Mardi 21 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Benoît Vallet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), de Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses et de Mme Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN)

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le chapitre dédié au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées - je vous remercie pour votre présence Monsieur Benoit Vallet, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et Madame Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN), ainsi que Monsieur Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses.

Avant toute chose, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Benoit Vallet et Matthieu Schuler et Mme Sophie Lardy-Fontan, prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie, ensuite, de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

M. Benoît Vallet, directeur général de l'Anses. - Je n'en ai pas, Monsieur le président.

Matthieu Schuler directeur général délégué du pôle « Sciences pour l'expertise » de l'Anses. - Moi non plus.

Mme Sophie Lardy-Fontan, directrice du LHN. - Moi non plus.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.

Monsieur Vallet, en tant que directeur général de l'Anses, vous êtes au coeur des enjeux sanitaires et environnementaux qui intéressent notre commission d'enquête. Quel est le rôle de l'Anses concernant les eaux conditionnées ? Comment la doctrine administrative sur la microfiltration des eaux minérales naturelles a-t-elle évolué et quelle est aujourd'hui la position de l'Anses sur cette question ? Pourquoi notre droit ne définit-il pas de seuil précis de microfiltration ? N'est-ce pas inconfortable pour les autorités de contrôles ? Comment interprétez-vous ce manque de clarté de la part des autorités ?

Quel est le cadre de surveillance des eaux conditionnées, quels sont les paramètres habituellement surveillés et comment les laboratoires interviennent-ils ? Si les paramètres virologiques n'en font pas partie, cela signifie-t-il pour autant que nous encourons des risques de contaminations virologiques ?

Merci de nous éclairer sur ces éléments techniques et scientifiques, qui ont justifié la recommandation par l'Anses d'un plan de surveillance renforcée sur les eaux exploitées par Nestlé Waters en octobre 2023. Que recouvrait concrètement ce « plan de surveillance renforcé » ?

M. Benoît Vallet. - Merci de l'attention que vous portez à l'Anses dans ce dossier relatif aux eaux minérales naturelles.

Nous sommes avec Sophie Lardy-Fontan, directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy, qui est le laboratoire national de référence pour le suivi de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, mais pas seulement - il s'agit aussi des eaux de loisirs -, et la référence également d'évaluations sur l'innocuité du matériel utilisé à des fins de production ou de traitement et de distribution de l'eau. Elle mène des recherches dans le domaine qui nous intéresse, mais aussi dans le domaine des eaux usées, puisque le suivi épidémiologique d'un certain nombre de pathogènes se fait à partir des stations d'épuration, en lien avec Santé publique France, qui traduit les éléments observés en matière de contamination en épidémiologie.

L'Anses fait de l'expertise scientifique et c'est à ce titre que nous avons été sollicités par la Direction générale de la Santé (DGS) dès novembre 2022 sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui. L'Agence produit de la recherche, elle finance de la recherche et elle assure, d'une manière globale, des missions de sécurité sanitaire. L'Agence n'élabore pas de normes, sauf pour les laboratoires : à ce titre, elle définit le cadre de qualité des laboratoires d'analyse de l'eau. Les avis de l'Anses doivent donc être traduits en normes par le pouvoir réglementaire ou législatif ; dans les faits, ils servent souvent de références sur les dossiers de sécurité sanitaire.

Dans le domaine de la sécurité des eaux, nous nous intéressons aux eaux de consommation humaine - l'eau du robinet - et aux eaux conditionnées, les eaux de source et les eaux minérales naturelles, qui relèvent de règles différentes. Nous pouvons être sollicités pour contrôler la qualité des eaux conditionnées, voire évaluer leurs processus de contrôle, mais nous ne sommes pas nous-mêmes un organisme de contrôle. Nous sommes impliqués dans le suivi des eaux utilisées dans la chaîne alimentaire, les eaux d'abreuvement pour les animaux d'élevage, ainsi que les eaux utilisées dans les entreprises du secteur alimentaire, soit comme ingrédient, soit pour nettoyer les aliments. Dans ce cadre, nous sommes sollicités sur les éléments de réutilisation des eaux usées, en particulier dans la chaîne alimentaire ; notre expertise est sollicitée, nous travaillons sur des documents existants, des résultats et des preuves scientifiques, sans effectuer nous-mêmes de contrôles. Nous intervenons également sur les eaux de loisirs, de baignade et les eaux de piscine.

Dans ce cadre, l'Agence a pour mission d'évaluer les risques sanitaires pour l'homme liés à la présence de micro-organismes - de différents types, que ce soit des protozoaires, des bactéries, des virus et un certain nombre d'autres contaminants bactériologiques, mais aussi les contaminants chimiques. L'un de nos laboratoires, à Boulogne-sur-Mer, travaille sur la présence des microplastiques, en particulier dans les eaux embouteillées - je crois que vous avez prévu prochainement une audition de Guillaume Duflos, son responsable. Nous évaluons l'innocuité et l'efficacité des produits et procédés de traitement pour savoir quel type de conséquences cela peut avoir sur la consommation humaine ou sur les eaux de baignade. Et nous regardons aussi l'innocuité des matériaux et des objets utilisés dans les installations. Depuis le 1er mars 2021, nous avons des missions relatives à la délivrance, à la modification et au retrait de l'agrément des laboratoires chargés de la réalisation de prélèvements et d'analyses du contrôle sanitaire des eaux.

Pour les eaux conditionnées plus spécifiquement, l'Anses évalue les risques liés aux éléments d'origine naturelle. Elle est consultée sur les limites adaptées pour l'étiquetage relatif à l'alimentation des nourrissons. Elle intervient, en appui aux ministères chargés de la santé et de l'industrie, dans le cadre des discussions scientifiques et techniques liées à la directive 2009/54/CE de la Commission européenne, ainsi que des textes du Codex alimentarius concernant les eaux embouteillées. L'Agence recueille des données sur les consommations d'eau embouteillée lors des enquêtes nationales sur les consommations alimentaires, appelées INCA. Ces enquêtes, qui sont désormais associées à des études de biosurveillance menées par Santé publique France, permettent de collecter des données précieuses. La première étude de cette nouvelle typologie, appelée Albane a été lancée à la fin de l'année 2024 et deviendra un dispositif national au cours du printemps de cette année.

Au sein de la direction d'évaluation des risques placée sous l'autorité de Matthieu Schuller, l'unité d'évaluation des risques liés à l'eau est chargée de conduire l'expertise. Le laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) intervient également sur les aspects plus fondamentaux - je laisse à Sophie Lardy-Fontan le soin de préciser le rôle exact de ce laboratoire de référence. L'Anses s'appuie sur un collectif de quelque 800 experts, dont beaucoup sont extérieurs à l'Agence - celle-ci compte 1 400 salariés, dont environ 700 chercheurs et des personnels de recherche.

Comme je l'indiquais précédemment, l'Anses a été sollicitée une première fois fin novembre 2022 par la DGS pour évaluer l'impact d'une microfiltration avec un seuil de coupure inférieur à 0,8 micron sur le microbisme naturel d'une eau minérale naturelle ou eau de source. Plus précisément, l'Agence a été interrogée sur deux questions : est-ce qu'en dessous de ce seuil, la microfiltration a un impact sur le microbisme de l'eau ? Et la microfiltration avec un seuil de coupure de 0,2 micron a-t-elle un effet de désinfection de l'eau ? Dans le courrier en réponse que j'ai adressé au directeur général de la santé le 16 décembre 2022, je rappelle la position de principe qui était celle de l'Affsa - laquelle a fusionné avec l'Afset, en 2010, pour donner naissance à l'Anses -, dans un avis de 2001, estimant que jusqu'à 0,8 micron de coupure, on pouvait considérer qu'il n'y avait pas d'interférence avec le microbisme de l'eau, cet avis n'ayant cependant pas été traduit dans un texte réglementaire, à ma connaissance. Le cabinet du ministre de la santé nous a demandé des précisions, en particulier sur le droit utilisé par nos voisins européens, et nous avons alors eu connaissance de la norme espagnole, qui fixe un seuil de coupure de 0,45 micron. L'utilisation de filtres à coupure plus fine peut laisser entendre qu'il y a une volonté de se débarrasser d'espèces bactériennes, ce qui ne préjuge pas d'autres types de contaminants ou de présence virale, et c'est la taille de ces filtres qui va s'imposer par rapport à des présences bactériennes indésirables.

Nous avons eu ensuite, en avril 2023, une demande plus approfondie, d'appui scientifique et technique, pour évaluer la manière dont procèdent les usines de conditionnement d'eau du groupe Nestlé Waters Supply Est (NWSE) et du groupe Nestlé Waters Supply Sud (NWSS). Initialement, nous avions reçu une sollicitation de la part de la DGS, proposée par l'ARS Grand Est, qui a ensuite été complétée par l'ARS Occitanie. Cela a abouti à une seule saisine à l'endroit de l'Anses, en date du 28 avril 2023. Un rapport a été établi par le laboratoire d'hydrologie de Nancy, soulignant la nécessité de renforcer la surveillance des filières d'eau conditionnées dans les régions des Vosges et du Gard. Cet appui scientifique et technique, rendu le 16 octobre 2023, n'avait pas pour objet les dispositions prises par l'entreprise, mais plutôt l'élaboration d'un cahier des charges pour rendre l'eau la plus acceptable possible, en tenant compte des espèces bactériennes, des virus et des intrants chimiques.

Enfin, nous avons reçu une demande d'appui scientifique et technique pour analyser les différences rapportées au LHN entre les résultats de mesures effectuées par ou à la demande de l'exploitant, Nestlé Waters, et ceux effectués par le laboratoire agréé par l'ARS dans le cadre du contrôle sanitaire. Il s'agit d'un travail de comparaison sur les capacités d'évaluation des laboratoires commanditaires dans ce cadre d'analyse de l'eau faite par l'exploitant.

Matthieu Schuler. - Dans le courrier du 16 décembre 2022, nous exploitons des connaissances existantes, nous n'avons pas, comme l'Affsa en 2001, réuni un collectif d'experts, nous avions un temps court pour travailler et peu de données pour documenter la question scientifique consistant à déterminer si, en dessous de 0,8 micron, il existerait un seuil de coupure qui n'affecterait pas le microbisme de l'eau. Ce que nous avons fait à ce moment-là, c'est rappeler d'une part les travaux de 2008, indiquant qu'à 0,2 micron, voire déjà à 0,4 micron, l'absence d'impact était tout à fait douteuse - et, d'autre part, l'existence, depuis l'entrée en vigueur de la directive européenne de 2009, d'une liste des traitements compatibles avec l'appellation d'eau minérale naturelle ainsi que d'un mécanisme pour autoriser de nouveaux traitements.

Une précision de vocabulaire. On parle parfois indifféremment de surveillance et de contrôle, alors que ces notions recouvrent des choses différentes, sur le plan technique comme réglementaire. Dans le domaine des eaux en général, on désigne par surveillance les gestes qui sont posés par l'exploitant, la personne responsable, que ce soit pour la distribution de l'eau destinée à la consommation humaine ou pour l'exploitation d'une ressource d'eau minérale embouteillée : les actions qu'il mène à ce titre-là sont dénommées « surveillance », que l'exploitant conduit sous sa responsabilité - c'est bien normal puisqu'il est responsable, il doit mener une réflexion sur les types de risques associés soit à la ressource, soit au procédé de traitement, soit même au procédé d'embouteillage. De son côté, l'État effectue un contrôle sanitaire, en mobilisant ses propres ressources, des équipes techniques et des laboratoires qu'il peut mandater, ou en recourant à des laboratoires extérieurs. Le code de la santé publique oblige l'exploitant à se soumettre au contrôle sanitaire - c'est l'article L.1321-4 pour les eaux destinées à la consommation humaine, et L.1322 pour les eaux minérales naturelles. Ce contrôle est confié aux ARS, qui font appel à des laboratoires publics ou privés et qui sont tous agréés - ils doivent démontrer une compétence technique, c'est nécessaire puisque leurs résultats sont marqués du sceau de la confiance de l'action publique. Comment se construit cette confiance ? En plusieurs étapes. La première, fixée dans l'arrêté de 2007 relatif à l'agrément des laboratoires, est qu'ils doivent être accrédités par le COFRAC, qui est une instance d'accréditation pour tout un ensemble de gestes techniques ; dans un deuxième temps, ils participent aux essais inter-laboratoires, suivis techniquement par le laboratoire d'hydrologie de Nancy.

La surveillance concerne l'exploitant, et le contrôle, l'action publique, avec un processus d'agrément. Par le passé, l'agrément était délivré par la DGS ; depuis la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), cette compétence a été confiée à l'Anses.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Le laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) est bien le laboratoire de l'Anses spécialisé sur les enjeux sanitaires liés à l'eau. En tant que laboratoire national de référence sur les eaux destinées à la consommation humaine, les eaux minérales naturelles et les eaux de loisirs, que ce soit dans le domaine de la chimie et de la microbiologie, ces missions sont un appui scientifique à la DGS et aux ARS, dans l'ensemble de leurs interventions, y compris dans des contextes de gestion de crise liés à l'eau.

Nos missions concernent également l'acquisition de connaissances sur l'occurrence de paramètres émergents, donc non encore réglementés, dans les ressources en eau utilisées pour la production d'eau potable, dans l'eau du robinet, dans les eaux conditionnées et dans les eaux de loisirs. Ces données sont acquises par la mise en oeuvre de campagnes nationales d'occurrence, l'animation de réseaux nationaux de laboratoires spécialisés, le réseau des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux et le réseau de laboratoires Biotox. Cette mission comprend l'organisation de journées techniques, de colloques thématiques, d'essais inter-laboratoires et d'activités de veille documentaire, réglementaire et scientifique. Le laboratoire est également impliqué dans la réalisation d'analyses de confirmation et de levée de doute sur des résultats de laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux lorsque cela lui est demandé par la DGS et ou les ARS. Nous participons aussi à l'élaboration des lignes directrices et de normes sanitaires relatives à l'eau ainsi qu'à la révision des textes réglementaires et des travaux normatifs dans le domaine des eaux, ainsi qu'à des groupes d'experts européens, et nous étudions des demandes d'importation d'eau minérale naturelle embouteillée.

Dans le cadre de l'agrément des laboratoires, le LHN instruit et évalue les demandes d'agrément des laboratoires pour la réalisation des prélèvements et des analyses du contrôle sanitaire des eaux pour les paramètres physico-chimiques et microbiologiques qui sont délivrés par l'Agence. À la demande de l'autorité d'agrément, le LHN peut être mandaté pour réaliser des inspections de laboratoires agréés en cas de dysfonctionnements qui sont portés à sa connaissance.

Dans la conduite de ses activités, le LHN travaille en étroite collaboration avec l'unité d'évaluation des risques liés à l'eau (UERE) de la direction d'évaluation des risques. Par ailleurs, certains scientifiques du laboratoire sont membres du Comité expert spécialisé « Eaux » et du Groupe de travail « Évaluation des risques sanitaires liées l'eau destinée à la consommation humaine qui lui est rattaché. Nos scientifiques sont également impliqués et ou sollicités dans les travaux de saisines qui sont pilotés par l'UERE.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous êtes des spécialistes, habitués à manipuler des notions scientifiques précises, compliquées pour les non-initiés et je vais vous demander de nous répondre de la manière à la fois la plus circonstanciée et la plus simple, ce qui est toujours le plus difficile ; il y a eu aujourd'hui des révélations de presse, nous avons des questions et cet effort de clarté et de concision que je vous demande, est nécessaire pour que nous puissions aller au bout de l'analyse.

Je commence par une question qui est au coeur de toute cette affaire : est-ce qu'une microfiltration à 0,2 micron est, pour vous, assimilable à une désinfection et, de ce fait, interdite sur les eaux minérales naturelles ?

M. Matthieu Schuler. - Le fait de trancher entre l'interdiction ou l'autorisation relève de l'autorité de gestion du risque, donc du ministère de la santé. Ce que nous indiquons dans notre avis, c'est qu'en dessous de 0,4 micron, nous ne sommes plus dans une situation où l'on peut affirmer qu'il n'y a pas d'impact sur le microbisme de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc cela signifie que vous considérez qu'il y a une modification du microbisme de l'eau, au point que cette eau ne peut plus être considérée comme de l'eau minérale naturelle ?

M. Matthieu Schuler. - C'est difficile de répondre par oui ou par non, cela dépend des délimitations que l'on fixe au champ des eaux minérales naturelles, de la définition de cette eau. La directive européenne de 2009 liste les traitements autorisés. Ensuite, l'Affsa s'est prononcée en 2001 pour dire qu'à 0,8 micron, l'impact était limité, et nous considérons aussi qu'en dessous de 0,4 micron, l'impact n'est plus limité.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre avis, pourquoi utiliser une microfiltration de 0,2 plutôt que de 0,8 micron ? Comment expliquez-vous que les industriels aient voulu le faire : la seule explication possible n'est-elle pas la gestion d'un risque sanitaire ?

M. Benoît Vallet. - En réalité, le risque sanitaire n'est pas réglé par une filtration plus fine, puisque des micro-organismes continuent de passer, c'est ce que nous disons dans notre document d'octobre 2023. Est-ce que cette modification du filtre a pour intention de supprimer des espèces bactériennes ? Il faut poser la question aux industriels eux-mêmes.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Voyez-vous une autre raison que sanitaire pour expliquer ce choix ?

M. Matthieu Schuler. - L'Anses est une agence de sécurité sanitaire, elle examine les dispositifs technologiques en fonction de leur intérêt sanitaire. C'est ainsi que dans la note technique que nous avons écrite, nous indiquons qu'une microfiltration à 0,2 micron constitue une action assimilable à une désinfection. En revanche, nous n'avons pas de connaissances technologiques sur la variété des motifs qui peuvent conduire un acteur économique à mettre en place un certain nombre de traitements. Notre expertise est la science au service de la sécurité sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Donc, à votre connaissance, il n'y a pas d'autre motif - puisque vous n'avez pas d'expertise technique sur le sujet ?

M. Matthieu Schuler. - Effectivement, nous n'avons pas d'élément pour nous positionner en connaissance.

M. Benoît Vallet. - Ce qui a été écrit, et les éléments vous ont été transmis, c'est qu'une microfiltration si fine peut s'apparenter à une désinfection.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsque vous avez été saisi le 23 novembre 2022, aviez-vous connaissance du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ? Ce rapport vous a-t-il été fourni à ce moment-là, lorsque vous avez été saisi ?

M. Benoît Vallet. - Non, et notre réponse l'indique, nous précisons que nous n'avons pas été destinataires de ce rapport, alors que notre Agence avait été largement sollicitée par cette inspection. Nous n'avons eu connaissance de ce rapport que très tardivement.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Je ne l'ai obtenu qu'une fois mis en ligne sur le site internet de l'Igas.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous dites que vous êtes allée le chercher vous-même sur le site internet de l'Igas ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Oui, je fais une veille documentaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous l'aviez demandé antérieurement - et pas obtenu ? Comment étiez-vous informés de son existence ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous avions été sollicités pour y participer, donc nous savions qu'une inspection était en cours : mais nous n'avons eu connaissance du rapport qu'une fois celui-ci rendu public.

M. Laurent Burgoa, président. - Est-ce une pratique courante, ou exceptionnelle, que l'Igas ne communique pas avant la publication de son rapport ?

M. Benoît Vallet. - Ce n'est pas une question simple.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos relations avec l'Igas sont-elles fluides, ou bien chacun travaille-t-il sans interagir avec l'autre ?

M. Benoît Vallet. - À la différence de la Cour des comptes, l'Igas ne prévoit pas dans le processus d'élaboration de ses rapports d'étape de contradictoire; elle peut en rendre compte aux administrations interrogées parfois à l'oral ou dans les grandes lignes, mais le détail n'en est connu qu'à la publication du rapport. Je ne sais pas ce qu'il en a été ici. Lorsque j'étais directeur de la santé, j'ai assisté à des restitutions de rapports en cours d'élaboration, mais je ne sais pas si elles étaient faites à tous ceux qui avaient été interrogés pour l'enquête, au-delà des commanditaires. Dans les contrôles de la Cour des comptes, ceux qui ont participé lisent au moins la partie qui les concerne, la Cour leur donne la possibilité de réagir dans le cadre d'une procédure contradictoire sur la partie qui les concerne - je le dis en tant que membre de la Cour des comptes dont je suis détaché pour les missions que j'exerce à l'Anses, après celles que j'ai exercées à l'ARS des Hauts-de-France.

M. Matthieu Schuler. - Les inspections générales travaillent pour leurs commanditaires, nous avons des relations très fluides avec elles, car nous sommes auditionnés fréquemment. Mais la décision de communiquer sur tout ou partie du rapport en cours d'élaboration, dépend du commanditaire, ce n'est pas une question de fluidité des relations avec les inspections.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est une décision du commanditaire de ne pas vous transmettre cette information au moment où vous êtes saisi. Vous n'avez pas été associé dans l'élaboration du rapport, au sens du contradictoire ?

M. Benoît Vallet. - Non. Il y a peut-être à réfléchir sur la communication pendant l'élaboration elle-même, en phase intermédiaire.

M. Laurent Burgoa, président. - Quand avez-vous eu connaissance du rapport de l'ARS d'Occitanie - et avez-vous eu connaissance du rapport définitif ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - En décembre dernier, nous avons reçu une transmission de la part de la DGS, qui comportait une version non complète, avec des parties masquées ou anonymisées. Il s'agit de l'inspection commune sur site faite par la DGCCRF et l'ARS le 30 mai 2024 - nous vous avons communiqué les pièces.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans la réponse à la saisine qui vous est faite, vous soulignez l'absence de dossier constitué et d'éléments de preuve sur la capacité avancée par les industriels, avec les seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron, à assurer la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée.

Qu'attendiez-vous concrètement de ce dossier constitué, à ce moment-là ? L'avez-vous obtenu par la suite pour travailler, ou attendez-vous toujours un dossier constitué pour vous prononcer sur la microfiltration à 0,2 micron ?

M. Matthieu Schuler. - Nous n'attendons pas de dossier particulier pour une raison très simple : c'est que, pour mettre en place un traitement qui respecte le cadre des eaux minérales naturelles, il faut suivre la voie définie en application de la directive de 2009, qui confie à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), et non à l'Anses, la compétence pour l'autorisation des traitements.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je vais reformuler ma question, car je n'ai pas très bien compris. La première fois que vous avez rendu un avis sur le seuil de filtration à 0,8 micron, vous avez signalé que vous aviez un dossier constitué qui vous permettait de le faire. Et là, dans votre réponse, vous dites que vous ne disposez pas d'un dossier de ce type et que vous n'êtes pas en situation de répondre à la question. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Matthieu Schuler. - Il faut regarder les calendriers : quand l'Afssa répond en 2001, elle le fait avant la directive de 2009, elle répond au ministère de la santé, qui a la compétence d'autoriser la filtration : l'Afssa évalue sur le plan scientifique et technique, pour l'autorité compétente, la DGS ; lorsque nous sommes interrogés en 2022, le droit n'est plus le même, il faut désormais passer par la case EFSA, ce qui n'empêche pas qu'il pourrait y avoir un pré-dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi, alors, le ministère s'est-il tourné vers vous, et pas vers l'EFSA ?

M. Matthieu Schuler. - La DGS ne nous demande pas une autorisation de traitement, mais un avis sur différents niveaux de filtration. Nous apportons donc les éléments techniques à notre disposition - en l'absence, comme vous l'avez dit, du dossier du pétitionnaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui est paradoxal dans votre réponse, c'est que vous demandiez un dossier constitué dans votre courrier, en disant que la question posée est complexe...

M. Benoît Vallet. - En réalité, dans ce courrier, nous ne demandons pas qu'un dossier soit constitué. En 2001, l'Afssa dispose d'un dossier spécifique relatif à un outil de filtration de l'eau parce que la question posée alors à l'Agence, c'est de savoir si, oui ou non, le dispositif proposé était conforme à des éléments de filtration tels qu'ils étaient jugés conformes par les experts à l'époque - le dossier était constitué puisque l'Agence devait valider ou refuser un dispositif précis dédié à l'amélioration de la qualité d'une eau. Fin 2022, la question n'est pas la même, mais plutôt : quel avis avez-vous sur des outils de filtration en général - et que pensez-vous de tel ou tel niveau de filtration ? Et notre réponse, dans les délais impartis, porte sur l'état des connaissances : nous ne faisons pas une étude scientifique, nous répondons par courrier sur ce qu'on peut dire en l'état - et nous disons en particulier qu'en descendant en dessous de 0,4 micron, la filtration modifie ce qui peut être considéré comme la présence microbienne dans l'eau. Nous ne demandons pas de constituer un dossier, nous répondons au vu d'éléments qui viennent de cas où il y a eu des dossiers constitués - c'est le sens du courrier que vous citez.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Oui, je comprends. Cependant, dans l'échange que vous avez avec la DGS, savez-vous qu'on vise en réalité un cas pratique, Nestlé, ou bien répondez-vous « à l'aveugle » - comprenez-vous bien ma question ?

M. Benoît Vallet. - Oui, tout à fait, c'est une très bonne question - je laisse mon collègue y répondre.

M. Matthieu Schuler. - Le contexte nous est présenté dans les échanges préparatoires. C'est du reste pourquoi, dans notre réponse, en plus des éléments techniques à notre connaissance, nous rappelons quels sont les procédés de traitement autorisés dans le cadre de la réglementation des eaux minérales naturelles.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci. Je passe à des questions sur le risque sanitaire. Des courriels de l'ARS Occitanie à l'Anses montrent que, dès fin janvier 2020, les prélèvements de contrôle sanitaire de Perrier mettaient en évidence des contaminations microbiologiques, donnant lieu à des blocages de certaines unités de production. Les traitements de désinfection n'étaient pas connus des services, ils se demandent par conséquent - je cite un courriel : « Comment imaginer que de telles contaminations mesurées juste avant l'embouteillage, au niveau de la soutireuse, ne se retrouvent pas dans le produit fini ? Comment une entreprise agroalimentaire comme NWSS peut-elle ne pas s'être préoccupée d'une contamination qui dépasse largement le cadre de la ligne d'embouteillage ? Les contaminations sont mesurées après traitement par microfiltration, il n'y a donc pas d'autres étapes de traitement qui permettraient de les maîtriser avant l'embouteillage. » Donc dès janvier 2020, ces contaminations sont constatées sur le site Perrier. Elles donnent lieu au blocage des unités de production concernées et l'ARS dénombre au moins trois autres épisodes de contamination : en juin 2020, en septembre 2020 et en janvier 2021.

Quelles ont été les conclusions du LHN sur ces épisodes de contamination ? Le risque pathogène a-t-il été écarté sur les trois épisodes que je viens d'évoquer ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Il faut reprendre le contexte. Nous sommes sollicités pour des appuis à la validation et à l'éclairage méthodologique, pour évaluer des risques. Les questions qui nous sont posées sont méthodologiques, de qualité et de validation de la donnée, nous ne faisons pas de réponse sur des enjeux sanitaires. Nous faisons des éclairages d'appui pour aider l'ARS à préciser et à mieux caractériser l'occurrence et l'identification des pathogènes suspectés - mais nous ne nous aventurons pas au-delà de ces questions méthodologiques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour obtenir une réponse, il faut donc que je me tourne vers l'ARS Occitanie, et, le cas échéant, vers le laboratoire avec lequel elle a travaillé ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Effectivement, nous avons pu valider les éléments établis, mais seulement d'un point de vue méthodologique et de qualité de la donnée, nous ne nous substituons pas à nos collègues qui pilotent l'évaluation des risques.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-il fréquent que l'Anses soit sollicitée pour des risques portant sur les eaux embouteillées ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Non, c'était arrivé une seule fois avant, en 2019 à Luchon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquez-vous ces contaminations, alors même que Nestlé utilise des lampes à UV et des filtres à charbon ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - La chaîne d'embouteillage est un moment connu de fragilité, c'est pourquoi il est important que l'exploitant dispose d'un plan HACCP pour maîtriser les risques liés à sa filière d'embouteillage.

M. Matthieu Schuler. - Tout acteur de la chaîne alimentaire, que ce soit l'eau ou l'alimentation solide, doit faire ce raisonnement : pour chaque étape de la production d'un produit qui sera consommé, il faut examiner les dangers propres aux matériaux, et à ceux que le processus d'élaboration lui-même peut ajouter, et réfléchir à la maîtrise des risques. C'est l'objet de la surveillance, aux différentes étapes, qui doit jouer son rôle de filet. Dans le cas spécifique que vous évoquez, je ne sais pas à quelle étape du procédé on se situe : au niveau du captage, ou bien post-traitement ?

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lors d'une concertation interministérielle dématérialisée de février 2023, le Gouvernement a décidé, malgré l'avis de l'Anses, de tolérer un abaissement des seuils de microfiltration. Êtes-vous alors informés de ce choix ? À partir de quand en avez-vous eu connaissance ?

M. Benoît Vallet. - Nous n'avons pas été informés de cette concertation interministérielle dématérialisée, et je ne sais pas s'il y a eu une préparation des services pour aider les ministères. La concertation interministérielle, ses conclusions, les éléments qui seront utilisés ensuite, tout cela nous échappe et nous n'en avons pas eu connaissance. Nous sommes informés beaucoup plus tardivement que cette réunion a eu lieu, mais nous n'en connaissons pas les conclusions écrites ni les conséquences sur les sites - personnellement, je ne le sais toujours pas. L'Anses est utilisée comme un expert scientifique, qui apporte des éléments de preuve scientifique ; mais nous ne sommes pas associés à la préparation des décisions d'autorisation, de régulation, et notamment pas aux réunions interministérielles.

Depuis que je suis arrivé à l'Anses, j'ai participé à une seule réunion interministérielle, lorsqu'il a fallu arrêter le S-métolachlore, les ministères de la santé, de l'environnement et de l'agriculture, m'ont associé à cette réunion, c'est la seule fois en deux ans et demi.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce fréquent que le Gouvernement ne suive pas votre avis sur l'état de la réglementation ?

M. Benoît Vallet. - En l'occurrence, nous ne nous prononçons pas sur l'état de la réglementation ni sur la façon dont on pourrait éventuellement en changer. On l'a rappelé, nous nous sommes demandés si la taille de la microfiltration était normée, on a vu que ce n'était pas le cas dans la référence de l'Affsa. Il y a désormais une dynamique nationale, l'Anses peut apporter son expertise scientifique pour aider à écrire des textes. Sur la réutilisation des eaux usées, par exemple, nous avons précisé ce qu'on pouvait faire en matière d'appui scientifique sur les eaux usées, mais la décision ne nous appartient pas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais vous voyez bien par le calendrier que vous avez été consultés pour prendre une décision.

M. Benoît Vallet. - C'est vrai, mais nous ne sommes pas dans cette boucle-là.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En l'occurrence, vous avez donné un avis qui n'a pas été suivi par l'autorité politique.

M. Benoît Vallet. - En réalité, tous nos avis ne sont pas suivis par les autorités politiques. Notre avis sur la vaccination contre l'influenza aviaire hautement pathogène n'a pas été strictement suivi par le ministère de l'Agriculture, il a fait un choix économique pour soutenir une filière précise, et ce choix ne résulte pas mécaniquement du poids que nous accordons à la preuve par rapport au mérite de la vaccination pour un certain nombre d'espèces avicoles, telles que les canards, les dindes et les poules : certains critères de la décision sont indépendants des éléments de preuves scientifiques que nous apportons. Il appartient à l'autorité administrative de prendre ses décisions en connaissance de cause. Et quand elle nous a sollicités sur l'impact d'une microfiltration, nous avons répondu non pas avec des données nouvelles, mais avec des données anciennes qui avaient été proposées à l'époque pour un dispositif très spécifique, et l'autorité administrative en a fait l'usage qu'elle souhaitait en faire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En octobre 2023, vous préconisez la mise en place d'une surveillance renforcée, notamment virologique, à l'égard des eaux de Nestlé Waters. Pourquoi ? Peut-on en déduire qu'avant cette surveillance renforcée, des eaux potentiellement contaminées aient pu être mises sur le marché ?

M. Benoît Vallet. - Cet avis ayant été adopté sur la base de l'appui scientifique et technique du LHN, je me permets de passer la parole à sa responsable.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Sur la base des éléments documentaires et de leur analyse, nous avons confirmé un état de vulnérabilité des ressources en eau sur les sites qui nous avaient été signalés, à savoir les sites de Nestlé Waters sur la partie Occitanie et sur la partie Grand Est.

Sur la base des données fournies par l'exploitant que nous avions qualifiées de parcellaires, non exhaustives et ne nous permettant pas d'avoir un avis plein et entier, et sur la base des données de contrôle sanitaire qui nous avaient été également transmises, il nous a semblé qu'il était impératif d'avoir un plan de surveillance renforcé.

Ce plan de surveillance renforcé est structuré et graduel, avec une première étape visant à renforcer le panel d'indicateurs en considérant leur complémentarité et leur niveau d'information. Le deuxième niveau consiste à augmenter les fréquences d'échantillonnage pour avoir plus de pertinence quant aux éléments de fragilité identifiés, à savoir des problématiques de contamination microbienne d'origine anthropique, qui faisait suite à des épisodes climatiques particuliers. Pour être réactif et prendre les bonnes décisions, il faut une surveillance préétablie, dont les fréquences prennent en compte le contexte.

Le troisième niveau consiste à améliorer les performances et les méthodes mises en oeuvre, dans leur qualité, dans leur fiabilité, dans leur faculté à être suffisamment fines pour répondre aux questions posées.

Nous avons donc proposé un plan de surveillance renforcé, pour mieux prendre en compte les risques liés à la présence d'éléments virologiques en lien avec des contaminations d'origine naturelle. À l'heure actuelle, dans la surveillance de l'exploitant et/ou dans la surveillance conduite par le contrôle sanitaire exercé par les ARS, il y a des indicateurs de contamination fécale, qui sont des indicateurs bactériologiques. Ils ne sont pas pertinents pour prendre en compte le risque lié à la virologie, car les virus sont beaucoup plus petits et ils ont des dynamiques de circulation différentes. D'où l'importance de couvrir aussi ces aspects virologiques - notre idée, c'est de proposer des proxys qui permettent justement de cibler ce risque.

Au gré de l'évolution du cadre réglementaire sur la surveillance des eaux destinées à la consommation humaine, nous avons donc introduit des indicateurs virologiques : les bactériophages, qui sont maintenant déployés dans d'autres contextes avec des laboratoires qui montrent une expertise sur des méthodes normalisées, permettant de s'assurer d'éléments de base comparables. Ainsi, quelle que soit la partie prenante qui les met en oeuvre, une base méthodologique harmonisée est en place, la plus pertinente pour prendre des décisions et apporter des éclairages à la fois pour l'exploitant et pour l'ARS, en charge de la gestion.

M. Benoît Vallet. - L'expertise nous est demandée par deux ARS, à charge pour elles d'utiliser les outils méthodologiques que nous préconisons - je le sais précisément, pour avoir dirigé l'ARS des Hauts de France. L'Anses n'a pas de pouvoir normatif, sauf sur le contrôle des laboratoires qui font l'analyse de l'eau : au-delà de l'accréditation Cofrac, nous examinons si les laboratoires ont les moyens spécifiques de contrôler l'eau. Nous nous sommes déplacés par exemple à Mayotte, c'était avant le passage du cyclone Chido, parce que l'ARS se posait des questions sur les laboratoires et sur la présence dans l'eau de métaux lourds ; nous avons dépêché deux personnes du LHN pour aller faire ce contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avril 2024, un arrêté préfectoral ordonne la destruction de 9 000 lots en raison d'un risque virologique. Êtes-vous sollicité en amont de cette destruction ? En êtes-vous informés, d'une manière ou d'une autre ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous n'avons pas été informés en amont. Cependant, cette démarche fait suite à la demande d'appui technique qui nous a été transmise en juillet 2020. Elle a abouti à un contrat signé en juillet 2024 pour un appui à l'ARS. L'objectif était d'aider l'ARS à évaluer la divergence de résultats entre ceux du laboratoire agréé du contrôle sanitaire, mandaté par l'ARS pour effectuer les contrôles réglementaires, et les données fournies par l'exploitant. La décision de destruction vient directement de ces éléments.

M. Benoît Vallet. - C'est le troisième temps de saisine que j'ai indiqué dans mon propos liminaire. Le premier temps correspond aux deux courriers adressés au DGS : le premier, puis un petit complément, fin d'année 2022, début 2023. Le deuxième temps, c'est l'appui scientifique et technique rendu en octobre 2023. Et le troisième temps, c'est le travail en cours qui a surtout pour vocation d'identifier les écarts entre les mesures faites par le laboratoire travaillant pour Nestlé, et celles du laboratoire travaillant pour l'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En avril 2024, vous échangez par courriel avec Cédric Arcos, le directeur de cabinet de la ministre de la Santé ; ces échanges évoquent des éléments de langage proposés par le cabinet du ministre de l'industrie. Quels en étaient les objectifs ? Dans ces échanges, vous semblez recadrer quelque peu votre interlocuteur, puisque quand il vous dit que vous lui avez fait un simple courrier, vous lui rappelez que vous avez envoyé deux courriers au DGS- et, plus généralement, lui faites état de toutes les démarches qui ont été entreprises. Avez-vous l'impression qu'il y avait, à ce moment-là, une volonté de minimiser la portée des travaux de l'Anses ? Comment vous souvenez-vous de ces échanges ?

M. Benoît Vallet. - Il y avait à ce moment-là du mouvement dans les ministères, des cabinets ont changé ; Mme Catherine Vautrin était ministre de la Santé et des Affaires sociales, occupant ce poste élargi pour la première fois ; son directeur de cabinet venait d'arriver, il ne connaissait pas les éléments de dossier, je crois que dans le courriel auquel vous faites référence, je répondais à un courriel qui était au départ adressé au DGS, et qu'on m'avait fait suivre parce que le DGS n'était pas disponible à ce moment-là, c'est un élément à vérifier ; dans ce courriel, je communique les éléments d'information au cabinet de la ministre, le conseiller se renseignait sur ce qui avait été fait et comment cela avait été fait, d'autant que le bruit médiatique commençait à monter.

Le directeur de cabinet adjoint de Mme Vautrin, Yann Bubien, a été informé par ce mail puisqu'il m'a, par la suite, posé des questions supplémentaires, pour savoir ce qui avait été fourni au titre du droit d'accès aux documents administratifs. C'était l'interrogation essentielle, à ce moment-là, de savoir quel type de document nous avions fourni, à quoi nous avions répondu, et comme il y avait eu des mouvements de cabinets et de personnes, nous avons complété ces informations pour que les ministres en aient connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui étonne, cependant, c'est que la concertation interministérielle dématérialisée est organisée par Cédric Arcos...

M. Benoît Vallet. - Je ne le savais pas.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous poserons la question à M. Arcos, qui a effectivement organisé la concertation interministérielle, en tant que collaborateur d'Élisabeth Borne, la Première ministre d'alors.

 M. Benoît Vallet. - Effectivement, Cédric Arcos était le conseiller santé au cabinet d'Élisabeth Borne, Première ministre, il y a eu du mouvement par la suite, beaucoup de mouvement ces derniers mois... Nous vous avons transmis les courriels dont nous parlons.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Nous apprenons aujourd'hui, par voie de presse, que la DGS aurait créé une nouvelle norme, une nouvelle ligne d'instruction avec un seuil à 0,45 micron. L'Anses a-t-elle été consultée sur ce seuil, comme elle l'a été par le passé sur le seuil de 0,2 micron ?

M. Benoît Vallet. - Non, pas à ma connaissance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La décision a donc été prise sans avoir l'avis d'une autorité sanitaire, à votre connaissance ?

M. Benoît Vallet. - Dans notre courrier de début 2023, où nous informions sur les pratiques de nos voisins européens, nous signalions que l'Espagne utilisait ce niveau de filtration de 0,45 micron - cela a peut-être été utilisé comme une référence, mais nous n'avons pas été consultés en tant que tels.

M. Hervé Gillé. - Je suis surpris par vos propos, car la chaîne de contrôle a été complètement éclatée. La DGS vous avait saisi sur un procédé de filtration, mais celui-ci intervient dans une chaîne de production qui comporte d'abord un captage. Disposiez-vous d'éléments ou de contrôles sur ce captage ?

M. Benoît Vallet. - En pratique, le recueil de ces éléments relève de l'ARS. La DGS nous a interrogés de manière extrêmement précise sur la question de la microfiltration et nous avons répondu de la manière la plus précise à cette question posée.

M. Hervé Gillé. - Il me paraît naturel que l'évaluation d'un processus et d'une procédure s'inscrive dans le cheminement complet de production, de l'aire de captage à la mise en bouteille, en passant par les différentes étapes, de manière à retrouver le sens même de la production et à évaluer la performance de la procédure à évaluer - il faut pouvoir la situer dans le cadre de la chaîne complète.

Je suis donc étonné que vous n'ayez pas eu tous ces éléments, puisque l'aire de captage en tant que telle apparaît comme viciée. Il faudra s'interroger sur les raisons pour lesquelles cette aire, qui est viciée depuis de nombreuses années, n'a pas été suffisamment contrôlée. La question de la rémanence se pose également - il faut évaluer la durée et la rémanence d'une pollution, parce que si on ne le fait pas, on laisse sciemment utiliser une eau qui a été polluée, qui a été viciée depuis de nombreuses années dans une chaîne de production qui faisait intervenir une technique qui n'était pas acceptée à l'époque. Il y a sincèrement de quoi se poser des questions.

M. Benoît Vallet. - Je comprends qu'ayant occupé les postes de directeur de la santé, de directeur d'ARS et de directeur de l'Anses, on puisse m'attribuer différents rôles dans les réponses que j'apporte aujourd'hui.

En tant que directeur de l'Anses, je n'ai pas ce rôle de contrôle, je ne suis pas le contrôleur d'une chaîne complète, sauf si on me le demande. C'est pour partie cette mission que nous ont confié les deux ARS Grand Est et Occitanie dans leurs saisines d'avril et de juillet 2023, celle d'un appui scientifique et technique plus complet en matière sanitaire.

Mais pour la saisine de novembre 2022 dont nous parlons, la question posée était très spécifique et la réponse est concise, elle utilise des données antérieures, sans prétention normative, elle visait simplement à réunir des valeurs d'expertise scientifique.

M. Hervé Gillé. - Vous imaginez bien que, dans l'impact qu'a effectivement ce sujet, le caractère segmenté de l'analyse est particulièrement préoccupant.

M. Benoît Vallet. - L'ARS a cette approche globale, c'est son rôle, elle travaille avec les exploitants, qui doivent mettre en place un certain nombre de dispositifs de surveillance, l'ARS s'en assure et elle peut effectuer des contrôles sur l'ensemble de la chaîne de production. Tout n'est pas contrôlé en permanence, le contrôle intervient quand il y a une inquiétude sur des contaminants identifiés.

M. Hervé Gillé. - Vous n'avez pas demandé que l'on vous communique ces éléments ?

M. Benoît Vallet. - Non, nous avons effectué ce travail dans la partie qui constituait l'appui scientifique et technique, qui est plus large, avec la logique d'expertise qui était demandée et pour une évaluation complète de la chaîne - mais pas dans le cas dont nous parlons.

M. Hervé Gillé. - N'avez-vous pas le sentiment qu'il y a là un manque dans les méthodes et les procédures, et qu'il faudrait approfondir la dimension de contrôle ?

M. Benoît Vallet. - Le rôle de l'Anses n'est pas de contrôler les ARS ni la DGS.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous avez l'expérience du travail en ARS.

M. Benoît Vallet. - Oui, mon expérience dans les Hauts-de-France à propos des dérivés de la chloridazone m'a été très utile, quand on a travaillé avec l'Anses et le Haut Conseil de Santé Publique pour trouver des mesures intermédiaires permettant de rationaliser la façon dont l'eau de consommation humaine peut continuer d'être utilisée ou non. Le constat, c'est que les références de qualité de l'eau ne sont pas sanitaires, mais qu'elles deviennent extrêmement inquiétantes pour les consommateurs quand elles franchissent certaines valeurs - alors qu'en réalité, les valeurs sanitaires nécessitent un recueil d'experts - un point sur la littérature scientifique, éventuellement de la production de connaissances, par exemple sur la toxicologie associée -, ceci pour établir ce qu'on appelle des valeurs sanitaires de référence, qui donnent le niveau attendu d'un métabolite donné dans l'eau de consommation humaine, par exemple.

Comme responsable d'une ARS, j'ai vécu la difficulté d'interpréter ces valeurs dites de qualité des eaux de consommation humaine, je m'étais rendu compte que les éléments que fournissait l'Anses venaient tardivement par rapport aux besoins immédiats de la population, qui demande au Préfet d'intervenir. En tout état de cause, les rôles sont différents, et complémentaires, entre Anses, DGS et ARS.

Mme Antoinette Guhl. - En résumant et simplifiant votre propos, on peut dire qu'une filtration à 0,2 micron arrête les bactéries, mais laisse passer les virus - c'est pourquoi, dans votre avis d'octobre 2023, vous signalez un risque virologique : de l'eau mise en vente pourrait contenir des virus. Qui plus est, il y aurait des divergences entre laboratoires, donc l'exploitant pourrait même avancer que son eau est pure, alors qu'elle ne l'est pas.

Sommes-nous bien dans cette situation, avec de l'eau filtrée à 0,2 micron qui est polluée et pour laquelle on peut encore avoir des problèmes virologiques ? Vous avez suggéré une action bactériophage, qu'en est-il advenu ? En quoi pouvons-nous être certains qu'il n'y a pas de problème virologique dans les eaux que nous buvons et qui sont filtrées à 0,2 micron ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - La première expertise conduite par le LHN, celle de la note d'octobre 2023, a conclu qu'il y avait un sujet de maîtrise du risque sanitaire en lien avec le risque virologique. Cependant, à aucun moment dans ce rapport, il n'est fait mention d'un danger lié à la mise en oeuvre de filtres 0,2 micron dans le processus.

La surveillance renforcée est mise en oeuvre sur le site de l'ARS Occitanie depuis juin 2024 ; elle est déployée de manière efficace, mettant en oeuvre les recommandations sur les indicateurs virologiques que nous avions faites.

Mme Antoinette Guhl. - Cela signifie donc qu'entre octobre 2023, quand les traitements interdits ont été arrêtés, et juin 2024, où cette surveillance renforcée a été mise en place, il y a eu un risque virologique pendant plus de six mois ? Vous ne le dites pas, mais on peut le déduire. En effet, le fait qu'il y ait un risque virologique sur de l'eau qui a été traitée de manière interdite implique qu'il est possible qu'il y ait eu un risque virologique. Je tiens à souligner ce point, car nous sommes capables de déterminer la durée pendant laquelle ce risque virologique s'est produit.

M. Matthieu Schuler. - Ce que nous ne pouvons pas affirmer, c'est le niveau de maîtrise des risques, notamment par une surveillance adéquate. Elle est en défaut sur la période que vous pointez, dans la mesure où nous n'avons pas une vision claire de l'historique, à savoir à quel moment tel ou tel traitement a été enclenché ou arrêté. Ainsi, les éléments de maîtrise du risque ne sont pas optimaux sur cette période-là, ce qui ne signifie pas - et cela est beaucoup moins évident - que le niveau de risque réel soit qualifiable.

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Nous avons toujours parlé de maîtrise du risque.

Antoinette Guhl. - J'entends, mais je ne suis pas tenue, moi, de parler de maîtrise du risque. Je peux dire qu'il n'est pas impossible que de l'eau contaminée par des virus ait été mise sur le marché, puisqu'il y a des divergences entre laboratoires, vous nous le confirmez et vous travaillez sur ce sujet. D'après vous, d'où viennent ces différences? Il est difficile de comprendre que la science ne soit pas exacte...

Mme Sophie Lardy-Fontan. - Le laboratoire qui opère pour l'ARS, le laboratoire agréé du contrôle sanitaire, suit de manière obligatoire un certain nombre de dispositions réglementaires. L'enjeu est d'assurer des données de qualité, comparables dans le temps et dans l'espace, et de disposer de données opposables - donc tout un ensemble de mesures est déployé, un arrêté méthode fixe des exigences de moyens et de performance auxquelles doivent répondre les laboratoires agréés. Nous faisons aussi appel à des laboratoires qui sont accrédités selon la norme 17.025 ou un équivalent, qui est différent - j'ai préparé des notes à ce sujet, je peux vous les présenter, mais je dois d'abord les retrouver sur mon espace numérisé de travail....

M. Benoît Vallet. - Je profite de cet interlude pour préciser qu'au moment de nos échanges de courriel, Cédric Arcos était au cabinet du ministre de la santé...

M. Laurent Burgoa, président. - On peut s'y perdre...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Est-ce le seul moment où vous ayez été associés à une gestion de crise ?

M. Benoît Vallet. - Je ne dirais pas que nous ayons été associés à une gestion de crise, nous avons répondu à une demande d'information...

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Certes, mais ce sujet était dans l'actualité, nous avons posé des questions au Gouvernement ici au Sénat.

M. Benoît Vallet. - Mon courriel date du 4 avril.

M. Matthieu Schuler. - En fait, nous avons été saisis par des journalistes, au titre de l'accès aux documents administratifs (Cada), nous en avons informé le ministère, qui nous a demandé des précisions - c'est l'objet du courriel dont vous parlez.

M. Benoît Vallet. - Les demandes d'accès aux documents administratifs interviennent en janvier, les éléments d'information pour la DGS sont établis en février, nous les adressons à Grégory Emery, qui venait tout juste de remplacer Jérôme Salomon comme directeur général de la santé. Les autres réponses reprennent ces éléments, en particulier celle à Cédric Arcos alors qu'il était au cabinet du ministre - je les lui ai envoyés parce que Grégory Emery n'était pas disponible, c'est vrai aussi qu'il y avait un contexte médiatique.

M. Laurent Burgoa, président. - Madame Lardy-Fontan, peut-être pourrez-vous nous adresser vos fiches par écrit ?

Mme Sophie Lardy-Fontan. - D'accord.

M. Matthieu Schuler. - Un mot sur les divergences de résultats entre les laboratoires. Proviennent-elles des procédures de contrôle ? Sont-elles fréquentes, massives, ponctuelles, épisodiques ? Les mesures de contrôle sont très fines, ce qui peut entraîner une certaine dispersion dans la méthode de mesure. Nous tâchons de répondre à ces questions, notre travail approche de sa fin, sans être tout à fait terminé.

Mme Florence Lassarade. - Comment sont faits ces filtres, avec quels matériaux ? À l'OPECST, nous avons fait des travaux sur la pollution plastique de l'eau que nous consommons, il y a de quoi s'interroger.

M. Matthieu Schuler. - Il y a probablement une grande variété de technologies utilisées pour ces filtres. Je n'en suis pas un spécialiste, mais je sais que tout ce qui est au contact de l'eau doit utiliser des matériaux conformes, testés par un laboratoire habilité pour vérifier qu'ils ne dispersent pas de substances indésirables, c'est un principe général.

Mme Florence Lassarade. - Je reste dubitative, on a vu que certains procédés de filtration produisaient du plastique sans que ce soit prévu.

M. Matthieu Schuler. - Dans ce cas, il faut regarder du côté des procédures de conformité.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci à tous les trois pour ces propos éclairants et précis.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 18 h 00.

Audition de Mme Caroline Paquet, responsable technique des marchés « Agences régionales de santé » et « Eaux minérales » du groupe Carso - Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon et de M. Yann Le Houedec, directeur général des activités pour la France d'Eurofins hydrologie

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions avec celle de Monsieur Yann Le Houedec, directeur général des activités environnementales pour la France d'Eurofins Hydrologie, et de Madame Caroline Paquet, responsable technique des marchés ARS et Eaux minérales du groupe Carso-Laboratoire santé environnement hygiène de Lyon (LSEHL).

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, les auditionnés prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie. Avez-vous d'éventuels liens d'intérêts par rapport à notre commission d'enquête ?

Aucun lien d'intérêt n'est déclaré.

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, cette dernière audition de la journée concerne toujours le dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame, Monsieur, vous représentez deux grands réseaux de laboratoires agréés par l'Anses pour la réalisation de prélèvements et/ou d'analyses des paramètres physicochimiques et microbiologiques du contrôle sanitaire des eaux.

Pourriez-vous présenter à la commission d'enquête le rôle de vos laboratoires dans le contrôle sanitaire des eaux ? Comment s'articule-t-il avec les laboratoires d'autosurveillance des exploitants ? À quelle fréquence et sur quels paramètres intervenez-vous ?

Le taux de conformité des prélèvements effectués sur les eaux minérales naturelles est-il satisfaisant, en comparaison d'autres types d'eaux ? Quelles sont les non-conformités les plus fréquentes ? Concernent-elles des paramètres microbiologiques ou physicochimiques ? Des non-conformités concernant la présence d'arsenic sont-elles fréquentes ?

Quels sont les risques de contaminations virologiques sur les eaux minérales naturelles ? Comment sont-ils appréciés ?

Êtes-vous amenés à contrôler des paramètres non prescrits par la règlementation (virus, microplastiques, PFAS...) ?

Vos laboratoires ont-ils été associés à la mise en oeuvre de plans de surveillance renforcée tels que celui recommandé par l'Anses en octobre 2023 concernant les eaux exploitées par Nestlé Waters ?

Une question importante sera aussi celle des éventuelles divergences d'interprétation entre vos analyses et celle des industriels ? Vos analyses comportent-elles des marges d'erreur ? Sont-elles contestables et sont-elles contestées par les industriels ?

Voici quelques questions sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en une dizaine de minutes chacun. Suivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission s'ils le souhaitent.

Mme Caroline Paquet, responsable technique des marchés ARS et Eaux minérales du groupe Carso-LSEHL. - Je suis responsable technique des marchés du contrôle sanitaire du groupe Carso-LSEHL, agréé par l'Anses pour les analyses du contrôle sanitaire, à la fois sur les matrices d'eaux potables et d'eaux conditionnées.

En ce qui concerne le marché des eaux embouteillées, nous sommes mandatés par le contrôle sanitaire dans les régions pour lesquelles nous sommes titulaires du marché public du contrôle sanitaire. Chez Carso, nous avons tous les embouteilleurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Nous nous occupons également d'un ou deux embouteilleurs de la région Hauts-de-France et d'un autre en région Bourgogne-Franche-Comté, soit environ 38 sites d'embouteillage sur l'ensemble du territoire.

Nous sommes missionnés par les autorités chargées du contrôle sanitaire sur un cahier des charges, lequel comprend des menus analytiques et des fréquences d'analyse à réaliser sur des points divers.

Lors d'un contrôle sanitaire, nous devons procéder à des analyses au point d'émergence de la source, mais également à des points avant sous-tirage, c'est-à-dire avant le process d'embouteillage, ainsi que procéder à des analyses des produits finis. Nos préleveurs se rendent sur site et récupèrent la bouteille d'un lot qui est prête à être livrée par l'embouteilleur.

Pour Carso, le marché du contrôle sanitaire des eaux embouteillées représente 3 % de toutes les analyses que nous réalisons en proportion de l'ensemble des activités de contrôle sanitaire que nous réalisons sur tout le territoire. En prenant plus largement l'intégralité de notre chiffre d'affaires que nous générons en analyse d'eau, à la fois en contrôle sanitaire et hors contrôle sanitaire, les analyses d'eau représentent 0,3 % de notre chiffre d'affaires.

Il s'agit donc plutôt d'une activité marginale en termes quantitatifs pour nos laboratoires, mais qui demande la plus grande vigilance, car il est souvent question de « matrices », c'est-à-dire de types d'eaux plus difficiles que d'autres à analyser, avec des caractéristiques atypiques, notamment sur de l'eau fortement minéralisée et de l'eau gazeuse.

En plus du contrôle sanitaire, de nombreux petits embouteilleurs nous confient par ailleurs leurs analyses internes, ce que l'on nomme « l'autocontrôle ». Ils ne disposent pas forcément eux-mêmes de gros laboratoires et ont besoin de nous pour réaliser leurs analyses d'autocontrôle.

Pour les plus gros embouteilleurs que nous contrôlons, notamment Volvic, Évian, ou encore les sites de Cristaline, les analyses sont souvent ciblées en fonction d'un contexte spécifique : COV (composés organiques volatils), pesticides, PFAS, etc., molécules qu'ils ne peuvent pas analyser dans leurs propres laboratoires. Les grands industriels représentent toutefois un chiffre d'affaires assez réduit par rapport à d'autres types d'industriels avec lesquels nous travaillons au quotidien.

La fréquence à laquelle nous sommes missionnés par les ARS est assez semblable à celle à laquelle nous sommes missionnés pour l'autocontrôle sur les sites qui nous ont également sélectionnés pour l'autocontrôle. Il s'agit d'une intervention mensuelle pour des analyses de suivi bactériologique, à la fois sur le point d'émergence de la ressource, mais également sur les eaux du process avant embouteillage et le produit fini avant libération de l'eau.

En parallèle, nous réalisons une autre intervention deux fois par an, pour laquelle nous prélevons beaucoup plus de bouteilles, dans le cadre d'un « menu d'analyse complet » : bactériologie, chimie, pesticides, produits phytosanitaires et radioactivité.

Nous pratiquons également le contrôle sanitaire et l'autocontrôle pour les eaux distribuées dans le réseau d'eau potable, en particulier l'eau publique du Grand-Lyon, notre client principal. L'eau potable représente 40 % du chiffre d'affaires de notre unité Environnement pour les analyses d'eau. À noter que les non-conformités relevées sont plus nombreuses pour l'eau potable que sur l'eau embouteillée.

Dans le cadre des analyses du contrôle sanitaire, si un laboratoire constate un résultat dépassant un seuil de conformité, l'ARS et l'exploitant sont immédiatement alertés.

Enfin, les non-conformités relevées sont plutôt de type bactériologique que polluant, métallique ou chimique.

M. Yann Le Houedec, directeur général des activités environnementales pour la France d'Eurofins Hydrologie. - Je représente Eurofins Environnement. Nous réalisons des analyses des eaux et disposons d'un réseau de laboratoires en France. Pour ce qui est de l'affaire qui nous concerne, deux de nos laboratoires réalisent le contrôle sanitaire, en Occitanie et dans les Vosges. Nous nous occupons des sites qui sont particulièrement visés dans les discussions actuelles.

Tous nos laboratoires sont accrédités COFRAC et agréés Environnement pour les analyses pour lesquelles nous sommes mandatés. Notre rôle consiste à prélever ce qui nous est demandé par l'ARS. La fréquence de prélèvement et le « menu analytique » (ce que nous devons analyser) nous sont imposés par l'ARS.

Seule l'organisation du prélèvement reste à notre main, c'est-à-dire le moment où nous pouvons aller prélever au sein d'un même mois. Pour le reste, l'ARS nous impose où prélever, quoi prélever et quel menu analytique réaliser. Nous rendons ensuite les résultats d'analyse, notamment sur les paramètres bactériologiques.

Nous effectuons trois types d'analyses :

- Bactériologique (Il s'agit des principales non-conformités que nous relevons) ;

- Physico-chimique (pH, conductivité, etc.) ;

- Recherche de micropolluants (intrants entropiques, notamment les pesticides).

Ces trois types d'analyses nous sont demandées par l'ARS et la fréquence à laquelle nous menons ces analyses nous est totalement imposée par l'ARS.

Nous avons également un laboratoire habilité pour les ACS (Attestations de conformité sanitaire) pour les dispositifs au contact de l'eau.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Merci de votre présence, la question de la fiabilité des données figure au coeur de nos débats, ayant notamment été questionnée par un certain nombre d'acteurs. Il est donc important que nous puissions comprendre le déroulement d'un contrôle sanitaire.

Lorsque vous réalisez le contrôle sanitaire d'un site à la demande de l'ARS, vous est-il interdit d'effectuer l'autocontrôle de ce même site, ou à l'inverse pouvez-vous être missionnés à la fois du côté de l'État et du côté de l'embouteilleur ?

Mme Caroline Paquet. - Pour un petit embouteilleur d'eau, nous pouvons à la fois réaliser un contrôle sanitaire et des analyses d'autocontrôle à sa demande. Cependant, il s'agit de deux demandes bien séparées, qui ne sont pas exécutées le même jour. Souvent, le petit embouteilleur se servira des analyses du contrôle sanitaire pour son autocontrôle et demandera des analyses en parallèle. Il est toutefois question de deux contrats différents, gérés par deux personnes différentes chez nous, avec également des prix différents.

De plus, le contrôle sanitaire est très réglementé, avec des seuils demandés et des rapports immédiatement envoyés à l'ARS, alors que dans le cas d'un contrat privé, l'embouteilleur peut nous demander les paramètres qu'il souhaite.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À partir de quel seuil, par exemple pour un grand site comme Nestlé, établissez-vous une séparation entre le contrôle sanitaire et l'autocontrôle ? Est-ce une pratique interne ou une règle établie ?

M. Yann Le Houedec. - Pour un laboratoire comme le nôtre, l'impartialité est la première disposition qui est étudiée par le Comité français d'accréditation, c'est-à-dire sa capacité à analyser et à répondre aux demandes de tous les clients de manière totalement impartiale. Cela me permet de travailler pour n'importe quel client et d'éviter les conflits d'intérêts.

Tout échantillon qui entre dans nos laboratoires est anonymisé. Il est également traité de manière totalement indépendante et nous n'effectuons aucun croisement de résultats. De plus, nous sommes en effet audités annuellement et ces audits vérifient notre impartialité vis-à-vis de l'ensemble des résultats que nous rendons.

Par ailleurs, notre agrément Santé a pour critère d'exigence l'impartialité. Ainsi, lorsque nous répondons à un contrat de contrôle sanitaire en appel d'offres public, l'ARS ne nous demande jamais si nous nous occupons déjà de l'autocontrôle de l'industriel en question ou d'un autre contrat. L'enjeu est de savoir si nous sommes agréés Santé, si nous détenons les compétences nécessaires et si nous savons réaliser les analyses demandées.

Par conséquent, nous n'avons pas de règle spécifique interdisant de réaliser à la fois l'autocontrôle et le contrôle sanitaire pour un même site. Le seul critère qui compte est l'impartialité, qui est inscrite dans les règles de gestion internes de nos laboratoires.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre réponse est claire. Cependant, avez-vous des clients qui sont l'objet de cette commission ? Il serait important de le préciser, pour votre protection.

M. Yann Le Houedec. - La réponse est positive.

Mme Caroline Paquet. - Nous avons effectivement des clients dans le secteur des eaux minérales, mais ils représentent une part minime de notre chiffre d'affaires. Il s'agit avant tout d'une carte de visite pour nous.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire combien de fois par an vous vous rendez sur un site ? Comment se déroule un contrôle sanitaire ? Que vous est-il demandé par les différentes ARS ? J'imagine que vous répondez aux mêmes appels d'offres.

Mme Caroline Paquet. - Nous répondons certes aux mêmes types d'appels d'offres, mais pas dans les mêmes régions. Les pratiques peuvent changer en fonction de l'ARS. Il nous est demandé de passer une fois par mois sur le site pour y réaliser des analyses bactériologiques.

Généralement, nous disposons d'une fenêtre d'un ou deux mois pour organiser une analyse complète sur laquelle nous déroulons l'intégralité du menu, de la source aux produits finis.

Notre seule marge de manoeuvre se limite à l'établissement de nos plannings, qui permettent à nos préleveurs de s'organiser pour se rendre tel jour dans telle usine.

M. Yann Le Houedec. - Les ARS nous demandent des fréquences de contrôle un peu différentes selon les sites. Nous recevons un planning avec les menus, les analyses à réaliser, ainsi que les points de prélèvements.

Notre seul but est de réaliser l'analyse au point de prélèvement qui nous est demandé. Lorsque nous nous rendons sur site, nous sommes accompagnés de l'industriel pour réaliser l'analyse. Nos préleveurs font quant à eux l'objet d'une accréditation.

Je conteste en revanche l'affirmation du rapport de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) suggérant que les laboratoires privés seraient moins impliqués que les laboratoires publics ou l'ARS. Nos préleveurs sont très professionnels et impliqués. Leur mission est de prélever au point indiqué, sans porter de jugement sur l'environnement industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous donner des exemples de fréquences de prélèvements entre deux ARS, en indiquant votre prélèvement le plus régulier et le plus espacé ?

M. Yann Le Houedec. - Je dirais que les fréquences varient entre la semaine et le mois. Les prélèvements dépendent aussi des spécificités de chaque site. Nous avons effectivement constaté des changements de planning pour l'ARS Occitanie, mais je ne peux pas en expliquer les raisons. L'ARS ne nous informe pas des motifs de ces changements, que ce soit pour les menus analytiques ou les plannings. Pour plus de détails sur ces modifications, je vous suggère d'interroger directement l'ARS Occitanie.

M. Laurent Burgoa, président. - Nous avons effectivement prévu d'entendre prochainement le directeur de l'ARS Occitanie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment vous assurez-vous que votre préleveur effectue lui-même le prélèvement et ne reçoit pas un échantillon préparé par l'industriel ?

Mme Caroline Paquet. - Nos préleveurs pour les eaux minérales et conditionnées sont expérimentés et connaissent bien les sites. Ils ont développé un regard critique sur leur activité, en particulier depuis 2022-2023.

Pour certains captages, l'ARS fournit des coordonnées GPS précises. Nos préleveurs utilisent alors des téléphones spéciaux pour valider leur position lors du prélèvement. Nous envoyons des bilans de prélèvement quotidiens ou hebdomadaires à l'ARS, selon ce qu'elle nous demande, pour les eaux potables et conditionnées.

Nous avons donc une bonne maîtrise sur les activités de nos préleveurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les révélations récentes ont montré que pendant des années, les industriels ont contourné la réglementation, en fournissant des échantillons prélevés après les traitements UV et les filtres à charbon. Avez-vous modifié vos pratiques pour prendre en compte ce risque de prélèvements effectués au mauvais endroit ?

M. Yann Le Houedec. - Le prélèvement a été effectué au bon endroit. Je pense plutôt que les dispositifs ont été placés en amont du point.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Puisque votre point de prélèvement vous est imposé par l'ARS, si ce n'est pas le bon point qui a été choisi, il n'en va pas de votre responsabilité, mais de celle de ceux qui vous l'ont donné.

M. Yann Le Houedec. - Exactement. Nous nous rendons au point de prélèvement qui nous est fourni.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Du point de vue de nos attentes, ce n'est pas le bon point, puisqu'il se situe après les traitements, mais j'entends votre point de vue.

Par ailleurs, pouvez-vous nous expliquer les différences entre les contrôles effectués sur l'eau du robinet ou l'eau de boisson d'une part, et l'eau minérale naturelle d'autre part ? L'eau minérale naturelle fait-elle l'objet de contrôles moins approfondis que les eaux de boisson et l'eau du robinet ?

Mme Caroline Paquet. - Les paramètres analysés restent les mêmes, qu'il s'agisse d'eau de source, d'eau minérale ou d'eau du robinet. La seule différence concerne les critères adaptés à l'alimentation des nourrissons, qui peuvent nécessiter des paramètres supplémentaires. L'idée d'un contrôle moins strict pour les eaux minérales vient peut-être du fait qu'elles ne subissent pas de traitement pour être rendues potables, contrairement à d'autres eaux conditionnées. Cependant, de mon point de vue, le contrôle reste identique.

M. Yann Le Houedec. - Concernant la fréquence des contrôles, nous suivons les directives des ARS. Il me semble que pour les eaux minérales, la fréquence est légèrement plus faible, mais nous respectons la fréquence qui nous est imposée.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour résumer, si j'ai bien compris, ce sont les ARS qui déterminent la fréquence et le lieu de prélèvement ?

M. Yann Le Houedec. - Oui, ainsi que le menu analytique.

M. Laurent Burgoa, président. - La fréquence peut-elle varier selon les différentes ARS ?

M. Yann Le Houedec. - Oui. Elle peut même changer en cours de marché.

Mme Audrey Linkenheld. - Les cahiers des charges auxquels vous répondez sont-ils identiques d'une ARS à l'autre, ou diffèrent-ils selon les régions ?

M. Yann Le Houedec. - Les marchés sont passés au niveau régional, donc les cahiers des charges sont spécifiques à chaque région, notamment en ce qui concerne les listes de produits phytosanitaires demandées.

Mme Caroline Paquet. - Les demandes sont adaptées au contexte régional.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Dans un certain nombre de cas, il est pointé le fait que l'autocontrôle ne donnerait pas le même résultat que le contrôle sanitaire, élément que nous avons retrouvé à plusieurs reprises de la part de Nestlé Waters. Avez-vous des éléments d'explications ?Pouvez-vous expliquer en quoi l'autocontrôle de l'industriel pourrait produire des résultats différents ? Est-ce une situation que vous rencontrez chez d'autres industriels de l'eau en bouteille, ou est-ce spécifique à ce cas ?

Mme Caroline Paquet. - Ce type de situation peut survenir avec tout type de client. En cas de réclamation client sur un résultat, nous vérifions notre traçabilité et nos processus analytiques. Si une erreur d'analyse est détectée de notre côté, nous corrigeons le rapport, en respectant notre process d'accréditation.

La plupart du temps, nos résultats sont confirmés. Nos laboratoires sont accrédités COFRAC, en plus d'être agréés par le ministère de l'Environnement et l'Anses. Nos méthodes sont éprouvées et adaptées à tous types d'eau et d'interférences. Après vérification interne, nous maintenons généralement nos résultats.

M. Yann Le Houedec. - Pour compléter, il faut savoir que ces gros industriels réalisent leurs propres autocontrôles. Ils nous envoient juste des échantillons ponctuellement, pour vérifier la justesse de leurs analyses. Ils disposent de leurs propres laboratoires et systèmes d'autocontrôle. Nous ne sommes pas destinataires des résultats de leurs analyses. Notre rôle se limite à envoyer le résultat à l'ARS, nous ne savons pas comparer les résultats entre les deux.

Nous avons une totale confiance dans les résultats que nous avons fournis à l'ARS sur la période concernée. Malgré une récente saisine du LHN (Laboratoire d'Hydrologie de Nancy) liée à des contestations de Nestlé, nous confirmons nos résultats. J'ignore sur quoi un industriel peut se baser pour contester les résultats de nos contrôles, ce qui est de toute façon extrêmement rare.

Les écarts, lorsqu'ils existent, sont généralement minimes et liés aux incertitudes de mesure, surtout pour des valeurs proches des seuils réglementaires. Notre accréditation et notre agrément garantissent la fiabilité de nos analyses. En parallèle, nous participons régulièrement à des essais inter-laboratoires pour maintenir nos agréments en santé. Nous avons donc une totale maîtrise dans les analyses que nous avons rendues pour le compte du contrôle sanitaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'un des débats majeurs de cette commission concerne la microfiltration à 0,2 micron et son impact sur le microbiologisme de l'eau. Si nous vous demandions d'analyser l'eau avant et après le filtre à 0,2 micron, pourriez-vous déterminer s'il y a eu modification du microbiologisme de l'eau ?

M. Yann Le Houedec. - Nous pouvons réaliser une analyse avant-après sans problème. Cependant, nous ne pouvons pas conclure sur l'efficacité du processus de filtration, car cela dépasse notre domaine de compétence.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Savez-vous analyser l'ensemble des éléments présents dans l'eau : minéraux, oligo-éléments, etc. ?

M. Yann Le Houedec. - Oui. Nous pouvons effectuer une analyse comparative complète si vous nous envoyez les échantillons.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour reformuler, le rapporteur souhaite savoir si, en analysant l'eau avant et après filtration, vous pouvez déterminer si la filtration altère la qualité de l'eau minérale.

Mme Caroline Paquet. - Nous pouvons fournir deux rapports d'analyse sur deux échantillons différents, avec des résultats potentiellement différents. Cependant, l'interprétation de ces différences dépasse nos compétences.

M. Yann Le Houedec. - Nous pouvons analyser des échantillons avant et après filtration, mais nous restons dans le cadre de nos compétences de laboratoire.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour clarifier, vous effectuez l'analyse, mais vous ne pouvez pas conclure qu'une filtration a eu lieu. Vous constatez simplement que l'eau est différente, sans pouvoir expliquer pourquoi.

M. Yann Le Houedec. - C'est bien cela. Notre seule compétence est de prélever et d'analyser l'eau, pas d'interpréter les résultats ou d'en tirer des conclusions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous a-t-il déjà été demandé par une ARS de conduire une analyse avant/après, depuis que les microfiltres ont été installés ?

M. Yann Le Houedec. - Pas à ma connaissance.

Mme Caroline Paquet. - Non plus.

M. Laurent Burgoa, président. - Ce n'était pas une question piège. Si vous avez d'autres informations à ce sujet, n'hésitez pas à nous en faire part.

Mme Caroline Paquet. - Lorsque nous sommes envoyés par l'ARS sur les sites, nous prélevons au point indiqué sans connaître le process plus large.

M. Yann Le Houedec. - Nous ne sommes pas du tout informés des accords entre l'ARS et les sites concernant les processus de filtration.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Des contaminations microbiologiques ont été constatées sur le site de Perrier dès janvier 2020, entraînant des blocages et des investigations de l'ARS. L'ARS a identifié au moins trois épisodes de contamination en juin 2020, septembre 2020 et janvier 2021. C'est un laboratoire Eurofins qui a participé aux prélèvements et analyses. Quelle a été votre collaboration avec l'Anses, l'ARS ou le LHN à la suite de ces constats de non-conformités ? De plus, le risque pathogène a-t-il été écarté pour chacun de ces trois épisodes ?

M. Yann Le Houedec. - J'aurais besoin de regarder dans le détail, mais il me semble qu'il y a eu des dépassements de seuils, principalement sur des paramètres bactériologiques. Comme l'a indiqué ma collègue, pour les eaux minérales naturelles, les écarts concernent surtout la bactériologie.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous constaté des écarts importants par rapport à la norme ?

Mme Caroline Paquet. - Cette norme est fixée à 0.

M. Yann Le Houedec. - Nous vous répondrons précisément sur ces trois épisodes. Cependant, les résultats appartiennent à l'ARS Occitanie. Pour obtenir les résultats précis, je vous invite à la contacter directement, car nous sommes uniquement des fournisseurs.

M. Laurent Burgoa, président. - Pour l'ensemble des industriels du secteur, rencontrez-vous des difficultés pour accéder aux sites et analyser l'eau ? Y a-t-il parfois des retards ou des obstacles ?

Mme Caroline Paquet. - D'après mon expérience récente en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France, nous n'avons pas rencontré de refus de prélèvement ou de rendez-vous non honorés sur ces sites. Les contacts sont généralement bons.

M. Yann Le Houedec. - Il est toujours très long et compliqué d'entrer sur un site industriel. Cela prend au minimum 30 ou 45 minutes et nous sommes systématiquement accompagnés. Pour autant, il n'y a pas de refus d'entrée.

M. Laurent Burgoa, président. - Vos contrôles sont-ils inopinés ou les industriels sont-ils prévenus ?

Mme Caroline Paquet. - Tout dépend des sites. Certains nécessitent une organisation préalable. Nous pratiquons ce que nous appelons du « semi-inopiné », où nous prévenons la veille pour le lendemain, mais ce n'est pas de l'inopiné dans le sens où nous arriverions de manière improvisée.

M. Yann Le Houedec. - En Occitanie, pour les contrôles sanitaires, nous ne prévenons généralement pas.

M. Hervé Gillé. - Pour approfondir les questions précédentes, vous réalisez des contrôles de la source aux produits finis. En ce qui concerne les eaux minérales et les eaux de source, s'agit-il de la même eau, étant donné qu'il n'y a pas de traitement ?

M. Yann Le Houedec. - Il n'y a pas de traitement au sens de la législation. En revanche, le taux de CO2 varie, notamment dans le cas d'une eau carbogazeuse. Ce n'est donc pas exactement la même eau.

M. Hervé Gillé. - Il est donc facile de déterminer si des traitements illégaux ont été effectués, en comparant la source et le produit fini.

M. Yann Le Houedec. - C'est exact, à considérer que ces traitements seraient postérieurs à la source.

M. Hervé Gillé. - Dans les cas qui nous concernent, notamment Nestlé Waters, l'eau de captage est polluée au démarrage et des traitements sont réalisés pour la rendre consommable, alors que ces derniers ne sont a priori pas autorisés.

M. Yann Le Houedec. - D'après ce que j'ai lu, il semble que le traitement était placé en amont du point d'analyse de l'eau de captage, rendant toute détection impossible.

M. Hervé Gillé. - Vous avez donc la capacité de caractériser si un traitement a été effectué sur une eau minérale ou de source ?

Mme Caroline Paquet. - Nous pouvons caractériser le type d'eau, mais nous ne sommes pas mandatés pour interpréter les résultats. Les échantillons sont anonymes pour nous.

M. Hervé Gillé. - Je comprends. Mais si de nouvelles procédures étaient mises en place au niveau des ARS, il serait possible de mieux détecter les traitements et de caractériser l'eau à l'origine et son embouteillage ?

M. Yann Le Houedec. - C'est effectivement l'objectif des analyses à la source et sur le produit fini. Nous prélevons les bouteilles avant leur mise sur le marché.

M. Hervé Gillé. - Certes, mais il peut y avoir dans le process d'embouteillage des pollutions particulières qui ne sont pas forcément dues à un traitement particulier.

Concernant les processus de contrôle, notamment dans le cadre de l'autocontrôle, il y a peut-être une faiblesse dans la chaîne qualitative de contrôle. Existe-t-il des organismes au-dessus de vous qui pourraient être missionnées pour effectuer des contrôles inopinés supplémentaires ?

M. Yann Le Houedec. - Nous sommes audités chaque année par un organisme indépendant, qui réalise notamment des revues de traçabilité. Lorsque nous rendons un rapport avec un certain type d'analyse, il nous est demandé de vérifier d'où provient le résultat.

M. Hervé Gillé. - Mais n'y a-t-il pas à un moment donné un changement d'opérateur par rapport à l'un de vos clients, qui permettrait d'avoir une forme d'audit extérieur réalisé dans le cadre du contrôle ?

M. Yann Le Houedec. - L'impartialité et l'indépendance du laboratoire constituent des éléments clés de l'accréditation COFRAC.

Mme Audrey Linkenheld. - Concernant les prélèvements anonymes, je souhaite savoir si vous pouvez distinguer s'il s'agit d'eau de boisson ou d'eau minérale lors de l'obtention des résultats.

Mme Caroline Paquet. - Nous connaissons le type d'eau, car les méthodes et les seuils réglementaires sont spécifiques à chaque type.

Mme Audrey Linkenheld. - Je m'interroge sur les contrôles et les marchés publics. Chaque ARS a un cahier des charges différent. Y a-t-il un nombre maximum de contrôles annuels ? Est-ce que le budget de l'ARS peut limiter le nombre de contrôles ?

Avez-vous déjà été surpris par une demande rapide de second contrôle de la part de l'ARS ? Lorsque vous constatez la présence d'agents pathogènes, existe-t-il un processus de transmission accéléré à l'ARS ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer quels sont vos clients dans les Hauts-de-France ?

Mme Caroline Paquet. - Pour le contrôle sanitaire, c'est l'exploitant qui nous paie, pas l'ARS. Le code des marchés publics prévoit l'application d'un seuil, mais nous finissons généralement par dépasser celui-ci, à cause des recontrôles après une non-conformité.

En cas de détection d'un agent pathogène réglementé, nous alertons immédiatement l'ARS et l'exploitant par courriel. Sinon, nous respectons les délais du marché public pour rendre l'analyse complète.

Enfin, nos clients dans les Hauts-de-France sont Saint-Amand-les-Eaux et Roxanne.

M. Daniel Gremillet. - Est-il possible que l'eau sortant de la nappe soit vierge de toute présence d'agent pathogène et que la continuation puisse avoir lieu dans le processus d'embouteillage ?

M. Yann Le Houedec. - Bien que je ne sois pas spécialiste de l'embouteillage, je pense que des biofilms peuvent se former autour des tuyaux et potentiellement contaminer l'eau, résistant aux nettoyages.

M. Daniel Gremillet. - Une telle situation se produit fréquemment dans le secteur du fromage.

Ma seconde question concerne les contrôles journaliers de l'exploitant. Ces contrôles permettent-ils de vérifier la cohérence entre vos résultats lors d'un contrôle inopiné et les échantillons conservés par l'exploitant ?

M. Yann Le Houedec. - Effectivement, c'est possible. La fréquence de l'autocontrôle dépend probablement des débits. Ces contrôles peuvent être journaliers et permettre de comparer les résultats du contrôle sanitaire à ceux de l'autocontrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous remarqué des différences significatives entre les industriels en termes de fréquence d'irrégularités, que ce soit dans le contrôle sanitaire ou l'autocontrôle ?

Mme Caroline Paquet. - Concernant les eaux minérales et conditionnées, au niveau de mes régions, je n'ai pas relevé de fréquences particulières ni de sites qui se démarquent plus que d'autres en termes de dépassements ou de recontrôles.

M. Yann Le Houedec. - Les niveaux de contamination observés sont extrêmement faibles, et je ne constate pas de variation majeure. Je vous invite à consulter l'ARS pour plus de détails, car les résultats sont leur propriété.

M. Laurent Burgoa, président. - Merci, Madame et Monsieur, pour cette audition, qui aura permis de nous éclairer.

Je donne rendez-vous à nos collègues demain à 13 h 30, où nous auditionnerons Madame la directrice de l'eau et la biodiversité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 00.

Mercredi 22 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Burgoa, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de la transition écologique.

Madame la directrice, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite, ainsi que les membres de votre équipe susceptibles de s'exprimer, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Célia de Lavergne, ainsi que Mme Julie Percelay, adjointe au sous-directeur de l'animation territoriale et de l'appui aux politiques de protection et de restauration des écosystèmes, au sein de la direction de l'eau et de la biodiversité, prêtent serment.

M. Laurent Burgoa, président. - Je précise également qu'il vous appartient à toutes deux, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je rappelle rapidement pour les internautes que le Sénat a constitué, le 20 novembre dernier, une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.

Au début de l'année 2024, les médias ont révélé les pratiques illégales de certaines entreprises du secteur des eaux embouteillées, en particulier le recours à des traitements interdits sur des eaux minérales naturelles et de source.

Notre commission d'enquête du Sénat vise à faire la lumière sur ce dossier, sous réserve des éventuelles procédures judiciaires en cours.

Cette audition entre précisément dans le cadre du chapitre que nous consacrons au dispositif de contrôle et de surveillance des eaux conditionnées.

Madame la directrice, votre direction d'administration centrale au sein du ministère de la transition écologique est notamment chargée de la conception des politiques publiques en matière de protection de l'eau et de la biodiversité. Elle est à la tête du réseau déconcentré des directions départementales des territoires (DDT) et de la mer (DDTM), qui officient auprès des préfets de département au titre de la police de l'eau.

Bien que votre champ d'action ne soit pas dédié aux eaux embouteillées, nous estimons essentiel de vous entendre pour bien comprendre le cadre général de l'exploitation des eaux souterraines par les industriels des eaux et les exigences environnementales auxquelles ces derniers sont soumis, en mettant de côté la règlementation sur les eaux minérales naturelles, qui ne relève pas de votre compétence.

Comment vos services interviennent-ils lorsqu'un embouteilleur souhaite obtenir une autorisation d'exploitation d'une eau souterraine ? Des cas de forages sans autorisations sont-ils encore fréquents ?

Comment les volumes de prélèvements d'eau autorisés sont-ils déterminés ? La capacité de recharge de la nappe est-elle prise en compte et si oui, comment ?

À quelles informations vos services déconcentrés ont-ils accès concernant l'état des nappes exploitées par les industriels embouteilleurs ? Ces informations pourraient-elles être accrues ?

Comment les embouteilleurs sont-ils associés à la préservation de la ressource en eau, au niveau qualitatif et quantitatif ? Quels sont les outils aux mains des préfets voire des élus locaux, en temps « normal » ou en cas de sécheresse ?

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur vous interrogera.

Nous vous proposons de dérouler cette audition en trois temps : une présentation liminaire de votre travail et de vos réflexions sera suivie d'un premier temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur ; nous terminerons éventuellement cet entretien avec une dernière batterie de questions.

Mme Célia de Lavergne, directrice de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de la transition écologique. - Je veux à mon tour rappeler le champ de compétences de la direction de l'eau et de la biodiversité. Celle-ci a aujourd'hui en charge la conception, l'évaluation et la mise en oeuvre des politiques publiques de l'eau, des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et marine et des ressources minérales non énergétiques, avec l'objectif de garantir et préserver l'usage équilibré des ressources.

Au titre des réflexions que vous portez au sein de cette commission d'enquête, elle intervient sur la préservation de la ressource en eau, en application, à la fois, de l'article L211-1 du code de l'environnement - lequel promeut cette gestion durable et équilibrée de la ressource en eau - et de la directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 - laquelle fixe un objectif de reconquête et de maintien du bon état des eaux.

Je précise que la définition des eaux minérales et de source relève du code de la santé publique, alors que la direction de l'eau et de la biodiversité intervient dans le champ du code de l'environnement.

Elle est néanmoins concernée par deux enjeux majeurs liés au sujet qui nous réunit aujourd'hui. Le premier est celui du forage, la qualité de réalisation d'un forage garantissant la protection de la ressource en eau. Le second est celui du prélèvement, avec la fixation de plafonds maximum de volumes autorisés pour garantir la soutenabilité des prélèvements.

Pour atteindre les objectifs fixés en la matière, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a introduit une nomenclature qui classe différents types d'installations, ouvrages, travaux et activités au regard de leur incidence sur l'eau et les milieux aquatiques (nomenclature IOTA).

On y retrouve deux rubriques qui nous intéressent : une sur le forage et une sur les prélèvements en eau. Selon les critères définis dans ce cadre, un porteur de projet souhaitant forer et prélever de l'eau doit formuler une demande auprès des services de l'État. Une simple déclaration est requise pour un prélèvement entre 10 000 mètres cubes et 200 000 mètres cubes par an. Au-delà, il faut une autorisation. Dans le cas très particulier des zones de répartition des eaux (ZRE), un seuil complémentaire de 8 mètres cubes par heure a été fixé, au-delà duquel l'autorisation est exigée.

Plus globalement, la loi de 1992 - dans la continuité de celle de 1964 qui avait créé les agences de bassin - a permis la mise en place progressive d'outils réglementaires visant à organiser la gestion quantitative de la ressource et à travailler sur une gestion durable et équilibrée, comme sur la gestion des épisodes de sécheresse.

Pour ce qui est de la gestion dans la durée, nous disposons du système des agences de l'eau, avec des préfets coordonnateurs de bassin, qui arrêtent tous les six ans des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage). Ceux-ci précisent les objectifs stratégiques et recensent les masses d'eau en déséquilibre quantitatif, sans regard, à ce stade, des usages. Ils sont déclinés en programmes de mesures, puis en plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT).

Je veux également souligner, dans le cadre de ce propos liminaire, le caractère déconcentré de l'exercice des missions relevant de la politique publique que j'ai la chance de piloter. Le cadre national est posé par la direction de l'eau et de la biodiversité. L'instruction des demandes des acteurs territoriaux - par le biais de déclarations ou de demandes d'autorisation - est réalisée au niveau départemental par les services déconcentrés compétents.

Plusieurs réglementations s'appliquent sur les sujets auxquels vous vous intéressez. Nous avons vu que la définition des eaux minérales et de source - et, donc, le contrôle des activités liées à leur exploitation - relevait du code de la santé publique. Le ministère de l'environnement traite, lui, des questions relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et des questions propres à la préservation de la ressource. Les contrôles dans ce dernier domaine sont à la charge des inspecteurs de la police de l'eau au sein des DDT et des agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) - les premiers s'occupant de la police administrative et les seconds de la police administrative ou judiciaire.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ma première question porte sur le dispositif de contrôle et la façon dont les actions des différentes administrations centrales s'articulent. Comment travaillez-vous avec la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), l'OFB, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de la santé (DGS) sur le contrôle des eaux minérales et de source ? On nous a par exemple expliqué qu'un forage mal réalisé pouvait entraîner des pollutions. Quand une agence régionale de santé (ARS) constate une difficulté sur la qualité de l'eau, vos services en sont-ils informés, d'une manière ou d'une autre ?

Mme Célia de Lavergne. - Comme je l'ai dit, un dossier déposé par un porteur de projet au titre de la réglementation environnementale est instruit au cas par cas, selon des canaux spécifiques en fonction de sa nature, par les préfets de département et les services instructeurs dans les DDT ou dans les unités départementales des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Au regard de la demande formulée, ceux-ci peuvent prendre un arrêté de prescription complémentaire du préfet, imposant à l'industriel certaines exigences.

En termes de coordination, nous avons une stratégie nationale de contrôle depuis 2020. Son objectif est de renforcer le dispositif des missions interservices de l'eau et de la nature (Misen), qui regroupent certains acteurs auprès du préfet de département pour mettre en cohérence le traitement des dossiers et les contrôles effectués en matière de police de l'eau et de la nature. La stratégie nationale, outre qu'elle a permis d'officialiser ces missions, a également instauré les comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden) pour mieux articuler police administrative et police judiciaire.

Nous avons aussi réaffirmé les priorités de contrôle de l'État, au travers de l'élaboration de 33 fiches. Parmi les thèmes traités dans ces fiches figurent la gestion quantitative de la ressource en eau et le contrôle des autorisations environnementales.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous été associés à la gestion du dossier qui nous occupe ? Avez-vous, par exemple, reçu les rapports de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ou de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ? Peut-on regarder ce cas d'école pour voir s'il a donné lieu à des coordinations ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous avons un rôle d'animation des services de police, plutôt autour de la mise en oeuvre du cadre réglementaire. Nous n'intervenons pas dans le traitement au cas par cas effectué au niveau départemental. À l'échelon national, la stratégie de contrôle a également compris la mise en place d'un comité interministériel, mais le sujet sur lequel vous travaillez n'y a pas été abordé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La découverte de forages illégaux, rendue publique par voie de presse, a-t-elle enclenché une vigilance particulière sur le reste du territoire ? Comment avez-vous réagi à cette information, qui est tout de même de nature à perturber ?

Mme Célia de Lavergne. - Je laisserai aux enquêtes de police le soin de qualifier, ou pas, les forages concernés d'illégaux. Je ne suis pas en mesure d'en juger, n'étant pas inspectrice de l'environnement.

Cela étant, je peux partager deux éléments avec vous.

La loi sur l'eau a créé des droits d'antériorité de prélèvement de la ressource en eau pour les acteurs territoriaux qui disposaient d'installations, dont des forages, antérieures à 1992. Un dispositif de régularisation prévoyait qu'ils devaient se manifester auprès du préfet sous un an, mais rien n'indiquait, dans la loi, ce qui adviendrait une fois ce délai passé.

Par ailleurs, au-delà de la question du respect de la loi, le sujet des déséquilibres quantitatifs est monté en puissance avec la directive-cadre sur l'eau. Nous avons mis en place un réseau de surveillance comprenant 3 369 piézomètres, qui nous permet aujourd'hui de repérer des zones prioritaires appelant notre attention en matière de disponibilité de la ressource en eau. Nous avons également mené une étude Explore2 pour déterminer, au travers d'une projection à 2070 et 2100, les grandes évolutions en la matière. Donner ces outils aux préfets de département, c'est leur permettre d'anticiper des discussions au sein des commissions locales de l'eau (CLE), ou dans le cadre des Sage ou des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je comprends parfaitement vos explications. Mais peut-on avoir une réponse simple à la question de savoir si le fait d'identifier un problème donné a enclenché des contrôles supplémentaires ?

Mme Célia de Lavergne. - J'ai voulu insister sur le fait que nous avions clarifié le cadre, notamment en renforçant les Misen, et les objectifs en matière de contrôle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avez-vous une visibilité sur le niveau des nappes souterraines et sur la qualité de ces eaux ? Pensez-vous avoir une vision suffisante, voire complète, de ces sujets ? Développez-vous des outils complémentaires ?

Mme Célia de Lavergne. - L'objectif fixé par la directive-cadre nous a conduits à développer un réseau de piézomètres, qui nous donne une photographie assez claire de l'état de la ressource - c'est le cas surtout en métropole, mais nous renforçons le dispositif en outre-mer. En revanche, la nappe n'appartient pas à un embouteilleur donné. Nous suivons toutes les masses d'eau, non pas en fonction de leur usage, mais sous l'angle du milieu.

La directive-cadre ne fixe pas d'objectif en matière de qualité des eaux souterraines. C'est néanmoins un aspect que nous suivons, notamment grâce à des qualitomètres. Pour autant, je préfère répondre à cette question par écrit pour ne pas être imprécise.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Observez-vous des phénomènes de surexploitation de certaines nappes, en particulier de nappes concernées par des prélèvements d'industriels des eaux embouteillées ? Si oui, avez-vous des zones précises en tête ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous ne menons pas l'analyse en fonction des usages, des typologies de prélèvements. Nous travaillons par masse d'eau. Pour chacune d'entre elles, nous étudions les volumes prélevables, en identifiant les droits existants à prélever des acteurs - industriels, agriculteurs, distributeurs d'eau potable, etc. - et les besoins du milieu. À partir de ces études, un dialogue s'engage, souvent dans les CLE et les comités de Sage, pour partager le diagnostic, travailler sur des projections et élaborer des plans d'action en vue de revenir à l'équilibre. Ces plans d'action sont souvent doublés d'un règlement, permettant au préfet d'élaborer le cadre des autorisations de prélèvements dans la durée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je comprends bien, vous n'avez pas de pouvoirs directs ; vous transmettez au préfet une analyse, dont celui-ci fait son miel...

Mme Julie Percelay, adjointe au sous-directeur de l'animation territoriale et de l'appui aux politiques de protection et de restauration des écosystèmes, au sein de la direction de l'eau et de la biodiversité. - Les données sont analysées au niveau des comités de bassin, ce qui permet de connaître l'état quantitatif de la masse d'eau et de repérer les déficits. Elles le sont à nouveau, par les CLE, dans le cadre du travail qui se fait autour des Sage. C'est à ce niveau que les volumes sont répartis, volumes qui sont ensuite traduits dans les autorisations délivrées par le préfet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel pourcentage des masses d'eau de notre pays sont en déséquilibre ? Qu'en est-il de celles où des embouteilleurs réalisent des prélèvements ? Il serait intéressant que nous ayons une réponse, même ultérieurement par écrit.

Mme Julie Percelay. - Nous vous ferons un retour par écrit, car nous n'avons pas les données ici. J'insiste sur le fait que nous avons une approche par milieu : les données dont nous disposons croisent l'état des masses d'eau et les prélèvements, mais je ne suis pas certaine que nous puissions isoler les prélèvements des embouteilleurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment peut-on améliorer le suivi des nappes et de la qualité des eaux exploitées ? Avez-vous des préconisations sur les pollutions chroniques ou accidentelles des nappes ?

Mme Célia de Lavergne. - Le coeur de la politique publique que nous menons est la reconquête du bon état écologique des masses d'eau, ce qui recouvre, à la fois, un enjeu quantitatif et un enjeu qualitatif. La politique de protection des captages fait l'objet de travaux interministériels ; le constat que nous faisons de la dégradation d'un certain nombre de masses d'eau souterraines impose de lui donner un nouveau souffle. Nous devons travailler davantage sur la protection en amont des captages. Nous nous y attelons, avec le ministère de la santé et celui de l'agriculture.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous évoquez pudiquement le besoin d'un nouveau souffle... Selon vous, sommes-nous en train de perdre la bataille ou d'enrayer le phénomène ?

Mme Célia de Lavergne. - Je suis connue pour mon naturel optimiste et ma croyance dans la capacité des pouvoirs publics à traiter les sujets. Le travail en cours sur la protection des captages, qui associe tous les acteurs, nous permettra d'améliorer la qualité de nos masses d'eau. Nous rencontrons aujourd'hui des difficultés majeures, de par certaines pollutions existantes qui vont durer dans le temps. Mais nous sommes en mesure de travailler l'amont, de prévenir une dégradation complémentaire et de reconquérir progressivement les masses d'eau concernées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour aller au bout de la question : selon vos indicateurs, la situation se dégrade-t-elle ou s'améliore-t-elle actuellement ?

Mme Célia de Lavergne. - Nous avons récemment travaillé sur l'application de la directive européenne dite « Nitrates ». Dans ce cadre, nous avons constaté qu'un tiers des masses d'eau se dégrade du fait de pollutions aux nitrates, un tiers s'améliore et un tiers stagne. Ce sont les ordres de grandeur ; je vous donnerai les chiffres précis.

M. Olivier Jacquin. - Un grand nombre de captages ont fermé au cours des dernières décennies. Avez-vous documenté les raisons de ces fermetures ? Là où l'agriculture biologique est mise en oeuvre - en dehors des zones viticoles, où il peut y avoir des dispersions de cuivre -, constate-t-on des améliorations de la ressource en eau ?

Mme Célia de Lavergne. - Entre 1980 et 2021, 12 600 captages ont été fermés, essentiellement pour cause de pollution. Ces décisions ont été prises à la suite d'analyses révélant des niveaux supérieurs aux seuils autorisés pour la qualité des eaux brutes ou des eaux destinées à la consommation humaine. Si vous souhaitez des éléments plus précis, nous vous les transmettrons.

Plusieurs solutions peuvent être mises en oeuvre pour améliorer la protection des captages. L'agriculture biologique en fait partie, car elle met en oeuvre des pratiques évitant l'utilisation de certains produits polluant les nappes. Mais il existe d'autres dispositifs et d'autres pratiques de transition agroécologique. Pour une feuille de route ambitieuse sur la question, il faut recenser l'ensemble des solutions qui s'offrent aux acteurs - collectivités, agriculteurs, etc.

Mme Marie-Lise Housseau. - Depuis les lois de 1992 et 2006, l'eau est devenue un patrimoine commun, sur lequel, en tant que directrice de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, vous devez tout de même avoir une vue assez globale. Entre les questions de gestion quantitative et de gestion qualitative, entre le niveau national et le niveau local, il y a implication d'une multitude d'organismes, et les scandales comme celui qui est en train d'éclater donnent l'impression que tout cela constitue un filet de pêche avec énormément de mailles, mais au travers duquel on peut finalement passer. Ne faudrait-il pas envisager une réorganisation, afin que les différentes administrations ne se renvoient pas systématiquement la balle ?

Mme Célia de Lavergne. - Depuis les lois que vous mentionnez, il y a eu de nombreuses évolutions. La stratégie nationale de contrôle dont je vous ai parlé est, par exemple, une manière de resserrer les mailles du filet. Au-delà, nous avons la chance en France d'avoir un système d'agences de l'eau, fonctionnant par cycles de six ans au cours desquels des diagnostics sont posés ; nous avons aussi des réseaux de surveillance extrêmement performants. Le travail de la direction de l'eau et de la biodiversité a précisément constitué, au cours des dernières années, à renforcer le filet et à mieux coordonner le contrôle.

Mme Marie-Lise Housseau. - Vous estimez donc que le système est efficace et que ce qui vient de se passer ne peut pas survenir ailleurs...

Mme Célia de Lavergne. - Je dis que, dans la politique publique que nous menons, nous avons identifié des priorités autour du contrôle de la gestion quantitative de l'eau et du contrôle des autorisations environnementales. Mais le préfet oriente ensuite son action, en fonction des enjeux identifiés comme prioritaires, mais aussi des moyens dont il dispose.

Dit autrement, le préfet a aujourd'hui à sa disposition 33 fiches de contrôle prioritaires, dans lesquelles on retrouve les deux sujets que j'ai mentionnés. Mais c'est lui qui définit le plan de contrôle départemental.

Pour notre part, nous ciblons les zones en déséquilibre quantitatif, où l'effort doit porter. En 2024, 7 000 contrôles ont été réalisés en gestion quantitative sur le territoire français.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous nous avez expliqué que votre administration centrale avait totalement déconcentré ses pouvoirs, au bénéfice des préfets de département. Mais y a-t-il tout de même un lien ? Vos services ne peuvent-ils pas être interpellés sur un dossier particulier par un préfet ou l'interpeller lui-même ?

Mme Célia de Lavergne. - Un enjeu majeur pour une direction comme la nôtre est de pouvoir, à la fois, définir le cadre réglementaire et accompagner sa mise en oeuvre. Nous menons donc un travail important autour de l'animation de plus de 65 réseaux métiers dans les services déconcentrés. L'un de ces réseaux a précisément la police de l'eau pour sujet. Dans le cadre de ces réunions, des cas pratiques peuvent être examinés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pour prolonger la question de M. le président, vous nous décrivez avec beaucoup de soin la comitologie. Mais pouvez-vous nous donner des exemples concrets, nous expliquer comment vous agissez dans telle ou telle situation ? Pour les affaires qui nous concernent, avez-vous connaissance de cas dans lesquels, par exemple, des préfets ont imposé des restrictions de prélèvements à des embouteilleurs en période de sécheresse ?

Mme Célia de Lavergne. - Je laisserai Julie Percelay répondre à cette question, car elle appartient depuis plus longtemps que moi à la direction de l'eau et de la biodiversité, et a participé à l'animation de certains des réseaux évoqués. Je précise néanmoins qu'en matière de gestion de la ressource, un dispositif spécifique à la sécheresse a été mis en place ; il est complémentaire au cadre que je vous ai décrit.

Mme Julie Percelay. - Ce dernier vise à donner des instructions générales aux préfets. Or il y a une demande assez forte, de la part du Gouvernement et des préfets, de limiter les instructions pour favoriser la déconcentration des décisions.

S'agissant des éléments relatifs à la gestion des sécheresses, nous entrons rarement dans le détail. Nous restons plutôt sur la situation hydrologique et les mesures prises de manière globale dans les départements.

S'agissant des éléments relatifs à la gestion quantitative au sens large, nous reprenons les données concernant l'état quantitatif des masses d'eau, les ZRE, les volumes prélevables au niveau des bassins, etc.

Au-delà de ce cadre général, nous pouvons être interrogés par les services déconcentrés sur un cas particulier, notamment en vue de leur apporter un appui juridique, ou intervenir en cas de contentieux sur les décisions prises par les préfets. En la matière, je n'ai pas d'exemple à vous donner qui concernerait une activité d'eaux embouteillées.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Si je résume, c'est un sujet que vous n'avez jamais évoqué avec un préfet, y compris dans les Vosges ou dans le Gard.

Mme Julie Percelay. - Personnellement, non.

Mme Célia de Lavergne. - Depuis le 21 août 2023, date de ma prise de fonction, je n'ai pas eu d'échange à ce sujet. Nous nous parlons... Il y a donc pu avoir des échanges entre services. Mais, à ma connaissance, il n'y a pas eu de réunion, d'échanges directs avec le préfet ou d'instructions données.

M. Laurent Burgoa, président. - Lors de nos auditions, nous avons eu connaissance d'une réunion interministérielle datant de février 2023. Votre direction y aurait-elle participé ?

Mme Célia de Lavergne. - Je vais vérifier ce point, tout en rappelant, une fois encore, que la compétence sur les eaux minérales et de source relève du code de la santé publique.

Mme Anne Ventalon. - Eu égard à vos précédentes fonctions et à votre connaissance du travail parlementaire, pensez-vous que le cadre législatif actuel est adapté pour répondre aux enjeux environnementaux liés à l'exploitation des eaux en bouteille ?

Mme Célia de Lavergne. - Eu égard à la responsabilité qui est la mienne aujourd'hui, je peux vous dire que notre dispositif législatif et réglementaire nous permet de piloter nos objectifs de préservation de la ressource en eau et d'atteinte du bon état écologique. Je suis ouverte à toute proposition des parlementaires, mais je ne juge pas nécessaire une évolution de ce cadre.

M. Laurent Burgoa, président. - Vous êtes commissaire du Gouvernement au sein du conseil d'administration de l'OFB. Dans certains départements, l'Office a mené des opérations de contrôle en lien avec l'objet de notre commission d'enquête. N'avez-vous jamais eu de retour sur ces sujets ?

Mme Célia de Lavergne. - La direction de l'eau et de la biodiversité exerce en effet la tutelle sur l'OFB. Cela concerne la gestion, l'organisation des missions, l'écriture des conventions d'objectifs, leur suivi, etc. Pour autant, lorsqu'ils sont assermentés, les inspecteurs de l'environnement de l'OFB traitent de procédures judiciaires. Les éléments qu'ils recueillent sont confidentiels et destinés au procureur.

La réunion est close à 14 h 30.

Audition de M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité et de M. Marc Collas, chef du service départemental des Vosges

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions. Monsieur le directeur général, Monsieur le chef de service, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Olivier Thibault, directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB). - Je le jure.

M. Marc Collas, chef du service départemental des Vosges. - Je le jure.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts avec l'objet de nos travaux.

M. Olivier Thibault. - Je n'en ai aucun.

M. Marc Collas. - Je n'en ai aucun.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Pourriez-vous revenir sur les missions de l'OFB, ainsi que sur son rôle dans l'enquête, aujourd'hui conclue par une convention judiciaire d'intérêt public, concernant les forages de prélèvement d'eau de Nestlé Waters dans le département des Vosges qui étaient exploités sans autorisation ? Quelles sont les mesures de régularisation mises en oeuvre par Nestlé Waters sous le contrôle de l'OFB ? Avez-vous connaissance d'autres cas dans d'autres départements ?

De manière générale, existe-t-il des dispositifs prévus par la règlementation pour prévenir les dommages environnementaux des industriels embouteilleurs ? D'après votre expérience, comment se matérialisent ces dommages ?

De manière générale, l'OFB est-il amené à contrôler régulièrement les installations des embouteilleurs ? Quelles sont ces installations ?

Sur quels outils et sur quelles informations vos enquêteurs se basent-ils pour évaluer l'existence d'un dommage environnemental ? Les informations auxquelles vous avez accès concernant ces exploitations privées sont-elles suffisantes ?

M. Olivier Thibault. - L'OFB est un établissement public de l'État, sous la double tutelle des ministères en charge de l'agriculture et de l'écologie. Il exerce cinq grandes missions : la police de l'environnement, l'acquisition et la mise à disposition du public de connaissances, l'appui aux politiques publiques en matière d'environnement, la gestion en propre d'espaces protégés et la conduite de missions d'information, d'éducation et de sensibilisation à l'environnement.

La police de l'environnement s'exerce dans deux cadres différents : dans sa dimension administrative, cette police s'exerce sous l'autorité du préfet, en lien avec la mission interservices de l'eau et de la nature et dans le cadre d'une stratégie nationale de contrôle ; dans sa dimension judiciaire, elle s'exerce sous l'autorité du procureur, dans le cadre d'enquêtes judiciaires.

Les enquêtes judiciaires en cours étant couvertes par le secret de l'instruction, nous ne pourrons pas nécessairement les évoquer au cours de cette audition.

Cette police de l'environnement recouvre par ailleurs des missions d'instruction et de contrôle. Des services instructeurs sont chargés d'instruire les dossiers transmis par les demandeurs d'autorisations ou de déclarations. Ils vérifient la présence de toutes les pièces nécessaires, examinent les éventuels impacts, le cas échéant en consultant d'autres services. In fine, ils valident ou non les autorisations. L'OFB n'est pas l'un de ces services instructeurs. Dans les domaines qui nous concernent, les services instructeurs sont généralement la direction départementale des territoires-DDT (pour la protection de la nature), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement-DREAL ou la direction départementale des populations-DDPP (pour les installations classées) ou l'agence régionale de santé-ARS (pour les permis de captage). Ces services instructeurs peuvent, sous l'autorité du préfet, solliciter l'OFB pour des avis techniques. L'OFB n'instruit cependant aucun dossier en propre. Il n'établit pas d'arrêté ou de récépissé de déclaration.

Une fois qu'une installation ou un ouvrage est autorisé, se pose ensuite la question du contrôle de sa conformité, par rapport à la déclaration d'autorisation et à la règlementation (code de l'environnement, code rural, code de la santé publique). Nos inspecteurs de l'environnement sont chargés de la mise en oeuvre de ces contrôles, pouvant s'inscrire dans un cadre administratif ou judiciaire.

Dans le cas de l'enquête sur les installations de Nestlé Waters, on retrouve des enjeux liés au code de l'environnement, autour des captages eux-mêmes, qui relèvent de la loi sur l'eau de 1992 et d'un décret de nomenclature de 1993 (lequel donne, dans ses rubriques 1.1.1.0 et 1.1.2.0, des précisions concernant les autorisations ou déclarations de captage et de prélèvement - les prélèvements de plus de 200 m3 étant soumis à autorisation). Les captages de Nestlé Waters étant pour la plupart anciens, ils auraient dû faire l'objet d'une procédure de déclaration, dans un délai d'un an après la sortie de la nomenclature. On retrouve également des enjeux liés à la nomenclature ICPE - les installations de Nestlé Waters étant classées au titre de la protection de l'environnement par la DREAL. Enfin, s'agissant d'une eau minérale commercialisée auprès du grand public, on retrouve des enjeux liés au code de la santé publique, avec une autorisation instruite par l'ARS et vérifiée par la DGCCRF.

Nous sommes entrés dans ce dossier, non pas dans le cadre de contrôles administratifs, mais dans le cadre d'une enquête, sur la base d'un soit-transmis du procureur.

M. Marc Collas. - Le service départemental des Vosges de l'OFB a été saisi dans le cadre de deux enquêtes judiciaires. La première, concernant les forages de Nestlé Waters, a été clôturée par une convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). La seconde, portant sur des décharges de plastiques, est toujours en cours d'instruction. Je ne pourrai donc pas évoquer cette seconde enquête lors de cette audition.

Concernant les forages, une première plainte a été déposée en 2020, qui a fait l'objet d'un classement sans suite en 2021. À la suite d'un recours administratif du collectif d'associations dépositaire de la plainte, le procureur général de la cour d'appel de Nancy a infirmé la décision du procureur d'Épinal et demandé la réouverture de l'enquête. Cette enquête complémentaire a été confiée au service départemental de l'OFB, qui n'avait pas été consulté lors du traitement de la première plainte.

Débutée en décembre 2022, à compter de la réception du soit-transmis du procureur d'Épinal, cette enquête a duré une année. Il s'est agi, pour un service de la taille du nôtre, d'une enquête hors norme. Il a toutefois été très valorisant pour nous de travailler sur un dossier de cette ampleur.

Nous avons rendu nos conclusions au procureur d'Épinal en début d'année 2024. Celui-ci a ensuite mis en place une CJIP environnementale, validée par le tribunal le 10 septembre 2024.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment analysez-vous la mise en place d'une CJIP à la suite de cette enquête ? En avez-vous discuté avec le procureur ? Aviez-vous émis une recommandation en ce sens ? Avez-vous été consultés d'une manière ou d'une autre dans le choix de cette modalité ?

M. Marc Collas. - Cette enquête judiciaire est intervenue après la régularisation des forages, datant de 2019, et après la modification des autorisations environnementales, validées par arrêté préfectoral en 2022.

Dans le cadre de cette enquête, nous avons été mandatés en tant qu'inspecteurs de l'environnement. Cependant, in fine, la décision revenait entièrement au ministère public. Après avoir rendu nos conclusions, nous avons été dessaisis de la procédure. Toutefois, le procureur nous a associés à la rédaction de la CJIP, pour le volet concernant la réparation du préjudice écologique. Dans ce cadre, nous avons également échangé avec l'industriel.

Dans la CJIP, on retrouve les mesures que Nestlé Waters est appelé à mettre en oeuvre dans les 2 ans à venir, sous le contrôle de l'OFB. L'action publique n'est donc pas éteinte dans ce dossier. Si Nestlé Waters ne respecte pas les conditions fixées par la CJIP, le procureur aura la possibilité de reprendre l'action publique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quelles atteintes à l'environnement avez-vous constatées ? Quelle était leur ampleur ? Quelles mesures de restauration avez-vous préconisées ?

M. Marc Collas. - La restauration du préjudice écologique est un sujet complexe. Nous y travaillons au sein du conseil scientifique de l'OFB, dont je suis membre.

Dès lors qu'il est question d'eaux souterraines, il est très difficile d'envisager des mesures de restauration en profondeur. Il a donc été décidé de favoriser la recharge des nappes phréatiques par des eaux de bonne qualité. Dans la CJIP, on retrouve ainsi des mesures de restauration de cours d'eau (sur des linéaires importants), l'implantation de haies pour favoriser l'infiltration des eaux, la mise en place d'un réseau de mares (favorisant également la biodiversité), etc. La mise en oeuvre de ces mesures devra être détaillée et chiffrée dans un dossier demandé à l'industriel.

Pour constater ce préjudice écologique, nous nous sommes appuyés sur le réseau de l'Observatoire national des étiages. Ce réseau se compose d'environ 3 000 stations sur le territoire national, dont une trentaine situées dans le département des Vosges. Nous avons notamment exploité les séries chronologiques de deux stations situées sur le Vair et le Petit Vair, à savoir les deux cours d'eau potentiellement impactés par les pompages souterrains de Nestlé Waters. Nous avons constaté des assecs précoces sur ces cours d'eau. Toutefois, ces réseaux karstiques sont caractérisés par une infiltration accélérée de l'eau. Un observatoire devrait être mis en place dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), approuvé en 2023, pour produire des données actualisées sur les trois gîtes hydrominéraux concernés (eaux superficielles, eaux de Contrex et eaux de la nappe DGTI de Vittel). Ce SAGE est mis en oeuvre sous l'égide du conseil départemental des Vosges. Il permettra de définir des orientations pour favoriser la recharge de la nappe la plus profonde, à savoir la nappe DGTI, aujourd'hui en surexploitation, ainsi que la règlementation applicable à tous les usagers des milieux naturels du secteur.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Une surexploitation de la nappe a donc été constatée. À quel moment cette surexploitation a-t-elle été actée par les autorités préfectorales ? Cela a-t-il entraîné des restrictions pour l'industriel ?

M. Marc Collas. - L'abaissement de la nappe DGTI est un phénomène connu depuis les années 1970. Toutefois, Nestlé Waters n'est pas le seul industriel exploitant cette nappe très vaste. Elle fait également l'objet d'utilisations par d'autres industriels et de pompages pour l'alimentation en eau potable.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Quel est le niveau de pompage de Nestlé Waters sur cette nappe ?

M. Marc Collas. - Nestlé Waters disposait d'une autorisation de pompage jusqu'à 1 million de m3 par an, sur une ressource globale de la nappe estimée à plusieurs milliards de m3. Le système de failles sur le secteur de Vittel est toutefois particulièrement sensible et est exploité par plusieurs industriels. Depuis 2004, tout cela est acté. Les premières consultations sur le SAGE ont été engagées en 2012. Le SAGE a ensuite été approuvé par la préfecture en septembre 2023.

Dans ce contexte, Nestlé Waters a d'abord réduit son niveau de pompage à 500 000 m3 par an. Aujourd'hui, il n'en utilise plus que 200 000 m3 par an.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette réduction est-elle le fait des arrêtés préfectoraux ?

M. Marc Collas. - Cela traduit aussi une volonté de l'industriel.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Existe-t-il des initiatives de concertation avec les industriels pour mesurer l'impact sur la biodiversité et réduire l'impact environnemental de leurs activités ?

M. Marc Collas. - Depuis le début des discussions autour du SAGE en 2012, la commission locale de l'eau réunit l'ensemble des usagers de la nappe (industriels, collectivités, associations de consommateurs, etc.), sous la gouvernance de la préfète. C'est au sein de cette commission que des orientations sont discutées, en bonne intelligence, avec une volonté partagée de restaurer la nappe à l'horizon 2027, même si les débats sont parfois difficiles au regard des intérêts un peu divergents des différents usagers.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - L'enquête réalisée dans le département des Vosges a-t-elle conduit l'OFB à s'interroger sur l'existence d'autres forages non autorisés sur d'autres sites ? Avez-vous connaissance d'autres instructions ou recherches en cours aujourd'hui sur le territoire national ?

M. Olivier Thibault. - La régulation de l'ensemble des prélèvements d'eau a fait l'objet d'un large débat il y a quelques années, y compris au sein du Sénat. La question était de savoir s'il convenait de durcir ou de simplifier les procédures.

Les grands prélèvements de plus de 200 000 m3 sont soumis à autorisation. Cependant, il existe également quantité d'autres petits prélèvements, réalisés par des particuliers, des industriels, des artisans, des agriculteurs, etc.

Dans ce contexte, une stratégie nationale de contrôle est définie, qui hiérarchise les enjeux. Il est ensuite demandé à chaque préfet de vérifier l'adéquation de cette stratégie avec les caractéristiques de son département. Les missions interservices de l'eau et de la nature organisent ensuite les contrôles à effectuer.

Dans ce cadre, de larges campagnes de régularisation des prélèvements ont été réalisées dans les années 2005-2010, à l'échelle nationale. Quant à savoir s'il reste encore aujourd'hui des forages non déclarés, il conviendrait de demander aux services instructeurs.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les services instructeurs s'appuient néanmoins sur vos équipes pour réaliser les enquêtes. Avez-vous en ce moment des agents travaillant sur le sujet ? Des forages illégaux ont-ils ainsi été identifiés ?

M. Olivier Thibault. - Il existe encore des forages non déclarés.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourriez-vous nous dire où et si ces forages concernent le même industriel ?

M. Olivier Thibault. - Je n'ai pas connaissance de procédures administratives concernant le même industriel. Pour ce qui est des procédures judiciaires, je ne saurais vous répondre, n'en étant pas informé - les procédures judiciaires sont couvertes par le secret de l'instruction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous n'avez donc jamais été informé de l'enquête en cours dans les Vosges ?

M. Olivier Thibault. - J'ai été informé de la réalisation d'une enquête, mais pas du fond du dossier.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous aujourd'hui au courant de la réalisation d'enquêtes dans d'autres départements ?

M. Olivier Thibault. - Je ne suis pas au courant d'enquêtes judiciaires en cours.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le cas échéant, vous pourrez nous le préciser ultérieurement.

M. Olivier Thibault. - Toutes les collectivités et tous les industriels n'ont probablement pas déclaré tous leurs forages. Cependant, je ne suis pas au courant d'enquêtes judiciaires en cours sur le sujet.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Êtes-vous au courant de l'existence de forages d'industriels non déclarés ?

M. Olivier Thibault. - Non. Je ne saurais cependant vous garantir que tous les forages d'industriels sont aujourd'hui déclarés.

M. Marc Collas. - Lorsque nous avons ouvert cette enquête judiciaire dans les Vosges, nous en avons rendu compte, non pas au directeur général, mais à la direction de la police de l'OFB. Nous avons ensuite pris nos instructions auprès du procureur.

M. Olivier Thibault. - L'OFB s'appuie sur des services départementaux, dotés chacun d'inspecteurs de l'environnement, placés sous l'autorité de directeurs régionaux, eux-mêmes sous l'autorité d'une directrice générale en charge des territoires et de l'outre-mer. L'OFB compte également des directions métiers, dont une direction de la police et des permis de chasser. Cette direction nationale fait partie d'une direction générale déléguée à la police, à la connaissance et à l'expertise, elle-même rattachée au directeur général. Au sein de la direction de la police et des permis de chasser, on retrouve un service juridique, un service national d'enquête, des brigades mobiles d'intervention, etc. En fonction du type et de la sensibilité des enquêtes, un suivi est ainsi organisé.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La révélation des faits constatés dans les Vosges a-t-elle généré des recherches dans d'autres départements ?

M. Olivier Thibault. - Pas à ma connaissance.

M. Marc Collas. - L'OFB ne peut intervenir que sur la base d'une saisine judiciaire. Si nous ne sommes pas informés des faits, le cas échéant à la suite d'une plainte d'un collectif d'associations, nous ne pouvons pas diligenter une enquête.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous avez également pour mission d'effectuer des contrôles administratifs.

M. Olivier Thibault. - Ces contrôles sont effectués sous l'autorité du préfet, délégué départemental de l'OFB pour cette mission de police administrative. Sur ce sujet, aucune procédure nationale n'a été lancée à ce jour.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous pourriez donc lancer une procédure nationale, à décliner par les préfets.

M. Olivier Thibault. - Nous pouvons mettre en avant un certain nombre de priorités et d'enjeux locaux ou nationaux. Il appartient ensuite aux préfets de décider.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Depuis le scandale des embouteilleurs, ce sujet est-il remonté dans la hiérarchie des priorités nationales ?

M. Olivier Thibault. - Non.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur quels autres champs de l'activité des embouteilleurs vos enquêtes peuvent-elles porter ?

M. Marc Collas. - J'ai évoqué une enquête en cours sur des décharges de plastiques sauvages. Cette procédure demeure cependant couverte par le secret de l'instruction.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Cette pratique est-elle répandue ?

M. Olivier Thibault. - Les décharges sauvages recouvrent plusieurs réalités, relevant de règlementations différentes. Il existe sur tout le territoire national des dépôts illégaux de déchets, vis-à-vis desquels nous sommes pleinement compétents, avec les maires et la gendarmerie. Il existe également des décharges classées, selon plusieurs niveaux en fonction du type de déchets. Ces décharges relèvent de procédures ICPE, instruites par les DREAL. Il existe ainsi des plans régionaux de suivi. Dans ce cadre, nous pouvons être sollicités en cas d'impacts sur l'environnement.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - En l'absence d'autres questions de nos collègues sénateurs, je propose de clore cette audition. Merci pour ces échanges et nous serons attentifs à votre contribution écrite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 30.

Audition de M. Grégory Emery, directeur général de la santé

M. Laurent Burgoa, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions. Monsieur le Directeur général, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc, avec les personnes qui vous accompagnent, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

M. Grégory Emery, directeur général de la santé. - Je le jure.

Mme Camille Llavador, directrice de cabinet du directeur général de la santé. - Je le jure.

Mme Mathilde Merlo, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la direction générale de la santé. - Je le jure.

M. Laurent Burgoa, président. - Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts avec l'objet de cette commission d'enquête.

M. Grégory Emery. - Je n'en ai aucun.

Mme Camille Llavador. - Je n'en ai aucun.

Mme Mathilde Merlo. - Je n'en ai aucun.

M. Laurent Burgoa, président. - Monsieur le directeur général, l'administration que vous dirigez exerce un rôle central en matière de règlementation des eaux minérales naturelles et des eaux de source, codifiée au sein du code de la santé publique. Vous exercez également la tutelle sur les agences régionales de santé (ARS) qui mettent en oeuvre la règlementation française des eaux conditionnées et réalisent les contrôles officiels des exploitants.

Du fait de ces missions de contrôle, la DGS et les ARS concernées ont été au coeur de la mise en oeuvre du plan de transformation mené par Nestlé Waters pour abandonner les traitements interdits par la règlementation.

Pourriez-vous revenir brièvement sur la règlementation régissant les eaux minérales naturelles et sur ses justifications, notamment au regard de la notion de pureté originelle ? Est-elle en danger aujourd'hui ?

Quel est le statut juridique de la microfiltration ? Selon vous, quel seuil de coupure est aujourd'hui autorisé ? Serait-il opportun de le préciser dans le droit ? Des microfiltrations à 0,2 micron sont-elles actuellement utilisées par des industriels, y compris par Nestlé Waters ? Des arrêtés pris par les préfets autorisent-ils ce niveau de microfiltration ?

Aujourd'hui, êtes-vous en mesure d'affirmer à la commission d'enquête que toutes les non-conformités constatées dans le cadre de la mission d'inspection de l'Igas (conclue en juillet 2022 ) ont été corrigées ? Si non, pourquoi ? Les contrôles n'ont-ils pas été renforcés à la suite des informations révélées dans la presse ?

M. Grégory Emery. - Mon propos portera uniquement sur la sécurité sanitaire des eaux, qui relève des compétences du ministère en charge de la santé.

La qualité des eaux est aujourd'hui un sujet particulièrement complexe et sensible, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la raréfaction de l'eau de bonne qualité nous oblige collectivement à définir une politique d'utilisation résiliente et concertée de l'eau et, dans ce cadre, à penser différemment la gestion des risques. Nous nous inscrivons par ailleurs dans un contexte de recul de la confiance des Français vis-à-vis de la qualité des eaux, passée, pour l'eau du robinet, d'après une enquête récente, de 85 % en 2022 à 78 % en 2023. Ce sujet, qui est l'objet de votre commission d'enquête, est d'autant plus prégnant que les eaux conditionnées disponibles dans le commerce étaient jusqu'à présent perçues par les Français comme des produits de qualité supérieure - ces eaux étant même recommandées par le ministère de la santé en cas d'indisponibilité temporaire de l'eau du robinet.

Pour toutes ces raisons, soyez convaincus, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, de la forte attention que je porte à ce sujet. Je m'attacherai à répondre à vos questions en tant que directeur d'administration centrale et en tant que médecin de santé publique en charge des politiques publiques de santé. Je dois cependant vous dire que je ne suis pas un expert scientifique de l'eau. Vous avez, à ce titre, me semble-t-il, auditionné le directeur général de l'Anses. Je ne suis pas non plus un acteur local. Je n'ai pas connaissance de tous les paramètres mesurés pour évaluer la qualité de l'eau. À cet égard, j'ai pleinement confiance dans l'action des ARS.

La règlementation française relative à la sécurité sanitaire des eaux minérales naturelles est définie au niveau national par la DGS, en conformité avec le droit européen. Elle est ensuite mise en oeuvre dans les territoires par les ARS. Je précise que celles-ci constituent des établissements publics autonomes, qui apportent leur expertise aux préfets, dotés du pouvoir décisionnaire.

La DGS et les ARS exercent leurs missions du point de captage jusqu'au conditionnement des eaux embouteillées. Une fois ces eaux commercialisées, d'autres ministères, en charge de la consommation et de l'agriculture, assurent le contrôle de leur loyauté et de leur sécurité sanitaire. Une police sanitaire unique a toutefois été mise en place à compter du 1er janvier 2024.

De manière générale, la qualité sanitaire des eaux conditionnées produites en France est très satisfaisante. Plus de 150 000 analyses sont réalisées chaque année dans le cadre du contrôle sanitaire des ARS et le taux de conformité aux limites de qualité réglementaires est supérieur à 99 % pour les paramètres microbiologiques et physico-chimiques. En 2022, plus de 50 inspections (sur un total de 104 sites présents sur le territoire) et plus de 1 900 visites ont ainsi été réalisées par les ARS. Ce niveau de conformité constaté, traduisant un risque maîtrisé (bien que ne pouvant jamais être considéré comme nul), explique pourquoi nous avons considéré, jusqu'en 2021, qu'il n'était pas nécessaire de renforcer la surveillance des eaux conditionnées.

Ce risque demeure aujourd'hui maîtrisé. De mon point de vue, le dossier Nestlé Waters qui nous réunit aujourd'hui ne soulève pas une problématique de sécurité sanitaire, mais de fraude. Le consommateur a bel et bien été dupé par l'utilisation de filtres à charbon et d'UV sur de l'eau commercialisée comme de l'eau minérale naturelle. Cependant, il n'a pas été mis en danger.

Lorsque les minéraliers ont décidé d'avouer l'utilisation de ces traitements frauduleux, ils se sont tournés vers le ministère en charge de l'industrie et non vers celui en charge de la santé, précisément parce qu'ils pensaient que leurs pratiques n'étaient pas dangereuses.

Permettez-moi de vous lire le premier email de mes services à ce sujet, daté du 27 septembre 2021, qui a par ailleurs été transmis à votre commission : « Nestlé a pris l'initiative de contacter le cabinet Industrie et la DGCCRF pour avouer qu'elle traite en effet ses eaux minérales naturelles Perrier par des traitements UV et au charbon actif, alors que ce type d'eaux ne doit subir que des traitements limités autorisés. Il ne me semble pas y avoir de préoccupation d'ordre sanitaire, car les EMN en question sont exemptes de problèmes de qualité biologique, mais bien une infraction aux dispositions du code de la santé publique sur l'interdiction de ces traitements et un problème de loyauté. D'autres pourraient être concernés. »

En mettant en place ces traitements non autorisés, au charbon et aux UV, les minéraliers ont finalement renforcé la qualité sanitaire de leurs eaux. Ils les ont filtrées et désinfectées au-delà de ce qui est autorisé, réduisant ainsi le risque de contamination. Il convient du reste de rappeler que lorsque des contrôles démontrent que des eaux ou des produits alimentaires sont impropres à la consommation humaine, ces produits sont détruits.

Pour autant, il convient effectivement de s'interroger sur la manière dont, dans notre système français, ces pratiques ont pu prospérer.

De la même manière que pour les denrées alimentaires, la législation européenne prévoit qu'une partie des contrôles de la qualité de l'eau repose sur l'autosurveillance des industriels. Sur certains points, la législation européenne est sans doute imprécise, datée ou inadaptée. Des rapports du Sénat et de la Commission européenne l'ont souligné. Quant à savoir si la gestion de ce dossier par l'administration a été trop lente, je laisserai le soin à votre commission d'en juger.

Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que l'on a pu lire dans certains articles de presse, la santé des Français n'a pas été mise en danger. Nous ne sommes pas non plus assujettis au pouvoir des industriels de l'eau conditionnée. Sur ce sujet, je n'ai jamais subi de pressions de la part d'un groupe, quel qu'il soit. Je ne les ai même jamais rencontrés.

La DGS a été informée le 27 septembre 2021 des pratiques illicites de Nestlé Waters. À la suite de signalements en Occitanie et en région Grand Est, il a été décidé de lancer une mission de l'Igas, appelée à s'appuyer sur les ARS pour disposer de données précises. En mars 2024, mes équipes ont également été soumises à un audit inopiné de la Commission européenne sur le système français de contrôle officiel des eaux minérales naturelles. Nous avons encore des échanges avec la Commission européenne sur les suites à donner à ce rapport. Enfin, le Sénat a publié en octobre dernier les conclusions d'une mission d'information sur les eaux minérales naturelles.

Je partage tous les constats formulés par l'Igas, la Commission européenne et le Sénat. La réglementation n'est pas assez claire sur la microfiltration. La coordination des autorités compétentes mérite d'être améliorée. Sur le terrain, les services en charge des contrôles sont dans l'incapacité de déceler des pratiques frauduleuses. Enfin, les consommateurs n'ont pas été suffisamment informés.

Je partage également toutes les recommandations formulées, pour plus de contrôles, plus de coopération, une meilleure information des autorités européennes, l'application d'un régime de sanctions stricte, etc.

Nous travaillons aujourd'hui à la mise en oeuvre de l'ensemble de ces recommandations. Des questions subsistent néanmoins, concernant notamment le statut de la microfiltration et le seuil autorisé.

Concernant les traitements interdits ayant fait l'objet de signalements, toutes les actions de retrait ont été achevées. Des plans de plans de transformation sont en cours sur les sites concernés, qui font l'objet d'un suivi par les ARS, à travers des plans de surveillance renforcée.

En 2025, nous mènerons également une action sur l'ensemble des sites d'exploitation en France.

Concernant la microfiltration, l'avis de l'AFSSA de 2001, confirmé par l'Anses en 2023, indique qu'en-deçà d'un seuil de 0,8 micron, il appartient à l'exploitant de démontrer l'absence de conséquences sur le microbisme de l'eau. La Commission européenne a fait référence, dans son audit, à un pouvoir désinfectant de la microfiltration à partir d'un seuil de 0,2 micron. Les autorités belges et espagnoles considèrent quant à elles qu'en-deçà d'un seuil de 0,45 micron, la microfiltration peut avoir un pouvoir désinfectant et modifier le microbisme de l'eau. En tant que DGS, j'ai donc recommandé aux ARS de veiller à ce que la microfiltration ne descende pas en-deçà d'un seuil de 0,45 micron.

La microfiltration n'est donc pas un traitement interdit. Des précisions nécessiteraient néanmoins d'être apportées au niveau européen sur le seuil autorisé.

En 2025, il nous faudra définir un protocole de coordination avec les services de la DGCCRF et de la DGAL. Une instruction sera ensuite transmise aux ARS, revenant sur le cadre règlementaire, les conditions de la microfiltration et la manière d'auditer les sites. La demande leur sera faite d'auditer la totalité des sites sous 2 ans.

Je terminerai mon propos introductif en soulignant que ces enjeux autour de la qualité des eaux, qu'elles soient ordinaires ou minérales naturelles, dans un contexte de raréfaction de la ressource, appellent une réflexion collective. Si nous n'envisageons pas le devenir de ces sources à 5, 10 ou 15 ans, alors qu'elles sont appelées à être fortement exploitées et impactées par le changement climatique, nous passerons à côté de la maîtrise des risques.

Le travail de la DGS est précisément de veiller à la maîtrise des risques. À ce jour, concernant les eaux minérales naturelles, je considère que les risques sont maîtrisés.

M. Laurent Burgoa, président. - En préambule, pour éclairer notre commission, pourriez-vous nous faire part de votre parcours professionnel durant la période qui nous intéresse, entre 2020 et 2024 ?

M. Grégory Emery. - En 2020, je suis conseiller sécurité sanitaire et santé publique auprès du professeur Agnès Buzyn, puis du ministre Olivier Véran, en charge notamment de la gestion de la crise du Covid. J'ai ensuite rejoint le cabinet du Premier ministre Édouard Philippe en tant que conseiller santé. À son départ, je suis retourné au sein du cabinet d'Olivier Véran jusqu'en janvier 2021, en charge des questions de santé publique et de santé environnement. À cette époque, je n'ai jamais entendu parler de la question des eaux en bouteilles. Les questions sur l'eau portaient alors sur les eaux en vrac, à la suite du vote de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). À l'été 2021, j'ai rejoint le centre de gestion de crise du ministère de la santé, pour gérer la crise du Covid en outre-mer. J'ai ensuite été nommé DGS adjoint en février 2022, puis DGS en septembre 2023.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les documents que vous nous avez transmis traduisent une prise de conscience salutaire, semblant s'être accélérée depuis les révélations faites dans la presse, le rapport de la mission d'information du Sénat et la mise en place de cette commission d'enquête.

Si cette prise de conscience est à saluer, pourriez-vous revenir sur les évènements successifs et ce que savait la DGS à chaque moment, concernant les pratiques de microfiltration ? L'enjeu serait d'apporter un éclairage sur la manière dont le risque sanitaire a été ou non maîtrisé tout au long du processus.

Les pratiques frauduleuses des industriels visaient à maximiser l'efficacité de la désinfection, face à une problématique de qualité de l'eau - ces traitements étant utilisés pour l'eau du robinet. Lors de son entretien avec le cabinet de la ministre de l'industrie, le 31 août 2021, Nestlé Waters a fait part de sa volonté d'utiliser, en substitution à ces traitements, des dispositifs de filtration au seuil inférieur à 0,8 micron, ce qui était pourtant la norme. Nestlé Waters s'est justifié en indiquant que ces filtres permettaient d'assurer la sécurité sanitaire des eaux. Or, à cette date, il n'existait aucun élément scientifique prouvant qu'une microfiltration inférieure à 0,8 micron pouvait à elle seule garantir la sécurité sanitaire. À ce moment, la DGS n'était donc pas en situation de maîtrise du risque sanitaire. Elle n'était pas informée du risque encouru avec cet accord donné à Nestlé Waters.

M. Grégory Emery. - Dans son avis de 2001, l'AFSSA a estimé que : « le dispositif de filtration tangentielle ayant un seuil de coupure à 0,8 micron peut être utilisé pour traiter l'eau de source et l'eau minérale naturelle avec l'objectif de retenir les particules présentes naturellement dans le captage ou celles résultant d'un traitement d'oxydation de fer et manganèse dissout. ». L'AFSSA a donc estimé que ce procédé respectait le statut de l'eau minérale naturelle.

En 2023, l'Anses a précisé que : « les autorités disposent des moyens permettant d'encadrer l'utilisation des dispositifs de filtration tels que ceux identifiés. ».

En 2021, la microfiltration n'intervient donc pas dans les processus de désinfection de l'eau. Ce n'est pas pour cette raison qu'elle est déployée.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il existait une problématique de qualité de l'eau, puisque des traitements au charbon et aux UV étaient utilisés. La microfiltration a été mise en place en substitution à ces traitements, dans une optique de désinfection. À cette époque, la DGS disposait-elle d'éléments prouvant qu'un basculement vers un système de microfiltration permettait de ne pas accroître le risque sanitaire ?

M. Grégory Emery. - Au regard de la surveillance des paramètres microbiologiques, oui. À cette époque, aucune surveillance virologique n'était prévue. Cette surveillance renforcée n'a été proposée par l'Anses qu'en 2023 - cette surveillance virologique n'étant par ailleurs pas prévue par la règlementation européenne.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - C'est compréhensible, car les eaux minérales naturelles sont préjugées pures. Le problème survient lorsqu'elles ne le sont plus. Entre 2021 et 2023, il y a eu un trou dans la surveillance virologique. La DGS a présumé que les filtres suffisaient à faire le boulot.

L'Anses, dans un avis du 16 décembre 2022, vous a mis en garde à ce sujet, en précisant que : « l'utilisation des membranes présentant une taille de pores « inaudible » sera inefficace vis-à-vis de la rétention des virus. ».

À ce moment-là, il semble y avoir eu une défaillance du contrôle sanitaire.

M. Grégory Emery. - En 2021, l'eau minérale naturelle est censée être souterraine et dénuée de toute forme de pollution. Le seul traitement autorisé est une filtration destinée à capter des particules non biologiques. Les eaux minérales naturelles ne font alors l'objet d'aucune surveillance virologique. Seules les bactéries, présentes naturellement ou résultant d'une pollution, sont surveillées, par l'exploitant et l'ARS. Entre 2021 et 2023, il n'y a effectivement aucune surveillance virologique, car il n'y a alors aucune raison d'exercer une telle surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce moment, vous présumez que les solutions apportées par Nestlé Waters couvrent le risque virologique. Dans le cas contraire, sachant que la qualité de l'eau n'est plus garantie et que la microfiltration n'est pas censée avoir un rôle de désinfection, vous auriez dû mettre en place une surveillance. L'Anses le proposera en 2023.

Votre prédécesseur, Monsieur Salomon, a adressé à la direction juridique de son ministère un courrier faisant état d'informations graves, emportant des enjeux politiques, économiques, juridiques et potentiellement sanitaires. La question sanitaire était donc présente dès le début et n'a pas été traitée.

M. Grégory Emery. - Dès lors que les paramètres microbiologiques ne mettaient pas en évidence de bactéries anormales et que les eaux minérales naturelles n'étaient pas contaminées par des virus, il n'y avait pas de surveillance virologique. Cette surveillance a été mise en place en 2023, compte tenu de la dégradation de la source, à la suite d'un avis de l'Anses rendu sur sollicitation de la DGS. Depuis, aucune contamination virologique n'a été mise en évidence.

L'absence de surveillance virologique en 2021 et 2022 n'a pas induit un risque immédiat pour la santé de nos concitoyens.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Je n'ai pas évoqué un risque immédiat, mais un risque plus fort, résultant d'une maîtrise des risques défaillante.

M. Grégory Emery. - C'est précisément dans une optique de maîtrise des risques que la surveillance renforcée a été mise en place, avec une surveillance virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le 31 août 2021, la DGS n'avait pas une vision aussi claire. En juillet 2022, l'Igas est venue dire qu'il n'était pas prouvé que l'utilisation des filtres à 0,2 micron écartait tout risque virologique. À la suite de la réception de ce rapport de l'Igas, des instructions ont-elles été passées aux ARS ? Comment expliquer que la surveillance renforcée n'ait été mise en place qu'en octobre 2023 ?

M. Grégory Emery. - Au regard du cadre européen et national, il n'y avait alors pas lieu de mettre en place une surveillance virologique. Du reste, compte tenu de la dégradation de certaines sources, il pourrait être pertinent de discuter, au niveau européen, de cette question.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En juillet 2022, la mission de l'Igas, que vous avez-vous-même sollicitée, a pointé un risque virologique. Pourquoi une décision n'a-t-elle pas été prise à ce moment-là ? En octobre 2023, dans le même cadre européen, vous avez pris une décision à la suite d'une recommandation de l'Anses.

M. Grégory Emery. - La mise en oeuvre d'une recommandation d'un rapport d'inspection nécessite de mobiliser de l'expertise scientifique (Anses, laboratoire d'hydrologie de Nancy-LHN). Pour aboutir à ce que le LHN définisse les paramètres de la surveillance renforcée, il s'est écoulé le temps que vous avez mentionné.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Lorsqu'elle a appris que Nestlé Waters reconnaissait l'usage de traitements interdits, la DGS, à votre connaissance, s'est-elle interrogée sur l'opportunité de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale ? Un arrêt de la production ou un déclassement des installations a-t-il par ailleurs été envisagé ?

M. Grégory Emery. - La DGS a considéré qu'il s'agissait d'un cas de fraude et non d'une problématique de santé publique. Il n'y avait donc pas de raison de suspendre l'exploitation. En revanche, si les sources devaient être contaminées, leur exploitation serait suspendue.

Pour ce qui est de recourir à l'article 40, la DGS a sollicité la direction des affaires juridiques du ministère de la santé. Celle-ci a préconisé de conduire d'abord une inspection des deux ARS et de l'Igas, pour caractériser les faits. Cette préconisation a été transmise aux ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Votre prédécesseur, dans un courrier adressé au directeur des affaires juridiques daté du 13 octobre 2021, a mentionné des enjeux sanitaires potentiels. Dans ce courrier, il a précisé que la DGS envisageait un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, ainsi qu'une saisine de l'Igas dans la perspective de vérifier l'absence de risque sanitaire. Il semble cependant avoir été dissuadé par l'avis de la direction des affaires juridiques. Ce possible recours à l'article 40 a-t-il fait l'objet d'échanges avec le cabinet du ministre ? Dans un courrier daté du 14 octobre 2021, soit le lendemain, la direction des affaires juridiques a recommandé de ne pas procéder à un signalement au procureur, en évoquant la possibilité de le faire en cas de pratiques non autorisées mises en évidence par la mission de l'Igas. Alors que la DGS avait déjà connaissance de pratiques non autorisées, la direction des affaires juridiques a donc préconisé d'attendre que d'autres pratiques non autorisées soient constatées pour en faire état. Ceci est pour le moins surprenant, car l'article 40 a vocation à être déclenché par tout agent public ayant connaissance, dans le cadre de ses fonctions, de faits susceptibles de constituer des infractions pénales.

M. Grégory Emery. - La DGS a bien envisagé une saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Elle a sollicité la direction des affaires juridiques à ce sujet, laquelle a recommandé, au regard de la fraude reconnue par Nestlé Waters, portant sur l'utilisation de traitements au charbon et aux UV, relevant des compétences du ministère chargé de l'économie, et de l'absence de faits soulevant des enjeux de santé publique, de lancer une mission de l'Igas couplée à des inspections administratives des ARS. Si les ARS avaient observé un risque pour la santé publique dans le cadre de leurs inspections, elles auraient pu prendre des mesures de suspension de l'exploitation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le déclenchement de l'article 40 n'est pas lié à l'exercice de la compétence des agents, mais à l'exercice de leurs fonctions. Lorsque des faits pénaux sont rencontrés, ils doivent être signalés, qu'ils soient ou non dans le champ de compétences de l'agent. L'article 40 a une portée générale.

Quoi qu'il en soit, qui a pris la décision finale de ne pas déclencher cette procédure ? Les ministres ont-ils été consultés ou informés ? Ont-ils eu le dernier mot ?

M. Grégory Emery. - De manière générale, dans de tels cas, n'étant pas juriste, je prends conseil auprès de la direction des affaires juridiques et j'applique les orientations de celle-ci.

L'article 40 a par ailleurs vocation à être déclenché au plus près de la caractérisation des faits. Telle est la position constante du ministère. En l'occurrence, le bon niveau pour opérer un éventuel signalement était celui des ARS. On constate d'ailleurs que l'une des ARS concernées, en région Grand Est, a bien effectué un signalement au titre de l'article 40 ; tandis que l'autre, en Occitanie, a considéré que cela n'était pas nécessaire, au regard des mesures prises.

Concernant la prise de décision, les ARS demeurent des établissements publics autonomes. La consigne transmise par la DGS, sur avis de la direction des affaires juridiques, était de ne pas avoir recours à l'article 40. Les directeurs généraux des ARS ont ensuite pris leur décision.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment se fait-il que les deux ARS concernées se soient comportées différemment ?

M. Grégory Emery. - À cette époque, les eaux minérales naturelles, au regard de leur taux élevé de conformité, ne faisaient pas l'objet d'une surveillance renforcée. Depuis, une coordination a été mise en place.

Du reste, les ARS demeurent des établissements publics autonomes. Il revenait à leur direction générale d'effectuer ou non un signalement, en fonction de leur appréciation de la situation.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Y a-t-il eu des allers-retours avec les ministres ?

M. Grégory Emery. - Il n'y a pas, dans le dossier, d'éléments me laissant penser que la DGS ne s'est pas fondée sur l'avis de la direction des affaires juridiques pour transmettre ses instructions aux ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Sur cette question, vous renvoyez donc notre commission vers les ministres concernés et leur cabinet. De manière générale, vous paraîtrait-il cohérent que, sur de tels dossiers, des échanges ne soient pas menés avec les ministres ?

M. Grégory Emery. - Dans ce dossier, des échanges ont été menés avec les ministres, dans la mesure où l'Igas a été saisie - les saisines de l'Igas sont signées par les ministres.

Pour ce qui est du choix de recourir ou non à l'article 40, de mon expérience, les ministres et leur cabinet s'appuient sur les avis de la direction des affaires juridiques. Cela ne me parait pas surprenant qu'un tel signalement ne remonte pas au niveau de l'autorité politique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La DGS a-t-elle été associée à la définition, à la conduite et à la restitution de la mission de l'Igas ? Par ailleurs, comment se fait-il que la DGS ait délibérément omis de signaler aux ARS, chargées du contrôle de sites, les pratiques frauduleuses constatées à ce moment ?

M. Grégory Emery. - L'Igas a mené des inspections conjointes avec les ARS. Les ARS ont donc été associées à toutes les étapes de l'inspection.

Je ne disposais par ailleurs pas d'éléments à communiquer aux ARS sur les pratiques frauduleuses signalées à la DGCCRF - celles-ci n'ayant pas été documentées par un service de contrôle. Le contexte était néanmoins explicité dans la lettre de mission adressée à l'Igas.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les laboratoires que nous avons auditionnés nous ont indiqué que, pour mesurer une évolution du microbisme de l'eau, il était relativement simple de conduire des analyses avant et après la filtration. Pourquoi de telles analyses n'ont-elles jamais été diligentées pour évaluer l'impact de la microfiltration sur le microbisme de l'eau ?

M. Grégory Emery. - L'analyse du microbisme de l'eau doit permettre de distinguer les bactéries normalement présentes dans l'eau de celles anormalement présentes. Lorsque la microfiltration retient des bactéries anormales, il y a une modification du microbisme de l'eau, qui témoigne d'une impureté de la source.

Au moment de l'inspection de l'Igas et des ARS, il n'existait pas, à ma connaissance, d'avis d'expert préconisant des analyses avant et après la filtration. Les ARS ne savaient par ailleurs pas nécessairement où se situait la microfiltration. Les analyses ont porté sur l'eau présentée par l'industriel.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Les services de l'État accompagnent un plan de transformation, dont la régularité vis-à-vis du droit européen est discutée, à tel point que les autorités françaises ne le transmettent pas à la Commission européenne. Cette dernière, dans un rapport d'audit, pointe un mécanisme défaillant. Dans ce contexte, pourquoi ne pas revenir à une méthode simple, reposant sur des analyses avant et après la filtration ?

Le rapport de l'Igas a par ailleurs relevé que, sur les 269 arrêtés ministériels ou préfectoraux étudiés, 30 % étaient imprécis, notamment concernant les procédés de traitement autorisés. Des instructions ont-elles été données au niveau national pour uniformiser ces arrêtés ?

M. Grégory Emery. - Je commencerai par préciser que, dans le cadre du plan de surveillance renforcée, des analyses avant et après ont bien été prévues et mises en place.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, ces analyses ont-elles mis en évidence une modification du microbisme de l'eau, remettant en cause le statut d'eau minérale naturelle des eaux concernées ?

M. Grégory Emery. - En termes de résultats, pour mesurer le risque pour la santé publique, nous disposons des taux de conformité des prélèvements.

Concernant le microbisme de l'eau, on considère qu'une microfiltration à 0,2 micron entraîne une modification. Les autorités belges et espagnoles considèrent un seuil minimal de 0,45 micron. L'Anses, quant à elle, dans son avis réitéré en 2023, a considéré un seuil de 0,8 micron, en deçà duquel il appartient à l'industriel de démontrer l'absence de modification du microbisme.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Avec une analyse avant et après la microfiltration, telle que mise en place dans le cadre de la surveillance renforcée, l'impact devrait pouvoir être mesuré.

Vous vous référez par ailleurs au seuil retenu par deux États membres. Vous semblez ainsi ne vous appuyer que sur du droit comparé, en prenant comme référence le moins-disant, sans réelle analyse des effets de la microfiltration.

M. Grégory Emery. - L'Anses, dans son courrier à la DGS du 13 janvier 2023, s'est elle-même référée à un document de 2009 de son homologue espagnol, faisant référence à un seuil de 0,4 micron, en deçà duquel la microfiltration ne saurait avoir d'autre but que la désinfection. La DGS s'est appuyée sur ces éléments.

Pour ce qui est de l'harmonisation de la législation, la DGS a interpellé, le 30 avril 2024, la Commission européenne en ces termes : « les autorités françaises ont bien noté que, dans la conclusion de son rapport, la Commission européenne estime que l'utilisation de la microfiltration avec des filtres dont la taille des pores peut être inférieure ou égale à 0,2 micron n'est pas conforme à la directive [...], parce qu'une modification du microbisme de l'eau minérale naturelle ne peut être exclue à cette taille de pores. [...] Les autorités françaises considèrent en revanche, à l'instar d'autres États membres, qu'un seuil de coupure inférieure à 0,45 micron n'est pas tolérable, une modification du microbisme ne pouvant être exclue à cette taille de pores. Elles souhaitent partager cette position avec les autres États membres et connaître celle de la Commission européenne. ».

À ce jour, nous n'avons pas obtenu cette clarification.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le seuil retenu par la DGS a-t-il fait l'objet d'une concertation interministérielle ? Après une première concertation interministérielle dématérialisée (CID) ayant autorisé une microfiltration à un seuil inférieur, le cabinet du Premier ministre a-t-il été de nouveau saisi ?

M. Grégory Emery. - Non. Je n'ai pas saisi ma ministre de l'époque. Au regard de mon interprétation de la situation, considérant les références belges et espagnoles et pour prévenir d'éventuels contentieux européens à la suite de l'audit de la Commission européenne, j'ai recommandé aux deux ARS un seuil de 0,45 micron.

Le Président de la commission d'enquête étant appelé à quitter la séance, la présidence de celle-ci est reprise par la Vice-présidente Anne Ventalon.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Comment expliquer qu'un tel arbitrage interministériel ait d'abord été rendu ?

M. Grégory Emery. - Dans le document dont je dispose, il est fait référence à la possibilité d'une microfiltration à un seuil inférieur à 0,8 micron.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - La CID s'est ainsi affranchie de l'avis réitéré de l'Anses. Une instruction de la DGS a ensuite recommandé de ne pas descendre en deçà d'un seuil de 0,45 micron. Avez-vous recommandé aux préfets d'interdire la pratique d'une microfiltration à 0,2 micron ?

M. Grégory Emery. - Non. À ce stade, j'ai répondu aux courriers de deux directeurs généraux d'ARS.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi n'avoir pas diffusé une instruction générale ?

M. Grégory Emery. - Une instruction générale sera bien diffusée en 2025. Je ne l'ai pas fait jusqu'à présent pour pouvoir tirer les conclusions de l'audit de la Commission européenne, de la mission d'information conduite par le Sénat et de la commission d'enquête mise en place par le Sénat. Nous sommes également en attente d'une clarification du cadre européen, sur la microfiltration, sur la notion de pureté originelle de l'eau et sur la place de la surveillance virologique. Cette clarification du cadre européen semblant s'éloigner, la DGS diffusera une instruction en 2025. Celle-ci sera discutée avec les ministres et au niveau interministériel. Cette instruction précisera les modalités de contrôle ainsi que la répartition des contrôles entre les ARS et les directions départementales de la protection des populations (DDPP). Elle précisera également le cadre réglementaire, sans avoir valeur de loi ou de décret.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À votre connaissance, la démonstration a-t-elle été faite d'une absence de modification du microbisme de l'eau avec une microfiltration entre 0,45 et 0,8 micron ?

M. Grégory Emery. - Sur ce point, je m'en remets aux avis des experts. L'Anses, dans son avis de 2023, a fait référence à une microfiltration à 0,2 micron assimilable à une désinfection, induisant une modification du microbisme de l'eau. Les autorités belges et espagnoles considèrent qu'une modification du microbisme de l'eau intervient en deçà d'un seuil de 0,45 micron. La DGS a donc retenu ce seuil. Du reste, en deçà de 0,8 micron, il appartient à l'industriel de démontrer l'absence de modification du microbisme de l'eau. Telle était la conclusion de la concertation interministérielle.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - À ce jour, vous n'êtes donc pas en capacité de statuer sur l'impact sur le microbisme de l'eau des traitements inférieurs à 0,8 micron.

Le 28 novembre 2024, vous avez donc adressé à l'ARS Occitanie un courrier écartant la possibilité d'une microfiltration inférieure à 0,45 micron et demandant qu'en deçà de 0,8 micron, l'exploitant apporte la preuve d'une absence de modification du microbisme. Cependant, le 14 janvier 2025, le préfet du Gard a ensuite contesté votre analyse et votre instruction. En avez-vous eu connaissance ? Comment analysez-vous cette contestation ? Cette pratique est-elle fréquente ?

M. Grégory Emery. - Dans mon instruction au directeur général de l'ARS Occitanie, j'ai indiqué, au regard des éléments évoqués précédemment, qu'il ne paraissait pas « opportun » d'autoriser l'utilisation d'une microfiltration inférieure à 0,45 micron. J'ai également souligné que la démarche initiée pour les installations de production de Nestlé Waters et la régularisation d'autres sites de conditionnement de la région était en phase avec cette instruction.

J'ai ainsi exercé ma compétence de directeur d'administration centrale. Ensuite, il appartient à chaque préfet, en sollicitant l'expertise de son ARS, d'autoriser ou non l'exploitation d'une source et d'en définir les modalités.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Le préfet du Gard a indiqué qu'en l'état actuel du droit, la microfiltration à 0,2 micron utilisée par Nestlé Waters n'était pas interdite. Ceci est contraire au droit que vous avez mentionné dans votre instruction et aux conclusions du rapport de l'ARS de 2024 sur l'exploitation des eaux de Perrier.

Avez-vous eu des échanges avec le Préfet du Gard à ce sujet ?

M. Grégory Emery. - L'application de la règlementation est déconcentrée depuis 2007. Les autorisations sont donc délivrées par les préfets. Dans ce cadre, j'ai un profond respect pour leur travail et l'exercice de leurs compétences. Je considère que, compte tenu de leur niveau de proximité avec les territoires, ils sont les plus à même de prendre de telles décisions.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Il s'agit pourtant d'appliquer une norme relative à l'eau minérale naturelle, dans un cadre règlementaire national et européen. Dès lors que des seuils ont été fixés par la DGS, la norme ne saurait être définie au niveau des territoires. C'est en ce sens que vous allez diffuser une instruction générale en 2025.

M. Grégory Emery. - En cas de risque sanitaire, il ne fait aucun doute que les préfets suspendront les exploitations. Concernant la microfiltration, la règlementation européenne est imprécise. Dans mon interprétation, j'ai estimé qu'un seuil de 0,2 micron, induisant un pouvoir désinfectant, n'était pas compatible avec le statut d'eau minérale naturelle. J'ai également souligné que certains États membres avaient retenu un seuil de 0,45 microns. J'assume le caractère interprétatif de cette instruction. Du reste, je ne dispose pas aujourd'hui d'éléments m'invitant à revoir cette position.

Nous ne sommes donc pas dans le cas d'un cadre règlementaire ou d'une norme qu'un préfet ne souhaiterait pas appliquer. La DGS a estimé qu'il n'était pas opportun de descendre en deçà d'un seuil de 0,45 micron. Le préfet du Gard a quant à lui fait état d'un cadre règlementaire insuffisamment précis.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - En pratique, on constate une CID autorisant à descendre en dessous de 0,8 micron, des pratiques allant jusqu'à 0,2 micron, des arrêtés non modifiés malgré des pratiques différentes constatées, un courrier du DGS recommandant de ne pas descendre sous 0,45 micron, un pouvoir interprétatif des préfets, etc. Il conviendrait de remettre de l'ordre dans tout cela, pour restaurer la confiance dans la sécurité du dispositif.

De manière plus générale, les scientifiques que nous avons auditionnés nous ont confirmé une dégradation des eaux souterraines dans notre pays. Le sentiment est ainsi que certaines eaux minérales naturelles, qui avaient la réputation d'être protégées, tendent à devenir des eaux de boisson ordinaires. Dans ce contexte, ne conviendrait-il pas, pour maîtriser le risque sanitaire, d'uniformiser la règlementation applicable à l'ensemble des eaux ?

M. Grégory Emery. - La surexploitation de la ressource et le changement climatique doivent nous inviter à revoir le cadre de la maîtrise des risques. En tant que DGS, il ne m'appartient pas de me prononcer sur une éventuelle uniformisation des statuts des eaux. Cette discussion nécessiterait d'être menée au niveau européen.

En tant que médecin, je considère néanmoins, que l'exploitation des eaux minérales naturelles, à 10, 20 ou 30 ans, nécessitera un renforcement de la maîtrise des risques, avec notamment la mise en place d'une surveillance virologique. L'enjeu serait de ne pas se fier uniquement au taux de conformité des eaux, y compris au regard du risque de fraude. Il s'agira de renforcer la protection du captage, du foncier autour des sources, en complément de la surveillance par les industriels.

Je précise ici que la règlementation européenne n'oblige pas les États membres à mettre en place un contrôle sanitaire. La France est l'un des États membres où ce contrôle sanitaire est réalisé par l'État, avec des prélèvements réalisés et analysés par ou pour le compte de l'État. Dans d'autres États membres, les services de l'État se contentent de contrôles documentaires, visant à s'assurer que des contrôles sont effectués. Nous avons donc déjà, en France, un plan de maîtrise des risques conséquent, articulant une surveillance par les exploitants et un contrôle par les autorités. Il est néanmoins certain qu'il faudra réinterroger régulièrement ce cadre.

Mme Antoinette Guhl. - À quelle date la surveillance virologique a-t-elle été mise en place dans les Vosges et dans le Gard ?

M. Grégory Emery. - Je vous apporterai des précisions à ce sujet. Des plans de surveillance renforcée ont bien été mis en place dans ces deux départements.

Mme Antoinette Guhl. - L'Anses nous a indiqué que la surveillance renforcée virologique avait été mise en place à partir de juin 2024. Or, dans les Vosges, les traitements interdits ont été arrêtés en octobre 2022. Cela signifie qu'entre octobre 2022 et juin 2024, soit pendant plus de 18 mois, une eau a été embouteillée et distribuée sans surveillance virologique, avec un risque sanitaire potentiel. Il ne subsistait alors que la microfiltration à 0,2 micron, ne permettant pas, d'après l'Anses, de prévenir le risque virologique.

Dans le Gard, l'arrêt des traitements interdits a pris beaucoup plus de temps et n'est intervenu qu'en octobre 2023. On constate cependant un même risque sanitaire potentiel entre octobre 2023 et juin 2024, soit pendant 8 mois.

M. Grégory Emery. - La surveillance renforcée a été mise en place sur la base d'un avis scientifique et technique de l'Anses du 16 octobre 2023. Avant cette date, il n'y avait pas lieu de mettre en place une telle surveillance.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. -Le rapport de l'Igas a fait état d'un risque virologique dès le mois de juillet 2022.

M. Grégory Emery. - Il nous fallait disposer d'un avis scientifique, pour déterminer les prélèvements à réaliser, les virus recherchés, etc.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Vous auriez pu engager cette démarche dès le 31 août 2021. Vous auriez pu demander à l'Anses de vous éclairer sur le risque sanitaire. Initialement, le risque sanitaire a été ignoré. Lorsque Nestlé Waters a signalé ses pratiques, il semble y avoir eu une forme de négligence de ce sujet. Avant le rapport de l'Igas et l'avis de l'Anses, le risque sanitaire n'a pas été traité à sa juste mesure, alors qu'il résultait de la perte par les eaux minérales naturelles concernées de leur pureté originelle. Telle est mon interprétation. Du reste, la DGS semble aujourd'hui vouloir rattraper le temps perdu.

Mme Antoinette Guhl. - Vous nous ferez part de votre analyse de la chronologie que j'ai rappelée dans mon rapport, semblant mettre en évidence des failles dans la maîtrise du risque sanitaire, dans la mesure où vous avez autorisé une filtration à 0,2 micron alors que l'émergence des eaux n'était pas pure, en contradiction avec la règlementation sur les eaux minérales naturelles.

Par ailleurs, le DGS est-il responsable hiérarchiquement des ARS ?

M. Grégory Emery. - Les ARS sont des établissements publics autonomes. Nous leur adressons des instructions. J'échange par ailleurs très régulièrement avec les directrices et directeurs généraux d'ARS. Mes équipes échangent également au quotidien avec les services des ARS. Cependant, je n'exerce aucune autorité hiérarchique sur les ARS. Chaque directeur général d'ARS est responsable de ses décisions. En ce qui concerne la qualité des eaux minérales naturelles, les ARS apportent leur expertise aux préfets, qui sont décisionnaires. Dans le dossier qui nous intéresse, il n'y a donc pas de lien entre le ministère de la santé et l'autorité préfectorale.

Sur la chronologie que vous avez rappelée, je considère qu'il n'y avait pas de risque pour la santé publique au regard des paramètres microbiologiques mesurés. La mise en place d'une surveillance virologique, quant à elle, ne relève pas uniquement d'une décision administrative. Elle a été mise en place selon des modalités recommandées par une instance d'expertise. Dans le cadre européen, aucune surveillance virologique des eaux minérales naturelles n'est par ailleurs prévue.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Ce qui fondait l'absence de contrôles de cette nature était la pureté originelle des eaux. Or, il était connu, dès 2021, que cette pureté originelle était « refabriquée » par des traitements. Il y aurait donc dû y avoir une action de maîtrise du risque sanitaire. La DGS savait que les eaux étaient problématiques et que des traitements étaient mis en place pour y remédier.

M. Grégory Emery. - Il est ici question d'eaux souterraines et profondes. Scientifiquement, à ces profondeurs, les eaux peuvent être contaminées ou non par des bactéries, normales ou anormales. Avant l'avis de l'Anses, il n'était pas question d'un risque virologique.

M. Alexandre Ouizille, rapporteur. - Pourquoi cet avis de l'Anses n'a-t-il pas été demandé en août 2021 ? La DGS savait à ce moment qu'il y avait une problématique, signalée par Nestlé Waters.

M. Grégory Emery. - En 2021 et 2022, la question du risque virologique ne se posait pas en ces termes.

Mme Antoinette Guhl. - Le rapport de l'Igas a bien fait état, en 2022, soit un an avant l'avis de l'Anses, d'un risque virologique avec une filtration à 0,2 micron. En octobre 2023, il n'y a ensuite plus aucun doute. On sait qu'il y a un risque pour la santé, avec la présence de bactéries de matières fécales. Ces bactéries ont vocation à être filtrées. En revanche, le risque virologique demeure.

On constate par ailleurs que la directrice générale de l'ARS Grand Est, ayant effectué un signalement au titre de l'article 40, a depuis quitté ses fonctions. Au cours de vos fonctions, en tant que DGS adjoint ou DGS, avez-vous eu à vous prononcer sur l'évolution de sa carrière ? Son départ est-il une forme de mise au placard ou une réponse directe à son signalement au titre de l'article 40 ?

M. Grégory Emery. - Je n'aurai pas eu ce pouvoir. La DGS n'évalue aucun des directeurs généraux d'ARS. Elle n'intervient pas non plus dans les promotions ou les intégrations à l'Igas.

J'ai par ailleurs beaucoup de respect et d'amitié pour les directrices et directeurs généraux d'ARS, avec lesquels je travaille au quotidien. J'ai une très grande confiance en eux. À ce titre, je peux dire que la directrice générale de l'ARS Grand Est, dans le cadre de l'ensemble des échanges que j'ai pu avoir avec elle au titre de mes fonctions, a toujours été une grande professionnelle et a toujours été pleinement au rendez-vous de ses missions.

Mme Antoinette Guhl. - Nous lui devons en tout cas le fait que cette affaire ait été connue du grand public - son signalement au titre de l'article 40 ayant fait émerger le sujet.

Le compte-rendu de la concertation interministérielle dématérialisée (CID) autorise la pratique d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron dans les Vosges. Cependant, dans le Gard, il recommande de permettre à Nestlé Waters d'appliquer son plan de transformation, prévoyant une microfiltration à 0,2 micron. La microfiltration à 0,2 micron n'est donc explicitement autorisée, mais elle l'est malgré tout à travers le plan de transformation.

M. Grégory Emery. - Ce même document fait également état d'une nécessité de clarifier le cadre européen sur la microfiltration. Il demande au Secrétariat général des Affaires européennes « de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union afin, le cas échéant, d'envisager de solliciter la Commission pour une évolution de la réglementation communautaire ou en vue d'une saisine de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ». C'est précisément ce qui a été fait.

Mme Anne Ventalon, vice-présidente. - Merci pour ces échanges. Vous nous adresserez les éléments complémentaires demandés et votre contribution écrite.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 00.