Jeudi 6 février 2025

- Présidence de Bruno Rojouan, président d'âge -

La réunion est ouverte à 12 h 05.

Réunion constitutive

M. Bruno Rojouan, président. - Mes chers collègues, l'absence de deux de nos collègues, Alain Milon et Christian Bilhac, me donnant la qualité de président d'âge, il me revient d'ouvrir la première réunion de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État.

Je vous rappelle que cette commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage reconnu aux groupes politiques par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. La Conférence des présidents en a pris acte le 29 janvier 2025 et les vingt-trois membres ont été nommés, sur proposition des groupes politiques, lors de la séance publique du 5 février.

De plus, je vous rappelle que, en application du deuxième alinéa de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, le groupe à l'origine de la création de la commission a demandé à exercer la fonction de rapporteur et que cette demande est de droit.

Nous devons donc procéder à la désignation du président de la commission d'enquête qui, en application du même article, doit appartenir à un groupe minoritaire ou d'opposition.

J'ai reçu la candidature de notre collègue Pierre Barros, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K).

La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Pierre Barros.

- Présidence de Pierre Barros, président -

M. Pierre Barros, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir confié la présidence de cette commission d'enquête. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous rappeler brièvement les règles spécifiques qui s'appliquent au fonctionnement des commissions d'enquête.

Nous sommes tout d'abord tenus à un délai impératif de six mois pour rendre nos travaux. La prise d'effet de la création de la commission d'enquête étant fixée, au jour de nomination de ses membres, c'est-à-dire le 5 février, elle prendra fin par la publication de son rapport et au plus tard le 4 août.

Nous disposons de pouvoirs de contrôle renforcés, tels que celui d'auditionner toute personne dont nous souhaiterions recueillir le témoignage ou d'obtenir la communication de tout document que nous jugerions utile.

Les auditions seront publiques, sauf si nous devions en décider autrement. Toutes les personnes appelées à témoigner le feront sous serment.

En revanche, tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du Bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de vingt-cinq ans. J'appelle donc chacun d'entre nous à la plus grande discrétion sur ceux de nos travaux qui ne seront pas rendus publics.

Pour mémoire, je me dois de vous indiquer que le non-respect du secret est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. En outre, l'article 8 ter du Règlement du Sénat prévoit que tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas cette obligation de secret « peut être exclu de cette commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu » et que cette exclusion « entraîne l'incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d'enquête ».

Ce rappel étant fait, je vous propose de poursuivre la constitution du Bureau de la commission d'enquête, à commencer par la désignation du rapporteur.

Le groupe Les Républicains a proposé le nom de notre collègue Mme Christine Lavarde pour la fonction de rapporteur.

La commission d'enquête procède à la désignation de son rapporteur, Mme Christine Lavarde.

M. Pierre Barros, président. - Compte tenu des désignations du président et du rapporteur qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-présidents est la suivante : pour le groupe Les Républicains, deux vice-présidents ; pour les groupes Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) et Union Centriste (UC), deux vice-présidents chacun ; pour chacun des autres groupes, un vice-président, à l'exception bien sûr du groupe CRCE-K, que je représenterai au Bureau en tant que président.

J'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, Mme Pauline Martin et M. Cédric Vial ; pour le groupe SER, M. Pierre-Alain Roiron et M. Michaël Weber ; pour le groupe UC, M. Ludovic Haye et M. Hervé Maurey ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires (LIRT), M. Emmanuel Capus ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), Mme Solanges Nadille ; pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), M. Christian Bilhac ; enfin, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST), Mme Ghislaine Senée.

La commission d'enquête procède à la désignation des autres membres de son Bureau : Mme Pauline Martin, M. Cédric Vial, M. Pierre-Alain Roiron, M. Michaël Weber, M. Ludovic Haye, M. Hervé Maurey, M. Emmanuel Capus, Mme Solanges Nadille, M. Christian Bilhac et Mme Ghislaine Senée, vice-présidents.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie de votre confiance. Nous venons d'élire un Bureau, en précisant que nous comptons bien associer l'ensemble des membres de la commission d'enquête au cadrage des travaux, au choix des auditions et aux éventuels déplacements, de manière que nous puissions bénéficier des différentes expertises.

Cette commission d'enquête pourrait en effet donner l'impression d'être une émanation de la commission des finances compte tenu de sa composition, mais il nous sera très utile de croiser les connaissances des membres de chacune des commissions représentées.

Le groupe Les Républicains a demandé la constitution de cette commission d'enquête afin de faire le point sur le foisonnement des « démembrements » de l'État, si l'on peut désigner ainsi un ensemble d'agences, d'opérateurs, d'organismes consultatifs qui ont été créés de manière progressive, en particulier au cours des années 1990 et 2000.

Le premier problème qui se pose est celui de la délimitation de l'objet de notre commission d'enquête, qui pourrait devenir très vaste si l'on n'y prend pas garde. Dans un premier temps, on peut différencier ces organismes en considérant que les agences bénéficient d'une réelle autonomie et d'une responsabilité qui leur permet de structurer la mise en oeuvre d'une politique publique : le Conseil d'État dénombrait 103 agences dans un rapport paru en 2012.

Les opérateurs, quant à eux, sont placés sous un contrôle plus direct de l'État et exercent pour son compte des missions d'intérêt général. Le « jaune » budgétaire annexé au projet de loi de finances dénombre 434 opérateurs actuellement, mais un certain nombre d'entre eux sont classés comme des agences par le Conseil d'État.

Par ailleurs, la catégorie recoupe également assez largement celle des organismes divers d'administration centrale (Odac) qui est établie par l'Insee. Enfin, il y aurait plus de 300 organismes consultatifs, auxquels s'est intéressée la proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée de notre collègue Nathalie Goulet, examinée en séance le 30 janvier dernier.

Il nous sera nécessaire de disposer d'un éclairage général sur les conditions et les motivations de création de ces organismes. Comme a pu le relever le Conseil d'État, les agences ont été créées au coup par coup, sans qu'une véritable philosophie guide cette déconstruction de l'État.

Nous sommes à la recherche de personnes qualifiées pour aborder ces sujets et nous permettre de centrer nos travaux. Je crois d'ailleurs qu'il est préférable de ne pas inclure dans le champ de nos investigations certains types d'organismes qui constituent un sujet en soi, même si certains d'entre eux peuvent être classés parmi les agences ou les opérateurs.

Le recensement de ces organismes constituera à l'évidence un premier pas important, les ministres étant les premiers à reconnaître qu'ils ignorent leur nombre exact.

Il conviendra également de s'intéresser au financement de ces organismes, en précisant que les financements publics qui leur sont consacrés ont augmenté de 30 % entre 2015 et aujourd'hui. Je précise - point auquel le président et moi-même sommes très attachés - qu'il importe de distinguer les dépenses de fonctionnement des agences de leurs dépenses d'intervention, qui devraient être reprises par le ministère de tutelle si la structure venait à disparaître. Ainsi, supprimer l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ne conduirait en aucun cas à supprimer les crédits considérables alloués au dispositif MaPrimeRénov'.

En ce qui concerne nos futures préconisations, je rappelle que les fusions d'établissements entraînent toujours à court terme un surcoût, comme l'a récemment illustré le rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : le coût de cette fusion est en effet supérieur à la simple addition des budgets des deux structures.

Dans la pratique, nous vous proposons que nos travaux s'articulent autour d'auditions qui auront lieu le mardi après-midi ou le jeudi, en fin de matinée ou en début d'après-midi. Nous aimerions aussi organiser un ou deux déplacements en région et vous pourrez nous aider à identifier les lieux où il serait le plus pertinent d'aller. Enfin, nous allons demander une étude de législation comparée pour mieux comprendre l'organisation retenue par nos principaux partenaires européens, dont la Suède, le Royaume-Uni ou encore les Pays-Bas.

M. Pierre Barros, président. - Nous sommes bien conscients de l'immensité de la tâche et de la nécessité de circonscrire le périmètre de cette commission d'enquête. Compte tenu des contraintes de temps, nous devrons progresser chaque semaine, en commençant par auditionner des personnes qui ont contribué à la constitution de ces agences et à la décentralisation, ces premiers échanges devant nous permettre de bâtir un socle d'analyse commun.

Cette démarche s'impose d'autant plus qu'une forte pression politique s'exerce actuellement sur ces sujets. Aussi, cette commission d'enquête servira à absorber cette pression - tout à fait légitime - afin de prendre du recul et de formuler des préconisations pour améliorer la situation, tout en prenant garde à préserver ce qui doit l'être parmi les agences et opérateurs de l'État, parfois constitués pour répondre à des besoins territoriaux ou pour atteindre des objectifs de service public.

Je vous propose d'ores et déjà de nous retrouver pour un échange de vues plus approfondi mardi 11 février, à 16 h 30.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À cette occasion, chacun des membres pourra proposer les sujets qui lui paraissent essentiels. Les moyens du Sénat nous permettent de traiter un grand nombre de données et d'envisager des consultations citoyennes participatives, mais il nous faudra alors bien cibler nos questions et les personnes à qui elles sont adressées. Parallèlement, nous enverrons des convocations aux personnes susceptibles d'être auditionnées dès la semaine du 17 février.

M. Pierre Barros, président. - J'insiste sur le caractère participatif et collaboratif du travail de cette commission d'enquête, car je souhaite éviter un mode de fonctionnement trop rigide qui a pu caractériser d'autres structures temporaires. N'hésitez pas, en tout cas, à formuler des propositions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je réitère, pour ma part, mon appel à nous signaler tous les sujets qui vous semblent dignes d'intérêt : le prisme budgétaire des membres de la commission des finances peut les conduire à méconnaître des organismes dont les ressources sont très modestes au regard du budget global de l'État, alors que les membres des autres commissions peuvent être plus au fait d'organismes redondants et d'autres dysfonctionnements. Dans le domaine culturel par exemple, l'extrême fragmentation des comités et des structures génère à la fois de la complexité et des dépenses cumulées importantes.

Mme Agnès Canayer. - Il me semble que notre premier objectif consiste à mieux définir le périmètre de nos travaux, ma récente expérience ministérielle m'ayant permis de dialoguer tant avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), opérateur d'ampleur des politiques publiques, qu'avec divers comités consultatifs, qui sont loin d'avoir le même impact.

Si le sujet dont s'empare la commission d'enquête est passionnant, il est extrêmement large, d'autant qu'il existe une série d'organismes déconcentrés : prenons donc garde à bien délimiter notre champ d'étude.

Outre l'enjeu budgétaire, nous devrons évaluer l'utilité et l'efficacité de ces structures.

Mme Pauline Martin. - L'avis des élus locaux est primordial en la matière, car ils interagissent avec les agences quotidiennement : la consultation devra s'adresser prioritairement à eux.

Nous constatons également que les autorités de référence des agences se superposent souvent, ce qui est source de confusion et de blocages.

Du reste, il me semble que notre travail gagnerait à englober les agences régionales de santé (ARS), qui sont source de nombreux questionnements dans les territoires.

M. Michaël Weber. - Le sujet est aussi vaste que complexe et nous devons en effet définir nos priorités : il me semble que nous devons avant tout évaluer l'efficacité de ces organismes.

Il est par ailleurs exact de dire que les élus locaux connaissent les agences et les opérateurs, mais je note que le fait qu'ils les évoquent prouve au moins leur existence. A contrario, d'autres organismes demeurent dans l'ombre - peut-être à dessein, d'ailleurs - et peut-être qu'il faudrait commencer par les identifier, car ils négocient et consomment chaque année des fonds.

Sur le plan de la méthode, il est sans doute intéressant que chacun des membres de la commission essaye de repérer des organismes qui posent question, en fonction de sa spécialité : je pourrais ainsi citer des structures qui ont vocation à formuler des prescriptions techniques et dont l'efficacité semble douteuse.

Mme Solanges Nadille. - Je souhaiterais que nous ayons aussi une vision ultramarine de ce sujet, les territoires d'outre-mer présentant des particularités.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Cette dimension sera bien sûr abordée.

Mme Ghislaine Senée. - Quels sont nos attendus de fond ? Souhaitons-nous établir une liste des agences en les triant en fonction de leur efficacité ? Comment évalue-t-on, d'ailleurs, celle-ci ? Des critères devront donc être établis, en tenant compte des externalités et des impacts que pourrait entraîner la suppression de ces organismes.

Mme Anne-Sophie Patru. - Les conclusions de cette commission d'enquête sont attendues par les élus locaux, qu'il faudra effectivement consulter. Les agences de l'État ayant récemment été au centre de l'attention, nous devrons être en mesure de leur en expliquer le fonctionnement et de leur rappeler qu'elles ne résument pas l'intervention des pouvoirs publics.

Mme Agnès Canayer. - Précisons aussi que toute structure est coûteuse : les organismes consultatifs, s'ils ne disposent pas d'un budget propre, bénéficient ainsi de la mise à disposition d'agents.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Madame Senée, l'un de nos objectifs consiste à apporter des réponses au discours très populiste selon lequel la suppression de l'ensemble des agences permettrait de combler le déficit de l'État, perspective tout à fait irréaliste compte tenu des missions qu'elles remplissent.

Dans la perspective du prochain projet de loi de finances (PLF), il est bien question d'apporter une vision éclairée et aussi exhaustive que possible, en distinguant les structures à sanctuariser des doublons éventuels.

Pour ce qui est de la décentralisation et du fonctionnement de l'État, je ne peux pas entendre que les ministères de tutelle n'aient aucun droit de regard sur le fonctionnement de certaines agences. Certains conseils d'administration prennent ainsi des décisions en toute autonomie et il faudra s'assurer que les commissaires du gouvernement et les élus présents dans ces conseils soient en mesure d'exercer un contrôle effectif.

J'ai en tête une agence qui objectait que la présence d'un député et d'un sénateur dans son conseil d'administration garantissait un suivi, mais l'argument n'était pas valable puisque les réunions se tenaient le mercredi matin et que les documents étaient envoyés la veille pour le lendemain.

De surcroît, les agents publics présents dans ces établissements perçoivent des primes diverses et variées, ce qui peut contrevenir à leur reclassement éventuel dans la fonction publique d'État, ce qui soulève là aussi une problématique d'efficacité.

Mme Agnès Canayer. - Pourrions-nous avoir une note récapitulant les différentes formes juridiques de ces structures ?

M. Pierre Barros, président. - Une synthèse de ce type est bien sûr nécessaire. À une époque, les préfets et sous-préfets bataillaient pour simplifier le maquis des syndicats intercommunaux, qui avaient été créés pour un projet spécifique, mais qui avaient ensuite été maintenus.

Notre démarche peut s'apparenter à un « ménage » de ce type, qui confortera dans le même temps l'utilité d'autres structures. L'objectif de cette commission d'enquête consiste bien à adopter un regard objectif sur la situation de ces agences et opérateurs. Peut-être faudra-t-il même envisager de proposer la création de structures supplémentaires si cette solution présente un intérêt dans des domaines où les collectivités présentent des fragilités.

Mme Ghislaine Senée. - Nous convenons tous de la nécessité d'aller vers davantage de simplification, ne serait-ce qu'au niveau de la diversité des formes juridiques de ces établissements.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Il nous faudra agir très rapidement si nous retenons l'hypothèse d'une consultation des élus.

Mme Agnès Canayer. - Nous devrons aussi nous pencher sur l'enjeu du pouvoir des responsables politiques sur ces divers opérateurs : une absence de contrôle sur les structures chargées de mettre en oeuvre les politiques publiques poserait une question de fond sur le fonctionnement démocratique de nos institutions.

S'agissant de la perspective d'une consultation, nous ne partirons pas de rien dans la mesure où des rapports d'information se sont déjà appuyés sur ce mode de consultation, notamment par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Il ne faudra d'ailleurs pas nous limiter aux élus locaux, qui ne sont que l'un des points d'entrée dans le sujet : nous sommes globalement confrontés à un manque de visibilité sur l'ensemble des acteurs.

M. Pierre Barros, président. - La lisibilité de l'action de l'État sur le terrain peut aussi s'effacer derrière des opérateurs et des agences qu'il finance pourtant très largement.

La réunion est close à 12 h 50.