Mercredi 27 novembre 2024
- Présidence de Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Programme européen pour l'industrie de la défense (EDIP) - Examen de la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, deux thèmes sont inscrits à l'ordre du jour de notre commission aujourd'hui.
Le premier point est l'examen d'une proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utiles de produits de défense.
Au printemps dernier, nos collègues Dominique de Legge, Gisèle Jourda et François Bonneau nous avaient proposé un avis motivé pour dénoncer la non-conformité de ce texte au principe de subsidiarité. Nous l'avions adopté et il avait ensuite été confirmé par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Nos collègues reviennent aujourd'hui devant nous pour nous livrer une analyse qui concerne à ce stade le fond des dispositions proposées par la Commission européenne, alors que les négociations au Conseil sont difficiles pour la France. Il s'agit pourtant d'un enjeu considérable : dans le contexte de menaces toujours plus fortes qui pèse sur l'Union européenne, jusqu'où voulons-nous « européaniser » la défense et quelle gouvernance souhaitons-nous mettre en place dans ce domaine ?
Voilà deux questions importantes qu'évoquent nos rapporteurs, auxquels je cède immédiatement la parole.
M. François Bonneau. - Merci Monsieur le Président, il s'agit effectivement d'un sujet d'actualité.
Au printemps, notre commission avait pris l'initiative, confirmée ensuite par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d'adopter un avis motivé sur la proposition de règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense. Ce texte, présenté le 5 mars 2024 et connu sous l'acronyme EDIP, est la déclinaison opérationnelle de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense (EDIS), présentée par la Commission européenne le même jour.
Je rappelle que cette proposition de règlement vise à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense, par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologique de défense européenne, la fameuse BITDE. Elle vise également à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense.
Elle vise enfin à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense ukrainienne.
Le texte proposé par la Commission européenne comprend 67 articles, répartis en trois piliers. Il repose sur quatre bases juridiques tirées de quatre articles différents des traités, notamment l'article 114 relatif au marché intérieur, mais aucune qui renvoie à l'article du traité fondant la politique de sécurité et de défense commune.
Dans notre avis motivé, nous avions souligné ce point et vigoureusement contesté l'approche retenue par la Commission européenne, considérant qu'elle allait au-delà de ses compétences, pour intervenir dans un domaine qui relève par essence de la responsabilité des États membres, celui de la défense.
La Commission européenne s'est défendue et a maintenu sa position dans une lettre adressée au Président du Sénat en réponse à notre avis motivé.
Il convient donc désormais d'examiner le texte, non plus sous l'angle strict du respect du principe de subsidiarité, mais sur le fond. La démarche est d'autant plus nécessaire que l'examen de cette proposition a bien avancé au Conseil, sous présidence belge puis sous présidence hongroise. Au total, près d'une trentaine de réunions ont été organisées au niveau des groupes de travail et la présidence hongroise souhaite aboutir à une orientation générale du Conseil d'ici la fin de cette année 2024. L'enjeu est d'importance car la France, qui défendait initialement une position ambitieuse, cohérente avec le souhait d'affirmer l'autonomie stratégique de l'Union, est apparue isolée et a dû réviser sa stratégie de négociation.
En effet, la négociation de ce texte suit la procédure législative ordinaire, qui requiert la majorité qualifiée et non l'unanimité. Dès lors, ainsi que nous l'ont fait remarquer certains interlocuteurs, un État membre doit moins définir des « lignes rouges » que rallier une majorité qualifiée ou, à défaut, parvenir à former une minorité de blocage.
J'ajoute que certaines personnes auditionnées ont marqué leur préférence pour l'adoption d'une orientation générale du Conseil sous présidence hongroise, dans la mesure où la Pologne et le Danemark, qui assumeront ensuite la présidence du Conseil, sont perçus comme plus atlantistes et moins réceptifs aux positions françaises. C'est un peu une course contre la montre.
L'examen du texte n'a pas encore débuté au Parlement européen, compte tenu des élections européennes du mois de juin dernier. Au-delà du Gouvernement qui participe à la négociation du texte au Conseil, notre proposition de résolution européenne s'adressera donc aussi indirectement au Parlement européen, où l'examen du texte sera tout aussi compliqué, ainsi que nous l'a fait observer notre collègue député européen François-Xavier Bellamy, que nous avons auditionné.
La proposition de résolution européenne que nous vous proposons aujourd'hui ne traite pas dans le détail l'ensemble des dispositions de la proposition de règlement. Elle se concentre sur quelques points sensibles, qui nous paraissent conditionner l'efficacité et l'acceptabilité du dispositif proposé, et donc le soutien budgétaire qui devra lui être apporté à terme. En effet, l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros, prévue jusqu'à fin 2027 pour financer le programme pour l'industrie européenne de la défense, est très faible par rapport aux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Encore faut-il, si l'on veut doter ce programme de fonds importants dans le prochain cadre financier pluriannuel, que nous soyons d'accord sur leur usage et donc que nos positions soient entendues !
Pour le dire très directement, nous souhaitons obtenir la garantie que ce programme servira réellement à consolider la base industrielle et technologique de défense européenne, et non à financer l'achat d'équipements de défense de pays tiers avec les crédits de l'Union européenne.
L'enjeu est de taille car, selon les données de la Commission européenne, près de 80 % des investissements des États membres dans le domaine de la défense depuis 2022 ont été réalisés auprès de fournisseurs de pays tiers, contre environ 60 % avant le déclenchement de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine.
Nous regrettons d'autant plus l'absence d'étude d'impact en bonne et due forme des propositions formulées par la Commission européenne. Nous constatons en outre que, même au niveau du Conseil, le service juridique n'a pas été en mesure de produire rapidement l'étude qui lui était réclamée par les États membres sur certaines dispositions.
En vue d'établir la position que nous vous présentons, nous avons travaillé conjointement avec notre collègue Jean-Luc Ruelle, qui sera le rapporteur, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du texte que nous vous proposons d'adopter.
Outre François-Xavier Bellamy, nous avons auditionné des représentants de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, du Secrétariat général des affaires européennes, du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, du ministère des armées, ainsi que de plusieurs groupes industriels ou groupements d'industriels.
M. Dominique de Legge. - Nous l'avions dit au mois de mai et nous le répétons aujourd'hui : nous comprenons bien le changement de contexte dans lequel s'inscrit cette proposition. La guerre en Ukraine et l'escalade à laquelle nous assistons, de même que plus largement la dégradation du contexte sécuritaire international, poussent les Européens à renforcer leur base industrielle et technologique de défense.
Nous partageons également l'objectif général, exprimé dans la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, consistant à faire en sorte que les États membres investissent « davantage, mieux et ensemble ». François Bonneau a souligné que nous partions de loin. La stratégie EDIS invite ainsi les États membres à accomplir des progrès réguliers pour faire en sorte qu'au moins 50 % de leurs investissements en matière de défense soient réalisés au sein de l'Union européenne d'ici à 2030, et 60 % d'ici à 2035. Il reste du chemin à parcourir !
Nous soulignons la nécessité de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la récente élection présidentielle aux États-Unis. C'est un point dont nous avions débattu au mois de mai.
Nous considérons ainsi que l'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union européenne implique un renforcement, dans la durée, de la base industrielle et technologique de défense européenne, à laquelle l'Union peut et doit contribuer aux côtés des États membres, mais dans le respect des compétences dévolues par les traités.
Ce point est à nos yeux essentiel. Nous n'avons pas changé d'avis depuis l'adoption de l'avis motivé !
Je veux ainsi rappeler que les États sont l'autorité de commande et les utilisateurs finaux des produits de défense. Ces produits doivent répondre à leurs besoins militaires en fonction de leurs impératifs de sécurité nationale, en veillant à leur garantir une supériorité opérationnelle, l'indépendance de leurs décisions et une autonomie d'action. Cela nous conduit d'ailleurs à nous interroger sur les intentions de la Commission européenne lorsqu'elle évoque la mise en place d'un véritable marché unique des produits de défense, alors que ceux-ci ne peuvent être, à mes yeux, considérés comme des produits comme les autres.
Nous avons consacré une part importante de la proposition de résolution européenne à l'un des points les plus sensibles de la négociation, concernant les règles d'éligibilité au financement du programme pour l'industrie européenne de la défense.
Ce point a divisé les industriels, l'association européenne des industriels de la défense se montrant dans l'incapacité d'adopter une position commune. Par ailleurs, à la suite des premières étapes de négociation, la France a revu sa stratégie de négociation et a cherché le moyen d'éviter à tout prix que ce programme pour l'industrie européenne de défense, qui a vocation à être pérenne, aboutisse à financer des matériels américains fabriqués sous licence en Europe. C'était un risque non négligeable et l'on mesure au travers de ce débat, non seulement l'attachement des différents États membres à l'OTAN ou leur sensibilité atlantique dans un contexte de menace russe perçue comme existentielle par certains d'entre eux, mais aussi la vision qu'ils peuvent avoir de la montée en compétence de leur industrie nationale de défense.
Ceci a conduit la France à soutenir un concept qui semble avoir prospéré mais qui devra tenir jusqu'à la fin des négociations : celui de l'autorité de conception des produits.
Nous jugeons ainsi indispensable que les fonds du programme soient réservés au soutien de produits de défense dont l'autorité de conception, et non l'autorité de fabrication, est installée dans l'Union européenne ou dans les pays associés, c'est-à-dire l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Nous demandons que les produits ne fassent l'objet d'aucune restriction d'usage, afin de permettre aux États membres de demander des modifications ou des adaptations rapides de ces produits en fonction de leurs besoins, sans dépendre d'autorisations d'États tiers.
Ce critère est essentiel mais il n'est pas suffisant. En effet, encore faut-il, pour qu'un produit puisse être réellement considéré comme étant européen, qu'il comprenne très majoritairement des composants européens. C'est sur ce point que les industriels européens se sont divisés, en fonction naturellement de leur situation propre.
Plusieurs groupes industriels ou fédérations soutiennent la fixation d'un taux minimal de composants en provenance de l'Union européenne ou de pays associés à 65 % en valeur, correspondant au taux appliqué dans le règlement sur les acquisitions conjointes, dit EDIRPA. Celui-ci dispose que « le coût des composants originaires de l'Union ou de pays associés n'est pas inférieur à 65 % de la valeur estimée du produit final ».
En revanche, d'autres groupes industriels, en particulier des groupes français comme Dassault Aviation, prônent une approche plus ambitieuse, en suggérant de retenir un taux minimal de 80 % en valeur de composants originaires de l'Union européenne, assorti le cas échéant d'une perspective croissante, compte tenu du caractère structurant et pérenne du règlement envisagé.
Au regard du rapport de forces au Conseil, une réunion interministérielle récente a arbitré en faveur du taux de 65 %.
Nous estimons que le texte final devra refléter l'ambition la plus élevée possible, retenir un taux de composants originaires de l'Union européenne ou de pays associés qui ne saurait être inférieur à celui de 65 % retenu dans le règlement EDIRPA et, si possible, tendre vers un taux minimal de 80 %, assorti d'une perspective croissante à un horizon rapproché, afin de renforcer durablement la base industrielle et technologique de défense européenne.
Nous nous interrogeons toutefois sur la pertinence d'un taux exprimé en fonction de la valeur monétaire du produit. La proposition de résolution invite ainsi à prendre en compte la dimension qualitative de certains composants pour l'autonomie stratégique de l'Union européenne.
Nous nous interrogeons également sur la pertinence du choix consistant à subventionner des entreprises plutôt que les États, dans la perspective d'une réelle structuration et d'une consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne.
Nous relevons enfin le risque de saupoudrage des crédits et soulignons la nécessité de bien prendre en compte les différents cadres intergouvernementaux de coopération industrielle qui existent par ailleurs, notamment l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr).
Mme Gisèle Jourda. - Nous regrettons en outre que la révision à mi-parcours du Fonds européen de la défense intervienne trop tardivement pour être pleinement prise en compte dans le cadre de l'examen de cette proposition de règlement. Nous invitons néanmoins à tenir compte autant que possible des retours d'expérience des États membres et des industriels, afin de veiller à ce que les crédits octroyés dans le cadre du Fonds européen de la défense comme du programme pour l'industrie européenne de la défense soient bien corrélés à la satisfaction de besoins capacitaires exprimés par les États, qui sont l'autorité de commande et les utilisateurs finaux des produits de défense. C'est un point que plusieurs industriels ont relevé lors des auditions.
La proposition de résolution aborde ensuite deux autres volets importants du texte, en s'inscrivant dans le prolongement de l'avis motivé dénonçant sa non-conformité au principe de subsidiarité. Je veux parler des dispositions relatives à la sécurité d'approvisionnement et à la gouvernance.
Je rappelle que le texte proposé par la Commission européenne prévoit une cartographie des chaînes d'approvisionnement de l'Union dans le secteur de la défense et qu'il permettrait à la Commission européenne d'assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de produits nécessaires en cas de crise dans l'UE. Il propose l'établissement d'un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE, prenant la forme d'une plateforme informatique établie et acquise par la Commission européenne. Il mettrait également en place un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense, présidé par la Commission européenne, dont les compétences nous paraissent empiéter sur celles de l'Agence européenne de défense.
Le texte proposé par la Commission européenne prévoit également, si risque de survenir une perturbation grave dans l'approvisionnement d'un produit nécessaire en cas de crise, la possibilité d'activer des régimes d'« état de crise d'approvisionnement » et d'« état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité ». Ce sont deux notions voisines mais qui se distinguent par des nuances. Une fois ces régimes activés par décision du Conseil adoptée à la majorité qualifiée, la Commission européenne aurait alors la possibilité d'adopter des mesures préventives, de collecter un certain nombre d'informations et de mettre en place des dispositifs de commandes prioritaires sous certaines conditions.
Le texte proposé par la Commission européenne prévoit en outre que les États membres s'abstiennent, en régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité, d'imposer des restrictions au transfert de produits de défense qui ne seraient pas transparentes, dûment motivées, proportionnées, pertinentes et spécifiques, ainsi que non discriminatoires.
Dans le droit fil de la position que nous avions adoptée dans le cadre de l'avis motivé du 5 juin dernier, nous contestons l'approche proposée par la Commission européenne. Nous considérons que ces propositions sont très intrusives dans des domaines qui relèvent de la souveraineté nationale. Les choix capacitaires et la capacité d'approvisionnement en matière de produits de défense correspondent à des orientations stratégiques qui relèvent des États membres, seuls responsables de la sécurité nationale en application de l'article 4 du traité sur l'Union européenne.
Nous rappelons également qu'aux termes de l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, aucun État membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité.
En outre, tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre. Ces mesures ne doivent pas altérer toutefois les conditions de la concurrence dans le marché intérieur, en ce qui concerne les produits qui ne sont pas destinés à des fins spécifiquement militaires.
Nous réaffirmons que le contrôle export doit demeurer une prérogative des seuls États membres.
Nous exprimons donc de vives réserves vis-à-vis du texte proposé par la Commission européenne concernant ces différents points et nous appelons à rééquilibrer ces dispositifs afin de préserver les responsabilités des États membres.
Nous demandons également de redynamiser l'Agence européenne de défense. Aux termes de l'article 45 du traité sur l'Union européenne, cette agence, placée sous l'autorité du Conseil et non sous une autorité conjointe avec la Commission européenne, a notamment pour mission de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres, de proposer des projets multilatéraux, de soutenir la recherche en matière de technologie de défense et, surtout, « de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en oeuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l'efficacité des dépenses militaires ».
Si elle avait fonctionné correctement et à plein régime, une partie au moins des problèmes rencontrés aurait été résolue !
Enfin, nous soulignons que le renforcement de la BITDE suppose une forte mobilisation de financements, tant publics que privés. Notre collègue Pascal Allizard avait mis l'accent sur ce point au travers d'une proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française, adoptée par le Sénat le 5 mars dernier, c'est-à-dire le même jour que la présentation par la Commission européenne de sa stratégie pour l'industrie européenne de la défense. Nous appelons donc la Banque européenne d'investissement (BEI) à accroître son soutien aux entreprises du secteur de la sécurité et de la défense, car jusque-là nous avons constaté une grande frilosité de la BEI sur le sujet.
Comme l'a relevé François Bonneau, c'est à l'aune de la prise en compte de nos observations dans le texte final que nous pourrons, le moment venu, apprécier la pertinence d'abonder ce nouveau programme que la Commission propose d'instaurer.
Voici résumée de manière aussi synthétique que possible la proposition de résolution, sur des sujets aussi délicats, que nous vous soumettons et qui sera ensuite examinée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Enfin, ayant défendu en son temps la création d'un fonds européen de défense, je veux souligner la nécessité de simplifier et d'améliorer le mode de fonctionnement du Fonds européen de la défense afin de le rendre plus efficace, plusieurs industriels auditionnés ayant relevé la lourdeur des procédures actuelles.
M. Jean-François Rapin. -Nous avions auditionné des représentants de la BEI il y a quelque mois de cela et nous avions remarqué leur frilosité à soutenir les PME de l'industrie de défense. La BEI serait toutefois en train de faire évoluer sa doctrine en matière de soutien à l'investissement pour les entreprises du secteur de la défense. Il pourrait donc être pertinent de les auditionner à nouveau prochainement. En tout cas, votre travail confirme que nous ne nous étions pas trompés au printemps dernier en adoptant un avis motivé, même si la Commission européenne conteste notre position.
Mme Marta de Cidrac. - Je souhaiterais vous poser une question générale : qu'adviendra-t-il de cette proposition de résolution européenne (PPRE) ? Elle est relativement critique sur la façon de procéder de la Commission européenne et contient nombre d'observations et de remarques pertinentes. Dès lors, qu'espérons-nous obtenir ?
M. Dominique de Legge. - Il n'y a pas de doute sur la nécessité d'une collaboration au niveau européen en matière de défense. Ce que nous dénonçons, c'est le niveau auquel cela se met en place. Cela m'inquiète de voir la Commission européenne se saisir de ces sujets. Les acquisitions militaires sont de la responsabilité des États. C'est donc au niveau politique, au niveau des États, que cette question doit être réglée. Notre crainte est qu'elle soit traitée de manière administrative, à l'instar de n'importe quelle autre politique comme la PAC ou l'énergie, par exemple. En matière de défense, nous avons besoin de faire preuve de beaucoup de pragmatisme. Nous ne devons pas nous embarquer dans des procédures trop compliquées car, face à une agression, nous avons besoin d'agir vite.
Mme Gisèle Jourda. - Je souscris aux propos de Dominique de Legge. Avec ce texte, on oscille entre la souveraineté des États et l'impulsion que l'on souhaite donner à l'Europe. J'ai la conviction que, tant que nous n'aurons pas appréhendé la question de l'Europe politique, nous ne pourrons pas avancer sur ce type de dossier. Cette ambiguïté actuelle nous paralyse. La défense est un sujet régalien par essence, difficile à aborder dans la mesure où les approches des États membres diffèrent. Je suis optimiste. J'espère que cette PPRE nous permettra d'être entendus et de faire entendre la voix de nos industriels.
M. Pascal Allizard. - Je salue la qualité du travail de nos trois collègues. On traite ici d'une compétence éminemment régalienne, la France ayant une position importante puisqu'elle est la seule puissance dotée de l'arme nucléaire au sein de l'Union européenne. En outre, le Président de la République est le chef des armées et l'action de nos forces armées ne dépend pas d'une autorisation parlementaire préalable. Compte tenu des enjeux actuels de sécurité, des évolutions géostratégiques, mais aussi du contexte budgétaire, il faut progresser sur la voie de solutions européennes. Mais ce qui relève de la compétence du Conseil ne doit pas être transféré à la Commission européenne.
S'agissant du financement et de la BEI, avec Gisèle Jourda, nous sommes co-rapporteurs pour avis sur le programme 144, relatif à l'environnement et la prospective de défense, dont la BITDE. Nous avons pu observer la frilosité d'un certain nombre de banques, y compris françaises, mais aussi la frilosité des assureurs, qui semble s'accroître. Des PME et des PMI du secteur de la défense peuvent ainsi se retrouver en défaut d'assurance lorsqu'elles accélèrent leurs dépenses et investissements.
Par ailleurs, la taxonomie européenne continue de soulever des difficultés, notamment par rapport au nucléaire. Les spécificités de la France, seul État membre doté de l'arme nucléaire, doivent être prises en compte. Il ne faudrait pas se retrouver dans un « système à deux clés », comme le Royaume-Uni qui ne peut rien faire sans la clé des États-Unis.
La Commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne.
Élections en Géorgie et en Moldavie - Communications
M. Jean-François Rapin. - Nous allons maintenant entendre deux communications de nos collègues membres de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) concernant des missions d'observation électorale qu'ils ont effectuées récemment.
Pascal Allizard, que je félicite pour son élection comme président de la délégation française à l'assemblée parlementaire de l'OSCE (AP-OSCE) la semaine dernière, va ainsi nous présenter son analyse des élections législatives qui se sont tenues en Géorgie au mois d'octobre, pour lesquelles il avait été désigné coordinateur spécial de la mission d'observation électorale, dans un contexte particulièrement sensible. Je sais que nos collègues Claude Kern, Didier Marie et Olivier Bitz avaient également participé à cette mission d'observation électorale au titre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE).
Gisèle Jourda nous présentera ensuite son analyse du scrutin présidentiel qui s'est tenu en Moldavie au début de ce mois.
Il s'agit de deux pays officiellement candidats à rejoindre l'Union européenne : notre commission est donc particulièrement intéressée d'entendre nos collègues rendre compte de ce qu'ils ont observé lors de ces récentes élections d'autant que nous avons effectué des déplacements en Géorgie et en Moldavie en début d'année et que nous suivons également avec attention ce qui se passe en Roumanie.
M. Pascal Allizard. - Monsieur le Président, les élections législatives se sont tenues en Géorgie il y a un mois. Le Président de l'OSCE m'avait désigné coordinateur spécial de la mission d'observation qui comprenait 100 observateurs parlementaires de l'AP-OSCE, l'APCE, l'AP-OTAN ou encore du Parlement européen et quelque 400 autres observateurs non parlementaires. L'une des plus grandes valeurs ajoutées qu'apporte l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, à travers son bureau international de la démocratie et des droits de l'homme (BIDDH), et avec le concours de l'AP-OSCE, ce sont les missions d'observation électorale qu'elle mène. Je rappelle que ces missions ne peuvent avoir lieu qu'à l'invitation des autorités du pays concerné, en l'occurrence, à l'invitation du Premier ministre géorgien. Cet aval n'est pas toujours évident et c'est déjà un bon signe car ce n'est pas toujours le cas. Par exemple, pour les élections législatives et présidentielles françaises de 2022, la France avait refusé la venue d'observateurs parlementaires étrangers, en estimant sûrement qu'elle n'avait pas de leçons à recevoir...
Vous connaissez le contexte politique géorgien, que nous avons évoqué en commission le 16 mai dernier, après la mission de la délégation de la commission que vous avez conduite, Monsieur le Président, précisément au moment où le positionnement européen du pays a semblé basculer, du 28 avril au 1er mai.
En effet, ce fut le moment de la discussion puis de l'adoption par le Parlement sortant de la fameuse loi sur la transparence des influences étrangères, nouvelle mouture d'un projet qui avait été heureusement retiré l'an dernier ; cette version modifiée ne mentionne plus les « agents étrangers », synonymes d'espions selon la terminologie russe, mais elle oblige à la transparence les « organisations poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère », ce qui est caractérisé a priori selon cette loi par le seul fait que leur financement étranger dépasse le seuil de 20 %. Cette loi n'a pas empêché l'observation des élections par de nombreuses ONG locales et internationales, parce que son application n'a pas été, à ce stade, assortie de sanction.
Selon sa méthodologie habituelle, pour préparer la mission d'observation électorale (MOE), le BIDDH a dépêché sur place une première mission dite « d'évaluation des besoins », du 20 au 24 mai, comprenant un expert du secrétariat international de l'AP-OSCE.
Cette mission exploratoire a tenu compte du climat particulier d'une campagne très polarisée, et cela s'est confirmé jusqu'au bout, et de multiples enjeux d'organisation quand elle a fait ses recommandations sur le dimensionnement de la MOE : l'OSCE a en effet retenu l'un des plus grands formats possibles pour une telle mission, afin de répondre aux défis de l'observation dans ce pays, et surtout dans ce moment particulier.
Cette mission est la plus importante, en termes d'effectifs et de moyens, à laquelle il m'a été donné de participer jusqu'ici.
Elle a d'une part pris la forme d'une mission du BIDDH, dirigée par Eoghan Murphy, ancien député et ancien ministre irlandais, qui comportait 18 experts et 30 observateurs de long terme. Elle s'est installée sur place dès le 11 septembre, soit sept semaines avant l'élection du 26 octobre, et est restée sur place deux semaines après, deux experts étant encore présents jusqu'à la mi-novembre, pour examiner les suites données aux différents recours déposés. C'est un dispositif exceptionnel tant par sa taille que par sa durée.
D'autre part, a été déployée, au moment de l'élection, une mission d'observation dont j'ai donc été désigné coordinateur par le président en exercice de l'OSCE, le ministre maltais des affaires étrangères. J'avais à ce titre la responsabilité de coordonner quelque 530 observateurs, de 42 pays différents dont plusieurs Français, pour la plupart détachés par le ministère des affaires étrangères, plus les observateurs parlementaires : 60 de l'AP-OSCE, 39 de l'APCE, dont nos collègues Claude Kern, Didier Marie et Olivier Bitz, 38 de l'AP-OTAN, et 12 du Parlement européen, dont deux Français, l'ancienne ministre Nathalie Loiseau et Pierre Pimpie, un nouveau député européen RN.
Au total, nous avons observé l'ouverture de 223 bureaux de vote, la clôture de 193 bureaux, le comptage dans l'ensemble des 73 circonscriptions administratives du pays et nous nous sommes déployés, tout au long de la journée du 26 octobre, dans 1924 bureaux de vote sur 3111 au total, soit 61 % de l'ensemble.
L'une des tâches les plus délicates qui m'incombaient était de préparer avec Eoghan Murphy et son équipe et de coordonner avec mes collègues parlementaires chefs de mission la rédaction d'un « rapport préliminaire », présenté à la presse dès le lendemain du scrutin, en présence de très nombreux journalistes nationaux et internationaux et de la quasi-totalité des ambassadeurs en poste à Tbilissi, y compris bien sûr le Représentant de l'Union européenne. À ce propos, je tiens à saluer le dynamisme, l'énergie et l'efficacité de notre ambassadrice Sheraz Gasri, à la tête d'une équipe trop restreinte mais dynamique. La connaissance du pays qu'avait le secrétaire général de l'AP-OSCE, Roberto Montella, me fut aussi très précieuse.
Une des tables rondes les plus révélatrices du climat de la campagne fut celle qui réunissait, l'avant-veille du scrutin, les représentants des principaux médias, très polarisés, dont un président de chaîne pro gouvernementale très franc dans ses propos. J'ai aussi présidé une table ronde où le Premier ministre sortant, que vous aviez rencontré lors de votre mission à Tbilissi, est venu dérouler son argumentaire, professant sa foi européenne, avec nos collègues Nikoloz Samkharadze, président de la commission des affaires étrangères du Parlement géorgien, et Maka Botchorishvili, votre homologue d'alors, cher Président, qui vient d'être nommée hier ministre des affaires étrangères, ce qui est un signal assez clair. Le Premier Ministre a aussi exposé ce qui est peu commenté mais n'en parait pas moins réel : le rejet très fort, par une large partie de ceux qui ont connu son régime ou en ont souffert, de Micha Saakachvili, dont la personnalité et l'héritage demeurent très controversés. Il a enfin présenté ses grandes ambitions économiques pour la Géorgie. Celles-ci viennent à l'appui d'un rapprochement durable avec l'UE, mais, conformément à la tradition très commerçante du pays, sont certainement facilitées par les relations avec la Russie de l'oligarque, président d'honneur du parti Rêve géorgien, Bidzina Ivanichvili, qui détiendrait pas moins d'un tiers du PIB du pays.
Cette ambiguïté fondamentale nous ramène à ma tâche de coordination : notre rapport débute par un assez long premier paragraphe qui le résume et est publié sous forme de communiqué de presse. Sa rédaction fut un défi à l'art de la synthèse et de la patience, avec nos collègues Pia Kauma, Présidente de l'AP -OSCE, et les autres chefs de délégation, lors de discussions animées où l'engagement du chef de la délégation de l'APCE, notre collègue roumain Iulian Bulai, fut remarquable. La mission est de surveiller le processus d'élection et non pas de commenter politiquement les résultats même si cela est tentant.
Les résultats de l'élection furent nets : 54 % des suffrages, soit 89 députés sur 150, pour le Rêve Géorgien au pouvoir, 38 % pour la coalition hétéroclite d'opposition. J'utilise le terme « hétéroclite » à dessein car les opposants n'ont pas réussi à se mettre d'accord pour former un front uni aux élections.
Les résultats électoraux sont contestés et contestables, puisqu'ils ont fait, après d'autres voies de droit, l'objet d'un recours de la présidente Salomé Zourabichvili la semaine dernière auprès de la Cour constitutionnelle géorgienne, qui a un mois pour statuer. De ce fait, la Présidente de la Géorgie a estimé ne pas pouvoir convoquer le Parlement qui s'est réuni malgré tout ce lundi 25 novembre sans les députés de l'opposition, lesquels manifestaient avec leurs soutiens devant le Parlement, sur l'artère centrale de Tbilissi. Il est vrai que la Présidente joue en quelque sorte son va-tout, avant l'élection présidentielle toute proche, non plus au suffrage universel direct, mais par un corps électoral composé des députés et de grands électeurs venus des régions et des communes.
Nos constatations sont connues, puisqu'elles ont été largement communiquées. Elles s'inscrivent dans le strict cadre de notre mission. Elles mettent l'accent sur le large choix proposé aux électeurs, avec 18 listes, pour ces premières élections à la proportionnelle intégrale sur scrutin de liste nationale. Des élections qui, sur le plan technique, ont été plutôt bien gérées par l'administration électorale le jour du scrutin, avec l'emploi de machines électroniques devant en principe réduire le risque de fraudes dans près de 90 % des bureaux et utilisant des logiciels américains. Ce n'est pas un point de détail, car le système de vote en Géorgie et dans les anciens pays soviétiques est un système de vote unique certifié. Or, cela a pu ouvrir la porte au « vote carrousel », subterfuge consistant à payer des électeurs afin de les faire voter dans différents bureaux. Un électeur pouvait aller voter le matin avec un « vrai-faux bulletin » qui lui était remis par la mafia ou un chef politique local. La présidente du bureau de vote lui remet sur le lieu de vote un vrai bulletin ; il vote avec le « vrai-faux bulletin » et garde le vrai bulletin, qu'il déposera dans l'urne d'un autre bureau de vote. Les machines électroniques ont réduit d'une part importante le risque de carrousel bien que tout n'ait pas été parfait, loin de là.
Nous avons souligné justement les irrégularités constatées le jour du vote, avec des cas où l'on pouvait soupçonner des intimidations et des pressions, surtout aux abords des bureaux de vote, dans les campagnes et les montagnes notamment, surtout en dehors de la capitale où les procédures paraissent s'être déroulées dans l'ordre. Ainsi, dans un village sur les hauteurs qui entourent Tbilissi, nous avons observé un bureau de vote situé dans un vaste gymnase où de nombreuses personnes se groupaient à l'extérieur ; ces attroupements se sont dispersés à notre arrivée et se sont reconstitués dès notre départ.
Si des irrégularités ont été constatées ou supposées par nos observateurs le jour du vote, c'est bien en amont du scrutin que des conditions inéquitables au profit de la majorité au pouvoir ont été établies. Le parti en place a en effet bénéficié d'un déséquilibre substantiel de ressources financières - même si le mouvement de M. Saakachvili n'en manque pas -, a abusé des ressources administratives, en faisant notamment pression sur les agents publics et les publics vulnérables, et opéré de nombreuses modifications législatives en sa faveur, avec la fameuse loi sur la transparence de l'influence étrangère, mais aussi le cadre régissant le fonctionnement de l'administration électorale, qui a été resserré au détriment de la représentation de l'opposition préconisée par le BIDDH et la Commission de Venise.
Pour autant, selon nos constatations dans la période d'observation de court terme, tout cela ne nous paraît pas démontrer l'existence de stratagèmes généralisés qui auraient permis une fraude massive le jour du vote, requérant des schémas complexes nécessitant la complicité de nombreux acteurs dans différentes institutions et des manipulations à plusieurs niveaux, qui auraient échappé aux nombreux et divers observateurs internationaux et locaux dans la période pré-électorale et le jour même des élections.
Selon les observations de la mission à moyen terme du BIDDH prolongée exceptionnellement après mon départ, sur les 2000 réclamations déposées devant les 73 commissions électorales, 85 % ont été rejetées par les autorités pour des raisons de forme, sans réelle enquête de fond. Les autres réclamations satisfaites partiellement ou entièrement n'invalidaient pas les résultats. Des recours, déposés par des ONG locales, sont encore en examen, notamment en appel. Même si les décisions leur étaient favorables, elles ne concerneraient qu'un nombre limité de votes, très probablement insuffisant pour renverser les résultats.
Le rapport définitif de l'OSCE, qui sort d'habitude plusieurs mois après l'élection, sera, là encore exceptionnellement, publié d'ici la fin de l'année. Il contiendra, non seulement les recommandations traditionnelles à l'usage des autorités pour les prochains scrutins, à commencer par les élections locales prévues l'an prochain, mais aussi des observations sur la façon dont les plaintes pour irrégularité auront été traitées. Cela ne devrait pas pour autant, je le répète, remettre en cause le résultat de ces élections.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas mettre le gouvernement et le parti au pouvoir devant leurs responsabilités. En ce sens, la déclaration du Haut Représentant Josep Borrell appelant à une mission d'enquête de l'Union européenne peut être utile. Plus, peut-être, que des résolutions déclamatoires telles que celle qui se prépare au Parlement européen, qui devrait être adoptée demain. Surtout, il convient de maintenir un dialogue exigeant et concret avec le Gouvernement et, pour notre part, le Parlement géorgien. Par exemple, en examinant point par point, article par article, sa législation et en appréciant l'avancement du pays sur les « neuf critères » requis pour revenir vraiment sur la voie européenne. Ce dialogue prendra du temps. Pour qu'il ait une chance d'être constructif, et non stérile, nous devrions l'entamer dès maintenant, avec la participation de tous : non seulement des institutions européennes, mais aussi des assemblées parlementaires internationales dont nous faisons partie et de nos parlements nationaux.
Mme Gisèle Jourda. - Monsieur le Président de la commission, Monsieur le Président de la délégation française à l'AP-OSCE, chers collègues, j'ai souhaité effectuer ma première mission d'observation électorale au titre de l'AP-OSCE en Moldavie, pour le premier tour de l'élection présidentielle, le 20 octobre dernier.
C'est sa trajectoire européenne qui a déterminé la politique de ce pays depuis la première élection de Maïa Sandu à la présidence de la République en novembre 2020 et plus encore depuis que le statut de candidat lui a été reconnu en juin 2023 et que l'ouverture de négociations a été décidée par le Conseil européen de décembre dernier.
C'est un défi considérable pour ce pays enclavé entre la Roumanie et l'Ukraine, au territoire morcelé, avec une région autonome au Sud, la Gagaouzie, et un territoire autoproclamé « indépendant » - à la suite du conflit gelé de 1992 qui avait suivi l'indépendance de la Moldavie en 1991 -, la Transnistrie, où stationne l'armée russe et où se trouvent d'importants et anciens dépôts de munitions. La population, vieillissante en raison d'un fort exode des Moldaves en âge de travailler, est d'environ deux millions et demi de personnes, dont quelque 350 000 en Transnistrie. Rappelons que plus de la moitié de la population active détient déjà un passeport roumain, donc va et vient librement dans l'UE, notamment pour travailler, produisant ainsi près du quart du PIB de ce pays.
La Moldavie a un régime parlementaire. C'est le Premier ministre qui dirige le gouvernement. La présidente, cheffe de l'État, convoque et dissout le Parlement, nomme le Premier ministre, pilote la politique étrangère et est cheffe des armées, une armée de dimension modeste dans ce pays neutre, longtemps équipée de matériels soviétiques assez vétustes, mais de plus en plus soutenue dans sa modernisation par la Roumanie et d'autres pays de l'UE et de l'OTAN.
Onze candidats étaient enregistrés pour le premier tour des élections, un nombre record, malgré les conditions de présentation strictes posées par le code électoral moldave, révisé à de multiples reprises au cours des deux dernières années. Outre Maia Sandu, deux autres principaux candidats étaient très engagés dans la campagne et se distinguaient par leur notoriété.
J'ouvre une parenthèse : nous avons, avec ma collègue députée, été surprises pendant les deux jours précédant le scrutin, que nous soit expliquée sans discontinuer la transparence du modèle électoral, comme une sorte de mise en conditions avant de pouvoir nous rendre dans les bureaux de vote. Cela traduisait l'importance capitale que le pays accordait à montrer au monde entier qu'il disposait des standards démocratiques en vigueur en Europe.
Revenons-en aux candidats en lice. Alexandr Stoianoglo, opposé au référendum qui était associé à l'élection présidentielle -j'y reviendrai-, s'est déclaré comme indépendant mais était soutenu par le parti socialiste moldave. Originaire de Gagaouzie, l'ancien parlementaire et procureur général avait dû démissionner en 2021 ; la Cour européenne des droits de l'homme a depuis reconnu, en 2023, qu'il n'avait pas eu droit alors à un procès équitable. Il a axé sa campagne sur l'économie, la démographie, la neutralité et le sort de la Transnistrie. Il a obtenu 25,95 % des voix au premier tour, 44,65 % au second tour.
Renato Usati, homme d'affaires aux multiples antécédents judiciaires mais toujours relaxé, ancien maire de Balti, a fondé et préside « Notre Parti » - qui a remporté 17 mairies lors des élections locales de novembre 2023, ce qui fut la marque d'une certaine usure du pouvoir en place. Il a fait campagne pour un régime présidentiel, pour l'indexation des retraites sur l'inflation et pour les « valeurs familiales ». Opposé lui aussi à la tenue du référendum, il n'avait pas donné de consignes de vote pour celui-ci. Il a obtenu 13,79 % des voix le 20 octobre. Je rappelle qu'il s'agissait d'une double élection, la présidentielle et un referendum, la mission de l'OSCE étant limitée à la première.
Parmi les autres candidats, une seule, Irina Vlah, ancienne gouverneure de Gagaouzie, faisant campagne contre Mme Sandu et pour le « non » au referendum, a obtenu un peu plus de 5 % des voix. La plupart d'entre eux n'ont pas donné de consignes de vote en faveur de Mme Sandu au second tour. La participation fut de 51,68 % au premier tour, 54,34 % au second tour.
Maia Sandu, après avoir obtenu 42,49 % des voix au premier tour, a nettement fait la différence au second tour, avec 55,35 %, malgré de faibles réserves de voix. Sa popularité personnelle a donc joué, malgré l'usure d'un premier mandat. Elle incarne l'enjeu européen qui était au coeur de cette élection, alors que la guerre continue à faire rage en Ukraine, plus de mille jours après son déclenchement et que, malgré le très fort soutien européen, la population subit les conséquences de cette guerre toute proche, la frontière avec l'Ukraine étant longue de près de mille kilomètres : conséquences économiques avec une forte inflation, due à une forte dépendance énergétique au gaz russe, qui est en train d'être fortement corrigée ; conséquences sociales et humaines, plus d'un million d'Ukrainiens ayant transité par le pays, mais plus de 100 000 s'y étant installés. La frontière ukrainienne est à moins de 50 km de Chisinau et Odessa à moins de 200 km.
La Moldavie est la cible privilégiée de multiples attaques hybrides. Selon les responsables entendus dans les briefings auxquels j'ai participé la veille et l'avant-veille du scrutin, ces attaques ont fortement interféré avec la campagne électorale, dans les mois et semaines précédant le premier tour de l'élection, prenant la forme de diverses tentatives de manipulations et d'influences, d'achats massifs de voix, de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, etc.
Depuis plus d'un an, les autorités moldaves et les organismes de régulation se sont donné des moyens de lutter contre ces phénomènes. Une douzaine de chaînes de télévision ont été fermées, y compris celle d'Ilan Schor, oligarque puissant et opposé au rapprochement de la Moldavie avec l'Union européenne. Mais les réseaux sociaux ont pris le relai et c'est sur Instagram, Telegram et Tik Tok que se sont déroulées pour l'essentiel ces campagnes de désinformation.
Les enquêtes déclenchées par les autorités administratives et judiciaires moldaves sur ces faits, jusqu'à la veille du scrutin, et largement relayées dans les médias pro-gouvernementaux, se sont poursuivies entre les deux tours. Le jour même de notre arrivée, le 17 octobre, les chefs de la police et du service de renseignement annonçaient plus d'une centaine d'arrestations et de perquisitions destinées à démanteler un réseau d'agitateurs formés par des services ou organismes paramilitaires russes apparemment recrutés via des réseaux sociaux, notamment Telegram, et dotés de matériels divers y compris d'armes légères. Selon Maia Sandu, ce réseau mobiliserait près de 300 000 personnes, ce qui est difficile à vérifier ; d'autres sources évoquent la moitié de ce nombre, ce qui paraît déjà beaucoup, ne serait-ce qu'au regard des capacités administratives d'un pays où le ministère de l'intérieur et les forces de l'ordre emploient au total 16 000 personnes. Selon les mêmes sources, le montant total consacré à la corruption électorale depuis deux ans se chiffrerait en centaines de millions d'euros, assertion tout aussi difficile à prouver. Il est vrai que l'oligarque Ilan Schor, désormais établi en Russie, serait à l'origine de la disparition d'un milliard de dollars du système bancaire moldave et que son influence semble demeurer considérable dans le pays. Selon un communiqué et une vidéo publiée par la police le 26 octobre, celle-ci disposerait de preuves de virements bancaires pour un total de 39 millions de dollars depuis des comptes russes sur des comptes moldaves appartenant à la galaxie de Schor avant le premier tour. Dans le mois précédant l'élection, 15 millions de dollars de financements illicites auraient été saisis par la police.
La mission d'observation électorale de l'OSCE était dirigée d'une part par la mission du Bureau international de la démocratie et des droits de l'homme, sous la responsabilité de Mme Ursula Gacek, ambassadrice polonaise, à la tête d'une équipe de 13 experts et de 26 observateurs dits de long terme, sur place depuis septembre pour analyser la campagne et l'organisation électorales, et par notre collègue parlementaire tchèque Lucie Potuckova, présidente de la 3e commission de l'AP-OSCE, d'autre part, coordinatrice spéciale de près de 200 observateurs de court terme de 31 pays membres : parmi ces observateurs de court terme, on comptait une vingtaine de parlementaires, neuf de l'AP-OSCE, neuf de l'APCE et trois du Parlement européen. L'ensemble de ces observateurs a pu couvrir près de 900 bureaux de vote, soit près de la moitié du total dans le pays, plusieurs dizaines de bureaux de vote ayant été ouverts à l'étranger, essentiellement dans l'UE et en Amérique du Nord, mais aussi quatre en Russie. Ma collègue de l'AP-OSCE Anna Pic, députée de la Manche, et moi étions les seules parlementaires françaises participant à cette mission.
J'ai souhaité observer des bureaux de vote très divers, le jour du scrutin, depuis leur installation avant leur ouverture à 8h jusqu'au dépouillement après leur fermeture à 20h ; dans la capitale, mais aussi dans des zones très rurales. Et même le long des méandres du Dniestr, dans des bureaux ouverts à destination des Moldaves résidant en Transnistrie, où beaucoup de bulletins sont en russe.
J'ai tenu aussi à aller observer des bureaux de vote de la ville d'Orhei. Située à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Est de Chisinau, et à une dizaine de kilomètres du Dniestr, elle demeure le fief d'Ilan Schor. Quatre employés municipaux avaient été arrêtés une semaine avant notre arrivée. Orhei se veut un « modèle » de ce que Schor prétend vouloir faire pour son pays : la ville est dotée d'un parc d'attraction gratuit - « Orheiland » - ; le mobilier urbain, les rues, les trottoirs, l'éclairage publics paraissent flambant neufs, les bâtiments publics et privés sont assez cossus. Le transport public serait gratuit aux heures de pointe, l'eau de la ville également. Des cérémonies sont régulièrement organisées pour des remises de prix en espèces. Les retraités de la ville recevraient des primes mensuelles d'une centaine d'euros d'une banque russe. Le maire a inauguré cette année au printemps un magasin d'une chaîne locale, dénommé « MeriSchor » qui offre des prix très avantageux pour toutes sortes de produits alimentaires et de consommation courante.
Un bureau de vote, en plein centre de la ville, se trouvait dans la vaste salle d'une école de danse. Il présentait la particularité de laisser une large zone de circulation derrière les « isoloirs » qui ne sont pas fermés. Se tenaient là, dans le dos ou à proximité des votants et avec une vue possible, pour ne pas dire assurée, sur leurs bulletins, plusieurs personnes, munies de téléphones portables, soit membres du bureau de vote, soit « observateurs » de partis politiques. J'ai mentionné cette irrégularité - la seule qui m'ait semblé particulièrement notable - dans mon rapport remis à l'OSCE à Chisinau au retour nocturne de cette longue journée électorale.
Le mandat de la mission d'observation ne portait que sur l'élection présidentielle. Mais le scrutin du premier tour associait à l'élection présidentielle, et dans les mêmes bureaux, un référendum constitutionnel. Rien n'obligeait la présidente Sandu à procéder de la sorte et le choix de coupler les deux votes est entièrement le sien. Il a donné lieu à de nombreuses critiques, y compris au sein des partisans déclarés de l'adhésion à l'UE. Le code électoral moldave - particulièrement touffu - a dû être modifié au printemps avant le scrutin pour rendre possible cette concomitance à l'automne, auparavant proscrite. Après plusieurs contestations et recours, la Cour constitutionnelle a validé, en avril 2024, les modifications législatives. Le décret de convocation pour le référendum du 20 octobre a été pris sur l'initiative de 46 parlementaires du groupe affilié au parti de Maia Sandu - sur 101 membres du Parlement au total -, soit plus que le seuil d'un tiers requis par la Constitution.
Le référendum proposait d'approuver par un seul oui ou de rejeter par un seul non deux modifications constitutionnelles. La première ajoutait deux paragraphes au Préambule de la Constitution. Le premier « réaffirmant l'identité européenne du peuple » moldave et « l'irréversibilité du chemin européen » de la Moldavie. Le second pour affirmer que « l'intégration à l'UE est un objectif stratégique » de la république moldave.
La seconde modification ajoutait une section nouvelle composée de deux articles. Le premier pour établir que les accords d'adhésion devaient être ratifiés par une loi organique ; le second pour affirmer la primauté du droit de l'Union découlant de ces accords sur le droit interne.
Le code électoral proscrivait de faire campagne pour le boycott du référendum. Les partis enregistrés devaient faire campagne pour le oui ou pour le non. De fait, la campagne fut peu active. Même dans la capitale, peu d'affiches, peu de meetings, pas de débats télévisés. La participation a été un peu moindre que pour l'élection, mais pas significativement, à peine un point de moins. En revanche, le résultat fut acquis de justesse, au bout d'une longue nuit de décompte, où les votes des Moldaves de l'étranger sembleraient avoir beaucoup compté : moins de 12 000 voix d'avance, pour plus d'un million et demi de votants. Cela fait tout de même une majorité de 50,38 % et, en démocratie, seul le résultat compte. Mais cela exprime une adhésion mesurée à l'Europe, que nous avions ressentie lors de nos missions de l'an dernier pour la commission.
Toute la politique de Maïa Sandu, axée sur l'intégration européenne de son pays, consiste à convaincre son peuple, ses élites et tous les partenaires européens et internationaux, que le défi ambitieux de l'adhésion sera relevé avec succès, avec un objectif affiché pour 2030. Depuis son élection au second tour, le 6 novembre, seul un remaniement gouvernemental d'assez faible ampleur - rotation entre deux ministres et nomination d'un nouveau ministre de l'agriculture, auparavant président du syndicat des producteurs de lait - est intervenu la semaine dernière. La ligne européenne de la présidente élue semble donc demeurer tout à fait inchangée.
Il faudra aussi compter avec les résultats du second tour de l'élection présidentielle roumaine, prévu le 8 décembre, et des élections législatives qui auront lieu dimanche prochain, 1er décembre, dans ce pays si influent en Moldavie. Le premier tour a en effet propulsé en tête un candidat inattendu, M. Câlin Georgescu, dont le profil idéologique paraît proche de celui de M. Orban ou de M. Trump, y compris en politique européenne et internationale, et qui a recueilli près de 23 % des voix. Il a fait campagne « pour la paix maintenant ». Il affrontera au second tour une candidate libérale, Mme Elena-Valeria Lasconi, qui plaide pour le maintien du soutien à l'Ukraine, devançant de peu le Premier ministre sortant, Marcel Ciolacu, du Parti social-démocrate, auparavant donné gagnant par les sondages et les observateurs. Un autre candidat d'extrême droite, en 4e place, a obtenu près de 14 %. Ce résultat préliminaire risque de bouleverser le système politique roumain, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la Moldavie.
Nous reparlerons de toute façon de ce pays, mes chers collègues, car les élections parlementaires qui doivent y avoir lieu l'été prochain seront déterminantes. Je vous remercie.
M. Didier Marie. - Je n'ai pas de question particulière, mais je souhaite simplement confirmer les termes très diplomatiques de Pascal Allizard. Que ce soit en Géorgie ou en Moldavie, ce qui est à retenir, c'est l'influence de la Russie et la capacité de ses alliés dans ces pays à se mobiliser et se déployer pour influencer le résultat du vote. Aucune de ces élections n'a été libre et transparente. Malheureusement, c'est ce qui est en train de se passer dans tous les pays de l'ex-Union soviétique, et y compris dernièrement en Roumanie. Ces missions d'observations sont intéressantes ; comme leur nom l'indique, elles observent, mais elles ont leurs limites. Il est impératif que la nouvelle Commission européenne se mette au travail et qu'elle puisse soutenir ces pays qui aspirent à nous rejoindre et à vivre en démocratie. Cela passe par des contacts institutionnels et par un soutien aux organisations prodémocratie de la société civile.
M. Pascal Allizard. - Je rappelle tout de même qu'une partie de l'opposition géorgienne actuelle fut la majorité précédemment, et qu'elle avait recours aux même pratiques illégales et mafieuses. Je m'inquiète que l'on soit en train de remettre en selle à Bruxelles un dirigeant qui avait des pratiques frauduleuses. La Géorgie subit les conséquences de sa proximité géographique avec la Russie, dont dépend 65 % de son PIB. Si demain la Russie envahissait la Géorgie, Tbilissi pourrait sans doute tomber en moins d'une heure ! Dès lors que nous voulons arrimer les Géorgiens à l'Union européenne, comment pouvons-nous leur apporter des garanties de sécurité suffisantes ? Comment peut-on leur assurer une sécurité économique ? Pour l'instant, les Géorgiens considèrent, dans la majorité comme dans l'opposition, que l'UE n'apporte pas de réponses à ces questions.
M. André Reichardt. - Il faut naturellement appuyer de toutes nos forces ces pays. La Présidente de la Moldavie Maia Sandu porte le projet européen dans son pays. Il faut la soutenir du mieux possible, d'autant que les élections législatives auront lieu prochainement. La situation de la Géorgie me semble effectivement bien plus compliquée.
Mme Gisèle Jourda. - Si l'on veut freiner le train qui est en route, et pouvoir maintenir la Moldavie dans son chemin vers l'Europe, c'est maintenant que ces pays ont besoin de nous. La poussée russe est énorme. Une anecdote supplémentaire sur les conditions de vote lors de la mission en Moldavie : les bulletins étaient glissés dans des urnes transparentes, sans enveloppes. Et il y avait des caméras, donc on pouvait assez aisément savoir le vote de chacun.
M. Jean-François Rapin. - Merci à vous.
Nous devons procéder à la nomination de quelques rapporteurs. Je vous propose de désigner Florence Blatrix Contat et Cyril Pellevat, rapporteurs sur la PPRE n ° 751 relative aux prestations de chômage des travailleurs transfrontaliers, et Gisèle Jourda et moi-même, rapporteurs de la PPRE n° 758 sur la gestion du trafic et des débris spatiaux, déposée par notre collègue Ludovic Haye. Pas d'objection ?
Il en est ainsi décidé. La réunion est close à 15 heures.
Jeudi 28 novembre 2024
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et de M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères -
La réunion est ouverte à 08 h 30.
Étude annuelle du Conseil d'État relative à la souveraineté - Audition de M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous accueillons aujourd'hui M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État, que nous avons invité à présenter l'étude annuelle que le Conseil d'État a récemment publiée et qui porte cette année sur la notion de souveraineté, notion fondatrice de l'État et de l'ordre international, mais aujourd'hui questionnée, à l'extérieur par les interdépendances économiques, les rapports de force ou les défis globaux tels que le dérèglement climatique, et à l'intérieur par la crise de la démocratie représentative.
Parallèlement, et paradoxalement, le discours politique décline de plus en plus la souveraineté au pluriel, l'invoquant en matière énergétique, numérique, sanitaire ou encore alimentaire, le plus souvent à l'échelon européen.
Au nom de la commission des affaires européennes, je me concentrerai sur vos recommandations pour mieux articuler souveraineté nationale et intégration européenne. La construction de l'Union européenne repose sur le choix libre de ses États membres de partager leur souveraineté en certains domaines, dans l'espoir d'apporter une valeur ajoutée et même de faire émerger une forme augmentée de souveraineté, à plus grande échelle. L'incantation en faveur d'une souveraineté européenne, sous l'impulsion de la France, a pris corps dans la déclaration de Versailles au lendemain de l'agression de l'Ukraine par la Russie, pour devenir progressivement admise par l'ensemble de nos partenaires européens. J'ai même eu lundi dernier la surprise, lors d'une réunion en format Weimar qui se tenait à Berlin entre commissions des affaires européennes des parlements allemand, polonais et français, de voir mon homologue allemand proposer lui-même de retenir le mot « souveraineté », au lieu « d'autonomie stratégique », dans notre déclaration commune.
Dans le volet européen de votre étude, vous insistez, d'une part, sur l'articulation entre souveraineté nationale et européenne, qui repose sur le principe de subsidiarité, et, d'autre part, sur le vecteur de puissance renouvelée que peut représenter la souveraineté exercée au niveau européen.
Si votre rapport valorise l'importance du respect du principe de subsidiarité, il est presque silencieux sur l'action des parlements nationaux en ce domaine, alors que les traités européens leur confient une responsabilité particulière à cet égard et qu'ils se trouvent souvent bien seuls à le défendre.
Sur l'initiative du Sénat, un groupe de travail interparlementaire a été constitué au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union (Cosac) pour proposer des moyens de renforcer le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne : son rapport de juin 2022 plaide pour simplifier les règles de déclenchement du contrôle de subsidiarité - par l'allongement du délai imparti pour ce contrôle et l'abaissement du seuil de déclenchement du « carton jaune » -, mais aussi pour instaurer un droit d'initiative législative des parlements nationaux - « carton vert » - ou encore institutionnaliser un droit de questionnement écrit des parlementaires nationaux à l'égard des institutions européennes.
Ces propositions peinent toutefois à se concrétiser, même si nous sommes fiers d'avoir réussi à faire adopter des amendements en ce sens lors de la dernière Cosac, qui s'est tenue en Hongrie.
Monsieur le vice-président, comment réagissez-vous à ces propositions ? Quelle est votre vision du rôle des parlements nationaux dans la défense du principe de subsidiarité ?
L'étude annuelle insiste aussi sur la part que l'exécutif devrait prendre dans le contrôle du principe de subsidiarité et dans la préservation des compétences nationales en matière de sécurité, notamment par l'insertion d'une « clause bouclier » dans les nouvelles législations européennes en ces domaines. Cela me semble essentiel : concrètement, comment mieux impliquer le Conseil dans le contrôle de subsidiarité ? Comment l'inciter à se montrer plus vigilant sur la base juridique retenue par la Commission pour fonder une initiative législative, sur le choix de l'instrument juridique - règlement ou directive - et sur l'opportunité du recours aux actes délégués et aux actes d'exécution ?
L'empiétement de l'Union sur la souveraineté nationale semble par ailleurs alimenté par l'interprétation « constructive » des traités européens que fait la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : au vu de cette tendance, la CJUE peut-elle vraiment jouer le rôle d'arbitre que mentionne votre rapport ? Pourquoi le Conseil d'État s'est-il jusqu'à présent refusé de contrôler l'intervention de la CJUE ultra vires, en vérifiant, comme le fait par exemple la Cour constitutionnelle allemande, que la CJUE n'excède pas ses compétences ? Croyez-vous que le dialogue des juges puisse suffire à amener la CJUE à mieux reconnaître la « marge nationale d'appréciation » des États membres dans leurs domaines de compétence les plus sensibles, comme le fait la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ?
Votre rapport nourrit aussi l'ambition de faire du niveau européen un vecteur de puissance renouvelée. Pourriez-vous apporter quelques précisions sur la « méthode d'action coordonnée » que votre rapport préconise au niveau européen pour réduire le travail en silo et développer une approche plus pragmatique ?
Quels seraient les avantages de la codification du droit de l'Union européenne que vous recommandez. Ne craignez-vous pas, au regard de l'expérience de notre propre processus de codification, qu'elle soit trop lourde à mettre en oeuvre ?
Enfin, n'est-il pas paradoxal que votre étude annuelle insiste sur le respect de la souveraineté tout en plaidant pour l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil ?
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Monsieur le vice-président, dans cette nouvelle étude du Conseil d'État, vous prenez à bras-le-corps une réflexion sur une question difficile, mais essentielle pour un État, celle de la souveraineté.
Attribut fondamental de l'État, sans lequel il ne serait pas, la souveraineté est aujourd'hui questionnée par d'autres formes de pouvoirs, en particulier les organisations internationales gouvernementales, les organisations non gouvernementales et les entreprises multinationales, à commencer par les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
Des questions essentielles de cohérence de l'action juridique et juridictionnelle de la France avec celle des organisations internationales auxquelles elle appartient, en particulier l'Union européenne, se posent donc.
Votre étude, très complète, aborde aussi les modalités de l'expression démocratique. Plusieurs travaux du Sénat, notamment sous l'autorité du président Larcher, ont été conduits sur cette thématique, et votre étude y fait d'ailleurs référence. La plateforme des pétitions mise en place par le Sénat depuis 2019 offre également un espace d'expression et de proposition aux citoyens ; elle a donné lieu à l'examen par le Sénat de plusieurs textes législatifs et à la mise en oeuvre de travaux de contrôle spécifiques.
Il nous faut trouver un équilibre entre l'expression démocratique directe et l'expression de la démocratie représentative, qui reste le meilleur système, même s'il est toujours améliorable... L'exercice de la démocratie directe peut sans doute être renforcé, mais celle-ci, pour fonctionner, doit impérativement être éclairée. On voit bien tout ce que le monde actuel permet en termes de manipulation de l'information et des différents dispositifs démocratiques.
Vous proposez à cet égard de créer un « espace civique de confiance numérique », qui permettrait, si j'ai bien compris, de mettre à disposition des éléments de débat préalablement à une consultation référendaire. J'aimerais que vous approfondissiez devant nous cette proposition, en nous indiquant comment, en pratique, vous voyez la mise en place et l'administration quotidienne de cette innovation.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Il n'est guère de sujet plus actuel pour notre commission que celui de ce rapport.
La situation stratégique du continent européen, dans le climat géopolitique instable et belliqueux que nous connaissons, a fortiori depuis la dernière élection présidentielle américaine, pose de nouveau la question de l'organisation de notre défense et de nos alliances à l'échelle pertinente.
Le rapport conjugue fort opportunément les aspects juridiques et politiques des questions touchant à la souveraineté.
La « souveraineté européenne » reste pour l'heure un motif de rhétorique politique, mais les passages de votre rapport consacrés à l'accroissement des interdépendances de fait, au caractère théorique des « réserves de souveraineté » ménagées aux États ou à l'effet cliquet des compétences transférées à l'Union semblent parfois démontrer la supériorité des faits communautaires sur le droit national. Vous nous direz, monsieur le vice-président, dans quelle mesure vous estimez que cette souveraineté européenne peut se concrétiser juridiquement. À partir de quand le transfert progressif, par petits pas, de compétences à Bruxelles conduit-il à lui attribuer, quoi qu'en disent les traités, des pans entiers de souveraineté ?
Après la directive sur le temps de travail des militaires, le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) interroge, même si son objectif - améliorer l'efficacité du marché intérieur, en particulier pour faciliter l'aide militaire à l'Ukraine - apparaît légitime. Notre commission a déjà rendu, après celle des affaires européennes, un avis critique sur le respect du principe de subsidiarité par ce programme.
On aurait tort de réduire ces questions à de simples spéculations théoriques : en l'occurrence, on parle d'une compétence qui permet de donner l'ordre de tuer et de mourir pour la collectivité, ce qui n'est pas rien.
Le projet de communauté européenne de défense a donné lieu en 1954 à des débats politiques houleux, mais aussi à une vigoureuse controverse opposant certains des juristes les plus en vue de l'époque - Georges Burdeau et René Capitant d'un côté, Georges Vedel ou Paul Reuter de l'autre -, notamment dans les colonnes du journal Le Monde. Quel regard portez-vous sur la nature de ce débat juridique et intellectuel en 2024, notamment dans le cadre du projet de directive que j'évoquais ?
M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État. - Nous sommes très honorés de pouvoir vous présenter notre étude annuelle sur le thème de la souveraineté, et nous nous réjouissons de tout ce qui contribue au renforcement des relations entre le Parlement et le Conseil d'État. C'est aussi le cas lorsque nous sommes saisis pour avis d'une proposition de loi ou lorsque nous accueillons une délégation parlementaire au sein de notre institution.
Je suis accompagné ce matin de Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération, de Fabien Raynaud, président adjoint de cette même section, et de Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de la présente étude sur la souveraineté. Cette dernière étant le fruit d'un travail collégial, validé par une délibération de la section puis de l'assemblée générale, c'est bien la voix du Conseil d'État que nous portons ce matin, et non celle de chacun d'entre nous.
Nous pouvons produire des études à la demande du Gouvernement - nous menons actuellement un chantier important sur la simplification du droit -, mais l'étude annuelle revêt pour le Conseil d'État une importance particulière, a fortiori depuis que le décret de mars 2024 prévoit sa présentation lors de notre rentrée de septembre.
Nous nous efforçons aussi de prévoir un enchaînement aussi cohérent que possible de nos différents travaux. Nous avons ainsi réalisé une étude sur le dernier kilomètre, c'est-à-dire la façon dont les politiques publiques peuvent atteindre leurs objectifs, et nous travaillons actuellement sur la façon de produire des politiques à long terme, autant de sujets qui sont intimement liés à celui de la souveraineté.
Comme vous l'avez souligné, le terme de souveraineté s'accompagne de plus en plus fréquemment d'adjectifs - numérique, agricole, sanitaire, etc. -, ce qui démontre au demeurant toute l'actualité du sujet.
La souveraineté interroge la manière dont un peuple assure son indépendance et décide librement de son destin. À l'échelle du citoyen, elle implique un double besoin : participer démocratiquement à l'orientation de l'État souverain, garantir que les choix établis démocratiquement puissent se concrétiser.
Juridiquement - je me permets de le réaffirmer très clairement -, la souveraineté se manifeste par la supériorité de la Constitution. Chaque nation choisit les règles qui l'organisent et fondent son État. Ni l'intégration de la France dans l'ordre international ni la construction européenne n'ont modifié ce principe fondamental. La Constitution prime les traités en vertu des jurisprudences convergentes et explicites du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État depuis les années 1990.
Le juge s'assure du respect des traités internationaux conclus par la France, car la Constitution le prévoit explicitement. L'arrêt rendu par l'assemblée du contentieux le 21 avril 2021, French Data Network, précise que le Conseil d'État écarterait l'application d'un acte de l'Union qui aurait pour effet de priver de garantie effective une exigence constitutionnelle. Ce n'est pas la voie du contrôle ultra vires retenue par les juges allemands, mais le résultat est similaire.
L'étude rappelle que la souveraineté se trouve au coeur de notre Constitution, à travers son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Ainsi, le peuple souverain, lorsqu'il agit en constituant, détient nécessairement le dernier mot.
La France est un État souverain, mais elle peut envisager d'affermir sa souveraineté pour faire face aux grands défis contemporains, en particulier l'accroissement des dépendances et des interdépendances liées à la mondialisation. Menaces épidémiques, dérèglements climatiques, tensions entre les États et résurgence des guerres mettent à nu un certain nombre de faiblesses sectorielles affectant les États. Nous faisons très souvent écho à ces difficultés dans notre étude, sans négliger non plus la montée en puissance de nouveaux acteurs non étatiques comme les grandes fondations ou les géants du numérique.
Autre champ de défi, l'intégration européenne, bien évidemment, qui permet potentiellement aux États d'additionner leur puissance, mais qui crée aussi des frustrations liées notamment à l'effet de cliquet de la construction européenne - un transfert de compétences vers l'Union n'est que rarement remis en cause.
Enfin, la crise de la représentation traditionnelle conduit à se réinterroger sur les modes d'expression démocratiques et les moyens d'intéresser et de faire participer les citoyens aux décisions publiques. Cela relève de l'évidence, mais la démocratie s'étiole si les citoyens s'en détournent.
Face à ces constats, notre étude délivre trois messages principaux.
La souveraineté, tout d'abord, suppose une citoyenneté active. Nous envisageons certaines pistes pour renforcer l'esprit de défense des citoyens et leur intérêt pour les décisions politiques, notamment au travers des référendums locaux ou du vote préférentiel. L'étude invite également à développer l'esprit civique des citoyens, en renforçant encore l'enseignement civique et en garantissant les conditions d'existence d'une information fiable, indépendante et pluraliste.
Il nous faut ensuite améliorer l'articulation nécessairement complexe entre l'Union européenne et les États souverains. La souveraineté se définissant depuis plusieurs siècles dans le cadre de l'État-nation, le dépassement des frontières ne peut se faire sans précaution. Nous devons nous assurer que l'Union ne remette pas en cause les intérêts fondamentaux de notre nation et que chacun exerce ses compétences avec mesure et considération réciproque.
Nous recommandons en particulier d'améliorer la production normative en faisant plus strictement respecter le principe de subsidiarité. Nous proposons également d'associer les États dès le choix de l'instrument juridique par la Commission - les règlements tendent à supplanter progressivement les directives - et d'insérer plus fréquemment dans les textes de droit dérivé une clause bouclier rappelant que les dispositions du texte ne portent pas atteinte à l'intégrité territoriale de l'État ni à ses fonctions essentielles en matière d'ordre public et de sécurité nationale.
Nos propositions s'orientent aussi vers la marge d'appréciation laissée par la CJUE aux États membres et sur les moyens pour ces derniers de peser collectivement dans les relations internationales. Nous suggérons de renforcer la méthode d'action coordonnée, qui repose sur la fixation d'objectifs stratégiques communs et sur la conciliation de politiques parfois contradictoires, un exercice qui suppose des échanges réguliers entre les États membres et les institutions européennes. Il pourrait avoir lieu autour de la présidence du Conseil européen et entre commissaires européens, de façon à associer pleinement les parlements et les autres responsables nationaux. La méthode retenue pour le Brexit, où les négociateurs européens avaient d'abord veillé à la solidarité entre États membres, est sans doute une source d'inspiration.
Compte tenu de l'ampleur du sujet, dans un souci opérationnel, nous avons fait le choix de réaliser une étude à traités et Constitution constants. Certaines des pistes que vous avez évoquées ne sont donc pas explorées, hormis un commentaire sur l'évolution de la majorité qualifiée.
Notre troisième axe, qui sera complété par l'étude que nous menons pour 2025, vise à inscrire l'exercice de la souveraineté dans une stratégie de long terme qui permettrait, sur des sujets fondamentaux, de dépasser les contingences du moment et de mobiliser des moyens dans la durée. Cela suppose d'abord de cartographier les secteurs essentiels pour notre souveraineté, puis de fixer un cap et de dégager des moyens financiers, par exemple dans le cadre d'une programmation pluriannuelle. Nous proposons, pour chaque secteur, de désigner un groupe de pilotes dont la légitimité serait reconnue par les autres acteurs.
Ne négligeons pas non plus certains sous-jacents qui nous semblent importants, en particulier la nécessité de disposer de personnes aptes à éclairer et à traduire dans nos politiques publiques les progrès de la science et de la technologie. Ces derniers sont extrêmement mouvants, mais nous savons qu'ils pèseront de plus en plus à l'avenir sur les questions de souveraineté. C'est à cette condition, nous semble-t-il, que notre pays pourra préserver au mieux sa souveraineté, relever les défis auxquels il est confronté et continuer de faire entendre sa voix singulière dans l'ordre international. Il retrouvera ainsi des leviers d'action pour décider de son destin, selon des orientations qui, bien entendu, ne relèvent plus du Conseil d'État, mais du seul champ politique, et donc de la représentation nationale.
Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. - J'ajoute mes remerciements à ceux que M. le vice-président vous a exprimés. Je vous remercie aussi, madame la présidente de la commission des lois, d'avoir indiqué que l'étude était très complète. Elle peut l'être, car elle fait plus de 500 pages - mais elle comporte une synthèse de 20 pages. L'acuité et la pertinence de vos questions montrent que vous l'avez bien lue. J'ai coutume de dire en souriant que son plus beau résumé, c'est un dessin de Plantu qui figure à la page 530.
Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous avez apporté un bémol à ce caractère complet en nous disant que nous n'avions pas assez traité du rôle des Parlements nationaux et que, en tous les cas, nous n'avions pas formulé de propositions à cet égard. Or c'est un positionnement que nous prenons de manière générale. Car nous considérons que nos recommandations s'adressent plus à l'exécutif et que, dans le cadre national, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le rôle du Parlement.
Comme l'a dit M. le vice-président, nous avons regardé ce qui existe, à savoir l'organisation du rôle des parlements nationaux par le protocole n° 1 - relatif à ce rôle lui-même - et le protocole n° 2 - sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité -, annexés au traité d'Amsterdam. La Commission européenne soumet aux Parlements nationaux tous les textes concernés, mais il nous a semblé que l'usage qui en était fait par les parlements n'était peut-être pas aussi répandu qu'il pourrait l'être. Cela dit, nous avons un démenti par l'action que vous évoquiez, monsieur le président, afin de faciliter la mise en oeuvre du carton jaune et d'initier le carton vert. Un second démenti, apporté par M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, est celui de l'avis motivé que vous avez rendu sur EDIP. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
À nos yeux, une plus grande implication des parlements nationaux serait en effet intéressante, mais nous l'avons abordée sous un autre angle que celui de l'action propre des parlements nationaux : il s'agirait d'une plus grande présence devant les parlements de l'ensemble des représentants de la Commission, voire des commissaires eux-mêmes, qui pourraient leur donner plus d'informations et, au besoin, s'y déplacer.
Nous avons également beaucoup insisté sur les actions à mener du côté du Conseil. Un « Monsieur subsidiarité » existe déjà au sein de la Commission. Nous pourrions imaginer qu'il vienne expliquer devant tel ou tel Parlement comment mieux faire respecter le principe de subsidiarité. Mais le Conseil mériterait d'être plus présent, car il est la voix des États dans le système institutionnel européen. D'où nos propositions : un point régulier - chaque semestre - au Conseil des affaires générales sur la question de la subsidiarité ; la création auprès du Conseil d'un autre « Monsieur subsidiarité ». Ce dernier pourrait s'appuyer sur le secrétariat général et le service juridique du Conseil. Ces créations, à traité constant, seraient de nature à faire évoluer les esprits.
Dans le même sens, il serait utile que le président du Conseil européen puisse passer plus de temps dans les capitales des 27 États membres afin de jouer un rôle de trait d'union entre le niveau européen et le niveau national. Cela avait été fait par le Premier ministre au moment du Brexit et auparavant par Jacques Delors, alors président de la Commission.
Enfin, il est très important que nos négociateurs soient attentifs au respect de la subsidiarité pour déterminer si la limite n'est pas franchie et quel est l'instrument juridique le plus adéquat : à l'heure actuelle, les règlements deviennent de plus en plus longs, et la frontière entre directive et règlement n'est plus aussi nette.
Par ailleurs, il faut veiller à la base légale retenue pour éviter que les modalités d'adoption ne soient modifiées indûment.
J'en viens aux « clauses boucliers ».
Le traité de l'Union européenne, au paragraphe 2 de son article 4, stipule que l'Union européenne « respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Il ajoute que « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Mais dans la pratique et en vertu de la jurisprudence de la CJUE, lorsqu'elle est amenée à interpréter la portée de tel ou tel texte de droit dérivé, l'on peut observer une tendance à accorder une moindre attention à cette clause de limitation de la compétence de l'Union.
Nous recommandons donc de bien anticiper les choses, ce qui n'a peut-être pas été le cas pour le temps de travail des militaires, et de prévoir systématiquement l'ajout dans les textes de droit dérivé de cette « clause bouclier » qui fasse expressément écho à la réserve générale. Cela se fait déjà dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI). L'objectif serait, texte par texte, de permettre un véritable équilibre dans l'interprétation des dispositions, plutôt que de s'en remettre à la clause générale.
Enfin, nous sommes favorables au dialogue des juges. Sur les données de connexion, la dernière décision de la Cour de justice, qui modifie les exigences pour mettre en oeuvre la conservation de certaines de ces données, me paraît être le signe d'une évolution en ce sens.
M. Fabien Raynaud, président adjoint de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. - Sur la marge d'appréciation, nous recommandons que la Cour de justice donne davantage de latitude aux États membres dans tous les domaines qui touchent à leur rôle essentiel : la sécurité nationale, l'intégrité du territoire, l'ordre public, etc. Cette notion est bien connue de la CEDH. Dans la mesure où celle-ci doit appliquer un texte unique, relativement ancien, à des situations concrètes, actuelles, elle admet une marge d'appréciation entre les États membres. La Cour de justice part d'un rôle inverse : elle doit assurer l'application uniforme, dans un espace intégré, de normes techniques et évolutives.
Au demeurant, le droit de l'Union européenne se développe dans certains domaines et peut porter atteinte au rôle essentiel des États en matière de sécurité nationale. Outre la clause de réserve générale et les « clauses boucliers », dont nous appelons de nos voeux le développement, il est nécessaire que la Cour de justice tienne compte des différences de situation qui existent entre les États membres.
Dans une certaine mesure, la Cour de justice a envoyé certains signaux intéressants, notamment dans l'affaire du temps de travail des militaires. Elle a dit que les États membres n'étaient pas confrontés à la même situation géostratégique, aux mêmes menaces, et que leurs responsabilités internationales n'étaient pas identiques. Elle a semblé être prête à s'engager dans une évolution positive. Pour réaliser notre étude, nous avons auditionné le président de la Cour de justice, avec lequel nous avons eu un dialogue constructif.
Pourquoi le Conseil d'État ne s'est-il pas engagé dans un contrôle de l'ultra vires ?
Dans nos arrêts du 21 avril 2021 et du 17 décembre 2021, French Data Network et Bouillon, qui n'étaient que le développement de l'arrêt Sarran du 30 octobre 1998 et de l'arrêt Arcelor du 8 février 2007, nous avons clairement déclaré que, en cas de divergences irréconciliables entre un principe constitutionnel et les exigences du droit de l'Union, nous ferions prévaloir le premier. Fort heureusement, nous n'avons pas encore été confrontés à une telle situation.
Il est vrai que nous avons refusé de nous engager dans le contrôle de l'ultra vires. Pourquoi ? Ce contrôle porte sur la validité du droit dérivé au regard des règles de compétences entre les États et l'Union telles qu'elles sont définies par les traités. Or cette mission relève de la Cour de justice. Il ne nous a pas semblé possible d'aller jusque-là.
Même si ces deux voies sont théoriquement très différentes, en pratique, elles aboutissent à un résultat très proche ; car in fine, c'est la Constitution française qui prévaudrait.
Pour ce qui est de la méthode d'action coordonnée, l'une des difficultés dans l'exercice de la souveraineté réside dans le fait que certains instruments ont été transférés au niveau européen tandis que d'autres restent au niveau national. Or, pour être efficaces, nous devons mobiliser tous nos instruments au service d'objectifs stratégiques définis en commun. Par exemple, la politique de la concurrence est exercée au niveau européen, tandis que la politique industrielle reste nationale. Pour une meilleure articulation entre les deux, un groupe de personnes qualifiées pourrait soumettre des propositions à l'autorité politique. Cela permettrait d'éviter les effets de silo, qui peuvent être à la fois verticaux et horizontaux.
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous sommes en pointe sur la question de la codification depuis 220 ans, le code civil datant de 1804. Certes, la codification existe à l'échelle de l'Europe avec un code des douanes, mais de manière moins développée. De plus, la méthode suivie est plus complexe dans la mesure où la codification est plus ponctuelle et ne se fait pas à droit constant, ce qui nécessite bien plus de temps.
La codification menée en France a pour objectif de faciliter l'accès au droit et d'améliorer sa lisibilité : de manière symétrique, il pourrait être intéressant de reproduire cette démarche à l'échelle européenne, afin de rendre le droit européen plus organisé, plus lisible et sans doute plus cohérent. L'effort de codification impose en effet de vérifier l'absence de contradiction entre les textes.
Toutefois, même si certains promeuvent, en France comme en Allemagne, l'idée très ambitieuse d'un code européen des affaires - cela a du sens -, travailler à la codification dans le domaine européen devrait pouvoir, au moins dans un premier temps, se faire à droit constant, sans avoir à créer complètement un autre corpus.
M. Didier-Roland Tabuteau. - Sur un autre point, je précise que nous avons analysé les enjeux de l'extension du vote à la majorité qualifiée, mais sans émettre de recommandations dans un sens ou dans l'autre.
Mme Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de l'étude annuelle relative à la souveraineté. - Notre proposition relative à l'espace civique de confiance numérique s'inscrit dans le cadre d'un axe essentiel de l'étude visant à conforter les modes d'expression de la démocratie et à repenser plus particulièrement, en contrepoint du primat de la démocratie représentative, les outils de la démocratie directe.
Nous nous sommes ainsi interrogés quant à la meilleure manière de préparer l'organisation d'un éventuel référendum, en tenant compte du fait que notre pays est exposé, comme certains de nos voisins l'ont éprouvé récemment, à des risques de manipulation et de désinformation en ligne.
Nous proposons que notre pays se dote d'outils permettant d'éclairer le débat public sur la question soumise à référendum, à l'instar de ce que pratiquent d'autres pays. En Suisse, par exemple, des brochures d'information sont élaborées à destination des électeurs ; aux États-Unis, l'Oregon pratique depuis un certain nombre d'années une forme assez aboutie de ce dispositif avec la Citizens' Initiative Review : une assemblée de citoyens tirés au sort produit ainsi, à l'attention des électeurs invités à se prononcer sur une question issue d'une initiative citoyenne, une analyse présentant à la fois les enjeux et les arguments en faveur du « oui » et du « non ».
L'espace civique de confiance numérique représente un autre moyen pour améliorer la qualité de la délibération, afin de tirer parti de toute la potentialité du numérique et du fait que nos concitoyens se nourrissent beaucoup d'informations sur les réseaux. Concrètement, il s'agirait de mettre en place une plateforme numérique leur offrant un accès à une information vérifiée et à une présentation structurée des effets à attendre de tel ou tel choix.
Nous avons identifié plusieurs prérequis au déploiement de cet espace civique de confiance numérique : tout d'abord, il faudrait éviter l'écueil consistant à donner l'impression que l'on cherche à édicter une sorte de bonne parole, ce qui réduirait l'initiative à néant. Une approche plus adaptée pourrait consister à mettre en perspective les positions en présence sur un sujet déterminé, sur la base de données partagées.
Une telle démarche implique d'associer les parties prenantes à l'élaboration des contenus. Naturellement, la construction d'un espace civique numérique de confiance doit prendre en compte les enjeux de cybersécurité. Afin d'éviter l'écueil d'une parole qui serait descendante ou purement étatique, il nous semble important d'associer un large panel d'acteurs dès la conception, dont des autorités administratives indépendantes telles que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou la Commission nationale du débat public (CNDP), qui pourraient jouer le rôle de cheville ouvrière et de point d'accueil des projets. Des fondations politiques, des chercheurs, des acteurs de la Civic Tech et des médias pourraient également participer à la conception de l'outil.
Nous suggérons dans l'étude la constitution d'un groupe de travail à froid, avant même qu'un texte référendaire ne soit mis à l'ordre du jour, afin de se pencher sur ces questions méthodologiques essentielles, sur les aspects techniques du projet et sur les règles de la gouvernance de la plateforme. Il est en effet indispensable de garantir son indépendance et son impartialité, ce qui suppose la mise en place de règles de supervision.
M. Fabien Raynaud. - Un autre aspect de l'étude nous conduit à rappeler que la compétence en matière de défense est essentiellement nationale, même s'il existe des éléments de compétences au niveau de l'Union européenne au travers de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), notamment avec la clause de défense mutuelle de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne. La France en avait d'ailleurs été une grande promotrice lors de la révision des traités, car elle souhaitait y inclure des responsabilités plus grandes dans le domaine de la défense.
Par ailleurs, il existe des domaines dans lesquels l'Union européenne, en exerçant ses compétences, est susceptible d'affecter positivement ou négativement la capacité des Européens à se défendre. Je pense ici au domaine de l'armement, situé à la frontière entre les compétences classiques et les compétences de défense.
Là encore, et en lien avec ce qu'a rappelé la Mme de Boisdeffre à propos de la subsidiarité et de la méthode d'action coordonnée, il convient d'être vigilants afin d'éviter, d'une part, une ingérence de l'Union européenne dans des domaines dans lesquels son rôle n'est que second ; et de s'assurer, d'autre part, que l'exercice des compétences de l'Union aille dans le sens d'une meilleure défense des Européens. Telles sont les questions qui se posent à nous compte tenu de la situation actuelle et des échos du débat autour de la Communauté européenne de défense (CED).
Mme Martine de Boisdeffre. - Je vais conclure sur ce point en tant que présidente du comité d'histoire du Conseil d'État. Le débat autour de la CED avait profondément divisé le pays, mais dans un contexte totalement différent : la Communauté économique du charbon et de l'acier (Ceca) était en pleine construction et la CED était une initiative française qui visait à éviter que le réarmement allemand ne se fasse dans un cadre national, avec l'idée de le « communautariser ».
La situation actuelle est fort différente : si l'Union européenne a été construite par les États, la défense relève toujours de leur compétence. De surcroît, le contexte actuel est marqué par le retour de la guerre en Europe, la montée de menaces directes comme diffuses, et enfin par des incertitudes quant au niveau - voire au principe - de l'engagement américain.
Nous devons donc nous poser l'ensemble de ces questions, avant d'effectuer un choix politique et démocratique.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - J'y ajoute la question de la dissuasion nucléaire, qui est en quelque sorte le chapeau de cette problématique de la défense européenne.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je partage cette opinion. Vous avez évoqué à juste titre, madame la présidente, le caractère démocratique des questions posées : nous en convenons, mais convenez également que l'utilisation de règlements européens n'est pas la panacée en termes de débat démocratique, alors qu'il conviendrait de permettre d'aborder ces questions de fond dans les Parlements nationaux.
Si l'urgence pouvait se justifier dans le dossier ukrainien, il n'en reste pas moins que nous avons mis le doigt dans l'engrenage. Le débat qui doit nous préoccuper porte bien sur les modalités démocratiques qui permettraient d'aborder les enjeux liés à l'article 4 du traité sur l'Union européenne et à la dissuasion nucléaire, le choix du règlement ne permettant pas un débat serein.
Mme Martine de Boisdeffre. - C'est pourquoi nous avons tant insisté sur le respect du principe de subsidiarité.
M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - J'ai été rapporteur de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères présidée par notre collègue Dominique de Legge, et l'une de ses conclusions a mis l'accent sur le fait qu'une mobilisation de l'ensemble de la société était nécessaire pour combattre les ingérences.
Vous avez évoqué la perspective d'un renforcement de l'enseignement civique, qu'il conviendrait sans doute d'élargir à l'ensemble de l'enseignement, quelles que soient les matières. Pour prendre l'exemple des mathématiques, l'apprentissage de la lecture d'une courbe permet d'acquérir une méthode dans l'analyse des données.
Par ailleurs, j'apporterai un bémol sur l'espace civique de confiance numérique : s'il faut, comme vous l'avez indiqué, éviter l'écueil qui consisterait - pour caricaturer - à recréer l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), n'oublions pas que les Gafam sont désormais dotés d'une telle puissance qu'ils participent même à la défense nationale américaine. Comment un tel dispositif pourrait-il exister face à ces géants ? L'Union européenne a réalisé quelques avancées pour défendre sa souveraineté numérique et il faut saluer le travail accompli par le commissaire Thierry Breton. Dans ce domaine, la souveraineté européenne aurait tout son sens.
Mme Martine de Boisdeffre. - Vous avez entièrement raison de souligner la force normative de l'Union européenne en matière numérique. Très critiqué, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a néanmoins eu un rôle d'entraînement vis-à-vis de pays tels que le Japon ou l'Inde, qui ont élaboré des documents qui s'en inspirent. De plus, les Gafam ont dû s'y plier afin de conserver l'accès au marché européen, qui reste considérable.
De la même manière, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) ont instauré des règles fortes pour les grandes plateformes, à la fois en termes de concurrence et de contenus. Nous avions dit, à l'occasion de notre étude portant sur les réseaux sociaux, qu'il faudrait que la Commission européenne ait les moyens de mettre en oeuvre cette réglementation. D'après les échos dont nous disposons, il semble que ce soit le cas. Là aussi, nous pourrions parler de méthode d'action coordonnée entre les directions concernées au niveau européen - la DG Connect, par exemple - et les autorités administratives impliquées au niveau national.
S'agissant de la possibilité de positionner l'espace civique de confiance numérique face aux Gafam, un travail considérable est mené en France sous l'égide de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), ce qui permet de déjouer un certain nombre de cyberattaques. Au-delà des aspects techniques, nous devons être conscients de l'importance de ce risque cyber : si les entreprises et les administrations y sont sensibilisées, les citoyens doivent également l'être, ce qui m'amène à l'éducation civique.
Cette dernière doit intégrer une sensibilisation aux avantages et aux inconvénients du numérique, ainsi qu'à « l'esprit de défense » qui avait été mis en exergue par le général André Lanata, ancien chef d'état-major de l'armée de l'air. Il faut développer cet esprit chez nos concitoyens, à l'instar de la Finlande.
Mme Mélanie Villiers. - Pour poursuivre sur la dimension éducative, l'étude suggère la présence un peu plus marquée, dans les établissements scolaires, d'acteurs tels que les élus et les représentants des administrations, afin qu'ils puissent présenter et expliquer leurs fonctions : on nourrit encore mieux la compréhension des enjeux démocratiques du système quand on en est un acteur, avec des anecdotes à transmettre. L'association Parlons démocratie, qui monte actuellement en puissance, joue ce rôle.
Par ailleurs, nous proposons de prendre davantage appui sur les collectivités territoriales et sur le monde universitaire afin de développer la réserve citoyenne et la Garde nationale. Certaines collectivités se sont déjà engagées : le président de la région des Hauts-de-France vient ainsi de signer une convention avec le secrétaire général de la Garde nationale. Il reste cependant beaucoup à faire pour élargir cet esprit citoyen, en permettant à des fonctionnaires ou à des étudiants de s'engager.
Concernant les Gafam et l'espace civique numérique, les premiers disposent certes de l'information, mais cela n'interdit en rien à la puissance publique de construire un outil destiné à éclairer le débat. En outre, les Gafam eux-mêmes ont conscience de ces enjeux démocratiques : une fondation liée à Google a ainsi lancé un appel à projets au niveau européen afin d'identifier les pratiques permettant de renforcer la démocratie. Il existe donc des marges de co-construction avec ces acteurs.
M. Didier-Roland Tabuteau. - Au-delà de l'enseignement civique, indispensable pour connaître les bases de la citoyenneté, des institutions et du service public, je crois qu'il faut encourager l'enseignement dans son ensemble, dans la mesure où il conduit les enfants et les jeunes à la rationalité, au raisonnement et au maniement de l'esprit critique, et ce dans toutes les disciplines. L'apprentissage d'une méthode de raisonnement a un effet sur la manière d'analyser les informations, l'enseignement étant ainsi un puissant facteur de confortation de notre citoyenneté et donc du bon exercice de notre souveraineté.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci pour ces réponses très éclairantes, ce débat ayant vocation à se prolonger.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 9 h 45.