une urgence. Le Gouvernement comprend un ministère de la réussite éducative, c'est un bon signal, il faut se rencontrer parce qu'il y a chez nous un grand problème de décrochage scolaire, qui nourrit la délinquance, le narcotrafic, il faut affronter ces questions et éviter que l'Éducation nationale ne mette, comme trop souvent, la poussière sous le tapis. Je suis allée donner la dictée à une classe de cinquième au collège, j'ai constaté que 6 collégiens de cette classe ne prenaient pas la dictée parce qu'ils ne savaient tout simplement pas écrire, j'en ai été estomaquée.
Tout n'est pas une question de budget, il faut de l'audace et je crois à la détermination ainsi qu'à la co-construction des politiques publiques avec les élus locaux, on a tendance à trop renvoyer à l'État. Je remercie le préfet de Martinique, qui s'est trouvé trop seul sur les barricades, sans beaucoup de soutien y compris de mes compatriotes...
M. François-Noël Buffet, ministre. - Je partage votre point de vue : tout n'est pas qu'une question d'argent, il faut aussi de la volonté, de la détermination, de l'évaluation, de la pression dans le bon sens du terme. Il faut changer, je vais m'y employer, évaluer régulièrement l'action pour avancer. Quant à mes collègues de l'Éducation nationale et ceux qui s'occupent de la formation en général, je les ai mobilisés.
Le rapport de 2017 de votre délégation sur le logement outre-mer est pris en compte dans les mesures du Plan Logement Outre-mer (PLOM), qui en sera à son troisième opus à partir de janvier prochain. Il comprend des mesures d'adaptation particulières pour le logement outre-mer, il faut simplifier les choses, les normes participent à la vie chère alors qu'elles n'ont pas toujours de sens, c'est pourquoi nous allons demander le marquage « RUP » et prendre des mesures dans le prochain CIOM.
Je suis stupéfait de la situation en Guyane, je vais m'y rendre aussi, on me dit que les choses avancent - il y a le Grand Port Maritime, le doublement du pont du Larivot sur la RN1 - mais je crois très utile de faire un point précis sur les infrastructures en particulier. Le rapport sur la piste que vous mentionnez a été transmis à la Collectivité Territoriale de Guyane. Les difficultés de transport dans l'ouest guyanais sont un frein au développement, il faut faire le point et avancer, nous regarderons ce qu'il faut faire lors du prochain CIOM.
La santé est l'un des sujets fondamentaux, avec l'alimentation et la sécurité, c'est vrai dans tous les outre-mer. Il faut un plan santé pour avancer, on ne peut se contenter de mesures ponctuelles, et rien ne sert d'annoncer de grandes choses si l'on ne met pas les fondamentaux à niveau - voilà mon état d'esprit.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Monsieur le ministre, vous avez souligné l'importance de la formation pour lutter contre le décrochage scolaire. À cet égard, il est indispensable de faire confiance aux collectivités territoriales, et cela passe notamment par des financements accordés par l'État. J'ajoute que le taux de chômage des jeunes à La Réunion est de 32 %, soit 2,5 fois supérieur à celui de l'Hexagone.
J'évoquerai aussi la continuité territoriale. En effet, ses financements diminueront, tandis que, dans le même temps, la taxe de solidarité sur les billets d'avion doit augmenter. Il s'agirait là d'une double peine pour les populations ultramarines, qui contribuerait encore davantage à leur isolement. Appliquer une taxe de solidarité à des populations qui connaissent déjà de grandes difficultés au quotidien, c'est faire preuve de très peu de solidarité à leur égard ! Je m'associe à tous les élus qui se sont élevés contre ce dispositif.
J'en viens à l'agriculture, qui est une question essentielle. À La Réunion, nous avons la canne à sucre, qui est une filière vertueuse. Or celle-ci cumule deux années très difficiles ; certains planteurs ne peuvent plus vivre du fruit de leur production. Et les dispositifs nationaux ne s'appliquent pas dans nos territoires pour cette agriculture. La canne à sucre utilise pourtant de moins en moins d'intrants et produit de l'électricité, etc. De plus, c'est un rempart face à l'érosion des sols et aux aléas climatiques. C'est pourquoi l'État devrait soutenir cette production, sans compter systématiquement sur l'Europe, afin que nos agriculteurs perçoivent des revenus décents. Quelles mesures comptez-vous prendre à cet égard ?
Mme Annick Petrus. - Je sollicite le ministre en vue du respect de la promesse républicaine et de la dignité de la population de Saint-Martin. Cela ne coûtera pas cher ! Monsieur le ministre, qui pourra rétablir sur notre territoire une équité administrative, et quand cela sera-t-il possible ? Aujourd'hui, un dossier de retraite ou de demande d'allocation aux adultes ou aux enfants handicapés est traité en quatorze mois, contre quatre à cinq mois en Guadeloupe, et certainement un peu moins dans l'Hexagone. En conséquence, des personnes qui ont travaillé toute leur vie dignement vivent désormais de bons alimentaires. Nous disposons d'une caisse d'allocations familiales (CAF) et d'une caisse générale de sécurité sociale (CGSS), mais la situation est problématique. Ce sera mon prochain combat, et j'aurai besoin de votre soutien.
Par ailleurs, nous avons sur notre territoire des « ninis », ces personnes qui sont nées à Saint-Martin, ont parfois été prises en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), et n'ont aujourd'hui aucun titre d'identité, et partant, aucun droit. Apparemment, les services de la collectivité, comme ceux de l'État sur place ou le tribunal, ne leur sont d'aucune aide. Je vous solliciterai de nouveau à ce sujet, Monsieur le ministre.
La situation énergétique sur le territoire est telle que la couverture de l'île est très aléatoire, avec des coupures et des pertes d'exploitation. Pourtant, aucun calendrier précis n'a été adopté. Notre île a une vocation presque exclusivement touristique, et 40 000 personnes habitent sur la partie française de l'île. Comment vivre dans ces conditions ? Comment accueillir les touristes ? Monsieur le ministre, nous vous demandons d'intervenir rapidement pour garantir cette gestion concertée et responsable des travaux d'EDF.
Depuis quatre ans, le taux de l'incitation fiscale s'élève à 45,9 %, alors que tous les autres territoires ultramarins bénéficient d'un taux de 53,5 %. Nous avons posé la question à l'instar de nos collègues députés, mais la réponse est chaque fois différente. Personne ne peut nous dire pourquoi Saint-Martin est puni de la sorte, lui qui subit de plein fouet la concurrence hollandaise. Quelles actions envisagez-vous pour mettre en place ce soutien fiscal indispensable au développement durable du secteur touristique de Saint-Martin ?
M. Olivier Bitz. - Mes interrogations portent sur la Nouvelle-Calédonie. Elles portent non sur les questions institutionnelles, puisque le processus est engagé, mais sur les liens financiers entre l'État et ce territoire. Dans une période de fortes contraintes budgétaires, l'Hexagone et les territoires ultramarins sont directement affectés par la situation. Et chaque euro dépensé est questionné.
Les dégâts des émeutes sont estimés à 2,2 milliards d'euros, mais l'archipel connaissait déjà des difficultés chroniques, notamment au sein des régimes sociaux. On peut s'interroger sur les transferts financiers réalisés chaque année et l'efficacité de la dépense publique. Le comité interinstitutionnel demande plus de 5 milliards d'euros. Comment envisagez-vous cette question, Monsieur le ministre ? N'est-il pas temps de négocier un pacte financier avec la Nouvelle-Calédonie, sans remettre en cause son autonomie ? On ne peut faire porter systématiquement la contrainte sur le contribuable national. J'y insiste : la Nouvelle-Calédonie a besoin du soutien de la France et de l'État. Dans une période aussi difficile financièrement, quelles réformes sommes-nous en droit d'attendre ?
M. François-Noël Buffet, ministre. - Sur les crédits relatifs à la continuité territoriale, l'objectif est de rehausser le budget prévu pour 2025 au niveau de celui de 2024.
Concernant la taxe de solidarité sur les billets d'avion, les outre-mer sont assimilés aux vols intérieurs en Europe. Les discussions sont en cours pour considérer la particularité de cette situation. Et en cas de difficultés, le ministère aiderait toutes les personnes qui relèvent de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) à faire face à cette augmentation potentielle. Mais l'objectif immédiat est la négociation pour sortir du périmètre européen.
Sur la formation, il n'est pas question de faire « à la place de », car les collectivités travaillent et mènent à bien leurs projets. Mais il faut accompagner les territoires et fixer des objectifs communs.
Quant à la canne à sucre, le nouveau préfet a annoncé l'organisation avec la région d'Assises dédiées à ce sujet, qui devraient se tenir au premier trimestre de 2025.
Concernant le pacte régional d'investissement, sur la période 2014-2027, la région injectera un peu plus de 96 millions d'euros, et l'État 141,775 millions d'euros. Les budgets sont mobilisés ; la question est celle de l'usage de l'argent public et de son efficacité. L'ingénierie diffère selon les territoires, mais notre volonté est d'accompagner les territoires à optimiser la consommation de leurs crédits.
Le territoire de Saint-Martin exerce la compétence énergie. Cette compétence est encadrée en contrepartie du maintien de la péréquation, le dispositif permettant de faire lisser les surcoûts de l'énergie outre-mer sur l'ensemble des usagers au niveau national, par une convention qui prévoit de recueillir l'avis du ministre chargé de l'énergie. Le retard dans l'élaboration et la publication de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pourrait expliquer en partie les difficultés rencontrées. Ce programme a été envoyé par la collectivité de Saint-Martin à la direction générale de l'énergie (DGE) ; il est prévu un mix électrique 100 % avec le recours à la biomasse. Alors qu'un projet solide a été soumis par Albioma sur votre territoire, la collectivité a finalement demandé de remplacer la centrale existante par une nouvelle centrale bioliquide. Aucun projet n'a pour l'instant été déposé en ce sens. Nous essaierons de faire avancer les choses.
Quant à la défiscalisation, nous vous ferons une réponse écrite assez précise. Les travaux sont en cours pour effectuer un vrai toilettage en la matière.
Les événements dramatiques du 13 mai en Nouvelle-Calédonie représentent 15 % de PIB en moins. Les aides de l'État s'élèveront à plus de 1,4 milliard d'euros entre 2024 et 2025. Près de 400 millions ont été décaissés avant le mois de septembre et 230 millions d'euros ont été alloués ultérieurement, qui ont pour objet la reconstruction des bâtiments publics, le chômage partiel, etc. À ce propos, une forme de contractualisation avec l'État est en cours. La mission déployée dans le cadre de la reconstruction économique de la Nouvelle-Calédonie va travailler avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, présidé par M. Louis Mapou, et le Congrès. Des propositions ont d'ailleurs été formulées de part et d'autre. Nous devons travailler ensemble pour que l'argent public soit efficace. De plus, nous devons relancer la filière nickel, qui est fondamentale.
M. Saïd Omar Oili. - Nos territoires souffrent d'importants déficits dans les infrastructures, que l'État entend combler par des contrats de convergence. J'ai interrogé le préfet de Mayotte, le 16 octobre, pour obtenir le bilan du précédent contrat de convergence, sur les années 2019-2023, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Je suis sénateur depuis un an et je ne cesse de demander qu'on me communique des données pour objectiver mes analyses, par exemple sur l'immigration, sur la rentrée scolaire, ... ; j'appelle les services pour les obtenir, mais c'est chaque fois difficile : pourquoi ? Si j'en crois le dernier rapport de la Cour des comptes, chaque préfet emporterait avec lui les données des services de l'État, en tout cas son successeur ne les trouverait pas en arrivant : est-ce le cas ? Monsieur le ministre, je souhaite accéder aux données sur la mise en oeuvre des politiques contractuelles à Mayotte, pour voir en particulier quelle est la consommation des crédits : merci de m'y aider !
Mme Viviane Malet. - Vous avez défini un grand nombre de priorités, notamment le logement. Tous les crédits ne sont pas consommés, alors que les besoins sont criants. Je partage votre point de vue sur la longueur excessive des délais, alors que les freins sont connus, du foncier aux normes. Pourquoi ne pas flécher les priorités par territoire, en s'appuyant sur les collectivités territoriales ? À La Réunion, l'association des maires a fait un travail sur cette question : nous avons 42 propositions, par exemple celle de faire évoluer le périmètre du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (Frafu) et y joindre des fonds européens : est-ce que cela vous paraît possible, pour diminuer la part de la collectivité ?
Les collectivités territoriales, ensuite, font beaucoup d'efforts pour l'assainissement, mais bien des administrés peinent encore à se raccorder, parce que le raccordement coûte cher - dans ma ville, il faut compter souvent jusqu'à 3 000 euros. Peut-on prévoir un fonds exceptionnel pour aider ceux qui n'y parviennent pas ?
Mme Lana Tetuanui. - Bravo pour vos propos, Monsieur le ministre, mais je me demande ce que va donner l'examen budgétaire. On a « sauvé les meubles » en Polynésie, mais les crédits baissent : qu'en est-il ? Et nous demandons un prolongement de l'aide aux victimes des maladies radio-induites, qui doit se terminer à la fin de cette année.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous arrivez juste au ministère, on ne vous demandera donc pas d'avoir réglé les problèmes, mais je me réjouis de votre état d'esprit. Vous dites que les territoires ont un potentiel considérable et qu'il faut les structurer, c'est déterminant. Je trouve qu'en Ile-de-France on attend déjà trop longtemps les réponses de l'État, j'imagine ce qu'il en est outre-mer... Il faut faire ensemble, co-construire, c'est le seul moyen. Nous rentrons de Polynésie et je veux attirer votre attention sur les questions de sécurité : il y a un trafic d'Ice, c'est un vrai sujet, c'est une méthamphétamine équivalente du crack. La Polynésie française est inquiète, elle devient une étape du trafic de l'Amérique latine vers l'Australie, il faut régler ce problème.
M. Akli Mellouli. - Le rattachement de votre ministère à Matignon est un bon signal, mais il faut qu'il prenne sens dans la vie des gens. Je suis élu de métropole, et quand des habitants qui ont des attaches outre-mer nous parlent de difficulté d'accès à l'eau potable, sur le territoire de la République, c'est choquant. La question de l'environnement est vitale, il faut la traiter. Et la biodiversité est un enjeu très fort à prendre en compte, j'espère que vous pourrez agir, au-delà du signal politique de votre rattachement à Matignon.
M. Georges Patient. - Comme rapporteur spécial des finances, je vais demander le rejet de votre budget, car tous vos crédits sont en diminution - et le document de politique transversale montre que la baisse pour les outre-mer se poursuit dans les prochaines années, ce n'est pas acceptable.
En Guyane, 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le PIB par habitant est de 15 000 euros, quatre fois moins qu'en Ile-de-France, alors que notre territoire regorge de toutes sortes de ressources - pétrolières, minières, halieutiques, forestières. Cependant, les orpailleurs illégaux volent pour 800 millions par an d'or, des chalutiers brésiliens pillent notre ressource, et l'Office national des forêts empêche bien des projets. Nous ne réclamons guère davantage de transferts publics, on sait qu'ils vont se raréfier, mais nous demandons à lever les contraintes qui nous entravent dans l'exploitation de nos propres ressources.
M. Victorin Lurel. - J'aimerais vous dire des choses bienveillantes et ne pas vous faire de la peine, Monsieur le ministre, mais j'avoue avoir du mal dans cet exercice. Car dans le PLF pour 2025, au programme 123 « Conditions de vie outre-mer », vous perdez 461 millions d'euros en autorisation d'engagement et 314 millions d'euros en crédits de paiement. Et le pire est à venir, car les documents budgétaires prévoient de passer de 3,2 milliards d'euros, à 2,8 milliards en 2027 : nous sommes à l'orée de trois années de diète, c'est austéritaire car cela ne tient pas compte de nos difficultés propres, ni de nos différences. Je vous demande, en conséquence, de rendre ce budget acceptable. Vous avez la chance d'être rattaché au Premier ministre, le patron du Gouvernement, et d'être épaulé par le Sénat : vous pouvez peser pour les outre-mer, sans pour autant refuser de participer à l'effort de redressement national.
Nous avons devant nous non pas trois ans - car le Président de la République peut dissoudre l'été prochain -, mais quelques mois, il faut faire très vite et l'on peut trouver des compromis sur des sujets importants. Nous vous suivons sur la Nouvelle-Calédonie, nous voulons approfondir les propositions contre la vie chère, nous avons des textes quasiment prêts, de bon sens, nous pouvons vous accompagner dans votre feuille de route et vous donner des éléments parce que nous avons, de longue date, réfléchi à ces problèmes, il faut aller plus loin. Quant à l'article 6 du PLFSS, il est effectivement calamiteux et vous avez notre plein soutien pour s'assurer qu'il ne revienne pas.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Je suis pour la transparence des chiffres, je vais regarder ce qu'il en est à Mayotte.
Sur le logement, on connait les difficultés, les freins. Les élus seront consultés sur le Plan Logement Outre-mer (Plom 3). Sur la ligne budgétaire unique (LBU), les autorisations d'engagement sont faites, mais les crédits pas tous consommés, et quand on examine les choses de près, on réalise que des dossiers ne sont pas complets, donc attention quand on ne fait que présenter les chiffres - en tout cas, je suis pour avancer, d'autant plus quand les crédits sont là...
S'agissant de la Polynésie, je me réjouis que le Pacifique entre désormais dans le champ du CIOM, c'est nouveau, nous pourrons y examiner les projets. Ensuite, nous prolongeons d'un an le délai pour déposer des dossiers d'indemnisation pour les victimes des essais nucléaires, il n'y a pas de difficulté sur ce dossier.
L'assainissement coûte beaucoup d'argent, mais c'est un fondamental, il faut avancer.
Sur la Guyane, aucun sujet n'est fermé, je ne tiens guère à vous en parler davantage ici, dans le délai imparti, mais on devrait pouvoir arriver à faire des progrès.
La sécurité est un sujet majeur de tous nos outre-mer, nous en discutons avec le ministre de l'intérieur.
Enfin, sur le budget, je ne désespère que les choses évoluent - et de revenir au niveau des crédits de 2024.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour votre disponibilité. J'ai bien noté que vous comptez vous appuyer sur nos travaux, ils sont transpartisans, généralement adoptés à l'unanimité. Je suis très attachée à l'approche normative, je compte sur votre soutien sur la norme « RUP » à l'échelon européen - nous avons aussi lancé des travaux avec la commission des affaires économiques, j'espère que vous y serez attentif. Vous dites vouloir accompagner les collectivités, elles en ont besoin, c'est très important. S'il faut réformer les charges sociales par ordonnances, c'est pour abaisser aussi le coût du travail sur les hauts salaires, c'est pour « désmicardiser » le marché du travail ultramarin et encourager l'encadrement, l'ingénierie, mais aussi pour conserver les conditions de la compétitivité du coût du travail. La régionalisation ne sera pas possible si le pouvoir d'achat reste étranglé. J'émets le voeu d'un changement en profondeur qui ne demande que de la volonté politique. Il faut arrêter de poser des rustines en ne visant que des solutions au coup par coup, nous avons besoin de véritables réformes.
La réunion est close à 10 h 40.