Mercredi 18 décembre 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Programme « Territoires d'industrie » - Examen du rapport d'information et vote sur les propositions des rapporteurs

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous commençons ce matin notre réunion par l'examen du rapport d'information de nos collègues Martine Berthet, Rémi Cardon et Anne-Catherine Loisier sur le programme « Territoires d'industrie ». Il s'agit du premier contrôle sénatorial de proximité réalisé par notre commission. Ce contrôle répond au souhait du président du Sénat et s'inscrit dans le cadre des recommandations émises par notre collègue Mathieu Darnaud lorsqu'il était vice-président du Sénat en charge du lien avec les territoires et des consultations des élus et des citoyens. Il s'agit plus généralement de l'une des déclinaisons du plan d'action de modernisation des méthodes de contrôle du Sénat présenté à la fin 2021 par notre collègue Pascale Gruny, alors vice-présidente de notre assemblée.

Le programme « Territoires d'industrie » se prête par excellence à ce type de contrôle. Nos rapporteurs ont ainsi pu évaluer sa mise en oeuvre sur le terrain, en se rendant dans la Somme et en Saône-et-Loire, et en effectuant une visioconférence pour la Savoie.

Je les laisse nous présenter leurs conclusions.

M. Rémi Cardon, rapporteur. -Nous sommes très heureux, pour cette dernière réunion de commission de l'année 2024, de vous présenter les conclusions de notre mission d'information sur le programme « Territoires d'industrie ». En effet, nous n'avons pas si souvent l'occasion d'évaluer un programme de politique publique dont la nature même est d'être territorialisé, surtout en matière de politique économique ! Je sais, en outre, que vous êtes nombreux à connaître de première main ce programme dans lequel sont impliqués près de la moitié des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de notre pays, rassemblés en 183 territoires d'industrie.

Comme nous sommes trois rapporteurs, nous allons nous répartir la tâche ainsi : pour ma part, je vous exposerai l'esprit dans lequel nous avons effectué ce contrôle et je vous rappellerai le principe et les spécificités du programme « Territoires d'industrie ». Martine Berthet et Anne-Catherine Loisier vous feront part ensuite de nos propositions concernant les évolutions du fonctionnement du programme et son nécessaire recentrage, compte tenu notamment des contraintes budgétaires.

Le programme « Territoires d'industrie » a été lancé en 2018, puis renouvelé fin 2023 pour une période de quatre ans. Au sein de la gamme d'outils mobilisés par l'État pour soutenir l'industrie et favoriser la réindustrialisation, il fait un peu figure d'ovni.

Le principe en est simple : un pilotage, dans chaque Territoire d'industrie, par un binôme composé d'un élu local et d'un industriel du territoire ; des projets élaborés à l'échelon de chaque territoire par un comité de projet, en fonction des besoins ; un accès prioritaire à l'offre de service de droit commun des opérateurs de l'État partenaires du programme - la Banque des Territoires, Bpifrance, Pôle Emploi (puis France Travail), et Business France, auxquels se sont ensuite ajoutés l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et Action Logement. À l'échelon national, le programme est piloté par une délégation aux territoires d'industrie (DTI), rattachée organiquement à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui est co-porteuse du programme avec la direction générale des entreprises à Bercy (DGE).

Le programme repose sur l'idée, originale, que le facteur territorial joue un rôle prépondérant dans les dynamiques industrielles. De récents travaux académiques ont évalué la part de ce facteur territorial à pas moins de 40 %, les 60 % restants étant imputables au contexte macro-économique et aux effets de spécialisation. C'est ce facteur territorial que l'on voit à l'oeuvre, par exemple, dans les fameux « districts » italiens, dont le tissu industriel est majoritairement composé de petites et moyennes entreprises, spécialisées dans différentes étapes de production au sein d'une même filière. Le succès de ces districts, notamment à l'international, est justement souvent attribué aux synergies favorisées par l'existence de ce réseau dense et interconnecté.

Ce facteur territorial est cependant difficile à appréhender dans le détail, car il recouvre une multitude de facteurs invisibles, comme la culture industrielle ou la qualité des relations entre acteurs du territoire. Pour cette raison, l'idée de « fabriquer » de manière proactive ce facteur territorial a pu, à l'origine, faire sourire, voire éveiller des réticences, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. C'est pourtant cette approche qui a été portée par l'économiste Olivier Lluansi, préfigurateur du programme puis premier délégué aux territoires d'industrie, avec l'idée que la réindustrialisation doit marcher sur deux jambes : l'approche territoriale vient ainsi compléter la logique de soutien aux filières et à l'innovation de rupture déployée à l'échelon national via les programmes d'investissements d'avenir (PIA), puis France Relance et France 2030.

En raison du caractère territorialisé du programme « Territoires d'industrie », cette mission était tout indiquée pour constituer le premier contrôle sénatorial de proximité que le président du Sénat avait appelé de ses voeux, dans la lignée des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de contrôle mené par Pascale Gruny. La dissolution a retardé la formalisation d'une méthode commune à l'ensemble des commissions sur ce sujet, mais le travail que nous avons conduit montre bien l'intérêt d'une telle démarche, car nous avons constaté d'importantes divergences entre ce que nous entendions à Paris, les informations recueillies lors nos déplacements à Amiens et à Chalon-sur-Saône et lors de nos échanges, autour d'une table ronde, avec les acteurs du Territoire d'industrie de la vallée de la Maurienne.

Certes, les évaluations macro-économiques montrent que les effets du programme « Territoires d'industrie » sur l'activité industrielle sont globalement mitigés. Les syndicats d'industriels, s'ils portent un regard bienveillant sur ce programme, sont malgré tout, il faut bien le dire, assez condescendants, ce programme faisant figure de Petit Poucet mal doté, par rapport aux milliards d'euros de France 2030. Malgré cela, à l'échelon local, le programme est plébiscité, tant par les élus que par les industriels.

Ces derniers ne sont cependant pas dupes. Alors que les gouvernements successifs se gargarisent, évoquant les milliards d'euros déversés dans les territoires d'industrie, on constate seulement le recyclage de crédits préexistants. Autre exemple : alors que CCI France nous assurait que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) - je dis bien « et d'industrie »... - étaient pleinement mobilisées dans la mise en oeuvre du programme, elles sont partout demeurées invisibles.

Ces divergences s'expliquent par le fait que le programme n'a fait l'objet d'aucun suivi et d'aucune évaluation, ni à l'échelon local ni à l'échelon national, et ce y compris en amont de sa reconduction en 2023. La Cour des comptes, qui a récemment publié un avis sévère sur la conduite du programme, estime que les éléments du bilan publié par le Gouvernement à l'issue de sa première phase, dans lequel il évoque la création de plusieurs dizaines de milliers d'emplois et l'engagement de plus de 2 milliards d'euros, relèvent « uniquement de la communication » et « ne [peuvent] être considérés comme un bilan ». Nous avons nous-mêmes constaté d'importantes divergences dans les chiffres qui nous ont été fournis.

En réalité, les opérateurs partenaires du programme n'ont intégré la géographie des territoires d'industrie ni dans le fléchage de leurs dispositifs ni dans leurs outils de suivi. Le résultat est que, en dépit de toutes les auditions que nous avons menées, il est impossible de savoir précisément, par exemple, dans quelle mesure les accélérateurs de Bpifrance ont bénéficié aux territoires d'industrie. Il en va de même pour la distribution des aides régionales ou pour les appels à projets France 2030... La Cour des comptes a péniblement reconstitué certains flux financiers - je vous renvoie à son rapport pour le détail, et au nôtre pour les points saillants -, mais le constat est le même en ce qui concerne le bilan qualitatif.

L'une de nos recommandations est donc que les outils de suivi des opérateurs partenaires du programme, de la DGE et des régions intègrent le périmètre des territoires d'industrie, de sorte que les actions menées dans le cadre du programme et leurs résultats puissent être régulièrement évalués, localement et, de manière agrégée, à l'échelon national.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Ces évaluations régulières, que vient de proposer Rémi Cardon, devront permettre en particulier de mieux adapter l'offre de services aux besoins des territoires.

Nous avons constaté que les actions mises en oeuvre à l'échelon local dans les territoires d'industrie ne sont pas complètement celles qui sont identifiées comme prioritaires à l'échelon national. Pour la phase II du programme, les quatre axes proposés aux comités de projets locaux pour les guider dans l'élaboration de leurs projets sont : la transition écologique, l'innovation, le développement des compétences et la mobilisation du foncier.

Mais dans les territoires, la réflexion sur l'attractivité, par exemple, loin d'être limitée au foncier, se déploie de manière globale et inclut l'accès au logement, mais aussi les mobilités et, plus largement, l'ensemble du cadre de vie. Dans la ville d'Albert, dans la Somme, la phase I du programme a donné lieu à l'ouverture d'une résidence pour jeunes actifs et en formation, constituée d'une trentaine de studios meublés, avec des préavis d'arrivée et de départ très courts pour s'adapter aux contraintes des stagiaires et alternants. À Albert également, la communauté de communes du Pays du Coquelicot a travaillé sur les mobilités en mettant à disposition des vélos électriques entre la gare d'Albert et IndustrieLAB, plateforme d'innovation et de transfert très mal desservie par les transports publics.

Le problème est un peu différent pour le volet relatif aux compétences, qui est, lui, bien identifié à l'échelon national. Je vous rappelle que les besoins sont estimés à plus de 100 000 personnes par an, d'ici à 2035. Les ministères compétents se sont rapprochés et des actions communes ont été entreprises, en ce qui concerne tant la formation initiale que la formation continue. L'éducation nationale développe par exemple des actions de sensibilisation, notamment lors de la Semaine de l'industrie, et travaille sur l'adaptation des formations et des diplômes aux besoins des filières industrielles. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail (DGEFP) participe aux travaux du Conseil national de l'industrie (CNI), notamment sur le volet développement des compétences dans les filières.

Dans le cadre du programme « Territoires d'industrie » en revanche, la collaboration est beaucoup plus ténue : au niveau national, ni le ministère de l'éducation nationale, ni le ministère de l'enseignement supérieur, ni le ministère du travail ne sont officiellement parties prenantes au programme. Cela se ressent à l'échelon local, où l'élaboration d'offres de formation et les actions en faveur de l'accès à l'emploi mobilisent peu les rectorats, les universités, les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et les antennes locales de France Travail. Ce sont, au cas par cas, les syndicats d'industriels ou les collectivités qui prennent l'initiative, en s'appuyant sur les acteurs les plus « allants » et les plus réactifs : à Chalon-sur-Saône par exemple, c'est avec le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et l'École nationale supérieure d'arts et métiers (Ensam) qu'a été développée, avec le soutien du Grand Chalon, une offre de formation tournant autour du numérique, du bac+ 1 au doctorat. Ces formations sont hébergées au sein de l'Usinerie, tiers-lieu abritant également des activités d'accompagnement et de services aux entreprises. Le rapprochement un temps envisagé avec l'antenne locale de l'université de Bourgogne a, lui, été abandonné. Il nous semble donc indispensable qu'un dialogue structuré avec les ministères chargés de la formation initiale et continue et de l'accès à l'emploi soit formalisé à l'échelon national, afin que ces derniers mobilisent à leur tour leurs troupes dans les territoires.

J'ouvre une parenthèse sur les difficultés rencontrées par les écoles de production, qui ont connu un franc succès dans les Territoires d'industrie, notamment grâce à l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé en 2021. Ces écoles d'apprentissage proposent une formation mixte, comprenant un enseignement théorique sur un tiers du temps et une formation pratique en atelier, dans les locaux de l'école, sur les deux autres tiers du temps. Les élèves sont souvent des jeunes en décrochage scolaire.

Les écoles de production répondent de manière ciblée et efficace aux besoins des industries locales : l'École de production de Chalon-sur-Saône (EDPC), que nous avons visitée, propose par exemple des formations en mécanique, usinage et robinetterie, spécialités très demandées dans un territoire fortement marqué par la métallurgie.

Or la directrice de l'EDPC nous a alertés sur la soutenabilité financière du modèle des écoles de production. L'EDPC a bénéficié, à sa création, de fonds du plan de relance, ainsi que d'une subvention du Grand Chalon. Son fonctionnement, en revanche, repose sur la taxe d'apprentissage, les recettes des ventes des productions des élèves, et sur une subvention versée par l'État au prorata du nombre d'élèves, sachant que seules les écoles de production reconnues par l'État en bénéficient. L'EDPC, qui n'a pas atteint le seuil de rentabilité pour ses productions, ne subsiste pour l'instant que grâce à des aides régionales complémentaires. Il serait souhaitable, surtout dans les premières années de la phase de lancement, de consolider la part État du financement des écoles de production et de pérenniser son principe, en reconduisant la convention passée en ce sens avec le ministère du travail.

En outre, compte tenu du profil des élèves, dont 14 % sont sous statut « protégé » à divers titres, nous recommandons d'engager une réflexion sur les moyens de lever les freins pécuniaires à leur scolarité, par exemple en les rémunérant pour leurs productions ou en rapprochant leur statut de celui des apprentis. Je ferme ici la parenthèse.

Sur l'ensemble des points clés identifiés par les territoires d'industrie pour favoriser leur développement économique, il est nécessaire que les territoires d'industrie bénéficient désormais d'une véritable priorisation dans l'accès aux dispositifs de droit commun. En complément, il faut que les opérateurs de l'État élaborent et déploient un panier de services spécifiques, visant à répondre aux problématiques remontées via les fiches-actions rédigées par les comités de projet.

Dans cette optique, en ce qui concerne plus spécifiquement le foncier, dont la disponibilité est le critère numéro un pour les implantations industrielles, nous souhaitons que les collectivités qui s'engagent dans l'acquisition de terrains et l'aménagement de zones industrielles soient davantage soutenues, tant en ingénierie que financièrement, au travers d'une ligne budgétaire spécifique, distincte du fonds vert, qui est devenu un véritable fourre-tout au sein duquel aucune enveloppe n'est fléchée vers le recyclage foncier à vocation industrielle. À Chalon-sur-Saône, nous avons pu constater la réussite de la zone SaôneOr, aménagée sur l'ancienne friche Kodak. Il est indispensable d'aider les collectivités qui s'engagent dans ces processus très coûteux : après SaôneOr, l'agglomération de Chalon-sur-Saône aura par exemple dû financer près de la moitié des 7 millions d'euros nécessaires à l'aménagement de la friche Philips/Nordeon, et ce malgré sa labellisation « Site clé en main France 2030 ».

Enfin, dans l'idée de tirer parti de l'expérience des Territoires d'industrie et de mieux adapter les politiques économiques aux besoins des territoires, nous suggérons que la DGE effectue un travail de recension des projets remontés des Territoires d'industrie, notamment en matière de simplification, en vue d'alimenter de futures propositions d'évolutions législatives et réglementaires. En parallèle, et dans l'attente de telles modifications, nous recommandons que soit rappelée aux porteurs de projets et aux préfets la possibilité de solliciter des dérogations au droit existant pour permettre la réalisation de projets particuliers, via France Expérimentation, ou en usant du pouvoir de dérogation préfectoral.

C'est aussi dans cet esprit de simplification et d'accélération que nous recommandons la nomination d'un délégué interministériel à la réindustrialisation, qui puisse aborder les sujets de manière transversale et lever plus rapidement les blocages entre ministères : le retour d'expérience de la DTI, qui fonctionne ainsi, en mode projet, est très positif.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Il nous semble essentiel de faire évoluer le programme en profondeur, pour le rendre plus opérationnel et plus cohérent avec la stratégie de politique industrielle nationale. Il doit être reconduit, mais resserré, avec un budget pluriannuel dédié et sécurisé, ciblant les financements et mobilisant mieux les acteurs.

Dans le contexte d'austérité budgétaire que nous connaissons, il faut sécuriser les quelque 4,5 millions d'euros prévus, à l'origine, pour 2024, via les crédits du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. Ces crédits, quoique modestes, sont déterminants, car ils permettent le cofinancement des chefs de projet et d'activités d'ingénierie. Nous proposons d'y ajouter, à enveloppe constante, le financement de campagnes de détection de projets industriels, sur le modèle du dispositif Rebond industriel, déployé durant la crise covid, qui avait révélé pas moins de 1 600 projets industriels dormants, dont les deux tiers n'avaient pas été identifiés auparavant par les acteurs publics. Il s'agit donc d'un outil précieux, qui a montré son efficacité en matière d'impulsion de projets.

Ce financement a minima permettrait de maintenir les dynamiques engagées dans les territoires d'industrie et de donner de la visibilité aux acteurs, évitant l'effet « stop and go », particulièrement dommageable pour les projets industriels, dont la maturation demande souvent plusieurs années.

Il s'agit non pas de faire du saupoudrage, mais bien de construire les conditions du succès de la réindustrialisation. Les effets macro-économiques du programme sont, pour l'instant, difficilement évaluables, peut-être faute d'une stratégie nationale.

Les territoires d'industrie bénéficient d'atouts bien réels et de potentiels à développer. Ils présentent en moyenne un profil effectivement plus industriel que le reste du territoire. Mais certains d'entre eux ont été très affectés par les crises industrielles successives, et en restent encore marqués : mines autour d'Alès, exploitation du gaz et chimie autour de Lacq, régions historiquement engagées dans l'automobile, comme Nord Franche-Comté et Nord Lorraine, particulièrement affectées par la crise covid, puis par la longue période de pénurie d'intrants.

En outre, le programme n'a que six années d'existence. C'est peu au regard des objectifs et des caractéristiques de l'investissement industriel, pour ancrer ce facteur territorial qui est la cible du programme, et qui constitue, comme l'écrit Pierre Veltz, « les sucres lents de la compétitivité ».

Nous observons que les dynamiques coopératives engagées grâce à la gouvernance bicéphale et à l'implication des collectivités, des industriels, des préfets et des opérateurs de l'État sont en phase de croissance, et assureront aux territoires d'industrie la compétitivité et la résilience nécessaires. L'engagement de tous les acteurs est indispensable.

Or les régions, cheffes de file en matière de développement économique, sont impliquées de manière inégale dans le programme. À leur décharge, l'État n'avait pas jugé bon de les associer à l'élaboration du programme ; certaines ont donc d'abord observé avec circonspection ce qui se mettait en place.

La plus-value apportée par celles qui se sont tout de suite et fortement engagées est évidente, comme dans la Somme, où les Hauts-de-France ont cofinancé IndustriLAB, qui constitue aujourd'hui le support et le point d'ancrage pour la plupart des initiatives développées par le territoire d'industrie Albert-Amiens en faveur de l'innovation.

Selon Intercommunalités de France, l'implication des régions est en voie de normalisation dans la plupart des cas. Elle s'appuie sur une consolidation du tandem EPCI-région et sur la formalisation de la coordination entre président de conseil régional et préfet de région dans les comités de pilotage régionaux. Cette proximité se révèle particulièrement précieuse dans la mesure où la région est le partenaire privilégié des opérateurs et des services de l'État en matière de développement économique. La création de postes de coordinateurs régionaux, facilitée par le cofinancement de l'État, devrait aussi permettre aux régions de mieux intégrer les territoires d'industrie dans leurs stratégies de politiques économiques régionales, notamment pour le fléchage des aides aux entreprises.

Autre acteur insuffisamment mobilisé : les chambres de commerce et d'industrie. CCI France nous a indiqué que seules quatorze d'entre elles étaient directement impliquées dans la gouvernance d'un territoire d'industrie.

Avec leur connaissance du tissu économique local, surtout en ruralité, elles devraient jouer un rôle plus systématique dans la détection de projets, l'accompagnement des entrepreneurs, l'identification et l'accès aux aides publiques. Il y a donc des mutualisations à rechercher pour davantage d'efficacité du dispositif. Alors que France 2030 est en cours d'extinction, il va être plus que jamais nécessaire d'aller chercher tous les financements disponibles, du niveau local au niveau européen. Sur ce dernier point, nous savons que la France sollicite toujours trop peu les aides européennes. Un représentant de l'agence économique de la région Auvergne-Rhône-Alpes nous a expliqué comment l'accompagnement des industriels du territoire d'industrie Vallée de la Maurienne lui avait permis d'afficher un taux de lauréats bien supérieur à la moyenne nationale, pour des appels à projets dont la fenêtre de tir n'était que de quelques jours. De même, si le fonds d'accélération des investissements industriels dans les territoires (FAIIT), lancé en 2020, a bénéficié pour deux tiers à des industries localisées dans des territoires d'industrie, c'est principalement parce qu'ils ont eu tendance à candidater plus que les autres.

Les CCI ont ici un véritable rôle à tenir. Nous proposons donc qu'elles deviennent officiellement partenaires du programme.

Enfin, compte tenu de la contrainte budgétaire, nous proposons de cibler prioritairement les territoires porteurs d'un véritable projet industriel de territoire, structurés autour de filières, ou susceptibles d'en développer un. C'est par ce prisme, en assurant le plein déploiement du volet politique économique du programme, qu'il se révélera un puissant outil de cohésion territoriale, économique et sociale.

Autour d'Albert et d'Amiens, nous avons vu les économies d'échelle permises par la structuration en filière, emmenée par Airbus - on nous a parlé par exemple de job dating de filière, pour mutualiser la recherche de talents. Nous avons constaté également l'effet d'entraînement de cette filière sur l'ensemble de l'écosystème industriel : la plateforme IndustriLAB, dédiée d'abord à l'aéronautique et largement portée par Airbus, met ses infrastructures à la disposition de l'ensemble des porteurs de projets du territoire, tous secteurs confondus.

Il s'agit, en quelque sorte, d'amplifier le modèle des clusters, des districts italiens - l'Italie est récemment devenue l'un des cinq ou six premiers exportateurs mondiaux, prouvant que c'est possible pour un pays européen -, ou des pôles de compétitivité, mais en organisant le ruissellement de l'innovation sur l'ensemble du tissu industriel.

Nous préconisons donc de pérenniser le programme, de le rationaliser en améliorant son ciblage sur les territoires et les filières les plus prometteurs, sans le rigidifier excessivement, afin de préserver la dynamique ascendante qui fait son succès.

M. Franck Montaugé. - Merci pour ce travail de qualité, bel exemple d'évaluation de l'efficacité d'une politique publique. Comme le président Larcher, j'appelle au développement de telles études territorialisées, qui intéressent nos concitoyens et peuvent donner du lustre à l'une de nos missions.

Quelques remarques sur vos préconisations. Pérenniser le programme, je suis d'accord : je vois son utilité dans le Gers. Mais la notion de priorisation me pose problème, comme celle de « territoire industrialisable ». De mon point de vue, il y a un enjeu national à ce que tous les territoires tentent de développer l'économie de leur territoire à l'aune de nos obligations de transition écologique. Nous devons entrer dans une nouvelle phase de développement économique et tous les territoires doivent pouvoir y contribuer, pour autant qu'ils le veuillent.

Vous préconisez de réorienter le programme vers ses fondamentaux : quels sont-ils ? Pierre Veltz, que vous citez à juste titre, fait partie de mes lectures. Il dit : de l'industrie, il y en a partout. Elle ne se limite pas aux secteurs les plus spectaculaires comme l'aéronautique. Je m'interroge donc sur le terme « fondamentaux ».

Je partage votre volonté de réanimer l'axe de simplification du programme. Il faut le dire - même si ce n'est forcément pas le cas partout : c'est un peu le bazar. L'initiative a été laissée aux territoires ; résultat : selon leur appétence et celle des acteurs industriels, les choses se font ou ne se font pas. Il y a, comme vous l'avez dit, un intérêt national à reconsidérer l'animation de ce programme, mais aussi de la politique de développement industriel en général.

Vous en appelez à des soutiens de l'État. Dans le contexte budgétaire, l'enjeu est de savoir comment redéployer les crédits consacrés au développement industriel pour les rendre plus efficaces. Or l'efficacité de programmes comme Territoires d'industrie ou France 2030 n'est pas évaluée. Il y a une culture à développer, au plus haut niveau de l'État, et en accord avec les acteurs locaux. Il y a tout à faire sur ce sujet.

De mon côté, je cherche à revoir dans le Gers le management du développement industriel, en lien avec la région. La région est l'acteur numéro un. Les régions se sont dotées d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Pour ce qui me concerne, celui de l'Occitanie reste très vague en matière de développement industriel, sauf pour les grandes filières. Or le Gers, par exemple, est un territoire essentiellement agricole dont la productivité augmente très vite, ce qui induit des diminutions d'emplois. Sans sacrifier l'économie agricole, il faudrait se poser la question de son devenir économique. Or tels territoires n'ont pas de culture industrielle, à l'inverse d'autres : il faut donc la faire émerger pour faire face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.

M. Rémi Cardon, rapporteur. - Si nous préconisons de prioriser, c'est aussi pour des raisons budgétaires, il n'y aura pas de fonds supplémentaires. L'enjeu est de mettre les moyens là où il le faut. Lors des auditions, nous avons senti que les acteurs étaient fiers de monter leur projet sur leur territoire ; mais ils ne se sentent pas embarqués dans une stratégie nationale. Ce vide, nous l'avons ressenti. Tout le monde a envie d'y aller, même si parfois certains acteurs sont attentistes, notamment faute de financement.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - La première vague a concerné 149 territoires ; la deuxième, 183. Tout le monde a voulu avoir un territoire d'industrie, espérant qu'avec ce nouveau dispositif, il y aurait peut-être des financements à la clé. Tous les territoires ont été reconduits sans évaluation, sans se demander quels territoires avaient utilisé le dispositif avec profit. Nous voulons recentrer le programme en prenant pour critère l'engagement des acteurs.

J'ai le regret de dire que mon territoire a participé au pôle Nuclear Valley, au départ d'abord avec succès, puis sans aucun résultat. Les services de la préfecture estimaient pourtant que nous avions un très fort taux d'emplois industriels et que nous avions donc développé une culture industrielle. Mais il n'y a pas eu d'agrégat de leaders industriels, dans le secteur privé comme dans le secteur public, pour porter les projets.

Il ne s'agit donc pas de laisser de côté les territoires qui n'ont pas de culture industrielle : tout territoire a vocation à porter un projet industriel. Dans le contexte actuel, il faudrait identifier plus précisément les conditions et les facteurs territoriaux qui ont permis aux dynamiques de prendre et aux projets de se développer. La notion de ciblage vise à accompagner les territoires qui ont su tirer parti du programme. Les moyens de l'État vont se raréfier et il faut identifier les projets où ils ont porté leurs fruits pour s'en inspirer.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Nous avons déterminé les fondamentaux de l'attractivité industrielle en questionnant les acteurs, sur le terrain, dans les territoires d'industrie, pour compléter les axes qui avaient été proposés par l'administration centrale. Ainsi, les compétences font partie des fondamentaux pris en charge à l'échelon national, mais il y a aussi la mobilité et le logement, car quand on procède à un recrutement, il faut pouvoir loger et assurer les déplacements de la personne concernée.

Sur la simplification, les territoires d'industrie nous ont fait de nombreux retours dont nous devrons tenir compte. En effet, certains territoires expliquent leur refus de participer au programme par peur d'une trop grande complexification et d'un manque de liberté qui nuiraient à leur évolution.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les conditions pour qu'un territoire d'industrie prospère sont nombreuses : logement, mobilités, compétences... Là où nous sommes allés, nous avons vu qu'il a fallu développer une batterie de dispositifs pour accompagner l'accueil des salariés dans les territoires concernés. Cela n'a pas été possible partout. Certains territoires comme le Grand Chalon ont pu prospérer en s'engageant fortement dans le programme, car ils bénéficiaient de moyens financiers importants pour déployer le dispositif. Encore une fois, celui-ci ne peut fonctionner que si les acteurs locaux participent à la dynamique.

M. Yannick Jadot. - Ce rapport est d'autant plus important que, pendant quelques années, nous avons nourri l'illusion que la France était un pays de réindustrialisation. Or le bilan de 2024 montre un reflux de cette dynamique. Il faut donc dégager des moyens suffisants : le montant de 4 millions d'euros reste faible compte tenu des enjeux.

Pour avoir travaillé sur les expériences réussies de réindustrialisation dans les territoires européens, je sais que la coordination des acteurs concernés est un enjeu essentiel, qu'il s'agisse des acteurs financiers ou des partenaires sociaux. Sans structure d'animation suffisante pour éviter que le système ne s'effondre dans la durée, le programme ne fonctionnera pas. Il faut de la stabilité et de la durabilité et je salue vos recommandations sur ce sujet. Il est nécessaire que des commissaires à l'industrie puissent oeuvrer dans chaque territoire, en plus des préfets.

Je suis d'accord avec notre collègue Montaugé sur les enjeux de priorisation, même s'il est logique, avec peu de moyens, de vouloir retrouver un tissu industriel dans les territoires qui ont déjà de l'industrie, y compris des industries menacées, comme dans le quart nord-est de la France, où la désindustrialisation a eu des conséquences culturelles, sociales et politiques.

Dans la logique d'industrialisation de certains territoires, il faut prendre en compte l'économie circulaire, c'est-à-dire la coordination entre différents types d'acteurs servant un même projet, parfois des mêmes filières.

Lors de son audition, le président de la chambre de commerce et d'industrie nous a dit qu'il aimerait inscrire des critères de proximité dans les marchés publics, à défaut de pouvoir y intégrer des préférences géographiques, ce qui est interdit. Mais si l'on parvient, en réalité, à fixer ces critères pour privilégier les producteurs locaux, il reste très difficile de les assumer d'un point de vue politique. Il faudrait l'assumer : c'est aussi une façon de construire avec les citoyens des territoires d'industrie.

En outre, le programme doit nécessairement s'articuler avec les autres outils existants en matière industrielle, comme le plan France 2030. La conditionnalité des aides est également indispensable. Les entreprises doivent garantir leur pérennité dans les territoires et leur orientation vers les filières d'intérêt général.

Mme Antoinette Guhl. - Je vous remercie de ce rapport sur un sujet capital. En effet, dans l'Est de la France, la désindustrialisation a handicapé non seulement toute la région, mais aussi sa population. Les effets de la désindustrialisation française sont lourds d'un point de vue social.

Je souscris à votre recommandation de pérenniser le programme, qui mérite même d'être renforcé. En effet, comment imaginer qu'un programme de cette ampleur ne soit financé qu'à hauteur de 4 millions d'euros ? Certes, d'autres sources de financement existent, mais il faudrait que ce financement soit réservé et à la hauteur de l'enjeu. En effet, l'emploi industriel continue de diminuer - à moins qu'il ne recommence à le faire -, des plans sociaux sont annoncés. Dans les territoires d'industrie, on a constaté 60 % de destructions d'emplois sur la période 2018-2023. L'objectif de maintenir l'emploi des entreprises dans ces territoires est donc loin d'être atteint. Le programme ne doit pas pour autant être arrêté, mais il faut tenir compte du fait que son objectif primordial n'a pas été rempli.

L'idée de nommer un délégué ministériel et de favoriser la coordination à l'échelle des régions est bonne. Il faut également, comme vous le suggérez, structurer des filières stratégiques, mais encore faudrait-il définir ce que sont ces filières au regard de l'avenir que nous envisageons pour notre pays. L'industrie en France repose sur des savoir-faire existants, mais elle doit se construire sur une vision d'avenir. Or celle-ci manque dans ce programme.

Un second objectif doit être de maintenir les fleurons de l'industrie française. Les industries existantes sont un « enjeu de vie » essentiel dans chaque territoire, notamment en matière sociale. Il faut en tenir compte.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Chère collègue, je tiens à vous remercier de nouveau d'avoir conduit la mission d'information relative aux politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source. L'actualité montre à quel point vous avez eu raison de vous emparer de ce sujet, qui fait désormais l'objet d'une commission d'enquête.

M. Daniel Gremillet. - Je suis assez réservé sur tous ces programmes : nous avons créé le programme Villages d'avenir, mais en réalité tous les villages sont d'avenir : leur évolution dépend de ceux qui les dirigent. Sur le programme Territoires d'industrie, nous devons nous montrer prudents dans un contexte où la France a tellement besoin de se réindustrialiser. Les territoires qui n'y participent pas peuvent subir une distorsion de concurrence par rapport à ceux qui y participent, sur le même marché. La distorsion de concurrence est un ennemi terrible - j'en ai fait l'expérience - qui peut faire la réussite d'un territoire ou au contraire le tuer. Je m'interroge sur ce risque.

De plus, dans le deuxième axe du rapport, vous abordez un sujet important en proposant de créer des postes de coordinateurs régionaux. Or certains territoires ont déjà des CCI, dont la vocation historique est d'accompagner le monde industriel. Compte tenu du contexte actuel, les frais de fonctionnement affectent lourdement les ressources des collectivités et il ne faudrait pas aggraver inutilement leurs difficultés alors qu'une coopération est possible entre les chambres consulaires, les CCI et les collectivités régionales. Mon département bénéficie d'une agence de développement économique, qui s'appuie sur l'architecture existante et le savoir-faire de la CCI, et n'a pas nécessité de nouvelles embauches. Ajouter des intervenants peut avoir des effets délétères sur l'efficacité.

Le lien entre le monde de l'entreprise et celui de l'éducation est essentiel. En la matière, il ne s'agit pas de jeter la pierre aux entreprises, qui ne sont pas fermées au monde de l'éducation. La recommandation qui vise à développer un lien interministériel est stratégique. On parle beaucoup de la nécessité de renforcer le lien entre le monde de l'entreprise, mais peu de choses sont faites, de sorte que les entreprises n'ont plus confiance et développent leurs propres systèmes de recrutement.

M. Alain Chatillon. - Je regrette de ne pas avoir été consulté sur ce dossier alors que je suis administrateur de Business France, administrateur du programme d'investissements d'avenir (PIA) et que j'ai créé la première pépinière d'industries en 1992. Dans ce cadre, grâce au financement d'une trentaine d'industriels de la région toulousaine, nous avons pu développer un « territoire d'industrie » en faisant venir une soixantaine d'entreprises et assurer le développement de la commune dont j'étais maire, laquelle est passée de 6 000 habitants en 1989 à 13 000 habitants aujourd'hui. Quelque cinquante-cinq entreprises sont venues s'y installer et nous avons associé trois communes et trois intercommunalités. Désormais, on estime que 200 000 habitants sont concernés par ce « territoire d'industrie ».

L'argent, nous allons le chercher dans les CCI et à Paris. Le programme ne coûte pas cher. Alors, cessons de dire que les territoires d'industrie coûtent cher ! Ce n'est pas vrai. Au sein de notre pépinière, une quinzaine d'entreprises, qui changent régulièrement, assurent le financement. Ainsi, on trouve des solutions, même dans des territoires en pleine ruralité, avec l'appui de la région - je le dis à mes collègues de l'Aveyron, du Lot et du Gers. Une quinzaine de territoires d'industrie fonctionnent très bien : il faut s'en inspirer.

Je regrette de ne pas avoir travaillé sur ce dossier. À Business France, avec plus de 3 000 salariés, nous avons appuyé les entreprises à l'international. Nous contribuons au programme Territoires d'industrie, et nous agissons aussi pour l'innovation. Le président de CCI France siège au conseil d'administration de Business France : ne cherchons pas ailleurs ce qui existe déjà.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je ne doute pas que les rapporteurs avaient ces éléments à l'esprit. Toutefois, conduire une mission suppose de déterminer un périmètre, tout le monde ne peut pas être auditionné et on ne peut pas visiter l'ensemble des territoires.

M. Henri Cabanel. - J'insiste à mon tour sur la nécessaire évaluation des politiques publiques. Le Sénat pourrait d'ailleurs en faire sa spécialité : c'est ainsi que nous arriverons à y introduire plus de cohérence.

Si je suis globalement d'accord avec vos propositions, je reviens sur le manque de lisibilité des stratégies de réindustrialisation. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas une vision claire de ces stratégies, y compris à l'échelon du Gouvernement, du fait d'un manque de transversalité entre ministères.

La réindustrialisation soulève la question de la confiance des parties prenantes. Dans ce climat anxiogène, nos industriels manquent de visibilité, ainsi que de stratégie de moyen et long terme. La culture politique de la prospective nous fait défaut.

Ainsi, comment peut-on assurer une certaine homogénéité entre territoires ? Certains sont plus riches que d'autres. Lorsque les élus ont une vision et des moyens, cela fonctionne bien mieux... Nous devons retrouver cette culture de la réindustrialisation dans les territoires qui en sont dépourvus.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - L'ingénierie, par sa nécessité et son financement, est une question constante. Ce budget très modeste de 4 millions d'euros a eu un véritable effet de levier puisque, comme l'a évoqué notre collègue Chatillon, une mutualisation se crée. Il s'agit, cher Daniel Gremillet, non pas de créer de nouveaux postes de coordinateurs régionaux, mais de trouver, au sein de l'agence économique régionale, de la CCI ou des EPCI, la personne qui pourra jouer ce rôle. Cela permet d'organiser un cofinancement sur un poste existant, ce que les territoires demandent. Cette logique de mutualisation est une condition de la sobriété des coûts, mais aussi de la réussite du dispositif, car les territoires qui fonctionnent en silos ne peuvent prospérer.

Ce que Yannick Jadot appelle l'économie circulaire, nous l'avons vue avec l'expérience, menée chez certains de nos voisins, du district ou de la grappe, où une multitude d'acteurs se retrouvent, en synergie, sur un projet. C'est la plus-value de la méthode des territoires d'industrie : il s'agit de créer les conditions d'une coopération entre tous les acteurs locaux, pour la recherche de main-d'oeuvre, l'innovation ou encore la mutualisation des coûts, afin de structurer une mini-filière sur place.

Quant au manque de lisibilité souligné par Henri Cabanel, c'est effectivement le chaînon manquant. Sans imposer des stratégies, car la dynamique des territoires d'industrie est ascendante, il faut une lecture plus transversale au service de la souveraineté industrielle, avec un accompagnement par le territoire.

J'invite chacun à se plonger dans le rapport, qui va dans le sens de nombre de vos propos, mes chers collègues.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Pour répondre à Antoinette Guhl, les coordinateurs régionaux sont en train de se mettre en place. N'oublions pas que la grande plus-value de la phase II du dispositif est la constitution en plus des binômes élu-industriel des chefs de projet locaux.

Pour prolonger vos propos, cher Daniel Gremillet, les agences économiques régionales ont parfois de solides camps de base dans les départements, et qui sont parfois cogérés par les deux collectivités, comme c'est le cas dans mon département de Savoie. Des personnels dédiés de manière transversale à l'industrie à l'échelon régional pourraient très bien jouer ce rôle de coordinateur régional, sans ajouter une nouvelle couche. Le lien interministériel est primordial, comme vous le soulignez : nous souhaitons sa mise en oeuvre.

Pour répondre à Alain Chatillon, nous parlons du dispositif Territoires d'industrie proprement dit, et non de ce qui a été fait avant, qui a certes abouti à de magnifiques résultats dans des secteurs dynamiques où les élus sont allés de l'avant.

M. Alain Chatillon. - La pépinière d'entreprises a été déterminante !

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Toujours est-il que notre mission était d'évaluer ce dispositif venu plus tard que d'autres actions menées dans certains départements et qui allaient dans le même sens : je pense par exemple, dans mon département, à Savoie Technolac.

Sur les coûts, il faut pérenniser ce qui existe, qui est peu coûteux. L'intérêt est de mettre tout le monde autour de la table et de mobiliser les outils de droit commun et les partenaires. Nous n'entendons pas ajouter encore des crédits.

Nous avons bien auditionné Business France ; CCI France nous a transmis des observations écrites, en réponse à nos questions. Cela figure dans le rapport.

M. Rémi Cardon, rapporteur. - Je rappelle les quatre axes initiaux du programme Territoires d'industrie : attirer les investissements vers les territoires ; recruter de la main-d'oeuvre, notamment industrielle ; innover pour gagner en compétitivité ; enfin, simplifier pour faciliter le quotidien des industriels.

Ce que nous retenons, c'est le besoin de simplification. À cet égard, vos questions sont révélatrices. Dans ma région des Hauts-de-France, une coordination entre le dispositif régional « Rev3 » et le nouvel axe « transition écologique » de la phase II du programme Territoires d'industrie aurait du sens. Or chacun agit dans son coin. Il est difficile dans ces conditions pour les industriels d'avoir de la visibilité, car chaque collectivité a un guichet. Au dispositif régional s'ajoutent le Fonds vert et des dispositifs très peu connus, comme le volontariat territorial en entreprise (VTE) : les représentants de lycées professionnels et d'écoles d'ingénieur que j'ai interrogés le connaissaient à peine. Il faut donc aussi faire connaître ce qui existe, car même les acteurs de l'écosystème en sont parfois à peine informés...

Pour répondre à Yannick Jadot, dans l'esprit de l'économie circulaire, notre rapport mentionne aussi la recherche d'alliances et de coordination à l'échelon européen. La région pourrait jouer un rôle dans ce domaine. Nous avons commencé à le faire pour l'industrie pharmaceutique, mais nous pourrions aussi penser à l'automobile. Ainsi, les territoires d'industrie français pourraient devenir les acteurs de futures alliances avec des équivalents, par exemple, italiens ou espagnols.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Les territoires d'industrie moteurs et innovants le demandent, d'ailleurs. Les attentes sont considérables et les propositions nombreuses. Ces démarches régionales sont aussi une manière de l'avenir de ce dispositif en lequel ils croient et qu'ils veulent faire prospérer.

M. Vincent Louault. - Je connais bien les services économiques des intercommunalités et des régions, qui ont réussi à constituer un écosystème qui fonctionnait bien. Cependant, la volonté de l'État a été de ramener les sous-préfets autour de la table et d'en faire les organisateurs des territoires d'industrie. Dans mon territoire, cela a été très mal vécu. En effet, cela marchait déjà très bien sous la gestion des communautés de communes ! Il y a là une tentative de l'État de mettre son nez dans des systèmes qui fonctionnent.

Membre du Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), je rendrai prochainement un rapport sur le volet Énergie de France 2030. Le manque de stratégie est catastrophique ! Ne serait-ce que sur la consommation d'électricité sur les quinze prochaines années, l'Ademe, le ministère de l'environnement ou le Réseau de transport d'électricité (RTE), chacun produit sa propre stratégie !

Dans mon territoire, Territoires d'industrie ne fonctionne pas, mais la démarche est forcée par le préfet. Un VTE a été embauché pour faire de la coordination : c'est l'armée mexicaine ! Alors que la vraie vie, ce sont des prises de décision entre chefs d'entreprise. Il faut répondre aux attentes des chefs d'entreprise, qui ne sont pas que des méchants. Nous devons répondre à leurs attentes de manière pragmatique, et ce n'est pas un sous-préfet à la relance qui remettra la machine en route.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Nous voyons clairement ce que vous décrivez. Nous sommes passés de 149 à 183 territoires d'industrie : il y a une volonté d'en créer partout, parfois effectivement à l'initiative de certains préfets. Mais dans ce cas, ils ne fonctionnent pas ! C'est pourquoi nous recommandons plutôt de cibler les territoires qui ont mis en oeuvre une stratégie partagée, avec l'implication des acteurs économiques, parce que ceux-là réussissent, et réussissent très bien. C'est le cas notamment là où les élus sont impliqués, comme Sébastien Martin, président du Grand Chalon.

Ainsi, un territoire d'industrie est profitable à certaines conditions. Or malheureusement, il y a de nombreux territoires « pipeau ». Antoinette Guhl disait que beaucoup d'emplois étaient supprimés dans les territoires d'industrie. C'est vrai, car souvent ni plus-values ni structuration n'ont été suscitées. Ainsi, il s'agit non de mettre de côté les autres territoires, car tous ont le droit au développement industriel, mais de faire la part des choses quant aux conditions du succès et aux endroits où ce programme apporte une plus-value.

M. Franck Montaugé. - Je remercie les hauts fonctionnaires qui animent le programme Territoires d'industrie, d'abord M. Olivier Lluansi puis M. Jean-Baptiste Gueusquin.

Quelles suites donner à ce travail ? Ce sujet est un exemple typique de la complexité française, source d'inefficacité. Nous pourrions aussi étendre cette démarche à d'autres programmes ou secteurs, comme les pôles de compétitivité. Comment poursuivre le travail, en dialoguant avec tous les acteurs confrontés à la complexité administrative et l'empilement des structures et guichets ? Nous devons simplifier. C'est un sujet fondamental pour l'avenir.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Le mode de fonctionnement ascendant du dispositif est tout à fait intéressant. Ce qui n'a pas fonctionné, c'est ce que les sous-préfets ont imposé. Le programme ne fonctionne que si les volontés existent dans le territoire, autour du trinôme chef de projet, élu et industriel. Il faudra tirer un bilan de toutes ces expériences.

M. Franck Montaugé. - Nous parlons ici de la gestion de projets complexes. En entreprise, des techniques particulières existent, de l'étude d'opportunité à l'évaluation in itinere des objectifs fixés. Il ne revient pas au législateur d'aller dans un tel niveau de détail, mais il faut pointer certaines déficiences.

M. Henri Cabanel. - Tout à fait, et il s'agit d'argent public !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cette forme de contrôle sénatorial de proximité est une première. Par ailleurs, la commission des lois travaille sur la question. Elle rendra un rapport et des directives en la matière au début de l'année 2025. Il faut creuser cette nouvelle opportunité dont nous nous sommes saisis, pour que ce type de contrôle soit le plus utile possible au pays. Il y va en effet de l'efficience de la dépense publique.

M. Franck Montaugé. - J'avais déjà proposé la création d'une commission interparlementaire sur ce sujet. Le Sénat pourrait créer une délégation à l'évaluation de l'efficacité des politiques publiques qui pourrait reprendre, sur certains points, des travaux des commissions permanentes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le drame, c'est que notre pays n'ait pas la culture de l'évaluation.

M. Henri Cabanel. - C'est très grave !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un des seuls contre-exemples est la politique de la ville, qui a été régulièrement évaluée, depuis sa création. L'évaluation manque dans de nombreuses politiques publiques.

M. Rémi Cardon, rapporteur. - En attendant la nomination du nouveau gouvernement, nous pourrions au moins proposer un débat de contrôle en séance sur le programme Territoires d'industrie, pour tester la feuille de route du futur ministre en charge de l'industrie.

M. Alain Chatillon. - La vraie question, c'est l'aide aux entreprises que l'on a identifiées, et non le financement de ceux qui travaillent pour le programme ! Dans mon territoire, le programme représente trois chefs d'entreprise, adjoints des intercommunalités, et une seule secrétaire. En revanche, les entreprises ont besoin d'aide et d'accompagnement. Ne mélangeons pas tout, sinon nous allons rigidifier le programme et finir par coûter cher à l'État.

M. Franck Montaugé. - Chaque territoire a ses spécificités. Certains territoires connaissent un développement économique très important, d'autres non. Certains se posent la question même de leur avenir économique et industriel.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Communication en vue de la sollicitation de l'avis de l'Autorité de la concurrence sur le fonctionnement du marché français de l'agroéquipement

M. Franck Menonville. - Nous abordons à présent un sujet qui appelle mon attention depuis longtemps. J'y suis sensibilisé à la fois en tant qu'agriculteur, élu et rapporteur au nom de la commission des affaires économiques de plusieurs projets de loi, propositions de loi, avis budgétaires et missions sur les enjeux agricoles.

Nous sommes nombreux à avoir été sensibilisés aux coûts que représentent les agroéquipements et les machines agricoles, désormais estimés à plus de 25 % des charges d'exploitation des agriculteurs, en hausse de 30 % en trois ans.

Les agroéquipements sont omniprésents dans la vie des travailleurs agricoles et forestiers et indispensables à toute exploitation et à tout travail agricole ; or nous nous intéressons insuffisamment à leur fabrication, à leur distribution, à leurs conditions de vente et de revente et surtout à la façon dont les prix sont déterminés pour les utilisateurs finaux, les agriculteurs et leurs coopératives.

Déjà, en 2021, le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) recommandait, dans son rapport sur la charge de mécanisation des exploitations agricoles, de « lancer une étude sur le fonctionnement du marché des agroéquipements et [d']analyser les évolutions possibles à apporter pour rééquilibrer les relations entre les acheteurs et les fournisseurs ».

Dans le contexte politique actuel, où une attention toute particulière est portée à la question du revenu agricole, nous ne pouvions rester sourds à cette demande.

Je pensais d'abord demander la constitution d'une mission d'information sur ce sujet, mais, après réflexion, la présidente de la commission m'a conseillé de solliciter plutôt l'avis de l'Autorité de la concurrence, afin d'analyser le fonctionnement du marché français de l'agroéquipement. L'Autorité, grâce à ses prérogatives, ses compétences et son expertise, me semble être l'entité la plus adaptée pour réaliser une telle étude, analyser les dynamiques concurrentielles à l'oeuvre sur ce marché et éventuellement émettre des recommandations afin d'en améliorer le fonctionnement. C'est une démarche de plus long terme, plus engageante, qui nous permettra collectivement de bénéficier de l'expertise reconnue de l'Autorité en matière d'analyse de marché et éventuellement d'identifier les leviers à notre disposition pour améliorer les conditions d'exercice du métier d'agriculteur.

Je tiens à clarifier un point dès maintenant, afin d'éviter toute confusion quant à la démarche qui est la nôtre. En réponse à une sollicitation d'une commission parlementaire, l'Autorité de la concurrence peut se prononcer sur le fonctionnement d'un secteur, mais non sur des comportements d'entreprises qui pourraient relever d'une pratique anticoncurrentielle.

Par ailleurs, je ne souhaite en aucun cas faire ici le procès de la mécanisation. Les agroéquipements ont permis aux agriculteurs français, permettent encore et permettront toujours d'améliorer la compétitivité et la viabilité économique de leurs exploitations, de réduire considérablement leur pénibilité au travail ou encore de développer des services de précision facilitant la transition agroécologique et l'adaptation au changement climatique.

Ainsi, tout l'intérêt de solliciter l'Autorité de la concurrence est d'effectuer un travail objectif, « à froid », qui ne soit ni partisan ni idéologique.

Je souhaite désormais vous exposer les différents points d'attention que j'ai identifiés et qui constitueront les grands axes de la sollicitation de l'avis de l'Autorité par la commission des affaires économiques.

Afin de faciliter le lancement des travaux de l'Autorité de la concurrence, différents acteurs ont été sondés, même s'ils n'ont pas tous répondu, permettant de réunir de premiers éléments de documentation qui seront transmis à l'Autorité. Ont ainsi été contactés : l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca) ; la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ; la Fédération nationale des coopératives d'utilisation des matériels agricoles (FNCuma) ; le Syndicat français des acteurs industriels de l'agroéquipement et des espaces verts (Axema) ; le Syndicat national des entreprises de services et distribution du machinisme agricole, d'espaces verts et des métiers spécialisés (Sedima).

Il résulte de ces consultations préparatoires que le premier axe de travail devrait porter sur l'évolution des prix des machines et des équipements agricoles, sur le marché du neuf comme sur celui de l'occasion.

L'objectif est d'évaluer l'évolution de la part des charges de mécanisation parmi les coûts de production des exploitations agricoles, cette part étant aujourd'hui estimée à plus de 25 %. Surtout, il serait particulièrement intéressant de disposer d'une description de la formation des prix des machines et des équipements agricoles tout au long de la chaîne de valeur, jusqu'aux agriculteurs, autrement dit d'avoir une idée de la marge captée par chaque grande catégorie d'acteurs, à chaque étape de la chaîne de valeur, de la fabrication des agroéquipements jusqu'à leur vente finale.

Par ailleurs, les travaux de l'Autorité nous donneraient un meilleur aperçu de l'état du marché français des constructeurs de machines agricoles et des fabricants d'agroéquipements.

A priori, c'est un marché dynamique, en croissance, majoritairement tourné vers l'export, ce qui ferait de la France le troisième producteur européen et le huitième producteur mondial d'agroéquipements, pour une production estimée à 8,5 milliards d'euros. Sur le marché français, qui est composé d'un maillage de 500 à 600 entreprises, dont une grande majorité de TPE-PME, représentant plus de 26 000 salariés, la place occupée par les filiales des grands groupes internationaux, notamment des cinq grands tractoristes mondiaux, semble de plus en plus importante.

Ensuite, la plupart des interrogations portent sur les relations entre les constructeurs d'une part et les distributeurs et concessionnaires d'autre part, qui seraient environ 2 700 en France.

Plus précisément, ce sont les contrats d'exclusivité territoriale négociés entre constructeurs et concessionnaires pour distribuer leurs produits sur une zone géographique donnée qui sont considérés, dans le rapport du CGAAER et les articles de recherche qui nous ont été transmis, comme de potentiels éléments de déséquilibre des relations entre fournisseurs et acheteurs, car ils réduisent l'offre disponible et peuvent avoir un effet sur les prix de vente.

Ainsi, les travaux de l'Autorité de la concurrence pourraient nous éclairer sur les éventuels accords passés entre constructeurs et distributeurs, sur les conditions d'acquisition du matériel agricole neuf par les concessionnaires, mais également sur les conditions de reprise et de vente du matériel d'occasion, d'achat et de revente de pièces détachées, ainsi que de vente de services annexes d'entretien et de réparation. Il s'agit de couvrir toutes les dimensions du marché.

Enfin, la sollicitation de la commission des affaires économiques porte également sur les mécanismes de crédit, de prêt et de financement des agroéquipements qui peuvent être directement ou indirectement proposés par les constructeurs et les distributeurs pour faciliter l'achat de matériel agricole, en particulier lorsqu'il s'agit d'acquérir du matériel neuf. Une nouvelle fois, il s'agit de déterminer si les mécanismes existants peuvent avoir pour effet indésirable d'augmenter les prix pour les agriculteurs.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, c'est le leitmotiv de toute la démarche que nous entreprenons. C'est pourquoi, avec l'accord de la présidente, nous sommes arrivés à la conclusion qu'une sollicitation de l'Autorité de la concurrence serait, sur ce sujet, plus pertinente qu'une mission d'information parlementaire.

M. Daniel Gremillet. - Il semble que la France ait perdu une forme de colonne vertébrale, celle que constituaient les grands industriels de la mécanisation agricole. Nous sommes devenus dépendants d'autres pays.

L'action de certains constructeurs dans les territoires est presque scandaleuse. Les pertes d'enseigne sont très brutales, induisant des trajets très longs pour les agriculteurs, ce qui va à l'encontre de la réduction du bilan carbone de l'agriculture. Surtout, nous avons perdu en proximité, ce qui pose des difficultés pour réparer les machines.

De plus, tous les équipements sont connectés. Les constructeurs compilent des données très précieuses et en dépouillent les agriculteurs.

Enfin, je dénonce une forme d'abus, qui consiste à n'assurer une garantie et la maintenance que si l'agriculteur achète la totalité des sous-produits d'entretien. Nous payons très cher cette forme d'intégration, au bénéfice de quelques-uns et au détriment de l'agriculture. Certains se servent au passage.

M. Laurent Duplomb. - Ce sujet est très important. Le modèle d'agriculture français est resté très familial, contrairement au reste du monde. Dès lors, cela a des incidences sur le matériel. Un exemple : en 2014, j'ai changé trois tracteurs, pour une soulte de 80 000 euros. Dix ans plus tard, pour changer de nouveau ces trois tracteurs, j'ai d'abord dû ajouter 20 000 euros d'options supplémentaires, nécessaires ; quant à la soulte, elle était de  240 000 euros !

Ainsi, ce triplement en dix ans du prix du matériel de traction, et sans parler de tout le matériel associé, oblige les entreprises familiales à se regrouper en coopérative d'utilisation de matériel agricole (Cuma), pour diviser les coûts. Il nous faut comprendre pourquoi les coûts ont triplé entre 2014 et 2024.

Il existe deux catégories de matériel : les tracteurs et matériels attelés, et les nouveaux matériels tels que les robots de traite ou d'alimentation, ce qui change totalement la donne. Certaines marques demandent obligatoirement d'utiliser les produits vendus par la marque et d'autres font signer à l'agriculteur une interdiction de critiquer le matériel publiquement ! Pis, la remontée obligatoire des données fait que ces dernières sont totalement perdues pour l'agriculteur, qui ne peut y avoir accès que de manière payante.

S'ajoutent deux problèmes liés à la maintenance. Premièrement, la maintenance obligatoire a un coût supplémentaire qui s'ajoute aux amortissements, augmentant les charges de mécanisation. Deuxièmement, quand, avec un robot de traite, on ne dispose que d'une stalle pour cinquante ou soixante-dix vaches, cela impose de traire toute la nuit. En cas de panne en pleine nuit, il faut absolument se faire dépanner, car les retards s'accumulent très vite. Or comment assurer une telle maintenance quand il est si difficile de trouver des opérateurs prêts à dépanner en pleine nuit ?

Auparavant, quand il n'y avait plus de courant, un agriculteur pouvait faire tourner sa machine à traire en la branchant sur son tracteur ou sur un groupe électrogène. Aujourd'hui, sans courant, il est impossible de faire marcher la moitié des machines de l'exploitation, les groupes électrogènes ne sont pas assez puissants.

L'agriculteur est donc à la fois pris au piège des pannes et défaillances et dans l'impossibilité de se faire dépanner. Les dommages économiques peuvent être très importants.

J'en viens enfin aux options. Le prix du matériel a considérablement augmenté, car les fabricants sont toujours à la recherche de nouvelles options. Je pense par exemple aux options pour faciliter la mise en route de la prise de force du tracteur, mais tout cela coûte de plus en plus cher, à l'achat comme en maintenance.

S'ajoutent les options liées aux obligations écologiques. Nous devons aujourd'hui passer tous les moteurs diesel à l'AdBlue : on injecte de l'urée dans les fumées pour réduire leur nocivité. Cependant, quand le tracteur est équipé d'un chargeur, c'est-à-dire quand il n'accélère pas correctement à plus de 1 500 ou 1 700 tours par minute, le système AdBlue vient boucher les filtres, créant des contraintes et des coûts d'utilisation du matériel très importants.

M. Pierre Médevielle. - L'augmentation du prix du matériel est semblable à celle du prix des voitures, à cause de l'électronique, de la course aux chevaux fiscaux. On aura du mal à interférer dans les relations entre constructeurs et concessionnaires, qui relèvent du droit commercial.

Laurent Duplomb a évoqué les exploitations familiales, dont il subsiste un certain nombre. Leur taille pose parfois problème, malgré la généralisation des Cuma. Ce que je constate, c'est un suréquipement. Il y a une course à l'équipement, pour en avoir un toujours plus puissant, plus moderne, plus polyvalent. Comment y remédier ? Faut-il plus de conseil dans les chambres d'agriculture, pour que les agriculteurs qui veulent s'équiper fassent un bilan de ce qu'ils peuvent acheter ?

Il y a eu des complicités bancaires. Certains organismes ont accordé des prêts qu'ils n'auraient jamais dû accorder, en sachant pertinemment que l'agriculteur emprunteur ne pourrait pas rembourser, mais qu'il avait hypothéqué ses terres pour le double de la valeur du matériel.

Il sera difficile de sortir de la logique actuelle. Il faudra augmenter la taille des exploitations, par d'autres remembrements, pour pouvoir amortir le matériel. L'amortissement du matériel doit rester constamment à l'esprit : quelle est la possibilité d'amortissement sur telle surface ? C'est en fonction de la réponse à cette question que l'on s'équipe ou non.

Mme Annick Jacquemet. - Je suis très contente que Franck Menonville se saisisse de ce sujet, car j'ai été très choquée, lors des manifestations d'agriculteurs, de voir des milliards d'euros sur les routes, sous la forme de tracteurs tous plus gros les uns que les autres. Comment les jeunes agriculteurs les financent-ils ? Ne sont-ils pas influencés par les vendeurs de machines agricoles à faire des frais ? Mais à la fin de l'année, ce que l'on rembourse, c'est autant de revenus en moins.

Nombre de représentants venaient dans ma clinique vétérinaire me dire qu'il me fallait telle ou telle machine. Il faut savoir leur dire non. Je me demande si les jeunes agriculteurs qui s'installent ne sont pas soumis à pareille pression. Il y a sans doute quelque chose à faire du côté du conseil.

M. hristian Redon-Sarrazy. - Je voudrais évoquer les données. Une dépendance sournoise s'installe via le matériel, qui alimente ces données. Celles-ci échappent à l'agriculteur. Cela abîme aussi notre souveraineté.

Le travail sur les données est l'axe majeur de la construction de la marge, aussi bien pour les intrants que pour les achats d'aliments. C'est un travail de plus en plus fin.

On ne sait pas qui opère sur ces données. Les vendeurs de matériel font leurs petites affaires dans leur coin. Ils négocient de gré à gré avec l'agriculteur. On n'y voit pas clair du tout. Or ces données qu'ils emmagasinent sont très importantes pour l'avenir. Il serait intéressant d'explorer ce volet. Si, demain, on se trouve dépossédé de ces données, ou si l'on ne peut plus y accéder sans payer des royalties importantes, on aura un problème de souveraineté.

M. Pierre Cuypers. - On parle de machinisme, mais on devrait parler de tous les matériels agricoles.

Notre France est bien fragilisée. Nous n'avons plus aucune marque française de tracteurs ni de moissonneuses-batteuses. Nous dépendons du reste du monde pour le fonctionnement de nos exploitations agricoles.

Nous sommes très fragilisés par le manque de formation et de personnel de maintenance qualifié. Les marchands de machines agricoles peinent à recruter. Les agriculteurs achètent des machines sophistiquées pour améliorer les performances, mais personne n'est là pour les réparer judicieusement.

J'aimerais aussi que nous parlions de la standardisation des normes des constructeurs. Les circuits hydrauliques sont différents d'une marque à une autre.

M. Patrick Chauvet. - Je remercie Franck Menonville d'aborder ce sujet compliqué.

Pourquoi en est-on là ? L'origine de cette perte de souveraineté remonte à l'après-guerre. Quand vous détenez la machine-outil, vous détenez l'industrie. Certains de nos concitoyens sont surpris qu'il n'y ait plus de marque française de tracteurs ou de moissonneuses-batteuses. Mais ce n'est pas nouveau.

À titre personnel, en tant qu'agriculteur, j'ai développé la mutualisation au maximum grâce aux Cuma. Au sein d'une Cuma, on connaît le coût d'utilisation du matériel. Or on est en train de perdre pied, même avec du matériel mutualisé. Le prix des outils a tellement augmenté que le coût d'utilisation n'est plus raisonnable. Nous sommes presque arrivés à la fin des solutions passant par l'agrandissement des exploitations et par la mutualisation. D'autres solutions sont difficiles à trouver.

Pour réparer certaines machines, le concessionnaire français doit disposer des codes d'accès de la maison-mère aux États-Unis.

En Seine-Maritime, terre d'élevage, il reste un seul concessionnaire en matériel d'élevage. Imaginez, si vous tombez en panne un dimanche...

Le travail de l'Autorité de la concurrence mettra en lumière des choses surprenantes.

Les Cuma subissent l'évolution des coûts autant que les agriculteurs à titre individuel. Tout cela est dû à la désindustrialisation de notre pays. Mais tout n'est pas aux États-Unis. On vient de me parler d'une machine italienne dont le prix a augmenté de 30 % en quatre ans. En Europe, certains ont su maintenir leur capacité de production.

M. Jean-Claude Tissot. - Pour une fois, je suis quasiment d'accord avec tous les propos de Laurent Duplomb.

Je suis très favorable au travail en Cuma. Toutes les analyses financières démontrent que le prix de revient d'un achat collectif est moindre, mais tout ne peut pas être acheté en Cuma.

L'exemple personnel donné par Laurent Duplomb est frappant. Pourquoi changer trois tracteurs à la fois ? Pour faire de l'optimisation ! Le système fiscal français entraîne un tel choix. Nous devrions voter une réforme fiscale sur ce point.

On parle souvent de la dépendance des paysans vis-à-vis des semenciers. C'est exactement la même chose concernant le matériel : les constructeurs réalisent une captation intellectuelle et technologique. L'agriculteur ne possède plus rien. Le fabricant du robot de traite a plus de connaissances sur la ferme que l'éleveur lui-même. C'est un problème.

Le marché de l'occasion est aussi en cause, dans le problème évoqué par Laurent Duplomb. Les tracteurs sont repris à un niveau moins élevé, ce qui enchérit d'autant la soulte. Comme les concessionnaires n'arrivent plus à dégager de marge sur le neuf, ils en dégagent sur l'occasion.

Dans les lycées agricoles, on en est encore à dire qu'un gros tracteur est synonyme de puissance. Certains gamins ont les yeux qui brillent en regardant un tracteur de 250 chevaux alors qu'un tracteur de 120 chevaux suffirait dans leur ferme. Il faut les former sur ce point.

Je vois des tracteurs de 150 chevaux qui servent à mettre une botte de 200 kg dans un râtelier chaque matin. C'est 100 chevaux de trop, payés tous les jours ! Un cheval fiscal neuf coûte 1 000 euros : voilà donc 100 000 euros. Je ne cherche à convaincre personne. Je dresse juste un constat.

Souvent, c'est le poste budgétaire relatif à la mécanisation qui plonge dans le rouge les exploitations qui relèvent de ce que l'on appelait Agridiff, l'aide aux agriculteurs en difficulté.

M. Henri Cabanel. - Je remercie Franck Menonville de son travail préparatoire. Je ne sais toutefois pas où les conclusions de l'Autorité de la concurrence mèneront. Que deviendront-elles ?

On évoque le coût de l'agroéquipement. Tout le reste est hors sujet, même s'il faut constater que, quand on a la chance, malgré les aléas climatiques, de réaliser une bonne récolte, les concessionnaires sont contents parce qu'ils vendent. Et en effet, il y a un suréquipement.

L'achat de matériel tracté est souvent subventionné par FranceAgriMer. Et l'on s'aperçoit que plus on accorde de subventions, plus les prix augmentent. Il y a là un sacré problème de lisibilité et de transparence. Il faut pointer du doigt cette relation de cause à effet.

M. Jean-Claude Tissot. - On a peut-être un travail à mener auprès des constructeurs pour qu'ils s'orientent, comme dans l'automobile, vers le low cost. Ils pourraient construire des tracteurs de 100 chevaux complètement mécaniques comme il y a trente ou quarante ans, qui ne tombent jamais en panne ! Ces tracteurs coûteraient jusqu'à cinq fois moins cher que ceux qui sont vendus actuellement. Il y aurait une marche arrière dans l'équipement. Cela deviendrait suranné d'utiliser du matériel inadapté. En effet, on utilise un tracteur à 10 % de ses capacités ! Je mets chacun au défi de démarrer un tracteur. Juste démarrer !

M. Daniel Salmon. - Merci à Franck Menonville. Plus largement, c'est la question du modèle agricole qui est posée. Certains s'engraissent certainement sur le dos des agriculteurs. Le suréquipement entraîne du surinvestissement, qui entraîne du surendettement, qui entraîne un malaise agricole.

Il s'agit non pas de faire le procès du machinisme agricole, mais de se poser la question de l'origine de la situation. La France est l'un des pays, dans le monde, où les tracteurs ont le plus de chevaux fiscaux à l'hectare. Cela est dû, en partie, à l'agrandissement, qui appelle des engins de plus en plus puissants. L'agriculteur qui travaille déjà beaucoup essaie d'être le plus efficient possible.

La dépendance terrible vis-à-vis du constructeur pose un problème de souveraineté. Les équipements sont de plus en plus complexes. La technologie entraîne une extrême dépendance. L'agriculteur perd de la robustesse et le système se fragilise. Il faut se poser la question des prix, des marges et de la concurrence, mais il faut aussi s'interroger sur les raisons pour lesquelles on va vers ces matériels de plus en plus coûteux et fragiles.

Mme Marie-Lise Housseau. - En tant qu'ancienne directrice de chambre d'agriculture, j'évoquerai le conseil apporté aux jeunes au moment de l'installation : on essaie systématiquement de leur faire comprendre l'impact du coût du matériel sur leur comptabilité. On leur montre le coût en Cuma et en achat. On les incite à travailler le plus possible en Cuma. Mais comme disait mon ancien président de chambre d'agriculture, les agriculteurs aiment la ferraille ! Il est très difficile de lutter contre ce goût. Le choix de l'achat n'est pas toujours rationnel. Il y a un attrait pour la mécanique et les dernières options.

Les chambres d'agriculture n'ont pas de relation très suivie avec les concessionnaires. Ces derniers viennent les voir pour faire de la publicité dans les journaux agricoles, mais leurs intérêts sont contraires à ceux des chambres. Ils veulent vendre alors que les chambres essaient de diminuer la charge de la mécanisation.

Un temps, le plan d'amélioration matérielle (PAM) donnait accès à des prêts bonifiés, un intéressant dispositif d'aide d'État à l'investissement, par lequel l'agriculteur bénéficiait d'un véritable conseil extérieur au moment de l'acquisition de matériel. Cela n'existe plus. Désormais, les concessionnaires formulent leurs propres propositions de prêts. Il est regrettable que les agriculteurs, lorsqu'ils font leurs choix, ne soient plus protégés par des garde-fous.

La proposition qui figurait dans le dernier projet de loi de finances de mettre en place un système de conseil global, systématique et indépendant au bénéfice des exploitants, qui intègre l'agroéquipement tout en ménageant une vision durable de l'agriculture, semblait pertinente. Il conviendrait de la reprendre.

Enfin, compte tenu de l'ampleur des dérapages que nous constatons, il serait souhaitable de réaliser le travail évoqué par Franck Menonville, propice à la transparence et à la moralisation des relations des agriculteurs avec leurs fournisseurs et distributeurs.

M. Vincent Louault. - Pour information, la France détient le quatrième parc mondial de tracteurs rapporté à l'hectare.

Entre parenthèses, il importe que la profession agricole reconsidère ses demandes de défiscalisation qui, sous-tendues par la volonté de payer moins de charges sociales auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA) et moins d'impôts, entraînent une décorrélation entre durée de l'amortissement et fiscalisation.

M. Jean-Claude Tissot. - Je ne dis pas autre chose !

M. Vincent Louault. - Je souhaite que la question des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des matériels spéciaux, tels que la machine à traire automatique, soit posée à l'Autorité de la concurrence. En la matière, dès qu'un exploitant s'adresse à une marque, il ne reçoit pas autre chose qu'une offre groupée.

Par ailleurs, lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, je vous soumettrai un amendement visant à obliger l'ensemble des fabricants, d'une part, à remettre aux agriculteurs, une fois par an, un rapport sur les données numériques qu'ils accumulent sur eux à partir de l'utilisation du matériel qu'ils leur vendent et, d'autre part, à ménager un accès à leurs bases de données. Pour l'heure, ces données sont transférées à l'étranger, particulièrement aux États-Unis - nombre de concessions relèvent notamment de la marque John Deere -, où elles sont exploitées à l'aide de l'intelligence artificielle en vue de concevoir l'agriculture de demain. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) nous donnent aujourd'hui les moyens de les y contraindre. Il s'agit là d'un enjeu de souveraineté.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je salue l'initiative de Franck Menonville. Elle peut constituer une première étape sur un sujet beaucoup plus vaste et qui suscite d'autres questions. Cette initiative peut utilement mettre l'accent sur les techniques de vente utilisées, peut-être sur des abus de position dominante ou des pratiques anticoncurrentielles. Peut-être aussi conviendrait-il de se pencher sur le cumul des dispositifs régionaux qui entraînent une augmentation des prix en fonction des subventions qui sont accordées. Enfin, est-il envisageable d'étendre la sollicitation de l'Autorité de la concurrence au matériel forestier, pour la logique à l'oeuvre est tout à fait analogue ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est inclus dans les agroéquipements.

M. Franck Montaugé. - Merci à Franck Menonville pour son travail préparatoire particulièrement intéressant. Je poserai une question et je ferai une remarque.

Les centres de gestion et autres cabinets comptables qui suivent les exploitations au quotidien me semblent jouer un rôle de conseil pour éclairer les décisions lourdes de conséquences que prennent les agriculteurs. Le rapport aborde-t-il ce sujet ?

Par ailleurs, nos échanges nous confortent dans l'idée que le Sénat aurait tout intérêt à constituer une commission d'enquête, afin de faire toute la transparence sur la chaîne de valeur qui s'étend du producteur-agriculteur au consommateur, en prenant en compte l'ensemble des postes de dépense. Le coût de l'achat de matériel pèse également lourdement, en fin de chaîne, sur le consommateur.

M. Jean-Claude Tissot. - À partir de l'exemple de la séparation du conseil et de la vente instaurée par la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), quelle formule pourrions-nous retenir pour interdire à un constructeur de financer le matériel qu'il vend, autrement dit pour l'empêcher d'exercer le métier de banquier ? Soulignons que certains vendeurs touchent parfois une commission plus importante sur le prêt qu'ils réalisent que sur le matériel qu'ils cèdent.

M. Franck Menonville. - Je partage les remarques de l'ensemble des intervenants. À ce stade, il me paraît opportun de dissocier deux sujets.

D'un côté, il y a celui que nous ouvrons aujourd'hui avec la sollicitation de l'avis de l'Autorité de la concurrence : il s'agit d'objectiver le fonctionnement du marché, l'effet de l'inflation, les structurations territoriales des concessions et leurs conséquences, l'utilisation, la gestion et la valorisation des données, les enjeux de maintenance et de contraintes dans l'acquisition de consommables.

De l'autre, nous identifions le sujet de la mécanisation, de son coût, de la stratégie qui la sous-tend et de la question du conseil dont les agriculteurs peuvent bénéficier. C'est également un aspect important, mais il ne relève pas directement de la démarche que nous envisageons auprès de l'Autorité de la concurrence.

À propos du coût de la mécanisation, je signale que l'inflation constatée à hauteur de 30 % ne tient ni à la puissance des tracteurs ni à une augmentation de cette mécanisation ou à une forme de suréquipement des exploitations agricoles. Elle renvoie plutôt au nécessaire renouvellement des outils au fil du temps. Pour déterminer sa stratégie de renouvellement, l'agriculteur, qui est un chef d'entreprise, prend en considération différents éléments : l'optimisation de la valeur résiduelle du matériel qu'il peut revendre, le coût d'entretien croissant à mesure que le matériel s'use et la fiscalité qui le conduit à assurer un niveau constant d'amortissement.

Rappelons enfin que le dernier projet de loi de finances comprenait un dispositif fiscal visant à améliorer l'épargne de précaution des agriculteurs, pour lisser leurs revenus et ne pas les contraindre systématiquement à recourir à l'outil de l'investissement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, au regard de l'intervention du rapporteur Franck Menonville et de nos échanges nourris, je vous confirme solliciter dès aujourd'hui, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et pour la première fois depuis 2015, l'avis de l'Autorité de la concurrence sur le fonctionnement concurrentiel du secteur de l'agroéquipement, conformément aux dispositions de l'article L.462-1 du code de commerce.

Le champ, les objectifs, les modalités et la date de remise de cet avis pourront être précisés ultérieurement par des échanges complémentaires entre l'Autorité de la concurrence, le rapporteur et les services de la commission.

Mission d'information relative aux causes, aux conséquences et aux solutions à la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne - Désignation de rapporteurs

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ainsi que nous l'avions évoqué lors de la réunion du bureau d'octobre dernier, il nous reste deux missions d'information à lancer avant la fin de l'année 2024. La première, une mission d'information flash, porte sur les conséquences économiques de l'interdiction de la pêche dans le golfe de Gascogne, la seconde a trait aux difficultés de l'industrie automobile et à l'avenir de la filière automobile.

Je vous propose de désigner nos collègues Yves Bleunven, Alain Cadec, et Philippe Grosvalet pour mener les travaux de la première de ces deux missions d'information, étant par ailleurs précisé que la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne interviendra entre le 22 janvier et le 25 février prochains.

La commission désigne M. Yves Bleunven, M. Alain Cadec et M. Philippe Grosvalet rapporteurs de la mission d'information relative aux causes, aux conséquences et aux solutions à la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne.

Mission d'information relative à l'avenir de la filière automobile - Désignation de rapporteurs

La commission désigne MM. Alain Cadec, Rémi Cardon, et Mme Annick Jacquemet, rapporteurs de la mission d'information relative à l'avenir de la filière automobile.

Proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer - Désignation d'un rapporteur

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Par anticipation, sans connaître encore l'ordre du jour du Sénat et de notre commission à compter du 13 janvier prochain et de la reprise de nos travaux parlementaires, nous devons désigner les rapporteurs sur deux propositions de loi du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER). Sous réserve des conclusions de la conférence des présidents, puis des choix du nouveau Gouvernement, notre commission devrait en être saisie et pourrait les examiner le mercredi 22 janvier 2025, avant un possible examen en séance publique le 5 février suivant.

Pour la proposition de loi n° 198 présenté par Mme Audrey Bélim et plusieurs de ses collègues, expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, je vous propose de désigner comme rapporteur notre collègue Micheline Jacques, par ailleurs présidente de la délégation aux outre-mer.

La commission désigne Mme Micheline Jacques rapporteur sur la proposition de loi no 198 (2024-2025) expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, présentée par Mme Audrey Bélim et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Évelyne Renaud-Garabedian rapporteur sur la proposition de loi no 199 (2024-2025) visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, présentée par M. Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il me reste, mes chers collègues, à vous souhaiter d'excellentes fêtes de Noël et de fin d'année. Merci pour vos apports, riches de la diversité de vos expériences respectives, aux travaux de cette commission.

La réunion est close à 12 h 20.