- Mardi 26 novembre 2024
- Mercredi 27 novembre 2024
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à la création, à la transmission et à la démocratisation de la culture - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à la presse - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'enseignement technique agricole - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'action culturelle extérieure - Examen du rapport pour avis
Mardi 26 novembre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs au sport - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous commençons par l'examen du rapport pour avis de Jean-Jacques Lozach sur les crédits du sport.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au sport. - Après une année 2024 exceptionnelle, marquée par le succès des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), le budget du sport pour 2025 est décevant et très éloigné des attentes du mouvement sportif.
Le sport est reconnu par tous comme une composante essentielle des politiques d'éducation, d'insertion et de santé publique. Cet été, il s'est révélé être aussi un facteur de cohésion nationale et de rayonnement international. Nombre d'annonces ont été faites depuis deux ans, jusqu'au plus haut niveau de l'État. Le sport a même été décrété grande cause nationale en 2024. Hélas, avec ce projet de loi de finances (PLF), tout se passe comme si rien n'avait changé. Hors JOP, le budget du sport baisse de 188 millions d'euros, soit de 20 %. L'idée d'une grande loi d'héritage olympique d'orientation et de programmation en faveur du sport paraît abandonnée. La réduction des moyens des collectivités territoriales est une source supplémentaire d'inquiétude alors que celles-ci sont en première ligne pour financer l'investissement et le fonctionnement des équipements sportifs.
Premièrement, ce budget acte la fin de ce que beaucoup ont appelé la « parenthèse enchantée ».
La non-reconduction de mesures spécifiques aux JOP permet, logiquement, de faire des économies. Cependant, des restrictions budgétaires affectent plusieurs politiques clés pour le développement de la pratique sportive.
La concrétisation des objectifs du plan Génération 2024 est tout d'abord reportée : aucun crédit de paiement (CP) n'est inscrit à ce titre dans le PLF. Le dispositif doit être financé uniquement par des reports de crédits. Pour rappel, ce plan de 300 millions d'euros prévoit la réalisation de 5 000 équipements en trois ans, dont 500 équipements structurants, 3 000 équipements de proximité et 1 500 cours d'école actives. Ce report est regrettable, d'autant que le plan est insuffisant compte tenu du vieillissement des infrastructures. La France compte environ 270 000 équipements sportifs, dont 61 % ont été mis en service avant 1995. Deux tiers d'entre eux n'ont jamais été rénovés. En particulier, la moitié des équipements aquatiques publics a été construite avant 1977. Les piscines qui l'ont été dans le cadre du plan 1 000 piscines des années 1970 doivent être modernisées.
Deuxièmement, les crédits des dispositifs destinés aux jeunes sont revus à la baisse. Les annonces ont pourtant été nombreuses dans ce domaine : 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école - mais nous avons vu, avec notre mission flash, que seulement 42 % des établissements étaient concernés et, encore, pour certains d'entre eux, avec une unique classe - ; deux heures de sport supplémentaires au collège - leur généralisation vient d'être abandonnée - ; des tests de capacité physique à l'entrée en classe de sixième annoncés par le Président de la République pour la rentrée de septembre 2024 - leur expérimentation se déroule dans quatre académies seulement - ; une feuille de route en faveur du sport universitaire - nous l'attendons toujours -, etc. Dans les faits, les réalisations sont donc très partielles, voire inexistantes. Je n'insisterai pas sur les déclarations enflammées au plus haut sommet de l'État pendant et immédiatement après les JOP, y compris de la part du Premier ministre actuel lors de sa déclaration de politique générale.
Les dispositifs Pass'Sport et « 2 heures de sport supplémentaires au collège » sont fusionnés ; 14 millions d'euros d'économies sont réalisés sur ces deux composantes, soit plus que le coût du second dispositif seul. Avec des crédits diminuant de 100 à 75 millions d'euros, le Pass'Sport sera encore recentré sur certains publics cibles, alors qu'il est déjà sous condition de ressources.
L'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) voit sa subvention en légère diminution et son plafond d'emplois est réduit de deux équivalents temps plein (ETP). Or le surcroît d'activité que les JOP ont entraîné pour l'AFLD n'a pas été pris en charge par ce plafond d'emplois, mais dans le cadre d'un contrat avec Paris 2024, lequel a permis le recrutement de préleveurs vacataires. La baisse du plafond d'emplois risque de remettre en cause la capacité de l'AFLD à exercer les nouvelles compétences que le législateur lui a attribuées en 2021 en matière d'enquêtes, de renseignement, d'éducation et de prévention.
Aucune enveloppe n'est prévue pour la pérennisation des emplois socio-sportifs. L'an dernier, à la suite d'une annonce du Président de la République, une enveloppe de 10 millions d'euros était consacrée à un plan d'aide au recrutement et à la formation de 1 000 éducateurs socio-sportifs. L'Agence nationale du sport (ANS) a réduit cet objectif à 750, en l'absence de visibilité sur le financement. Sans enveloppe réservée au financement de ce dispositif en 2025, ces emplois risquent d'être financés au détriment d'autres emplois. Je rappelle que la filière des sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) compte au nombre des plus sollicitées sur la plateforme Parcoursup.
J'en viens aux taxes affectées. L'ANS bénéficiait jusqu'alors de trois taxes de cette nature. Ce nombre sera réduit à deux l'an prochain. En application de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), le prélèvement sur les jeux exploités par la Française des jeux (FDJ), hors paris sportifs, n'est plus affecté à l'ANS. Le plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne est rehaussé en conséquence. Toutefois, la compensation n'est que partielle : il manque en effet 6 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Quant à la contribution sur la cession des droits audiovisuels, dite « taxe Buffet », son évolution est incertaine compte tenu de la baisse des droits télévisuels du football. En 2023, le football avait contribué à hauteur de 77 % au produit de cette taxe.
Comment, dans ce contexte, maintenir l'élan et réussir la transition des Jeux de 2024 vers ceux de 2030 ?
Tout d'abord, les objectifs sportifs et d'organisation des Jeux de Paris ont été pleinement atteints. Ces Jeux ont même été exceptionnels. En particulier, les politiques de l'ANS en faveur du sport de haut niveau ont été probantes. L'ANS doit faire l'objet d'une évaluation en 2025. Si la gouvernance territoriale de ses crédits peut être mise en question, en raison de sa complexité, l'Agence ne devrait pas être remise en cause en ce qui concerne la gestion du haut niveau.
Cependant, plusieurs questions restent ouvertes : outre un éventuel projet de loi d'héritage, qui se fait attendre, ces questions portent, d'une part, sur le coût des Jeux, et, d'autre part, sur leurs retombées économiques.
Le coût de l'investissement pour la police et la gendarmerie dans le cadre des JOP est évalué à 1,1 milliard d'euros. Pour l'État et les collectivités, le premier président de la Cour des comptes a estimé le coût total des JOP entre 3 et 5 milliards d'euros. Conformément à la loi du 19 mai 2023, un rapport de la Cour des comptes doit nous éclairer à ce sujet d'ici à octobre 2025. Toutefois, la garantie de l'État au Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) ne devrait pas être sollicitée.
Les retombées économiques sont évaluées par le Centre de droit et d'économie du sport (CDES) entre 6,7 milliards et 11,1 milliards d'euros pour Paris et la région d'Île-de-France - la fourchette est large. Un programme de quatorze études, lancé par le ministère, doit mesurer l'impact de l'événement sur de nombreuses thématiques. France Stratégie réalisera une analyse des coûts et des bénéfices globaux des Jeux d'ici à la mi-2025.
Ensuite, la question du financement des JOP d'hiver, qui seront organisés dans les Alpes françaises en 2030, reste posée. Le PLF ne prévoit aucun crédit à ce sujet, alors qu'un comité d'organisation doit être mis en place. L'article 54 du PLF institue une garantie de l'État en cas d'annulation de l'événement ainsi qu'une garantie sur les crédits de trésorerie du futur comité d'organisation. La garantie relative au déficit éventuel de ce comité d'organisation sera présentée ultérieurement.
En conclusion, le PLF pour 2025 ne permettra pas de pérenniser l'effet des JOP, alors que l'augmentation du nombre de licenciés sportifs à la rentrée 2024 est réelle - elle est estimée à environ 15 %, les chiffres définitifs restant en attente. La Fédération française de triathlon connaît, par exemple, un surcroît d'inscriptions de 32 %, la Fédération française d'escrime de 25 %, la Fédération française handisport de 20 %. Le président de la Fédération française de handball estime que, par manque d'équipements et d'encadrement, nous perdrions 1,5 million de licenciés que l'engouement pour les JOP a pourtant suscités. L'évolution budgétaire compromet ainsi la possibilité d'un véritable héritage olympique.
Je vous propose quelques pistes de réflexion.
D'une part, pour desserrer la contrainte budgétaire, je suis favorable au déplafonnement de la taxe sur les paris sportifs en ligne, qui permettrait de dégager immédiatement 113 millions d'euros. Pour rappel, avec l'Euro de football et les JOP, les mises atteignent en 2024 un montant inégalé de plus de 1 milliard d'euros.
D'autre part, je vous propose un amendement visant à réallouer au programme 219 « Sport » 50 millions d'euros issus d'économies réalisées sur le service national universel (SNU), dont 40 millions d'euros seraient consacrés aux équipements structurants et 10 millions d'euros à la pérennisation des emplois socio-sportifs Il est important de lier ainsi la question des équipements et celle de l'encadrement, qui vont de pair.
Enfin, maintenir l'élan impulsé par les JOP impliquerait aussi de revoir en profondeur la place du sport dans les politiques publiques, notamment à l'égard des jeunes et des personnes en situation de handicap, ou bien encore dans le domaine du sport-santé.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d'émettre un avis défavorable à ce budget.
M. Michel Savin. - Après le succès des JOP, avec des athlètes qui ont donné beaucoup de bonheur et d'émotions aux spectateurs et téléspectateurs, et surtout l'envie à des milliers de jeunes de venir découvrir au sein des clubs et d'associations telle ou telle discipline sportive, les perspectives du budget pour 2025 s'annoncent difficiles pour les acteurs du sport français.
L'ambition de faire du sport un enjeu national paraît bien remise en cause. Si une partie de la baisse importante des crédits du sport pour 2025 s'explique par la fin des JOP, une autre partie tient à la demande du Gouvernement de consentir des efforts face à la situation catastrophique de nos finances publiques. Néanmoins, en comparaison d'autres budgets, le sport est mis à forte contribution, preuve qu'il n'est toujours pas reconnu à sa juste valeur et que notre pays n'est pas encore une véritable nation sportive.
En effet, la dotation globale du programme 219 diminue de plus de 23 % en crédits de paiement, pour s'établir à 593 millions d'euros, soit une perte de 182 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Par ailleurs, le système des taxes affectées à l'ANS est modifié à la suite de la suppression de l'affectation de celle qui a trait aux jeux exploités par la FDJ, hors paris sportifs, ce qui entraîne une perte de 6 millions d'euros. Les crédits de l'Agence nationale du sport sont prévus à hauteur de 159 millions d'euros en CP, en diminution de 111 millions d'euros par rapport à 2024, avec 100 millions d'euros de moins pour le plan Génération 2024, qui concerne surtout les équipements structurants, et 10 millions d'euros de moins pour le Pass'Sport.
Au sujet du plan Génération 2024, il nous a été rapporté que, en 2024, sur les 100 millions d'euros de crédits qui lui étaient consacrés, uniquement 4 millions ont été utilisés et que 96 millions feraient l'objet d'un report en 2025. Cependant, le Gouvernement avait pris la décision de geler ces crédits en 2024 et des dossiers ont d'ores et déjà été validés par l'ANS. Il est par conséquent à craindre qu'aucune collectivité ne puisse obtenir de nouvelle décision de l'Agence sur le budget de 2025.
Enfin, d'autres mesures d'économies tiennent à l'optimisation du dispositif Pass'Sport, à la remise en cause de celui des deux heures de sport supplémentaires au collège, à l'ajustement des crédits liés à l'insertion, ou encore aux cotisations retraite des sportifs de haut niveau.
Nous avons déposé un amendement qui tend à déplafonner l'affectation de la taxe sur les paris sportifs en ligne, ce qui devrait permettre de récupérer 113 millions d'euros. D'autres groupes ont également déposé un amendement en ce sens. Nous déposerons plusieurs autres amendements afin d'augmenter le budget des sports par des crédits qui pourraient être pris sur le SNU et par l'encadrement de l'augmentation des crédits relatifs au service civique.
En l'état, notre groupe suivra l'avis du rapporteur pour avis.
M. Claude Kern. - Je reconnais que ce projet de budget est décevant.
Certes, le contexte budgétaire est contraint et nous mesurons l'importance de l'actuel PLF. Toutefois, si des revalorisations des dotations s'avèrent difficilement envisageables, ce constat ne nous empêche nullement d'appréhender certains sujets différemment et de corriger certaines lignes budgétaires de manière plus rationnelle.
Indépendamment de l'organisation des JOP et de ses retombées, que nous espérions peut-être encore plus favorables, nous ne pouvons suivre l'explication du ministre chargé des sports sur l'érosion des crédits du sport pour 2025, avec un budget en diminution de 23 %. Nous nous interrogeons sur les objectifs de long terme de la politique sportive de notre pays. Plusieurs questions retiennent notre attention.
Quid de la grande nation sportive, au vu du gel des 100 millions d'euros du plan de 5 000 équipements sportifs destinés aux collectivités, des 10 millions d'euros de moins pour le Pass'Sport, des mesures concernant les finances locales annoncées pour 2025, qui vont contraindre fortement les collectivités et leur capacité d'investissement dans le sport, ou, plus généralement, de la baisse des crédits de l'action no 01 « Promotion du sport pour le plus grand nombre » ?
De même, la stratégie nationale sport-santé souffre encore de nombreux paradoxes : à titre d'exemples, le dispositif 30 minutes d'activités physiques et sportives par jour dans les écoles est loin d'être effectif, ce qu'un rapport de notre commission a souligné, et le soutien aux maisons sport-santé nécessiterait, pour que leur déploiement se poursuive, d'être plus appuyé.
En ce qui concerne l'ANS et son financement, nous serons favorables, comme le rapporteur pour avis et Michel Savin, à tout relèvement du plafond de la taxe sur les paris sportifs en ligne. Pour l'heure, notre groupe suivra l'avis du rapporteur, tout en se ménageant la possibilité de modifier son vote en séance publique en fonction du sort qui sera réservé aux différents amendements.
M. Patrick Kanner. - Nous suivrons également l'avis du rapporteur. La situation est en effet incroyable : nous sommes sélectionnés pour l'organisation des JOP en 2017, suivent des annonces fracassantes du Président de la République qui déclare que, avec lui, le sport deviendra une priorité nationale, et immédiatement après les Jeux, le gouvernement nous propose un budget catastrophique. Jamais nous n'avions vu un tel retournement sur le plan politique. Diminuer de 23,4 % le budget des sports, pour le ramener à 0,15 % du budget de l'État, est une forme de déni : le Président de la République a menti !
Ont été évoqués les 5 000 équipements sportifs du plan Génération 2024 et le Pass'Sport, qui sont sacrifiés, ainsi que les deux heures de sport supplémentaires au collège. Le rapporteur a également eu raison d'évoquer la situation des nouveaux licenciés potentiels que nous allons perdre faute de moyens pour les accueillir. La seule Fédération française de basket-ball (FFBB) a dû rejeter 80 000 demandes de licences. L'ANS subit aussi de plein fouet ce revers financier. Le PLF pour 2025 est assurément un rendez-vous manqué avec l'héritage des Jeux. Nous ne savons d'ailleurs pas si le projet de loi qui devait transcrire cet héritage sera un jour présenté.
À la proposition du rapporteur de déplafonner les taxes affectées au sport, j'ajouterai celles de la relance du plan 5 000 terrains, d'un renforcement des moyens alloués au Pass'Sport, de la création d'un fonds réservé aux clubs sportifs qui leur permette de répondre à l'afflux de licenciés, de la valorisation des maisons sport-santé et de la relance du sport universitaire. Je participerai dans quelques jours à un colloque organisé par l'université de Lille en vue de promouvoir le sport universitaire. Il sera précédé de la visite d'équipements sportifs. Pour la moitié d'entre eux, ils sont dans un état qui justifierait qu'on les démolisse...
Nous pouvons certainement tous être d'accord sur la nécessité de ne pas renoncer à l'objectif de consacrer, à moyen ou à long terme, 1 % du budget de l'État au sport et de ne pas sacrifier cet objectif sur l'autel de l'austérité.
Mme Mathilde Ollivier. - À mon tour de partager les constats exprimés par le rapporteur pour avis. Ce projet de budget est décevant, avec cette forte baisse de 23 % et les coupes sur le Pass'Sport. Certes, ce dernier aurait mérité d'être redéployé : certes, tous les crédits n'ont pas été utilisés, mais il aurait fallu revoir la communication. En l'état, nous n'obtiendrons qu'une réduction de son champ d'application.
Il a également été question du programme de deux heures de sport supplémentaires au collège et des équipements sportifs. Du point de vue de la pratique sportive, l'héritage des JOP se fait dès à présent. À cet égard, des crédits insuffisants pour 2025 s'avèrent problématiques.
Je soulignerai deux points d'attention. D'une part, quand les collectivités locales financent les deux tiers de la pratique du sport, on peut s'inquiéter de leur capacité à poursuivre cet effort. D'autre part, l'organisation des Jeux de 2030 pourrait peser sur les budgets du sport lors des prochaines années. Il ne s'agit pas qu'elle absorbe de nouveau l'intégralité des futurs crédits, aux dépens de la nécessaire démocratisation de la pratique sportive.
Nous suivrons également l'avis du rapporteur.
Mme Laure Darcos. - Nous ne ferons pas entendre de note discordante, et il est d'ailleurs remarquable que nous suivions tous les préconisations du rapporteur. Au lendemain des JOP, le PLF nous fait l'effet d'une douche froide ! La Fédération française de badminton m'apprenait ainsi récemment que ce sport avait suscité nombre d'émules, mais qu'elle avait dû renoncer à inscrire plus de la moitié des jeunes qui la sollicitaient.
La situation de l'ANS soulève également beaucoup d'inquiétude parce que des élus s'habituaient à solliciter auprès d'elle des fonds, lesquels permettaient de financer tant des complexes sportifs que des cours de récréation Oasis. Ces élus, qui manquent déjà de moyens, ne pourront plus compter sur ce soutien.
Quant au collège, lorsque Béatrice Gosselin et moi-même avons rédigé notre rapport sur les 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école, les instituteurs que nous avons rencontrés, et qui se faisaient les porte-voix des professeurs de sport du second degré, ont souligné l'importance de généraliser ces heures supplémentaires pour l'hygiène de vie des enfants et pour lutter contre le problème de l'obésité infantile. L'enseignement scolaire va également payer le prix fort de ce PLF, tout comme nos étudiants en Staps.
M. Jérémy Bacchi. - Nous partageons en tous points l'avis du rapporteur. L'accessibilité du sport et de ses équipements repose en grande partie en France sur les collectivités, qui constituent le premier financeur du sport avec 12,5 milliards d'euros chaque année. Les coupes budgétaires programmées à leur encontre donnent évidemment matière à s'inquiéter. Des départements et des communes nous alertent d'ailleurs ces derniers jours sur le report de certains de leurs projets, en raison de leur obligation d'opérer des choix dans la réduction de leurs dépenses et investissements. En outre, la baisse de la dotation du fonds vert pour la rénovation thermique, qui devrait passer de 2,5 milliards à 1 milliard d'euros, affectera de même la rénovation d'équipements sportifs, en particulier les piscines.
Alors que les JOP ont été une véritable réussite, sur le plan tant organisationnel que sportif, avec un engouement populaire qui a dépassé les espérances, nous constatons les difficultés actuelles de certaines fédérations devant l'afflux des nouvelles demandes d'inscription. En guise d'héritage, c'est malheureusement plutôt d'un non-héritage que ces crédits alloués au sport témoignent. Ils ne sont pas à la hauteur de l'ambition que nous portons pour notre nation et notre jeunesse.
Mme Catherine Belrhiti. - Ma prise de parole est à la fois celle d'une sénatrice soucieuse de l'équilibre budgétaire et celle d'une ancienne sportive de haut niveau qui, avant d'embrasser une carrière politique, a consacré une grande partie de sa vie à la pratique et à la promotion du sport, en représentant notre pays sur les tatamis du monde entier. Cette expérience a forgé ma conviction que le sport n'est pas simplement un loisir : il est aussi un formidable outil d'émancipation, de dépassement de soi et de construction de la personnalité. Il joue un rôle essentiel dans notre société : il contribue à la santé publique, favorise l'intégration et la cohésion sociale, véhicule des valeurs fondamentales dans notre République, comme le goût de l'effort, le respect et la solidarité. Au-delà des individus, il est un moteur de rayonnement international, comme en témoignent les retombées des JOP de Paris 2024. C'est pourquoi, à mon sens, toute réduction des moyens consacrés au sport doit être examinée avec une attention particulière.
Le projet qui nous est présenté révèle une réduction importante des crédits du programme « Sport » pour 2025. Les autorisations d'engagement (AE) diminuent ainsi de 10,38 %, les CP chutent de 23,47 %. Si cette contraction est compréhensible dans le contexte budgétaire actuel, elle n'en est pas moins plus que préoccupante.
Quelques points s'avèrent certes positifs. Je salue, par exemple, le maintien du plan Génération 2024, crucial pour le développement d'équipements sportifs de proximité, en particulier dans les territoires les moins favorisés. En permettant à des milliers de jeunes de découvrir et de pratiquer une activité sportive, ces infrastructures contribuent à réduire les inégalités et à démocratiser la pratique sportive.
En revanche, je ne peux cacher mon inquiétude quant à la réduction des moyens affectés à l'ANS, dont les crédits sont en baisse de 26,7 millions d'euros en CP. Il est essentiel que cet opérateur, qui est un pilier de nos politiques sportives, conserve la capacité de soutenir efficacement le mouvement sportif et les clubs amateurs qui forment la colonne vertébrale du sport français. Il en est de même pour la diminution des crédits du Pass'Sport. Ce programme destiné à démocratiser l'accès des jeunes au sport est un outil précieux. Alors que la pratique sportive recule dans certaines tranches d'âge, il est crucial de maintenir des dispositifs incitatifs et accessibles.
En conclusion, si je suis consciente des efforts nécessaires à la maîtrise de nos finances publiques, j'estime que le sport ne doit pas être vu comme une simple ligne budgétaire. Il représente un investissement pour notre jeunesse, notre santé et notre avenir collectif. Dans cette période de transition, il est de notre responsabilité de préserver ce qui fait la richesse de nos politiques sportives, tout en nous assurant que les ajustements budgétaires soient réalisés avec mesure.
M. Jean-Gérard Paumier. - Une remarque sur le soutien de l'État aux investissements sportifs des communes, sur le rôle en la matière de l'ANS et des appels à projets. En Indre-et-Loire par exemple, un maire a engagé la rénovation d'un gymnase pour un montant de 1,3 million d'euros. Il a sollicité le préfet, dont il a obtenu 200 000 euros, et a répondu à un appel à projets de l'ANS, dont il a reçu 700 000 euros : le total ainsi réuni de 900 000 euros paraît élevé, surtout quand on connaît le plafond des aides de l'État pour les piscines qui, de mémoire, est fixé à 450 000 euros. Il me semblerait souhaitable de reconcentrer les crédits vers le ministère ou vers les préfets. On pourrait peut-être faire mieux à budget constant.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Je vous remercie pour cette rare unanimité.
Il me semble que l'élément le plus regrettable dans la situation actuelle tient à l'abandon de la grande loi d'héritage olympique, dont on nous parlait depuis près de sept ans et avec insistance au cours des trois dernières années. Devant notre commission, le ministre chargé des sports n'évoque désormais plus une loi, mais un plan d'animation jeunesse dans lequel, sans doute, le sport sera complètement noyé.
Par ailleurs, les répercussions seront dès 2025 redoutables au sein des collectivités territoriales. Le fonds vert, par exemple, chute de 2,5 milliards à 1 milliard d'euros et son règlement d'intervention voit disparaître sa partie spécifique aux équipements sportifs.
Enfin, nous avions placé beaucoup d'espoir dans le Pass'Sport, mais cela faisait plusieurs années que nous en demandions un réexamen car il ne consistait guère qu'en une aide à la prise de licence. Ce réexamen n'est pas intervenu et nous en sommes arrivés à la situation que nous redoutions.
Je vous propose un amendement qui s'inscrit à la suite de la décision de la commission des finances de supprimer le SNU. Sur les 100 millions d'euros ainsi rendus disponibles, je vous propose d'en flécher 50 millions vers le programme « Sport », dont 40 millions afin de poursuivre l'investissement dans les équipements structurants traditionnels - essentiellement les piscines, les gymnases et les stades - et 10 millions en vue de poursuivre l'effort engagé l'an dernier en faveur des emplois socio-sportifs et la formation des bénévoles et éducateurs sportifs, dont nous avons tant besoin pour développer l'activité physique quotidienne (APQ) et l'activité physique adaptée (APA).
M. Michel Savin. - Notre groupe politique a déposé un amendement sur la première partie du PLF, relatif au déplafonnement de la taxe sur les paris sportifs. Il nous semble préférable de nous mobiliser d'abord pour mener collectivement ce combat. Si notre amendement n'est pas adopté, nous envisagerons d'autres affectations budgétaires, notamment au sein de la mission Sport, jeunesse et vie associative. À ce stade, notre avis est défavorable à l'amendement du rapporteur.
L'amendement CULT.1 n'est pas adopté.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs au sport de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2025.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à la jeunesse et à la vie associative - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent les crédits relatifs à la jeunesse et à la vie associative.
M. Yan Chantrel, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la jeunesse et à la vie associative. - Le programme 163 « Jeunesse et vie associative » est doté de 937 millions d'euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Les crédits connaissent une augmentation de 36 millions d'euros, soit plus de 4 % par rapport à l'année dernière. Cette hausse s'avère cependant en trompe-l'oeil, car elle est très majoritairement absorbée par la reconstitution de la trésorerie de l'Agence du service civique (ASC). Elle dissimule en réalité une diminution des crédits de chacune des autres actions du programme.
Les crédits à destination de l'Agence augmentent de plus de 15 %. Depuis 2022, l'écart entre les recettes et les dépenses est financé par une mobilisation importante de la trésorerie accumulée au moment du plan de relance. Or celle-ci va atteindre le seuil critique des 5 millions d'euros à la fin du mois de décembre prochain. L'augmentation de 81,2 millions d'euros des crédits en faveur de la mise en oeuvre du service civique n'est donc pas destinée à permettre la montée en charge du dispositif. Elle maintient simplement le nombre de missions financées à 150 000 par an, tout en ramenant la trésorerie de l'Agence à un niveau prudentiel satisfaisant.
À l'inverse, les crédits consacrés au service national universel (SNU) diminuent fortement, pour la première fois depuis son lancement. Le PLF pour 2025 porte les crédits consacrés à sa mise en oeuvre à 128,3 millions d'euros. C'est une baisse de près de 32 millions d'euros par rapport à l'année dernière. Ce montant doit néanmoins permettre de financer 66 000 séjours. Je me réjouis de la diminution des crédits destinés à ce dispositif coûteux et inopérant. Dans un contexte de restrictions budgétaires particulièrement prégnant, je m'interroge d'autant plus sur l'entêtement du Gouvernement à vouloir malgré tout maintenir le SNU. J'y reviendrai.
En ce qui concerne les crédits relatifs à la vie associative, la dotation du compte d'engagement est réajustée pour l'adapter à sa consommation réelle. Par ailleurs, le déploiement du réseau Guid'Asso se poursuit, alors que la généralisation du dispositif est prévue pour la fin 2025 : 800 000 euros supplémentaires sont inscrits au PLF en vue de parachever le déploiement de ce réseau sur l'ensemble du territoire. Au cours des auditions qui ont été menées, les acteurs du monde associatif se sont montrés unanimement très satisfaits par l'efficacité de ce réseau.
Les crédits en faveur de la vie associative sont en baisse de 4,1 %. J'attire votre attention sur la situation financière du secteur. Un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le renforcement du financement des associations indique que les subventions de fonctionnement ont tendance à être remplacées par des appels à projets, le plus souvent de courte durée. En quinze ans, les associations ont vu la part des subventions dans leurs ressources diminuer de 41 %. En parallèle, la commande publique représentait 17 % des ressources des associations en 2005 ; cette part est passée à 29 % en 2023.
Pour faire face à la baisse des subventions, les associations sont contraintes d'adopter d'autres stratégies. Or toutes n'ont pas les moyens ou les compétences pour répondre à des marchés publics et doivent parfois renoncer à certains projets. Ces transformations du modèle de financement des associations s'avèrent très préoccupantes à long terme, alors que l'inflation continue de frapper durement le secteur.
Comme l'année dernière, j'attire également votre attention sur la nécessité de revaloriser au plus vite le montant des postes Fonjep (fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire), qui n'a connu aucune revalorisation depuis leur mise en place en 2011. Aujourd'hui, son montant ne représente plus que 10 % à 15 % du coût global d'un salarié correctement rémunéré, portant indéniablement atteinte à l'efficacité du dispositif. La subvention annuelle pourrait être portée à 10 000 euros ; pour rappel, c'est le montant des postes Fonjep revalorisé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour la période 2024-2026.
J'en reviens maintenant au SNU. Pour la première fois depuis son lancement, la cible de jeunes pour l'année à venir est en baisse, tout comme les crédits accordés au dispositif au sein du PLF. Dans son rapport de septembre dernier, la Cour des comptes estime que le coût d'une potentielle généralisation s'élèverait, pour les trois phases, non à 2,5 milliards d'euros comme l'évalue le ministère, mais plutôt entre 3,5 milliards et 5 milliards d'euros.
L'addition finale sera encore plus salée : cette estimation ne tient pas compte des coûts d'investissement à venir dans les centres d'hébergement, des éventuels surcoûts liés au changement d'échelle, ainsi que des financements portés par les autres acteurs publics.
Par ailleurs, les séjours mis en oeuvre sur le temps scolaire en 2024 n'ont pas été un franc succès. L'objectif de 21 000 élèves participant aux séjours de cohésion au premier semestre n'a pas été atteint : seulement 12 128 jeunes ont effectué la première phase du SNU.
Ces séjours avaient pour ambition de répondre à deux faiblesses constatées depuis la création des séjours de cohésion : le fort taux de désistement des jeunes avant le début du séjour, mais également le manque de mixité sociale parmi les participants. Or force est de constater que, là encore, les résultats sont très décevants : seulement 6,4 % des jeunes ayant participé à un tel séjour au premier semestre étaient issus d'un quartier prioritaire de la ville, contre 8 % des 15-17 ans à l'échelle nationale.
Plus encore, les séjours organisés sur le temps scolaire font état d'un nombre de désistements très important « au pied du bus ». Celui-ci est de 22 %, un taux deux fois supérieur à celui constaté lors des séjours classiques, organisés en dehors du temps scolaire en 2024.
C'est pour toutes ces raisons, comme l'évoquait à l'instant Jean-Jacques Lozach, que nous vous avons proposé un amendement visant à supprimer la majeure partie des crédits consacrés au développement du SNU, en lien avec l'amendement adopté par la commission des finances, et à transférer une partie de ces crédits au programme Sport.
J'ai une conviction, partagée par mon groupe : le service civique doit devenir le pilier des politiques en faveur des jeunes. Il s'agit d'un dispositif qui fonctionne : en 2023, 148 500 jeunes ont effectué un service civique, soit plus de quatre fois plus qu'en 2014.
Au cours de son audition, la directrice de l'ASC nous a indiqué que, face à l'ampleur de la demande, l'objectif de 150 000 jeunes aurait pu être facilement dépassé ; elle a malheureusement dû limiter les recrutements de fin d'année par manque de missions financées. C'est un signe clair du succès du dispositif.
Le service civique est un outil modulable, en prise avec les enjeux actuels. Prenant acte de la mobilisation et de l'engouement des jeunes pour les questions environnementales, le Gouvernement avait annoncé en janvier 2024 l'objectif de proposer d'ici à 2027 à 50 000 jeunes, en cumulé, de s'engager concrètement pour le climat dans le cadre d'un « service civique écologique ». Pour 2024, l'objectif de 6 600 volontaires sera largement atteint. Je regrette toutefois que le recrutement de ces 50 000 volontaires se fasse à budget constant, sans enveloppe supplémentaire.
Face à la hausse de la demande et au succès rencontré par le service civique, l'Agence doit plus que jamais être soutenue pour permettre sa montée en charge.
Pour terminer mon propos, je souhaiterais aborder les problématiques liées à la mobilité européenne et internationale des jeunes.
La crise sanitaire a fortement freiné la mobilité internationale : selon les données de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), un tiers des jeunes interrogés en 2021 disait avoir dû renoncer à un projet de mobilité. À peine 17 % des 25-30 ans interrogés déclaraient avoir déjà passé au moins six mois dans un pays européen. Ce niveau est encore trop éloigné de l'objectif d'une moitié d'une classe d'âge fixé par le Gouvernement pour 2024.
Certes, en 2022, une reprise de la mobilité a été constatée. Ainsi, 44 % des jeunes entre 18 et 30 ans ont effectué un séjour à l'étranger, soit une augmentation de treize points depuis 2016. Mais cette hausse doit être nuancée : elle est en grande partie liée au report en 2021 des séjours annulés en 2020 en raison du covid.
La démocratisation de la mobilité doit figurer parmi les priorités des politiques en faveur de la jeunesse dans les années à venir. L'accès à l'information constitue un enjeu majeur : un jeune sur deux considère ne pas être suffisamment informé sur les opportunités de séjour à l'étranger.
Dans cette perspective, le programme 163 est doté de 18,8 millions d'euros pour favoriser les échanges internationaux des jeunes. L'ASC participe elle-même activement aux programmes de mobilité à l'échelle européenne, au travers de la mise en oeuvre du volet jeunesse et sport d'Erasmus+. Celui-ci permet aux jeunes de 13 à 30 ans de participer à des échanges de courte durée avec d'autres jeunes de l'Union européenne depuis 2016.
L'Agence met également en oeuvre le corps européen de solidarité (CES) qui permet aux jeunes de 18 à 30 ans de partir en volontariat dans un pays européen ou voisin de l'Europe, pour une durée de deux semaines à un an.
Toutefois, les crédits versés par l'État pour la mise en oeuvre des programmes européens n'ont pas été réévalués depuis dix ans. Or le budget du corps européen de solidarité ne permet plus de répondre aux besoins de l'écosystème du volontariat. À titre d'exemple, les structures françaises labellisées CES ont formulé en 2023 des demandes de subventions à hauteur de 16,2 millions d'euros pour organiser des mobilités, alors que le budget disponible n'était que de 9,1 millions d'euros.
Alors que les discussions budgétaires européennes s'ouvrent pour la période 2028-2034, il est essentiel d'accompagner davantage l'Agence dans le financement des programmes du corps européen de solidarité, afin de permettre à l'ensemble des jeunes qui le souhaitent d'effectuer des séjours longs à l'international dans un cadre sécurisé.
Je souhaiterais également souligner le dynamisme des offices de coopération bilatéraux - qu'il s'agisse de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) ou de l'Office franco-québécois pour la jeunesse - qui proposent également une variété de programmes de mobilité à destination des jeunes.
Comme dans d'autres domaines, la pandémie de covid a fortement affecté les échanges en personne. Aujourd'hui, la trésorerie de l'Ofaj s'épuise. Il me paraît essentiel de revaloriser au plus vite la dotation qui lui est octroyée, pour lui permettre de poursuivre le développement de ses programmes.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, en cohérence avec l'avis que nous venons d'adopter, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits du programme 163.
M. Cédric Vial. - Le programme « Jeunesse et vie associative », doté d'un peu moins de 1 milliard d'euros, n'est que la partie émergée des crédits d'intervention en direction de la jeunesse. Nous soutiendrons la proposition du rapporteur d'émettre un avis défavorable sur ces crédits, même si ce n'est pas pour les mêmes raisons.
Nous faisons aujourd'hui le constat de l'échec du SNU, qui partait d'une idée intéressante, et dont les objectifs étaient louables. Il est impossible de le généraliser au vu de son coût très important : le budget doit être revu pour procéder à une extinction de ce dispositif, qu'il faudra réinventer.
Pour le rapporteur, l'accent doit être mis sur le service civique, qui est une réussite. Néanmoins, on peut s'interroger sur ses modalités de mise en oeuvre. On affiche un objectif de 150 000 jeunes pour 2025 - le même qu'en 2024 ou 2023, mais il faut savoir que les chiffres sont biaisés. En 2024, il y a eu en réalité 89 000 nouveaux contrats, car sont également pris en compte les jeunes qui ont signé leurs contrats à la fin de 2023 mais qui n'avaient pas fini leur mission au début de cette année. On se glorifie de chiffres fallacieux...
Par ailleurs, pour le même objectif de 150 000 jeunes l'année prochaine, on augmente le budget de 83 millions d'euros afin, soi-disant, de reconstituer une trésorerie qui aurait disparu. Mais où est-elle passée ? Le gel budgétaire de 71 millions d'euros par Bercy aurait été un peu trop important cette année. C'est en fait un emprunt déguisé : Bercy supprime cette somme en 2024 et la reporte sur le budget 2025... Ce n'est pas une bonne façon de gérer l'argent public ! D'autant que nous n'avons aucune lisibilité sur les fonds qui ont été prélevés.
Ainsi, pendant le covid, des fonds avaient été versés pour des objectifs qui n'ont pas été atteints ; idem dans le plan de relance. Nous avions réclamé ces fonds aux différents ministres du budget qui se sont succédé. La présidente de l'ASC, lors de son audition, a évoqué le fait qu'une partie d'entre eux servait à financer des politiques d'autres ministères. Je serais curieux de savoir où est passé cet argent... Pourquoi devons-nous aujourd'hui prévoir plus de 80 millions d'euros pour mener une politique identique à celle des années précédentes, dans le contexte budgétaire que l'on connaît ?
J'en viens au service civique écologique. L'environnement faisait déjà partie des objectifs du service civique. À budget constant, qu'est-ce que cela signifie ? On fait comme avant, mais on communique davantage : pour faire la promotion du service civique écologique, 3,2 millions d'euros sont ainsi affectés à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et 1 000 postes d'ambassadeurs sont créés. Tout cela est quelque peu dérisoire !
On constate un manque de transparence concernant la gestion des fonds du service civique : or, on parle tout de même de 600 millions d'euros ! Peut-on dire, vu la situation budgétaire, que ce budget augmenté de près de 100 millions d'euros par rapport à l'année précédente, alors que - je le redis - l'objectif est le même, est justifié ?
Pour résumer, il faudrait récupérer une enveloppe de 100 millions d'euros sur le SNU et une enveloppe d'un montant presque équivalent sur le service civique. Nous suivrons donc l'avis défavorable du rapporteur, tout en nous réservant la possibilité, en fonction des amendements qui pourront être votés en séance, de changer notre avis final.
Mme Colombe Brossel. - Je tiens à remercier Yan Chantrel pour le travail qu'il a effectué et les auditions qu'il a menées, lesquelles étaient de grande qualité. Je me réjouis de sa proposition d'acter, de fait, la fin du SNU, qui n'a pas de sens et ne repose sur rien. Les sénateurs socialistes avaient souligné depuis longtemps cette forme d'absurdité et d'entêtement à maintenir un tel dispositif, surtout dans une période où nous devons poser un diagnostic lucide sur l'état des finances de la Nation et nos priorités.
Patrick Kanner évoquera les éléments concernant la jeunesse. Pour ma part, je voudrais m'arrêter sur la vie associative. Cédric Vial l'a dit, nous n'examinons qu'une toute petite partie du budget des associations de notre pays. C'est pour cela que ce projet de budget est inquiétant, car on pourrait s'arrêter aux chiffres, mais les associations, ce n'est pas seulement le programme 163 ! On relève des baisses des crédits dans les domaines du sport, de l'aide numérique - elle est pourtant importante dans les territoires relevant de la politique de la ville ou dans les territoires ruraux -, de l'intégration, de l'économie sociale et solidaire (ESS), du fonds vert... Bref, l'avenir est assez morose pour les acteurs associatifs de notre pays, comme ils l'ont relevé lors des auditions. Nous suivrons donc l'avis du rapporteur.
On ne peut pas se contenter en 2024 de continuer à dire que la situation n'est pas satisfaisante s'agissant du montant des postes Fonjep - je pense à la subvention de 7 000 euros non revalorisée depuis 2011 -, et ne rien faire. Nous sommes collectivement responsables, et pas seulement le ministère. Nous allons tuer un dispositif fondamental pour les associations. Les demandes portées par le mouvement associatif ne sont pas déraisonnables.
Je veux aussi évoquer les crédits consacrés à la formation. Nous avons adopté une proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative, alors même que nous avions, les uns et les autres, des points de vue différents sur le sujet. Mais rien n'est fait pour soutenir la formation de ces bénévoles, qui représente aujourd'hui, en moyenne, 50 centimes d'euro par bénévole. Nous allons pourtant être confrontés à un problème de gouvernance associative : sans soutien pour la formation, nous n'aurons que nos yeux pour pleurer quand les associations continueront à avoir des bénévoles- car les Français sont comme cela -, mais n'auront plus ni trésorier, ni secrétaire, ni président. Cet effort n'exige pas des sommes colossales : ce n'est pas cela qui mettra en péril le budget de la Nation.
Un point de satisfaction : le mentorat, un bon dispositif qui est toujours soutenu.
Je conclurai en disant qu'il manque beaucoup de choses dans ce petit budget, dont la mauvaise appréciation par le ministère peut avoir des conséquences extrêmement fortes dans nos territoires.
Mme Mathilde Ollivier. - Merci à Yan Chantrel pour cet avis, que nous suivrons. Je tiens à mentionner - même si ce point ne relève pas de cette mission - la réduction des crédits consacrés à l'ESS de 25 %, qui aura un impact sur l'emploi associatif.
L'une des autres raisons de notre avis défavorable tient au constat partagé de l'échec du SNU et de la nécessité d'abandonner ce dispositif. J'ajoute d'ailleurs aux remarques précédentes que les stages liés au SNU entrent en concurrence avec les recrutements d'animateurs de colonies et de centres de vacances - le problème est le même pour l'occupation desdits centres.
Quant au service civique, je partage pour une fois une partie des constats dressés par Cédric Vial. Je suis très favorable au maintien du budget alloué à ce dispositif, qui favorise l'engagement des jeunes dans la vie associative, ainsi qu'un engagement citoyen et solidaire, dans une démarche d'éducation populaire.
En revanche, j'alerte sur le niveau d'indemnisation du service civique, qu'il conviendra de revaloriser si nous souhaitons soutenir ce dispositif.
Enfin, le service civique écologique semble s'apparenter à une forme de greenwashing de la part du Gouvernement : un véritable investissement serait préférable à des opérations de communication ou de « verdissement ».
M. Pierre Ouzoulias. - J'aimerais comprendre les causes de l'échec du SNU, malgré les rallonges budgétaires à répétition qui étaient censées déboucher sur une extension dont nous connaissions pourtant le caractère illusoire. Cette démarche ne manque pas d'évoquer les Shadoks : on ne sait pourquoi on pompe, mais il faut continuer, car la situation pourrait s'aggraver si on arrête de pomper... Il me semble désormais raisonnable d'adopter une logique de Gibis et de dire au Gouvernement qu'il est temps d'arrêter, l'acharnement thérapeutique ne fonctionnant pas en la matière.
N'étant guère familier de cette mission, j'avoue me perdre dans la myriade de dispositifs qu'elle porte et dans la façon dont ils s'intègrent dans d'autres politiques de la jeunesse ou de l'éducation : on a l'impression de faire face à un saupoudrage sans cohérence ni projet politique.
En tant qu'élu de terrain, il me semble que tous les acteurs s'accordent pour souligner les très grandes difficultés des associations à mobiliser des bénévoles, alors qu'elles sont essentielles pour la cohésion sociale. Les causes de ce phénomène sont bien évidemment liées à une forme d'individualisme, mais elles ne s'y résument pas.
La commission de la culture gagnerait donc à prendre du recul et à analyser la logique d'un système qui a fonctionné par stratification, car on ne comprend plus la raison d'être de ses différentes couches.
Sur le fond, nous suivrons l'avis du rapporteur.
Mme Laure Darcos. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour son avis, que notre groupe suivra. Deux éléments me semblent inquiétants, à commencer par une baisse des dotations aux associations, laquelle s'ajoute aux réductions - voire aux annulations - que sont contraintes de décider les collectivités.
S'agissant du SNU, je regrette un déficit de mixité sociale, les jeunes impliqués étant souvent des enfants de pompiers, de médecins, d'élus ou de parents ayant pratiqué le scoutisme. Il aurait fallu rendre le SNU obligatoire pour assurer cette mixité sociale, mais le coût aurait alors été bien supérieur.
J'ai surtout un regret : pourquoi avoir décidé d'envoyer ces jeunes en dehors de leur département ou de leur région ? Nous avons ainsi accueilli en Essonne des jeunes du Grand Est, ce qui ne présentait aucun intérêt, d'autant que ce choix a dû nettement augmenter les coûts.
Enfin, je ne suis pas opposée à la réallocation des crédits correspondants au service civique, sa superposition avec le SNU étant liée à la volonté de chaque président de la République de laisser sa marque. Il faudra cependant débattre des contours d'un modèle unique, afin d'éviter d'exploiter des jeunes dans des collectivités qui auraient besoin d'un stagiaire pour apporter le café.
M. Claude Kern. - Je tiens à féliciter le rapporteur pour son excellent travail. Un examen sommaire du budget laisse apparaître une hausse de 36 millions d'euros, bienvenue dans la mesure où l'enjeu consiste à rénover en profondeur et à revaloriser l'enseignement moral et civique, dans le but de développer de manière pérenne le sens de la citoyenneté et le goût de l'engagement. De la même manière, la préservation des dispositifs des volontaires du service civique et des volontaires du mentorat est à saluer.
Pour ce qui est du SNU, la généralisation n'est clairement plus à l'ordre du jour et nous pensons qu'il est grand temps d'envisager de mettre un terme à l'expérience, afin de réaffecter les fonds, par exemple, à l'amélioration de l'insertion professionnelle des jeunes.
Enfin, les associations emploient 1,8 million de salariés et près de 15 millions de bénévoles qui font vivre les valeurs d'engagement, de citoyenneté et de solidarité, et il est primordial de maintenir une dynamique de soutien en leur faveur. Le ministre nous avait d'ailleurs assuré qu'il s'agissait d'une priorité, mais force est de constater que ce budget est en baisse de 3,9 %.
Nous ne pouvons pas nous en tenir à ce constat : il serait nécessaire de mobiliser différents outils en capitalisant sur le formidable élan qu'ont déclenché les jeux Olympiques et Paralympiques en matière de volontariat et de bénévolat, et d'accompagner cette dynamique visant à susciter l'engagement tout en sécurisant le financement de la vie associative.
Pour toutes ces raisons, nous suivrons l'avis du rapporteur.
M. Patrick Kanner. - Le SNU n'est ni national ni universel. Il est également inutile, l'obstination à le maintenir ne pouvant perdurer alors que nous avons besoin de ressources pour d'autres politiques, et notamment pour le service civique.
Cédric Vial a évoqué non pas ses réserves, mais ses attentes par rapport à ce dispositif. En réalité, si on y consacrait les moyens nécessaires en termes de communication et d'ouverture de nouveaux services, notamment en reprenant la proposition de loi visant à renforcer le service civique votée à l'unanimité par cette assemblée, je vous assure que nous pourrions atteindre 200 000 jeunes - voire plus - insérés dans ce dispositif.
Tous s'accordent à dire qu'il s'agit d'une politique vertueuse, car elle est à la fois utile aux jeunes et aux collectivités ou associations qui bénéficient de ce renfort. La rémunération reste insuffisante, je le concède, mais le service civique ouvre le droit à la protection sociale.
Imaginée par un gouvernement de droite et soutenue par Martin Hirsch, cette politique avait permis d'atteindre 10 000 services civiques lorsque j'ai repris le dossier ; nous avons ensuite atteint un flux de 130 000 services civiques à la fin du quinquennat de François Hollande. S'il a été préservé par les gouvernements successifs, le dispositif n'a néanmoins plus été une priorité, et notamment pas pour Gabriel Attal, qui voulait absolument mettre en oeuvre l'engagement du président de la République consistant à faire basculer une génération entière vers le SNU.
Par ailleurs, le Fonjep, outil majeur, est maltraité, tout comme le compte d'engagement citoyen (CEC), dont le budget est amputé de 70 % alors qu'il s'agit d'un élément clé de reconnaissance des activités bénévoles.
En conclusion, mes chers collègues, j'espère que nous n'aurons pas à rétablir le service militaire obligatoire suspendu par Jacques Chirac en octobre 1997 pour des raisons extérieures à notre volonté.
M. Jean-Gérard Paumier. - Ce rapport me fournit l'occasion de rappeler que le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) ne redistribue que 50 % du montant des anciennes réserves parlementaires, qui s'élevait à 148 millions d'euros, dont 90 millions d'euros pour l'Assemblée nationale et 58 millions d'euros pour le Sénat.
Dans mon département, nous n'avons ainsi distribué que 800 000 euros contre environ 1,4 million d'euros précédemment, avec un saupoudrage qui a bien moins d'effet de levier sur les projets aidés que la précédente réserve parlementaire.
M. Yan Chantrel, rapporteur pour avis. - Les convergences sont nombreuses, notamment sur le SNU. Concernant le service civique, je tiens à rappeler que 536 millions d'euros sont alloués au paiement des indemnités des jeunes engagés, ainsi qu'à leur protection sociale et à l'aide aux organismes d'accueil.
Si le plan de relance avait porté la trésorerie de l'Agence du service civique à 327 millions d'euros en 2022 par une hausse très significative de sa dotation, cette trésorerie n'a pas été uniquement utilisée pour le service civique dans la mesure où l'État a procédé à des ponctions régulières dans le cadre de redéploiements budgétaires.
Mis en place par le président Nicolas Sarkozy, le service civique permet de répondre en partie aux difficultés que rencontrent les jeunes pour s'insérer sur le marché de l'emploi, en particulier dans le contexte économique que nous connaissons. Il s'agit en effet d'un outil très utile pour leur permettre de disposer de la première expérience qui leur fait souvent défaut.
Par ailleurs, je précise que je n'ai pas proposé, en tant que rapporteur, de redéployer les 100 millions d'euros dédiés au SNU vers le service civique : en cohérence avec l'amendement - que j'ai cosigné - proposé par le rapporteur précédent, Jean-Jacques Lozach, il est question de redéployer la moitié de ces crédits vers le programme « Sport ». Conscients de la nécessité de résorber le déficit public, nous proposons donc de ne réaffecter qu'une partie des crédits qui seraient dégagés par la suppression du SNU.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 163 « Jeunesse et vie associative » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2025.
La réunion est close à 17 h 55.
Mercredi 27 novembre 2024
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à la création, à la transmission et à la démocratisation de la culture - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de notre collègue Karine Daniel sur les crédits consacrés à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des crédits de la création, de la transmission et de la démocratisation de la culture. - Les deux programmes de la mission « Culture » dont j'ai la charge, le programme « Création » et le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » voient, en 2025, leur dotation budgétaire respective reconduite à un niveau proche de celui de 2024 : 1,04 milliard d'euros pour le premier, 807,5 millions d'euros pour le second.
Ce statu quo budgétaire a été accueilli avec un certain soulagement par les acteurs de la culture qui redoutaient, après la coupe de 96 millions d'euros en début d'année dans le programme « Création », une « seconde lame budgétaire » à l'automne. Ce soulagement a cependant vite été balayé par l'annonce d'une ponction sur les recettes des collectivités territoriales, au titre de leur participation à l'effort budgétaire national. Or, comme vous le savez, les collectivités sont aujourd'hui les premiers financeurs des politiques culturelles. Pour le seul secteur de la création, le financement provient aux trois quarts des collectivités et à un quart seulement de l'État.
Lors de son audition, la direction générale de la création artistique (DGCA) a elle-même reconnu que la stabilité budgétaire du programme « Création » a été construite sur une hypothèse de participation stable, au pire légèrement en baisse, des collectivités territoriales. Ce scénario n'est plus d'actualité avec le coup de rabot dans leurs recettes. Celui-ci va en effet avoir des répercussions en cascade sur l'ensemble des collectivités qui seront tentées ou contraintes de se recentrer sur leurs compétences obligatoires. Il faut donc s'attendre, dans les territoires, à des baisses ou des suppressions de subventions aux acteurs culturels, des retraits de participation à des projets culturels locaux, des désengagements financiers d'équipements structurants, des renoncements à investir, avec, pour conséquences, la fermeture de lieux, l'annulation d'évènements, la disparition d'associations et de compagnies, la suppression d'emplois.
D'ores et déjà, des collectivités de toute taille ont annoncé leur moindre engagement en faveur de la culture. Comment ne pas citer un exemple que je connais bien, celui de la région Pays de la Loire, où les coupes s'élèveraient à 73 % du budget, avec des effets catastrophiques sur l'ensemble du secteur. Je pense aussi au département du Nord, qui a indiqué ne plus être en mesure de financer le dispositif Collège au cinéma. En audition, notre collègue Laure Darcos a également mentionné le cas de son département, l'Essonne, qui ne serait plus en capacité de financer le festival « Essonne en scène ». Les exemples se multiplient au fur et à mesure de l'examen du budget des collectivités, et certaines d'entre elles ont décidé de décaler leur vote.
Même si, à ce stade, aucune évaluation précise de cette tendance n'est disponible - la DGCA m'a dit y travailler -, tous les signaux émanant du terrain sont au rouge, comme nous l'ont confirmé les représentants des collectivités territoriales que nous avons entendus. Ces défections annoncées à tous les niveaux ébranlent l'ensemble de l'édifice de la compétence culturelle partagée, aussi bien dans sa dimension financière qu'institutionnelle. Ce sont tous les pans des politiques publiques culturelles - création artistique, enseignement supérieur artistique, éducation artistique et culturelle - qui sont menacés et, plus largement, la place de la culture dans la société qui est remise en question. Je crois que nous atteignons là un point de rupture qui doit collectivement nous conduire à nous interroger.
Un tel choc sur le service public culturel viendrait s'ajouter à ceux qu'il a successivement subis ces dernières années. Après l'épisode sanitaire, le contexte inflationniste a plongé le secteur de la création dans une grave crise financière devenue systémique. Comme la DGCA l'a elle-même reconnu, le niveau des subventions publiques ne permet pas de compenser la hausse des charges du secteur. Fin 2023, 45 % des structures labellisées étaient en déficit, et cette situation s'est dégradée en 2024.
Face à la détérioration de leurs finances, les établissements sont contraints de redimensionner leur programmation à la baisse - au cours de la saison 2023-2024, plus d'un spectacle sur quatre a été supprimé -, mettant à mal leurs missions en faveur de la diversité de l'offre artistique et de la démocratisation de la culture. Cette contraction de l'activité programmatique a aussi des répercussions sur l'emploi artistique et technique, marqué par une importante vague de départs et de nombreuses suppressions de postes.
Dans la nouvelle configuration budgétaire qui s'annonce, les collectivités ne seront plus en capacité d'amortir cet enchaînement récessif par des aides exceptionnelles.
Au regard de cet état des lieux très sombre, je vous présenterai tout à l'heure un amendement visant à réabonder le secteur de la création à hauteur de 50 millions d'euros. Pour financer cette revalorisation, je propose de réduire d'autant la dotation à la part individuelle du pass Culture. C'est d'ailleurs l'une des recommandations du rapport d'information de nos collègues Else Joseph, Sylvie Robert et Monique de Marco sur l'évaluation du volet « création » de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).
Ce cadre budgétaire général posé, je souhaite à présent vous faire part de plusieurs éléments d'analyse sur le secteur de la création.
Le premier concerne l'action menée par le ministère ces dernières années. Celle-ci a surtout consisté en un lancement successif de programmes, de plans, d'outils spécifiques. Je ne remets pas en cause les constats qui ont précédé leur élaboration, ni les réflexions nécessaires qu'ils suscitent sur l'évolution du modèle économique du secteur. Mais je m'interroge sur la pertinence d'une telle approche fragmentée qui s'apparente plus à du saupoudrage de crédits qu'à une politique publique cohérente et structurante.
Je prendrai trois exemples.
Tout d'abord, le programme Mieux produire, mieux diffuser, qui a démarré cette année, poursuit un objectif louable : refonder le système de production et de diffusion en développant les coopérations et les mutualisations. Mais quid de son efficacité concrète ?
Malgré la communication du ministère sur le mode de financement « 1 euro État, 1 euro collectivités », cette première année s'est caractérisée par une mobilisation plus forte des collectivités que celle qui était attendue. Aux 8,7 millions d'euros accordés par l'État, les collectivités ont répondu par un effort de 12,5 millions d'euros, pour 254 structures bénéficiaires.
Pour ces dernières, le ministère prévoit de reconduire en 2025 sa participation à l'identique : en revanche, il n'y aura pas de nouveaux entrants dans le dispositif. Quant à la contribution des collectivités territoriales l'année prochaine, celle-ci sera diminuée. Il me semble qu'il aurait été de meilleure politique d'activer le levier des aides à la création artistique, en les conditionnant par exemple à des objectifs de nombre de représentations, de mutualisations, de soutenabilité écologique.
Ensuite, le plan Culture et ruralité, présenté en juillet dernier par la ministre, a le mérite de mettre un coup de projecteur sur les dynamiques culturelles à l'oeuvre dans les territoires ruraux, trop souvent reléguées au second plan. Je regrette cependant une certaine forme de condescendance à considérer la culture en milieu rural sous le prisme principal des « villages en fête ».
Lors des auditions, m'ont également été remontées plusieurs carences dans le démarrage du dispositif : l'insuffisante information des maires ruraux qui n'ont pas toujours connaissance de ses modalités ni même de son existence ; l'absence d'un véritable portage politique qui permettrait de rendre ce plan concrètement perceptible dans les territoires ; les incertitudes sur la capacité budgétaire des collectivités, notamment des départements, à en être des relais, par exemple sur le plan de l'ingénierie culturelle.
Enfin, le fonds d'innovation territoriale (FIT), lancé en 2022 pour soutenir des projets culturels innovants dans les territoires, et doté d'une enveloppe annuelle de 5 millions d'euros, a permis de financer entre 150 et 200 projets chaque année. Je note cependant de fortes disparités dans la répartition territoriale de ces crédits et le caractère peu innovant de certains projets soutenus. Comme l'année 2025 marquera la fin d'un premier cycle de trois ans pour le FIT, je crois nécessaire que ce dispositif fasse l'objet d'une évaluation complète.
Je terminerai ce volet en disant quelques mots sur la situation des festivals, à laquelle j'ai souhaité consacrer une table ronde. L'impact de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), qui avait suscité beaucoup d'inquiétudes, a finalement et heureusement été très limité : 98 % des festivals ont eu lieu comme prévu. Le vrai enjeu pour les festivals, c'est l'avenir de leur modèle économique et culturel.
À l'issue de l'édition 2024, 48 % d'entre eux étaient déficitaires, et ce malgré de bons, voire d'excellents taux de remplissage. Cela s'explique par une explosion de leurs coûts techniques, artistiques et relatifs à la sécurité. À ces contraintes budgétaires s'ajoutent celles qui sont liées aux aléas climatiques, à l'évolution des pratiques festivalières, à l'éco-responsabilité, autant de sujets qui appellent une réflexion de fond sur l'ensemble de la filière.
À la demande des organisations professionnelles, le ministère a accepté d'ouvrir une concertation, qui débutera en début d'année prochaine, ce qui est une très bonne chose. J'espère que les collectivités territoriales y seront associées, car elles sont les premiers partenaires des festivals.
J'en viens maintenant à l'enseignement supérieur artistique, qui voit ses crédits stabilisés l'année prochaine.
Pour rappel, le secteur avait fait l'objet de mesures d'aide d'urgence en 2023 et 2024, à la suite des mouvements de grève survenus d'abord dans les écoles nationales d'architecture, puis dans les écoles d'art territoriales. Si ces aides ont permis d'apporter un peu d'oxygène à ces écoles, leur ampleur ne suffit pas à leur redonner de réelles marges de manoeuvre budgétaires.
Le rapport Oudart chiffrait à 6 millions d'euros le besoin de réabondement des écoles d'art territoriales. À ce jour, elles n'ont reçu que 2 millions d'euros supplémentaires. Un plan global de réforme a été annoncé par la ministre en début d'année, mais celui-ci tarde à se concrétiser. Seule une cartographie de l'offre de formation en art sur le territoire est en cours et encore, dans deux régions seulement. La mission de diagnostic confiée à l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et à la DGCA pour objectiver la situation financière de ces écoles n'a, quant à elle, toujours pas été engagée.
Afin d'envoyer un signal fort en direction de ces établissements, je vous proposerai un amendement visant à leur accorder 1,6 million d'euros au titre de la compensation de l'exonération de leurs étudiants boursiers du paiement des frais d'inscription. Cette mesure vise à mettre fin à une inégalité de traitement entre étudiants, dénoncée depuis plusieurs années, mais jamais réglée - la ministre nous a répondu sur ce point lors de son audition.
Quant aux écoles nationales d'architecture, elles sont dans l'attente de la nouvelle stratégie nationale de l'architecture, qui devrait être présentée d'ici à la fin de l'année. J'appelle le ministère à les y intégrer pleinement et à profiter de cette occasion pour leur donner enfin un cap stratégique.
Je terminerai par un sujet qui fait couler beaucoup d'encre : la réforme du pass Culture, annoncée par la ministre début octobre.
Deux travaux d'évaluation récents, celui qui a été mené par deux de nos collègues de la commission des finances en 2023 et celui qui a été réalisé par l'Igac en 2024, dressent un même constat : la part individuelle du dispositif répond aux objectifs quantitatifs qui lui ont été assignés, mais sa capacité à réduire les inégalités d'accès à la culture chez les jeunes et à diversifier leurs pratiques culturelles n'est pas avérée. Autrement dit, le pass Culture apparaît comme une plateforme d'achats efficace, mais peine à atteindre ses objectifs de service public.
Sur le plan budgétaire, son volet individuel a capté une large part des augmentations de crédits du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont il représente désormais 25 %. Sa dotation pour l'année prochaine est, pour la première fois, stabilisée, à hauteur de 210,5 millions d'euros. Pour rappel, la part collective du pass Culture ne relève pas de ce programme, mais de la mission « Enseignement scolaire ».
Le projet de réforme entend, pour un coût maîtrisé, recentrer le dispositif sur ses objectifs initiaux.
Concernant la part individuelle, quatre évolutions sont à l'étude : premièrement, la réduction de son versement à deux tranches d'âge au lieu de quatre actuellement ; deuxièmement, la baisse du montant versé à 18 ans, de 300 euros à 200 ou 150 euros ; troisièmement, l'instauration d'un « coup de pouce » de 50 à 100 euros, soumis à condition de ressources ; quatrièmement, la création d'une enveloppe de 50 euros réservée à des pratiques culturelles de découverte.
Compte tenu de l'importance de l'enjeu, j'ai voulu organiser une table ronde réunissant l'ensemble des parties prenantes - jeunes usagers, représentants des secteurs professionnels, société anonyme simplifiée (SAS) pass Culture - pour recueillir leur réaction à ce projet de refonte.
De ces échanges très instructifs, je tire les constats suivants :
- le pass Culture, dans son volet individuel, repose sur le libre choix des jeunes, principe qu'il convient de préserver, même s'il n'exclut pas, bien au contraire, des mesures d'accompagnement par des tiers pour les guider dans leurs choix et susciter leur curiosité ;
- l'écart entre les montants du pass à 15, 16 et 17 ans et son montant à 18 ans est trop important : un lissage pourrait être envisagé, afin que les jeunes s'approprient progressivement l'outil ;
- l'option d'une modulation du montant en fonction des ressources est jugée intéressante, même si elle ne suffira pas à réduire les inégalités sociales d'accès à la culture ;
- l'option d'une enveloppe exclusivement dédiée à certaines pratiques culturelles n'est pas jugée pertinente : elle va à l'encontre du principe de la liberté de choix des jeunes et ne garantit pas à elle seule une diversification des pratiques ;
- le développement de la médiation culturelle est un préalable indispensable pour susciter l'intérêt des jeunes à s'ouvrir à de nouvelles pratiques : ce volet a été jusqu'à présent trop négligé ;
- s'agissant de la part collective du pass, la communication apparaît insuffisante et son usage au sein des établissements scolaires mériterait d'être mieux concerté avec les jeunes.
À ces appréciations, que je partage, j'ajouterai la nécessité de travailler le sujet de l'accès aux infrastructures culturelles pour les jeunes qui en sont les plus éloignés - notamment dans les territoires ruraux - et celui du continuum entre la part individuelle et la part collective.
Enfin, je crois indispensable de procéder à l'intégration de la SAS pass Culture sur la liste des opérateurs de l'État. Son coût de fonctionnement représente une somme non négligeable, de l'ordre de 30 millions d'euros, qui justifie un contrôle par la représentation nationale de l'évolution de son budget et de ses emplois.
Comme vous le savez, nos collègues de la commission des finances ont adopté un amendement visant à limiter le bénéfice de la part individuelle du pass Culture aux seuls élèves boursiers de l'éducation nationale, et à diminuer sa dotation à 125 millions d'euros. Ce ciblage du périmètre des bénéficiaires ne me paraît pas du tout pertinent : quid de l'émancipation culturelle des jeunes non scolarisés ou des jeunes non boursiers, mais éloignés géographiquement de l'offre culturelle ?
Quant au redimensionnement budgétaire proposé, il est complètement disproportionné. Il y a là, me semble-t-il, un manque de finesse dans l'analyse qui appellerait un autre positionnement de notre commission...
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits des programmes 131 et 361.
Mme Else Joseph. - Merci pour ce rapport que j'ai écouté avec attention, d'autant qu'il s'inscrit dans un contexte particulier.
S'agissant du programme « Création », nous nous réjouissons de l'augmentation - même légère - des crédits, qui concernent le spectacle vivant, les arts visuels, mais aussi le soutien à l'emploi et la restructuration des professions du ministère de la culture.
Le volet ruralité est abordé pour la première fois au travers du plan Culture et ruralité, annoncé en juillet dernier. On ne peut que s'en réjouir - mieux vaut tard que jamais ! Ce plan prévoit l'embauche occasionnelle d'artistes dans les communes de moins de 3 500 habitants, le renforcement de la mise à disposition d'un service d'emprunt d'oeuvres d'art à destination des zones rurales, ou l'appui à des festivals hors saison estivale.
Néanmoins, comme cela a été relevé à l'Assemblée nationale, on peut regretter le manque d'ambition des mesures en faveur de la création ou des publics éloignés. Comment accentuer ce soutien en zone rurale ? Comment faciliter le recrutement dans ces territoires et venir en aide aux scènes de musiques actuelles (Smac) ? À l'instar de la rapporteure, je constate un manque de connaissance du dispositif sur le terrain.
J'en viens au théâtre privé et au spectacle vivant.
La nécessité de relever le plafond de la taxe sur les spectacles d'art dramatique et de la taxe sur les spectacles de variétés avait déjà été soulevée. J'ai déposé des amendements en ce sens dans le présent projet de loi de finances (PLF). En outre, un récent rapport de l'Igac a pointé certaines difficultés concernant les aides de l'association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). Comment soutenir, dans un cadre transparent, tous les théâtres privés exclus du système actuel ? Comment réformer la gouvernance et l'organisation de l'ASTP ? En bref, comment aboutir à un soutien satisfaisant du théâtre et du spectacle vivant ? Et comment toucher l'ensemble des publics visés ?
Concernant le Centre national de la musique (CNM), l'actualité est dominée par la mise en place de la taxe streaming. Les recettes s'avèrent décevantes par rapport à ce qui avait été annoncé. Le sujet ayant déjà été abordé en commission ces dernières semaines, je ne reviendrai pas sur le bilan de cette taxe, ni sur la manière dont le CNM pourrait continuer à assurer sa mission de soutien à toutes les musiques. Cette année, nous avons constaté des recettes de billetterie importantes, mais des interrogations demeurent sur le financement de la filière.
Je souhaite également évoquer la situation des festivals. Les contraintes s'accentuent, notamment avec la hausse des coûts de l'énergie et les restrictions imposées aux collectivités territoriales en termes de sécurité. Les difficultés conjoncturelles liées, par exemple, à la crise sanitaire ou aux JOP, sont devenues structurelles. Aujourd'hui, c'est la pérennité du modèle économique des festivals qui est en jeu.
Concernant la transmission et la démocratisation des savoirs, la question de la réorientation du pass Culture est centrale. Les années précédentes, nous avions alerté sur le risque que ce dispositif fasse office de carnet de chèques, et nous nous étions interrogés sur les difficultés d'accès pour un certain public. Si les restrictions budgétaires imposent de nouvelles contraintes, elles apportent également une réponse à des extensions de périmètre discutables. Il est possible de préserver les atouts du pass Culture en réorientant celui-ci sur son coeur de cible. Dans le contexte budgétaire actuel, il pourrait jouer un rôle dans la transmission et la démocratisation des savoirs. La politique du chéquier ne résout pas les fractures culturelles, et il s'agit donc de faire évoluer, sans brutalité, ce dispositif. Pour rappel, l'Igac a indiqué que le pass Culture ne remplissait pas son rôle.
Sur l'enseignement supérieur artistique, je me réjouis du renforcement des crédits alloués aux 99 établissements concernés. Je souhaite cependant insister sur la situation des écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa). Les crédits, en augmentation cette année, seront maintenus l'année prochaine. Mais cela sera-t-il suffisant pour résoudre les difficultés financières rencontrées par ces écoles ?
En conclusion, nous suivrons l'avis favorable de la rapporteure sur l'adoption des crédits.
Mme Sonia de La Provôté. - Cette année s'avère exceptionnelle en raison à la fois du maintien des crédits du ministère et de la baisse drastique du budget des collectivités territoriales. Le ministère ne jouant pas son rôle d'orientation, de planification et d'accompagnement, les arbitrages au sein des collectivités territoriales auront des conséquences sur le financement des politiques culturelles.
Quelle est la feuille de route du ministère ? Quels sont les choix privilégiés en matière d'accès à la culture ou en matière de festivals ? Doit-on maintenir des structures partout dans les territoires ? La rapporteure soulignait les difficultés des structures publiques financées par les collectivités. Bien que territorialisées, les écoles d'art contribuent à la politique culturelle nationale et concernent le ministère. Le plan Culture et ruralité vient-il en soutien de l'existant ? Ou s'appuie-t-il sur de nouvelles propositions ?
La mise en place du pass Culture a bouleversé l'éducation artistique et culturelle (EAC). Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins. Se pose la question du modèle économique et des objectifs du pass Culture. La part individuelle ne sera opérationnelle que si la part collective a réussi sa mission d'accompagnement des jeunes.
Il s'agit de transformer le modèle économique et artistique de la culture. Le sujet du numérique n'est pas évoqué dans ce budget, alors qu'il bouleverse en profondeur le champ culturel. Nous devons relever le défi du maintien des droits culturels, en permettant l'accès à tous à la diversité culturelle, et anticiper les risques de concentration pour des raisons économiques.
Nous soutiendrons ce rapport qui, du point de vue de la politique menée par le ministère, s'avère de transition.
Mme Colombe Brossel. - Nous suivrons l'avis de la rapporteure concernant les crédits et les amendements proposés, notamment celui sur le pass Culture, dispositif qui ne fait pas une politique culturelle. En dépit de la stabilisation des budgets, nous avons parfois l'impression d'avoir affaire à un canard sans tête, avec des évolutions dans certains secteurs qui n'ont toujours pas été mises en oeuvre.
Pour autant, le monde bouge vite. J'en veux pour preuve nos échanges sur le modèle économique des festivals. Les questions, telles que les appréhende le ministère, se posaient ainsi il y a cinq ans ; elles ne correspondent plus à celles du jour ni à celles de demain. Il est heureux que s'engagent des concertations, mais on observe encore un écart entre la mise en place de politiques publiques et leur traduction budgétaire.
À l'examen de ce budget, domine une forme de déception ; et celle-ci semble partagée par les acteurs culturels. La baisse des crédits sur l'EAC passera sous les radars. L'État sera absent au début de la chaîne, et cela illustre l'absence de stratégie culturelle.
Mme Laure Darcos. - En raison de la baisse de leurs recettes, les départements sont contraints de couper dans leurs dépenses qui ne sont pas liées à des compétences obligatoires, et la culture, hélas, est toujours la première concernée.
Par exemple, un festival comme celui d'Essonne en scène, créé en 2019 dans le domaine de Chamarande, commençait à bien fonctionner ; l'année prochaine, si l'on coupe dans le budget culture du département, le festival se déplacera ailleurs. Avec la rapporteure, nous avons échangé sur les décisions effarantes prises par la présidente de la région des Pays de la Loire. On peut comprendre les soucis des collectivités, mais il est inadmissible de prendre des décisions aussi drastiques.
Les collectivités étant en difficulté, tout repose aujourd'hui sur les directions régionales des affaires culturelles (Drac). À la tête de la Drac d'Île-de-France, M. Roturier m'a dit être très inquiet. Ce n'est pas le moment de baisser leurs dotations, alors que nous avons besoin de la compétence de ces services déconcentrés.
Je me pose de nombreuses questions sur le pass Culture. En termes de fonctionnement, comme l'a précisé également la Cour des comptes, les intervenants sont nombreux, et cela devient une usine à gaz.
Les jeunes n'achètent pas seulement des mangas, ils s'ouvrent à la lecture d'autres ouvrages. Le dispositif leur permet également d'assister à des spectacles. Depuis l'origine, je défends la partie mutualisée, qu'il conviendrait de mieux structurer. Il s'agit de toucher les jeunes bien avant 18 ans. Par ailleurs, il m'apparaît dangereux et compliqué de cibler une strate sociale en particulier.
En conclusion, je suivrai l'avis de la rapporteure à la fois sur le budget et sur l'amendement portant sur le pass Culture.
M. Pierre Ouzoulias. - Chaque année, je dépose un amendement de suppression du pass Culture ; ce ne sera pas le cas cette année. Nous voterons l'amendement proposé, le dispositif ayant favorisé l'accès à la lecture. Selon les libraires, 10 % de leur chiffre d'affaires serait lié au pass Culture. Ces derniers voient arriver dans leur librairie des jeunes qui n'y avaient pas mis les pieds auparavant. Certes, ces jeunes peuvent acheter des mangas, mais un travail de médiation est réalisé par les libraires pour les ouvrir à d'autres univers.
Il s'agit de sortir de la doxa imposée par le Président de la République, qui a décidé de confier à des sociétés anonymes des missions relevant des services de l'État. Cela vaut pour le pass Culture comme pour d'autres dispositifs. Nous avons observé une efflorescence de sociétés anonymes, sur lesquelles le Parlement a un droit de regard limité. Il convient d'intégrer cette société dans la liste des opérateurs de l'État, afin que nous puissions retrouver toutes nos compétences de contrôle de son budget et de ses missions.
Par ailleurs, dans la guerre commerciale qui s'annonce avec les États-Unis, nous devons défendre notre modèle d'exception culturelle et, pour cela, présenter le pass Culture comme une aide à la médiation - et non à la consommation. Il s'agit de changer l'esprit du dispositif pour en faire un outil d'accompagnement.
Il convient également de territorialiser le pass Culture. Le plan Culture et ruralité semble intéressant. Mais les Drac, faute de moyens ou par manque d'intérêt pour la ruralité, éprouvent des difficultés à décliner les politiques nationales dans les territoires. Cette difficulté d'interaction entre les Drac et les territoires apparaît plus fortement encore dans les régions fusionnées. Il s'avère ainsi compliqué de mener une politique territoriale dans des régions comme le Grand Est ou la Nouvelle-Aquitaine, où les relais territoriaux sont faibles. En 2016, l'Igac avait rendu un rapport sur le sujet, en demandant la mise en place de conseillers territoriaux afin d'aider les préfets et les maires ; ce dispositif n'a pas été mis en place.
L'action culturelle de notre pays est portée à 75 % par les collectivités. On a le sentiment que les Drac s'échinent à vouloir conduire des politiques qu'elles ne financent plus ou de moins en moins. Et l'on observe des confrontations parfois brutales avec les collectivités qui ne sont plus admissibles. Les Drac doivent accompagner les politiques financées par les collectivités ; un changement de culture est nécessaire.
Nous suivrons la rapporteure, en souhaitant que s'engage une réflexion de fond sur la relation entre le ministère de la culture et les collectivités.
Mme Monique de Marco. - Dans son propos introductif, la rapporteure a dépeint un avenir peu radieux, lié aux conséquences de la baisse des dotations allouées aux collectivités territoriales.
Dans le projet de loi de finances, le budget de la mission « Culture » reconduit le projet négocié par la précédente ministre de la culture, Mme Abdul-Malak, sans que l'actuelle ministre, Mme Dati, n'ait réussi à imprimer des priorités majeures. Si la coupe globale de 204 millions d'euros, initiée par décret en février dernier, n'a hélas ! pas été reconduite, l'absence de prise en compte de l'inflation prévisionnelle pour 2025 entraîne une perte de 74 millions d'euros pour le budget de la culture.
Le plan Culture et ruralité, lancé en juillet dernier, constitue la seule réelle nouveauté de ce budget. Pour rappel, ce plan vise à soutenir le secteur de la création artistique en ruralité : embauche d'artistes pour les petites communes, aides dirigées vers les festivals pour se déployer en ruralité et hors saison, mise en place de services d'artothèque en zones rurales. Le chantier est vaste, mais peu défini.
Le budget, en maintien apparent, cache certaines baisses de crédits, notamment en matière d'enseignement artistique et culturel. Or les établissements de « l'enseignement supérieur Culture » font déjà face à un fonctionnement dégradé.
Dans ce budget, rien n'est prévu pour soutenir le secteur du spectacle vivant, déjà fragilisé en 2020 par l'annulation d'une saison entière en raison du covid, et victime en 2024 d'un plan d'économies faisant fondre les marges artistiques, affectant la variété des programmes, pénalisant la création et le soutien aux artistes les plus en difficulté.
Comme l'indique le rapport d'évaluation du volet « création » de la loi LCAP, l'assèchement de la création menace toutes les politiques publiques culturelles. Cette fragilisation s'aggrave avec la baisse des crédits alloués aux collectivités territoriales.
En dépit de ces coupes, le pass Culture conserve ses crédits et demeure l'un des outils principaux du Gouvernement pour favoriser l'accès à la culture. Ce dispositif, à notre sens, s'avère un outil de reproduction sociale et échoue à diversifier les pratiques culturelles ; mais il peut, si l'on parvient à réorienter ses missions, jouer un rôle de médiation. Je remercie la rapporteure pour l'organisation de la table ronde qui a permis de livrer quelques pistes d'évolution.
Notre groupe votera l'amendement déposé sur le sujet, mais s'opposera à celui de la commission des finances qui prévoit de réserver ce dispositif aux seuls boursiers.
Mme Béatrice Gosselin. - Concernant les festivals, nous arrivons à un point de rupture. Dans le monde rural, il s'agit le plus souvent de festivals associatifs. Les injonctions combinées de la Drac et des services de l'État pour la sécurité entraînent des coûts exorbitants. Afin de perdurer, les festivals ont besoin de lisibilité sur ces contraintes qui s'accumulent d'une année sur l'autre.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - Comme plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, la ruralité est un enjeu majeur. Le ministère augmente la voilure sur le sujet. Mais sa dynamique à peine lancée, là voici déjà fragilisée par les restrictions budgétaires imposées aux collectivités, lesquelles financent aux trois quarts les politiques culturelles.
Par ailleurs, lorsque le budget culture des régions diminue, l'on sait bien que les arbitrages se font en faveur des grandes villes. Si l'orchestre national des Pays de la Loire (ONPL) est touché, cela aura des conséquences non pas pour Nantes et Angers, mais pour les villes moyennes de la région.
Sur le déploiement du plan Culture et ruralité, les Drac sont configurées pour développer des politiques sectorielles, et non territoriales et transversales. C'est la raison pour laquelle celles-ci connaissent des difficultés pour mettre en oeuvre le plan Culture et ruralité ou le FIT. Nous devons être très vigilants sur le sujet.
Sur le pass Culture, plus qu'à l'orientation sectorielle, nous devons être attentifs aux modes de consommation. Si la consommation des livres était ouverte sur les plateformes numériques, les jeunes ne franchiraient pas la porte des librairies. Or, les libraires profitent de l'occasion pour entamer un dialogue, et les jeunes en repartent souvent avec des ouvrages qu'ils n'étaient pas venus chercher ; nous devons encourager cette démarche.
Sur l'évaluation du dispositif entre la vision défendue par la SAS, naturellement dithyrambique dans son rapport d'activité sur les effets du pass Culture, et celle de l'Igac, très sévère sur le sujet, la vérité se trouve certainement entre les deux. En fonction du calendrier de réforme de la ministre, notre commission pourra apporter sa contribution à la réflexion.
Sur l'amendement concernant le pass Culture et le transfert des crédits correspondants à la création, l'objectif est de soutenir ce secteur et les politiques culturelles déconcentrés du ministère ; la déconcentration me semble un aspect primordial, afin qu'elles bénéficient aux territoires. L'idée est aussi d'apporter un équilibre entre la politique de l'offre, qui doit être soutenue par les pouvoirs publics, et celle de la demande, dont relève le pass Culture.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - L'amendement no 1 concerne les écoles d'art et prévoit un engagement de 1,6 million d'euros à leur profit, afin de couvrir la compensation de l'exonération des frais d'inscription des élèves boursiers. Nous avons échangé avec le ministère sur le sujet. Il s'agit d'un signal important : les écoles d'art ont besoin de cette disposition pour pouvoir engager leur conseil d'administration. Compte tenu de leurs difficultés financières, elles ne peuvent pas exonérer sans avoir l'assurance d'être compensées.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - L'amendement no 2 prévoit une baisse du budget du pass Culture de 50 millions d'euros. Dans le contexte de réforme, il est possible de réduire la voilure du dispositif. Certaines économies peuvent aussi être envisagées au niveau de la SAS pass Culture, dont le budget de fonctionnement atteint 30 millions d'euros. Nous proposons de réaffecter la somme de 50 millions au secteur de la création.
Mme Sylvie Robert. - Il est important de ne pas grever de manière disproportionnée le pass Culture. Au regard de l'enveloppe globale du dispositif, ce montant de 50 millions d'euros ne semble pas excessif. Il s'agit également d'envoyer un signal aux collectivités territoriales. Au-delà de la réaffectation bienvenue sur le secteur de la création, cet amendement permettra de mieux soutenir des programmes engagés par le ministère de la culture lui-même ; je pense notamment au plan « Mieux produire, mieux diffuser ». La situation s'avère critique dans un certain nombre de régions, de départements et de métropoles. Il est important que cette réaffectation s'oriente vers des crédits déconcentrés, de manière que les Drac disposent d'une latitude pour flécher les crédits.
Nos collègues de la commission des finances seront tentés de réaffecter cette somme au budget de l'État. Cela n'aurait aucun effet sur ce dernier, alors que la réaffectation au secteur de la création aurait des conséquences importantes.
M. Max Brisson. - On pourrait souhaiter un dialogue plus constructif avec nos collègues de la commission des finances ; il ne faudrait pas, en effet, que celle-ci remplace la citadelle de Bercy. Cela étant dit, nos collègues doivent s'adapter à un budget construit dans des délais courts et des conditions complexes. La nécessité de présenter un budget qui respecte les équilibres et l'épure fixée par le Premier ministre oblige à un certain nombre d'économies. Si le budget voté par le Sénat ne respecte pas cette épure générale, la réponse sera le recours au 49.3, et nous perdrons alors la main dans la construction budgétaire - or, le Sénat n'y a pas intérêt. C'est la raison pour laquelle notre groupe ne votera pas l'amendement proposé par la rapporteure.
Mme Sonia de La Provôté. - Toutes nos interventions ont rappelé les besoins particuliers des structures culturelles avec, cette année, une mise en danger liée à la baisse drastique des budgets des collectivités. Nombre d'entre elles ont annoncé se concentrer sur leurs compétences obligatoires, ce qui promet une situation difficile pour le secteur de la culture.
En l'état actuel des arbitrages, il est difficile de préciser l'épure générale du budget. Nous y verrons plus clair à l'issue des discussions budgétaires. Néanmoins, nous devons participer à l'effort collectif. Nous pourrions plutôt défendre un amendement prévoyant de flécher les économies réalisées sur le pass Culture, pour une part, vers la création et, pour une autre part, vers le budget de l'État. Nous voterons contre l'amendement de la rapporteure et ferons cette proposition en séance.
M. Pierre Ouzoulias. - La commission des finances a largement réécrit le budget en faveur des collectivités. Nous sommes passés d'une ponction de 5, voire 10 milliards d'euros à 2 ou 3 milliards d'euros. Dans ce mouvement, la commission de la culture peut aussi rééquilibrer en faveur des collectivités le budget de la culture, sachant qu'elles portent 75 % de la politique culturelle. Il n'y a pas d'opposition entre la commission de culture et celle des finances ; au contraire, les deux commissions souhaitent renforcer l'aide apportée aux collectivités.
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis. - Comme les autres rapporteurs pour avis, j'ai échangé avec nos collègues de la commission des finances lors de la présentation du rapport au fond sur les crédits de la mission « Culture ». Je déplore que leur proposition de cibler le pass Culture sur les seuls boursiers et de réduire de 125 millions d'euros son financement n'ait pas été formulée à cette occasion. Pour la bonne compréhension de tous, il me semble important de le signaler.
Un amendement de compromis réaffectant une partie des crédits du pass Culture vers la création et l'autre vers le budget général aurait pu constituer une possibilité. Je n'ai cependant pas reçu les retours permettant d'envisager une unanimité sur une telle initiative. C'est la raison pour laquelle je propose de garder le transfert intégral des économies réalisées sur le pass Culture vers la création, notamment vers les crédits déconcentrés du ministère. Cela me paraît un signal important en direction de ce secteur, qui traverse une grave crise. Par ailleurs, il ne s'agit pas, avec cet amendement, de demander un effort à la culture comme le fait la commission des finances : supprimer 125 millions d'euros au pass Culture revient en effet à retirer cette somme aux filières culturelles. En fléchant les crédits déduits vers la création, mon amendement « reste » à la culture.
L'amendement n° 2 n'est pas adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la création, à la transmission et à la démocratisation de la culture au sein de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2025.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à la presse - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Michel Laugier sur les crédits consacrés à la Presse au sein du PLF pour 2025.
M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits relatifs à la presse. - Je serais très heureux si je pouvais, à l'instar de notre collègue Jérémy Bacchi pour le cinéma, vous présenter chaque année des résultats plus qu'encourageants et annoncer des perspectives prometteuses pour le secteur de la presse. Hélas, tel n'est pas le cas, car la presse dans son ensemble va mal et voici quelques chiffres pour bien fixer les esprits : tout d'abord, en 2023, la presse écrite a encore connu une baisse de ses ventes, de 4,5 %, ce qui est dans la norme de ces dernières années ; ensuite, la vente au numéro de presse quotidienne est passée en 5 ans de 487 millions d'exemplaires à 290 millions, soit une baisse de 60 % ; enfin, sur 20 ans, les recettes liées aux ventes ont diminué de 48,2 % et celles liées à la publicité de 70 %.
Je ne vous apprends rien, et nous l'avons très récemment rappelé en séance publique grâce à la proposition de loi de notre collègue Sylvie Robert, que la presse est engagée dans une forme cercle vicieux. Elle est prise entre, d'un côté, des difficultés économiques considérables qui pèsent sur sa capacité à investir et à rétribuer correctement les journalistes : or sans équilibre économique, il n'y a pas de presse libre et indépendante. De plus, elle est confrontée à une mise en cause du statut de l'information dans nos sociétés, comme me l'indiquait lors de son audition le président de l'AFP Fabrice Fries, qui se traduit par une forme de suspicion généralisée sur la production éditoriale à laquelle beaucoup préfèrent désormais des médias « alternatifs » sur les réseaux sociaux, polarisés à l'extrême, et qui ont moins le souci d'offrir des faits de que propager des opinions. À ce mouvement de fond, qui interroge en profondeur nos sociétés, il faut ajouter les difficultés conjoncturelles qui, comme d'autres secteurs, ont frappé la presse, avec l'explosion de ses charges, notamment de papier - et vous vous rappelez que vous avions d'ailleurs su en 2023 obtenir une aide du Gouvernement dans ce domaine.
En bref, et pour citer - avec son autorisation - une des personnes auditionnées, la presse a « les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg ».
Pourtant, on ne peut pas dire que les pouvoirs publics ne soutiennent pas le secteur en France, mais le font-ils bien ? Telle est la question à laquelle je me propose d'apporter des éléments de réponse. Tout d'abord, les crédits que nous examinons sont stables dans l'ensemble. Le seul mouvement notable est la baisse des aides à la diffusion, qui traduit l'impact de la réforme du portage et du postage, sur laquelle je me suis longuement exprimé ces dernières années. Les aides au pluralisme et à la modernisation n'évoluent donc qu'à la marge. Je voudrais attirer notre attention sur ce point : depuis plusieurs années, les crédits de la presse sont reconduits quasiment à l'identique, dans leur montant comme dans leur répartition, sans que les résultats se fassent sentir. On peut au mieux dire que ces aides constituent juste un frein sur une pente bien raide... Doit-on s'en satisfaire ?
Je vais ici rappeler, comme chaque année, deux sujets qui devraient faire l'objet de réformes profondes. Le premier concerne les aides directes à la presse qui présentent trois caractéristiques : elles sont intangibles, comme figées dans le temps ; elles sont opaques, divisées en plusieurs enveloppes réparties par décret qui ont été créées au fil des années pour répondre à telle ou telle situation particulière ; enfin, elles sont complexes car elles interdisent une lecture synthétique et une analyse globale. Cela dit, il faut se garder du réflexe consistant à accuser le Gouvernement de passivité et d'aveuglement. La réforme des aides directes à la presse n'est ni aisée, ni évidente, sans quoi elle aurait déjà au lieu. Les titres de presse aidés en ont certainement besoin et leur retirer brutalement les subventions ne ferait que les enfoncer davantage. Je souligne que ce sujet est sur la table depuis des années : j'ai interrogé, depuis que j'exerce cette fonction, pas moins de six ministres de la culture, dont Rachida Dati le 5 novembre dernier ; tous ont annoncé s'emparer du sujet, sans que la moindre tentative de réforme ne voie le jour par la suite. Ces aides directes devraient constituer des aides à l'évolution, et non à la préservation. Elles devraient encourager l'indépendance des rédactions, mieux accompagner la transition numérique et, en un mot, préparer le futur or elles ne le font pas, du moins, c'est ce que nous disent les résultats de la presse en 2024.
J'en viens au second point, à savoir le « marronnier » de la distribution. Juste un chiffre : les aides à la distribution physique des quotidiens, essentiellement IPG (information de politique générale), c'est-à-dire le portage, le postage et les soutiens aux marchands de presse, représentent 77 % de l'ensemble des crédits, soit 178 millions d'euros. On peut s'en réjouir, car nous sommes encore en mesure de distribuer des exemplaires papier sur l'ensemble du territoire et auprès des abonnés. On peut aussi trouver curieux qu'une telle proportion soit réservée à la presse quotidienne papier, alors même que l'essentiel de l'information passe désormais par le numérique. La réforme des aides au portage et au postage a été lancée : même si elle demeure encore inachevée et plus lente que prévu, elle a le mérite de proposer un chemin clair.
Tel n'est pas le cas de l'éternel dossier « France Messagerie », ex Presstalis et ex NMPP. Vous vous rappelez que France Messagerie a été créée suite à la faillite de Presstalis : cette société est la seule à distribuer les quotidiens et assure également la distribution de magazines. Avec 25 % du marché, elle est désormais derrière son éternel rival, les Messageries Lyonnais de Presse (MLP). France Messagerie bénéficie de deux mécanismes d'aide pour assurer la distribution des quotidiens : une aide d'État de 27 millions d'euros, dont 9 millions qui lui sont directement alloués et une péréquation en provenance des magazines, pour 8,3 millions d'euros, dont près de 5 millions de son concurrent MLP. France Messagerie a mené une politique plutôt saine et efficace, dans un marché en attrition constante ; elle a revendu des dépôts et considérablement réduit sa masse salariale.
Cependant, cette situation qui perdure depuis des années conduit à trois problèmes sérieux : tout d'abord, le champ exact couvert par l'aide à France Messagerie et par la péréquation n'apparait pas clairement, les deux étant supposées compenser les surcoûts liés à la distribution de la presse quotidienne ; une action contentieuse a d'ailleurs été récemment initiée par les MLP pour éclaircir ce point. Ensuite, les résultats financiers de France Messagerie ne peuvent qu'interroger. Ainsi, la société a dégagé un résultat net de 4,8 millions d'euros en 2022 et de 11,2 millions d'euros en 2023, en raison, pour cette année, d'une reprise comptable sur la liquidation de Presstalis. France Messagerie dégage donc des résultats constamment positifs et devrait poursuivre sur cette voie en 2024 et 2025 selon l'Arcep. En conséquence, si l'avenir de la société peut apparaitre assombri à moyen terme, il est assuré sur le court terme, sous l'hypothèse d'un maintien des niveaux actuels de soutien et de péréquation.
Enfin, les volumes d'aide au bénéfice de la presse quotidienne nationale d'information de politique générale (IPG) suscitent de fortes oppositions dans le reste du secteur, ce qui nuit à la cohésion d'ensemble de la presse. Vous m'entendez en parler chaque année, là encore, c'est parfois un peu désespérant... Un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles a permis d'élaborer plusieurs scénarios pour une solution définitive. On devrait donc parvenir, sous réserve de toutes déconvenues que nous avons déjà connues, à une mutualisation poussée de la distribution, notamment avec la presse quotidienne régionale (PQR). Un travail a été confié à Sébastien Soriano, ex-président de l'Arcep, et devrait être remis d'ici la fin de l'année. Je formule donc le souhait que 2025 soit une année d'action, après une année 2024 qui a surtout été celle de la déception.
J'en viens à un thème qui nous a énormément mobilisé ces dernières semaines, à savoir les radios associatives. J'en parle avec d'autant plus d'émotion que c'est dans l'une d'entre elles que j'ai commencé ma carrière professionnelle il y a un certain nombre d'années... De manière totalement incompréhensible, les premiers arbitrages budgétaires ont sabré le tiers des subventions de ces acteurs essentiels de la vie démocratique locale, soit 10,4 millions d'euros. Le président de l'Arcom lui-même s'en est ému lors de son audition devant notre commission le 16 octobre dernier. L'enveloppe qui leur est réservée représente pour beaucoup d'entre elles 40 % de leurs ressources.
L'existence même des 746 radios locales était donc directement menacée, et ce, sans aucune explication, les documents budgétaires étant muets sur les raisons de cette baisse. Fort heureusement, de nombreux élus, en particulier de notre commission, sont montés au créneau pour dénoncer cette très grave atteinte à ce média, et le Gouvernement a dû faire machine arrière devant l'Assemblée nationale le 29 octobre dernier en s'engageant au rétablissement de ces crédits, ce qui a été confirmé par la ministre de la culture devant nous le 5 novembre. J'ai, de mon côté, obtenu l'assurance ferme que le rétablissement des crédits du Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) sera bien acté par le dépôt d'un amendement du Gouvernement sur la seconde partie de la loi de finances. Nous attendons donc désormais le dépôt de cet amendement.
Avant de conclure, je veux dire un mot de l'Agence France-Presse. Il s'agit d'un véritable rayon de soleil dans ce programme et d'un soleil courageux qui montre, dans un contexte très difficile pour les agences de presse, qu'une bonne gestion peut avoir des effets significatifs sur une entreprise. L'AFP affiche un résultat net excédentaire depuis 2020, après plusieurs années de déficit. L'AFP a su mener une vraie réflexion sur ses axes de développement - en restant dans l'enveloppe fixée par son COM (contrats d'objectifs et de moyens) - et investir dans des activités à plus forte valeur ajoutée, comme la vidéo et la photographie, sans renoncer pour autant à son exceptionnelle implantation dans le monde. 16 millions d'euros d'économies ont été réalisés entre 2019 et 2023 et 9 millions d'euros sont prévus d'ici 2028. Son endettement, de 50 millions en 2018, devrait à cette date être nul, ce qui nous fait bien sûr tous rêver au milieu de l'examen d'un budget en déséquilibre. Le tableau n'est cependant pas absolument rose car l'AFP est confrontée à deux grands défis : le premier est que l'Agence ne peut pas s'abstraire du contexte général de l'information que je vous ai décrit. Ses principaux clients sont des médias dangereusement fragilisés, et à ce titre, il existe des risques évidents sur ses recettes à moyen terme. L'AFP, qui réalise 60 % de son chiffre d'affaires à l'international, va donc devoir lutter face à ses deux grands concurrents pour « arracher de nouveaux contrats ».
Le second défi, que nous connaissons bien ici, porte sur la renégociation des droits voisins. Nous avons longuement abordé cette question à l'occasion de la discussion de la proposition de loi de Sylvie Robert en septembre dernier mais je précise que l'AFP présente ici deux caractéristiques qui la singularise. D'un côté, elle a les mêmes difficultés que les éditeurs à obtenir des accords favorables qui lui permettent d'être rétribuée à sa juste valeur ; de l'autre, en tant qu'agence de presse majeure, elle a plus facilement pu négocier que les petites agences de presse qui souffrent de l'imprécision des termes de la directive de 2019 dont la loi française constitue la transposition. Je rappelle pourtant que le jugement de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2020 est parfaitement explicite sur l'éligibilité des agences de presse aux droits voisins, même si nous pouvons convenir que les modalités pratiques sont complexes à établir. Dès lors, l'année qui vient sera cruciale non seulement pour l'AFP, mais également pour toutes les agences et pour les éditeurs.
Je ne saurais conclure sans mentionner les États généraux de l'information (EGI), devant lesquels un certain nombre d'entre nous ont été entendus. Ils ont remis leurs conclusions en septembre, et la ministre a annoncé le prochain dépôt d'un projet de loi sur le sujet. Nous ignorons encore l'ampleur de ce texte : sera-t-il une simple adaptation, ou bien la profonde réforme que nous attendons ? Vous avez compris que la presse en souffrance attend des décisions fortes, courageuses et concertées, et donc, je veux croire la ministre quand elle indique avoir pris le sujet à bras-le-corps !
Sous le bénéfice de ces observations, je propose un avis favorable sur les crédits de la presse pour l'année 2025 et permettez-moi de remercier nos services pour leur accompagnement efficace.
Alexandra Borchio Fontimp. - Merci monsieur le rapporteur pour ce rapport lucide sur les crédits consacrés à la presse. Nous partageons bien entendu vos constats qui ne sont pas toujours d'ailleurs très positifs mais néanmoins réalistes. Je souhaite vous remercier pour votre mobilisation en faveur de l'avenir de nos radios associatives locales dont nos collègues ont été largement saisis dans leurs départements. Je fais pleinement confiance aux engagements pris par la ministre de la culture ; cependant, pour éviter une « saison 2 », conformément à mes engagements et parce que je suis par nature un peu méfiante, j'ai déposé, au nom de mon groupe, un amendement tendant à maintenir les crédits du fonds de soutien à l'expression radiophonique. Il s'agit de ne pas voir disparaître ce média de proximité et de marquer notre solidarité ainsi que notre engagement à ce sujet.
Mme Sylvie Robert. - Je remercie notre rapporteur pour son exposé, comme toujours très intéressant, sur ce sujet qu'il connaît bien. J'ai l'impression que d'année en année on retrouve quasiment les mêmes constats, à ceci près que l'horizon est de plus en plus sombre. Notre rapporteur a dessiné un état des lieux - la presse va mal, son équilibre économique fait défaut, ses charges comme celle du papier s'alourdissent, une suspicion plane sur elle - que je partage tout à fait et qui met en évidence la nécessité pour le Gouvernement de prendre enfin à bras le corps les difficultés de ce secteur.
Le rapporteur a également souligné qu'on parle depuis plusieurs années déjà des aides à la presse ainsi que de la distribution. J'espère vraiment qu'un projet de loi issu des EGI pourra enfin apporter des solutions ; je le dis avec d'autant plus de gravité que la situation à la fois économique et géopolitique de notre pays nous impose cet engagement. Comme le confirme l'audition du président de l'AFP à laquelle j'ai assisté, on voit bien, dans le monde qui nous entoure, la nécessité de pouvoir continuer à bénéficier d'une presse indépendante : c'est absolument capital en termes de souveraineté pour notre pays. Je partage donc en tout point les propos du rapporteur et j'espère que les engagements des différents ministres vont enfin se concrétiser.
Je voudrais rapidement évoquer la question des radios associatives. Nous faisons certes confiance à la ministre pour maintenir les crédits du FSER, mais, à l'instar de l'intervenante qui m'a précédée, je préfère qu'on puisse par amendement sénatorial écarter le risque d'une saison 2 ou 1 bis. Permettez-moi également de pointer ce qui peut apparaitre comme un détail au plan budgétaire mais qui est un sujet important, à savoir l'aide au podcast. Notre rapporteur a opportunément rappelé que la presse est liée à l'évolution de nos pratiques et de nos usages ; or on constate aujourd'hui le très fort développement du podcast et de son écoute. Je signale d'ailleurs que dans le Livre blanc de la radio publié par l'Arcom, le président de cette autorité de régulation avait souligné la nécessité de prendre à bras le corps la question des podcasts. Je rappelle que l'année dernière, l'Assemblée nationale avait supprimé dans le FSER l'aide au podcast qui représentait pourtant une somme modeste avoisinant, de mémoire, 500 000 euros. Je pense qu'il y a là un signal à envoyer en réintégrant cette somme dans le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale car celui-ci travaille beaucoup sur le développement des podcasts, ce qui permettrait de pouvoir adapter l'écoute de ces radios aux usages d'aujourd'hui. Or je ne suis pas sûre que le Gouvernement ait pris la décision d'intégrer l'aide au podcast dans l'enveloppe budgétaire qu'il envisage de rétablir en déposant un amendement que je ne connais pas à ce jour. Je préfère donc, à mon tour, garantir qu'il n'y aura pas de « saison 2 » et susciter un débat à ce sujet sur la base d'une initiative sénatoriale.
J'en termine en vous disant que nous suivrons l'avis du rapporteur.
M. Pierre-Antoine Levi. - Je veux tout d'abord remercier notre rapporteur pour la qualité et la précision de son travail d'analyse sur les crédits du programme « Presse et médias » du projet de loi de finances pour 2025. Son rapport met en lumière avec une grande clarté les défis majeurs auxquels est confronté ce secteur essentiel à notre démocratie. La situation de la presse française demeure particulièrement préoccupante et comme l'a indiqué notre rapporteur, les chiffres sont une nouvelle fois alarmants avec une baisse de 4,5 % des ventes en 2023, une chute vertigineuse de 60 % pour la presse nationale et de 36 % pour la presse régionale sur la période récente. La phrase citée par Michel Laugier - « La presse a les charges de Gutenberg et la concurrence de Zuckerberg » - résume parfaitement le double défi auquel est confronté ce secteur qui doit maintenir une infrastructure de production et de distribution coûteuse tout en faisant face à la concurrence des plateformes numériques qui captent désormais plus de 70 % des revenus publicitaires en ligne.
Dans ce contexte difficile, notre groupe politique note avec satisfaction que les crédits dédiés à la presse ont été globalement préservés, avec un total de 194 millions d'euros alloués au programme 180. Nous saluons particulièrement le maintien des aides au pluralisme à hauteur de 26 millions d'euros, essentiel pour garantir la diversité de notre paysage médiatique. Comme cela a été souligné, nous nous félicitons tout particulièrement que le Gouvernement ait entendu raison concernant le fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) : restons cependant vigilants car la baisse initialement envisagée de 10 millions d'euros, soit 30 % de l'enveloppe, aurait été catastrophique pour les 746 radios locales qui maillent notre territoire ; avec 40 % de leurs ressources provenant du FSER, leur survie même aurait été menacée.
Quelques points d'attention méritent cependant d'être soulignés. Tout d'abord, la réforme de la distribution de la presse prend un retard préoccupant : une année a été perdue à la suite de la dissolution, alors même que le rapport conjoint de l'inspection générale des finances et de l'inspection des affaires culturelles propose des pistes intéressantes de réorganisation de la filière. La situation actuelle que notre rapporteur avait qualifié l'année dernière de duo mortifère entre deux opérateurs dont l'un est lourdement subventionné n'est pas tenable : le coût pour les finances publiques est considérable avec près de 600 millions d'euros en 14 ans pour la seule société Presstalis et ses avatars. Il est donc urgent d'avancer sur les quatre scénarios proposés par la mission d'inspection pour réorganiser cette filière de manière plus efficiente. Deuxièmement, la question des droits voisins pour les agences de presse, et particulièrement pour l'AFP, doit être clarifiée. Si nous nous réjouissons des efforts de gestion de l'agence et de ses bons résultats, avec un désendettement qui devrait être total en 2028, son modèle économique reste fragile dans un marché en pleine mutation. Un cadre juridique global concernant les droits voisins est donc indispensable pour sécuriser ses ressources futures.
Troisièmement, nous regrettons vivement que la réforme des aides directes à la presse, pourtant maintenant maintes fois évoquée, ne soit toujours pas engagée. Ces aides qualifiées à juste titre d'intangibles, opaques et complexes par notre rapporteur mériteraient une refonte en profondeur pour gagner en efficacité et en lisibilité. Enfin, nous devons nous interroger sur l'équilibre global du système d'aide. Comme le souligne le rapport, à l'heure où la diffusion de l'information numérique s'impose comme le canal dominant, il est légitime de s'interroger sur l'ampleur budgétaire de l'aide à la distribution physique qui ne bénéficie en réalité très majoritairement qu'à une certaine famille de presse.
Pour autant, notre groupe considère que ce budget, s'il n'est pas parfait, permet de maintenir les équilibres essentiels du secteur et votera donc en faveur des crédits du programme « presse et médias » pour 2025.
M. Jérémy Bacchi. - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter notre collègue Michel Laugier pour son rapport très complet. Les données qu'il expose ne sont pas toujours très enthousiasmantes mais le rapporteur n'y est pour rien et, en tout cas, il a décrit à merveille les difficultés qu'affronte un secteur ô combien important pour notre démocratie et pour notre pays. Je ne reviens pas sur les chiffres qui illustrent son propos et je fais observer que la tendance longue au déclin de la presse écrite est une réalité qui dépasse les frontières de notre pays. Cependant, je relève un paradoxe : dans l'imaginaire collectif et lorsqu'on interroge les Françaises et les Français, la presse écrite reste une valeur refuge de véracité de l'information contre les infox ou contre la perception des informations qu'ils peuvent glaner notamment sur les médias numériques. On a donc parfois du mal à comprendre le décalage entre le déclin continu de ce secteur et le besoin de véracité de l'information pour lequel la presse écrite reste une valeur refuge.
Plusieurs sujets ont été évoqués par le rapporteur : je partage ses propos mais, à mon sens, certaines questions doivent faire l'objet de débats et de plus longues discussions. On a ainsi évoqué les IPG qui captent en réalité une grande partie des aides à la presse, avec une dénomination et une définition de ces IPG suffisamment large pour que cela ne garantisse pas nécessairement et automatiquement le pluralisme de l'information ainsi que de la diffusion des idées des uns et des autres. Je ne sais pas s'il faut, dès lors, revoir la définition des IPG mais cela nécessite à tout le moins qu'on ouvre un débat sur ce sujet qui crée des tensions au sein du secteur et une sorte de concurrence entre les différents groupes. S'y ajoute, bien évidemment, la question de la concentration des médias : sept grands groupes concentrent à eux seuls près de 189 millions d'euros d'aide et, de prime abord, on peut penser que ce ne sont pas tous des groupes qui ont le plus besoin de ces aides publiques. Les enjeux de pluralisme et de concentration des médias ne sont assurément pas des thématiques que l'on peut traiter en une ou deux minutes.
Le deuxième point que je voulais aborder porte sur le rôle d'amortisseur des aides publiques : celles-ci ont permis a minima d'amoindrir le déclin de la presse. Cependant, la vraie question est de savoir si ce rôle est suffisant ou si notre pays a besoin d'une presse mieux diffusée. J'insiste à ce sujet sur la problématique de la distribution de la presse dans l'ensemble des territoires, y compris les plus reculés et en ruralité. On sait que la distribution y est plus coûteuse, mais il s'agit là d'un enjeu démocratique, en particulier dans la période actuelle. Si un projet de loi fait suite aux États généraux de l'information, tous ces sujets devront évidemment être mis en débat : peut-être aurons-nous des perceptions sensiblement différentes mais telle est la démocratie et la culture du débat.
Je tiens en tout cas à saluer, comme vous monsieur le rapporteur, les avancées concernant les radios et notamment l'AFP. Pour toutes ces raisons, nous suivons votre avis avec malgré tout beaucoup de vigilance.
Mme Monique de Marco. - Je tiens à remercier le rapporteur pour ses analyses toujours pertinentes et claires sur le sujet que nous traitons. Je souligne la baisse des crédits que subissent les aides à la presse malgré la crise économique aiguë que subit ce secteur. L'émergence des plateformes numériques et l'évolution radicale des comportements des citoyens a bouleversé l'économie de la presse écrite, notamment en raison d'un transfert massif des revenus publicitaires de la presse d'information vers les géants du numérique. Entre 2010 et 2020, le chiffre d'affaires tiré des ventes a baissé de 22 % tandis que les recettes publicitaires ont diminué de 56 %. La crise sanitaire a fragilisé encore davantage le secteur de la presse papier avec la fermeture de près de 20 % des points de vente. À mon sens, les aides à la presse ne doivent pas constituer une variable d'ajustement d'un budget d'austérité. La presse écrite contribue de façon essentielle à la production d'informations fiables, de qualité, plurielles, libres et indépendantes. Ce sujet a été abordé lors des EGI qui ont pointé du doigt la nécessité de rééquilibrer les rapports économiques entre la presse et les géants du numérique. Vendredi dernier, j'ai assisté à Bordeaux à l'événement « les Tribunes de la Presse ». J'ai participé à une table ronde intitulée « L'information locale a-t-elle encore un avenir ? » et j'en suis sortie un peu déprimée car aussi bien les radios que la presse écrite sont dans une impasse et n'arrivent pas à entrevoir un avenir désirable. J'observe par exemple que le journal Sud-Ouest en est à son deuxième ou troisième plan de suppression de postes ; pour sa part, le quotidien 20 Minutes, qui a décliné avec la crise Covid, ne retrouve pas dans sa version numérique un public suffisamment nombreux pour s'assurer des recettes publicitaires suffisantes. Nous vivons une période de bascule et de crise et peut-être allons-nous voir émerger en France, comme aux États-Unis, ce que l'on appelle les « déserts de l'information ».
Je reviens sur la baisse des allocations au fonds de soutien à l'expression radiophonique locale qui finance plus de 770 radios associatives : dans l'attente d'amendements du Gouvernement, je pense que notre groupe pourra aussi déposer un amendement pour remettre les 10 millions qui ont été perdus. Je préfère ici appliquer le principe de précaution et ne pas me contenter d'attendre l'amendement du Gouvernement, tout en observant que nous sommes plusieurs à adopter une telle ligne de conduite. Je crois qu'il nous faut marquer l'occasion et il aurait, à mon sens, été souhaitable que notre commission puisse, en son nom, prendre une telle initiative.
J'indique enfin que notre groupe ne suivra pas l'avis favorable suggéré par le rapporteur : nous nous abstiendrons, pour les raisons que j'ai évoquées.
M. Max Brisson. - J'aime beaucoup entendre chaque année le rapport de Michel Laugier, d'abord, parce que sa voix radiophonique me rappelle celle des radios d'autrefois (exclamations) que j'adorais. De plus, ce rapport annuel est quand même un formidable marronnier avec, au final, un diagnostic toujours aussi implacable et un objectif consensuel : tout le problème est de trouver un cheminement de sortie de crise et, à cet égard, il faut tout de même faire preuve d'un peu d'humilité car nos propositions ne sont pas meilleures que celles des gouvernements successifs ; en effet, la bascule est très difficile à réaliser. Je trouve ici une belle illustration du mal français : on empile les aides pour éviter le naufrage mais on est bien incapables d'opérer une bascule complète qui nous permettrait peut-être d'offrir de nouvelles perspectives et une espérance. Je trouve d'ailleurs que nos débats sur les radios associatives sont tout à fait intéressants et j'y ai participé. Nous avons fait le nécessaire et je pense que la ministre n'était pas totalement « coincée dans les cordes du ring » : elle a sans doute pris l'initiative d'un rétablissement des crédits et nous l'avons appuyée afin qu'elle obtienne des arbitrages gouvernementaux favorables. Au final, il y aura de nombreux amendements qui iront tous dans le même sens. Pour autant, on n'aura pas traité la question essentielle de la maison qui brûle : celle de la presse écrite. Le principal enjeu se situe autour du rôle des journalistes dans notre société et dans leur capacité, qui est le coeur même de leur métier, à certifier l'information dans un monde où circulent toutes sortes de données non fiabilisées et dont un certain nombre sont des infox. À l'évidence, les journalistes ont ici un rôle irremplaçable et essentiel à notre démocratie : pourtant, nous nous focalisons encore sur un système d'aide aux entreprises et aux structures, en continuant de soutenir une presse écrite dont on voit bien la bascule irrémédiable. Personnellement, j'adore non seulement les voix radiophoniques d'autrefois mais aussi prendre mon petit déjeuner en lisant la presse écrite fabriquée avec de l'encre et du papier mais, soyons réalistes, je m'aperçois bien que pour mes enfants, le papier et l'encre, appartiennent à la paléo-histoire. La bascule est donc bien là et on aura beau essayer de l'empêcher, on ne parviendra qu'à retarder le naufrage. En revanche, les journalistes, eux, sont irremplaçables, et donc il va bien falloir à un moment que l'on change de logiciel. Nous ne sommes néanmoins pas encore capables de le faire et il nous faut honnêtement reconnaitre qu'à travers nos propositions, on n'a pas trouvé le cheminement adéquat, même si nous partageons le diagnostic et les objectifs. J'imagine que l'année prochaine, nous aurons le plaisir d'entendre la voix radiophonique de Michel Laugier constater le malaise implacable de la presse écrite ainsi que les difficultés à sortir de l'ornière ; nous mettrons beaucoup d'espérance dans les EGI mais je doute que ces derniers puissent faire preuve de plus d'intelligence collective que nous n'en avons dans nos réunions.
M. Bernard Fialaire. - Dans le prolongement des propos de Max Brisson, je compte revenir l'année prochaine, comme les années précédentes, sur le thème de l'évolution de la déontologie des journalistes avec, une fois encore, la volonté de pousser la réflexion jusqu'à envisager la création d'un ordre des journalistes. Cela me parait tout à fait possible car, comme les sondages le montrent, si on instituait un ordre et une déontologie - à la carte, je le précise - plus officielle du journalisme, il y aurait une plus grande confiance dans la presse de la part de nos concitoyens.
M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - En réponse à Max Brisson, je fais observer que chaque année je propose des pistes de travail : celles-ci doivent aujourd'hui passer par des réformes importantes, au-delà des mesures budgétaires. Comme l'a indiqué si justement notre collègue, nous sommes aujourd'hui dans un véritable passage de la presse écrite traditionnelle vers le numérique : la presse quotidienne nationale a déjà largement avancé sur la numérisation et il revient maintenant à la presse régionale d'emprunter le même chemin, ce qui nécessite un accompagnement. Je fais observer que le travail des journalistes restera le même, qu'un journal arrive dans une boîte aux lettres, qu'on aille l'acheter au kiosque ou qu'il soit acheminé par voie numérique sur nos tablettes. Telle est la raison pour laquelle il faut aussi faire en sorte que les rédactions soient maintenues et les réformes des aides à la presse que je propose incorporent la nécessité d'aider la presse à pouvoir s'appuyer sur des journalistes professionnels à temps complet. Je pense donc qu'un certain nombre de pistes intéressantes peuvent être appliquées tout de suite.
Il est vrai qu'on attend beaucoup de la loi qui doit normalement être présentée en 2025 : la ministre de la culture s'y est engagée à la suite des EGI, mais je pense qu'elle va aller beaucoup plus loin dans les réformes qu'elle peut proposer. Je rejoins ainsi les propos de Max Brisson : nous faisons face aujourd'hui à des transitions incontournables. Je signale que la prochaine loi devra également être l'occasion d'examiner les incidences sur les réseaux sociaux : en effet, il n'est pas normal que certains aient uniquement une information tirée des réseaux sociaux alors qu'il y a un travail journalistique reconnu qui doit faire foi.
S'agissant de la rédaction d'un amendement visant à allouer 10 millions d'euros supplémentaires au FSER, le principe est incontestable mais je rappelle que seul le Gouvernement peut abonder ces crédits sans être contraint, comme les parlementaires, de compenser cette augmentation par une ponction sur d'autres lignes de la mission budgétaire : faut-il dès lors diminuer de 10 millions d'euros les crédits du programme « Livre industries culturelles » essentiellement consacrés à la BnF ? Rédiger un amendement au niveau sénatorial à la satisfaction de tous n'est donc pas aussi simple que ça et sachez tout de même que nous avons obtenu l'engagement du ministre du budget ainsi que de la ministre de la culture auxquels s'ajoutent des amendements déposés par nos collègues au nom de la commission des finances : telles sont les raisons qui nous permettent d'aborder le débat avec une certaine confiance sur ce sujet.
Pour le reste, vous avez surtout partagé les constats et la vision exprimés par le rapport que j'ai pu vous présenter aujourd'hui. Je vous en remercie et j'espère l'année prochaine pouvoir porter avec une voix tout aussi radiophonique - selon la formule de Max Brisson - un message qui insistera encore plus sur les évolutions possibles.
M. Laurent Lafon, président. - Avant de passer au vote, je vous informe que nous entendrons mercredi prochain en commission Bruno Patino au titre de la présidence qu'il a assurée des EGI : ce sera l'occasion de parler des États généraux de l'information ainsi que des discussions qu'il mène avec le ministère de la culture à propos des futurs textes de loi que nous avons évoqués.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'enseignement technique agricole - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons le rapport sur les crédits du programme 143 « enseignement technique agricole ».
M. Bernard Fialaire, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole. - Après une décennie de désaffection, l'enseignement agricole connait depuis 2019 un rebond. Ses effectifs sont désormais en hausse annuelle de 1 %. Cette augmentation reste fragile, mais elle témoigne du regain d'intérêt pour l'enseignement agricole et les métiers auxquels il prépare.
Le PLF 2025 prévoit pour le programme 143 « enseignement technique agricole » 1,73 milliard d'euros. Les crédits sont en hausse de 35 millions d'euros soit de plus de 2 %. Je suis toutefois conscient qu'il s'agit notamment de l'augmentation mécanique des dépenses de personnel et de mesures de périmètre.
Je prendrai un exemple : en 2024, le budget ne prévoyait aucun crédit pour l'application du pacte enseignant dans l'enseignement agricole.
Celui-ci a été financé par un transfert entre programmes en cours d'année. Cette année, des crédits pour le Pacte sont inscrits dans le programme 143.
J'en viens aux dépenses de personnel. Là encore, une mesure de périmètre intervient : la CDIsation des AED et des AESH entraîne l'inscription de leur rémunération au titre 2. À périmètre constant, il n'y a pas d'augmentation du nombre d'ETP. Il n'y a pas non plus de suppression de poste : il me parait important d'insister sur ce point au regard de la trajectoire des ETP enseignants ces dernières années.
Les effectifs de l'enseignement agricole sont en hausse régulière depuis 5 ans. Pour la première fois, la barre symbolique des 200 000 jeunes formés annuellement a été dépassée à la rentrée 2024. À ceux-ci s'ajoutent les 17 000 jeunes de l'enseignement supérieur, dont le nombre est également en augmentation.
Signe d'attractivité de l'enseignement agricole, les effectifs augmentent, y compris dans des territoires où l'éducation nationale perd des élèves. Je note également le succès des classes de 4ème et 3ème agricoles.
J'ai interrogé la ministre sur cette augmentation des effectifs à ETP constants.
Elle m'a indiqué qu'une hausse du nombre d'élèves par classe est possible sans remettre en cause la capacité pédagogique. Il est vrai que les élèves sont en moyenne 20 par classe. Par ailleurs, 15 % des classes de l'enseignement agricole accueillent moins de 10 élèves.
Cette augmentation des effectifs ne pourra toutefois pas totalement se faire sans hausse des ETP à moyen terme : pour des raisons de sécurité et d'encadrement, le nombre d'élèves est limité dans certaines matières et travaux pratiques. Pour ceux-ci, l'augmentation des effectifs dans les classes devra se traduire par un dédoublement des groupes.
Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole fixe des objectifs ambitieux : une croissance de 30 % des effectifs dans les formations agricole et agro-alimentaire. Même si le regroupement de parcelles et les progrès techniques permettront certainement d'éviter la nécessité d'un taux de remplacement des départs à la retraite de un pour un, l'enseignement agricole est aux avant-postes du renouvellement générationnel.
Je ne m'attarde pas davantage sur ce projet de loi car notre collègue Christian Bruyen nous le présentera dans une semaine. Je note toutefois que le rôle de l'enseignement agricole dans la formation des agriculteurs de demain et dans la garantie de la souveraineté alimentaire de notre pays y est explicitement reconnu.
Nous partageons tous une conviction : il est nécessaire de préserver le modèle de formation qu'est l'enseignement agricole. Ces taux d'insertion professionnelle et de réussite aux examens sont très bons.
Aussi, je m'inquiète des conséquences d'une éventuelle réforme de l'apprentissage. Le nombre d'apprentis constitue une part croissante des effectifs de l'enseignement agricole. Il a progressé de 49 % depuis 2019. L'enseignement agricole accueille d'ailleurs proportionnellement plus d'apprentis que l'éducation nationale pour les mêmes tranches d'âge.
Ces apprentis suivent principalement des études courtes et sont accueillis par des PME. Or, plusieurs pistes sont envisagées pour la réforme de l'aide à l'apprentissage : la limiter à certains diplômes, la restreindre aux petites et moyennes entreprises, ou au contraire procéder à un écrêtement généralisé. En fonction de ces choix, certaines entreprises pourraient décider de ne plus prendre des apprentis et notamment des apprentis de l'enseignement agricole.
Par ailleurs, l'apprentissage participe pleinement au modèle financier des établissements de l'enseignement agricole. Nombreux d'entre eux disposent d'un centre de formation des apprentis qui est rentable. Celui-ci permet de compenser les pertes des ateliers technologiques et des exploitations pédagogiques.
Trois chiffres illustrent mes propos : 77 % des CFA ont des résultats financiers positifs. À l'inverse : seuls 34 % des exploitations des lycées agricoles et 38 % des ateliers pédagogiques ont un résultat financier positif. Quand un CFA perd en rentabilité, c'est l'ensemble de l'établissement d'enseignement agricole qui en pâtit.
À ce sujet, il me semble essentiel de rappeler que les exploitations et ateliers des lycées agricoles ne sont pas des entreprises comme les autres : leur vocation première est la pédagogie, pas la rentabilité. Or, cette dimension n'est pas prise en compte. Le ministère doit s'emparer de ce sujet et reconnaître la spécificité financière du lycée agricole. Aujourd'hui les subventions pour charge de fonctionnement ou d'investissement sont interdites, même pour les lycées agricoles publics.
La situation financière des établissements est préoccupante. Le ministère procède à une enquête annuelle sur la santé financière des lycées agricoles publics. Cette année, 30 % de ceux-ci sont dans la dernière catégorie « en crise financière potentielle ou avérée ». Ils étaient 19 % il y a 2 ans. Les établissements privés ne se portent pas beaucoup mieux : 45 des 176 lycées agricoles privés et 50 des 410 MFR sont en difficulté financière. Certains établissements sont menacés de fermeture.
Il est essentiel de préserver le maillage territorial actuel qui participe à l'animation des territoires. Pour cela, je trouve la démarche de mutualisation des services communs qu'ont entrepris certains établissements intéressante. Celle-ci permet de préserver les classes et de rester ancré dans les territoires. Dans le même temps, cette mutualisation permet de disposer de moyens supplémentaires pour mieux faire connaître l'enseignement agricole à l'échelle locale.
Nous le savons tous : aujourd'hui, l'enseignement agricole recrute bien au-delà des jeunes issus du milieu agricole. Ceux-ci ne représentent d'ailleurs plus que 9 % des effectifs. La meilleure connaissance de l'enseignement agricole et des métiers auxquels il prépare est essentielle.
L'actualité illustre la nécessité de poursuivre le renforcement des liens entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale : le ministre délégué à la réussite scolaire vient d'annoncer le lancement d'un tour de France pour remettre à plat la politique d'orientation.
Il indique envisager une concertation avec tous les acteurs de l'orientation, y compris l'enseignement agricole. Il est important de continuer les efforts pour que s'ancre le réflexe d'associer systématiquement l'enseignement agricole.
Mes chers collègues, à ce stade, le budget du programme 143 est en hausse de 35 millions d'euros. Aussi, je vous propose de donner un avis favorable.
J'attire toutefois votre vigilance sur un point : ce projet de budget ne tient pas compte d'une baisse supplémentaire de 18 millions d'euros annoncée par Mme Genevard devant notre commission.
Je m'interroge sur la méthode de répartition proposée entre les différents programmes de son ministère : elle répond à une logique mathématique - une suppression au prorata des crédits inscrits. Cette logique ne prend pas en compte la spécificité du programme 143 : près des deux tiers des dépenses sont des dépenses contraintes de personnel. À celles-ci s'ajoutent les subventions versées au MFR qui répondent à des critères stricts définis réglementairement.
À ce stade, je ne dispose pas d'informations sur les mesures concrètes qui seront impactées par cette coupe de 18 millions d'euros. À titre personnel, je suis d'ailleurs très réservé. Quoi qu'il en soit, il est indispensable que la ministre nous donne davantage d'informations, afin que le Sénat puisse décider de manière éclairée de voter ou de rejeter l'amendement du gouvernement.
En séance, nous devrons avoir une position ferme face à une mise à contribution trop forte de l'enseignement agricole aux économies supplémentaires demandées.
M. Christian Bruyen. - Je salue le travail de notre rapporteur, dont je partage largement l'approche.
Les acteurs de la filière évoquent des points d'inquiétude, notamment sur la ventilation du rabot de 18 millions d'euros, mais portent généralement un regard positif sur les orientations proposées.
Les préoccupations portent également sur l'évolution du nombre d'enseignants, qui est stable, et donc insuffisant pour faire face à la progression des effectifs d'apprenants. Certes, cette progression est pour le moment limitée à 1 % par an, mais il faut regarder plus loin. L'objectif de 30 % d'élèves, étudiants et apprentis supplémentaires en 2030 signifie qu'ils seront 25 000 de plus chaque année : il faudra donc procéder à des recrutements significatifs. On peut bien sûr considérer comme acceptable d'augmenter légèrement les effectifs de classes qui, à l'heure actuelle, ne sont pas surchargées ; mais cela me paraît plus délicat dans les cours techniques ou de travaux pratiques, dans lesquels un taux d'encadrement minimal est prévu par la réglementation, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.
Un point de vigilance me paraît essentiel. Le renforcement des enseignements agricoles ne doit pas être fait au détriment des formations aux services à la personne et à l'animation des territoires. Ces métiers sont en effet primordiaux dans la ruralité, où les structures peinent à recruter pour l'accompagnement des plus fragiles.
Où trouver ces 18 millions d'économies ? On pourrait être tenté de ponctionner les crédits du pacte enseignant. Je crois que ce serait un bien mauvais choix, puisque ce dispositif a très bien fonctionné dans l'enseignement agricole. Les moyens qui lui sont alloués doivent être maintenus et prioritairement dédiés aux remplacements courts. Une plus grande souplesse pourrait également être permise aux chefs d'établissement pour l'utilisation de ces fonds.
J'appelle à la prudence sur la réforme des aides à l'apprentissage, qui pourrait fragiliser certains établissements. Il est certainement nécessaire de revoir le dispositif dans l'enseignement supérieur, où il profite à l'excès à certaines officines privées. Pour d'autres formations cependant, ces aides sont un vrai soutien et permettent aux établissements de continuer à mailler le territoire et à répondre à de vrais besoins.
Du point de vue de l'aménagement du territoire, la situation des maisons familiales rurales est inquiétante. À l'autre bout de la chaîne, le futur bachelor répondra à une attente forte ; il faudra cependant se montrer vigilants sur de possibles dérives, et s'assurer que des étudiants ne seront pas emmenés vers des voies sans issue du fait de contenus de formation inadaptés portés par des officines privées à but lucratif. Je rejoins ici les préoccupations de notre collègue Stéphane Piednoir sur l'enseignement supérieur.
Une cinquième école est nécessaire pour assurer la formation des vétérinaires, mais cela ne suffira pas. Il faut également mieux valoriser la pratique vétérinaire dite « des champs » pour inverser la tendance actuelle, alors que les besoins sont de plus en plus assurés par des professionnels étrangers.
Il faut également préserver l'équilibre singulier entre établissements publics et privés qui a pu être trouvé dans l'enseignement agricole, et qui fonde certainement une part de son succès.
En dépit donc de quelques points de vigilance à moyen terme, les perspectives tracées nous semblent aller dans le bon sens pour l'exercice prochain. Notre groupe est favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement technique agricole.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je regrette les conditions d'examen particulières de ce projet de budget. La découverte d'erreurs significatives sur les montants indiqués dans le projet annuel de performance du programme soulève des interrogations quant à la rigueur à l'oeuvre dans son élaboration.
La ministre de l'agriculture nous a annoncé un nouveau coup de rabot à hauteur de 18 millions d'euros, ce qui suscite une grande inquiétude pour l'enseignement agricole et l'agriculture en général. N'oublions pas que derrière les crédits du programme se trouvent le monde agricole, l'aménagement du territoire et celles et ceux qui nous nourrissent.
Alors que nous allons prochainement examiner le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière alimentaire et agricole, nous devons faire preuve d'une grande ambition et tout mettre en oeuvre pour respecter l'objectif d'augmentation de 30 % du nombre d'apprenants. Or, nous constatons que le compte n'y est pas. La petite hausse d'effectifs constatée n'est pas généralisée et reste fragile. Il faut continuer à informer et à mobiliser les jeunes pour qu'ils aillent dans les filières agricoles. Bien qu'il n'y ait ni création ni perte d'emploi pour cette année, 316 emplois ont été supprimés entre 2017 et 2022 : cela représenterait environ 10 000 postes dans l'éducation nationale.
La situation entraîne une dégradation des conditions d'apprentissage, que nous avions collectivement dénoncée dans le cadre de la mission sénatoriale « Enseignement agricole : l'urgence d'une transition agro-politique » de 2021. Des enseignants non remplacés, la suppression de certains travaux pratiques faute d'un taux d'encadrement suffisant, sont autant de points qui continuent à poser question. L'impossibilité de réaliser certains travaux dirigés impliquant du matériel dangereux ou de grands animaux impacte grandement la qualité de l'enseignement dispensé.
La situation financière des établissements se dégrade. Deux tiers des établissements publics locaux sont en difficulté. Certaines exploitations agricoles, qui sont des lieux d'expérimentation, sont aussi en danger. Il est indispensable de préserver ces lieux.
La spécificité de l'enseignement agricole réside dans son maillage territorial, souvent dans des territoires ruraux. Il ne faut pas supprimer des établissements sous prétexte qu'ils ont de petits effectifs : ils ont aussi des spécificités. On ne peut se passer d'un établissement qui permet de former les jeunes à la gestion des forêts, quand bien même ses effectifs seraient réduits. Il faut maintenir la diversité de l'offre de formation agricole.
Dans le contexte social que nous traversons, nous regrettons également la baisse des crédits alloués à l'aide sociale aux élèves et à la santé scolaire, ainsi qu'aux bourses sur critères sociaux.
Sur le pacte enseignant, il serait grand temps de dresser un bilan qualitatif approfondi. Nous avons eu des retours alarmants, qui faisaient état d'une surcharge de travail pour les personnels concernés - qui, d'ailleurs, étaient majoritairement des femmes.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, écologiste et républicain se prononcera contre l'adoption des crédits alloués à l'enseignement agricole.
Mme Annick Billon. - Je tiens à vous faire part tout d'abord du sentiment que m'ont inspiré les auditions menées par le rapporteur sur l'enseignement privé et l'enseignement public. J'ai perçu une forme de concurrence entre les deux, plus marquée que les années précédentes. Si la concurrence peut être source d'émulation, dans le cas présent, il s'agit davantage d'antagonisme : chacun regarde avec insistance les moyens alloués à l'autre. Ce n'est à mon sens pas un bon signal.
En ce qui concerne le budget, les crédits sont en hausse de 2 %. Mais cette progression dissimule en réalité une croissance structurelle due aux effets du Pacte enseignant et au glissement vieillesse-technicité (GVT). Il faut donc interpréter ces crédits avec prudence.
Les effectifs de l'enseignement agricole ont considérablement augmenté depuis 2019. Le seuil de 200 000 élèves a été atteint, ce qui est une bonne chose car il est nécessaire de remplacer les générations d'agriculteurs.
L'enseignement agricole assure cependant un maillage territorial qui doit être garanti. Si on peut comprendre la nécessité de trouver des économies, il faut cependant garder à l'esprit deux points de vigilance : d'une part la diminution annoncée de 18 millions d'euros des crédits, dont nous ne connaissons toujours pas la ventilation ; d'autre part, la situation financière des établissements qui est difficile dans une grande majorité des cas et ce d'autant plus quand l'exploitation agricole qui lui est attachée est elle-même en difficulté. Or, il n'est pas possible d'imaginer un enseignement agricole sans pratiques techniques.
Les maisons familiales rurales (MFR) ont vu leur nombre d'élèves progresser de 1 200, mais les moyens n'ont pas suivi. À ce titre, l'amendement de hausse des crédits de 12 millions d'euros proposé par la commission des finances est insuffisant puisqu'il devrait être de 20 millions d'euros. Je travaille actuellement sur ce sujet.
Les contraintes budgétaires ne doivent pas se faire au détriment de la formation. Avant de conclure, j'aurai deux remarques issues de mes rencontres sur le terrain. Première remarque : les établissements ont les plus grandes difficultés à recruter des profils compétents pour enseigner les matières techniques. La difficulté de cette tâche est accentuée par la nécessité que la personne soit titulaire d'un diplôme de Master 2.
Deuxième remarque : le Pacte enseignant suscite des réactions mitigées à ce stade. Le contrôle relatif à l'effectivité des heures faites devient très complexe.
Je conclurai en soulignant les nombreuses attentes suscitées par le projet de loi d'orientation agricole.
Notre groupe votera en faveur des crédits, qui sont quasiment stables, avec toutes les réserves que je viens de mentionner.
Mme Monique de Marco. - Je salue l'excellent rapport de notre collègue. Toutefois, mon groupe ne votera pas en faveur de ces crédits.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je voudrais revenir sur l'ambition du gouvernement d'autonomie alimentaire. Elle nécessite un effort particulier pour la formation afin de renouveler les générations. Les agriculteurs nous font régulièrement part de leur difficulté à recruter de la main d'oeuvre. La stabilité des crédits est donc un mauvais signal car elle s'insère dans un contexte inflationniste général.
Je crois que la stratégie du Gouvernement en matière alimentaire n'est pas assez claire : il faut préserver la diversité de notre production pour mieux préparer l'avenir et donc préserver la diversité des formations.
Je souhaite également insister sur l'importance de la formation en matière de pêche sur laquelle nous disposons de trop peu d'informations. La France dispose d'un espace maritime étendu sur tous les océans, mais doit faire face à une forte concurrence internationale à laquelle nous devons répondre. Dans ce contexte, des restrictions budgétaires ne constituent pas une stratégie satisfaisante. Faire des économies sur la jeunesse et notamment sur la jeunesse qui se destine à nourrir la population n'est pas la bonne stratégie.
Mon groupe ne votera pas en faveur de ces crédits.
M. Jacques Grosperrin. - Je félicite le rapporteur pour son travail approfondi.
Comme il l'a bien analysé, l'augmentation des crédits à hauteur de 35 millions d'euros est avant tout mécanique.
Les raisons de la croissance des effectifs dans l'enseignement agricole, alors que ceux-ci baissent dans l'éducation nationale méritent d'être approfondies.
Je mentionnerai trois points de vigilance. Le premier concerne la prise en compte de la formation dans le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole. Lors de son examen par le Sénat, nous devrons être très attentifs à ce qu'elle soit bien intégrée.
Le deuxième a trait à la situation préoccupante des MFR ; je rappelle que celles-ci font un travail exceptionnel en permettant à de jeunes apprenants qui étaient en situation d'échec à renouer avec le succès.
Le troisième est lié au Pacte enseignant : celui-ci est fléché majoritairement vers les remplacements de courte durée. Comment ce fléchage prioritaire est-il compatible avec les spécificités de l'enseignement agricole que sont l'accompagnement renforcé, le suivi de stage ou encore la mise en oeuvre de projets pédagogiques innovants ?
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Il est essentiel que nous ayons une position ferme pour défendre l'enseignement agricole, car le risque de coup de rabot est réel.
Le rapport que je vous présente porte sur le budget initial, qui n'intègre pas à ce stade les éventuelles économies supplémentaires.
L'augmentation des effectifs est due à la sensibilisation accrue aux métiers du vivant ainsi qu'aux enjeux environnementaux qui attirent de nombreux jeunes.
L'enseignement agricole est un outil formidable. Les établissements d'enseignement ont souvent un IPS bas, ce qui n'est pas un frein à des taux élevés de réussite aux examens ainsi que d'insertion professionnelle. Il est vrai que les faibles effectifs permettent une prise en charge et un accompagnement individualisé. Ils peuvent également absorber une augmentation de 1 % des effectifs, sans avoir à renforcer l'encadrement à ce stade.
Les établissements de l'enseignement agricole sont souvent de plus petite taille que leurs homologues de l'éducation nationale. Cela peut poser un problème pour la mise en oeuvre du pacte et ses briques « remplacement de courte durée » : en effet, les remplacements de courte durée à effectuer y sont de fait moins importants alors que le volume horaire - de 18 heures - dû au titre du Pacte est le même que dans l'éducation nationale. Certains enseignants qui n'ont pas pu atteindre ce volume de 18 heures vont être contraints de rendre une partie des sommes perçues, par manque de remplacements à faire.
J'ai été attentif aux propos de Christian Bruyen sur un risque de défavoriser certaines formations au profit des métiers agricoles. La loi d'orientation agricole nous permettra de revenir sur ces sujets.
La formation vétérinaire dépend de l'enseignement supérieur.
En ce qui concerne la dégradation des conditions d'exercice évoquée par certains d'entre vous, je tiens à signaler qu'elle doit être relativisée compte tenu de la hausse des effectifs qui reste modeste - de 1 % en moyenne. Cette augmentation à moyens constants ne met pas en péril l'enseignement agricole.
La baisse des crédits de l'aide sociale s'explique par des mesures de périmètre et de sincérisation des sommes inscrites. Elle prend notamment en compte la diminution du nombre de boursiers qui perdent ce statut lorsqu'ils deviennent apprentis. Par ailleurs, la CDIsation des AED a entraîné des transferts vers les crédits de titre 2.
En cette rentrée 2024, les MFR accueillent 1 600 élèves supplémentaires. Le cadre réglementaire prévoit en moyenne une subvention de l'État de 5 000 euros par élèves. Cela fait 8 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 2 millions d'euros pour revoir les taux d'encadrement de certains niveaux et recruter davantage de formateurs. L'amendement de notre collègue Olivier Paccaud qui propose 10 millions d'euros supplémentaires pour les MFR couvre ces besoins.
Enfin, les formations relatives à la pêche relèvent de plusieurs ministères, notamment du ministère chargé de la mer et de celui de l'éducation nationale.
En conclusion, je défends ce budget prévoyant 35 millions d'euros supplémentaires. En revanche, je souhaite que la ministre nous présente ses arguments pour justifier le coup de rabot qui nous est à ce stade uniquement annoncé, sans plus de précision.
M. Laurent Lafon, président. - Une grande vigilance est de mise sur le coup de rabot.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » du projet de loi de finances pour 2025.
La réunion est close à 11 h 45.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Projet de loi de finances pour 2025 - Crédits relatifs à l'action culturelle extérieure - Examen du rapport pour avis
M. Laurent Lafon, président. - Nous achevons l'examen des crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 relevant de nos compétences par ceux qui ont trait à l'action culturelle extérieure de l'État.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. -Le programme 185 de la mission « Action extérieure de l'État », consacré à la diplomatie culturelle et d'influence, finance l'enseignement français à l'étranger, les services culturels des ambassades et le réseau des instituts français et des alliances françaises, la mobilité étudiante et les partenariats scientifiques, qui constituent autant de relais d'influence de notre pays dans le monde.
Ce domaine traditionnellement très investi par la France prend une importance particulière dans le contexte actuel de regain des tensions entre États, en devenant parfois le seul canal de dialogue possible avec un pays ou un peuple étranger. Il constitue également un terrain de forte concurrence internationale, sur lequel il est crucial de ne pas perdre pied.
Ce programme est malheureusement largement touché par la réduction des moyens alloués au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), avec une baisse de crédits de 6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2024. Les différents opérateurs du programme sont ainsi appelés à prendre leur part de l'effort global de maîtrise des finances publiques. J'ai cependant constaté, au cours de mes auditions, qu'ils continuent d'inscrire leur action dans une dynamique de progression, au prix bien entendu de certains ajustements.
Le principal opérateur du programme, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), verra sa subvention réduite de 14 millions d'euros, soit 3 %. Selon le ministère, cette baisse est à relativiser : une large partie des crédits supprimés correspond en effet à la fin d'une aide exceptionnelle versée depuis 2022 pour les établissements du Liban. Je relève cependant que, comme de nombreux autres opérateurs de l'État, l'AEFE est également touchée par le relèvement du taux de cotisation au titre des pensions civiles, pour un surcoût de plus de 9 millions d'euros.
L'Agence prévoit de faire face à ces évolutions en déployant plusieurs mesures d'économies, qui passeront par des suppressions d'effectifs détachés ainsi que par une baisse des subventions versées aux établissements pour assurer leur développement, notamment en matière immobilière.
Le réseau a par ailleurs la possibilité de mobiliser les frais de scolarité acquittés par les familles, qui représentent un peu moins des deux tiers du financement des établissements conventionnés et en gestion directe. Ces frais de scolarité, d'un montant annuel moyen de 6 051 euros, sont en augmentation régulière depuis une dizaine d'années ; ils restent cependant très compétitifs par rapport à ceux des réseaux anglo-saxons, notamment dans les établissements conventionnés et en gestion directe. Les parents d'élèves s'interrogent toutefois sur leur adéquation avec l'état du bâti scolaire de certains établissements.
En tout état de cause, cette évolution budgétaire ne permettra pas au réseau de s'inscrire dans la trajectoire nécessaire pour atteindre l'objectif de 700 000 élèves à la rentrée 2030, fixé en 2018 par le Président de la République. Alors que ce « Cap 2030 » a été réaffirmé l'année dernière, l'Agence reconnaît à demi-mot qu'il est désormais hors de portée. Pour y parvenir, il faudrait en effet que les effectifs du réseau progressent de 10 % par an, quand leur rythme de croissance annuel s'établit plutôt autour de 2 % depuis trois ans - l'année 2024 a commencé avec un effectif estimé à 399 000 élèves.
Plusieurs facteurs ont contribué au décrochage progressif de cet objectif. Après la crise sanitaire, les tensions politiques ont asséché le vivier d'élèves dans plusieurs zones. C'est le cas dans les pays du Sahel, où le nombre de familles en expatriation a considérablement diminué, mais aussi en Turquie, où la récente interdiction de la scolarisation des élèves de nationalité turque dans le réseau français a conduit à la sortie de 356 élèves. Or la mission de service public assumée par l'AEFE la conduit à maintenir son activité dans des territoires qui ne présentent aucun potentiel de progression des effectifs.
Le réseau fait par ailleurs face à la concurrence très vive des établissements anglo-saxons, qui s'adaptent de manière souple aux contextes locaux. Le réseau français dispose cependant de sérieux atouts pour y répondre, à commencer par la continuité pédagogique et éducative offerte d'un établissement à l'autre.
Au-delà de l'objectif chiffré de 700 000 élèves, l'ambition générale de développement du réseau n'est donc pas abandonnée, et mobilise plusieurs outils du programme. En premier lieu, le plan de formation des personnels locaux mis en oeuvre en 2023, qui se poursuit avec la montée en puissance des seize instituts régionaux de formation (IRF). En second lieu, les bourses France Excellence-Major, qui permettent aux meilleurs élèves étrangers de poursuivre leurs études supérieures en France, et dont le nombre sera porté à 910. Enfin, le développement du plurilinguisme, qui passe par la diffusion des sections internationales et la mise en valeur du baccalauréat français international, dont une deuxième cohorte d'élèves sera diplômée en juin 2025.
La stratégie définie par le ministère tend à concentrer ces efforts sur onze pays cibles, et cite explicitement les élèves étrangers comme le principal vivier de progression des effectifs. À ce jour, plus des deux tiers des élèves du réseau ont la nationalité du pays d'implantation ou une nationalité tierce ; leur part s'accroît depuis la crise sanitaire, tandis que celle des élèves français diminue.
En s'insérant ainsi sur le marché de l'éducation internationale, pour lequel existe aujourd'hui une demande croissante et indépendante des logiques d'expatriation, l'AEFE inscrit clairement son développement dans la stratégie d'influence française. Cette évolution correspond à la mission de rayonnement de la langue et de la culture françaises qui lui est confiée par le code de l'éducation.
Permettez-moi de dire un mot des défis auxquels est confrontée l'Agence pour assurer l'application du principe de laïcité.
Bien entendu, les établissements du réseau sont assujettis aux lois et réglementations des territoires sur lesquels ils sont implantés ; les principes de la loi de 1905 ne valent donc ni pour les élèves ni pour les personnels recrutés localement. Pour autant, la laïcité à la française était traditionnellement bien acceptée, y compris dans l'espace arabo-musulman. Il semble que cette acceptation recule désormais, en raison de l'exportation des récents débats sur les tenues autorisées dans les établissements scolaires ; c'est notamment le cas au Maroc ou en Turquie. L'AEFE m'indique qu'elle demande à ses agents « de s'adapter sans renoncer, de tenir les objectifs, mais en faisant preuve de doigté », en acceptant au besoin « des accommodements raisonnables ».
Nous serons tous d'accord pour constater que l'AEFE est confrontée à de nombreuses mutations, qui mériteraient que nous nous y intéressions plus longuement. C'est pourquoi, en accord avec notre président Laurent Lafon, je vous propose de recevoir prochainement sa directrice au sein de notre commission.
J'en viens aux crédits de l'Institut français, dont la subvention sera en baisse de 6 %. La diminution est à mettre en rapport avec celle des dépenses d'intervention du programme, qui est plutôt de l'ordre de 15 % ; on peut donc considérer que le choix a été fait de préserver cet opérateur.
Cette évolution ne devrait pas fondamentalement remettre en cause le niveau d'activité de l'Institut, qui tend à s'accroître sous l'effet de financements extérieurs apportés par la Commission européenne, l'Agence française de développement (AFD) ou encore la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle le conduit cependant à mettre en place des mesures d'économies.
Ainsi, à court terme, l'Institut économise sur ses frais de fonctionnement, et notamment sur son loyer, à la faveur de son récent déménagement rue de la Folie-Régnault.
À moyen terme, il a entamé une revue stratégique de ses activités, qui le conduira à se désengager partiellement de certains programmes, tels que le soutien aux cinémas du monde et le soutien aux résidences et aux mobilités d'artistes. Les partenariats noués avec les collectivités locales seront par ailleurs recentrés sur les plus dynamiques d'entre eux.
À ce titre, les partenariats avec des acteurs locaux offrent une visibilité bienvenue des activités de l'Institut auprès de nos concitoyens, pour qui les enjeux de la diplomatie culturelle peuvent parfois sembler quelque peu lointains. Je pense notamment au succès de l'exposition Salammbô, organisée avec les musées de Rouen Normandie et le Mucem de Marseille, et qui est visible à Tunis depuis le mois de septembre dernier.
Ces nouvelles orientations seront complétées par les priorités définies dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'Institut, qui sera soumis à l'avis de la commission des affaires étrangères du Sénat dans les prochaines semaines. Ces priorités portent notamment sur le développement des industries culturelles et créatives, qui constitue un secteur majeur d'intervention depuis 2019. S'y ajoutera le soutien à la création artistique ; la présidente de l'Institut souligne à ce titre que le spectacle vivant, dont les difficultés nous ont été rappelées ce matin par notre collègue Karine Daniel, pourrait bénéficier d'un renforcement de sa diffusion internationale. Alors que les productions françaises sont très demandées à l'étranger, leur exportation pourrait ainsi permettre d'allonger leur durée de vie et donc leur amortissement.
En ce qui concerne la coopération universitaire, je relève avec satisfaction que les crédits des bourses de mobilité du Gouvernement seront stabilisés à hauteur de 70 millions d'euros. Pour mémoire, ces bourses sont attribuées par Campus France afin de favoriser la formation en France de profils étrangers à haut potentiel. Alors que leur montant augmente, cette consolidation de leur financement apparaît indispensable ; 10 700 bourses de mobilité devraient ainsi être attribuées en 2025.
Il est toutefois probable que cet effort budgétaire ne suffise pas à atteindre les objectifs fixés par la stratégie Bienvenue en France lancée en 2018, qui vise à accueillir 500 000 étudiants étrangers, dont 15 000 boursiers du Gouvernement, à l'horizon 2027. En 2023-2024, 430 000 étudiants étrangers étaient inscrits dans l'enseignement supérieur français, soit une hausse de 17 % depuis 2018 ; pour atteindre l'objectif poursuivi, une hausse équivalente serait nécessaire dans les deux prochaines années. Le ministère indique que « tout en continuant à tendre vers l'objectif des 500 000, une approche plus qualitative est désormais recherchée ». Cette nouvelle approche passera notamment par la généralisation de la plateforme Études en France - elle constitue l'équivalent de Parcoursup pour les étudiants extra-européens - et par la priorité donnée à l'accueil des niveaux master et doctorat.
Le programme 185 comporte par ailleurs plusieurs lignes de crédits visant à valoriser l'expertise française en matière archéologique et patrimoniale. Face aux menaces de destruction pesant sur le patrimoine architectural de plusieurs États en crise, ces financements prennent une importance renouvelée. Je pense notamment à la contribution française à l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) ou au soutien de la recherche archéologique française à l'étranger. Alors que le contexte budgétaire impose une réduction du financement des unités mixtes des instituts de recherche, nous devrons nous montrer vigilants sur la préservation de ces opérations.
Je vous signale également le renouvellement de la contribution au fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels d'Afrique subsaharienne, qui intéressera les travaux de la commission portant sur les restitutions d'oeuvre d'art.
J'en termine en soulignant l'engagement et la capacité d'adaptation exceptionnels des opérateurs du programme face aux crises et aux conflits qui se multiplient en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.
Dans la zone sahélienne, l'AEFE a organisé en urgence un enseignement à distance pour les élèves du Niger ainsi qu'un accompagnement financier pour leur permettre de se présenter à leurs examens à Lomé, capitale du Togo voisin.
En Israël, les réseaux de coopération et d'enseignement continuent de fonctionner malgré la forte baisse de leurs effectifs. La France est par ailleurs le seul État occidental à maintenir sa diplomatie culturelle à Gaza. Les activités du poste, dont malheureusement quatre agents sont décédés depuis le début de la guerre, sont assurées depuis Jérusalem ; elles portent principalement sur un programme de résidence, qui permet aux artistes gazaouis de s'extraire quelques mois des conditions extrêmement difficiles du terrain.
Au Liban, la programmation culturelle a été mise à l'arrêt dans le nouveau contexte de guerre. La demande reste cependant forte dans les antennes des instituts et des alliances encore ouverts, notamment pour les médiathèques et les cours de langues.
En Ukraine, les établissements scolaires de Kiev continuent à fonctionner avec un effectif majoritairement constitué d'élèves ukrainiens. L'Institut français a renforcé ses liens avec le pays en soutenant la création d'un Institut ukrainien à Paris, alors que le pays cherche à affirmer la spécificité de son identité culturelle par rapport à la Russie.
Dans d'autres États, les tensions sont telles qu'aucune solution permettant d'assurer la continuité des réseaux français ne peut être trouvée. Je pense notamment à la fermeture du lycée de Bakou, ou encore aux tensions avec la Turquie que j'ai déjà évoquées.
Mes chers collègues, je ne peux évidemment me réjouir des baisses de crédits que je viens de vous présenter. Il me semble cependant qu'elles ont été opérées de manière à préserver autant que possible les marges de manoeuvre de notre diplomatie d'influence, dans un contexte où chacun doit prendre sa part de l'effort de maîtrise des finances publiques. Je vous propose en conséquence de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Yan Chantrel. - Merci de votre excellent rapport. Nous regrettons la baisse importante des crédits du programme, qui atteint près de 45 millions d'euros, quand notre pays a accueilli en 2024 le sommet de la francophonie.
Le budget étant consacré à 65 % à l'AEFE, c'est l'Agence qui subit le plus fortement l'effet de cette baisse, avec une diminution de ses moyens de 14 millions d'euros. Celle-ci apparaît d'autant plus paradoxale que le Président de la République a assigné à l'Agence l'objectif, qui n'a à ce jour pas été remis en cause par le Gouvernement, de doubler le nombre de ses élèves d'ici à 2030. La cohérence de la situation m'échappe, à moins de vouloir susciter une forme de concurrence, potentiellement pernicieuse, au sein même du réseau français et une privatisation rampante de ce dernier. Or notre réseau éducatif se distingue, notamment par rapport à l'offre anglo-saxonne, par sa recherche d'un enseignement de qualité, original, souvent beaucoup plus abordable financièrement et marqué par une volonté de mixité sociale, ce qui le rend attractif.
Sans doute le Gouvernement devrait-il prendre acte de la fin du « Cap 2030 », en reconnaissant que l'objectif qui s'y associe n'est pas réalisable. Ne pas le faire met le réseau en difficulté, avec des personnes qui doivent se consacrer à la poursuite de cet objectif en créant, avec des fonds publics, des établissements intégralement privés.
Des difficultés existent également dans le recrutement des enseignants. Elles touchent à l'attractivité même du métier et ne concernent pas uniquement notre pays.
Par ailleurs, mes collègues Catherine Belrhiti, Pierre-Antoine Levi et moi-même avons récemment remis un rapport d'information sur la francophonie. L'une de nos recommandations concerne les alliances et instituts français. En considération de nos contraintes budgétaires, nous suggérons d'ouvrir, en contrepartie d'une participation financière, notre réseau à d'autres pays francophones qui sont nos partenaires et qui disposent de moyens diplomatiques importants. Il s'agirait de formaliser avec eux de véritables alliances de la francophonie, au service d'une stratégie beaucoup plus coopérative et globale sur le plan culturel. La préoccupation est également d'ordre géopolitique, car certains de ces pays, soumis à d'autres influences comme celles de la Chine ou de la Russie, accueillent de plus en plus difficilement le drapeau français sur leur sol et la pratique de notre langue y régresse. Nous aurions tout intérêt à les aborder et à y reprendre pied sous le couvert plus large de la francophonie, aux côtés d'autres pays. Notre rapport fait observer que, en 2050, 90 % des francophones vivraient en Afrique.
Nous ne sommes pas favorables à ces crédits.
Mme Catherine Belrhiti. - Je félicite le rapporteur pour son exposé très complet. Nous examinons un programme fondamental de l'action extérieure de l'État, elle-même constitutive d'un domaine essentiel de notre politique internationale. Il représente 19 % du budget total du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est un effort à saluer dans le contexte de crise budgétaire que nous traversons, qui reflète la volonté de l'État de maintenir une politique extérieure ambitieuse tout en faisant face aux contraintes financières actuelles.
Pilier de notre stratégie de rayonnement international, ce programme est guidé par quatre objectifs principaux : la promotion de la langue française et de l'enseignement français à l'étranger, le renforcement de l'attractivité universitaire et scientifique de la France, l'intensification de la coopération culturelle, la mise en oeuvre de la diplomatie pour relancer l'économie nationale.
Le réseau de coopération et d'action culturelle représente une véritable infrastructure de diplomatie culturelle. Il joue un rôle central dans la diffusion de notre langue, de notre culture et de notre modèle d'éducation dans le monde. Grâce à ce vaste réseau d'institutions à l'étranger, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » est un puissant levier pour renforcer notre influence tant culturelle qu'intellectuelle. Ce réseau permet de bâtir des ponts solides avec nos partenaires internationaux, tout en consolidant les liens avec les populations et les jeunes générations. Il incarne l'une des forces majeures de la diplomatie culturelle de la France. Au travers des instituts français et des alliances françaises, la France reste un acteur incontournable du dialogue culturel et de la promotion de la diversité. Par son implantation locale, ce réseau nous permet de porter haut les valeurs de la France, de la francophonie, de la solidarité et de l'échange.
Malgré la diminution des crédits qui le concernera à partir de 2025, ce programme semble conserver l'ambition de continuer à faire preuve de son efficacité sur le terrain.
Nous savons que chaque euro investi dans la diplomatie culturelle engendre des retombées multiples, sous l'angle à la fois de l'influence, des partenariats et du développement économique, en contribuant à la mise en valeur de notre patrimoine et de notre savoir-faire à l'international. Plus que jamais, la diplomatie culturelle et l'influence internationale sont des leviers stratégiques pour la France. Ce programme, avec ses objectifs clairs et les moyens qu'il y consacre, en est une parfaite illustration.
C'est pourquoi notre groupe suivra l'avis du rapporteur.
Mme Mathilde Ollivier. - Pour notre part, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur. Dans le programme 185, nous relevons des diminutions de 15 millions d'euros pour l'enseignement supérieur, de 11 millions d'euros pour la coopération culturelle et la promotion du français - la contradiction avec les engagements pris lors du dernier sommet de la francophonie est ici flagrante -, de 14 millions d'euros pour l'AEFE, de 5 millions d'euros pour la diplomatie économique. Le programme entre dans le cadre de la mission « Action extérieure de l'État » qui voit elle-même son budget global diminuer de 144 millions d'euros, une somme particulièrement importante pour le MEAE.
Nous sommes toujours opposés à l'objectif d'un doublement du nombre des élèves de l'AEFE à l'horizon de 2030, dont vous nous avez dit qu'il ne serait vraisemblablement pas atteint. Cet objectif suppose en effet d'abord le développement d'établissements privés à but lucratif, sans véritable réflexion sur la cohérence du réseau français à l'étranger ni sur la qualité de l'enseignement qui y est dispensé.
Nous déplorons par ailleurs la baisse de 25 % des crédits consacrés à l'action no 03 « Objectifs de développement durable » (ODD). Elle contrarie la réelle volonté de progresser sur ces objectifs et les initiatives prises sur les enjeux du changement climatique que je constate lors de mes déplacements dans les établissements français de l'étranger.
Il a été question des financements extérieurs auxquels les instituts français pouvaient prétendre, notamment auprès de l'Union européenne. Cependant, solliciter des ressources propres, en particulier en participant à des appels à projets, représente pour eux une difficulté, car cela suppose de mobiliser des effectifs limités qui, pendant ce temps, ne se consacrent plus au développement des projets locaux.
Enfin, la réduction du nombre des bourses destinées à soutenir des artistes en résidence à l'étranger serait particulièrement problématique pour l'influence de la France. Ces aides contribuent en effet pour une part non négligeable à son rayonnement dans le monde.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci au rapporteur pour les précisions qu'il nous a apportées. Malgré la baisse régulière depuis des années des crédits du programme 185, la France continue de jouir à l'étranger d'une indéniable reconnaissance. Un notable « besoin de France » s'y manifeste toujours. Telle était l'une des conclusions du rapport d'information qu'Else Joseph et moi-même avions consacré à l'expertise patrimoniale et muséale. L'action extérieure de l'État comprend également l'ensemble de ces coopérations et interventions à l'étranger, bien que nous ne les citions pas spontanément à l'occasion de l'examen des crédits du présent programme. Je pense notamment au rôle de la Commission consultative des recherches archéologiques à l'étranger, de l'AFD ou de l'agence Expertise France.
À mes collègues qui déplorent les diminutions de crédits du programme et le nombre réduit des agents des instituts français, qui ne leur permet pas toujours d'exécuter complètement les missions figurant dans leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM), je rappelle que la principale de ces baisses, de 47 %, et qui a durablement fragilisé l'Institut français, est intervenue sous la présidence de François Hollande...
M. Yan Chantrel. - Je m'attendais à cette remarque !
Mme Catherine Morin-Desailly. - La fragilisation de ce réseau ne date pas d'aujourd'hui. La baisse des crédits de 6,2 % dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par rapport à la LFI de 2024 ne le met pas structurellement plus en danger.
La question revient à se demander si la France dispose encore des moyens d'une diplomatie culturelle ambitieuse, à laquelle, je crois, nous tenons tous. Au travers de la francophonie, il s'agit de promouvoir la diversité culturelle et de porter les valeurs de la démocratie. Il paraît pertinent que nous nous interrogions sur de nouvelles pistes d'action.
Je salue en particulier la suggestion de Yan Chantrel et Catherine Belrhiti d'ouvrir le réseau à nos partenaires francophones, afin de développer un projet collectif ambitieux. Dans le champ culturel, la coopération avec eux existe déjà, par exemple via la chaîne TV5 Monde.
Au cours de son audition, la présidente de l'Institut français nous a rappelé son effort de maintenir l'implantation de l'Institut dans les zones de guerre et de conflit. Cet effort est remarquable. À Ramallah, par exemple, l'institut français, lié à l'institut Goethe, continue de fonctionner. Il faut tout faire pour que, en effet, les divers acteurs de la culture poursuivent leur oeuvre dans ces territoires.
La présidente de l'Institut français a également insisté sur le rôle de la coopération avec les collectivités territoriales. Les crédits que nous votons à destination de l'Institut français leur profitent également lorsqu'elles développent des projets, telle la grande exposition Salammbô qui se tient actuellement à Tunis.
Enfin, à la suite de nos réflexions conduites sur les ingérences étrangères, je constate que, plus que jamais, l'audiovisuel extérieur a besoin de notre soutien. Outre la promotion de la langue et de la diversité culturelle - France Médias Monde et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) tiennent ici un rôle de premier plan -, il contribue à la lutte contre la désinformation.
En dépit des difficultés que nous identifions et que regrettons avec vous, nous soutiendrons l'avis du rapporteur.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci à Claude Kern pour la qualité de son rapport. Celui de cette année est néanmoins quelque peu attristant. La baisse des crédits n'est pas seule en cause : par rapport à l'an passé, le nombre de Français et d'enseignants qui travaillent dans des zones de guerre, ou dans des zones de très forte contestation de la présence française par les autorités gouvernementales locales - par exemple en Turquie - a augmenté et nous voyons avec quelle difficulté ils essayent de porter encore la voix de la France. La simple considération de ce travail et des risques qu'ils prennent aurait justifié que le Gouvernement maintienne le niveau des crédits du programme 185. Le message que nous leur adressons n'est, au contraire, pas satisfaisant.
Il est par ailleurs fâcheux de constater que l'expertise française à l'étranger pâtit toujours du problème manifeste de coordination qui prévaut entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et celui de la culture. Il semblerait même que la capacité du second à intervenir à l'étranger se soit encore restreinte.
En outre, la diplomatie des agences a montré ses limites et nos différents rapports sénatoriaux successifs s'efforcent de recenser les dispositifs qui échappent au contrôle du Parlement.
Le devenir des unités mixtes de recherche (UMR) à l'étranger des instituts français me préoccupe. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a annoncé à plusieurs reprises vouloir se désengager de ces structures. Il est à craindre qu'il utilise le prétexte du coup de rabot que, notamment, la commission des finances du Sénat va lui imposer pour quitter les instituts français. Ce serait catastrophique pour l'Institut, car il ne pourrait plus bénéficier de l'apport des chercheurs du CNRS en disponibilité.
Je partage totalement le point de vue de Catherine Morin-Desailly : partout où l'on se rend dans le monde, une demande de France n'est pas satisfaite, quand nous pourrions l'utiliser pour renforcer notre présence à l'étranger. Et elle ne l'est pas uniquement pour des motifs d'ordre pécuniaire. Souvent, notre pays est incapable de signaler aux gouvernements étrangers quelles compétences il pourrait mobiliser pour les aider. Nous le constatons, par exemple, dans le domaine de l'archéologie, où c'est de nouveau un problème de coordination entre les différents acteurs nationaux qui se pose.
Pour ces différentes raisons, nous ne nous prononcerons pas dans le sens de la conclusion de votre rapport.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - J'adresse mes remerciements aux différents intervenants pour leurs remarques et suggestions. J'exprimerai un regret, celui de n'avoir pu entendre les représentants du MEAE, spécialement sur l'objectif, utopique, de doubler le nombre des élèves de l'AEFE. Nous ne parviendrons pas à atteindre un tel objectif et, dans ces conditions, il importe de redonner à l'AEFE une vision claire de son avenir.
Après le remarquable travail que vous avez conduit sur le réseau français de coopération, nous pourrions également rencontrer la présidente de l'Institut français. Par ailleurs, je ne peux évidemment que partager vos observations.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'action culturelle extérieure de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2025.
La réunion est close à 14 h 45.