Mercredi 22 janvier 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Claudia Scherer-Effosse, directrice générale de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Madame Claudia Scherer-Effosse, directrice générale de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Madame la directrice générale, à l'occasion de l'examen des crédits du budget de l'État pour la Diplomatie culturelle et d'influence, qui financent la subvention pour charges de service public de l'AEFE, notre commission a récemment pu prendre la mesure des atouts dont dispose le réseau d'enseignement français à l'étranger, mais également des défis renouvelés auxquels il fait face dans un contexte géopolitique mouvant. En lien avec notre rapporteur pour avis sur ces crédits, notre collègue Claude Kern, nous avons donc souhaité approfondir ces sujets passionnants, et nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

L'AEFE, établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangère, est chargée, aux termes de l'article 452 -2 du code de l'éducation, d'une double mission : d'une part, « assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l'éducation » ; d'autre part, « contribuer, notamment par l'accueil d'élèves étrangers, au rayonnement de la langue et de la culture françaises ».

L'AEFE exerce ces missions en s'appuyant sur un réseau de 600 établissements répartis dans 138 pays, qui accueillait près de 400 000 élèves à la rentrée 2024. Ces chiffres sont en croissance continue depuis plusieurs années, avec une augmentation des effectifs de plus de 8 % depuis 2019. Cette dynamique de croissance soulève plusieurs questions sur lesquelles nous serions heureux de recevoir vos éclairages.

Qu'en est-il tout d'abord de l'objectif « Cap 2030 », fixé en 2018 par le Président de la République, et qui vise à atteindre 700 000 élèves dans le réseau à la rentrée 2030 ? Si cet objectif semble hors de portée au rythme actuel de progression des effectifs, il n'est cependant pas officiellement abandonné. Quelle est donc, Madame la directrice générale, votre feuille de route sur ce point ?

Nous observons ensuite que le développement du réseau repose largement sur des facteurs de croissance externes, c'est-à-dire l'intégration d'établissements partenaires et le recrutement d'élèves étrangers. Comment dans ces conditions garantir la pérennité de ce qui constitue l'identité, et sans doute l'atout majeur de notre réseau d'enseignement à l'étranger, c'est-à-dire l'unité et la continuité pédagogiques d'un établissement à l'autre ?

Le réseau est par ailleurs très largement touché par la multiplication des tensions et des conflits entre États. Notre commission a salué les mesures mises en oeuvre, souvent dans l'urgence, pour assurer la continuité des enseignements au Sahel, en Ukraine ou encore en Israël, ainsi que l'engagement des équipes présentes sur place.

Au-delà de ces adaptations dans des zones de conflit ouvert, le réseau fait face à des tensions à plus bas bruit dans plusieurs pays, comme en Azerbaïdjan ou en Turquie. Pourriez-vous nous donner quelques éléments d'information et d'analyse sur ces situations ? L'avenir de certains établissements français vous paraît-il menacé ?

Enfin, l'application du principe de laïcité à la française, tel qu'il était traditionnellement accepté ou toléré, est-elle remise en question dans certains établissements ou certains pays ?

Madame la directrice générale, je vous laisse la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, après quoi je laisserai mes collègues, et notamment notre rapporteur pour la diplomatie culturelle Claude Kern, vous poser leurs questions.

Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Madame la directrice générale, nous vous écoutons.

Mme Claudia Scherer-Effosse, directrice générale de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). - Je vous remercie de cette invitation à vous exposer la situation de l'enseignement français à l'étranger tel qu'il est piloté par l'AEFE, que j'ai l'honneur de diriger depuis août 2023. La précédente audition de l'AEFE par votre commission remonte à l'année 2019 ; mon prédécesseur, M. Olivier Brochet, était venu vous présenter le plan de développement issu de la stratégie « Cap 2030 », fixée par le président de la République en mars 2018.

Depuis cette date, l'AEFE s'est mise en état de marche pour assurer l'application de cet objectif, qui a constitué une révolution copernicienne pour l'agence : l'enseignement français a vocation à se développer et il ne s'agit plus seulement de conserver l'existant.

L'adoption de la loi du 28 février 2022 visant à faire évoluer la gouvernance de l'AEFE et à créer les instituts régionaux de formation a constitué une étape importante dans ce processus toujours en cours. Cette loi a modifié la composition du conseil d'administration de l'agence en prévoyant une représentation plus importante des parents d'élèves, qui sont nos partenaires et dont la contribution représente 53 % de notre budget, une présence renforcée des Français de l'étranger, et enfin l'association d'experts, de représentants des anciens élèves, du dispositif Français Langue maternelle (FLAM) et de l'association nationale des écoles françaises à l'étranger (ANEFE) - qui était responsable jusqu'à il y a peu de l'octroi de la garantie de l'État pour les emprunts effectués par nos établissements conventionnés.

Cette loi prévoit également la mise en place de 16 instituts régionaux de formation (IRF) correspondant à autant de zones géographiques. Ces IRF sont adossés, dans la grande majorité des cas, à un établissement à gestion directe (EGD) ; cinq d'entre eux sont rattachés à un établissement conventionné. Ces IRF fonctionnement aujourd'hui selon un dispositif et une gouvernance bien établis. Ce développement correspond à une forte montée en puissance des enjeux de formation dans l'ensemble du réseau. Les programmes dits « PàP », pour « Professeurs à professionnaliser », assurent ainsi la montée en compétence de personnels d'enseignement issus des pays dans lesquels nos établissements sont installés.

L'organigramme de l'agence a été également adapté à cette politique de développement, avec la mise en place d'un service d'accompagnement et de développement du réseau. Cette sous-direction travaille avec les porteurs de projet souhaitant créer de nouveaux établissements, mais également avec les établissements existants qui ont besoin d'accompagnement et de conseil.

Le fonctionnement de l'agence étant assuré par la mise à disposition et le détachement de personnels de l'Éducation nationale, l'évolution de leur statut a également constitué une réforme importante. Un décret de juin 2022 leur a permis de bénéficier d'une indemnité de changement de résidence et d'un droit de billet de congé.

Au premier semestre 2023, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), tutelle de l'AEFE, a lancé une large consultation sur l'enseignement français à l'étranger, qui a reçu plus de 18 000 réponses. Cette consultation a débouché sur la création, le 7 juillet 2023, d'une commission interministérielle entre le MEAE et le ministère de l'Éducation nationale, qui a relancé formellement la feuille de route du développement de l'enseignement français à l'étranger.

Depuis le lancement de cette stratégie en 2019, nous avons fait progresser les effectifs du réseau. À partir de 2020, la crise du Covid et les confinements qui en ont découlé ont cependant eu des conséquences importantes sur notre fonctionnement, avec des fermetures d'établissements souvent plus longues qu'en France. Un effort particulier d'accompagnement et de soutien financier a dû être demandé à notre tutelle pour nous aider à passer ce cap. Certains établissements n'ont repris leur fonctionnement normal qu'en 2022.

À la rentrée 2024, 398 000 élèves étaient scolarisés dans nos établissements, soit une hausse de 1,4 % par rapport à l'année précédente. Ces chiffres peuvent évoluer en cours d'année scolaire, car des inscriptions continuent d'arriver après septembre. Les élèves français représentent environ 30 % des élèves des effectifs, environ 57 % ont la nationalité du pays dans lequel se trouve l'établissement, et 12 % sont des élèves de nationalité tierce. Le nombre d'élèves français a tendance à stagner, avec une évolution de 0,2 % à la rentrée 2024, et n'a toujours pas retrouvé son niveau antérieur à la pandémie. On peut citer, parmi les multiples raisons de cette stagnation, les conséquences durables de la crise du Covid sur les mouvements d'expatriation. Au total, le nombre d'élèves français est en recul de 3,6 % par rapport à 2019.

Le réseau compte près de 600 établissements dans le monde, qui peuvent être en gestion directe, conventionnés ou partenaires. Tous sont homologués, c'est-à-dire qu'ils assurent un enseignement de qualité des programmes français. Ils sont recensés par une commission interministérielle qui se tient généralement à la fin du mois de mai, et inscrits dans un arrêté annuel. Les différentes catégories d'établissements évoluent de manière différente. La plus forte dynamique de croissance est observée chez les établissements partenaires. Les effectifs des 68 établissements en gestion directe (EGD), qui constituent des services déconcentrés de l'agence, tendent à diminuer depuis quelques années, tandis que ceux des établissements partenaires sont en augmentation.

Parmi les freins au développement de l'enseignement français à l'étranger figurent tout d'abord les crises géopolitiques. Après une année entière de fonctionnement à distance, notre EGD de Niamey, au Niger, qui comptait près de 800 élèves, a ainsi dû fermer à la rentrée 2024. Nous avons dû également laisser fermer l'établissement partenaire de Bakou, les autorités azerbaïdjanaises ayant dénoncé l'accord intergouvernemental permettant son fonctionnement. Une perte d'effectifs de 345 élèves a enfin été constatée en Turquie du fait de l'interdiction faite par cet État de scolariser dans nos établissements les élèves de nationalité turque ou franco-turque qui n'y étaient pas inscrits avant le 1er janvier 2024.

Les tensions, les conflits et les guerres affectent profondément les établissements. La guerre d'agression de la Russie en Ukraine a provoqué une forte diminution des effectifs de notre établissement de Kiev. Après l'étiage atteint en 2022, ils augmentent à nouveau depuis 2023 : une augmentation de 35 % du nombre d'élèves a été observée à la rentrée 2024. Cette évolution a été permise par les importants investissements réalisés pour assurer la sécurité des élèves, qui peuvent suivre leurs enseignements dans des abris très sécurisés à chaque fois que c'est nécessaire. Ce conflit a également eu pour conséquence une importante baisse des effectifs dans notre établissement en gestion directe de Moscou.

Il arrive que la règle selon laquelle les tensions géopolitiques ont un impact négatif sur les effectifs de nos établissements ne se vérifie pas. On continue d'observer une forte appétence pour l'enseignement français au Mali et au Burkina Faso, qui se traduit au Mali par une progression du nombre d'établissements homologués et une augmentation de 7,5 % des effectifs cette année. Au Liban, qui est toujours le premier pays du réseau avec 64 000 élèves, l'importance donnée par la population à l'éducation s'est traduite par la poursuite des activités du réseau dans des conditions presque normales malgré la guerre, y compris à Beyrouth. Le lycée Abdel-Kader, qui a vu ses locaux réquisitionnés pendant plusieurs mois, vient de les récupérer ; ses élèves avaient été répartis dans plusieurs établissements ou avaient bénéficié de solutions alternatives. Des solutions alternatives ont également pu être trouvées pour les élèves des deux établissements qui ont dû fermer dans le Sud du pays. L'organisation de notre réseau permet de traverser des crises comme celles-ci.

Sur le plan financier, depuis le lancement du plan de développement du réseau, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à l'AEFE a connu une forte croissance qui nous a permis de faire face à certains défis budgétaires, dont la création du nouveau statut pour les personnels d'enseignement détachés. Cette augmentation a en partie été portée sur le programme 185 de la mission « Action extérieure de l'État ».

Pour 2025, les contraintes budgétaires ont conduit à une diminution de cette SCSP à hauteur de 15 millions d'euros dans le cadre du programme 185. Le budget initial de l'agence, adopté lors du conseil d'administration du 28 novembre 2024, était en déficit. Le niveau de ce déficit a pu être réduit grâce à deux mesures : un schéma d'emploi, décidé en lien avec les établissements, tendant à ne pas pourvoir une centaine de postes vacants à la rentrée 2025 ; l'engagement de procéder à de nouvelles suppressions d'emplois au cours des prochaines années, avec 50 postes supprimés en 2026 puis en 2027.

Nous avons également réduit les subventions octroyées aux établissements. En 2024, ces subventions représentaient 29 millions d'euros correspondant à des projets précis. Il s'agit malheureusement de l'un des leviers budgétaires les plus faciles à activer. A l'inverse, les contributions des établissements et notamment leur participation financière complémentaire (PFC) ne peuvent être modifiées en cours d'année, ce qui explique que nous n'ayons pas pu utiliser ce levier pour réduire le déficit initial de l'agence.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - Merci, Madame la Directrice générale, pour votre présence et ces informations. S'agissant des perspectives financières de l'AEFE, le budget de l'action extérieure de l'État, tel qu'il a été adopté hier en séance publique par le Sénat, prévoit une baisse accrue de la SCSP de l'agence du fait de l'amendement de rabot présenté par le Gouvernement. À cette baisse s'ajoute l'augmentation de la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Quelles seront les missions et les pays impactés par votre plan de suppressions d'effectifs ? Anticipez-vous une augmentation des frais de scolarité en conséquence des baisses des dotations versées aux établissements ?

En ce qui concerne le développement du réseau, pouvez-vous nous exposer les critères de choix des onze pays cibles sur lesquels sont concentrés les efforts d'expansion ? Je rappelle à nos collègues qu'il s'agit de l'Arabie saoudite, du Brésil, de la Côte d'Ivoire, de l'Égypte, des Émirats Arabes-Unis, des États-Unis, de l'Inde, du Mexique, du Nigeria, de la République démocratique du Congo et du Sénégal. Quelle appréciation portez-vous aujourd'hui sur ce ciblage ? Vous paraît-il devoir évoluer ?

Comment le nombre d'élèves boursiers a-t-il évolué dans les établissements du réseau et comment l'expliquez-vous ?

Pouvez-vous nous communiquer des éléments complémentaires sur la montée en puissance des IRF ? En particulier, quelles sont les formations proposées ? Vous paraîtrait-il souhaitable d'étoffer leur nombre ?

Enfin, quel premier bilan dressez-vous du baccalauréat français international, dont une première cohorte d'élèves a été diplômée en juin dernier ? Ce dispositif fait-il peser des contraintes particulières sur le réseau ?

Mme Claudia Scherer-Effosse. - Les marges de manoeuvre de l'agence pour faire face à la baisse de sa subvention sont assez limitées à court terme. Notre schéma d'emploi ne peut porter que sur les postes qui seront vacants à la rentrée prochaine ; c'est pourquoi il concernera 100 postes en septembre 2025, afin de tenir compte de l'année entière. L'agence pourra puiser dans sa trésorerie pour passer le premier cap de la réduction de ses moyens. La contribution des familles va également devoir augmenter.

Les pays cibles ont été définis lors de la préparation de la feuille de route du développement du réseau, qui a été validée par la commission interministérielle en juillet 2023. Ce sont à la fois des pays accueillant déjà des établissements du réseau avec une marge de progression intéressante, et des pays où l'enseignement français est encore très peu présent, comme l'Inde et le Brésil. Des études de potentiel ont été commandées par l'agence et partagées avec les acteurs de l'équipe France, en lien avec les postes diplomatiques. Il faut ensuite travailler avec les investisseurs qui souhaitent créer de nouveaux établissements.

La liste des pays ainsi retenus continue de montrer sa pertinence, ce qui ne signifie pas qu'elle ne pourrait pas évoluer si d'autres pays se révélaient intéressants. L'enseignement français à l'étranger a vocation à se déployer dans les pays connaissant un développement de l'éducation internationale, et où des familles de classe moyenne souhaitent investir dans l'éducation de leurs enfants. Notre objectif est alors que ces familles choisissent l'enseignement français plutôt qu'un réseau anglo-saxon.

Le nombre de boursiers, mais aussi le nombre de demandes de bourses diminue fortement depuis deux ans. Les échanges avec le réseau consulaire permettent de mettre en évidence plusieurs explications à ce phénomène. La nouvelle logique d'enveloppe déployée depuis quelques années a conduit à ce que les prises en charge à 100 % ne représentent plus que la moitié des bourses allouées ; l'autre moitié est calculée en fonction de quotités. Compte tenu de la lourdeur des procédures de dépôt de dossier, il est possible que des familles qui ne peuvent prétendre qu'à une petite quotité se découragent. L'augmentation générale des frais de scolarité dans le contexte inflationniste peut également avoir un effet d'éviction. Le travail de lutte contre la fraude mené par les services consulaires, qui vise à déterminer le niveau réel de revenu des familles demandant des bourses, a également pu jouer un rôle sur le nombre de bénéficiaires.

Certains des 16 IRF disposent d'une antenne. L'Institut adossé au lycée de Lomé a ainsi une antenne à Abidjan pour faire face à la croissance du réseau de Côte d'Ivoire, qui constitue un de nos pays-cibles et où existe une forte demande de formation. De la même manière, une antenne de l'IRF d'Abu Dhabi est implantée au Caire. Il existe donc plus de 16 endroits accueillant une offre de formation. Les 292 formateurs déployés à travers le réseau ne le sont pas forcément dans les IRF ; ils peuvent aussi intervenir dans des établissements de pays où les besoins de formation sont importants, comme en Mauritanie.

En ce qui concerne les formations proposées, la formation PàP que j'ai mentionnée est très demandée. Une formation continue des personnels est également déployée. Nous proposons aussi de la diplomation dans le cadre de Master MEEF, déjà en place pour le premier degré et que nous déployons cette année pour le deuxième degré. 40 % des personnels du réseau ont eu accès à une formation au cours de l'année 2023-2024. Nous mettons également en place une formation sur l'école inclusive, ainsi que des parcours de management des organisations scolaires. Un travail important est réalisé en amont pour adapter notre offre aux besoins et aux demandes des personnels.

Le baccalauréat français international constitue l'un des éléments concourant au développement de l'attractivité du réseau. Ce dispositif très exigeant, dont la maquette comporte un grand nombre d'heures de cours et qui demande un investissement significatif de la part des élèves, a trouvé son public et obtenu d'excellents résultats, avec un taux de mentions extrêmement élevé. Nous nous employons à développer sa reconnaissance dans l'enseignement supérieur, que ce soit en France via Parcoursup ou dans le reste du monde.

M. Yan Chantrel. - Lors de l'examen du projet de loi de finances, le groupe socialiste était en désaccord avec le budget initialement proposé pour l'action extérieure de l'État comme avec l'amendement de rabot gouvernemental, qui est venu réduire encore le financement de l'AEFE. Quelles seront les conséquences de ces coupes pour les organismes et dispositifs qui dépendent de vous, comme la Mission laïque française (MLF) ou le programme FLAM ? Avec mes collègues Catherine Belrhiti et Pierre-Antoine Levi, nous avons récemment rappelé, dans un rapport consacré à la francophonie, notre attachement à ce programme peu coûteux mais aux effets très positifs.

Depuis 2019, les enseignants ne peuvent plus être maintenus en position de détachement au-delà de six années scolaires consécutives dans le réseau. Pour un grand nombre d'entre eux, cette échéance arrivera cette année. Quelles sont les conséquences de ce bornage pour le fonctionnement du réseau ? Disposez-vous d'une évaluation du nombre de personnes concernées ?

Où en est le déploiement de l'école inclusive ? Il me semble qu'une réflexion était en cours pour lier l'octroi des bourses de financement des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à des critères économiques, sur la base des revenus des familles. Comme nous le constatons avec les bourses scolaires, une telle évolution pourrait avoir des conséquences problématiques, avec des effets de seuil importants. Les échanges avec la communauté éducative nous apprennent par ailleurs qu'il existe un besoin de sensibilisation et de formation de ses membres pour assurer le meilleur accueil des enfants ayant des besoins particuliers.

J'ai échangé avec le Gouvernement sur la mise en place au Viêt-Nam, par une association, d'une cellule d'écoute pour la jeunesse. Cette pratique me paraît très intéressante pour fournir une assistance psychologique dans les pays où de telles ressources sont rares. Seriez-vous favorable à l'extension de cette initiative ?

Mme Catherine Belrhiti. - Dans un monde qui connaît de fortes mutations, comment l'agence accompagne-t-elle concrètement les établissements situés dans des zones touchées par des crises politiques, économiques ou sociales, en termes de sécurité mais aussi de continuité pédagogique ?

Mme Mathilde Ollivier- En ce qui concerne le montant du déficit de l'AEFE pour 2025, j'ai le chiffre de 38,8 millions d'euros ; pouvez-vous le confirmer ? Quels seront précisément les effets financiers du rabot gouvernemental sur ce montant ?

Les suppressions de postes auront nécessairement des effets sur le réseau. Dans ce contexte, il semble irréaliste d'avancer vers l'objectif Cap 2030, comme le soulignait déjà notre rapporteur Claude Kern lors de l'examen en commission du projet de loi initial.

Comment les postes centraux dédiés à l'accompagnement des établissements et au développement du réseau seront-ils touchés par ces évolutions ? Entre 2023 et 2024, les demandes de dossiers d'homologation sont passées de 204 à 233 ; quelle est la dynamique prévue pour 2025 ?

Pouvez-vous nous donner des précisions sur la réduction des subventions qui seront versées aux établissements ? Quel sera l'impact concret de cette mesure sur leur fonctionnement ?

À l'occasion d'un récent déplacement en Turquie, j'ai pu observer une forte inquiétude sur le terrain. L'aboutissement des négociations était espéré pour la fin du mois de janvier afin que les familles et les enseignants puissent se projeter dans l'avenir. Avez-vous des éléments nouveaux à nous communiquer sur cette situation ?

M. Pierre Ouzoulias. - L'enseignement français à l'étranger occupe une place importante dans la défense des idées de la France, de sa culture et de ses principes, au premier rang duquel la laïcité. Comment ce principe est-il appliqué dans vos établissements, en particulier en ce qui concerne la loi de 2004 ? Par ailleurs, assiste-t-on aujourd'hui à une augmentation des pressions des États pour influer sur les programmes enseignés - en Turquie, aux États-Unis, en Argentine ou ailleurs ? Face à des États qui vous demanderaient d'adapter les programmes français à des normes politiques, quelle serait votre réaction ? Estimeriez-vous que des établissements devraient être fermés ?

Mme Laure Darcos. - Avec mon collègue Max Brisson, nous revenons d'une mission au Sahara occidental, où nous avons visité à Dakhla une école française qui ne dépend pas de l'AEFE. Alors que les relations diplomatiques avec cet important partenaire de la France se sont récemment améliorées, quelles évolutions avez-vous observées dans les relations de l'AEFE avec ce pays ? Le directeur de l'établissement que nous avons visité était demandeur d'un renforcement de l'enseignement français dans le Sud du pays ; l'agence y développera-t-elle sa présence ?

Mme Samantha Cazebonne. - Je tiens d'abord à vous féliciter et à remercier sincèrement vos équipes. Ce réseau est unique et envié partout dans le monde. Son plébiscite à l'étranger, où des familles s'acquittent de frais de scolarité très élevés pour en bénéficier, contraste avec le mal que l'on peut dire en France de notre système éducatif. La première édition des Palmes du réseau d'enseignement français à l'étranger, qui se tiendra à la Sorbonne le 13 mars prochain, permettra de le faire mieux connaître à nos compatriotes, qui y consacrent chaque année plus de 500 millions d'euros au titre de leurs impôts.

N'existe-t-il pas d'autres leviers de financement de l'AEFE que le levier budgétaire ? En tant qu'ancienne proviseure dans ce réseau, et sur la base des enseignements tirés de mes très nombreux déplacements sur le terrain, il me semble que nous pourrions développer les fonds apportés par des investisseurs privés, et que nous gagnerions à approfondir nos relations bilatérales avec les pays d'implantation. Certains pays soutiennent le financement de nos écoles pour réduire le coût de la scolarité de leurs familles : c'est le cas en Allemagne, en Suède, dans les pays baltes, au Costa Rica ou encore au Maroc, en particulier en ce qui concerne les enseignements en langue arabe.

Certains des accords de subvention passés avec les pays d'implantation pourraient-ils être revus ? Je réside en Espagne, où mes filles apprennent le catalan puisque l'enseignement des langues régionales est prévu par l'accord passé avec ce pays ; cet enseignement pourrait être pris en charge par l'Espagne. D'une manière générale, il me paraît nécessaire de développer le cofinancement du service d'enseignement offert par notre réseau à de nombreuses familles des pays hôtes.

Mme Sabine Drexler. - La crise des vocations traversée par l'Éducation nationale depuis plusieurs années a-t-elle des effets sur le fonctionnement de l'AEFE ? Parvenez-vous à recruter suffisamment d'enseignants volontaires pour intervenir dans tous les pays où vous êtes présents ?

M. Max Brisson. - Mes récents déplacements dans des établissements du réseau en Côte d'Ivoire, au Bénin et au Maroc m'inspirent quelques remarques et questions.

J'ai été surpris d'entendre déplorer un recul de la qualité de l'enseignement français, alors que je pensais ce discours réservé à l'hexagone : des parlementaires marocains ont affirmé que l'enseignement français n'était plus ce qu'il était. Si je partage largement les propos de Samantha Cazebonne, je crois que ce constat mérite d'être noté.

Ma seconde inquiétude porte sur le coût de l'enseignement, et le développement de réseaux beaucoup moins chers que le nôtre comme solutions alternatives. En dépit de notre implantation au Maroc, des parlementaires marocains nous ont indiqué s'être tournés vers le réseau espagnol moins coûteux.

En Côte d'Ivoire et au Bénin, j'ai observé que nos établissements sont très associés aux élites dirigeantes, notamment du fait de leur coût. Lorsque des contestations ou révolutions éclatent, nous sommes ainsi assimilés au pouvoir en place. Cette situation, qui nous éloigne de la population dans sa diversité, me paraît inquiétante.

Je suis agacé par la rupture entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Lors du passage au supérieur, les familles font souvent le choix du modèle anglo-saxon, et ont des exigences sur la possibilité de bénéficier de parcours bilingues en amont. Or, notre rôle n'est pas de préparer les élites de certains pays à la poursuite de leurs études dans les universités anglo-saxonnes.

M. Laurent Lafon, président. - J'appuie cette remarque, ayant fait le même constat lors du déplacement de la commission en Côte d'Ivoire et au Bénin. On observe dans les établissements partenaires une forte attractivité du modèle anglo-saxon, et la recherche par les familles d'un enseignement international plutôt que d'un enseignement français. Comment, dans ces conditions, concilier le développement du réseau avec la préservation de notre modèle ?

Mme Claudia Scherer-Effosse. - M. Chantrel, l'annonce d'une nouvelle réduction de crédits à hauteur de 4,2 millions d'euros au total ne constitue pas une bonne nouvelle. Nous préparons un budget rectificatif qui sera présenté au conseil d'administration en mars prochain, et qui intégrera les conséquences de cette coupe.

Compte tenu de la faiblesse de ses crédits, le dispositif FLAM ne constitue pas une source potentielle d'économies. Le soutien de l'agence à la MLF, qui se traduit par la prise en charge des personnels des établissements MLF du Liban sans qu'aucune contribution ne leur soit demandée, présente un fort enjeu au plan politique ; dans un contexte délicat pour la MLF, ce soutien sera probablement poursuivi.

Selon notre direction des ressources humaines, le nombre de personnels détachés touchés par les effets du bornage à six ans ne dépassera pas 20 à 30 personnes en 2025. Il augmentera en revanche en 2026, pour atteindre un niveau important en 2027. Nous devrons travailler avec le ministère de l'Éducation nationale sur son engagement de faciliter la mobilité des personnels. Un guide du retour a été publié à la fin de l'année 2024 ; si cet outil n'est pas la réponse à toutes les difficultés, il témoigne d'une prise en compte du sujet. Il met en lumière les compétences développées à l'occasion d'un détachement et invite les académies à éviter leur déperdition en permettant aux personnels concernés de candidater sur des postes à profil.

S'agissant de l'école inclusive, 10 % des élèves du réseau ont des besoins éducatifs particuliers. Depuis 2016, un observatoire regroupant des partenaires tels que la MLF, les organisations syndicales et les représentants des parents d'élèves échange sur les bonnes pratiques. Parmi les 17 inspecteurs du réseau, une inspectrice, en poste au siège, est chargée du suivi de ce thème. Nous collaborons également avec l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'école inclusive (INSEI) pour mettre en place un programme de formation pour les AESH. Un diplôme universitaire « École inclusive » est proposé dans le cadre des IRF.

Des psychologues peuvent être accessibles dans nos établissements, leur présence étant organisée en lien avec les parents d'élèves. Pour les quelques psychologues de l'Éducation nationale en poste dans le réseau, je vous signale un problème de transposition de certains éléments salariaux. Si le dispositif d'écoute que vous mentionnez au Viêt-Nam donne satisfaction, je veillerai à ce que les bonnes pratiques qui en découlent soient diffusées.

Madame Belrhiti, nous cherchons à développer le nombre d'élèves du réseau sans diminuer la qualité des enseignements. Cela suppose une formation continue des personnels détachés, dont la moitié relèvent de l'ancien statut de résident et ne sont pas concernés par le bornage, ainsi que des nouveaux personnels et des personnels de droit local. À tous les personnels que nous employons, nous tenons à donner les meilleurs outils pour améliorer leur pratique pédagogique.

La continuité pédagogique en cas de crise fait l'objet de toute notre attention. Le directeur général adjoint de l'agence préside chaque semaine au moins une cellule de veille, qui peut se transformer en cellule de crise. À la suite de la pandémie, nous avons développé une compétence réelle en termes d'enseignement à distance. Lorsque des événements climatiques ou des crises politiques entraînent des fermetures d'établissements, nous passons en enseignement à distance pour assurer la continuité pédagogique.

Mme Ollivier, notre budget sera plus déficitaire encore que dans notre estimation initiale. Nous allons étudier la possibilité d'absorber une partie de ce déficit dans notre trésorerie.

Les effectifs du siège ont été fortement étoffés au cours des quatre dernières années pour atteindre les objectifs de développement, avec une progression de 10 % sur les quatre dernières années. Sans que je puisse vous le confirmer, il est probable que nous ayons aujourd'hui atteint un plateau.

Il existe toujours une forte demande pour les nouvelles homologations comme pour les extensions d'homologations. 26 nouveaux établissements ont été homologués à la rentrée 2024, contre 23 l'année précédente ; la tendance devrait être la même cette année.

L'impact de la diminution des subventions est difficile à évaluer, car elles ne sont pas pluriannuelles. Dans l'attente de la subvention qui nous sera versée et de nos nouveaux équilibres budgétaires, leur enveloppe pour 2025 n'est pas encore fixée.

En ce qui concerne la Turquie, nous suivons avec beaucoup d'attention la situation en cours. Il n'existe pas de nouveaux éléments à ce jour. Nous espérons que la situation ne se dégradera pas et que nous pourrons accompagner les familles et les personnels.

M. Ouzoulias, l'enseignement français à l'étranger a vocation à appliquer les valeurs de la République, dont le principe de laïcité. En tant que structures privées établies dans des pays étrangers, nos établissements doivent cependant respecter le droit local. La loi de 2004 n'est pas extraterritoriale et ne s'applique pas dans nos établissements. Nous avons la délicate mission de trouver un équilibre entre l'observation de la laïcité et le respect de la loi locale, en lien avec les familles et les autorités, ce qui suppose souvent de marcher sur une ligne de crête.

Nos écoles n'étant pas clandestines, leur homologation suppose qu'elles soient agréées par leur pays d'implantation, et donc un droit de regard des autorités - d'autant que 57 % des élèves du réseau sont des nationaux des pays d'accueil, qui acceptent donc que leurs citoyens suivent les programmes d'enseignement français. Certains demandent d'ailleurs une réciprocité. Obtenir et conserver une homologation suppose de manoeuvrer avec diplomatie. A la question de savoir s'il y a des voiles dans certains établissements, la réponse est donc oui, puisque c'est le droit de certains de nos pays d'implantation.

Madame Darcos, avec plus de 48 000 élèves, le Maroc représente le deuxième pays du réseau. Nous avons traversé une période de relations bilatérales plus tendues, avec un gel des homologations. Nous espérons pouvoir y poursuivre notre développement afin de répondre à l'appétence que nous constatons pour l'enseignement français.

Madame Cazebonne, la Nouvelle-Zélande va ouvrir très prochainement un établissement public correspondant au modèle que vous citiez - une charter school néo-zélandaise, sans frais de scolarité, avec l'enseignement du programme français.

Mme Samantha Cazebonne. - Je m'en réjouis évidemment, puisque j'ai accompagné le développement de cette école, qui occupera les locaux de l'Alliance française. J'accompagne actuellement le poste consulaire dans la recherche d'investisseurs.

Au-delà de ce projet très intéressant, ma question portait sur la possibilité de mettre davantage à contribution certains États, par la mise à disposition de bâtiments, comme en Allemagne, l'octroi de subventions pour leur entretien, comme au Costa Rica, ou encore la mise à disposition de professeurs, comme au Maroc. En Espagne, qui accueille l'un des plus importants réseaux de l'AEFE, les familles peinent à payer les frais de scolarité ; cette difficulté est largement répandue et bien connue. Je crois que les autorités espagnoles devraient financer l'enseignement des langues régionales, qui coûte très cher, et dont l'intérêt est limité pour les familles de passage. Notre responsabilité est de solliciter les pays hôtes, dont l'intérêt est de contribuer au financement des établissements accueillant une forte proportion d'élèves de leur nationalité.

Mme Claudia Scherer-Effosse. - Madame Drexler, le vivier des personnels souhaitant être détachés à l'étranger, notamment celui des enseignants, n'est pas en voie d'extension, ce qui peut provoquer des tensions. Nous constatons à chaque rentrée que des personnels sélectionnés par les commissions locales n'ont pas vu leur demande de détachement acceptée, ce qui donne lieu à des vacances de poste. C'est particulièrement le cas dans certaines académies en tension, en particulier pour les professeurs des écoles. La situation est d'autant plus inquiétante que la mise en place du bornage entraînera des besoins de remplacements plus importants.

Monsieur Brisson, l'objectif d'augmentation du nombre d'élèves dans le réseau homologué nous conduit à recruter aussi des élèves qui ne sont pas attirés par l'enseignement supérieur français. La reconnaissance du bac français international dans de nombreux pays constitue un élément d'attractivité de notre réseau. Si nous nous limitions aux élèves qui ont vocation à intégrer le supérieur français, nos effectifs seraient divisés par deux. Cette situation découle des objectifs que nous nous sommes fixés.

M. Laurent Lafon, président. - Nous vous remercions pour vos réponses.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 55.