Jeudi 28 novembre 2024

- Présidence de M. Bernard Delcros, président -

Désignation de rapporteur

M. Bernard Delcros, président. - Mes chers collègues, avant de recevoir notre ancienne collègue et désormais ministre du Logement et de la Rénovation urbaine, Madame Valérie Létard, je souhaitais soumettre à votre approbation le lancement d'une nouvelle mission d'information sur les modalités susceptibles de permettre une réforme de la santé scolaire.

Cette mission d'information pourra bénéficier des travaux menés par la société EY, titulaire du marché « Études » passé par le Sénat, qui sera chargée de la réalisation d'une étude d'impact portant sur le transfert expérimental de la compétence « médecine scolaire » aux collectivités volontaires. Cette initiative constituera notre première étude d'option, comme le prévoit la charte en faveur de la simplification des normes signée par le Gouvernement et le Président du Sénat, le 16 mars 2023.

Les conclusions de cette étude seront présentées lors de la réunion plénière du 12 décembre 2024. Elles nourriront utilement les travaux de cette mission qui présentera son rapport au cours du premier trimestre 2025.

Je vous propose à cette fin de désigner notre collègue Hervé Reynaud, en tant que rapporteur de cette mission d'information.

Il en est ainsi décidé.

Logement et ruralité : audition de Mme Valérie Létard, ministre du Logement et de la Rénovation urbaine

M. Bernard Delcros, président. - Au nom de la délégation aux collectivités territoriales, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous nous réjouissons de vous accueillir à nouveau parmi nous, dans cette maison que vous connaissez bien.

La situation du logement est une préoccupation centrale pour nos collectivités territoriales. La conjonction de plusieurs circonstances a contribué à une dégradation de la politique du logement : les locations de courte durée - je me réjouis que la loi du 19 novembre 2024 sur le déséquilibre du marché locatif ait rééquilibré la fiscalité qui jouait contre les locations de longue durée -, l'élévation des taux d'intérêt, ou encore le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ), un sujet qui vous est cher, Madame la ministre, que nous avions réussi à préserver au Sénat, avant que nos efforts ne soient annihilés par l'épreuve du 49.3.D'autres circonstances peuvent encore aggraver la situation, comme le manque de souplesse des plans locaux d'urbanisme, qui pénalise des constructions et des projets, en particulier en secteur rural. Globalement, la politique nationale du logement a manqué de vision - et nous sommes très intéressés par votre vision d'une politique efficace du logement aussi bien en zone tendue, qu'en zone rurale.

Un chiffre très significatif : il n'y a eu, cette année, qu'environ 40 000 PTZ, dont 46 % dans le neuf, soit le volume le plus faible enregistré depuis la création de ce prêt en 1995.

Ces tensions, ces blocages ont des conséquences sur les familles, bien sûr, et sur les collectivités territoriales, qui subissent les normes, mais aussi des effets budgétaires pour l'État, à travers notamment la TVA et l'impôt sur les sociétés.

Les sujets ne manquent donc pas, et nous aimerions savoir selon quelles modalités le Gouvernement envisage d'apporter son soutien e à la production de logements, ainsi qu'à leur rénovation énergétique, dans les territoires urbains, mais aussi en secteur rural. Je demande à mes collègues de bien vouloir réserver leurs questions sur l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour Mme Catherine Vautrin, Ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation que nous entendrons prochainement.

Mme Valérie Létard, ministre du Logement et de la Rénovation urbaine. - Merci pour votre accueil, c'est un grand plaisir d'être parmi vous, je sais combien votre travail, ancré dans les territoires, est essentiel au fonctionnement de notre démocratie - la sagesse du Sénat prend tout son sens dans la période actuelle.

Comme nous, Gouvernement, parlementaires, les collectivités territoriales sont mobilisées pour apporter chaque jour des réponses concrètes à nos concitoyens. Je voudrais d'abord redire - mais vous connaissez mon engagement - que je suis bien consciente de ce rôle majeur qu'elles jouent dans le fonctionnement de notre pays et de notre démocratie. L'actualité récente l'a encore prouvé, lorsqu'il a fallu faire face aux fortes intempéries dans la moitié sud de la France et héberger en urgence de nombreux habitants.

Nous tous, décideurs publics, sommes aussi confrontés au même contexte économique et budgétaire dégradé. La période que nous vivons est extrêmement difficile et nous demande de faire des choix qui ne sont pas aisés. Inverser la tendance pour réduire notre déficit est un impératif et il nous faut porter ensemble un projet pour la France. Dans cet effort collectif, chacun doit prendre sa part.

Dans le PLF 2025, je porte deux priorités pour le logement qui me semblent pouvoir faire l'objet d'un consensus dépassant les clivages politiques.

D'abord, redonner des marges d'investissement aux bailleurs sociaux, en plafonnant la réduction du loyer de solidarité (RLS) qui pèse sur leurs ressources. La réduction du loyer de solidarité, c'est tout simplement ce qui constitue la capacité à préserver des fonds propres pour aller lever les emprunts, les prêts. C'est un élément essentiel et stratégique pour nos bailleurs sociaux, tout comme le taux du livret A dont nous parlerons plus tard. En contrepartie, j'attends que les bailleurs prennent des engagements forts, notamment en matière de rénovation énergétique du parc social.

Ensuite, relancer le moteur de l'accession à la propriété, avec l'extension du prêt à taux zéro (PTZ) à l'ensemble du territoire français. Je tiens à cette extension, elle bénéficiera aussi aux territoires plus ruraux et favorisera un aménagement équilibré de notre territoire - et je sais que le Sénat est très mobilisé pour le logement dans les territoires ruraux. Soutenir le PTZ, c'est soutenir ce qui est pour beaucoup de familles le début d'un parcours résidentiel ; c'est aussi un investissement efficace pour le secteur du BTP. Un euro investi dans le logement, c'est dix, vingt euros de retombées économiques - et donc, de retombées fiscales pour l'État et les collectivités territoriales.

Concernant la hausse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), dont nous avons beaucoup parlé ces derniers jours, je suis consciente des difficultés rencontrées par les départements. Vous connaissez toute l'attention et l'engagement personnel que je porte aux enjeux de solidarité. Le rôle des départements est essentiel à nos politiques publiques en la matière, et ils doivent pouvoir poursuivre cette action. Mais je sais aussi l'impact que nos décisions fiscales ont, au quotidien, sur les décisions des Français et sur leur pouvoir d'achat. Le choix a été fait de permettre une augmentation temporaire des DMTO au profit des budgets départementaux, et j'en prends acte. Cette augmentation ne doit pas affecter trop durement le marché immobilier qui montre des signes timides de reprise, mais qui reste encore très fragile. Surtout, n'en évinçons pas nos concitoyens aux moyens plus limités, pour qui mille euros peuvent remettre en cause l'achat de leur premier logement. C'est pourquoi je soutiens, avec mes collègues du Gouvernement, l'exclusion des primo-accédants de l'augmentation temporaire des DMTO - ne serait-ce que par cohérence avec l'extension du PTZ, attention à ce que nos décisions ne se contredisent pas.

Des mesures fortes, structurelles figurent dans ce budget, elles me paraissent prioritaires pour répondre tant à l'enjeu social - permettre à tous nos concitoyens de se loger - qu'à l'enjeu économique - celui d'amorcer la relance d'un secteur prépondérant de notre économie et qui contribue, lorsqu'il va bien, à nos grands équilibres fiscaux et budgétaires.

Je tenais également à vous confirmer que j'ai obtenu, dans le cadre des arbitrages budgétaires, et avec l'accord du Premier ministre, la confirmation de l'engagement financier de l'État auprès des 22 projets lauréats du programme « Territoires engagés pour le logement », lancé en 2023. Cet engagement de l'État auprès des collectivités qui portent des projets ambitieux et vertueux de logements se traduira par 122 millions d'euros de participations de l'État d'ici 2027, pour la construction de 46 000 logements, dont 16 000 logements sociaux. Cela permettra de soutenir notamment les opérations programmées à Saint-Etienne, Saint-Malo, Dunkerque, au pays de Caux, au Pays basque ou encore à Alzette-Belval. Cet engagement illustre la volonté du Gouvernement en matière de politique du logement, en direction de tous nos concitoyens, y compris les plus vulnérables.

Je souhaite aussi avancer résolument sur la voie de la simplification du droit de l'urbanisme. Je sais que le Sénat, et notamment votre délégation, a énormément travaillé, consulté, sur ces sujets de simplification des normes pour les collectivités territoriales, vos contributions seront essentielles pour nourrir ces travaux.

L'enjeu est triple. D'abord, il faut simplifier les documents d'urbanisme, en évitant les redondances et en allégeant les procédures. La sécurisation des documents d'urbanisme face aux recours est aussi un enjeu majeur, car tous les efforts et le temps passé à élaborer, concerter, consulter doivent être récompensés. Cette simplification doit faciliter la tâche des élus dans leurs démarches de planification d'aménagement.

Ensuite, l faut simplifier les procédures relatives aux permis de construire, par exemple en recourant davantage à la participation par voie électronique plutôt qu'à l'enquête publique. Les enjeux de construction de logements, de réindustrialisation, de protection de l'environnement doivent être plus lisibles pour nos concitoyens, en outre cela nous permettra de les associer plus efficacement à ces démarches.

Enfin il faut simplifier, pour que les projets émergent plus facilement et plus rapidement, surtout sur nos politiques prioritaires. J'y inclus la construction de logements pour les jeunes et les étudiants, ou la transformation de bureaux en logement. Il faut déverrouiller les documents d'urbanisme pour qu'ils puissent mieux accueillir ces projets. Je soutiens d'ailleurs les travaux menés dans le cadre de la proposition de loi déposée par Romain Daubié à l'Assemblée nationale, qui vise à faciliter la transformation de bureaux en logements.

Pour toutes ces raisons, j'ai fait de la simplification un axe fort de ma feuille de route, notamment au bénéfice des projets des collectivités territoriales, comme nous l'a demandé le Premier ministre. Je souhaiterais, en collaboration étroite avec le Parlement, pouvoir travailler à un texte, d'ici le début d'année prochaine, qui traite spécifiquement de ces simplifications en matière d'urbanisme et de logement.

Concernant le logement social, je l'affirme depuis le premier jour, la baisse de la réduction du loyer de solidarité (RLS) doit permettre de redonner du souffle aux bailleurs. En contrepartie du plafonnement de la réduction du loyer de solidarité, je souhaite engager un mouvement de contractualisation avec les bailleurs et les groupes de bailleurs, sur un nombre limité d'objectifs, facilement quantifiables et contraignants pour les opérateurs. Je veux que les bailleurs s'engagent sur des objectifs ambitieux de production et de rénovation énergétique du parc à travers des contrats, qui doivent préfigurer la troisième génération de convention d'utilité sociale. Ces nouveaux contrats seront signés au bon échelon, à l'échelle du groupe le cas échéant, sans empêcher une déclinaison plus fine et plus souple pour donner des perspectives à l'échelon local, et en particulier aux collectivités délégataires des aides à la pierre.

Je souhaite également pouvoir travailler sur les orientations données par le Premier ministre dans son discours de politique générale sur la place du maire dans les procédures d'attribution des logements sociaux. Ce travail doit être mené en concertation étroite avec les maires. Nous allons, dans les prochaines semaines, consulter les élus et travailler avec vous pour définir les modalités adéquates. Les sensibilités différentes des deux chambres du Parlement sur cette question ne doivent pas constituer un obstacle, nous devons travailler ensemble, parce qu'il faut avancer y compris dans le contexte politique qui est le nôtre : nos concitoyens attendent de la stabilité et les maires, des solutions.

Enfin, je ne pourrais terminer mon propos sans vous parler du bassin minier. Il s'agit d'un sujet sensible et difficile sur le plan administratif, ce territoire atypique devrait faire l'objet d'une rénovation urbaine, mais il n'entre dans aucune des catégories administratives de la rénovation urbaine, aussi l'annualité budgétaire des politiques publiques ordinaires est-elle mise à l'épreuve dans ces territoires - ils ne bénéficient pas de la contractualisation pluriannuelle, qui sécurise les crédits et des actions de longue durée comme sait les conduire l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Je vous confirme le prolongement des crédits de l'Engagement pour le renouveau du bassin minier (ERBM) : 8 millions d'euros sont prévus en 2025 pour soutenir la rénovation énergétique des logements sociaux, conformément aux besoins identifiés, 17,5 millions d'euros pour l'aménagement des cités minières. Sur ce territoire, l'État s'est engagé et continuera de s'engager, à la hauteur des besoins, avec des retombées économiques importantes pour le bassin minier. Sur le strict champ de la rénovation énergétique des logements, les 33 millions d'euros dont nous aurons besoin d'ici 2027 - et nous les trouverons - génèreront 1,2 milliard d'euros de retombées économiques sur le territoire en trois ans.

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour les précisions relatives à l'action du Gouvernement que vous nous avez apportées. Je partage votre point de vue sur le fait qu'il faut probablement exclure les primo-accédants de l'augmentation des DMTO, comme sur la nécessité de rechercher les moyens de simplifier notre droit de l'urbanisme, mais aussi les relations contractuelles entre les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux.

À travers un exemple très concret, je veux illustrer la capacité des services extérieurs de l'État à complexifier les projets plutôt que les faciliter, en donnant à la loi une interprétation qui s'éloigne de l'intention du législateur. Dans mon département, nous sommes soumis à la loi « Montagne ». L'esprit de cette réglementation est d'encadrer la construction afin d'assurer la continuité de l'habitat plutôt que d'encourager l'habitat dispersé. Le fils d'un agriculteur voulait construire sur un terrain appartenant à ses parents, en continuité directe d'une parcelle habitée par ses parents, la demande de permis de construire a été refusée au motif que le hameau ne comptait que quatre habitations alors qu'il fallait cinq habitations pour qu'il y ait continuité - les services ont répondu que ce projet relevait de l'habitat dispersé ; or, la loi a-t-elle fixé un seuil de cinq habitations ? Non, c'est une invention des services extérieurs de l'État. Ce refus a eu un effet dévastateur : les habitants sont furieux, le maire ne comprend pas, en fait personne ne comprend et cela ne fait pas de bien à nos institutions. Autre exemple : les services de l'État ont refusé un permis à un projet qui était en bordure d'un village, au motif qu'il en était séparé par un ancien chemin de trois mètres de large, que personne n'emprunte plus. C'est tout à fait exagéré et certainement pas dans l'esprit de la loi. Je le signale parce que tout cela a des effets très concrets sur le terrain - et parce que les services extérieurs de l'État ne devraient pas prendre des décisions sur des motifs aussi contraires à l'esprit de la loi.

M. Cédric Chevalier. - Nos politiques publiques sont fondées sur des statuts plutôt que par période de la vie. Ces catégories sont rigides et ne nous permettent pas de nous saisir de logiques spécifiques telles que la question de l'accès des jeunes au logement. Elles n'intègrent pas bien les besoins de mobilités géographiques et statuaires, par exemple quand des jeunes reprennent des études après une période d'activité -. Cette rigidité s'impose à tous les acteurs, jeunes demandeurs de logements, bien sûr, mais aussi promoteurs et bailleurs, qui peuvent hésiter à développer de l'offre pour telle ou telle « case » du logement social. Face à ce constat, et eu égard à l'importance du logement pour la jeunesse, ne faudrait-il pas réfléchir en périodes de la vie, donc prévoir du logement pour les jeunes, comme catégorie large, avec d'autres critères d'accès ?

De même, comment faire quand des entreprises demandent à ce que des logements sociaux se trouvent à proximité de leur implantation, mais que les bailleurs sont dans l'impossibilité de répondre à cette demande parce que ce n'est pas une zone tendue ?

Mme Valérie Létard. - Pour la mise en oeuvre de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), nous apportons notre contribution à la réflexion en cours pilotée par Catherine Vautrin - il faut, en particulier, que du foncier reste disponible pour accompagner les salariés de l'industrie par exemple.

M. Hervé Reynaud. - Nous avons le sentiment que la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « ELAN », a été conçue pour des zones tendues. Elle a pour effet qu'en zone « détendue » on perd de la proximité avec des bailleurs qui se concentrent sur les zones tendues et s'agrandissent, tandis que les investisseurs privés, eux, ne viennent pas davantage dans la ruralité. Les bailleurs sociaux ont donc la lourde responsabilité de devoir construire et réhabiliter des logements, mais cela coûte très cher, de plus en plus cher ; j'apprécie donc vos intentions, mais, je le vois sur le terrain, dans le département de la Loire, une certaine dynamique s'essouffle - il faut donc que vous puissiez mobiliser des moyens particuliers pour réaliser vos objectifs.

M. Bernard Delcros, président. - J'ai fait un constat identique en présidant un office départemental de l'habitat : il y a un frein économique, une barrière qui empêche les bailleurs sociaux de construire dans le rural.

M. Bernard Buis. - Je corrobore le propos sur l'interprétation parfois restrictive de la loi par les services extérieurs de l'État, j'ai encore eu un cas la semaine dernière dans mon département. Ils nous répondent souvent qu'ils n'auraient pas à interpréter ainsi les règles si la commune avait une carte communale ou un plan local de l'urbanisme (PLU) ; mais cela coûte 50 000 euros, ce n'est guère possible pour une commune de 50 habitants - le Règlement national d'urbanisme (RNU) y supplée en théorie, mais ce n'est plus le cas.

Je souhaiterais connaître les modalités concrètes qui vont permettre d'augmenter de moitié le nombre de bénéficiaires d'un PTZ. Comment garantir que ce prêt aille aux plus modestes ? Comment, ensuite, pensez-vous accompagner la fin du « Pinel » : le nouveau statut de bailleur privé sera-t-il plus attractif qu'avec le « Pinel » ?  Enfin, le projet de donation immobilière nette de succession prévu l'an prochain est intéressant, mais comment garantir que les donations aillent effectivement à des primo-accédants, plutôt qu'à la spéculation immobilière ?

Mme Valérie Létard. - Pour répondre sur les situations particulières que vous avez citées, nous allons faire passer le message que les services soient plus attentifs à ce que l'interprétation de la loi soit plus homogène...

M. Bernard Delcros, président. - ...et plus respectueuse de l'esprit de la loi...

Mme Valérie Létard. - Je souligne que le Premier ministre a envoyé, en octobre, une circulaire visant à accélérer, par la simplification, les dossiers en souffrance, avec la possibilité de faire remonter trois dossiers par département : c'est une occasion dont vous pouvez vous saisir pour faire mieux prendre en compte les spécificités territoriales.

En prenant mes fonctions, j'ai découvert une sortie « sèche » du « Pinel » : le projet de budget était bouclé et ne prévoyait aucun crédit d'accompagnement. J'ai aussitôt consulté les acteurs pour leur demander ce qu'ils attendaient et comment ils voyaient les choses - ils m'ont dit que pour cette année, ils demandaient d'abord une sortie en sifflet du « Pinel ». Il faut donc y travailler au Parlement. Nous avons également exploré la piste suggérée par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), de donations exemptes de fiscalité pour l'achat de logements neufs, comme l'avait fait en son temps le Gouvernement Balladur : les parents ou grands-parents pourront donner à chacun de leurs enfants jusqu'à 100 000 euros qui seront exemptés de droits de succession pour l'achat d'un bien neuf qui devra être habité par l'enfant ou loué sous le plafond « Pinel » - et ce jusqu'à trois donateurs par enfant, soit jusqu'à 300 000 euros. La mesure est limitée à 2025, cela devrait donc libérer des moyens et avoir un effet « booster » sur la vente de logements neufs, c'est une mesure conjoncturelle qui devrait assurer un relai pour la construction. Ensuite, il faut regarder pourquoi l'investissement privé ne se tourne pas suffisamment vers le logement : qu'est-ce qui fait que, quand on a un peu d'argent de côté, on l'investit moins dans la pierre qu'en bourse, par exemple ? Le logement est-il un placement intéressant - et sinon, pourquoi ? Il faut travailler sur ces questions, il faut aussi travailler sur le statut de bailleur privé, ce sera un chantier de 2025, en lien avec Bercy, c'est l'un des leviers sur lesquels nous devons agir pour franchir la montagne de besoins qui est devant nous.

Quelles perspectives, ensuite, pour le logement social ? Notre objectif de contractualiser pour construire et rénover davantage de logements sociaux, mais aussi de faire mieux coïncider l'offre à la demande, aux besoins, pour mieux répondre en particulier à la demande de petits logements - nous en manquons, alors même qu'il y a de grands logements sous-occupés - dépend aussi de la situation financière qui affecte en effet la situation du livret A. Nous engagerons donc ce travail sur la contractualisation en espérant que cet environnement financier n'évolue pas trop défavorablement.

Nous sommes bien conscients qu'il est devenu quasiment impossible pour des étudiants de trouver un logement lorsqu'ils vont étudier loin de chez leurs parents, c'est un vrai problème. Une fois ce constat partagé, que fait-on ? Une première piste, je viens d'en parler, consiste à contractualiser avec les bailleurs sociaux, il faut avancer en esquissant une perspective, quels que soient les aléas politiques. J'ai déjà pris attache avec Patrick Hetzel, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, pour lancer une mission sur le logement jeune et étudiant. Il faut utiliser tous les leviers disponibles : vous mentionnez la proposition de loi de Romain Daubié pour transformer des bureaux vacants en logements, il faut accélérer quand le bâti est adapté, cette proposition de loi facilite la mobilisation des outils. Si vous avez des propositions sur le sujet, Monsieur Chevalier, nous sommes très intéressés pour les regarder avec vous, nous voulons mobiliser tous les leviers et avancer chantier après chantier.

Par arrêté du 2 octobre 2023, le zonage « ABC » a été révisé et 209 communes représentant 4,9 millions d'habitants étaient reclassées vers les zones B1 et A ; 153 d'entre elles ont intégré la zone tendue et sont devenues éligibles au logement locatif intermédiaire et au PTZ neuf collectif. Une révision était en cours au printemps 2024, elle a été interrompue en raison du contexte politique. Un arrêté de révision a été pris le 5 juillet 2024, il a permis le reclassement de 835 communes. Néanmoins, les consultations entamées courant juin n'ont pas pu être menées à terme dans toutes les régions, les périodes de réserve électorales ayant interrompu les discussions locales. Des travaux sont en cours pour finaliser le travail engagé au printemps, par souci de traitement équitable des territoires. Nous sommes donc en train de travailler sur les zonages et si vous avez des questions et remarques, c'est le moment de nous les faire parvenir.

Mme Patricia Schillinger. - J'habite dans ce qu'on appelle le « secteur des trois frontières », proche de la Suisse et de l'Allemagne, je témoigne que des communes n'ont plus de terrains, ou alors très chers. Des jeunes ne peuvent plus s'installer, je ne sais pas s'il faut un nouveau zonage, mais ce que je constate, c'est qu'on ne peut plus véritablement les aider à s'installer - quand les maisons sont à 700 000 euros, ce n'est plus possible. Je signale aussi que si le « Pinel » a eu des effets sur la construction, des logements se dégradent vite faute de suivi et d'entretien, les logements se dégradent alors que l'État a investi de l'argent, il faut regarder le suivi des charges, ou bien on risque une dégradation rapide de ces logements.

Mme Guylène Pantel. - L'extension du PTZ au rural est nécessaire pour l'accession à la propriété et pour l'emploi, mais il faut parler aussi de la rénovation en coeur de village, des jeunes y sont prêts, mais ils rencontrent bien des difficultés avec les architectes des bâtiments de France (ABF), des maisons sont bon marché, mais difficiles à rénover du fait des règles de protection ; nous avons certes besoin de règles pour protéger le patrimoine, mais ne doit-on pas penser à trouver un équilibre, pour que le logement soit possible dans ce patrimoine ? Dans un village des gorges du Tarn, par exemple, l'ABF a refusé à un ménage d'agrandir les fenêtres de son logement - ne faudrait-il pas assouplir un peu nos règles de patrimoine, pour les adapter à la vie de nos villages ?

M. Jean-Claude Anglars. - Je ne vous parlerai pas du ZAN, mais de son corollaire, le « Fonds vert ». Il a été une réussite parce qu'avec vous, Madame la désormais ministre, chère collègue, nous avons su le mettre aux mains du préfet, ce qui l'a rendu dynamique. Je me demande si l'on ne devrait pas s'en inspirer pour les aides à la rénovation de l'habitat, qui sont aujourd'hui illisibles par les particuliers, je pense à « MaPrimeRénov' ». N'y a-t-il pas là matière à inventer une nouvelle politique publique pour la rénovation du parc privé, qui s'inspirerait de ce qu'on a pu faire avec le « Fonds vert » - où vous aviez été particulièrement proactive ? Avez-vous des suggestions en la matière ?

Mme Sonia de La Provôté. - Le principe « éviter-réduire-compenser » (ERC), pour respecter nos objectifs de biodiversité, va obliger à faire évoluer certains de nos outils et à planifier bien davantage que nous ne le faisons. Nous allons devoir mettre en place des zonages identifiés comme étant ceux de la compensation, et prévoir un portage financier, en particulier par les établissements publics fonciers, des espaces prévus pour la renaturation et la compensation. La planification va devenir indispensable, entre le respect du ZAN et des objectifs de biodiversité - il va donc falloir simplifier les procédures en la matière. Avez-vous un calendrier, sachant que ces obligations vont s'imposer rapidement aux territoires ?

Deuxième sujet, la mise aux normes énergétiques du bâti ancien, d'avant 1949. On a fait évoluer le « Denormandie », il faut pouvoir le mobiliser aussi dans les centres-villes et les opérations de revitalisation de territoire (ORT). C'est encore trop peu le cas : une réflexion est-elle en cours sur le sujet ? Même chose pour le bâti patrimonial, qui relève du « Malraux » : comment concilier nos objectifs environnementaux, avec les règles aux abords des monuments historiques ? Votre ministère participe-t-il à une réflexion sur le sujet ?

Mme Anne-Sophie Patru. - Nous avons des difficultés à construire du logement aussi dans les zones de requalification urbaine, la situation y est si dégradée que des salariés doivent parfois dormir dans leur voiture, faute de trouver à se loger. Il est difficile, en conseil municipal, de faire adopter un projet de construction de logements sociaux quand il y a un reste à charge conséquent pour la commune, y compris lorsqu'on a mobilisé toutes les aides - ou même en matière de démolition, prise en charge à 60 %, ce qui laisse une charge importante à la commune. Tout ceci alors qu'elle a peu de fiscalité à espérer de ces logements. Ces dossiers sont donc compliqués à faire passer en conseil municipal, quand bien même les besoins sont criants. Avez-vous des pistes pour nous aider ?

Mme Valérie Létard. - Le « Pinel » s'arrête à la fin de l'année, nous déployons avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah) des outils pour accompagner les syndics et les copropriétés dégradées, deux décrets sont en préparation, je vous les communiquerai aussitôt que possible. Le fait que le « Pinel » conduise à produire des logements qui n'étaient pas forcément adaptés à la demande a contribué à ce qu'on arrête ce dispositif ; cependant, une fois qu'il n'est plus là, que fait-on ? La question se pose à court terme et à moyen terme, nous essayons d'agir dès ce budget, je vous l'ai dit, il faut faire d'autant plus attention - et je vous y invite, dans les jours qui viennent - que les différents segments de la construction sont liés.

Sur le zonage, nous allons travailler ensemble, merci de me faire remonter vos remarques.

Sur le PTZ et les ménages modestes, la quotité prend en compte les revenus des ménages, c'est tout l'intérêt de ce prêt que d'être corrélé aux revenus.

Les règles de protection du patrimoine et l'intervention des ABF sont un sujet récurrent, nous le savons bien. Je crois en l'idée d'identifier un corpus technique commun, qui accepterait des adaptations en fonction des contextes territoriaux, des architectures - c'est la même chose pour les diagnostics de performance énergétique (DPE). Un texte est en cours de définition sur le sujet, nous regardons ce que l'on peut faire pour assouplir en particulier la mise aux normes énergétiques, l'équilibre est difficile à trouver, mais il faut s'y atteler.

Sur le ZAN et le « Fonds verts », le calendrier n'est pas arrêté, mais nous avons des réunions hebdomadaires avec Catherine Vautrin et Agnès Pannier-Runacher, le Premier ministre nous a demandé d'identifier les voies pour avancer plus vite, pour mieux inclure le logement dans les grands projets, c'est un problème. Je l'ai vu à Dunkerque, le maire s'essaie à mobiliser une partie des fonds « Industrie » dont il dispose, sur la question du logement, qui est en réalité indissociable de celle du développement économique dans son ensemble : l'emploi, la mobilité et le logement sont étroitement liés.

Nous avons déjà reclassé nombre de communes transfrontalières pour tenir compte de leur contexte et les faire accéder à des outils facilitants, comme le logement locatif intermédiaire. Le Pays de Gex fait ainsi partie des « territoires engagés pour le logement », l'aide est maintenue l'an prochain, c'est le résultat d'un combat budgétaire mené par mon ministère, nous sommes très attentifs à ces territoires frontaliers, y compris pour le logement des fonctionnaires.

Oui, il faut simplifier les outils de zonage et de planification, nous avons besoin de cohérence. Cela passe par une proposition de loi, il n'y a pas d'autre voie possible dans la période que nous traversons : il faut traduire quelques sujets consensuels en proposition de loi, pour avancer - sur des objets précis, qui correspondent aux demandes des élus, nos échanges ont toute leur utilité en la matière.

Le PLF pour 2025 resserre le « Denormandie », effectivement, soyez-y attentifs. Je pense qu'on pourrait, comme vous le suggérez, utilement déconcentrer ce contrat pour le mettre entre les mains du préfet, comme on l'a fait pour le « Pinel », je préfère une adaptation aux territoires plutôt qu'un zonage en tant que tel, cela me paraît de bon sens.

Les compensations foncières liées au ZAN ne sont pas dans le texte en discussion, cette question vient après, elle n'en est pas moins décisive. Il est très important d'examiner de très près le dispositif de compensation des terres qui sera retenu, il me semble que tout le monde n'est pas conscient de ce qui se joue là.

Enfin, sur le reste à charge pour les communes, une fois qu'on a mobilisé tous les outils dont nous disposons pour aider les territoires, j'avoue ne pas savoir comment on pourrait arriver à un reste à charge zéro - d'autant que chaque année nous ajoutons, y compris l'échelon européen, toujours plus de normes qui renchérissent les coûts de construction ; nous cherchons les meilleures voies de passage et si vous avez des suggestions pour nous permettre de nous améliorer, sachez que nous sommes preneurs.

M. Bernard Delcros, président. - Ce resserrement du « Denormandie » est l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire : ce dispositif est utile, mais il faut du temps pour le traduire, il faut d'abord procéder à une opération de revitalisation de territoire (ORT), il faut suivre des procédures ; et quand on est parvenu à le mettre en place et que cela fonctionne, le Gouvernement le rend plus difficile d'accès, ce n'est pas raisonnable. Nous avons besoin de continuité et d'évaluation avant de changer les dispositifs.

Ensuite, dans le PLF pour 2024, le Gouvernement avait introduit une mesure qui me paraissait utile pour encourager la construction de logements sociaux par des promoteurs privés dans les zones tendues soutenues : une exonération partielle des plus-values pour les propriétaires de terrain qui vendent leur terrain à un promoteur privé sous condition que le promoteur privé réalise 50 % de logements sociaux. Or, ce seuil est parfois trop élevé pour atteindre l'équilibre économique : que pensez-vous d'un seuil intermédiaire, par exemple de 30 %, quitte à ce que l'exonération soit plus légère ?

Merci pour votre disponibilité, nous savons que le logement est entre de bonnes mains, vous pouvez compter sur nous pour soutenir votre politique volontariste dans les zones tendues aussi bien que rurales.

Mme Valérie Létard. - Merci pour ces remarques, je crois que le Gouvernement ne peut qu'y être attentif. Je crois aussi que, comme nous l'avons déjà fait pour le « Pinel », on peut poser les choses à leur bon niveau territorial, et que tout le monde y a intérêt. Enfin, je le redis, nous avons besoin de mobiliser tous les leviers d'action, nos concitoyens attendent de nous qu'on agisse, quoi qu'il advienne dans l'actualité politique - au moins, nous aurons tracé un chemin et fait ce que nous pensions possible de faire.

M. Bernard Delcros, président. - Merci encore pour votre disponibilité.