Jeudi 5 décembre 2024
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Examen du rapport d'évaluation du cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR)
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Chers collègues, nous sommes réunis pour l'examen du rapport d'évaluation du cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), dont le rapporteur est Bruno Sido.
Le PNGMDR a été créé à l'initiative de l'Office. Au début des années 2000, nos prédécesseurs ont considéré que ce sujet majeur et de long terme devait faire l'objet d'un document cadre qui établirait une planification rigoureuse du sort réservé aux différents types de matières et de déchets radioactifs. Cette judicieuse initiative s'inscrit pleinement dans le travail d'évaluation mené depuis toujours par l'Office.
La difficile élaboration de ce cinquième Plan a causé beaucoup de retard. Nous examinons ainsi le deuxième rapport que l'Office lui consacre, dans lequel certaines de nos observations précédentes ont été prises en compte.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Le cinquième PNGMDR avait en effet un tel retard qu'avec ma collègue Émilie Cariou, députée, nous avions présenté en mars 2022 un rapport quand il n'était encore qu'à l'état de projet. Dans le document qui a finalement été transmis de manière officielle, rien n'a changé par rapport au projet sur lequel nous nous étions penchés. Je vous prie donc d'excuser par avance certaines redites.
Il faut signaler qu'Émilie Cariou avait aussi voulu aller plus loin et interroger les armées au sujet de leurs déchets nucléaires. Comme cela était prévisible, elle s'est vue opposer le secret défense : la nature des déchets dévoilée, les spécialistes pourraient tirer de trop nombreuses conclusions. Une telle justification n'étonne guère le membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat que je suis. Si nous poussons un peu notre questionnement dans la sphère des affaires étrangères, nous nous voyons opposer qu'il s'agit de secrets d'État, comme nous nous voyons rapidement opposer le secret défense dans le domaine militaire... Il n'est pas rare qu'on en lise davantage dans la presse qu'on n'en apprend au cours des auditions de la commission.
Mais je m'éloigne de notre sujet, qui est l'évaluation du cinquième PNGMDR dans sa version officielle.
L'attention de l'Office en matière de déchets nucléaires ne se relâche jamais. Nous entendions il y a trois semaines la commission nationale d'évaluation des recherches et des études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) et son président, Vincent Lagneau, pour la présentation de son rapport annuel. Cette réunion faisait suite à l'audition publique organisée par l'Office le 25 janvier dernier, coprésidée par Hendrik Davi et moi-même, sur le cinquième PNGMDR.
C'est à l'initiative de notre collègue Hendrik Davi - qui n'est plus membre de l'Office - que nous avons différé la remise des conclusions de cette audition publique. En effet, Hendrik Davi souhaitait au préalable se pencher sur les déchets nucléaires militaires, ce qui était dans la droite ligne des recommandations du rapport de mars 2022. La liste de ces recommandations se trouve d'ailleurs jointe au projet de conclusions qui vous a été transmis.
Au printemps 2024, deux auditions de rapporteur ont eu lieu sur le thème des déchets militaires. Elles se complétaient particulièrement bien, puisque Hendrik Davi a d'abord entendu Jean-Marie Collin, responsable français de l'ICAN (sigle anglais pour « Campagne internationale pour l'abolition des armes nucléaires »), une coalition d'ONG qui oeuvre en faveur du bannissement de l'arme nucléaire et qui a été couronnée pour cela du prix Nobel de la Paix, en 2017. Puis il a entendu François Bugaut, qui est depuis 2021 le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense (DSND). Les interrogations du militant, exprimées lors de la première audition, ont naturellement alimenté le questionnement auquel le haut fonctionnaire s'est plié au cours de la seconde audition.
M. Bugaut a indiqué que le stock des déchets militaires restait désormais stable, dans la mesure où le tritium détenu par la Marine nationale est réutilisé pour la fabrication d'armes. Le volume des déchets nucléaires militaires s'établit à environ 230 mètres cubes. Si les nombres qui ont pu circuler varient entre 229 et 232 mètres cubes, ces écarts sont marginaux et ne sont dus qu'à un affinement des données existantes, nullement à la découverte massive de nouveaux produits.
Conformément à la loi de 2006, ces déchets sont stockés sur le site de l'exploitant. Leur radioactivité décroît de moitié tous les 12 ans et ils sont stockés en surface pour 50 ans, c'est-à-dire que leur radioactivité est divisée par 16 à l'issue du stockage en surface.
L'audition de M. Bugaut a également évoqué le sujet de la contamination laissée par les essais nucléaires réalisés dans le désert du Sahara. M. Bugaut a souligné que toutes les archives détenues par la France avaient désormais été communiquées aux autorités algériennes. Le Président de la République a remis officiellement au président algérien un rapport à ce sujet.
Si mes renseignements sont exacts, c'est la première fois que le DSND se prête à un tel exercice devant un rapporteur de l'Office. M. Bugaut s'est efforcé de justifier la discrétion proverbiale des militaires, en lui trouvant des raisons spéciales dans le domaine si particulier des déchets nucléaires. Selon lui, des indications trop précises sur les déchets produits pourraient livrer des renseignements sur les étapes suivies tant dans le démantèlement des armes anciennes que dans la fabrication des nouvelles. Ces informations sont considérées comme « proliférantes », dans la mesure où elles peuvent concourir à la prolifération de l'arme nucléaire dans le monde. Contrairement à ce que leur nom semble indiquer, elles sont, vous l'aurez compris, destinées à n'être justement pas diffusées.
Je n'ai pas pu participer moi-même à l'entretien avec M. Bugaut. Cependant, je crois pouvoir dire que mon collègue avait apprécié le souci de franchise du délégué à la défense ainsi que la validité de certains de ses arguments.
Je vous rends compte de ces échanges, parce qu'ils complètent utilement ceux que nous avions eus au cours de l'audition publique du 25 janvier dernier. Même si les PNGMDR sont désormais élaborés tous les cinq ans, l'attention de l'Office ne se relâche pas, dans l'intervalle, sur la question des déchets.
Pourquoi une audition publique en janvier 2024 ?
Émilie Cariou, élue de la Meuse et comme moi voisine de Cigéo, et moi-même avions été désignés par l'Office comme rapporteurs sur le 5ème PNGMDR dès 2019. Au début de l'année 2022, le PNGMDR n'était pas encore officiellement finalisé et disponible. Un « projet quasi définitif » circulait cependant, rédigé par le ministère chargé de l'énergie et soumis à diverses consultations. Les élections législatives approchant et au vu de l'important travail que nous avions réalisé jusqu'alors, l'Office a décidé que notre rapport porterait sur « la préparation du 5ème PNGMDR » et qu'il analyserait au fond ce document provisoire. Notre rapport a été adopté en mars 2022.
Le Plan définitif, identique en tous points à sa version provisoire, a été publié à l'été 2022 et ses deux textes d'application - un décret et un arrêté - ont été publiés au Journal officiel en décembre 2022.
L'audition publique de janvier dernier avait vocation à compléter le travail de fond déjà effectué par le rapport de 2022 en ouvrant deux éclairages particuliers sur la gestion durable des déchets nucléaires. Le projet de conclusions en fait état. Cette audition publique s'articule avec l'audition régulière de la CNE2 sur son rapport annuel et les auditions de rapporteur dont je viens de vous rendre compte.
Pour l'avenir, il me semble qu'il convient surtout d'être vigilant et attentif à ce que le prochain PNGMDR, qui devrait couvrir la période 2027-2031, nous soit réellement remis d'ici deux ans, de sorte que le document retrouve véritablement sa valeur prospective.
De notre audition de janvier, qui avait mêlé des intervenants d'horizons très divers et d'opinions tout aussi opposées sur le nucléaire, je dégage deux recommandations.
La première recommandation, c'est de s'appuyer mieux sur l'expertise de la CNE2. Sur des questions très concrètes qui requièrent les lumières de vrais techniciens, le regard que portent ces scientifiques qui n'ont de liens ni avec les autorités ni avec les exploitants, est réellement très utile, comme nous l'avons vu le mois dernier.
La deuxième recommandation, c'est de ne pas tomber toutefois dans le débat d'experts. Ce n'est pas le manque d'information, mais son trop-plein qui peut ici menacer. Par-delà les divergences exprimées, les débats de janvier ont montré l'intérêt de promouvoir les bonnes pratiques en matière d'information scientifique relative à la gestion durable des déchets nucléaires. Dans nos travaux, il convient sans doute de valoriser de manière plus systématique les efforts fournis par les canaux d'information les plus fiables, qui peuvent d'ailleurs développer de nouveaux formats, tels les podcasts ou les vidéos partagées sur la Toile.
Mais la lecture du projet de conclusions et du compte rendu de l'audition de janvier vous aura peut-être inspiré d'autres réflexions. Je serai bien sûr heureux de les connaître.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Quelles recommandations du rapport de l'Office de mars 2022 ont été suivies ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je retiens principalement la première recommandation, sur le respect des délais. Il est peu admissible de remettre un plan national prospectif à la fin de la période qu'il est censé couvrir. C'est se moquer du monde.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je souligne la deuxième recommandation, que l'on peut lire comme invitant à évaluer l'incidence de l'abandon du projet ASTRID sur le volume de combustibles usés et à en mesurer l'incidence sur le projet de centre industriel de stockage Cigéo, que vous connaissez bien.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - L'abandon du projet ASTRID, faute de moyens pour le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a des conséquences dramatiques, car ce projet de réacteur à neutrons rapides (RNR) permettait de boucler le cycle. La possibilité d'une relance du projet a récemment été évoquée. Il faut sans doute faire des économies, mais il en est de bonnes et de mauvaises.
Ce projet visait aussi à régler la question récurrente de l'uranium appauvri. Doit-il être classé comme déchet ou conservé en tant que matière capable, dit-on, de produire de l'électricité pendant mille ans, laissant le temps au projet ITER de prospérer ? À défaut de la consommation permise par le projet ASTRID, il faudrait le stocker dans des centres autres que Cigéo, mais cela ne résoudra pas le problème du stockage des nouveaux déchets. L'EPR qui doit entrer en service prochainement et ses successeurs vont produire des déchets dont le projet Cigéo ne prévoit pas le stockage.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le prochain plan devra nécessairement faire apparaître ces nouveaux paramètres.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Sans doute, mais les parlementaires n'ont pas de pouvoir d'injonction vis-à-vis du gouvernement.
M. Maxime Laisney, député. - Monsieur le rapporteur, si j'approuve pleinement votre recommandation n° 6 sur le suivi des indicateurs, je m'interroge sur le délai de publication du PNGMDR. Dans le rapport, il est question d'en disposer avant la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), alors que celle-ci est prévue pour février 2025. Vous espériez recevoir ce PNGMDR depuis deux ans. Cela signifie que nous rendrons un avis après la prochaine PPE. On se retrouve dans la situation que vous avez décrite. Nous entérinons des choix de politique énergétique, alors qu'à l'inverse, le mode de gestion des déchets devrait conditionner la politique énergétique. Il serait intéressant de savoir ce qu'on va faire des déchets de très faible activité (TFA) dont le volume va exploser. Je ne suis pas sûr que le technocentre de Fessenheim puisse recycler des morceaux de réacteur.
Je partage également la recommandation n° 5, relative à la prise en compte des coûts. Comme Bernard Laponche pendant l'audition, je considère que la question des coûts peut déterminer les choix, non seulement des sites de stockage, mais aussi de l'opportunité de continuer à produire des déchets et de déterminer de quels types. Un décret du 27 novembre prévoit une augmentation de 70 % de la taxe sur les installations nucléaires de base (INB) pour financer Cigéo. Cela signifie-t-il que le projet Cigéo va coûter 70 % de plus que les 25 milliards d'euros prévus ? À La Hague, on promet deux nouvelles piscines, une nouvelle usine de retraitement, une nouvelle usine de production du mox. Tout ceci aura un coût et ne sera pas sans incidence si on n'arrive pas à le financer. Si on bloque le « cycle », on devra arrêter les réacteurs faute de savoir où entreposer le combustible usé.
Je ne m'attarde pas sur votre recommandation n° 4 relative à l'inventaire des déchets entrants et sortants, avec laquelle je suis entièrement d'accord.
Dans la recommandation n° 3, vous dites qu'il ne faut pas envisager une filière de gestion des déchets miniers. Comment traiter correctement ces déchets dont M. Chareyron nous a montré qu'ils présentaient des risques radiologiques, si ce n'est au travers d'une filière de gestion ?
Soulignant l'importance de la recherche, la recommandation n° 2 invite à donner plus de place à la CNE2. Pourquoi pas, à condition d'en revoir la composition. Plurielle en termes de compétences, puisqu'elle réunit des chercheurs de toutes disciplines, elle l'est moins en termes de regard sur le nucléaire.
La recommandation n° 1 invite la CNE2 à travailler un peu plus sur les projets de petits réacteurs modulaires. Pourquoi pas, à condition de le faire avec la même rigueur que le haut-commissaire à l'énergie atomique qui estime, dans un rapport secret-défense rendu public par Le Point, que l'affaire est mal engagée. Nous avons besoin de savoir car, en présence de projets nombreux et différents, des choix financiers et techniques devront être faits.
Enfin, est-ce qu'on continue à envoyer en Russie de l'uranium de retraitement pour enrichissement ? Il a été question d'arrêter, bien que les sanctions de l'Union européenne à l'encontre de la Russie ne concernent pas le nucléaire.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - La conception de petits réacteurs modulaires, ou SMR, fait l'objet de projets nombreux et variés. Afin d'en réduire le coût de fabrication grâce à leur production en série, il serait judicieux d'arrêter le choix sur un ou deux modèles, d'autant que la nature des déchets peut varier selon l'installation.
La CNE2 existe depuis longtemps et elle s'est beaucoup rajeunie. Je ne suis pas hostile à ce qu'elle présente des avis différents pour enrichir le débat, à condition qu'ils émanent de spécialistes qualifiés pour émettre des avis scientifiques et non pour faire de la politique. L'audition du 25 janvier a été très intéressante mais un peu trop rapide pour aller au fond des choses.
Je vous remercie d'avoir dit que les recommandations que je propose à l'Office d'adopter vous convenaient globalement.
Mme Dominique Voynet, députée. - Monsieur le président, vous avez évoqué le dossier ASTRID et notre rapporteur a regretté l'arrêt du projet pour des raisons financières. Pourtant, les multiples rapports qui nous ont été présentés, ainsi que le discours de la CNE2, lors de sa récente audition, sont restés très discrets sur les coûts. Or tout ne sera pas possible. Le rapport coût/avantages des différents projets devrait être précisé.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pas répondu à la question portant sur l'augmentation du coût du projet Cigéo, qui sera, je l'espère, étudié dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation. Si l'on devait enrichir la CNE2 de nouvelles compétences, ce serait plutôt en termes de profils et de convictions en matière de choix énergétiques, ainsi que de spécialistes des questions financières.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Tout grand projet, qu'il s'agisse d'Ariane, du Concorde ou du paquebot France, finit par être deux à trois fois plus cher que prévu. Estimer le coût d'une installation destinée à durer au moins cent ans relève de la gageure. La ministre a tranché à 25 milliards d'euros, mais elle aurait pu tout aussi bien le faire à 40 milliards. En revanche, dans la mesure où l'on ne cesse de charger la barque, il est certain que ce coût sera de plus en plus élevé. Le choix du train plutôt que de la route pour transporter les déchets alourdit le coût. Construire une ligne de chemin de fer d'une longueur de quinze kilomètres, refaire tous les ouvrages d'art entre Paris, Strasbourg et Gondrecourt-le-Château nécessitera beaucoup de temps et d'argent. De même, la réversibilité, dont on parle moins, engendre des coûts considérables. Mais comme la loi le prescrit, il faut la faire.
Il est extraordinairement difficile d'évaluer le coût d'un équipement entièrement nouveau, mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il sera bien supérieur aux montants avancés. Or, sans vouloir relancer le débat sur le CO2, ces dépenses sont quasi obligatoires et la filière nucléaire est une grande chance pour notre pays. En Allemagne, Angela Merkel avait proposé de relancer la production d'électricité nucléaire, mais quelques jours après le drame de la centrale de Fukushima, qui était dépourvue de structures de confinement, elle décidait d'arrêter. Ce choix, peu sérieux de la part d'une chancelière, est aujourd'hui regretté.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous entretenons un lien étroit avec la CNE2 puisque son rapport est présenté devant l'Office avant d'être rendu public. Cet organisme n'intervient pas dans le choix du mix énergétique de la France. Selon la loi du 31 décembre 1991, « La CNE2 a pour mission d'évaluer annuellement l'état d'avancement des recherches et des études relatives à la gestion des matières et déchets nucléaires ». Elle n'a pas à faire de choix politique sur plus de nucléaire, plus de renouvelable, etc. Elle peut faire réaliser des évaluations par un spécialiste financier, mais les choix qui viennent d'en haut et qui sont votés par le Parlement n'entrent pas dans sa mission. En outre, Bruno Sido l'a dit, ses instances sont renouvelées.
Concernant les SMR, le haut-commissaire à l'énergie atomique est l'autorité scientifique la mieux à même de donner des avis éclairés sur les choix possibles. Son rapport n'est pas classé secret-défense.
M. Maxime Laisney, député. - C'est ce que j'ai lu dans l'article du Point !
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Il ne faut pas croire tout ce qui est écrit dans la presse.
Le haut-commissaire fournit un rapport au Président de la République. Son contenu ne m'a pas choqué. Que sur les douze projets retenus dans le plan France 2030, huit, voire dix, soient jugés inopérants et sans avenir, cela relève du darwinisme de la recherche scientifique. En revanche, il faut se réjouir que deux, voire trois, modèles soient suffisamment robustes pour faire espérer à l'avenir des productions de série. L'Office avait organisé une audition publique sur les nouveaux réacteurs où sont intervenues plusieurs équipes d'ingénieurs « recyclés » du projet ASTRID qui se sont réinvestis dans des start-up. En politique comme en sciences, le pire est l'incertitude, l'instabilité, le manque de décision. Nous sommes à un tournant. Depuis le discours de Belfort, qu'on soit d'accord ou non, il faut savoir quelle direction prendre et quels choix technologiques opérer. En tant qu'Office d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous jouerons notre rôle pour orienter les choix des décideurs.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Le PNGMDR intègre-t-il les déchets militaires ? Comment ceux-ci sont-ils gérés si ce n'est pas le cas ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Dans cinquante ans, les déchets militaires n'émettront presque plus de radioactivité. Ils ne sont pas destinés à être immédiatement enfouis et à grossir le stock de déchets dont l'horizon de durée de vie est 100 000 ans.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Ces éléments rejoignent ce que le rapporteur disait tout à l'heure sur le secret-défense : nous manquons d'informations précises sur leurs volumes et sur les traitements dont ils font l'objet.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - J'ai cité le volume de 230 mètres cubes ; les traitements sont couverts par le secret.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - J'imagine quand même qu'il y a des informations à destination des populations riveraines des installations.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Les installations militaires du CEA sont à Valduc, dans le département de la Côte-d'Or, au milieu des forêts.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Mon interrogation porte bien sur la façon dont les déchets militaires sont appréhendés par ceux qui en sont responsables et s'ils entrent dans le champ des recommandations que l'Office peut formuler.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Il y a l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour le domaine civil et une autre autorité pour le domaine militaire, pour lequel nous ne savons rien et que nous ne pouvons pas surveiller.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Qui surveille les activités nucléaires militaires ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - C'est de l'auto-surveillance.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'important est de connaître les volumes de déchets et de savoir qu'en cinquante ans, leur niveau de radioactivité est divisé par seize et qu'ils ne nécessitent donc pas un stockage en site profond. Il en est de même des 300 000 tonnes d'uranium appauvri à très faible niveau de radioactivité. Cet uranium appauvri issu des installations d'enrichissement est moins radioactif que l'uranium naturel. Il est stocké dans des barils, sous des hangars, quasiment à l'air libre, et ne nécessite pas un stockage en site profond à Cigéo.
J'avais déposé une proposition de loi tendant à qualifier l'uranium appauvri de « matière stratégique ». En effet, dans l'hypothèse où le cycle serait fermé, il pourrait servir de combustible pour des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Ce sont sinon mille ans, du moins plusieurs centaines d'années de production d'électricité qui seraient assurées par ces RNR en réutilisant l'uranium appauvri, qui n'a actuellement pas de qualification juridique.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Est-ce que cela concerne aussi les sous-marins nucléaires ou le porte-avions Charles-de-Gaulle ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Les sous-marins nucléaires sont équipés de mini SMR. Ce ne sont pas des RNR, leur qualification de SMR provient seulement de leur petite taille.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Comment sont traités les déchets de ces sous-marins ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Ils résultent de la même réaction physique que dans un réacteur classique.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Ils sont donc radioactifs.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Il en sort des déchets radioactifs en très faibles quantités, d'autant que la puissance des réacteurs dans les sous-marins est environ 150 MW soit un demi-SMR.
M. Daniel Salmon, sénateur. - En tant que parlementaires, nous devons orienter les stratégies énergétiques françaises, mais pour proposer des solutions nouvelles, il faut pouvoir comparer les coûts. Vous dites qu'on peut difficilement les évaluer, ce qui est problématique, dans la mesure où le coût de production du mégawattheure issu des RNR serait au moins 50 % supérieur à celui du nucléaire classique. Le sujet des déchets restant dangereux pour 10 000 ou 100 000 ans doit être traité de la manière la plus approfondie possible.
Les start-up qui conçoivent des projets de SMR s'intéressent surtout au type de réacteur, qui n'est qu'un maillon de la chaîne, sans intégrer ni la question amont du combustible ni la question aval de la gestion des déchets. Une fois de plus, le secteur privé, qui bénéficie de nombreux soutiens, n'appréhende pas la globalité de la filière. Or pour s'engager sur un type de SMR, il est indispensable d'avoir la plus large vision possible des coûts.
À La Hague, où les piscines sont plus que remplies, on a été obligé d'y concentrer les colis. Les nouvelles piscines qui font l'objet de projets de construction seront-elles prêtes à temps, sachant que l'on prévoit des difficultés à partir de 2030 ? À La Hague, il y a environ 80 tonnes de plutonium, dans un contexte géopolitique qui appelle à une sécurisation maximale. Dans la filière nucléaire, la sécurisation de la gestion des déchets est primordiale. Tous ces coûts sont-ils pris en compte ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - L'approche la plus précise possible des coûts est souhaitable, mais ce ne sera jamais qu'une approche. Comparés à la valeur des milliards de kilowattheures produits, 30 à 40 milliards d'euros se traduisent par un faible coût de stockage par kilowattheure, ce qui n'incite guère les comptables à affiner leurs calculs.
La construction d'une piscine ne demande pas beaucoup de temps. En cinq ans, on peut en construire de solides et de type olympique. La difficulté est de trouver le site. Dans les environs de La Hague, c'est assez bien accepté moyennant les avantages économiques associés. De fait, il faudra des piscines supplémentaires pour refroidir ces déchets avant de les envoyer au site de Cigéo pour stockage.
M. Maxime Laisney, député. - Le coût des extensions destinées à accueillir les futurs déchets de notre hypothétique parc d'EPR n'est pas encore évalué. De plus, la filière française du retraitement doit faire face à une multiplicité de colis et de déchets, ce qui entraîne des coûts supplémentaires.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Le stockage s'effectue dans une immense couche d'argile qui s'étend jusqu'au nord de la France. Il suffit d'allonger les tunnels, ce qui n'est pas très coûteux. La descenderie et le puits vertical peuvent servir durant plus de cent ans, et je ne suis même pas sûr qu'on fermera le site au terme de cent ans d'exploitation.
M. Philippe Bolo, député. - Comme parlementaire ayant besoin d'aide pour choisir le bouquet énergétique et sa composition, le sujet du coût m'apparaît important. Il doit être calculé de la même façon pour chaque type d'énergie intégrable dans le mix et à la même échelle temporelle. Pour le nucléaire, il faut intégrer le combustible, la production, la gestion des déchets et établir des comparaisons valables avec toutes les énergies renouvelables telles que l'éolien, le photovoltaïque ou l'hydraulique. La durée de vie d'une éolienne est inférieure à celle d'une centrale nucléaire. Pour produire la même quantité d'énergie, il faut plusieurs installations successives et tenir compte du coût de leur démantèlement. Plutôt que de considérer le coût unitaire d'une piscine ou d'une unité de stockage, voyons le coût de dix éoliennes sur vingt ans. Comparons les coûts cumulés de la totalité du cycle de vie pour la production des différentes énergies. La comparaison des coûts pondérés sur le cycle de vie et ramenés à un kilowattheure produit, montrerait ce qui coûte le moins cher. Si on pouvait y intégrer la production de CO2, ce serait encore mieux.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Pour le lissage du coût des réacteurs, les évaluations se sont fondées sur une durée de fonctionnement de quarante ans, ce que certains ont pris comme une durée de vie. Or on envisage de prolonger à cinquante, soixante, voire sur quatre-vingts ans, comme aux États-Unis, des réacteurs construits dans les années 1970 et 1980 et déjà largement amortis. À l'époque, la France en lançait jusqu'à six par an. On a sans doute sous-estimé le coût de gestion des déchets, mais il y avait une réelle volonté politique. On savait où l'on allait. Le business plan était établi sur quarante ans, mais en étalant la production des mêmes réacteurs sur 60 ou 80 ans, le coût du mégawattheure diminue.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Dans mon département, il y a beaucoup d'éoliennes, dont certaines installées depuis quinze ans. Mais au bout de quinze ans, elles sont démontées pour être remplacées par d'autres, plus grosses et plus hautes. J'en conclus que ces entreprises gagnent trop d'argent et qu'on leur achète l'électricité trop cher. Sinon pourquoi démonter une éolienne au bout de quinze ans si elle peut fonctionner durant trente ?
M. Daniel Salmon, sénateur. - Parce ce que ces entreprises ont répondu à un appel d'offres sur quinze ans et qu'après cette échéance, le prix d'achat du mégawattheure n'est plus celui prévu au contrat.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - L'Office s'est-il déjà penché sur les coûts comparés intégrés de chaque type d'énergie, ce à quoi il convient d'ajouter la prise en compte de l'intermittence des énergies renouvelables (EnR) ? L'énergie alternative destinée à compléter les périodes d'intermittence n'est pas toujours prise en compte dans le coût global. Le nucléaire fait-il l'objet d'une approche des coûts intégrés prenant en compte la gestion des déchets ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - En regard des milliards de kilowattheures produits, cela n'a pas grande incidence. D'où l'idée de faire durer les centrales nucléaires plus de quarante ans. L'amortissement comptable d'un outil ne le rend pas inopérant. C'est même en utilisant un outil amorti qu'on commence à gagner de l'argent.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Il existe de nombreux rapports à ce sujet, notamment ceux faits par les commissions des affaires économiques des deux assemblées.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Dans le coût du nucléaire, ils n'intègrent pas la gestion des déchets et dans celui des EnR, ils n'intègrent pas l'intermittence. On mesure souvent le coût du montage de l'infrastructure, mais non le coût global, incluant le recours aux énergies intermittentes.
M. Maxime Laisney, député. - Pour le projet de loi de finances pour 2025, j'ai rédigé au nom de la commission des affaires économiques un rapport sur les coûts du nucléaire, ses modalités de financement et son incidence sur les factures et pour le contribuable. J'ai appris que le délégué interministériel au nouveau nucléaire avait demandé à EDF de rendre une troisième estimation de son programme de six EPR2 et qu'en deux ans, celle-ci était en hausse de 30 %. La commission des affaires économiques devait auditionner le PDG d'EDF afin qu'il présente sa nouvelle estimation mais on nous a dit qu'il n'était pas tout à fait prêt. Nous serons au-delà des 65,7 milliards d'euros, dernier montant estimé hors coûts de financement. Le gestionnaire du réseau de transport (RTE) nous dit que cela peut multiplier par deux ou trois le prix de l'électricité en sortie des réacteurs.
Dans votre rapport, vous n'avez pas évoqué La Hague puisque le sujet concernera le PNGMDR suivant. Serons-nous consultés sur l'évolution prévue à La Hague, où se trouve déjà la plus grande concentration de matières radioactives au monde ? Il y a trois usines de retraitement, trois piscines d'entreposage, le centre de stockage de la Manche, fermé mais qui continue d'entreposer des déchets radioactifs, 70 à 80 tonnes de plutonium, 50 000 fûts de déchets de haute activité et à vie longue (HAVL) destinés à être enfouis à Bure, des rejets liquides et gazeux radioactifs quotidiens. On arrive à saturation alors que les six nouveaux réacteurs ne sont pas encore en service. On nous parle de densifier les piscines existantes, de deux nouvelles piscines, d'une nouvelle usine de retraitement, d'une nouvelle usine de production de mox, etc.
Vous ne pourrez sans doute pas nous répondre, puisque vous n'avez pas exploré ce champ dans votre rapport, mais pourrez-vous le faire avant que les décisions soient prises ? Quelle sera l'emprise au sol ? Pourra-t-on encore visiter le Nez de Jobourg ? Est-ce raisonnable du point de vue de la sûreté, à moins de vingt kilomètres du centre nucléaire de Flamanville ? Quels sont les délais prévus ? Si les piscines d'entreposage sont saturées et si les nouvelles ne sont toujours pas construites, que devra-t-on faire du combustible usé issu des centrales en fonctionnement ? Finalement, s'il n'y a pas d'endroit pour entreposer le combustible usé, on sera obligé de mettre les centrales à l'arrêt.
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - De fait, sans vouloir polémiquer, je note que les opposants au nucléaire et au centre Cigéo ont bien compris que la seule solution pour eux est de provoquer un collapsus dans la chaîne.
Mme Dominique Voynet, députée. - Bruno Sido a dit qu'il était impossible d'être plus précis sur les coûts de traitement des déchets. On n'a pas évoqué non plus le démantèlement de la génération actuelle d'installations nucléaires de base, qui, en dépit de la prolongation de la vie des centrales, posera un jour problème. La question des provisions et des sécurités financières redevient stratégique, à une époque où l'on s'interroge sur la part de la richesse nationale à consacrer à nos choix de consommation, à nos choix économiques et à nos choix de société. Une réévaluation est-elle prévue ? Selon quelle méthode ? Ne doit-on pas se doter de plus d'instruments de pilotage du coût des différentes dimensions de la politique nucléaire ? Je ne parle même pas de la « nouvelle génération » de réacteurs, mais qu'en est-il des déchets et du démantèlement ?
M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Depuis toujours, je constate que chaque fois qu'EDF fait du bénéfice, l'État s'en prend à sa caisse. Il faudra bien lui laisser un peu d'argent pour traiter tous les sujets que vous avez évoqués. C'est d'ailleurs EDF qui finance l'essentiel de Cigéo et de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et qui répercute ces dépenses sur le coût de l'électricité. Si je suis toujours présent pour traiter dans un futur rapport de la partie financière du PNGMDR, je préconiserai de conserver à EDF ses bénéfices pour financer toutes ses actions. Que leur durée de vie soit de quarante ou de quatre-vingts ans, les centrales devront être démantelées. Pour des raisons administratives, le démantèlement de la centrale de Brennilis n'est toujours pas achevé, parce que les opposants ont trouvé dans le règlement une faille de nature à interrompre les opérations.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Mes chers collègues, je retiens de nos échanges un appel à la planification globale qui n'a pas été faite lors du lancement de la construction du parc nucléaire. Le démantèlement est une nécessité. Il faut une vision, une planification ferme, déterminée. Il convient de mettre fin aux atermoiements qui n'ont pas permis l'avancée de projets majeurs comme celui du centre de stockage Cigéo, le lancement de nouvelles tranches d'EPR avec de nouvelles technologies, voire le retour aux RNR qui permettrait d'utiliser le stock d'uranium appauvri entreposé, pas le plus dangereux mais le plus volumineux.
L'Office adopte les conclusions de l'audition publique du 25 janvier 2024 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.
Comptes rendus de déplacements
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Pierre Henriet et moi-même allons maintenant vous rendre compte des deux déplacements que nous venons d'effectuer.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Au mois d'octobre, j'étais invité au congrès astronomique international (IAC), avec mon collègue sénateur Claude Raynal, élu de Haute-Garonne, qui connaît bien le tissu industriel aérospatial. Nous avons pu prendre connaissance des grands enjeux mondiaux du secteur spatial. L'IAC, qui réunit chaque année les acteurs institutionnels du spatial, se tenait il y a deux ans à Paris. Cette année, pour sa 75ème édition, il a de nouveau rencontré un grand succès en réunissant à Milan quelque 11 000 délégués de 120 pays.
Ce congrès se doublait d'un salon, plus important que la partie spatiale du salon du Bourget. L'Italie a profité de ce congrès pour affirmer son rang d'acteur du spatial, se rapprochant de la France et de l'Allemagne dans la coopération européenne.
À la veille de la conférence, j'étais convié à des rencontres avec des représentants des ministères et des membres du Parlement où de nombreux pays étaient représentés. Trois sessions se sont tenues au siège de la région Lombardie, dont une sur la durabilité des activités spatiales ; j'y ai souligné les menaces représentées par les débris spatiaux, sujet qui a fait l'objet de la présentation à l'Office d'une note scientifique par nos collègues Jean-Luc Fugit et Ludovic Haye. J'ai alerté sur les dangers pesant sur la durabilité des activités spatiales alors que le nombre d'objets en orbite basse est en forte augmentation. Au vu des interventions des participants, le sujet semble être bien compris et surveillé au niveau international. La quasi-totalité des interventions ont mentionné les mêmes alertes et les mêmes inquiétudes, montrant tout l'intérêt de la coopération.
La France agit dans trois directions : limiter le nombre de débris par la réglementation, surveiller les débris présents pour aider les opérateurs de satellites à éviter les collisions et retirer activement les débris trop dangereux.
Depuis la loi sur les opérations spatiales de 2008, la France est en pointe en matière de législation sur la limitation des débris. Cette loi a été mise à jour afin de s'adapter aux évolutions du secteur, notamment liées au New Space. Sa nouvelle version, entrée en vigueur en juillet 2024, permet de traiter spécifiquement les constellations de satellites. Mais une loi nationale étant insuffisante pour traiter ce sujet global, nous attendons la loi spatiale européenne préparée par la Commission.
Au-delà du volet réglementaire, la France participe activement au programme de surveillance et de suivi de l'espace de l'Union européenne. Pour ce faire, nous disposons du radar GRAVES et nous mettons à disposition un service anticollision géré par le Centre national d'études spatiales (Cnes). Les réseaux et radars de télescopes en développement de plusieurs start-up françaises comme Aldoria et Look Up Space complètent ces capacités de surveillance de l'espace.
Enfin, le retrait des débris les plus dangereux présents dans l'espace est aussi étudié en France. La start-up Dark Space développe un intercepteur chargé de désorbiter ces débris.
L'IAC 2024 a été l'occasion de vanter les mérites de la coopération internationale et de valoriser devant l'ensemble des représentants étrangers présents les travaux et recommandations formulées par l'Office. L'IAC est un important forum de discussion du domaine spatial et de sa réglementation. Je souhaite que l'Office soit présent à la prochaine édition, prévue en novembre 2025 à Sydney.
Le salon organisé en amont s'est tenu le week-end où SpaceX a fait la démonstration de récupération de son lanceur, ce qui a bouleversé l'ensemble des acteurs du spatial. La Nasa était représentée au salon. Se pose la question de la coopération américano-européenne et d'autres pistes de coopération internationale, à l'heure où des sujets réglementaires demandent une réelle prise en compte des sujets environnementaux de l'espace.
Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Dans le cadre du groupe d'étude sur l'espace du Sénat, j'avais participé aux travaux du European Space Group. Il serait opportun que l'Office y soit représenté.
M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Il y avait une délégation du Parlement européen à l'IAC, mais je n'ai pas vu d'événement lié au groupe que vous mentionnez. Il serait intéressant de faire le lien.
M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Pour ma part, je me suis déplacé en Norvège, les 21 et 22 octobre dernier avec une partie des membres du bureau. Avec Anne-Catherine Loisier, Florence Lassarade, Gérard Leseul et David Ros, nous avons participé à la conférence de l'EPTA, le réseau européen des offices parlementaires scientifiques, dont le thème était cette année « Intelligence artificielle et démocratie ». Nous avons ensuite visité l'installation du projet industriel de captage et de stockage sous-marin de carbone de Northern Lights, au bord de la mer du Nord.
Au cours de la première journée, nous avons constaté qu'un grand nombre de pays étaient préoccupés par le développement et les effets de l'intelligence artificielle. Le rapport que nous avons adopté la semaine dernière s'inscrit parfaitement dans cette tendance. Il sera disponible dans les tout prochains jours sur le site de l'Office et il sera transmis à l'EPTA, qui réunit des offices scientifiques de natures très différentes. Seule la France est dotée d'un office scientifique composé de parlementaires. Les autres pays ont plutôt des instances composées de scientifiques qui conseillent les parlementaires.
La conférence avait lieu à Oslo, au parlement norvégien, la Norvège assurant la présidence de l'EPTA. En 2025, ce sera au tour de la France d'assurer la présidence du réseau. C'est aussi la raison pour laquelle je me suis rendu à ce congrès européen. Nous accueillerons les responsables administratifs de la vingtaine d'organismes membres de l'EPTA au printemps, puis en octobre, à l'Assemblée nationale et au Sénat, l'Office accueillera les instances dirigeantes de ces organismes pour une conférence interparlementaire sur un thème qu'il nous appartient de déterminer.
La deuxième journée avait lieu à l'usine de traitement de CO2 de Bergen, où nous avons été accueillis par un responsable de TotalEnergies, partenaire à hauteur d'un tiers du projet, les deux autres partenaires étant Shell et le norvégien Equinor. Ce projet quasi expérimental démarre grâce à l'investissement de l'État norvégien, qui n'a pas les mêmes impératifs financiers que la France. Son fonctionnement et son modèle économiques au cours des prochaines années seront intéressants à observer. Ce procédé présente un intérêt pour certains secteurs très émetteurs de CO2, notamment les industries du ciment, de la sidérurgie et des incinérateurs, mais il ne saurait répondre à lui seul aux objectifs de maîtrise et de réduction des émissions de CO2. La capacité de stockage du site est estimée à 1,5 million de tonnes par an, alors que la France émet chaque année 400 millions de tonnes de CO2. Mais le développement de ce projet bénéficiant de financements privés permettra peut-être de trouver une solution encore plus pertinente.
La réunion est close à 10 h 50.