Jeudi 28 novembre 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois, et de M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Institutions européennes - Étude annuelle du Conseil d'État relative à la souveraineté - Audition de M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous accueillons aujourd'hui M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État, que nous avons invité à présenter l'étude annuelle que le Conseil d'État a récemment publiée et qui porte cette année sur la notion de souveraineté, notion fondatrice de l'État et de l'ordre international, mais aujourd'hui questionnée, à l'extérieur par les interdépendances économiques, les rapports de force ou les défis globaux tels que le dérèglement climatique, et à l'intérieur par la crise de la démocratie représentative.

Parallèlement, et paradoxalement, le discours politique décline de plus en plus la souveraineté au pluriel, l'invoquant en matière énergétique, numérique, sanitaire ou encore alimentaire, le plus souvent à l'échelon européen.

Au nom de la commission des affaires européennes, je me concentrerai sur vos recommandations pour mieux articuler souveraineté nationale et intégration européenne. La construction de l'Union européenne repose sur le choix libre de ses États membres de partager leur souveraineté en certains domaines, dans l'espoir d'apporter une valeur ajoutée et même de faire émerger une forme augmentée de souveraineté, à plus grande échelle. L'incantation en faveur d'une souveraineté européenne, sous l'impulsion de la France, a pris corps dans la déclaration de Versailles au lendemain de l'agression de l'Ukraine par la Russie, pour devenir progressivement admise par l'ensemble de nos partenaires européens. J'ai même eu lundi dernier la surprise, lors d'une réunion en format Weimar qui se tenait à Berlin entre commissions des affaires européennes des parlements allemand, polonais et français, de voir mon homologue allemand proposer lui-même de retenir le mot « souveraineté », au lieu « d'autonomie stratégique », dans notre déclaration commune.

Dans le volet européen de votre étude, vous insistez, d'une part, sur l'articulation entre souveraineté nationale et européenne, qui repose sur le principe de subsidiarité, et, d'autre part, sur le vecteur de puissance renouvelée que peut représenter la souveraineté exercée au niveau européen.

Si votre rapport valorise l'importance du respect du principe de subsidiarité, il est presque silencieux sur l'action des parlements nationaux en ce domaine, alors que les traités européens leur confient une responsabilité particulière à cet égard et qu'ils se trouvent souvent bien seuls à le défendre.

Sur l'initiative du Sénat, un groupe de travail interparlementaire a été constitué au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union (Cosac) pour proposer des moyens de renforcer le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne : son rapport de juin 2022 plaide pour simplifier les règles de déclenchement du contrôle de subsidiarité - par l'allongement du délai imparti pour ce contrôle et l'abaissement du seuil de déclenchement du « carton jaune » -, mais aussi pour instaurer un droit d'initiative législative des parlements nationaux - « carton vert » - ou encore institutionnaliser un droit de questionnement écrit des parlementaires nationaux à l'égard des institutions européennes.

Ces propositions peinent toutefois à se concrétiser, même si nous sommes fiers d'avoir réussi à faire adopter des amendements en ce sens lors de la dernière Cosac, qui s'est tenue en Hongrie.

Monsieur le vice-président, comment réagissez-vous à ces propositions ? Quelle est votre vision du rôle des parlements nationaux dans la défense du principe de subsidiarité ?

L'étude annuelle insiste aussi sur la part que l'exécutif devrait prendre dans le contrôle du principe de subsidiarité et dans la préservation des compétences nationales en matière de sécurité, notamment par l'insertion d'une « clause bouclier » dans les nouvelles législations européennes en ces domaines. Cela me semble essentiel : concrètement, comment mieux impliquer le Conseil dans le contrôle de subsidiarité ? Comment l'inciter à se montrer plus vigilant sur la base juridique retenue par la Commission pour fonder une initiative législative, sur le choix de l'instrument juridique - règlement ou directive - et sur l'opportunité du recours aux actes délégués et aux actes d'exécution ?

L'empiétement de l'Union sur la souveraineté nationale semble par ailleurs alimenté par l'interprétation « constructive » des traités européens que fait la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : au vu de cette tendance, la CJUE peut-elle vraiment jouer le rôle d'arbitre que mentionne votre rapport ? Pourquoi le Conseil d'État s'est-il jusqu'à présent refusé de contrôler l'intervention de la CJUE ultra vires, en vérifiant, comme le fait par exemple la Cour constitutionnelle allemande, que la CJUE n'excède pas ses compétences ? Croyez-vous que le dialogue des juges puisse suffire à amener la CJUE à mieux reconnaître la « marge nationale d'appréciation » des États membres dans leurs domaines de compétence les plus sensibles, comme le fait la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ?

Votre rapport nourrit aussi l'ambition de faire du niveau européen un vecteur de puissance renouvelée. Pourriez-vous apporter quelques précisions sur la « méthode d'action coordonnée » que votre rapport préconise au niveau européen pour réduire le travail en silo et développer une approche plus pragmatique ?

Quels seraient les avantages de la codification du droit de l'Union européenne que vous recommandez. Ne craignez-vous pas, au regard de l'expérience de notre propre processus de codification, qu'elle soit trop lourde à mettre en oeuvre ?

Enfin, n'est-il pas paradoxal que votre étude annuelle insiste sur le respect de la souveraineté tout en plaidant pour l'extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil ?

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Monsieur le vice-président, dans cette nouvelle étude du Conseil d'État, vous prenez à bras-le-corps une réflexion sur une question difficile, mais essentielle pour un État, celle de la souveraineté.

Attribut fondamental de l'État, sans lequel il ne serait pas, la souveraineté est aujourd'hui questionnée par d'autres formes de pouvoirs, en particulier les organisations internationales gouvernementales, les organisations non gouvernementales et les entreprises multinationales, à commencer par les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

Des questions essentielles de cohérence de l'action juridique et juridictionnelle de la France avec celle des organisations internationales auxquelles elle appartient, en particulier l'Union européenne, se posent donc.

Votre étude, très complète, aborde aussi les modalités de l'expression démocratique. Plusieurs travaux du Sénat, notamment sous l'autorité du président Larcher, ont été conduits sur cette thématique, et votre étude y fait d'ailleurs référence. La plateforme des pétitions mise en place par le Sénat depuis 2019 offre également un espace d'expression et de proposition aux citoyens ; elle a donné lieu à l'examen par le Sénat de plusieurs textes législatifs et à la mise en oeuvre de travaux de contrôle spécifiques.

Il nous faut trouver un équilibre entre l'expression démocratique directe et l'expression de la démocratie représentative, qui reste le meilleur système, même s'il est toujours améliorable... L'exercice de la démocratie directe peut sans doute être renforcé, mais celle-ci, pour fonctionner, doit impérativement être éclairée. On voit bien tout ce que le monde actuel permet en termes de manipulation de l'information et des différents dispositifs démocratiques.

Vous proposez à cet égard de créer un « espace civique de confiance numérique », qui permettrait, si j'ai bien compris, de mettre à disposition des éléments de débat préalablement à une consultation référendaire. J'aimerais que vous approfondissiez devant nous cette proposition, en nous indiquant comment, en pratique, vous voyez la mise en place et l'administration quotidienne de cette innovation.

M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Il n'est guère de sujet plus actuel pour notre commission que celui de ce rapport.

La situation stratégique du continent européen, dans le climat géopolitique instable et belliqueux que nous connaissons, a fortiori depuis la dernière élection présidentielle américaine, pose de nouveau la question de l'organisation de notre défense et de nos alliances à l'échelle pertinente.

Le rapport conjugue fort opportunément les aspects juridiques et politiques des questions touchant à la souveraineté.

La « souveraineté européenne » reste pour l'heure un motif de rhétorique politique, mais les passages de votre rapport consacrés à l'accroissement des interdépendances de fait, au caractère théorique des « réserves de souveraineté » ménagées aux États ou à l'effet cliquet des compétences transférées à l'Union semblent parfois démontrer la supériorité des faits communautaires sur le droit national. Vous nous direz, monsieur le vice-président, dans quelle mesure vous estimez que cette souveraineté européenne peut se concrétiser juridiquement. À partir de quand le transfert progressif, par petits pas, de compétences à Bruxelles conduit-il à lui attribuer, quoi qu'en disent les traités, des pans entiers de souveraineté ?

Après la directive sur le temps de travail des militaires, le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) interroge, même si son objectif - améliorer l'efficacité du marché intérieur, en particulier pour faciliter l'aide militaire à l'Ukraine - apparaît légitime. Notre commission a déjà rendu, après celle des affaires européennes, un avis critique sur le respect du principe de subsidiarité par ce programme.

On aurait tort de réduire ces questions à de simples spéculations théoriques : en l'occurrence, on parle d'une compétence qui permet de donner l'ordre de tuer et de mourir pour la collectivité, ce qui n'est pas rien.

Le projet de communauté européenne de défense a donné lieu en 1954 à des débats politiques houleux, mais aussi à une vigoureuse controverse opposant certains des juristes les plus en vue de l'époque - Georges Burdeau et René Capitant d'un côté, Georges Vedel ou Paul Reuter de l'autre -, notamment dans les colonnes du journal Le Monde. Quel regard portez-vous sur la nature de ce débat juridique et intellectuel en 2024, notamment dans le cadre du projet de directive que j'évoquais ?

M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d'État. - Nous sommes très honorés de pouvoir vous présenter notre étude annuelle sur le thème de la souveraineté, et nous nous réjouissons de tout ce qui contribue au renforcement des relations entre le Parlement et le Conseil d'État. C'est aussi le cas lorsque nous sommes saisis pour avis d'une proposition de loi ou lorsque nous accueillons une délégation parlementaire au sein de notre institution.

Je suis accompagné ce matin de Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération, de Fabien Raynaud, président adjoint de cette même section, et de Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de la présente étude sur la souveraineté. Cette dernière étant le fruit d'un travail collégial, validé par une délibération de la section puis de l'assemblée générale, c'est bien la voix du Conseil d'État que nous portons ce matin, et non celle de chacun d'entre nous.

Nous pouvons produire des études à la demande du Gouvernement - nous menons actuellement un chantier important sur la simplification du droit -, mais l'étude annuelle revêt pour le Conseil d'État une importance particulière, a fortiori depuis que le décret de mars 2024 prévoit sa présentation lors de notre rentrée de septembre.

Nous nous efforçons aussi de prévoir un enchaînement aussi cohérent que possible de nos différents travaux. Nous avons ainsi réalisé une étude sur le dernier kilomètre, c'est-à-dire la façon dont les politiques publiques peuvent atteindre leurs objectifs, et nous travaillons actuellement sur la façon de produire des politiques à long terme, autant de sujets qui sont intimement liés à celui de la souveraineté.

Comme vous l'avez souligné, le terme de souveraineté s'accompagne de plus en plus fréquemment d'adjectifs - numérique, agricole, sanitaire, etc. -, ce qui démontre au demeurant toute l'actualité du sujet.

La souveraineté interroge la manière dont un peuple assure son indépendance et décide librement de son destin. À l'échelle du citoyen, elle implique un double besoin : participer démocratiquement à l'orientation de l'État souverain, garantir que les choix établis démocratiquement puissent se concrétiser.

Juridiquement - je me permets de le réaffirmer très clairement -, la souveraineté se manifeste par la supériorité de la Constitution. Chaque nation choisit les règles qui l'organisent et fondent son État. Ni l'intégration de la France dans l'ordre international ni la construction européenne n'ont modifié ce principe fondamental. La Constitution prime les traités en vertu des jurisprudences convergentes et explicites du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d'État depuis les années 1990.

Le juge s'assure du respect des traités internationaux conclus par la France, car la Constitution le prévoit explicitement. L'arrêt rendu par l'assemblée du contentieux le 21 avril 2021, French Data Network, précise que le Conseil d'État écarterait l'application d'un acte de l'Union qui aurait pour effet de priver de garantie effective une exigence constitutionnelle. Ce n'est pas la voie du contrôle ultra vires retenue par les juges allemands, mais le résultat est similaire.

L'étude rappelle que la souveraineté se trouve au coeur de notre Constitution, à travers son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Ainsi, le peuple souverain, lorsqu'il agit en constituant, détient nécessairement le dernier mot.

La France est un État souverain, mais elle peut envisager d'affermir sa souveraineté pour faire face aux grands défis contemporains, en particulier l'accroissement des dépendances et des interdépendances liées à la mondialisation. Menaces épidémiques, dérèglements climatiques, tensions entre les États et résurgence des guerres mettent à nu un certain nombre de faiblesses sectorielles affectant les États. Nous faisons très souvent écho à ces difficultés dans notre étude, sans négliger non plus la montée en puissance de nouveaux acteurs non étatiques comme les grandes fondations ou les géants du numérique.

Autre champ de défi, l'intégration européenne, bien évidemment, qui permet potentiellement aux États d'additionner leur puissance, mais qui crée aussi des frustrations liées notamment à l'effet de cliquet de la construction européenne - un transfert de compétences vers l'Union n'est que rarement remis en cause.

Enfin, la crise de la représentation traditionnelle conduit à se réinterroger sur les modes d'expression démocratiques et les moyens d'intéresser et de faire participer les citoyens aux décisions publiques. Cela relève de l'évidence, mais la démocratie s'étiole si les citoyens s'en détournent.

Face à ces constats, notre étude délivre trois messages principaux.

La souveraineté, tout d'abord, suppose une citoyenneté active. Nous envisageons certaines pistes pour renforcer l'esprit de défense des citoyens et leur intérêt pour les décisions politiques, notamment au travers des référendums locaux ou du vote préférentiel. L'étude invite également à développer l'esprit civique des citoyens, en renforçant encore l'enseignement civique et en garantissant les conditions d'existence d'une information fiable, indépendante et pluraliste.

Il nous faut ensuite améliorer l'articulation nécessairement complexe entre l'Union européenne et les États souverains. La souveraineté se définissant depuis plusieurs siècles dans le cadre de l'État-nation, le dépassement des frontières ne peut se faire sans précaution. Nous devons nous assurer que l'Union ne remette pas en cause les intérêts fondamentaux de notre nation et que chacun exerce ses compétences avec mesure et considération réciproque.

Nous recommandons en particulier d'améliorer la production normative en faisant plus strictement respecter le principe de subsidiarité. Nous proposons également d'associer les États dès le choix de l'instrument juridique par la Commission - les règlements tendent à supplanter progressivement les directives - et d'insérer plus fréquemment dans les textes de droit dérivé une clause bouclier rappelant que les dispositions du texte ne portent pas atteinte à l'intégrité territoriale de l'État ni à ses fonctions essentielles en matière d'ordre public et de sécurité nationale.

Nos propositions s'orientent aussi vers la marge d'appréciation laissée par la CJUE aux États membres et sur les moyens pour ces derniers de peser collectivement dans les relations internationales. Nous suggérons de renforcer la méthode d'action coordonnée, qui repose sur la fixation d'objectifs stratégiques communs et sur la conciliation de politiques parfois contradictoires, un exercice qui suppose des échanges réguliers entre les États membres et les institutions européennes. Il pourrait avoir lieu autour de la présidence du Conseil européen et entre commissaires européens, de façon à associer pleinement les parlements et les autres responsables nationaux. La méthode retenue pour le Brexit, où les négociateurs européens avaient d'abord veillé à la solidarité entre États membres, est sans doute une source d'inspiration.

Compte tenu de l'ampleur du sujet, dans un souci opérationnel, nous avons fait le choix de réaliser une étude à traités et Constitution constants. Certaines des pistes que vous avez évoquées ne sont donc pas explorées, hormis un commentaire sur l'évolution de la majorité qualifiée.

Notre troisième axe, qui sera complété par l'étude que nous menons pour 2025, vise à inscrire l'exercice de la souveraineté dans une stratégie de long terme qui permettrait, sur des sujets fondamentaux, de dépasser les contingences du moment et de mobiliser des moyens dans la durée. Cela suppose d'abord de cartographier les secteurs essentiels pour notre souveraineté, puis de fixer un cap et de dégager des moyens financiers, par exemple dans le cadre d'une programmation pluriannuelle. Nous proposons, pour chaque secteur, de désigner un groupe de pilotes dont la légitimité serait reconnue par les autres acteurs.

Ne négligeons pas non plus certains sous-jacents qui nous semblent importants, en particulier la nécessité de disposer de personnes aptes à éclairer et à traduire dans nos politiques publiques les progrès de la science et de la technologie. Ces derniers sont extrêmement mouvants, mais nous savons qu'ils pèseront de plus en plus à l'avenir sur les questions de souveraineté. C'est à cette condition, nous semble-t-il, que notre pays pourra préserver au mieux sa souveraineté, relever les défis auxquels il est confronté et continuer de faire entendre sa voix singulière dans l'ordre international. Il retrouvera ainsi des leviers d'action pour décider de son destin, selon des orientations qui, bien entendu, ne relèvent plus du Conseil d'État, mais du seul champ politique, et donc de la représentation nationale.

Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. - J'ajoute mes remerciements à ceux que M. le vice-président vous a exprimés. Je vous remercie aussi, madame la présidente de la commission des lois, d'avoir indiqué que l'étude était très complète. Elle peut l'être, car elle fait plus de 500 pages - mais elle comporte une synthèse de 20 pages. L'acuité et la pertinence de vos questions montrent que vous l'avez bien lue. J'ai coutume de dire en souriant que son plus beau résumé, c'est un dessin de Plantu qui figure à la page 530.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, vous avez apporté un bémol à ce caractère complet en nous disant que nous n'avions pas assez traité du rôle des Parlements nationaux et que, en tous les cas, nous n'avions pas formulé de propositions à cet égard. Or c'est un positionnement que nous prenons de manière générale. Car nous considérons que nos recommandations s'adressent plus à l'exécutif et que, dans le cadre national, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le rôle du Parlement.

Comme l'a dit M. le vice-président, nous avons regardé ce qui existe, à savoir l'organisation du rôle des parlements nationaux par le protocole n° 1 - relatif à ce rôle lui-même - et le protocole n° 2 - sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité -, annexés au traité d'Amsterdam. La Commission européenne soumet aux Parlements nationaux tous les textes concernés, mais il nous a semblé que l'usage qui en était fait par les parlements n'était peut-être pas aussi répandu qu'il pourrait l'être. Cela dit, nous avons un démenti par l'action que vous évoquiez, monsieur le président, afin de faciliter la mise en oeuvre du carton jaune et d'initier le carton vert. Un second démenti, apporté par M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, est celui de l'avis motivé que vous avez rendu sur EDIP. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

À nos yeux, une plus grande implication des parlements nationaux serait en effet intéressante, mais nous l'avons abordée sous un autre angle que celui de l'action propre des parlements nationaux : il s'agirait d'une plus grande présence devant les parlements de l'ensemble des représentants de la Commission, voire des commissaires eux-mêmes, qui pourraient leur donner plus d'informations et, au besoin, s'y déplacer.

Nous avons également beaucoup insisté sur les actions à mener du côté du Conseil. Un « Monsieur subsidiarité » existe déjà au sein de la Commission. Nous pourrions imaginer qu'il vienne expliquer devant tel ou tel Parlement comment mieux faire respecter le principe de subsidiarité. Mais le Conseil mériterait d'être plus présent, car il est la voix des États dans le système institutionnel européen. D'où nos propositions : un point régulier - chaque semestre - au Conseil des affaires générales sur la question de la subsidiarité ; la création auprès du Conseil d'un autre « Monsieur subsidiarité ». Ce dernier pourrait s'appuyer sur le secrétariat général et le service juridique du Conseil. Ces créations, à traité constant, seraient de nature à faire évoluer les esprits.

Dans le même sens, il serait utile que le président du Conseil européen puisse passer plus de temps dans les capitales des 27 États membres afin de jouer un rôle de trait d'union entre le niveau européen et le niveau national. Cela avait été fait par le Premier ministre au moment du Brexit et auparavant par Jacques Delors, alors président de la Commission.

Enfin, il est très important que nos négociateurs soient attentifs au respect de la subsidiarité pour déterminer si la limite n'est pas franchie et quel est l'instrument juridique le plus adéquat : à l'heure actuelle, les règlements deviennent de plus en plus longs, et la frontière entre directive et règlement n'est plus aussi nette.

Par ailleurs, il faut veiller à la base légale retenue pour éviter que les modalités d'adoption ne soient modifiées indûment.

J'en viens aux « clauses boucliers ».

Le traité de l'Union européenne, au paragraphe 2 de son article 4, stipule que l'Union européenne « respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ». Il ajoute que « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». Mais dans la pratique et en vertu de la jurisprudence de la CJUE, lorsqu'elle est amenée à interpréter la portée de tel ou tel texte de droit dérivé, l'on peut observer une tendance à accorder une moindre attention à cette clause de limitation de la compétence de l'Union.

Nous recommandons donc de bien anticiper les choses, ce qui n'a peut-être pas été le cas pour le temps de travail des militaires, et de prévoir systématiquement l'ajout dans les textes de droit dérivé de cette « clause bouclier » qui fasse expressément écho à la réserve générale. Cela se fait déjà dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI). L'objectif serait, texte par texte, de permettre un véritable équilibre dans l'interprétation des dispositions, plutôt que de s'en remettre à la clause générale.

Enfin, nous sommes favorables au dialogue des juges. Sur les données de connexion, la dernière décision de la Cour de justice, qui modifie les exigences pour mettre en oeuvre la conservation de certaines de ces données, me paraît être le signe d'une évolution en ce sens.

M. Fabien Raynaud, président adjoint de la section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'État. -  Sur la marge d'appréciation, nous recommandons que la Cour de justice donne davantage de latitude aux États membres dans tous les domaines qui touchent à leur rôle essentiel : la sécurité nationale, l'intégrité du territoire, l'ordre public, etc. Cette notion est bien connue de la CEDH. Dans la mesure où celle-ci doit appliquer un texte unique, relativement ancien, à des situations concrètes, actuelles, elle admet une marge d'appréciation entre les États membres. La Cour de justice part d'un rôle inverse : elle doit assurer l'application uniforme, dans un espace intégré, de normes techniques et évolutives.

Au demeurant, le droit de l'Union européenne se développe dans certains domaines et peut porter atteinte au rôle essentiel des États en matière de sécurité nationale. Outre la clause de réserve générale et les « clauses boucliers », dont nous appelons de nos voeux le développement, il est nécessaire que la Cour de justice tienne compte des différences de situation qui existent entre les États membres.

Dans une certaine mesure, la Cour de justice a envoyé certains signaux intéressants, notamment dans l'affaire du temps de travail des militaires. Elle a dit que les États membres n'étaient pas confrontés à la même situation géostratégique, aux mêmes menaces, et que leurs responsabilités internationales n'étaient pas identiques. Elle a semblé être prête à s'engager dans une évolution positive. Pour réaliser notre étude, nous avons auditionné le président de la Cour de justice, avec lequel nous avons eu un dialogue constructif.

Pourquoi le Conseil d'État ne s'est-il pas engagé dans un contrôle de l'ultra vires ?

Dans nos arrêts du 21 avril 2021 et du 17 décembre 2021, French Data Network et Bouillon, qui n'étaient que le développement de l'arrêt Sarran du 30 octobre 1998 et de l'arrêt Arcelor du 8 février 2007, nous avons clairement déclaré que, en cas de divergences irréconciliables entre un principe constitutionnel et les exigences du droit de l'Union, nous ferions prévaloir le premier. Fort heureusement, nous n'avons pas encore été confrontés à une telle situation.

Il est vrai que nous avons refusé de nous engager dans le contrôle de l'ultra vires. Pourquoi ? Ce contrôle porte sur la validité du droit dérivé au regard des règles de compétences entre les États et l'Union telles qu'elles sont définies par les traités. Or cette mission relève de la Cour de justice. Il ne nous a pas semblé possible d'aller jusque-là.

Même si ces deux voies sont théoriquement très différentes, en pratique, elles aboutissent à un résultat très proche ; car in fine, c'est la Constitution française qui prévaudrait.

Pour ce qui est de la méthode d'action coordonnée, l'une des difficultés dans l'exercice de la souveraineté réside dans le fait que certains instruments ont été transférés au niveau européen tandis que d'autres restent au niveau national. Or, pour être efficaces, nous devons mobiliser tous nos instruments au service d'objectifs stratégiques définis en commun. Par exemple, la politique de la concurrence est exercée au niveau européen, tandis que la politique industrielle reste nationale. Pour une meilleure articulation entre les deux, un groupe de personnes qualifiées pourrait soumettre des propositions à l'autorité politique. Cela permettrait d'éviter les effets de silo, qui peuvent être à la fois verticaux et horizontaux.

Mme Martine de Boisdeffre. - Nous sommes en pointe sur la question de la codification depuis 220 ans, le code civil datant de 1804. Certes, la codification existe à l'échelle de l'Europe avec un code des douanes, mais de manière moins développée. De plus, la méthode suivie est plus complexe dans la mesure où la codification est plus ponctuelle et ne se fait pas à droit constant, ce qui nécessite bien plus de temps.

La codification menée en France a pour objectif de faciliter l'accès au droit et d'améliorer sa lisibilité : de manière symétrique, il pourrait être intéressant de reproduire cette démarche à l'échelle européenne, afin de rendre le droit européen plus organisé, plus lisible et sans doute plus cohérent. L'effort de codification impose en effet de vérifier l'absence de contradiction entre les textes.

Toutefois, même si certains promeuvent, en France comme en Allemagne, l'idée très ambitieuse d'un code européen des affaires - cela a du sens -, travailler à la codification dans le domaine européen devrait pouvoir, au moins dans un premier temps, se faire à droit constant, sans avoir à créer complètement un autre corpus.

M. Didier-Roland Tabuteau. - Sur un autre point, je précise que nous avons analysé les enjeux de l'extension du vote à la majorité qualifiée, mais sans émettre de recommandations dans un sens ou dans l'autre.

Mme Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de l'étude annuelle relative à la souveraineté. - Notre proposition relative à l'espace civique de confiance numérique s'inscrit dans le cadre d'un axe essentiel de l'étude visant à conforter les modes d'expression de la démocratie et à repenser plus particulièrement, en contrepoint du primat de la démocratie représentative, les outils de la démocratie directe.

Nous nous sommes ainsi interrogés quant à la meilleure manière de préparer l'organisation d'un éventuel référendum, en tenant compte du fait que notre pays est exposé, comme certains de nos voisins l'ont éprouvé récemment, à des risques de manipulation et de désinformation en ligne.

Nous proposons que notre pays se dote d'outils permettant d'éclairer le débat public sur la question soumise à référendum, à l'instar de ce que pratiquent d'autres pays. En Suisse, par exemple, des brochures d'information sont élaborées à destination des électeurs ; aux États-Unis, l'Oregon pratique depuis un certain nombre d'années une forme assez aboutie de ce dispositif avec la Citizens' Initiative Review : une assemblée de citoyens tirés au sort produit ainsi, à l'attention des électeurs invités à se prononcer sur une question issue d'une initiative citoyenne, une analyse présentant à la fois les enjeux et les arguments en faveur du « oui » et du « non ».

L'espace civique de confiance numérique représente un autre moyen pour améliorer la qualité de la délibération, afin de tirer parti de toute la potentialité du numérique et du fait que nos concitoyens se nourrissent beaucoup d'informations sur les réseaux. Concrètement, il s'agirait de mettre en place une plateforme numérique leur offrant un accès à une information vérifiée et à une présentation structurée des effets à attendre de tel ou tel choix.

Nous avons identifié plusieurs prérequis au déploiement de cet espace civique de confiance numérique : tout d'abord, il faudrait éviter l'écueil consistant à donner l'impression que l'on cherche à édicter une sorte de bonne parole, ce qui réduirait l'initiative à néant. Une approche plus adaptée pourrait consister à mettre en perspective les positions en présence sur un sujet déterminé, sur la base de données partagées.

Une telle démarche implique d'associer les parties prenantes à l'élaboration des contenus. Naturellement, la construction d'un espace civique numérique de confiance doit prendre en compte les enjeux de cybersécurité. Afin d'éviter l'écueil d'une parole qui serait descendante ou purement étatique, il nous semble important d'associer un large panel d'acteurs dès la conception, dont des autorités administratives indépendantes telles que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou la Commission nationale du débat public (CNDP), qui pourraient jouer le rôle de cheville ouvrière et de point d'accueil des projets. Des fondations politiques, des chercheurs, des acteurs de la Civic Tech et des médias pourraient également participer à la conception de l'outil.

Nous suggérons dans l'étude la constitution d'un groupe de travail à froid, avant même qu'un texte référendaire ne soit mis à l'ordre du jour, afin de se pencher sur ces questions méthodologiques essentielles, sur les aspects techniques du projet et sur les règles de la gouvernance de la plateforme. Il est en effet indispensable de garantir son indépendance et son impartialité, ce qui suppose la mise en place de règles de supervision.

M. Fabien Raynaud. - Un autre aspect de l'étude nous conduit à rappeler que la compétence en matière de défense est essentiellement nationale, même s'il existe des éléments de compétences au niveau de l'Union européenne au travers de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), notamment avec la clause de défense mutuelle de l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne. La France en avait d'ailleurs été une grande promotrice lors de la révision des traités, car elle souhaitait y inclure des responsabilités plus grandes dans le domaine de la défense.

Par ailleurs, il existe des domaines dans lesquels l'Union européenne, en exerçant ses compétences, est susceptible d'affecter positivement ou négativement la capacité des Européens à se défendre. Je pense ici au domaine de l'armement, situé à la frontière entre les compétences classiques et les compétences de défense.

Là encore, et en lien avec ce qu'a rappelé la Mme de Boisdeffre à propos de la subsidiarité et de la méthode d'action coordonnée, il convient d'être vigilants afin d'éviter, d'une part, une ingérence de l'Union européenne dans des domaines dans lesquels son rôle n'est que second ; et de s'assurer, d'autre part, que l'exercice des compétences de l'Union aille dans le sens d'une meilleure défense des Européens. Telles sont les questions qui se posent à nous compte tenu de la situation actuelle et des échos du débat autour de la Communauté européenne de défense (CED).

Mme Martine de Boisdeffre. - Je vais conclure sur ce point en tant que présidente du comité d'histoire du Conseil d'État. Le débat autour de la CED avait profondément divisé le pays, mais dans un contexte totalement différent : la Communauté économique du charbon et de l'acier (Ceca) était en pleine construction et la CED était une initiative française qui visait à éviter que le réarmement allemand ne se fasse dans un cadre national, avec l'idée de le « communautariser ».

La situation actuelle est fort différente : si l'Union européenne a été construite par les États, la défense relève toujours de leur compétence. De surcroît, le contexte actuel est marqué par le retour de la guerre en Europe, la montée de menaces directes comme diffuses, et enfin par des incertitudes quant au niveau - voire au principe - de l'engagement américain.

Nous devons donc nous poser l'ensemble de ces questions, avant d'effectuer un choix politique et démocratique.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - J'y ajoute la question de la dissuasion nucléaire, qui est en quelque sorte le chapeau de cette problématique de la défense européenne.

M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je partage cette opinion. Vous avez évoqué à juste titre, madame la présidente, le caractère démocratique des questions posées : nous en convenons, mais convenez également que l'utilisation de règlements européens n'est pas la panacée en termes de débat démocratique, alors qu'il conviendrait de permettre d'aborder ces questions de fond dans les Parlements nationaux.

Si l'urgence pouvait se justifier dans le dossier ukrainien, il n'en reste pas moins que nous avons mis le doigt dans l'engrenage. Le débat qui doit nous préoccuper porte bien sur les modalités démocratiques qui permettraient d'aborder les enjeux liés à l'article 4 du traité sur l'Union européenne et à la dissuasion nucléaire, le choix du règlement ne permettant pas un débat serein.

Mme Martine de Boisdeffre. - C'est pourquoi nous avons tant insisté sur le respect du principe de subsidiarité.

M. Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères. - J'ai été rapporteur de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères présidée par notre collègue Dominique de Legge, et l'une de ses conclusions a mis l'accent sur le fait qu'une mobilisation de l'ensemble de la société était nécessaire pour combattre les ingérences.

Vous avez évoqué la perspective d'un renforcement de l'enseignement civique, qu'il conviendrait sans doute d'élargir à l'ensemble de l'enseignement, quelles que soient les matières. Pour prendre l'exemple des mathématiques, l'apprentissage de la lecture d'une courbe permet d'acquérir une méthode dans l'analyse des données.

Par ailleurs, j'apporterai un bémol sur l'espace civique de confiance numérique : s'il faut, comme vous l'avez indiqué, éviter l'écueil qui consisterait - pour caricaturer - à recréer l'Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), n'oublions pas que les Gafam sont désormais dotés d'une telle puissance qu'ils participent même à la défense nationale américaine. Comment un tel dispositif pourrait-il exister face à ces géants ? L'Union européenne a réalisé quelques avancées pour défendre sa souveraineté numérique et il faut saluer le travail accompli par le commissaire Thierry Breton. Dans ce domaine, la souveraineté européenne aurait tout son sens.

Mme Martine de Boisdeffre. - Vous avez entièrement raison de souligner la force normative de l'Union européenne en matière numérique. Très critiqué, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a néanmoins eu un rôle d'entraînement vis-à-vis de pays tels que le Japon ou l'Inde, qui ont élaboré des documents qui s'en inspirent. De plus, les Gafam ont dû s'y plier afin de conserver l'accès au marché européen, qui reste considérable.

De la même manière, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) ont instauré des règles fortes pour les grandes plateformes, à la fois en termes de concurrence et de contenus. Nous avions dit, à l'occasion de notre étude portant sur les réseaux sociaux, qu'il faudrait que la Commission européenne ait les moyens de mettre en oeuvre cette réglementation. D'après les échos dont nous disposons, il semble que ce soit le cas. Là aussi, nous pourrions parler de méthode d'action coordonnée entre les directions concernées au niveau européen - la DG Connect, par exemple - et les autorités administratives impliquées au niveau national.

S'agissant de la possibilité de positionner l'espace civique de confiance numérique face aux Gafam, un travail considérable est mené en France sous l'égide de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), ce qui permet de déjouer un certain nombre de cyberattaques. Au-delà des aspects techniques, nous devons être conscients de l'importance de ce risque cyber : si les entreprises et les administrations y sont sensibilisées, les citoyens doivent également l'être, ce qui m'amène à l'éducation civique.

Cette dernière doit intégrer une sensibilisation aux avantages et aux inconvénients du numérique, ainsi qu'à « l'esprit de défense » qui avait été mis en exergue par le général André Lanata, ancien chef d'état-major de l'armée de l'air. Il faut développer cet esprit chez nos concitoyens, à l'instar de la Finlande.

Mme Mélanie Villiers. - Pour poursuivre sur la dimension éducative, l'étude suggère la présence un peu plus marquée, dans les établissements scolaires, d'acteurs tels que les élus et les représentants des administrations, afin qu'ils puissent présenter et expliquer leurs fonctions : on nourrit encore mieux la compréhension des enjeux démocratiques du système quand on en est un acteur, avec des anecdotes à transmettre. L'association Parlons démocratie, qui monte actuellement en puissance, joue ce rôle.

Par ailleurs, nous proposons de prendre davantage appui sur les collectivités territoriales et sur le monde universitaire afin de développer la réserve citoyenne et la Garde nationale. Certaines collectivités se sont déjà engagées : le président de la région des Hauts-de-France vient ainsi de signer une convention avec le secrétaire général de la Garde nationale. Il reste cependant beaucoup à faire pour élargir cet esprit citoyen, en permettant à des fonctionnaires ou à des étudiants de s'engager.

Concernant les Gafam et l'espace civique numérique, les premiers disposent certes de l'information, mais cela n'interdit en rien à la puissance publique de construire un outil destiné à éclairer le débat. En outre, les Gafam eux-mêmes ont conscience de ces enjeux démocratiques : une fondation liée à Google a ainsi lancé un appel à projets au niveau européen afin d'identifier les pratiques permettant de renforcer la démocratie. Il existe donc des marges de co-construction avec ces acteurs.

M. Didier-Roland Tabuteau. - Au-delà de l'enseignement civique, indispensable pour connaître les bases de la citoyenneté, des institutions et du service public, je crois qu'il faut encourager l'enseignement dans son ensemble, dans la mesure où il conduit les enfants et les jeunes à la rationalité, au raisonnement et au maniement de l'esprit critique, et ce dans toutes les disciplines. L'apprentissage d'une méthode de raisonnement a un effet sur la manière d'analyser les informations, l'enseignement étant ainsi un puissant facteur de confortation de notre citoyenneté et donc du bon exercice de notre souveraineté.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci pour ces réponses très éclairantes, ce débat ayant vocation à se prolonger.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 9 h 45.