Mercredi 15 janvier 2025

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Situation en Syrie - Audition de M. Fabrice Balanche, chercheur, maître de conférences à l'université Lyon 2

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à l'université Lyon 2 et chercheur associé au think tank Washington Institute, pour nous éclairer sur la nouvelle donne en Syrie et, plus largement, sur ses conséquences pour le Moyen-Orient.

Monsieur Balanche, vous êtes un très bon connaisseur de la Syrie, pays dans lequel vous avez longuement séjourné et auquel vous avez consacré de nombreux travaux. Le dernier ouvrage en date, Les leçons de la crise syrienne, est paru début 2024. Il mériterait sans doute un appendice au vu de l'offensive éclair du mouvement Hayat Tahrir al-Cham (HTC), parti d'Idleb le 27 novembre et parvenu à Damas le 7 décembre. Le régime de Bachar al-Assad, que l'on croyait solidement arrimé au pouvoir avec le soutien de l'Iran et de la Russie, s'est effondré comme un château de cartes et son armée, en grande partie encadrée par des alaouites réputés fidèles à leur chef Bachar, n'a, semble-t-il, pas fait preuve d'une résistance acharnée.

Alors que la poussière commence à retomber, selon l'expression consacrée, notre commission a souhaité vous entendre pour essayer de replacer cette séquence, qui a pris tous les observateurs par surprise, dans une chaîne causale, de lui donner un sens géostratégique.

En amont d'abord, il est tentant de faire un lien entre la très forte dégradation par Israël des capacités militaires du Hezbollah au Liban, mais aussi de la force de frappe iranienne, et la chute du régime syrien dont ils étaient, avec la Russie, les principaux soutiens. Faut-il en conclure que le pouvoir de Bachar al-Assad ne tenait que par ces forces externes, et qu'il n'avait plus d'appui au sein de sa propre communauté alaouite ?

En aval, ensuite, cet évènement a des répercussions considérables sur la région, et même au-delà. Les grands perdants, à première vue, sont l'Iran, privé de son principal allié, et la Russie, qui perd là un point d'appui important dans la région. Il faudra naturellement voir ce qu'il adviendra des bases de Tartous et Hmeimim. Vous pourrez sans doute nous éclairer de votre analyse sur ce point très important.

Le premier gagnant apparent est la Turquie, qui est un soutien historique des mouvements djihadistes rassemblés dans la poche d'Idleb. Le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, a été le premier à se rendre à Damas pour y rencontrer le nouveau leader du pays. Mais quels avantages stratégiques à long terme la Turquie compte-t-elle tirer de la nouvelle donne ?

Le deuxième gagnant est bien entendu Israël, qui bénéficie, dans un jeu à somme nulle, de ce revers iranien et qui en a profité pour préempter une zone tampon et, surtout, pour détruire tout le matériel lourd de l'armée syrienne.

Enfin, les États arabes sunnites ne sont sans doute pas mécontents de la chute d'un régime qu'ils avaient combattu, États du Golfe en tête, au plus fort de la guerre civile. Cependant, ils avaient fini par s'accommoder de sa survie, actant même sa réintégration au sein de la Ligue arabe en 2023, et peuvent craindre, par contagion, un effet déstabilisateur comparable à celui des printemps arabes.

En somme, doit-on conclure à un affaiblissement décisif de l'axe iranien au profit d'Israël, d'une part, et des États sunnites, de l'autre, ou serait-ce aller trop vite en besogne ?

Une interrogation importante demeure également sur la nature du nouveau régime. Le leader de HTC, ancien mouvement djihadiste affilié à Al-Qaïda, a émis de nombreux signaux pour rassurer à la fois la communauté internationale et la population syrienne. S'affichant désormais en costume-cravate, il a symboliquement abandonné son patronyme de combattant, Abou Mohammed al-Joulani, pour endosser à nouveau son identité au civil, Ahmed al-Charaa. Est-ce un simple ravalement de façade ou le signe d'une véritable volonté d'apaisement ? Les alaouites, les chrétiens, les Kurdes et la kyrielle de minorités qui composent la mosaïque syrienne peuvent-ils espérer une Syrie où leurs droits seront garantis ?

Nous nous souvenons encore des grands discours apaisants des talibans, qui, avant leur retour au pouvoir à la faveur du retrait américain, juraient qu'ils avaient changé et que les femmes seraient désormais mieux traitées en Afghanistan. On a vu ce que valaient ces promesses... Faut-il, selon vous, craindre le même double langage de la part du nouveau pouvoir syrien ou peut-on espérer un véritable apaisement en Syrie ?

Enfin, comment voyez-vous les derniers développements dans le nord-est syrien, où la Turquie semble avoir décidé de passer à l'offensive contre les YPG, qui exercent de facto le pouvoir dans cette région et qu'elle considère comme affiliés au PKK ?

Nous n'avons pas épuisé la liste des questions que pose cet événement majeur qu'est la fin soudaine de la dynastie Assad, loin de là. Je conclurai néanmoins par une dernière interrogation : assistons-nous à la naissance d'un nouveau Moyen-Orient ?

Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site Internet du Sénat et sur ses réseaux sociaux.

M. Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon 2. - Merci de m'avoir invité pour cette audition. Effectivement, je reviens de Syrie, où j'ai passé dix jours, entre Damas, Alep, Lattaquié et Tartous. J'étais, au mois de novembre, dans l'est de la Syrie, dans la région kurde, où j'essaie de me rendre chaque année pour effectuer des missions de terrain.

Début décembre, le régime de Bachar al-Assad s'est écroulé en douze jours, après une offensive fulgurante du groupe Hayat Tahrir al-Cham, c'est-à-dire l'Organisation de libération du Levant - et non seulement de la Syrie, le Levant comprenant également le Liban, l'Irak et Israël. En réalité, HTC n'était pas seul : les rebelles du Sud ont également mené une offensive. Ils sont arrivés à Damas les premiers, mais HTC leur a demandé d'évacuer la ville pour éviter les conflits, ce qu'ils ont fait.

Dans la vallée de l'Euphrate, ce sont des groupes liés à HTC qui ont pris le pouvoir. Il y a également quelques bataillons de HTC à Deir ez-Zor, mais c'est tout. Finalement, HTC est assez faible et ne dispose que de quelques dizaines de milliers de combattants - on parle de 30 000 hommes. Le groupe est en train de recruter des locaux, mais ses effectifs sont insuffisants pour contrôler l'ensemble de la Syrie.

L'Armée nationale syrienne (ANS), un regroupement de milices pro-turques à la solde de la Turquie, est présente dans le Nord, tandis que les Kurdes contrôlent toujours le nord-est syrien. Ceux-ci ont récemment perdu la ville de Manbij au profit des milices pro-turques, mais ils tiennent bon sur l'ensemble du territoire, d'autant que les Américains ont renforcé leurs troupes dans la région pour éviter l'offensive turque qui se préparait contre Kobané, passant de 1 000 à 2 000 soldats. Ces derniers n'arrivent pas des États-Unis, mais ont été prélevés sur les 2 500 soldats américains déployés en Irak. Mazloum Abdi, le chef des Kurdes, les a clairement avertis qu'il devrait ouvrir les portes des prisons où se trouvent les djihadistes et leurs familles s'ils ne venaient pas à la rescousse, ce qui a fait pencher la balance en faveur d'un soutien américain. Du reste, à mon avis, Joe Biden ne tenait pas à être responsable de l'effondrement des Kurdes, responsabilité que Donald Trump souhaitait peut-être lui faire porter pour tourner ensuite une nouvelle page dans les relations avec la Turquie. Tout le monde est évidemment suspendu à ce qui va se passer après l'investiture de Trump, le 20 janvier prochain.

Par ailleurs, les Druzes ont pris le contrôle du Djebel el-Druze, dans la province de Soueïda. Ils en ont chassé l'armée syrienne, mais n'ont pas participé à l'offensive sur Damas, comme on l'entend souvent : ils sont simplement intervenus pour protéger leur quartier à Damas. Je me suis rendu dans les villes druzes de la banlieue de Damas, à Jaramana, à Sarouja et à Jdeidet Artouz. Elles sont toutes contrôlées par les milices druzes. On n'y trouve aucun barrage de HTC, car le groupe cherche à éviter le conflit avec les différentes factions, à défaut de disposer des forces nécessaires pour contrôler le pays.

À tel point qu'à Alep, les Kurdes ont profité de l'affaiblissement du régime pour s'emparer d'un quartier voisin du quartier kurde de Cheikh Maqsoud, le quartier Achrafieh, à majorité arabe. Dans la mesure où ils ne tiennent ce quartier qu'avec quelques centaines de combattants, HTC pourrait facilement les en chasser, d'autant qu'ils n'y disposent pas du soutien populaire comme à Cheikh Maqsoud. Le fait que HTC ne réagisse pas démontre sa fragilité.

Quant à la montagne alaouite, l'organisation n'ose plus aller y chercher les cadres de l'ancien régime, de peur de se faire prendre en embuscade. À Khirbet al-Ma'zah, dans l'arrière-pays de Tartous, seize combattants de HTC ont été tués en allant chercher un général alaouite. Le jour où je suis parti, encore trois combattants de HTC ont été tués pour la même raison. Le groupe reste donc prudent. Les alaouites sont en train de s'organiser en groupes d'autodéfense pour éviter de subir la vengeance de HTC une fois que le groupe se sera renforcé.

En réalité, le régime syrien ne s'est pas effondré en douze jours, mais après treize années de guerre civile, qui l'ont considérablement affaibli. On pourrait également ajouter quelques décennies de mal-développement ; j'en parle abondamment dans la première partie de mon ouvrage : les problèmes d'eau, agricoles, économiques et, surtout, démographiques. Pour la Syrie de demain, les mêmes problèmes existent toujours ; ils ont même empiré.

La croissance de la population syrienne n'évoque pas celle de la Tunisie, ni même celle de l'Égypte, mais plutôt celle du Mali. Le taux de fécondité a explosé pendant la guerre, quand cinquante ans de développement sont partis en fumée. Il n'y a plus d'écoles ni d'infrastructures. Les filles sont mariées à 14 ou 15 ans dans l'Est de la Syrie. Or, dans la mesure où, dans la tradition syrienne, il faut avoir un enfant aussitôt après le mariage, les femmes ont souvent trois enfants à vingt ans et se retrouvent mères de familles nombreuses à trente, avec cinq, six ou sept enfants, et ce même si la famille n'a pas les moyens de nourrir les enfants. Cette tendance explique le fait que la population syrienne soit quasi équivalente à celle de 2011, malgré la guerre et le déplacement de 8 millions de syriens. La pyramide des âges est celle d'un pays d'Afrique subsaharienne, et non du bassin méditerranéen.

Enfin, le communautarisme est fondamental pour comprendre la situation politique de la Syrie. Aujourd'hui, la zone druze est tenue par les Druzes, le Nord-Est kurde est contrôlé par les Kurdes et les combattants de HTC ne peuvent pas pénétrer dans la montagne alaouite.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le Président, le nouveau pouvoir a changé d'apparence : un djihadiste d'al-Qaïda est en train de devenir un dirigeant présentable, qui reçoit les journalistes et diplomates étrangers et joue pleinement, selon moi, la taqiyya, c'est-à-dire la dissimulation. Il serait conseillé, m'a-t-on dit, par un cabinet de conseil en communication britannique financé par le Qatar depuis plusieurs années, de façon à paraître présentable aux yeux des Occidentaux. Pour ma part, je ne crois absolument pas à cette façade. Je travaille depuis des années sur la Syrie et le groupe HTC. J'ai d'ailleurs rédigé plusieurs papiers expliquant comment il a pris le pouvoir à Idleb, imposé un totalitarisme islamiste et éliminé ses opposants. Sur ce dernier point, il diffère de Daesh, qui décapitait tous les vendredis au carrefour des têtes coupées, à Raqqa. En effet, HTC assassine sans revendication : des gens disparaissent ou sont victimes d'accidents. On m'a raconté à Lattaquié que les hommes de HTC, appelés après un assassinat, avaient déclaré n'y être pour rien et imputé la faute à un groupe incontrôlé. Ils essaient de jouer les gentils, mais il ne faut pas être dupes.

Le nouveau pouvoir est issu d'un groupe djihadiste, le Front al-Nosra, qui est lui-même une émanation d'al-Qaïda en Irak. Ahmed al-Charaa est devenu Abou Mohammed al-Joulani, « le Golani » - sa famille est originaire du Golan, même s'ils ont toujours vécu à Damas. Il est parti faire le coup de feu contre les Américains en Irak en 2004 et a passé cinq ans dans la prison d'Abou Ghraib, où il a rencontré tous les cadres d'Al-Qaïda, dont al-Baghdadi, qui l'a ensuite aidé à former le Front al-Nosra. Ce dernier est entré en Syrie en juillet 2011 et a organisé des coalitions très efficaces sur le terrain contre le régime d'Assad, ce qui lui a valu des subsides de la part des pays arabes du Golfe, de la Turquie et même de la France, puisque le président Hollande a reconnu à deux reprises avoir fourni des armes à al-Nosra en 2013.

À l'époque, côté français, on niait qu'il soit membre d'Al-Qaïda. Bien que les Américains l'aient inscrit sur leur liste des organisations terroristes dès le mois de novembre 2012, la France a attendu mai 2013 pour le faire. Il a fallu qu'al-Joulani demande une fatwa à Ayman al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaïda, dans le litige qui l'opposait à al-Baghdadi pour que l'on se rende compte qu'il était bien membre d'Al-Qaïda et qu'il soit inscrit sur la liste des organisations terroristes.

La rupture avec Al-Qaïda a eu lieu en 2016. À l'époque, il a expliqué à Ayman al-Zawahiri qu'Alep allait tomber entre les mains des mécréants - le régime syrien, l'armée russe et les Iraniens étaient en train de reprendre Alep-Est - et qu'il avait besoin du soutien financier et militaire occidental afin de monter une coalition pour l'éviter. Or, le fait d'être membre d'al-Qaïda faisait obstacle à ce que ce soutien lui soit accordé, d'autant que Barack Obama avait sifflé la fin de la récréation à partir de juin 2014 en créant la coalition internationale anti-Daesh et en demandant aux pays du Golfe et à la Turquie d'arrêter de financer des groupes djihadistes qui pourraient devenir dangereux pour l'Occident. C'est la raison pour laquelle HTC a officiellement rompu avec Al-Qaïda, mais il ne s'agissait que d'un divorce à l'amiable, pour des raisons purement tactiques. Gravitent toujours autour de l'organisation des groupes membres d'Al-Qaïda, les Ouïghours du Parti islamique du Turkestan, qui ont joué un rôle majeur dans la dernière offensive, le groupe Hourras al-Din - les « Gardiens de la Religion » - ou encore Firqat al-Ghouraba, « le groupe des étrangers », dans lequel est impliqué le fameux Omar Omsen, un Français d'origine sénégalaise qui dirige, au nord d'Idleb, un groupe d'environ 200 ressortissants français membres d'Al-Qaïda. Voilà qui sont réellement les nouveaux maîtres de la Syrie.

Bien sûr, le nouveau pouvoir a le soutien du Qatar et de la Turquie. La Syrie se trouve dans un espace géopolitique tampon, dans lequel différentes influences voisines s'affrontent. C'est grâce à un accord tacite entre Israël et la Turquie que HTC a pu lancer son offensive, avec, sans doute, l'assentiment de Washington.

Reste à convaincre, désormais, les Saoudiens et les Émiratis, qui sont assez mécontents de ce qui se passe à Damas, dans la mesure où un gouvernement a minima salafo-frériste se met en place, ce qui pourrait entraîner une contagion vers les pays du Golfe - mais aussi, et surtout, vers l'Égypte, pays le plus fermement opposé au nouveau régime syrien -, et où la Syrie est en passe de devenir une province turque dans le cadre de la stratégie néo-ottomane d'Erdogan.

Que va-t-il se passer dans l'avenir ? Nous pouvons esquisser deux scenarii extrêmes : une dictature islamique, comme ce fut le cas à Idleb, ou l'explosion du pays, à défaut, pour HTC, de parvenir à unifier les différentes factions islamiques derrière lui. En effet, l'opposition entre les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et l'axe Qatar-Turquie provoque une lutte interne en Syrie, les Saoudiens finançant, par exemple, les rebelles du Sud d'Ahmed al-Oda contre al-Joulani, ce dont profitent les alaouites, les Druzes et les Kurdes pour se renforcer et prendre le contrôle de leurs fiefs dans les périphéries. Il existe également un scénario intermédiaire dans lequel la Syrie connaîtrait une unité plus ou moins fragile, avec une dictature islamiste dans les territoires contrôlés par HTC. Tous les scenarii sont possibles, à l'exclusion de celui d'un gouvernement inclusif, laïc et démocratique !

Que s'est-il passé pour que le régime tombe si vite ? En 2018, Bachar al-Assad avait pratiquement gagné. Il ne lui restait, pour ainsi dire, qu'à éliminer la résistance dans la région d'Idleb, qui s'affaiblissait progressivement. En 2020, il a lancé, avec l'appui des Russes et des Iraniens, une offensive à laquelle la Turquie s'est opposée, car elle ne voulait pas accueillir 2,5 millions de réfugiés supplémentaires et souhaitait garder dans sa main la carte d'Idleb pour négocier avec la Russie. Dans le cadre de son accord tacite avec la Russie, en effet, la Turquie s'emparait de parties du territoire des Kurdes et, en contrepartie, laissait le régime reprendre progressivement le contrôle de la région d'Idleb. Ce dernier avait d'ailleurs repris une grande partie d'Idleb, mais aussi Alep, Damas et le Sud. En contrepartie, les Russes avaient laissé le régime turc s'emparer d'Afrin, puis de Ras al-Aïn et de Tell Abyad.

Toutefois, la situation s'est vite trouvée bloquée avec la crise de la covid-19, durant laquelle il était difficile de lancer des offensives militaires. Ensuite, la guerre a éclaté en Ukraine et les Russes ont expliqué à Bachar al-Assad qu'il n'était pas question de lancer une nouvelle offensive sur Idleb pour éviter de mécontenter la Turquie, dont la neutralité bienveillante leur était nécessaire, notamment pour paralyser l'Otan. Nous avons en effet vu le rôle qu'a joué la Turquie lorsque la Suède et la Finlande ont voulu intégrer l'Otan et le chantage auquel elle s'est livrée. HTC a profité de ce délai pour se renforcer, craignant d'être victime d'un nouvel accord russo-turc une fois la guerre en Ukraine terminée.

Le 7 octobre a tout bouleversé. Le régime syrien ne tenait que parce qu'il disposait de 50 000 miliciens chiites issus du Hezbollah et des milices iraniennes. La communauté alaouite, exsangue, ne le soutenait plus : un homme sur quatre était mort pendant la guerre et un autre avait été blessé ; ils étaient payés entre 10 et 15 dollars par mois et se faisaient racketter par leurs officiers. Les soldats sunnites, quant à eux, n'avaient pas envie de se battre pour le régime de Bachar al-Assad. Du reste, le régime faisait preuve d'une prédation absolument incroyable : toutes les personnes que j'ai rencontrées m'ont expliqué la manière dont la moindre activité économique donnait lieu à un racket. Plus personne ne le soutenait, y compris dans son fief de Qardaha, où les portraits de Bachar al-Assad ont été brûlées par la population quand il a fui le pays.

Ceux qui avaient le plus intérêt à le soutenir étaient les Iraniens. La Syrie était le maillon faible de l'axe iranien vers la Méditerranée, qui leur permettait d'approvisionner le Hezbollah en missiles. Après le 7 octobre, Israël s'est attaqué au Hamas, puis au Hezbollah. Pour en finir véritablement avec ce dernier, il fallait l'empêcher de recevoir des armes via la Syrie et donc tuer Assad afin que le régime s'écroule comme un château de cartes - en 2021, Israël s'est rendu compte que la Syrie était devenue une colonie iranienne et qu'Assad n'avait plus aucun contrôle sur son territoire - ou affaiblir le dispositif iranien en Syrie par des frappes massives. C'est ce qui s'est passé à partir d'octobre 2023 et tout au long de l'année 2024, tandis que l'offensive israélienne sur le sud du Liban a contraint le Hezbollah à rentrer au Liban. À partir de là, il était très facile pour HTC de s'emparer de la Syrie avec l'appui turc et le financement qatari.

Aujourd'hui, l'axe iranien est coupé et on ne peut plus réellement considérer le Liban comme en faisant encore partie, surtout depuis l'élection de Joseph Aoun à la présidence de la République et la désignation de Nawaf Salam à la présidence du Conseil des ministres. En Irak, la famille chiite est très préoccupée par la situation en Syrie et craint que les sunnites irakiens n'en profitent pour reprendre le pouvoir à Bagdad, ce qui serait toutefois difficile, dans la mesure où 60 % de la population irakienne est chiite. Du reste, je pense que l'Iran défendra davantage l'Irak que la Syrie, cette dernière étant devenue un boulet financier : le régime iranien a officiellement dépensé 35 milliards de dollars pour soutenir l'économie syrienne depuis 2011, ce à quoi il faut ajouter une aide militaire conséquente. Beaucoup d'Iraniens se demandaient s'il était bien utile de dépenser tout cet argent pour la Syrie alors que la population iranienne souffre de restrictions. L'Irak, en revanche, est en quelque sorte la vache à lait de l'Iran, qui s'en sert pour blanchir de l'argent et contourner les sanctions.

La question, aujourd'hui, est de savoir dans quel camp la Syrie va se trouver. Sera-t-elle sous contrôle turco-qatari ou saoudien ? Ces pays peuvent être qualifiés d'alliés distants des États-Unis car ils ont pris une très large autonomie stratégique par rapport à l'Occident. La situation va se compliquer pour les Européens, puisque nous n'avons pratiquement aucune carte à jouer. Les États-Unis, eux, en ont davantage, avec leur présence dans le Nord-Est de la Syrie. Le pays les intéresse car ils se trouvent devant une opportunité historique de lui faire faire la paix avec Israël, qui conserverait ainsi le Golan. S'ils ne lèvent pas leurs sanctions à l'encontre de la Syrie, les pays arabes du Golfe n'oseront pas soutenir financièrement le nouveau régime, ce qui lui causera rapidement des problèmes. Je pense donc qu'une forte pression s'exerce sur al-Joulani pour qu'il fasse la paix avec Israël en échange d'une levée des sanctions, même si cela n'est pas assumé officiellement. Mais quelqu'un qui s'est appelé al-Joulani pendant 25 ans peut-il vraiment abandonner le Golan à Israël ? Cela risquerait de poser quelques problèmes à ses amis d'Al-Qaïda...

Comme vous le constatez, le pays est particulièrement divisé. La priorité d'al-Joulani, aujourd'hui, est de réunir les différentes factions islamiques sous son contrôle. Mais pour ce faire, il a besoin d'argent. S'il est aussi aimable avec les Occidentaux, c'est justement pour que les sanctions soient levées et qu'il puisse bénéficier d'une aide conséquente de la part des pays du Golfe, et du Qatar en particulier, qui ne le feront que s'ils reçoivent le feu vert des États-Unis - j'en ai eu confirmation par des diplomates américains au mois de décembre. Il a également besoin que son gouvernement soit reconnu internationalement et doit donc montrer des signes de bonne volonté à l'égard des minorités.

C'est la raison pour laquelle on observe une certaine tolérance à l'égard des chrétiens, des alaouites ou des Druzes. Les femmes qui le souhaitent continuent à se promener sans voile, même si des abayas islamiques sont distribuées à Alep ou si des employées des ministères qui ne portaient pas le voile jusqu'alors arrivent désormais voilées au travail - est-ce lié à la pression ou à l'opportunisme ? En tout état de cause, le régime fait preuve de tolérance parce qu'il n'a pas les moyens d'imposer un totalitarisme islamiste. Je pense que les choses changeront dès qu'il les aura, à en juger par ce qui s'est passé à Idleb, où règne un émirat islamique en bonne et due forme.

Idleb n'est certes pas la Syrie, mais la société syrienne a beaucoup changé depuis 2011. Les trois quarts des chrétiens sont partis, de même que les classes moyennes et supérieures, exsangues. L'essentiel de la population syrienne est aujourd'hui constitué de classes populaires et d'habitants des campagnes, des petites villes et des banlieues, des bataillons conservateurs. La Syrie est toujours une mosaïque, mais sa diversité s'est sensiblement réduite. Les Arabes sunnites représentent désormais plus de 70 % de la population - contre 10 % de Kurdes, 10 % d'alaouites, 3 % de Druzes et 1 % à 2 % de chrétiens. Parmi eux, on compte beaucoup de gens assez pauvres et très conservateurs.

Ceux qui sont partis à l'étranger vont-ils vouloir revenir ? Ceux qui se sont installés dans des conditions déplorables au Liban, en Jordanie ou en Turquie reviendront, mais ce ne sera pas le cas de ceux qui vivent en Europe, y ont scolarisé leurs enfants et trouvé du travail et attendent d'obtenir la nationalité française ou allemande, quoi qu'ils en disent devant les journalistes. Comment revenir dans un pays ruiné où l'on gagne 20 à 30 dollars par mois, où il n'y pas d'électricité et où règne l'insécurité ? J'y ai ressenti une vive anxiété, et pas seulement chez les chrétiens ou chez les alaouites. L'enthousiasme du départ a fait place à l'inquiétude d'un retour de la guerre civile, des arrestations et du marasme économique.

L'économie est à l'arrêt depuis deux mois. J'ai rendu visite à un certain nombre d'industriels à Alep - du moins, à ceux qui restent : leurs ateliers sont totalement arrêtés. Ils ne bénéficient que de deux heures d'alimentation en électricité par jour, tandis que, la frontière avec la Turquie étant complètement ouverte, les produits turcs entrent sans taxe ni contrôle et sont vendus tant dans les magasins que sur les trottoirs des rues.

On pourrait penser que le nouveau pouvoir va remettre les choses en ordre, mais rien n'est moins sûr. En Tunisie, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, Ennahdha, le parti des Frères musulmans, a sacrifié l'économie nationale tunisienne créée par Bourguiba en même temps qu'il construisait l'État-nation tunisien. L'objectif d'al-Joulani et de son entourage n'est pas de construire un État-nation, mais l'oumma, la communauté des croyants. Ils sont très libéraux sur le plan économique et contre tout ce qui rappelle l'État-nation. Je pense que le développement de l'économie informelle qui a massacré l'industrie nationale tunisienne dans les années 2010 va également avoir lieu en Syrie. On voit de toute façon que ces personnes ne sont pas particulièrement capables de gouverner le pays ou de lancer une politique d'industrialisation et de soutien aux activités nationales.

Les chrétiens ne sont plus que 200 000 à 300 000 en Syrie, alors qu'ils étaient 1 200 000 avant la guerre. Ils sont prêts à partir et je crains que le meilleur service à leur rendre ne soit de favoriser leur départ via une politique de visas, car personne n'a envie de vivre dans une république islamique. Les alaouites et les laïcs sont eux aussi très désireux de partir, dans la mesure où ils auront du mal à vivre sous ce nouveau régime. Les alaouites, en particulier, passent pour les boucs émissaires de cinquante ans de régime d'Assad, alors qu'il n'y avait pas que des alaouites dans les forces d'Assad, dans les moukhabarat et les chabiha.

L'armée est dissoute et les militaires ne perçoivent plus leur solde ni leur pension de retraite. La réduction drastique des effectifs de l'administration touche en priorité les alaouites. Concernant les assassinats ciblés, HTC en rend responsables des éléments incontrôlés, mais le lien peut être fait entre cette masse de meurtres et l'arrivée du nouveau pouvoir. Les manifestations sont soumises à autorisation depuis la manifestation en faveur d'un État laïc qui a eu lieu à Damas en décembre dernier. Il en va de même s'agissant des conférences : un économiste, Samir Aïta, a voulu donner une conférence à Damas début janvier, mais celle-ci a été interdite. Le totalitarisme s'installe doucement, mais sûrement.

Le monde économique est, quant à lui, dans l'attente. Les restes de l'appareil productif syrien ne peuvent pas faire face, de toute façon, à la concurrence turque. Les entrepreneurs liés à l'ancien régime se sont ralliés très rapidement, y compris des personnes très proches de Bachar al-Assad. Samer Foz, le propriétaire officiel de l'hôtel Four Seasons de Damas, où se trouvent toutes les agences de l'ONU, qui était son homme de paille, s'est réfugié en Turquie, puis est revenu à Damas, où il a prêté allégeance à al-Joulani et payé plusieurs dizaines ou centaines de millions d'euros pour acheter sa réhabilitation et reprendre ses activités. Al-Joulani a besoin d'argent pour financer la constitution de sa nouvelle armée en attendant d'obtenir un soutien extérieur. Par ailleurs, il lui faut faire repartir l'économie rapidement pour éviter le mécontentement et la contestation.

Pour conclure, sa principale réclamation, aujourd'hui, est la levée des sanctions, nécessaire à l'obtention d'un soutien financier extérieur. Un accord entre la Turquie, le Qatar, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite lui est également nécessaire pour éviter que l'Arabie saoudite ne finance les groupes du Sud et ne les utilise contre son pouvoir. Il semble que les choses avancent dans ce sens, puisque l'Arabie saoudite a elle aussi appelé de ses voeux la levée des sanctions lors de la réunion qui a eu lieu à Riyadh.

Pour les États-Unis, c'est la paix avec Israël qui est en jeu, sans oublier la question kurde, l'administration Biden ayant empêché les Turcs de lancer une offensive contre les Kurdes. Nous verrons bien ce qui se passera sous l'administration Trump, beaucoup plus isolationniste. Néanmoins, la sécurité d'Israël étant extrêmement importante pour Trump, je pense qu'il pourrait maintenir les troupes américaines dans l'Est de la Syrie pour disposer d'un moyen de pression sur le nouveau régime, dans une région où se trouve 90 % du pétrole syrien, ressource indispensable au redémarrage de l'économie syrienne, même si la production syrienne - 400 000 barils avant la guerre, 100 000 aujourd'hui - est loin des 6 millions de barils de l'Irak ou des 10 millions de barils de l'Arabie saoudite. Une Syrie divisée constituant la meilleure garantie pour la protection d'Israël, les États-Unis cherchent à pousser en faveur d'un projet fédéral sur le modèle irakien, ce qui permettrait aux différentes minorités de conserver une certaine autonomie.

Al-Joulani va-t-il parvenir à ses fins ? Après 13 ans de guerre civile, les défis de la reconstruction sont immenses. S'il n'y parvient pas, s'il ne trouve pas d'issue à l'opposition entre l'axe Turquie-Qatar et l'axe Arabie saoudite-Émirats arabes unis et s'il fait preuve de mauvaise volonté à l'égard d'Israël, le pays risque de replonger dans la guerre civile et de se fragmenter sur le modèle libyen.

Les Syriens ont envie de croire à la paix et à la reconstruction et s'attendent à ce que des milliards de dollars arrivent du Golfe. Je crois qu'il ne faut pas trop y compter, car les pays du Golfe ne sont plus aussi philanthropes que par le passé. De toute manière, le destin de la Syrie échappe aux Syriens depuis le début de la guerre, avec cette confrontation entre les différentes puissances régionales, qu'il faut replacer dans le contexte de l'affrontement entre les pays occidentaux et l'Otan, d'une part, et l'axe eurasiatique - Russie, Chine et Iran -, d'autre part.

Al-Joulani est l'homme de la Turquie. Il veut imposer un totalitarisme islamiste et, habilement, n'annonce pas ses vues. Quand il dit qu'il compte repousser la rédaction de la Constitution de la Syrie à dans trois ans et n'organiser des élections que dans quatre ans au prétexte que le pays est détruit et qu'il est nécessaire de mener un recensement, il faut lire entre les lignes son refus d'une Constitution pour la Syrie. La Constitution est la colonne vertébrale d'un État-nation. Or, al-Joulani est opposé à l'État-nation. Il vaut donc mieux repousser cette échéance le plus loin possible pour ne pas mécontenter les groupes qui l'entourent, qui sont membres d'Al-Qaïda et dont il a absolument besoin pour s'imposer à la tête de la Syrie. Il ne peut pas pour autant dire clairement qu'il ne veut pas de Constitution afin de ne pas semer le doute dans l'esprit des Occidentaux.

Va-t-il évoluer dans le futur ? Bien qu'il soit assez pragmatique et qu'il ait appris des erreurs de Daesh, il n'en reste pas moins un islamiste qui cherche à imposer son projet à la Syrie à la tête d'un État centralisé. En aura-t-il les moyens ? Telle est la question.

M. Roger Karoutchi. - Merci pour cette présentation très éclairante. J'ai entendu hier le ministre français des affaires étrangères dire toute la confiance qu'il avait dans le nouveau régime syrien et expliquer qu'il disposait de garanties solides sur l'avenir démocratique de la Syrie. Je pense qu'il n'a pas fait les mêmes visites que vous ou ne dispose pas des mêmes éléments...

En diplomatie, il y a la force d'un côté et la naïveté de l'autre. Au Proche-Orient, la diplomatie forte, c'est la Turquie et Israël. L'offense d'al-Joulani était une offensive turque menée avec l'accord de l'état-major israélien, sous couvert américain. Pour la Turquie, c'est simple : on liquide les Kurdes, et on fait un coup contre l'Iran ; tandis qu'Israël cherchait à liquider Bachar al-Assad car la Syrie était devenue iranienne. Dans tout cela, j'ai le sentiment que l'Europe n'a pas compté. Tout s'est fait sans nous.

Israël a toujours dit que l'Iran représentait la principale menace à sa sécurité ; il était donc logique de sa part d'affaiblir le Hamas et le Hezbollah et de faire tomber le régime syrien, dans la mesure où la Syrie était une voie de passage pour l'armement iranien à destination du Hezbollah.

Aujourd'hui, pour être franc, je ne crois pas vraiment à une paix entre la Syrie et Israël, même sous l'influence de Trump. En revanche, il est possible qu'Israël cherche à cantonner la Syrie. Que la Syrie soit dirigée par un régime islamiste, c'est le problème des Syriens ; qu'elle le soit par un régime islamiste djihadiste, c'est le problème d'Israël. Peut-on imaginer que le régime d'al-Joulani ne cherche pas le conflit avec Israël ?

D'autre part, la diplomatie française ne devrait-elle pas se montrer un peu plus réservée ou réaliste au sujet de l'avenir de la Syrie ? On a vu qu'al-Joulani avait refusé de serrer la main de la ministre allemande des affaires étrangères au moment même où il promettait des avancées en matière de droits des femmes. Par ailleurs, nous avons appris hier que les femmes qui enseignaient dans les universités syriennes avaient été invitées à envisager de cesser leur activité.

Vous dites que certains, chez les alaouites, rêvent du retour du protectorat français. Il y a assez peu de chances : nous n'y arrivons pas en Afrique, alors en Syrie... Il ne faut pas rêver ! Que pouvons-nous faire pour les Syriens ? La France joue-t-elle encore un semblant de rôle en Syrie ?

M. Fabrice Balanche. - Concernant le jeu politique, vous avez tout à fait raison : c'est exactement ce qui s'est produit.

Sur la question de la diplomatie, certains, au Quai d'Orsay, pensent que la France va être accueillie à bras ouverts et aura un rôle à jouer parce qu'elle a soutenu la révolution syrienne dès 2011. Ils n'ont sans doute pas compris qu'Erdogan considérait sa victoire en Syrie comme une revanche sur les accords Sykes-Picot ! On sait pertinemment qu'il veut revenir sur le traité de Lausanne. Les Turcs ne nous laisseront donc jouer aucun rôle en Syrie. Ils sont d'ailleurs en train de nous éliminer du Liban. Soyons clairs : l'influence turque est majeure en Syrie, tandis que l'influence française y est quasi inexistante.

Certains pensent toutefois que nous pouvons avoir une carte à jouer, comme c'était déjà le cas en Irak au motif que nous n'avions pas soutenu l'intervention militaire américaine en 2003. Nous espérions obtenir le chantier de l'aéroport de Mossoul et ce sont les Turcs qui ont raflé la mise... De même, la première visite du Premier ministre irakien en Europe n'a pas eu lieu en France, mais en Allemagne, car ils ont compris qui dirigeait l'Europe aujourd'hui. Il faut donc arrêter de rêver. On peut d'ailleurs se demander si cette visite du ministre français des affaires étrangères en Syrie ne visait pas plutôt un objectif domestique en France.

Ce que nous pouvons faire en Syrie, c'est soutenir les chrétiens et les laïcs. Le meilleur service que nous pouvons leur rendre serait de les accueillir en France, puisqu'ils sont de toute façon en train de quitter leur pays. S'ils ne viennent pas chez nous, ils iront en Allemagne ou au Canada. L'Allemagne accueille 5 000 médecins syriens, qui lui permettent d'éviter de souffrir de la même problématique de désertification médicale que nous. Ces personnes sont francophones et francophiles et ont même souvent été formées en France ; ce serait un crève-coeur que de les voir partir ailleurs. Nous avons besoin de cette main-d'oeuvre qualifiée.

Je ne vois pas ce que nous pourrions faire à l'égard de la Syrie au-delà de cette mesure, si ce n'est éviter que l'Union européenne ne s'empresse d'apporter une aide financière à al-Joulani. Qu'on lève les sanctions qui frappent la population syrienne, d'accord. Mais qu'on apporte une aide au nouveau régime, non.

Mme Michelle Gréaume. - Merci pour les informations que vous venez de nous apporter. Je pense moi aussi qu'al-Joulani pratique la taqiyya pour s'emparer de la région et ne crois pas non plus à la perspective d'un régime laïc et démocratique.

La situation est inquiétante s'agissant de l'avenir des Kurdes. Ces derniers semblent constituer la prochaine cible d'al-Joulani dans le cadre de sa volonté de pouvoir et d'hégémonie, en accord avec son principal soutien, Erdogan. Comment la France et l'Europe peuvent-elles peser sur le nouveau pouvoir syrien pour éviter aux Kurdes un avenir sombre et à notre pays le déshonneur ? Je rappelle en effet que les Kurdes ont combattu aux côtés de la France dans la coalition contre Daesh.

Par ailleurs, l'arrivée du nouveau pouvoir syrien laisse augurer d'affrontements entre factions islamiques. Vous avez évoqué la possibilité d'un scénario à la libyenne. De quelle erreur commise en Libye les Occidentaux doivent-ils se garder pour avancer vers une transition pacifique en Syrie ?

Enfin, la relance des dispositifs de coopération avec la Syrie est-elle encore possible ?

M. Fabrice Balanche. - Il a été dit à al-Joulani, par des déclarations assez fermes, qu'il ne fallait pas éliminer les Kurdes. La meilleure des déclarations a été l'envoi par les États-Unis de 1 000 hommes supplémentaires dans la région kurde pour empêcher l'offensive turque.

À mon avis, al-Joulani ne participera pas à une telle offensive ; c'est l'ANS, un regroupement de milices pro-turques établi dans le Nord, directement lié à Ankara et que la Turquie utilise contre les Kurdes comme les bachi-bouzouks d'autrefois, qui fera le sale travail. Al-Joulani est plutôt en attente dans la vallée de l'Euphrate, car les forces kurdes monteront vers les territoires kurdes du Nord lorsque ceux-ci seront attaqués, abandonnant Raqqa et Deir ez-Zor. À ce moment-là, al-Joulani s'emparera de cette région.

Il faut comprendre que la région kurde est peuplée de trois millions d'habitants, dont seulement un million de Kurdes, qui sont établis à Kobané, à Hassaké, à Qamishli et à Raqqa. Les Arabes de cette région préféraient rester sous le contrôle des Kurdes tant que la Syrie était dirigée par le régime d'Assad, soutenu par les milices chiites. Maintenant que le pays est sous le contrôle d'un gouvernement arabe sunnite, la donne va changer, d'autant que les populations locales sont extrêmement conservatrices.

Durant l'une de mes missions dans la région de Deir ez-Zor en 2022, j'ai échangé dans les villages avec des familles qui m'expliquaient qu'elles regrettaient l'époque de Daesh, que les Kurdes les oppressaient, qu'ils n'étaient pas syriens, mais étrangers, et qu'il s'agissait de mécréants, dans la mesure où ils portaient une idéologie laïque. Un fossé culturel existe entre les populations arabes de la région et les Kurdes. En cas d'attaque, ces derniers peuvent s'effondrer très rapidement. Al-Joulani n'y participera pas, mais récupèrera les territoires arabes.

Le cas échéant, un million de Kurdes partiront pour l'Irak et chercheront potentiellement à gagner l'Europe occidentale, où ils disposent de réseaux très ramifiés. Nous assisterons à une épuration ethnique complète de la population kurde au nord de la Syrie, comme ce fut le cas à Afrine ou à Ras al-Aïn en 2018 et 2019.

Quelle erreur a-t-on commise en Libye ? Celle d'intervenir, tout simplement, ou bien de ne pas avoir assuré le service après-vente. Il était clair qu'en faisant tomber Kadhafi, nous allions faire resurgir la fragmentation que nous constatons aujourd'hui. Il aurait fallu maintenir 100 000 hommes en Libye et, en quelque sorte, la recoloniser pour apaiser la situation. C'est ce qui a retenu les Américains d'intervenir en Syrie : ils ont maintenu 200 000 hommes en Irak de 2003 à 2011, et pour quel résultat ? Ces sociétés n'acceptent pas les libérateurs étrangers et armés qui tentent de leur imposer un système démocratique qui n'est pas dans leur culture.

Je ne sais pas vraiment ce que nous pouvons faire en Syrie. Il faut d'abord éviter de signer un blanc-seing au régime et de lui apporter une aide économique, tout en essayant de nous protéger des groupes djihadistes qui s'y trouvent, dont Firqat al-Ghouraba, qu'al-Joulani pourra un jour utiliser contre les Occidentaux.

M. François Bonneau. - Merci pour cette présentation très intéressante. Les Russes vont-ils pouvoir se maintenir à Lattaquié et à Tartous ? Ne vont-ils pas être expulsés et disparaître de la Méditerranée orientale ? Quel jeu jouent-ils actuellement par rapport au nouveau pouvoir et à la situation générale ?

M. Olivier Cigolotti. - Le leader de HTC a indiqué à de nombreuses reprises qu'il ne souhaitait plus recourir à des actions de terrorisme international et comptait se tourner vers un islam centré sur la Syrie. Or, nous savons pertinemment qu'il est entouré de djihadistes. Existe-t-il selon vous un risque de remontée en puissance ou de résurgence de Daesh, encore très présent dans une partie du pays ?

M. Fabrice Balanche. - Les Russes ont quitté Tartous avec leurs navires. Ils n'y disposaient de toute façon que d'un quai militaire dans le port, sur lequel ils n'avaient pas réalisé beaucoup d'investissements. Ils sont toujours présents sur la base aérienne de Hmeimim, au sud de Lattaquié. Beaucoup de matériel a été évacué, mais ils semblent avoir stoppé leur départ. Pourquoi ? En tout cas, ils sont cernés par HTC. Peut-être ont-ils encore du monde à évacuer ? C'est par Hmeimim qu'ont été évacués la famille Assad et beaucoup de cadres du régime. Les forces chiites qui étaient à Damas ont également été convoyées par les Russes par hélicoptère ou voiture diplomatique sur cette base pour être exfiltrées.

Quoi qu'il en soit, le nouveau pouvoir va-t-il accepter que la Russie conserve une base militaire en Syrie ? Je n'y crois pas, car les Russes bombardent HTC depuis dix ans. En outre, s'ils étaient autorisés à rester, je pense que les États-Unis le prendraient assez mal. En tout cas, les Russes ont commencé à rapatrier leur matériel vers Benghazi, qui sera sans doute leur prochaine base en Méditerranée orientale.

Le leader de HTC a certes déclaré refuser toute action terroriste internationale, mais il ment comme il respire et il ne faut surtout pas le croire. Pourquoi protège-t-il Firqat al-Ghouraba et des groupes membres d'Al-Qaïda ? Parce qu'il en a besoin pour faire peur et s'affirmer militairement. C'est grâce à deux camions kamikazes qu'il a réussi à percer les défenses d'Alep. Ces groupes disposent toujours de combattants capables de se suicider pour la cause, ce qui constitue un atout assez exceptionnel. On pourrait aussi imaginer envoyer un kamikaze se faire exploser au milieu d'une manifestation hostile au régime. Vis-à-vis de l'Occident, ces groupes constituent également un moyen de pression.

Lorsque j'ai passé la douane syrienne à Masnaa, le 2 janvier, il y avait à côté de moi des Saoudiens au profil djihadiste qui arrivaient en Syrie. Le pays est en train d'attirer tout un tas de gens, comme au début de la crise, en 2011-2012, quand tous les islamistes partaient pour participer à la révolution syrienne et s'engager dans des groupes djihadistes. J'en ai vu arriver beaucoup et cela m'inquiète.

À l'origine, l'islam syrien est un islam soufi. Les salafistes et les soufis sont comme le jour et la nuit. Si al-Joulani déclare vouloir se centrer sur l'islam syrien, il le fait pour rassurer la communauté commerçante damascène et alépine, qui est soufie. Les élites sunnites syriennes sont traditionnellement soufies. En revanche, la petite bourgeoisie d'origine rurale ou citadine, dont est issu al-Joulani, a été travaillée par les Frères musulmans et les classes populaires par le salafisme. Beaucoup de Syriens partaient faire des études de théologie en Arabie saoudite, où ils obtenaient un visa et se faisaient rémunérer pour étudier, avant de revenir en Syrie en tant qu'imams, avec le soutien d'une fondation saoudienne pour construire une mosquée et distribuer des subsides à la population locale, ce qui permettait de clientéliser les croyants et de saper le pouvoir des imams soufis traditionnels. J'ai assisté à des manifestations devant la mosquée des Omeyyades : elles n'avaient rien de soufi, mais s'apparentaient plutôt à du salafisme pur jus.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Quel serait l'avenir de la Syrie si les sanctions n'étaient pas levées ? Est-il envisageable que la Turquie et Israël, pour des raisons de sécurité, en profitent pour conserver les territoires que leurs forces armées occupent aujourd'hui ?

Vous avez dit que le nouveau régime ne désirait pas construire un État-nation, mais peut-être plutôt une fédération. Dans ce cas de figure, peut-on aspirer à la stabilité pour la Syrie et la région ?

M. Rachid Temal. - Au regard de la manière dont été fixées certaines frontières au Moyen-Orient - je pense à la Jordanie ou à l'Irak -, croyez-vous qu'un grand mouvement de frontières soit possible ?

Après que la France a été quasiment chassée d'Afrique, on voit bien son poids relatif, et même celui de l'Europe, au Moyen-Orient. À force de vouloir tout faire, mais de ne finalement pas faire grand-chose, nous en payons les conséquences. Quelles seraient vos préconisations pour permettre à notre diplomatie de jouer de nouveau un rôle ?

M. Fabrice Balanche. - Une partie des sanctions ont déjà été levées. C'est le cas pour ce qui concerne l'énergie et les transferts d'argent, ce qui aide les Syriens à vivre au quotidien et va leur permettre d'accéder de nouveau à l'électricité. Les sanctions sont levées petit à petit par les États-Unis en fonction de la bonne volonté du régime. Ils peuvent bloquer ce processus si ce dernier ne tient pas ses promesses. À mon avis, si les sanctions n'étaient pas levées, la Syrie continuerait à s'enfoncer dans le marasme économique, ce qui provoquerait la concrétisation du scénario à la libyenne.

Je pense que la Turquie et Israël vont maintenir leurs troupes en Syrie. En prenant la route d'Alep à Lattaquié, j'ai vu les bases turques dans le sud d'Idleb, massives et arborant le drapeau turc. Ces forces vont rester en Syrie pour protéger la frontière turque, car la Turquie se méfie des djihadistes. Il ne faut pas oublier qu'après avoir trahi Daesh, la Turquie a subi des attentats à Istanbul et Ankara. En outre, les Turcs tiennent à rester pour s'assurer que les Kurdes soient éliminés. Je pense donc qu'ils ne partiront pas.

Quant aux Israéliens, ils ont avancé un peu au-delà du Golan. Selon moi, ils vont rester pour éviter que des groupes djihadistes ne s'infiltrent pour frapper le Golan. Ils resteront au moins 10 kilomètres en avant, dans la mesure où Israël craint moins les roquettes, qui peuvent être arrêtés par le Dôme de fer, que les missiles antichars, qui peuvent frapper le territoire israélien. Dans le cas de négociations de paix avec la Syrie, Israël voudra évidemment conserver le Golan. Il restituera néanmoins les territoires qu'il vient d'occuper afin qu'al-Joulani ne perde pas la face.

Redessiner les frontières internationales est une chose extrêmement rare. La communauté internationale évite de le faire car cela crée davantage de problèmes que cela n'en résout. En général, on n'assiste à un tel mouvement que deux ou trois fois par siècle : au siècle dernier, après la Première guerre mondiale, après la Seconde guerre mondiale et après la chute de l'Union soviétique.

M. Rachid Temal. - Mais en cas d'implosion ?

M. Fabrice Balanche. - La Somalie et le Yémen, par exemple, sont des États faillis qui sont aujourd'hui découpés en deux ou trois États. Cette fragmentation de facto s'opère par l'apparition d'États fantômes, qui ne sont pas reconnus par la communauté internationale. C'est déjà le cas dans le Nord-Est syrien, où l'administration locale n'est reconnue que par la Communauté autonome de Catalogne...

En ce qui concerne la diplomatie française, je pense qu'il est nécessaire d'être au plus près du terrain pour comprendre ce qui se passe réellement. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas opposé à la réouverture de l'ambassade à Damas, qui permettra de disposer sur place de diplomates pouvant sentir la situation. Nous ne sommes pas obligés d'envoyer un ambassadeur : un chef de bureau ou un chargé d'affaires pourra suivre l'évolution de la situation et transmettre des informations au Quai d'Orsay.

De toute façon, on ne peut peser que par la force armée, et pas en finançant des ONG ou en faisant de l'humanitaire. Les États-Unis ont les moyens de faire les deux, mais c'est leur force armée qui leur confère un poids majeur dans la région. Je pense qu'il faut réarmer la France et nous mettre en état de mener des opérations extérieures qui puissent faire peur et nous faire respecter.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - On estime à une centaine le nombre de djihadistes français emprisonnés en Syrie, notamment dans le Nord-Est du pays. En fin de semaine dernière, le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, a demandé à la France de prendre ses responsabilités les concernant en les rapatriant sur son sol pour les juger. J'aimerais connaître votre point de vue sur la position que la France devrait adopter sur ce sujet.

Mme Valérie Boyer. - La Turquie ne s'est jamais gênée pour redessiner des frontières, et notamment celles de l'Azerbaïdjan, au détriment de l'Arménie. Les menaces sont toujours très prégnantes et le territoire de la République d'Arménie régulièrement grignoté.

Tous ceux qui sont allés à Chypre ont constaté que les Turcs y étaient présents de façon extrêmement agressive. D'immenses drapeaux turcs couvrent la moitié du pays, qui est occupé depuis 1974, tandis que la Turquie a très directement menacé des territoires appartenant à des États membres de l'Union européenne il y a quelques années. La Turquie est-elle pleinement mobilisée à l'Est et n'a-t-elle pas de vues sur l'Ouest ?

M. Fabrice Balanche. - Les djihadistes qui se trouvent dans le Nord-Est syrien sont sous contrôle kurde. Les Kurdes s'en servent comme assurance-vie par rapport à l'Occident, en faisant planer la menace de leur libération si les Occidentaux ne leur venaient pas en aide. Il faudra trouver une solution plus durable à cette question.

Il aurait mieux valu rapatrier les enfants de djihadistes plus rapidement ; ce sont aujourd'hui des adolescents qui ont eu le temps d'être radicalisés dans les camps. Les avoir laissés là-bas si longtemps était donc une erreur, à mon avis. Certes, leurs mères ne veulent pas les laisser partir et font du chantage car elles savent très bien qu'on les laissera là-bas ad vitam aeternam si leurs enfants partent. Après tout, on retire bien le droit de garde à des parents alcooliques ou violents ; je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire à l'égard de ces mères qui ont emmené leurs enfants là-bas et qui les radicalisent.

S'agissant des hommes qui se trouvent en prison, il faudra aussi trouver une solution, mais faire évoluer le droit au préalable. Il n'est pas envisageable qu'ils ne soient condamnés qu'à une courte peine de prison à défaut de preuves contre eux. Ils doivent être emprisonnés pendant des décennies afin qu'ils ne puissent pas nuire.

Vous avez raison sur l'agression turque contre l'Arménie, madame Boyer. La Turquie souhaite former un axe Ankara-Bakou, tout comme l'Iran voulait constituer un axe Téhéran-Beyrouth. Une menace pèse clairement sur le Syunik, au sud de l'Arménie.

La Turquie a évidemment des vues sur l'Ouest. En Méditerranée, elle cherche à annexer des îlots grecs pour étendre sa zone économique exclusive. Elle mène également un travail de déstabilisation à l'égard de la France et de l'Allemagne en utilisant les communautés turques, qui sont extrêmement politisées par l'AKP, et en s'appuyant sur la stratégie d'Erdogan visant à fédérer la communauté musulmane autour des mosquées turques. Je le vois bien à Lyon : à Vénissieux, une école turque, où des élèves sont scolarisés de la maternelle au lycée, cherche à attirer la population musulmane.

Sur le plan politique, les Turcs essayaient jusqu'à présent de faire de l'entrisme dans les partis politiques traditionnels. Désormais, ils présentent leurs propres candidats aux élections et monnaient ensuite leurs voix auprès des candidats présents au second tour en leur demandant de ne pas soutenir l'Arménie. À un moment donné, en Franche-Comté, le Parti égalité et justice présentait un candidat dans chaque circonscription pour faire pression au second tour. La Turquie joue donc un jeu extrêmement déstabilisateur pour nos démocraties.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour cette audition, particulièrement riche et empreinte de l'expérience du terrain, qui est irremplaçable. Votre témoignage ne nous rassure ni sur le destin de la Syrie, ni sur le vrai visage du nouveau pouvoir, ce qui contraste avec l'optimisme béat que certains affichent.

Vous avez conforté la conviction des membres de cette commission par l'importance de traiter à la fois des affaires étrangères et de la défense, sujets intimement liés. Vous l'avez dit tout à l'heure : une diplomatie forte requiert les moyens de la mettre en oeuvre et de se défendre.

Je voudrais rappeler que Fabrice Balanche analyse l'évolution de la situation sur son site Internet, consultable à l'adresse www.fabricebalanche.com, et que le livre qui nous a été présenté a obtenu le Prix du livre géopolitique 2024, remis à l'Assemblée nationale par mon homologue d'alors, Jean-Louis Bourlanges.

Merci encore pour cette audition. Nous ne manquerons pas de vous auditionner de nouveau lorsque la situation aura évolué.

Audition de M. Titus Corlatean, Président de la commission des affaires étrangères du Sénat roumain

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Titus Corlatean, président de la commission des affaires étrangères du Sénat roumain, et Mme Ioana Bivolaru, ambassadrice de Roumanie en France, qui l'accompagne.

C'est un plaisir car nos collègues Christian Cambon, Marie-Arlette Carlotti, Olivier Cigolotti et Philippe Paul se souviennent encore de l'accueil que M. Corlatean a réservé à notre commission en avril 2022, alors que la France renforçait son contingent sur la base de Constanta. Nous y avions été très sensibles, Monsieur le président, comme nous le sommes à votre francophilie, qui nous permet d'échanger plus librement aujourd'hui.

Je rappelle à mes collègues, Monsieur le Président, que vous avez été plusieurs fois ministre, et notamment ministre des affaires étrangères. Vous êtes également le président du groupe d'amitié Roumanie-France du Sénat roumain, et je me réjouis que nous comptions dans notre commission le président du groupe d'amitié France-Roumanie du Sénat, notre collègue Thierry Meignen, et plusieurs de ses membres.

Nous vous recevons ce matin dans un contexte assez particulier pour la Roumanie, sur lequel votre éclairage nous sera extrêmement précieux. Je le rappelle d'un mot : le 6 décembre dernier, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé l'élection présidentielle avant la tenue du second tour. Le candidat arrivé en tête, Calin Georgescu, a pour principales caractéristiques, sans même évoquer ses propos révisionnistes ou occultistes, d'être critique de l'Union européenne et de l'Otan, russophile et sympathisant de Donald Trump. Le juge constitutionnel a assis sa décision sur des documents déclassifiés évoquant des activités suspectes de comptes TikTok, imputées à un acteur étatique qui n'est pas nommé, mais que chacun devine.

Cette décision a suscité l'indignation de sa concurrente, la candidate libérale, europhile et atlantiste Elena Lasconi. Il est vrai que, même si TikTok est très utilisé en Roumanie, l'audience touchée par ces manoeuvres numériques et leur incidence sur les comportements électoraux n'est pas évaluée.

Cette affaire illustre bien la vulnérabilité de nos processus électoraux aux manoeuvres de déstabilisation numériques de puissances étrangères, surtout là où le dispositif défensif de l'Otan est en voie de consolidation. Certains propos de l'ancien commissaire européen Thierry Breton laissent à penser que les processus électoraux des grands États, tels que l'Allemagne, dont les élections générales auront lieu le 23 février, doivent être tout autant surveillés. Tout cela n'est pas très rassurant.

Nous serions également heureux d'évoquer avec vous les sujets d'intérêt général européen. Je songe d'abord, bien sûr, à l'attitude à adopter à l'égard des États-Unis, alors que le président Trump retrouvera le Bureau ovale dans moins d'une semaine, mais aussi au rôle que peut jouer l'Union européenne dans les grands dossiers de conflictualité du moment, dans lesquels son influence semble en recul, en Ukraine comme au Proche-Orient.

Je songe également à la perception par la Roumanie de l'organisation future de l'Union européenne, dont les contours comme le contenu semblent devoir s'adapter aux bouleversements mondiaux. La présidence polonaise accueillera dans quelques mois le sommet des dix ans de l'Initiative des Trois mers, qui réunit les États de l'est du continent, des rivages de la Baltique à la Grèce en passant par la Roumanie. La perception des affaires du continent y est certainement très différente de celle de l'axe franco-allemand.

Nous pourrons évoquer pour l'illustrer, si vous le souhaitez, certains dossiers d'actualité, tels que l'immigration ou le soutien à l'industrie de défense en Europe. Je suis certain que nos collègues auront également de nombreuses questions à vous poser.

En vous redisant notre plaisir de vous accueillir et en vous souhaitant un fructueux séjour à Paris, je vous cède la parole, Monsieur le Président.

M. Titus Corlatean, Président de la commission des affaires étrangères du Sénat roumain. - Je suis ravi d'avoir l'opportunité de vous rencontrer aujourd'hui. Je sais que c'est une journée importante car l'ordre du Sénat de la République française inclut la déclaration de politique générale du Premier ministre. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté l'invitation qui m'a été faite d'y assister cet après-midi.

J'ai voulu profiter de ma présence à Paris pour renouveler mes contacts. Notre commission au Sénat roumain a été renouvelée après les élections législatives du 1er décembre, tandis que la nouvelle session du Parlement s'ouvrira le 1er février.

Depuis toutes ces années, je connais bien un certain nombre de sénatrices et de sénateurs présents dans cette salle. Je veux bien entendu saluer le président Cédric Perrin ainsi que l'ancien président Christian Cambon, avec lesquels nous avons développé un travail de coopération et une forte amitié au fil des années. Nous avions d'ailleurs organisé une visite de votre commission en Roumanie il y a deux ans, au moment de l'agression russe contre l'Ukraine.

Je voudrais d'abord rappeler que notre relation bilatérale est fondée sur une histoire commune. Nous avons conclu un partenariat stratégique en 2008 et une feuille de route incluant des objectifs concrets en 2020. L'idée de mettre cette dernière à jour a été avancée dans ces circonstances particulièrement complexes et nous avançons dans le dialogue avec les autorités gouvernementales françaises.

Ce partenariat stratégique inclut plusieurs dimensions. Une dimension politique d'abord : nous avons toujours travaillé à conserver une dynamique de dialogue au niveau politique approprié et à y inclure les commissions des deux Parlements. Une dimension économique ensuite : à Bucarest, nous nous réjouissons du succès de Dacia-Renault et de nombreuses autres réussites l'an passé en dépit de la crise économique, tandis que nos échanges commerciaux ont continué de progresser pour atteindre 12 milliards d'euros. Une dimension culturelle enfin : la Roumanie reste le premier pays au monde en nombre de lycées ayant obtenu le prix d'excellence LabelFrancÉducation et dispose d'un réseau d'universités francophones. Je me souviens d'ailleurs avoir inauguré en 2013, à Bucarest, la seule place de la Francophonie de toutes les capitales européennes.

Notre coopération multilatérale est excellente. Elle n'a pas pour seul cadre l'Union européenne ou l'Otan, mais également l'ONU et le Conseil de l'Europe, et je vois ici un certain nombre de collègues qui siègent au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à Strasbourg et avec lesquels nous avons plaisir à travailler.

Parmi les points d'intérêt spécifiques, je mentionnerais la situation de la République de Moldavie, à laquelle la France apporte un soutien exceptionnel. Nous coopérons activement avec les autorités françaises sur ce plan.

Par ailleurs, la Roumanie se trouve en première ligne en Ukraine. Nous avons aidé le pays dès le premier jour, de manière plus ou moins visible. 70 millions de tonnes de marchandises, notamment de céréales ukrainiennes, ont transité par la Roumanie. Avec nos partenaires et alliés, nous accordons également à l'Ukraine un soutien militaire absolument nécessaire.

L'annexion illégale de la Crimée en 2014 constituait un crime d'agression en droit international. À un moment où la Russie viole de nouveau les principes du droit international, nos États démocratiques n'ont pas d'autre choix que de réagir. Malheureusement, nous ne disposons toujours pas d'un mécanisme juridictionnel en droit international pour sanctionner l'agresseur. Il faut continuer à travailler dans ce sens et envisager la possibilité d'un tribunal ad hoc pour juger les crimes d'agression.

Je souhaiterais insister sur la dimension sécuritaire et militaire de notre coopération, qui est véritablement exceptionnelle. Nous avions salué à l'époque la décision du président Macron de tenir le rôle de nation cadre en Roumanie. Il était important que la France soit présente en Roumanie et y joue un rôle important dans le cadre de l'Otan. Depuis, les choses ont avancé : nous allons organiser cette année, en mai, un exercice militaire auquel vont participer 4 000 soldats français et, au total, 25 000 soldats des pays alliés.

Pendant des années, l'Otan a commis l'erreur de ne pas inscrire la mer Noire au rang de ses priorités. Nous avions expliqué aux alliés son importance particulière, dans la mesure où les Russes y sont présents et où s'y trouvent des ressources en gaz et en pétrole et des infrastructures de transport vers la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Asie centrale. En janvier 2014, j'avais accueilli à Bucarest le général Breedlove, à qui j'avais indiqué que des évènements allaient se produire dans les semaines ou les mois à venir et que l'Otan faisait fausse route en ne prenant pas en considération les enjeux liés à la mer Noire. Quand l'Otan a commencé à s'activer, il était déjà trop tard.

Il y a deux ans, la Roumanie a diffusé au sein de l'Union européenne une note formulant des propositions concrètes en vue de l'élaboration d'une stratégie pour la mer Noire. La France, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Portugal s'y sont ralliés. Nous y travaillons actuellement et je sais que la France a lancé une réflexion en vue de définir sa propre stratégie pour la mer Noire. Je vous invite à soutenir politiquement cette approche. Plusieurs de ses dimensions sont fondamentales, qu'elles soient liées au conflit en Ukraine ou à la nécessité de continuer à étendre notre espace de démocratie par le processus d'élargissement.

Enfin, la francophonie fait partie de notre héritage. Plus de 40 % des écoles roumaines enseignent le français comme première ou deuxième langue étrangère. Le président de l'Agence universitaire de la Francophonie est d'ailleurs un professeur roumain distingué, ancien ministre de l'éducation, aujourd'hui sénateur.

Je tiens à adresser mes sincères remerciements à la France pour son soutien constant à l'adhésion de la Roumanie à l'espace Schengen. Nous avons pu convaincre nos amis autrichiens, qui ont violé les traités de l'Union européenne pendant deux ans. La Roumanie remplit les critères d'adhésion depuis treize ans, tandis que de nombreux acteurs ayant investi en Roumanie, notamment des entreprises françaises et allemandes, ont perdu de l'argent à cause de la frontière Schengen entre la Roumanie et la Hongrie. Sa disparition entraîne aujourd'hui des retombées économiques positives.

Merci, par ailleurs, d'avoir aidé la Roumanie, à l'époque, à obtenir le statut de candidat à l'OCDE. Les négociations avancent sur les différents chapitres. L'échéance pour la finalisation du processus a été fixée à 2026. J'aimerais vous appeler à maintenir le soutien français à ce processus certes technique, mais au sein duquel, comme souvent, la politique fait toute la différence.

Vous avez mentionné un épisode sans précédent qui a eu lieu dans mon pays. La Roumanie n'a pas fait exception à la tendance observée depuis quelques années dans les autres États membres de l'Union européenne. Nous avons constaté une ingérence étrangère dans un processus électoral, qui a dramatiquement affecté son intégrité. C'est ce qui a motivé le jugement de la Cour constitutionnelle.

Le Président a convoqué, le 24 novembre, le Conseil suprême de la défense nationale et demandé des rapports aux institutions de sécurité nationale, avant de décider, quelques jours plus tard, de déclassifier les documents, qui ont été mis à la disposition des organes d'enquête pénale travaillant sur ce sujet. La Cour constitutionnelle est, quant à elle, habilitée à vérifier si le processus électoral a été gravement altéré par cette ingérence étrangère.

Plusieurs sujets doivent être pris en considération : le financement, les réseaux extrêmement professionnels dans l'espace numérique, notamment sur TikTok, mais pas uniquement, des algorithmes incroyables... En l'espace de deux ou trois semaines, un candidat qui n'atteignait que 1 % des intentions de vote est parvenu à 23 % des suffrages, en tête du premier tour de l'élection présidentielle. Ce n'était pas un accident : un mouvement très professionnel a porté atteinte à l'intégrité du processus électoral et c'est la raison pour laquelle cette décision sans précédent a été prise.

Les prochaines élections ont été fixées il y a quelques jours au mois de mai. Il y aura très probablement un candidat unique, libéral, c'est-à-dire affilié au Parti populaire européen (PPE). Nous disposons d'un gouvernement de coalition dirigé par le leader de mon parti politique, le Parti social-démocrate (PSD), incluant le Parti national libéral (PNL) et l'Union démocrate magyare de Roumanie (UDMR), qui assure la stabilité du pays.

Il faut se battre pour faire prévaloir les principes démocratiques dans cette situation de crise. La Roumanie dispose heureusement de ressources : le nouveau gouvernement présentera dans deux semaines son projet de budget au Parlement et les prévisions économiques anticipent une croissance du PIB de 2,5 %, un déficit et une dette publics sous contrôle et une inflation à 7 %. Du reste, nous ne sommes pas dépendants du gaz russe, ce qui est une bonne chose.

M. Cédric Perrin, président. - Merci, Monsieur le Président. Très peu d'argent a été dépensé lors de la campagne électorale par le candidat passé de 1 % des intentions de vote à 23 % des suffrages...

M. Titus Corlatean. - Zéro ! Il n'avait aucun budget.

M. Cédric Perrin, président. - Après l'annulation de l'élection par la Cour constitutionnelle, y a-t-il une prise de conscience de la part de la population ? Les Roumains ont-ils conscience d'avoir été manipulés ? Pensez-vous que les comportements électoraux évolueront en conséquence ?

M. Titus Corlatean. - Nous avons sous-estimé ce qui se disait sur les réseaux sociaux ces dernières années en Roumanie sur les sujets de souveraineté, sur la nécessité de ne pas pousser le pays vers la guerre contre la Russie ou sur la glorification des anciens leaders de l'extrême-droite fasciste roumaine ou de Poutine, en dépit de ses crimes. Tout cela a eu des conséquences. La Russie a usé des mêmes méthodes ailleurs, y compris tout près de chez nous, en République de Moldavie.

Le candidat en question a obtenu 23 % des voix, mais pas la majorité. Depuis, il se présente en victime de l'establishment, ce qui a eu un écho auprès d'une partie de la population, y compris de la diaspora roumaine. En revanche, une part importante de la population a été choquée par la perspective d'une opposition de la Roumanie à l'Union européenne et à l'Otan. Nous comptons sur la rationalité de la majorité des Roumains pour les amener à voter correctement.

M. Christian Cambon. - Je voudrais à mon tour saluer le président Corlatean, que je connais de longue date, ainsi que Madame l'Ambassadrice, qui, depuis son arrivée, fait rayonner la Roumanie en France.

La relation que nous entretenons avec la Roumanie est d'une importance considérable, à la fois de par le rôle que joue la Roumanie du fait de sa proximité avec l'Ukraine, la Moldavie, la Transnistrie et la mer Noire et de par son développement économique et l'intérêt qu'elle suscite auprès des entreprises françaises. J'ai d'ailleurs récemment appris que c'était la région de Dacia, où sont produits les véhicules de la marque éponyme, qui avait donné son nom à la plus grande réussite de Renault.

Je voudrais vous interroger sur deux initiatives que pourrait prendre la France pour renforcer plus encore les liens entre nos deux pays au lendemain de l'accident démocratique qui a failli arriver et a pu être évité grâce au courage de la Cour constitutionnelle de Roumanie.

La Roumanie est l'un des piliers de la francophonie. La pratique du français par le président Corlatean nous montre combien cette langue y est honorée et pratiquée. Nous savons aussi que des milliers d'étudiants fréquentent les grandes universités francophones roumaines. Néanmoins, nous devons aller plus loin pour affirmer notre volonté de développement économique et de sécurité.

Je me suis interrogé - et j'ai évoqué cette question avec le président du Sénat - sur la possibilité de signer avec la Roumanie un traité comme nous en avons signé d'autres avec des pays amis - je pense, par exemple, au traité d'Aix-la-Chapelle avec nos amis allemands, au traité du Quirinal, que nous avons célébré récemment, avec l'Italie, au traité de Nancy, en cours d'élaboration avec les Polonais, ou encore au traité de Madrid, qui nous unit depuis peu à l'Espagne. Je crois qu'il serait temps, pour montrer l'intérêt que nous marquons à son égard, de proposer un traité d'amitié, de sécurité et de coopération à la Roumanie. J'aimerais donc savoir, Monsieur le Président, quelle serait la réaction des autorités roumaines à une telle proposition.

De la même manière, alors que l'Europe subit les conséquences des manoeuvres de déstabilisation menées par la Russie, je pense qu'il conviendrait de s'interroger sur le Triangle de Weimar, institution qui unit la France, l'Allemagne et la Pologne. Il pourrait être intéressant de transformer ce triangle en carré en l'étendant à la Roumanie, pour une coopération plus poussée en matière de sécurité. J'ai parfaitement conscience du rôle que vous jouez dans le cadre de l'Otan. Depuis le départ de nos troupes d'Afrique, la Roumanie est le pays qui concentre le plus de troupes françaises, lesquelles viennent en réassurance auprès de nos amis roumains.

Je pense que nos commissions respectives s'illustreraient par leur soutien à ces projets, qui peuvent certes paraître ambitieux, mais qui, compte tenu de l'utilité des traités nous unissant à nos pays amis, permettraient de témoigner auprès de la Roumanie de notre amitié, de notre soutien et de notre volonté d'aller plus loin.

M. Titus Corlatean. - Merci beaucoup pour votre question, Monsieur le Président. J'ai pris note de ces deux propositions. Concernant la première, j'ignore si une discussion structurelle a lieu entre nos gouvernements, mais votre proposition n'est pas dénuée d'intérêt. En effet, nos relations reposent notamment sur le traité d'amitié conclu entre la Roumanie et la France, qui mériterait d'être mis à jour.

Dans les circonstances actuelles, la solution réside dans la consolidation de la cohésion au sein de l'Union européenne. La Russie provoque l'ensemble du monde démocratique et il nous faut donc travailler tous ensemble pour y répondre de façon appropriée.

J'envisage donc avec ouverture la perspective de la conclusion de traités pouvant inclure des questions de coopération stratégique, de sécurité internationale et, dans notre cas particulier, de coopération culturelle. Nous devons y travailler.

Concernant un éventuel format de Weimar +, je suis d'autant plus favorable à votre proposition que l'Union européenne n'est pas parvenue à atteindre son objectif tendant à devenir un acteur de la sécurité globale et à consolider sa résilience. Avec tout le respect que je porte aux autres pays de notre région, les plus importants du point de vue politique, stratégique, militaire et économique sont la Pologne et la Roumanie. Les deux piliers traditionnels de l'Union européenne que sont la France et l'Allemagne pourraient donc intégrer la Roumanie à leur dialogue avec la Pologne. Cela présenterait selon moi des avantages stratégiques nous permettant de mieux gérer les provocations de la Russie.

Je soutiens donc votre seconde proposition, qui pourrait faciliter les projets relatifs à l'industrie européenne de défense et aux acquisitions communes. J'étais présent au sommet de l'Otan au pays de Galles en septembre 2014. Nous nous y étions engagés à porter le budget de la défense à 2 % du PIB, objectif immédiatement respecté par la Roumanie - nous avons atteint depuis lors 2,5 % du PIB. Le renforcement de notre sécurité nationale est indispensable aux yeux des autorités roumaines.

M. Cédric Perrin, président. - À ce propos, nous lançons, au sein de notre commission, une mission d'information sur la base industrielle et technologique de défense européenne dont les rapporteurs seront Pascal Allizard et Hélène Conway-Mouret. Nous avons beaucoup à dire sur ce sujet et je me réjouis que vous l'ayez abordé dans un sens qui nous est commun.

M. Philippe Folliot. - J'étais en Roumanie du 13 au 16 mars 2022 et me suis rendu à la frontière entre la Roumanie et l'Ukraine. Je peux témoigner des efforts de la Roumanie pour accueillir de très nombreux réfugiés ukrainiens dans un moment particulièrement délicat.

J'aimerais connaître votre avis sur les événements qui ont lieu en Ukraine. Cette guerre est la mère de tous les conflits et de son issue dépendent non seulement l'avenir du continent européen, mais aussi celui des relations internationales. En effet, le fait qu'un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU s'affranchisse des règles du droit international et du respect des frontières constitue un signal particulièrement fort. À cet égard, ce qui nous rassemble au niveau de l'Union européenne et de l'Otan est notre volonté de faire respecter le droit international, la liberté des peuples et leur droit à vivre en sécurité à l'intérieur de leurs frontières.

La Roumanie étant par définition en première ligne du fait de sa frontière commune avec l'Ukraine, quelle est votre analyse concernant le risque de partition de l'Ukraine et d'annexion par la Russie d'une partie de son territoire ? Si les combats devaient cesser, comment la Roumanie et la France pourraient-elles apporter des éléments de garantie et de sécurité à l'Ukraine pour éviter que ce qui s'est passé en 2022 ne se reproduise dans quelques années ?

M. Titus Corlatean. - Je doute que quelqu'un dispose des réponses à ces questions difficiles. Nous pouvons soit essayer de revenir au multilatéralisme, soit accepter que la force remplace le droit. La Russie utilise toujours les mêmes méthodes, qu'il s'agisse de la République de Moldavie, de la Transnistrie, de la Géorgie ou de la Crimée : elle place une partie du territoire d'un pays sous contrôle militaire pour l'empêcher d'avancer vers une adhésion à l'Union européenne ou à l'Otan. C'est ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine.

Les Ukrainiens ont accompli des miracles pour faire face aux Russes et éviter que Kiev ne tombe entre leurs mains. Une telle résistance a été rendue possible par le soutien des Européens et des Américains, mais cette situation ne peut pas durer éternellement. À Bucarest, nous refusons que des discussions aient lieu au sujet de l'Ukraine sans participation de l'Ukraine. Il faut respecter le droit des Ukrainiens à décider des modalités concrètes d'un cessez-le-feu.

Bien entendu, nous devons travailler dans le cadre de l'Otan avec les États-Unis, mais nous ne savons pas comment la situation va évoluer après le 20 janvier. Il y a une différence entre la rhétorique politique des campagnes électorales américaines et la réalité des actes. Par exemple, en demandant aux membres de l'Otan d'accroître leur part dans le financement des dépenses militaires dont ils bénéficient, Donald Trump s'inscrivait en réalité dans la lignée de Barack Obama. En 2014, j'étais à la table des négociations avec le Président de la Roumanie quand Obama a formulé une demande très claire de solidarité tendant à ce que nous portions le budget de la défense à 2 % du PIB. Je pense, en toute franchise, que des leçons ont été tirées à Washington, car les Américains auront besoin des Européens dans la compétition pour la primauté stratégique mondiale.

Nous disposons donc de ressources en vue d'un dialogue politique. Celui-ci ne sera pas facile et nous devrons rester unis, sans écarter l'Ukraine des négociations avec la Russie. On voit dans l'Histoire que, quand les grands acteurs des relations internationales s'entendent, ce sont les petits acteurs, tels que la Pologne ou la Roumanie, qui paient la facture. Pour nous, la facture inclut l'intégration de la République de Moldavie à l'Union européenne. Nous voulons avoir à notre frontière des États démocratiques poursuivant une démarche d'intégration européenne et, si possible, otanienne, comme l'Ukraine. Notre frontière n'est pas uniquement celle de la Roumanie, mais aussi celle de l'Otan.

Ce processus va donc commencer. Il implique de préserver la cohésion entre nos partenaires, sans privilégier d'acteur individuel.

M. Cédric Perrin, président. - Nous avons participé à une réunion du G7 sur les questions de renseignement à Rome il y a environ un mois. Y participait, entre autres, Mike Turner, qui présidait la commission de la défense et de la sécurité de l'Assemblée parlementaire de l'Otan. Il était en mission pour expliquer la politique que Trump souhaitait mettre en oeuvre en Europe. Lorsque nous l'interrogions, il souriait souvent et répondait que la réalité pouvait être différente de la rhétorique électorale.

Nous devons donc garder espoir et espérer une inflexion des positions des États-Unis. N'oublions pas que l'Europe constitue un débouché important pour l'industrie de défense américaine. Les industriels américains ne manqueront sans doute pas de le rappeler au président Trump. Restons donc prudents et attendons de voir comment les choses évolueront. Quoi qu'il en soit, je partage votre point de vue sur l'ensemble de ces questions.

M. Mickaël Vallet. - J'ai présidé il y a deux ans la commission d'enquête du Sénat français sur TikTok. Ce qui a éclaté en Roumanie nous a particulièrement intéressés, mais nous nous serions bien passés d'un cas pratique aussi concret et étonnant.

Vous, la classe politique, les observateurs et ceux qui font la vie publique roumaine, à partir de quand vous êtes-vous rendu compte qu'il y avait un problème dans cette campagne électorale et n'avez-vous plus eu de doute sur les évènements que vous observiez ? Comme vous l'avez dit tout à l'heure, tout cela est très insidieux et on ne mesure pas à quel point la question algorithmique avance de manière masquée jusqu'à produire des effets.

D'autre part, s'agissant de la réglementation européenne, nous pouvons être fiers de ce qui a été mis en place dans l'espace européen et revêt désormais un caractère normatif pour d'autres régions du monde autour de la question des données, avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), et de celle des contenus, avec le Digital Services Act (DSA). Il semblerait que vous ayez été touchés sur les deux tableaux, avec, d'une part, la captation de données dans l'objectif d'organiser les choses en amont et, d'autre part, l'absence de modération des contenus.

Après une quarantaine d'auditions, notre commission d'enquête, créée à l'initiative de Claude Malhuret, qui en était le rapporteur, a constaté que les responsables de TikTok en France n'étaient pas capables de nous dire qui était responsable des modifications de l'algorithme - à la différence d'autres plateformes, chez qui le nom d'une personne revenait en permanence. De plus, il nous a été indiqué hier - mais cette information doit être vérifiée et n'a pas encore été commentée par l'intéressé - que la filiale américaine de TikTok pourrait être rachetée par Elon Musk et X.

Selon vous, disposons-nous, à l'échelle européenne, des bons outils et les utilisons-nous correctement ? Ou bien sommes-nous passés à un nouveau stade et devons-nous aller plus loin ?

En Europe, une partie des États - ceux qui ont une fibre juridique et une approche culturelle un peu plus latines -, admettent le fait que l'opinion publique puisse être manipulée et ne considèrent pas qu'encadrer ce risque revienne à porter atteinte à la liberté d'expression. De grandes manifestations ont eu lieu ces derniers jours à Bucarest : on y voit le hiatus entre les partisans d'une liberté totale et ceux qui ont conscience de la difficulté.

Nous avons d'ailleurs un problème avec l'Irlande sur la question des données, les autorités irlandaises faisant preuve d'un grand manque de zèle pour sanctionner les plateformes défaillantes.

M. Titus Corlatean. - La dynamique était tellement exceptionnelle et rapide que nous avons remarqué trop tard ce qui se passait. Les services de renseignement nous ont transmis les informations et ont apprécié les conséquences de cette dynamique, qui n'a explosé que deux ou trois semaines avant l'élection.

M. Georgescu était un peu connu dans l'espace public. Il donnait des interviews de temps en temps et avait même été proposé à un moment donné au poste de Premier ministre, en raison d'une certaine expérience aux Nations unies. Nous avions focalisé notre attention sur deux autres entités politiques souverainistes : d'une part, un parti qui existait déjà au cours de la législature précédente et dont nous pensions qu'il serait le principal danger pour notre démocratie et, d'autre part, une femme déjà connue pour ses activités au Parlement européen et dont on ne savait pas si elle allait atteindre les 5 %. Nous avons donc été surpris de l'irruption d'un autre concurrent.

À peu près 800 comptes ont été créés pour relayer du contenu en faveur de M. Georgescu en 2016. Ils fonctionnaient alors à 1 % de leur capacité. Quelques mois avant l'élection, 20 000 comptes supplémentaires sont apparus. Ils ont amorcé un véritable bombardement de contenu à deux ou trois semaines du scrutin : si le contenu concernant M. Georgescu n'apparaissait pas en première position lorsque vous ouvriez TikTok, il arrivait juste après et vous ne trouviez ensuite que cela. Ils ont utilisé les algorithmes et l'intelligence artificielle d'une manière très professionnelle, ce qui implique des ressources humaines considérables. Il était difficile de prévoir ce qui s'est passé en l'espace de deux ou trois semaines.

C'est un bon signal d'alarme pour nos partenaires européens. Il faut tirer des leçons de l'expérience roumaine, notamment en matière de communication entre les institutions sur les enjeux de souveraineté nationale. J'ai participé, au nom du groupe socialiste, à une réunion des leaders des groupes politiques européens de Strasbourg dans le cadre de la commission de Venise. Il a été décidé à cette occasion de rédiger un rapport sur les critères utilisés par une cour constitutionnelle pour annuler des élections, en prenant en compte le cas roumain.

Concernant votre seconde question, je crois que ce à quoi nous avons assisté en Roumanie n'aurait pas eu lieu si la réglementation européenne était suffisante. Il est nécessaire de tenir compte du développement exceptionnellement rapide de l'intelligence artificielle et de constamment mettre à jour les règles applicables.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a récemment adopté la convention-cadre sur l'intelligence artificielle, la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit. À cette occasion, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a refusé nos amendements visant à assurer l'intégrité des processus électoraux contre les ingérences étrangères. Nous avons pourtant été confrontés à ces dernières quelques mois plus tard !

Je pense qu'il serait souhaitable d'adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme donnant à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le pouvoir de sanctionner les États qui n'agiraient pas pour mettre à jour leur législation de façon appropriée.

M. Olivier Cadic. - Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir accueilli plusieurs fois à Bucarest et j'en profite pour saluer Madame l'Ambassadrice et la remercier pour son action au service de la relation bilatérale.

Lorsque nous nous sommes rencontrés la dernière fois, quelques semaines après le début de la mission Aigle, vous aviez remercié la France. J'aimerais, de mon côté, vous remercier pour votre participation à la construction européenne et votre action pour la défense des valeurs européennes. Vous êtes aujourd'hui en première ligne et je trouve heureux que nous soyons à vos côtés, car les peuples ne perdent la vie que quand ils perdent la mémoire, comme le disait le maréchal Foch.

Une ingérence étrangère a conduit à l'annulation de l'élection présidentielle dans votre pays. C'est une première dans l'Union européenne, qui rappelle l'influence de Cambridge Analytica sur le référendum sur le Brexit. Nous voyons aujourd'hui les conséquences vers lesquelles ce type de pratiques peut nous entraîner.

En France, nous avons créé l'agence Viginum pour travailler à la prévention des actions visant à perturber nos processus électoraux. En mars 2023, j'avais rencontré le responsable du service roumain d'information, qui est l'équivalent de notre direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). J'avais évoqué avec lui votre loi 53, recouvrant la cybersécurité et la lutte contre la désinformation, qui venait d'être adoptée. J'ai entendu votre analyse et partage votre point de vue sur la nécessité de faire en sorte que cette expérience nous serve à tous. Ce qui vous est arrivé aurait pu arriver à n'importe quel pays et il faut que nous puissions nous défendre collectivement.

Allez-vous réviser la loi 53 et relancer le processus législatif, si tant est que cela puisse permettre de vous protéger ? Où en êtes-vous de la transposition de la directive NIS 2 sur la cybersécurité ? Nous sommes nous-mêmes en retard sur ce plan, dans la mesure où la directive aurait dû être transposée en octobre dernier.

M. Ludovic Haye. - Permettez-moi de vous remercier pour la clarté de vos propos sur une situation aussi complexe. J'aimerais revenir sur la situation stratégique de la mer Noire, qui est une zone tampon entre la Russie et l'Occident faisant l'objet de bien des convoitises. Vous le savez mieux que moi : les ports de Constanta et de Galati sont devenus essentiels à l'exportation des céréales ukrainiennes, mais la présence de nombreuses mines flottantes dans la région complique sérieusement les opérations. Or, la France excelle dans le domaine de la conception et de la fabrication des drones de déminage.

Quel est aujourd'hui votre niveau de collaboration avec les entreprises duales françaises ? Quels sont vos projets en la matière ?

M. Titus Corlatean. - Il est nécessaire d'améliorer très rapidement notre législation nationale. La prochaine session du Parlement roumain doit s'ouvrir le 1er février prochain. Je peux vous dire que le gouvernement travaille actuellement sur un projet d'ordonnance d'urgence concernant la réglementation des campagnes électorales et les sanctions applicables. Il devrait être adopté dans les prochaines semaines. Quoi qu'il en soit, le processus va suivre son cours. Nous aurons besoin d'un peu de temps pour déterminer avec nos experts la meilleure façon d'améliorer les législations roumaine et européenne.

Je ne suis pas en mesure de vous répondre concernant la transposition de la directive NIS 2 et reviendrai vers vous après vérification.

Il y a effectivement des mines flottantes dans la mer Noire. Il y a un an et demi, nous avons lancé avec la Turquie et la Bulgarie une initiative tripartite visant à mettre en place une coopération intégrée pour assurer le déminage et la sécurité de la navigation dans notre partie de la mer Noire. D'autres pays aimeraient y participer et nous pouvons envisager de l'élargir pour bénéficier de l'expertise et des compétences techniques de nos partenaires. De ce point de vue, une coopération avec la France serait bienvenue.

M. Patrice Joly. - Vous avez évoqué l'enjeu géopolitique que revêt la sécurité des pays situés aux frontières de la Roumanie. Au regard de l'actualité, j'aimerais connaître votre analyse sur la situation de la Moldavie, et en particulier sur la problématique spécifique de la Transnistrie. La fourniture de gaz par la Russie étant interrompue, quelles perspectives voyez-vous ce pays et cette province que l'on cherche visiblement à déstabiliser ?

Mme Gisèle Jourda. - Merci pour la clarté de vos propos. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur vos relations avec la Chine. Je rappelle que la Roumanie a un temps appartenu au format 16+1, en sommeil depuis plusieurs années, et que vous avez abandonné votre accord avec la Chine sur le nucléaire en 2020. En outre, la Roumanie constitue une porte vers l'Europe pour la Chine dans le cadre de sa stratégie des nouvelles routes de la soie.

M. Titus Corlatean. - Vous connaissez sans doute l'identité commune qui fonde les relations entre la Roumanie et la République de Moldavie. Plus de 70 % de la population parlent le roumain ; ce sont nos frères de l'autre rive. La Roumanie a été le premier pays à reconnaître l'indépendance de la République de Moldavie, proclamée le 27 août 1991. Nous n'oublions ni notre histoire ni notre destin commun.

En partenariat avec la France, la Roumanie a soutenu l'intégration européenne de la République de Moldavie en appuyant ses efforts réformateurs, tout en essayant de la protéger des provocations russes. Depuis un mois, nous soutenons également la République de Moldavie dans la crise énergétique qu'elle traverse, mais les Russes, qui dirigent les séparatistes de Transnistrie, refusent le soutien moldave et roumain en matière énergétique.

La République de Moldavie étant constamment l'objet des attaques de Moscou, la progression de sa candidature à l'adhésion à l'Union européenne est un élément positif. Ce processus prendra du temps et sera influencé par la suite des évènements en Ukraine. La République de Moldavie est un petit pays, mais ce qui s'y passe est déterminant pour la sécurité de la région.

La question chinoise est complexe. En 1968, Ceausescu a refusé de suivre l'Union soviétique dans l'invasion de la Tchécoslovaquie. C'était un acte de courage, auquel le peuple roumain a réagi de manière très positive. Nous devions par conséquent être les suivants à être envahis par l'Union soviétique, mais les Chinois nous ont sauvés. En effet, Zhou Enlai s'est rendu à l'ambassade de Roumanie à Pékin pour rencontrer l'ambassadeur, puis a fait des déclarations publiques devant la presse chinoise afin de dissuader Moscou de lancer une opération militaire contre la Roumanie. Il n'est pas aisé d'oublier un tel épisode, qui aurait pu se conclure de façon dramatique.

Nous avions par conséquent une relation de coopération avec la Chine. À un moment donné, néanmoins, la Roumanie a assumé son identité européenne et décidé, sur une question aussi cruciale que celle de l'énergie nucléaire, de porter des projets uniquement avec ses partenaires stratégiques plutôt qu'avec la Chine.

Aujourd'hui, notre relation n'est pas exceptionnelle. Nous privilégions donc une coopération pragmatique. Nous sommes particulièrement mécontents du traitement par la Chine de certains ressortissants roumains au regard des droits de l'homme. Nos tentatives pour obtenir leur libération ont toutes échoué pour le moment.

Nous suivons la stratégie européenne qui définit les modalités envisageables de coopération avec la Chine, sans oublier la compétition stratégique qui met la pression sur l'Union européenne. Il nous faut conserver l'esprit d'équipe et une bonne coordination entre partenaires européens.

M. Cédric Perrin, président. - Merci, Monsieur le Président, pour ces échanges très enrichissants, qui démontrent combien la diplomatie parlementaire, à laquelle le Président Larcher est très attaché, est importante. Nous accordons une importance particulière aux liens que nous entretenons avec les commissions des affaires étrangères et de la défense des Parlements des pays amis et les propositions formulées tout à l'heure par le Président Cambon s'inscrivent dans cette logique.

J'ai eu l'occasion de me rendre à Constanta et à Cincu il y a un an ou deux avec le premier régiment d'artillerie, au sein duquel je suis réserviste citoyen, pour procéder à des tirs de lance-roquette unitaire au bord de la mer Noire. J'ai vu à cette occasion la manière dont nos soldats étaient accueillis en Roumanie ; ils en étaient très heureux et très fiers. Je tenais donc à vous en remercier.

Je sais que vous êtes un ami de la France, du Sénat et de notre commission. Merci encore pour le temps que vous nous avez consacré.

M. Titus Corlatean. - Merci de m'avoir accordé la possibilité de vous rencontrer et d'échanger avec vous de manière très amicale. Le Sénat roumain dispose d'une commission des affaires étrangères, que je préside, et d'une commission de la défense et de l'ordre public.

Je vous rappelle à ce propos que notre assemblée est décisionnaire en matière de politique étrangère et de sécurité nationale.

M. Christian Cambon. - Vous avez de la chance !

M. Cédric Perrin, président. - J'espère que nous prendrons exemple sur vous d'ici à quelques années ! Nous fêtons de notre côté les 150 ans du Sénat français cette année.